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06/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52397C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 06 mai 2025, 52397C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52397C ECLI:LU:CADM:2025:52397 Inscrit le 20 février 2025

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Audience publique du 6 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 21 janvier 2025 (n° 49533 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu la requête d'appel, in

scrite sous le numéro 52397C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52397C ECLI:LU:CADM:2025:52397 Inscrit le 20 février 2025

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Audience publique du 6 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 21 janvier 2025 (n° 49533 du rôle) en matière de protection internationale

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Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 52397C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 20 février 2025 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant à L-…, …, dirigée contre le jugement rendu le 21 janvier 2025 (n° 49533 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 septembre 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 19 mars 2025;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 24 avril 2025.

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Le 12 novembre 2021, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

1 Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 25 avril 2022, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 15 septembre 2023, envoyée à l’intéressé par lettre recommandée en date du 18 septembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 12 novembre 2021, auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos motifs de fuite En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 12 novembre 2021, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 25 avril 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de la ville de … dans la région autonome du Kurdistan en Irak, d'ethnie … et de confession ….

Monsieur, vous avancez craindre d'être tué en cas de retour dans votre pays d'origine, étant donné que vous feriez l'objet d'une vendetta. Vous indiquez également avoir peur d'être dans le collimateur des autorités de votre pays d'origine pour avoir commercé avec des membres de l'organisation dénommée « Parti des travailleurs du Kurdistan » (ci-après dénommée « PKK »), Vous faites en premier lieu état d'un incident qui serait survenu en juillet 2013.

Dans ce contexte, vous expliquez que vous vous seriez rendu avec votre frère, (B), sur un marché à … pour acheter des légumes auprès d'un marchand. Vous avancez que le marchand en question aurait cependant essayé de vous escroquer et qu'une altercation aurait éclaté. Lors de cette dispute, votre frère aurait frappé le marchand à la tête avec une clé à cliquet. Ce dernier serait tombé par terre et vous vous seriez enfuis. Vous ajoutez encore que ce Monsieur serait décédé à l'hôpital suite à ses blessures.

2Vous auriez quitté l'Irak ensemble avec votre frère deux jours plus tard pour vous rendre en Iran. Vous y auriez séjourné durant presque deux mois et vous auriez ensuite décidé de rentrer en Irak pour vous rendre aux autorités en précisant que votre frère serait resté en Iran.

Vous indiquez que vous vous seriez rendu aux autorités de votre pays d'origine en date du 20 août 2013 et que vous auriez immédiatement été placé en détention provisoire. Vous auriez ensuite été jugé et condamné à une peine d'emprisonnement pour être finalement libéré en date du 15 juin 2021.

Ensuite, vous avancez que vous seriez dans le viseur des proches du marchand de légumes, lesquels souhaiteraient se venger pour le décès de ce dernier. A cet égard, vous mentionnez qu'un voisin vous aurait rapporté que des proches dudit marchand auraient demandé après vous dans la ville de … en 2021, sans néanmoins en préciser la date exacte.

Vous poursuivez votre récit en expliquant qu'après votre libération, vous auriez rejoint votre épouse et vos enfants à « … » dans la province de …. Deux semaines plus tard, vous auriez commencé à travailler pour le compte du cousin de votre épouse, qui aurait ravitaillé en nourriture les membres du « PKK ». Vous indiquez cependant que les autorités de votre pays d'origine auraient interdit toute collaboration avec ledit groupement, étant donné qu'il y aurait eu des conflits entre le « PKK » et les Peshmergas, forces armées kurdes de la région autonome du Kurdistan irakien.

Vous indiquez ensuite que l'« Asaish », forces de sécurité kurdes, aurait découvert que le cousin de votre épouse aurait traité avec le « PKK ». Il aurait été arrêté à son domicile et condamné à une peine privative de liberté de deux ans. Vous précisez que votre épouse vous aurait appelé afin de vous en informer et qu'elle vous aurait rapporté que des agents de l'« Asaish » se seraient également rendus à votre domicile pour demander après vous, alors que vous auriez été à … au moment des faits.

Vous auriez eu peur d'être arrêté et vous auriez quitté votre pays d'origine en date du 6 octobre 2021.

