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06/05/2025 | LUXEMBOURG | N°51638C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 06 mai 2025, 51638C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51638C ECLI:LU:CADM:2025:51638 Inscrit le 25 octobre 2024

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Audience publique du 6 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A1) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 25 septembre 2024 (n° 48441 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51638C ECLI:LU:CADM:2025:51638 Inscrit le 25 octobre 2024

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Audience publique du 6 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A1) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 25 septembre 2024 (n° 48441 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 51638C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 25 octobre 2024 par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu, au nom de Monsieur (A1), né le … à … (Koweït), et de son épouse Madame (A2), née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs (A3), né le … à …, (A4), née le … à …, (A5), né le … à …, (A6), né le … à … et (A7), née le … à …, déclarant être tous de nationalité palestinienne, demeurant ensemble à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 25 septembre 2024 (n° 48441 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré non fondé leur recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 décembre 2022 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative par Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER le 25 novembre 2024 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 10 décembre 2024.

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Le 8 janvier 2020, Monsieur (A1), ci-après « Monsieur (A1) », et son épouse Madame (A2), ci-après « Madame (A2) », agissant en leur nom personnel et au nom de leurs enfants mineurs (A3), (A4), (A5) et (A6), introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A1) sur son identité et celles des membres de sa famille et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En dates des 20 et 27 janvier, 10 et 24 mars, et 21 et 28 mai 2021, Monsieur (A1) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, son épouse Madame (A2) ayant, quant à elle, été entendue les 7 et 19 mai 2021.

Par décision du 19 décembre 2022, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le 21 décembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », informa Monsieur (A1) et Madame (A2) que leur demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à leur égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites en date du 8 janvier 2020, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») pour votre propre compte et celui de vos enfants (A3), né le …, (A4), né le …, (A5), né le … et (A6), né le … qui seraient tous nés à …, ainsi que (A7), née le … à …, qui seraient tous de nationalité « indéterminée ».

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 8 janvier 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 20 et 27 janvier 2021, 10 et 24 mars 2021 et 21 et 28 mai 2021, sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, Monsieur, le vôtre, Madame, des 7 et 19 mai 2021, ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire, Monsieur, que vous prétendez être de nationalité « palestinienne » et être né à … Le 1er janvier 2020, vous auriez quitté le Koweït en compagnie de votre famille, à bord d’un avion à destination du Qatar pour ensuite rejoindre la Croatie grâce à un visa émis par les autorités croates. Vous auriez par la suite continué votre voyage en rejoignant grâce à des passeurs, la Slovénie, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne et la Belgique pour finalement venir au Luxembourg le 8 janvier 2020. Vous auriez payé 15.000.- euros pour ce voyage et vous auriez quitté le Koweït parce que votre titre de séjour n’aurait plus été prolongé. Vous auriez déjà demandé de nombreux visas, « Ja manchmal wurden sie abgelehnt, und 2015 & 2017 bekam ich ein VISA pour Polen ». Or, il ressort dans ce contexte de votre demande de visa adressée aux autorités françaises en date du 24 novembre 2019, que vous êtes de nationalité jordanienne et que vous êtes en possession d’un passeport jordanien, émis par les autorités jordaniennes le … 2019, valable jusqu’au … 2024. Cette demande de visa a été rejetée alors que vous ne disposiez pas de ressources suffisantes pour subvenir à vos besoins pendant votre voyage, ni pour financer un retour vers votre pays d’origine ou un pays tiers. Madame, il ressort d’une autre demande de visa du 21 juin 2018, adressée aux autorités tchèques, que vous êtes de nationalité jordanienne et en possession d’un passeport jordanien émis le … 2016, valable jusqu’au … 2021. Cette demande avait été refusée alors que les motifs touristiques invoqués concernant les raisons de votre voyage n’avaient pas emporté conviction.

Monsieur, vous signalez auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes être de « nationalité palestinienne » mais posséder un « titre de voyage jordanien (passeport provisoire particulier) » (p. 2 de votre rapport d’entretien), être marié et avoir toujours vécu au Koweït, où vous auriez travaillé entre 2009 et 2019 en tant que responsable des ventes dans le « (AA) », après avoir fait des études universitaires en Jordanie. Vous êtes venu au Luxembourg pour y introduire une demande de protection internationale « pour deux raisons » (p. 26 du rapport d’entretien), à savoir parce que vous auriez craint pour votre sécurité si vous étiez renvoyé en Jordanie après la fin de votre contrat de travail au Koweït et parce que vous seriez sans passeport. En cas d’un retour en Jordanie, vous craindriez d’être tué par un membre du clan Beni Sakhr à cause d’une relation amoureuse qu’aurait entretenue en 2015, votre frère (B) avec (C), qui serait membre de ce clan « très connu en Jordanie. Ce clan, c’est le plus grand clan (…) Tous les membres de ce clan ont des postes au gouvernement » (p. 11 du rapport d’entretien). Ce clan aurait été en possession de photos compromettantes de (C) en présence de votre frère et aurait décidé de présenter cette affaire comme un viol.

Convié à faire part de votre problème personnel ou de vos craintes personnelles, vous expliquez qu’en tant que Palestinien, vous seriez faible et n’auriez pas de pouvoir en Jordanie. Vous ajoutez qu’« on », à savoir votre beau-frère (D), l’époux de votre sœur, aurait essayé de faire une réconciliation avec le clan en question en cherchant un « grand clan avec du pouvoir » et en proposant de marier votre frère (B) et (C), mais cette offre aurait été refusée au motif « Œil pour œil, dent pour dent. Il faut « Al Kassass » Prendre notre droit de lui » (p. 11 du rapport d’entretien). Après le refus de cette offre, (B) serait parti en Belgique à une date inconnue et y aurait obtenu une protection internationale. Après le départ de votre frère, le clan Beni Sakhr aurait publié une feuille sur laquelle aurait été marqué que les fils de (A1) devraient être chassés de la Jordanie. Etant donné que vous n’auriez donc pas de place en Jordanie, « C’est la loi du talion » (p. 11 du rapport d’entretien), vous auriez eu peur d’y retourner après votre départ du Koweït. Dans ce contexte, vous prétendez aussi qu’en 2019, après le retour d’Egypte de votre sœur et de (D) en Jordanie, cette première aurait reçu des messages par téléphone lui signalant « Vous êtes retournés, on veut toujours avoir (B) » (p. 18 du rapport d’entretien). Après que des membres dudit clan auraient tiré en l’air devant la maison de (D), ce dernier aurait appelé la police. En entendant la police arriver, les membres du clan se seraient enfuis. (D) aurait par la suite déposé plainte contre le clan Beni Sakhr. Par la suite, il aurait une fois été agressé sur un parking et une autre fois, on aurait tenté d’enlever son fils. Il serait par conséquent parti s’installer en Grande-Bretagne avec sa famille.

Vous ajoutez que vous n’auriez pas la nationalité jordanienne et que vous ne disposiez pas non plus de passeport. En tant que Palestinien, vous n’auriez du coup pas le droit de travailler en Jordanie, de devenir propriétaire, de voter ou de bénéficier d’autres droits auxquels auraient droit les Jordaniens. Vous auriez uniquement possédé un titre de voyage renouvelable régulièrement et vous prétendez dans ce contexte qu’en 2018, on vous aurait signalé qu’il existerait une interdiction de renouvellement de ce titre de séjour depuis l’étranger. Vous dites que cela aurait été décidé par le clan Beni Sakhr pour vous forcer à retourner en Jordanie pour faire prolonger votre titre de séjour. Ainsi, lors de ce retour, vous, votre épouse ou vos enfants auriez été arrêtés, voire, vous craindriez qu’un membre de votre famille ne soit tué par le clan Beni Sakhr.

De plus, vous prétendez ne pas avoir pu recevoir de passeport, respectivement, de titre de séjour jordanien pour votre fils (A6), parce que vous auriez omis de le déclarer au Koweït, qu’il y aurait du coup vécu illégalement et qu’il y aurait eu « une affaire au tribunal.

(…) J’étais poursuivi parce que je ne l’avais pas déclaré » (p. 12 de votre rapport d’entretien).

Vous auriez alors cherché des gens qui pourraient vous aider à vivre normalement au Koweït et en février 2019, vous auriez trouvé une employée du Ministère de l’Intérieur jordanien qui vous aurait aidé à faire ce passeport ou titre de voyage pour votre fils, tout en vous signalant qu’il ne serait jamais renouvelé. Etant donné que vous auriez compris que cette employée serait honnête, vous lui auriez en plus demandé de vous remettre des titres de voyage pour vos autres enfants et pour vous-même, ce qu’elle aurait fait entre avril et août 2019. Vous prétendez toutefois ne plus avoir droit à de tels documents dans le futur à cause du conflit de votre frère avec le clan Beni Sakhr.

En octobre 2019, vous auriez été informé par lettre que votre contrat de travail au Koweït prendrait fin endéans trois mois et qu’il ne serait plus prolongé. Par conséquent, vous n’auriez plus eu le droit de prolonger votre titre de séjour koweïtien. Vous auriez alors tenté de trouver un autre travail, dans l’espoir de pouvoir continuer à vivre au Koweït, mais vous n’en auriez pas trouvé. Le 31 décembre 2019, après avoir reçu ledit visa des autorités croates, vous vous seriez déplacés à l’aéroport et le 1er janvier 2020, vous auriez quitté le Koweït en direction de la Croatie avec une escale au Qatar. Vous auriez ensuite gagné la Belgique grâce à des passeurs, dans le but de rejoindre votre frère à … mais ce dernier n’aurait pas voulu vous accueillir. Vous auriez alors demandé à votre passeur de vous amener à … mais il se serait énervé et vous aurait expliqué que vous iriez désormais au Luxembourg.