Enfin, vous mentionnez qu'en date du 14 octobre 2021, l'« Asaish » aurait envoyé une convocation, qui vous serait adressée, à votre domicile à « … ». Vous énoncez en outre que votre frère serait toujours en cavale en Iran, alors qu'il refuserait de se rendre.

A l'appui de votre demande, vous présentez des copies de votre passeport irakien, de votre carte d'identité irakienne, de votre certificat de nationalité irakien, de votre certificat de mariage, de votre coupon de ravitaillement, de votre carte d'enregistrement et de votre permis de conduire. Vous déposez en outre une copie d'un arrêt rendu par la Cour pénale de … en date du 15 juin 2021, avec une traduction.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

3 • Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous avancez craindre d'être dans le viseur des proches d'un marchand de légumes qui serait décédé en 2013 suite à une altercation lors de laquelle votre frère l'aurait frappé à la tête et vous avancez que vous auriez également peur d'être dans le collimateur des autorités de votre pays d'origine pour avoir ravitaillé le « PKK » en nourriture en 2021.

Avant tout autre progrès en cause, il convient de noter qu'il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires que vous auriez purgé votre peine dans le cadre du décès du marchand de légumes qui serait survenu suite à une altercation lors de laquelle votre frère l'aurait mortellement blessé en 2013. Vous ne risquez dès lors pas de représailles dans le cadre de cette affaire de la part des autorités irakiennes en cas de retour dans votre pays d'origine.

Quant à votre crainte de subir d'éventuelles représailles de la part des proches du défunt marchand, force est de constater qu'elles n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. En effet, il découle de vos dires que vous craindriez être dans le viseur des proches du défunt marchand qui souhaiteraient se venger pour le décès de ce dernier, survenu suite à une altercation au sujet d'une transaction commerciale, de sorte qu'il n'existe aucun lien entre ces faits et votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques, ou encore votre appartenance à un certain groupe social.

Même à supposer que vos craintes dans ce contexte seraient liées à l'un des critères de fond énumérés par les prédits textes, il y a lieu de souligner que les faits survenus sont exempts d'une gravité particulière et suffisante pour pouvoir être assimilés à une persécution au sens de dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, vous indiquez que le seul évènement qui serait survenu durant tout ce temps aurait été le fait que quelqu'un aurait demandé après vous à …, information qui vous aurait été 4rapportée par un ancien voisin. Ce constat du manque de gravité vaut d'autant plus alors que vous vous seriez rendu dans la ville de … après votre libération en 2021.

Ainsi, il s'avère que les craintes que vous exprimez par rapport à votre sécurité personnelle se traduisent en un simple sentiment d'insécurité et sont purement hypothétiques.

Quand bien même votre situation serait suffisamment grave, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

En effet, il ressort clairement de vos déclarations que vous ne vous seriez à aucun moment adressé aux autorités irakiennes, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

Il sied de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Il y a dès lors lieu de conclure qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Quant à votre peur d'être dans le collimateur des autorités de votre pays d'origine pour avoir ravitaillé le « PKK » en nourriture, il y a tout d'abord lieu de souligner qu'il s'agit d'un groupement que les autorités irakiennes considèrent comme criminel, voire terroriste, tout comme l'Union européenne.

Ceci étant dit, force est de constater que vos craintes et les faits que vous relatez dans ce contexte n'entrent pas non plus dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, vous avancez que vous pourriez être dans le collimateur des autorités de votre pays d'origine, alors que vous auriez fourni les membres du « PKK » en nourriture avec le cousin de votre épouse, en ajoutant que ce dernier aurait été arrêté et condamné à une peine de prison de deux ans. Vous mentionnez encore que vous auriez reçu une convocation de la part des autorités irakiennes en date du 14 octobre 2021, après avoir quitté l'Irak, sans néanmoins être à même d'en préciser l'objet.

Il appert donc que ces faits ne constituent pas un motif entrant dans le champ d'application de la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques, ou encore votre appartenance à un certain groupe social et qu'ils s'analysent en substance en des crimes de droit commun.