Vous ajoutez ne pas pouvoir retourner en Palestine alors que les autorités palestiniennes vous auraient expliqué que vous n’auriez pas le droit d’y vivre et pas droit à des papiers palestiniens.

Madame, vous signalez être d’origine palestinienne mais être de nationalité jordanienne depuis votre naissance. Vous seriez née au Koweït et y auriez toujours vécu.

Vous confirmez les dires de votre époux dans les grandes lignes. Vous précisez encore que vous et votre époux ne seriez plus retournés en Jordanie depuis 2015. Vous ne disposeriez pas non plus du droit de transmettre votre nationalité à vos enfants ou à votre époux qui seraient tous sans nationalité.

A l’appui de vos demandes, vous avez remis les pièces suivantes :

- Des copies de trois documents de voyage pour réfugiés palestiniens concernant un dénommé (B) et (E), ainsi que les copies d’un passeport égyptien ;

- une copie de votre permis de conduire jordanien, Monsieur et une « carte civile » koweïtienne expirée en 1991;

- des copies de deux carnets de famille, dont un non traduit ;

- un courrier du Ministère de l’Intérieur jordanien du 18 juillet 2019, confirmant le renouvellement de votre passeport jordanien, Monsieur ;

- une lettre de licenciement ;

- un document non traduit qui aurait été émis par l’ambassade de Palestine au Koweït le … 2019 et la copie d’un document émis par l’ambassade de Palestine à Amman le … 2019;

- la copie d’une « family registration card » pour réfugiés palestiniens délivrée par I’UNRWA au dénommé (A2), imprimée en date du … 2019 et qui aurait été émise à la demande de votre sœur, qui vous l’aurait envoyée au Koweït en pensant que cela vous serait utile dans le cadre de votre demande d’un passeport palestinien ;

- une copie d’un certificat d’identité qui aurait été émis en 2017 par les autorités belges concernant un dénommé (B);

- une copie d’une proposition de réconciliation ainsi qu’une copie d’un communiqué du clan de Beni Sakhr qui aurait décidé en décembre 2015, l’« Evacuation de la famille des enfants de (A1) de la région qu’ils habitent vers une région éloignée (…) » ainsi que « Jugement du coupable par comparution devant les tribunaux (…) » ;

- une lettre émise le 1 avril 2019 par les autorités koweïtiennes informant que vous auriez commis une infraction en omettant d’enregistrer votre nouveau-né dans les délais prévus ;

- la copie d’une lettre qui aurait été écrite par un maire en octobre 2019, pour vous recommander de ne pas retourner vivre en Jordanie ;

- la photo d’une « application registration card » émise en 2020, par les autorités anglaises à un dénommé (D).

A noter que vous prétendez avoir perdu vos passeports jordaniens, respectivement titres de voyage jordaniens et ceux de vos enfants pendant votre voyage pour venir au Luxembourg. Vous auriez également perdu leurs actes de naissance, votre acte de mariage et votre livret de famille, respectivement, tous les documents qui prouveraient que vous seriez de « nationalité palestinienne ». Monsieur, vous auriez également perdu votre titre de séjour koweïtien.

2. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Je tiens à soulever avant tout autre développement que la crédibilité de votre récit doit être mise en doute au vu de vos déclarations contradictoires et incohérentes et de votre comportement adopté depuis votre arrivée en Europe.

Ainsi, il s’agit de soulever qu’il ne saurait manifestement pas être retenu comme avéré que vous, Monsieur, tout comme vos enfants, seriez à percevoir comme des citoyens sans nationalité, respectivement, sans passeport, élément que vous présentez comme un de vos deux motifs à la base de vos demandes de protection internationale.

Ce constat doit en premier lieu être dressé, Madame, Monsieur, alors qu’il ressort clairement de vos demandes de visa adressées aux autorités françaises que vous étiez en possession de passeports jordaniens ordinaires émis en 2016 et 2019 et que vous et vos enfants y êtes tous présentés comme citoyens de nationalité jordanienne depuis votre naissance. Vous prétendez certes qu’il s’agirait là d’erreurs commises dans le cadre de la procédure de vos demandes de visa, mais ces explications n’emportent manifestement pas conviction. S’il ne saurait évidemment pas être exclu que vos familles respectives seraient effectivement d’origine palestinienne, il n’en reste pas moins que vous confirmez vous-même que vos ancêtres, Madame, auraient quitté la Palestine en 1948, respectivement, en 1963 ou 1964, pour ce qui est de votre père, Monsieur.

Dans ce contexte, il s’agit aussi de rappeler que vous prétendez certes avoir vécu toute votre vie au Koweït mais qu’il ressort tout aussi clairement de vos dires, Monsieur, que vous auriez fait des études universitaires en Jordanie, de sorte que vous auriez donc manifestement vécu en Jordanie par le passé. De plus, il ressort du prétendu communiqué versé, que le clan Beni Sakhr aurait encore en décembre 2015, décidé l’« Evacuation de la famille des enfants de (A1) de la région qu’ils habitent vers une région éloignée (…) », une décision qui fait uniquement du sens si vous aviez réellement vécu en Jordanie et non pas au Koweït. En effet, il ne servirait à rien de décider l’évacuation de vos enfants vers une autre région jordanienne, s’ils avaient en fait vécu au Koweït. Enfin, notons que vous seriez également tous les deux en possession d’un livret de famille en Jordanie, un fait qui ne fait à nouveau du sens que si, contrairement à vos dires, vous n’avez manifestement pas vécu toute votre vie au Koweït, mais que vous avez bien été enregistrés comme résidents de la Jordanie.

A cela s’ajoute, Monsieur, à supposer la copie versée comme étant authentique, que vous auriez donc à un moment donné jugé opportun de vous enregistrer, respectivement, d’enregistrer votre épouse et vos enfants auprès de l’UNRWA. Force est de relever qu’hormis en Palestine, l’UNRWA est uniquement présente en Jordanie, au Liban et en Syrie. Or, étant donné que vous confirmez ne pas avoir le droit de vivre en Palestine et qu’il ne ressort pas non plus de vos dires que vous auriez à un moment donné résidé en Syrie ou au Liban, vous devriez donc logiquement vous être enregistrés en tant que famille auprès de l’UNRWA en Jordanie et il s’ensuivrait que vous y auriez vécu en famille à un moment donné et que vous avez jugé utile de pouvoir profiter des aides proposées par cette institution.

Force est toutefois de constater que ladite copie informe de manière totalement incompréhensible que vous seriez à considérer comme résidents de Gaza et que vous vous seriez aussi enregistrés auprès de l’UNRWA à Gaza.

A cela s’ajoute que vous avez vous-même versé un document non traduit qui aurait été émis en 2019, par l’ambassade palestinienne à … duquel il ressortirait, en se tenant à votre entretien concernant vos motifs de fuite, que vous êtes à percevoir comme étant domicilié à … Monsieur, vous prétendez en outre que vous seriez le seul membre de votre famille à éprouver ces problèmes étant donné que vos parents et votre frère auraient quitté la Jordanie depuis longtemps et que « Je suis le seul qui est resté et qui a dû affronter tous ces problèmes » (p. 25 de votre rapport d’entretien). Vous avouez donc vous-même avoir vécu en Jordanie. Madame, ajoutons pour être complet sur ce sujet, que vous prétendez avoir séjourné une dernière fois en 2015 en Jordanie.

Au vu de ce qui précède, il est en tout cas établi que vous ne jouez clairement pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises concernant votre passé et votre pays de résidence, alors qu’il est manifestement établi que vous n’avez pas vécu toute votre vie au Koweït et que vous avez bien résidé en Jordanie. Il s’ensuit évidemment aussi que la sincérité de vos dires concernant votre prétendue apatridie ou celle de vos enfants doit également être réfutée et il doit être conclu que vous êtes en possession de passeports jordaniens, tout comme vous possédez tous la nationalité jordanienne.

Le constat que vous n’êtes pas sans nationalité est conforté par les informations en mains, desquelles il ressort notamment qu’« According to a report published by Al Quds Center for Political Studies, (…) , Jordan issues passports to three categories of Palestinians:

1) Jordanian citizens of Palestinian origin who can obtain five-year passports with national Identity numbers; 2) "West Bankers" who live in the West Bank and are granted five-year passports without national identity numbers; and 3) "Gazans" who arrived in Jordan after the 1967 war, and may hold two-year passports without access to the same services as citizens (Al Quds Jan. 2009, 22). However, Palestinians in the first category are not "stateless" since they hold Jordanian citizenship ».

Etant donné que des passeports jordaniens valables pendant cinq ans vous ont été remis et que vous n’avez jamais vécu en Palestine et que vos familles respectives auraient déjà quitté la Palestine avant la guerre de 1967, vous tombez donc manifestement dans la première catégorie. Vous pouvez donc manifestement retourner vivre en Jordanie de manière officielle et légale, à l’instar d’ailleurs d’une de vos sœurs, Monsieur, qui y vivrait toujours et d’une autre sœur qui y serait retournée vivre avec votre beau-frère (D) en 2019.