5Même à supposer que ces faits auraient un quelconque lien avec les dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, il y a lieu de noter qu'ils sont exempts d'une gravité particulière et suffisante pour être qualifiés d'actes de persécution.

Monsieur, il convient de souligner que le fait que les autorités mènent une enquête visant des membres du « PKK », respectivement leurs collaborateurs, est tout à fait légitime.

Ainsi, le simple fait que les forces de sécurité « Asaish » se seraient rendues à votre domicile pour demander après vous et qu'elles vous auraient envoyé une convocation dans le cadre d'une éventuelle enquête visant le groupement en question et ses collaborateurs ne saurait suffire pour constituer des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Au vu de tout ce qui précède, force est de conclure qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une persécution, respectivement d'une crainte de persécution au sens des dispositions prévues par les prédits textes.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Sied de souligner qu'à l'appui de votre demande de protection subsidiaire, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de votre demande de reconnaissance du statut de réfugié. Or, sur base des développements et conclusions retenues qui précèdent dans le cadre du rejet du statut de réfugié, vous n'invoquez aucun autre élément additionnel susceptible de rentrer dans le champ d'application de l'article 48 précité.

Ainsi, tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.

6 Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de l'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 15 septembre 2023 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 21 janvier 2025, le tribunal administratif déclara non fondé ce recours en réformation en ses deux volets, partant en débouta, le tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et en condamnant le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 20 février 2025, Monsieur (A) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 21 janvier 2025.

L’appelant déclare maintenir l’ensemble de ses déclarations et moyens et reproche aux premiers juges d’avoir rejeté sa demande de protection internationale dans ses deux volets et il conclut partant à voir réformer le jugement a quo et à se faire reconnaître le statut de réfugié, sinon une protection subsidiaire.

En premier lieu, il estime que le risque d'être tué dans le cadre d'une vendetta liée à l’incident de juillet 2013 ayant impliqué son frère, d’une part, et de subir des représailles des autorités irakiennes pour avoir ravitaillé le PKK en 2021, d’autre part, rentreraient dans le champ d'application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et de la loi du 18 décembre 2015 et constitueraient des craintes d’une gravité certaine, pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Il pointe le fait que l’examen de ses craintes de persécution devrait tenir compte notamment des tensions ethniques et des conflits armés existant en Irak et, plus particulièrement, dans la région autonome du Kurdistan.

En ordre subsidiaire, ces mêmes craintes constitueraient des motifs sérieux et avérés permettant de croire qu'il court un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies aux articles 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015, sinon de subir des atteintes définies aux articles 48, points a) et c), de ladite loi de 2015, de sorte à justifier pour le moins l'octroi d’une protection subsidiaire.

Concernant plus particulièrement sa crainte de subir des représailles de la part des proches du marchand décédé et des poursuites de l' « Asayish », il relève que son cousin aurait été arrêté et emprisonné pour collaboration avec le PKK et qu’il craindrait d’être soumis à des sanctions similaires, voire plus graves. Il risquerait encore de subir des traitements inhumains et dégradants en cas d'arrestation par les forces de l'« Asayish ».

7 Enfin la situation sécuritaire au Kurdistan irakien serait marquée par des conflits internes entre différents groupes kurdes ainsi que par des affrontements armés avec des forces armées externes, originaires de Turquie et d'Iran, et ces conflits créeraient un climat de violence aveugle exposant les civils à des risques graves et individuels. Ainsi, lui-même, en raison de son implication présumée avec le PKK, constituerait une cible privilégiée dans ce contexte de violence.

L’appelant demande par ailleurs de voir annuler l'ordre de quitter le territoire en conséquence de l’octroi d’une protection internationale.

Il insiste sur ce que son refoulement vers l'Irak serait contraire au principe de non refoulement tel que prévu tant à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (« CEDH »), qu’aux articles 1er et 3 de la Convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 33 de la Convention de Genève et 14 de la loi du 28 mars 1972 sur l'entrée et le séjour des étrangers et qu’il se heurterait encore au principe de précaution et à l’article 8 de la CEDH.