Dans ce contexte il s’agit évidemment aussi de soulever que vous prétendez donc avoir, comme par hasard, perdu tous les documents pertinents qui auraient permis de corroborer vos dires, respectivement, d’infirmer les informations fiables contenues dans vos demandes de visa selon lesquelles vous êtes tous de nationalité jordanienne depuis votre naissance. En effet, alors que vous êtes en mesure de présenter une panoplie de copies à l’appui de vos dires, vous prétendez avoir justement perdu tous vos passeports pendant votre trajet pour venir au Luxembourg. Vous auriez également perdu les actes de naissance de vos enfants, votre acte de mariage et votre livret de famille, respectivement, tous les documents qui prouveraient que vous seriez de « nationalité palestinienne », Monsieur. Vous auriez d’ailleurs également perdu votre titre de séjour koweïtien. Il est évident que ces explications doivent être perçues comme des excuses bien confortables qui vous permettent de ne pas devoir présenter des documents aux autorités luxembourgeoises qui auraient clairement permis de voir plus clair quant à la nationalité et votre vécu, respectivement, qui auraient permis de comparer vos dires avec la réalité. Ce constat vaut d’autant plus au vu de l’impressionnante collection de copies remises que vous n’avez donc pas perdues ou que vous auriez réussi à vous procurer pendant votre séjour au Luxembourg.

Concernant les pièces non perdues, à part le fait que la quasi-totalité des documents versés n’a aucune force probante alors qu’il s’agit de copies dont l’authenticité ne saurait être établie, il échet de constater que vos explications concernant l’acheminement de ces pièces n’emportent pas conviction non plus. En effet, vous prétendez d’abord que vous seriez par exemple en possession des copies des livrets de famille parce que vous les auriez pris en photo avec votre portable avant de prétendument les perdre. Force est toutefois de constater que les pièces remises ne constituent pas des photos mais des simples copies de mauvaise qualité. Etant donné que votre explication concernant la possession desdites copies ne tient donc plus la route, leur authenticité doit donc elle aussi être mise en doute. Il en est de même des copies qui vous auraient été envoyées depuis le Koweït ou qui auraient été envoyées par votre beau-frère (D) depuis la Jordanie à votre frère à …, qui vous les aurait alors « envoyées » au Luxembourg. Ainsi, vous avez été prié de verser les enveloppes que vous auriez reçues ensemble avec les pièces en question, mais ces enveloppes n’ont jamais été remises à la Direction de l’immigration. Surtout, Monsieur, vous prétendez d’abord que vous ne sauriez pas où se trouveraient les enveloppes en question. Convié à donner plus d’explications quant à ces enveloppes, vous changez alors de version et précisez dans le cadre de la relecture de votre entretien que votre frère vous aurait en fait remis les pièces en mains propres. Concernant cette lettre de licenciement que votre frère vous aurait remise, force est en plus de constater que vous prétendez là aussi avoir perdu l’original de cette lettre, seulement, pour tout de même verser par la suite une lettre originale. Convié à préciser comment vous auriez fait pour vous la procurer, vous prétendez alors que des collègues de travail l’auraient envoyée à votre frère. Or, étant donné que vous prétendez en même temps que votre supérieur au Koweït aurait refusé de vous envoyer des quelconques documents en relation avec votre licenciement et votre titre de séjour au Koweït, au motif que votre « dossier (…) devait rester dans la société » (p. 9 de votre rapport d’entretien), il n’est clairement pas plausible que vos collègues de travail auraient justement eu le droit de se faire remettre ce document.

A cela s’ajoute qu’il ne fait pas de sens non plus que vos collègues de travail auraient alors décidé d’envoyer ce document à votre frère à … plutôt que de vous l’envoyer, respectivement, il ne fait aucun sens que vous n’ayez pas demandé à vos collègues de travail de directement vous envoyer cette pièce. Il est en tout cas évident que l’authenticité de cette lettre n’est aucunement établie, encore moins au vu de son allure générale qui n’a rien d’officiel, de la façon dont la date est notée avec un feutre, de votre signature qui ressemble étrangement à celle du « Human resource manager » ou encore de la phrase anglaise à la sémantique incorrecte selon laquelle « your employment with (AA) is terminated effective from … October 2019 and your last working day will be … December 2019 ».

A cela s’ajoute que vous prétendez avoir reçu d’autres pièces transmises par téléphone, de sorte qu’à nouveau, il aurait été facile de corroborer vos dires en versant des preuves quant à l’acheminent de ces pièces, respectivement, de votre contact avec des membres de famille en Jordanie ou au Koweït.

Soulevons en plus que vous prétendez être en possession de documents de l’ambassade de la Palestine au Koweït parce que vous auriez tenté de recevoir des documents d’identité et de voyage palestiniens pour ainsi pouvoir continuer à vivre au Koweït. Or, cette allégation doit également être rejetée alors que vous développez vous-même au cours de votre entretien, Monsieur, la théorie selon laquelle vous auriez été obligé de quitter le Koweït jusqu’au … décembre 2019, parce que vous auriez perdu votre travail et que vous n’en auriez plus trouvé d’autre. Les démarches entreprises auprès de l’ambassade de la Palestine n’auraient en tout cas rien changé à votre problème de ne plus avoir droit à un titre de séjour pour étrangers sur base d’un travail de sorte qu’il faut en déduire que vous avez réellement entrepris ces démarches dans le cadre des préparatifs de votre demande de protection internationale pour être en possession de documents en lien avec la Palestine qui permettraient de donner plus de poids à vos dires. Dans ce même contexte il échet encore de soulever que vous n’emportez pas conviction en prétendant avoir voulu rester vivre au Koweït et avoir été prêt à accepter n’importe quel travail, alors que votre demande de visa adressée aux autorités françaises dans le but évident de vous installer sur le territoire de l’Union européenne est antérieure à cette lettre vous informant de votre prétendu licenciement.

Concernant la copie de la carte de l’UNRWA versée, il convient d’abord de soulever qu’il paraît pour le moins curieux que vous prétendez être en possession de cette pièce parce que votre sœur en Jordanie aurait tout simplement pu la demander auprès des « Nations Unies » avant de vous l’envoyer. En effet, étant donné qu’elle-même ne figure pas sur cette carte et qu’elle n’est pas concernée, il n’est pas crédible qu’elle l’aurait reçue. A cela s’ajoute qu’il faut se demander pourquoi votre sœur ne vous aurait pas envoyé une pièce originale.

De plus, notons qu’il ne fait aucun sens non plus qu’il est indiqué sur cette copie que vous seriez résidents de Gaza et que vous vous seriez également inscrits auprès de l’UNRWA à Gaza, alors que cela contredirait l’ensemble de vos explications concernant votre vécu et votre passé. Force est surtout de constater, Monsieur, qu’il est totalement incompréhensible pourquoi vous prétendez ne pas savoir si vous bénéficiez d’un statut de réfugié palestinien en Jordanie. En effet, la copie versée confirmerait justement que vous et votre famille bénéficieriez de la protection offerte aux réfugiés palestiniens et à leurs descendants par les Nations-Unies. Vous prétendez d’ailleurs même avoir vous-même fait inscrire votre épouse et vos enfants sur cette carte. Vous devez donc manifestement être au courant de la protection qui aurait par la suite été offerte à votre famille, si vous étiez vraiment inscrits auprès de l’UNRWA.

Monsieur, le fait que vous prétendez en plus que le sens de posséder une telle carte résiderait dans le fait que « C’est un document émis par les Nations-Unis qui démontre que je suis Palestinien » (p. 25 du rapport d’entretien) et que « J’ai fait pareil que mon père. Pour démontrer que nous sommes des Palestiniens » (p. 25 de votre rapport d’entretien, Monsieur) ne permet pas de donner plus de crédibilité à vos dires ou au sérieux de vos prétendues craintes. En effet, soulevons que le sens d’être inscrit auprès de l’UNRWA et de posséder une telle carte ne réside pas dans le fait de vouloir prouver des origines palestiniennes mais de pouvoir profiter d’une protection et des aides afférentes. A supposer cette carte authentique et que vous ayez donc effectivement tous été inscrits auprès de l’UNRWA, il s’agirait par conséquent de constater que vous auriez tous pu bénéficier d’une protection en Jordanie, de sorte à invalider la totalité de vos dires concernant votre prétendu vécu et prétendues craintes.

Pour être complet au sujet des incohérences concernant votre prétendu passé ou vos prétendus motifs de fuite, soulevons encore qu’il n’est absolument pas crédible que vous prétendez craindre le clan Beni Sakhr parce que ce dernier contrôlerait toute la Jordanie, tous les ministères et le gouvernement, mais que les membres de ce clan se sentiraient en même temps obligés de s’enfuir rien qu’en entendant la police arriver. Si vraiment ils craignent les forces de l’ordre à tel point, alors ils ne contrôleraient manifestement pas la Jordanie comme vous voulez le faire croire et seraient clairement préoccupés par la réponse des autorités face à leurs actes.

Dans ce même contexte, on peut encore ajouter que vos explications concernant le viol dont aurait été accusé votre frère ne sont pas claires. En effet, vous prétendez d’abord que ledit clan aurait découvert la relation entre (B) et (C) parce que des « photos de couple » (p. 15 du rapport d’entretien) se trouvant sur le portable de votre frère lui auraient été envoyées en 2015. Vous prétendez toutefois par la suite que la famille de (C) aurait été au courant de cette relation depuis 2014 et que votre frère aurait alors demandé la main de (C) à sa famille qui aurait refusé cette demande fin 2014. Ensuite, vous signalez que (B) et (C) auraient continué leur relation et qu’ils auraient décidé d’avoir une relation intime « pour mettre la famille de (C) devant les faits accomplis. Pour la forcer à accepter (B) en tant mari » (p. 19 de votre rapport d’entretien), de sorte que vous voulez donc laissez sous-entendre qu’ils auraient informé la famille de cette relation intime, sinon vos dires ne feraient plus de sens.