De son côté, le délégué du gouvernement conclut en substance à la confirmation intégrale du jugement entrepris et de la décision ministérielle litigieuse, les deux tablant sur des appréciations justes tant en droit qu’en fait.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub h), 2, sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire 8est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

L’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Ceci étant rappelé, la Cour, à l’instar des premiers juges, arrive à la conclusion que les motifs de persécution essentiellement mis en avant par l’appelant, à savoir les craintes de représailles des proches d’un marchand tué par son frère en juillet 2013, respectivement d’être arrêté par l’« Asayish » ou les autorités irakiennes pour avoir soutenu le PKK, ne sont pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, ni par ailleurs une protection subsidiaire.

La Cour rejoint en premier lieu les premiers juges et fait siennes leurs considérations pertinentes que le risque de vendetta que l’appelant met en balance à titre de vengeance du meurtre commis par son frère dans le cadre d’un conflit d’ordre privé n’est pas de nature à constituer un motif de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que le risque afférent relève de façon basique de la criminalité de droit commun, d’une part, et que l’intéressé reste en défaut d’établir une absence de protection de la part des autorités de son pays d’origine sous ce rapport, d’autre part.

9Sur le deuxième point, la Cour relève que la notion de protection de la part du pays d’origine ne saurait être entrevue comme impliquant une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion, de sorte qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, il a été dégagé à bon droit des éléments de la cause que les autorités judiciaires irakiennes ont constaté la non-implication de l’appelant dans le cadre de l’affaire du meurtre du marchand et l’intéressé n’a donc plus rien à craindre de la part des autorités irakiennes dans ce contexte en cas de retour dans son pays d’origine, d’une part, et qu’il n’est point rapporté en preuve que les mêmes autorités lui refuseraient une protection ou seraient dans l’incapacité de lui en fournir une, la Cour renvoyant pour le surplus aux considérations afférentes des premiers juges, lesquelles gardent toute leur pertinence, d’autre part.

Quant au risque émanant de l’« Asayish » en raison d’un soutien apporté au PKK qui pourrait être imputé à l’appelant, les premiers juges sont encore à rejoindre et à entériner en leurs considérations et conclusions que la crainte invoquée d’être arrêté pour avoir travaillé pour le cousin de son épouse qui aurait ravitaillé en nourriture le PKK ne relève pas du champ d’application de la Convention de Genève et ne constitue partant pas une crainte justifiée de persécution, dès lors que le PKK constitue un groupe considéré comme terroriste notamment par le Conseil de l’Union européenne et qu’une collaboration avec celui-ci peut a priori à juste titre être condamnée par les autorités en place.

Mais encore et surtout les déclarations relevées par les premiers juges appellent le constat de l’expression d’une crainte purement hypothétique, non susceptible de fonder une demande en obtention d’une protection internationale.

Pour la même raison, le même risque invoqué n’a pas trait à des faits revêtant un degré de gravité suffisant au sens de l’article 42, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et il y a encore lieu de retenir l’absence de sérieuses raisons de croire que l’appelant encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015, en l’occurrence la peine de mort ou l’exécution, respectivement la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, les premiers juges étant encore à rejoindre et entériner en leurs conclusions pertinentes afférentes.

A défaut par ailleurs de la preuve concrète d’une situation prévalant actuellement en Irak et, plus particulièrement, dans la ville d’origine de l’appelant, correspondant à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire a donc également été rejetée à bon escient.

Enfin, concernant l’ordre de quitter le territoire, dès lors que l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose qu’« une décision du ministre vaut décision de retour.

(…) » et qu’en vertu de l’article 2, sub q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et 10imposant l’ordre de quitter le territoire », l’ordre de quitter est à considérer comme constituant la conséquence automatique du refus de protection internationale, avec comme conséquence pour le cas d’espèce, où le rejet ministériel de la demande de protection internationale vient d’être déclaré justifié dans ses deux volets, que l’ordre de quitter n’est pas sérieusement critiquable ni critiqué, étant relevé qu’il vient d’être retenu ci-avant que les craintes invoquées par l’appelant ne véhiculent pas un risque réel et actuel de subir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris du 21 janvier 2025;

donne acte à l’appelant de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.

s. SANTOS s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2025 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52397C
Date de la décision : 06/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 13/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-05-06;52397c ?

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