Or, si cette version était à percevoir comme étant véridique, ce qui n’est clairement pas établi, il ne fait à nouveau aucun sens que vous commencez votre récit en prétendant que ladite famille n’aurait appris cette relation qu’au cours de l’année 2015, grâce à des photos qui lui auraient été envoyées.

Monsieur, il est par ailleurs incompréhensible comment vous pourriez savoir que les photos en question auraient démontré qu’il se serait agi d’une « relation non forcée. Une fille qui subit un viol doit résister. Les photos ont montré le contraire. (…) C’était une chose consentie, les photos le montraient » (p. 19 de votre rapport d’entretien) ou encore « Sur les photos, leur fille l’a fait volontairement, elle n’était pas obligée de faire ce qu’elle a fait avec mon frère » (p. 13 du rapport d’entretien), si en même temps vous précisez que « Je n’ai pas vu les photos » (p. 19 de votre rapport d’entretien). De même, alors que selon vous il s’agirait de photos qui démontreraient clairement que (C) aurait eu une relation consentie, il n’est justement pas crédible qu’elle ait réussi à convaincre sa famille qu’elle aurait en fait été violée. Vos explications selon lesquelles « Lorsque la famille de (C) a confronté (C) à ces photos, elle avait peur et elle a menti en disant qu’elle a été violée » (p. 15 de votre rapport d’entretien) doivent en plus être comparées à votre autre explication selon laquelle la famille de (C) aurait décidé d’inventer cette histoire de viol pour rétablir l’honneur de la famille.

Ajoutons pour être complet au sujet de cette famille, respectivement, de ce clan, qu’il ne fait pas de sens non plus, qu’après avoir compris que votre frère serait parti en Belgique, le clan aurait décidé que « Si jamais ils n’arrivaient pas à l’avoir, ils prendraient un des fils de (A1) pour obtenir Al Kassass » (p. 17 de votre rapport d’entretien). En effet, d’un côté, en se tenant à vos propres dires, vous n’auriez jamais été installé en Jordanie avec votre famille, mais toujours au Koweït, où ce clan n’aurait donc de toute façon pas non plus pu vous « avoir ». De l’autre côté, il serait évidemment plus plausible, qu’après le départ de votre frère, vous-même et non pas les neveux de votre frère seraient tombés dans le collimateur de ces gens. Il doit à nouveau être conclu que vous faites part d’un récit inventé de toutes pièces, en vous servant de vos enfants, pour rendre votre prétendu vécu et vos prétendues craintes encore plus dramatiques.

Ce constat vaut d’autant plus qu’il n’est clairement pas crédible non plus qu’une loi jordanienne sur la prolongation des passeports aurait été utilisée contre vous personnellement sur base de votre prétendu conflit avec un clan, dans le but de vous forcer à rentrer au pays. En effet, le fait que les autorités jordaniennes vous auraient expliqué « qu’il y avait une décision interdisant d’avoir de titre de voyage ou de le renouveler vu que j’étais en dehors de la Jordanie plus de cinq ans », ne ressemble a priori pas à une loi discriminatoire ou une décision qui aurait été prise personnellement ou gratuitement contre vous. Le constat selon lequel tous vos membres de familles se seraient par la suite fait émettre des nouveaux passeports suffit d’ailleurs pour retenir que les autorités, voire, ledit clan qui contrôlerait « tout », ne vous forcent donc manifestement pas à rentrer en Jordanie pour faire prolonger des papiers.

Enfin, le constat, Monsieur, que vous avez encore pu voyager à la … en décembre 2019, au moment même où vous prétendez avoir à tout prix recherché un travail pour pouvoir rester vivre au Koweït parce que vous craindriez d’être victime de persécutions en Jordanie, jette davantage le discrédit à la sincérité de vos dires, ainsi qu’à l’ensemble de votre prétendu passé et de vos prétendues craintes.

Madame, Monsieur, au vu de tout ce qui précède, il doit être conclu que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises, notamment en ce qui concerne votre nationalité jordanienne, que vous faites part d’un récit inventé et que vous avez décidé de cacher votre véritable vécu dans le but évident d’augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale.

Au vu du manque de crédibilité retenu, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Il suit des considérations qui précèdent que vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Jordanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2023, Monsieur (A1) et Madame (A2), agissant en leur nom personnel et au nom de leurs enfants mineurs (A3), (A4), (A5), (A6) et (A7), ci-après « les consorts (A) », firent introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, de la décision ministérielle précitée du 19 décembre 2022 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 25 septembre 2024 (n° 48441 du rôle), le tribunal administratif déclara non fondé ce recours en réformation en ses deux volets, partant en débouta, le tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et en condamnant les demandeurs aux frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 25 octobre 2024, les consorts (A) ont régulièrement fait entreprendre le jugement du 25 septembre 2024.

Moyens des parties A l’appui de leur requête d’appel, les appelants maintiennent qu’ils seraient d’origine palestinienne, qu’ils auraient toujours vécu au Koweït, qu’ils devraient être considérés comme des « apatrides d’origine palestinienne » et que leur demande de protection internationale devrait être examinée au regard de l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015.

Les consorts (A) contestent le fait qu’il y aurait des incohérences dans leur récit quant au fait qu’ils soient « apatride[s] d’origine palestinienne » et avancent qu’il y aurait des dispositions propres au droit jordanien permettant d’infirmer ces incohérences.

Ils remettent ainsi en cause le fait que le tribunal nie leur statut d’apatride d’origine palestinienne sur base du seul fait qu’ils disposeraient d’un passeport jordanien.

Monsieur (A1) disposerait d’un passeport jordanien dit « provisoire » ou « titre de séjour » valide pour cinq ans, non muni d’un numéro d’identité nationale, de sorte qu’il n’aurait droit ni à la citoyenneté jordanienne, ni au statut de résident permanent. L’absence de numéro national jordanien pour Monsieur (A1) serait encore renforcée par une attestation du ministère des affaires étrangères du Royaume de Jordanie datée du 12 janvier 2023.

Les appelants renvoient également à (i) un rapport publié par le Al Quds Center for Political Studies mentionnant les différents passeports délivrés aux palestiniens par la Jordanie et rappellent que les passeports relevant de la catégorie 2 visée à l’article 12/A de la loi sur les passeports jordaniens ne « serv[iraient que] de titres de voyage, mais n’atteste[raient] pas que leurs détenteurs possèdent la citoyenneté jordanienne », (ii) à une décision de la direction de la nationalité et des affaires relatives aux étrangers auprès du ministère de l’Intérieur du Royaume de Jordanie du 18 juillet 2019 qui aurait octroyé un passeport jordanien à Monsieur (A1) « pour une durée de cinq ans, et ce, en vertu des dispositions de l’article 12/A de la loi sur les passeports jordaniens numéro 2, année 1969 modifiée pour des raisons humanitaires » et (iii) à un courrier du Premier ministre jordanien, également daté du 18 juillet 2019, indiquant que le conseil des ministres avait approuvé le « renouvellement du passeport ordinaire (temporaire) » pour une durée de cinq ans non renouvelable.

En revanche, Madame (A2) aurait la nationalité jordanienne mais ne pourrait la transmette ni à son mari, ni à ses enfants, puisque ce serait exclusivement le père qui transmettrait la nationalité jordanienne selon l’article 9 de la loi jordanienne de nationalité de 1954.

Ensuite, les appelants souhaitent contrer les inconsistances relevées par le tribunal qui existeraient sur leur résidence et estiment que les éléments avancés ne démontreraient pas des contradictions fondamentales dans leur récit et qu’il serait tout à fait plausible qu’ils aient vécu principalement au Koweït, tout en ayant des « liens ponctuels ou temporaires avec la Jordanie ». Monsieur (A1) y aurait seulement séjourné de manière temporaire pour ses études, l’évacuation de la famille à partir de la Jordanie en l’année 2015 tiendrait au fait qu’elle s’y serait trouvée au moment de l’incident en raison d’un court séjour, la déclaration de Madame (A2) en ce qu’elle n’y serait plus retournée depuis 2015 serait seulement une référence à un voyage ponctuel et l’inscription auprès de l’UNRWA ne prouverait en rien une résidence en Jordanie. Ils rappellent que Monsieur (A1) disposerait d’une attestation de l’ambassade de l’Etat de Palestine au Koweït datée du 26 décembre 2019 certifiant qu’il serait résident au Koweït, d’origine palestinienne et qu’il ne détiendrait ni carte d’identité ni passeport palestinien. En sus, il aurait une carte civile délivrée par le Koweït.

Par ailleurs, les appelants arguent que le fait que Monsieur (A1) ait effectué ses études universitaires en Jordanie n’impliquerait pas que sa résidence permanente était en Jordanie.

De même, le fait que la famille ait été évacuée à partir de la Jordanie ne signifierait pas que les appelants y résidaient en permanence ou encore le fait que Madame (A2) ait mentionné qu’elle « n’était pas retournée en Jordanie depuis 2015 » ne signifierait pas qu’elle y vivait avant cette date. Enfin, leur inscription auprès de l’UNRWA ne prouverait pas une résidence en Jordanie mais seulement qu’ils auraient cette adresse pour des raisons administratives ou logistiques.

D’après les appelants, les Palestiniens seraient exclus de nombreux droits au Koweït, ce qui conduirait à l’incapacité pour Monsieur (A1) d’obtenir la citoyenneté koweitienne. Il n’aurait eu que des titres de séjour temporaires conditionnés à son contrat de travail au Koweït.

Les appelants expliquent que la perte de l’emploi entrainerait automatiquement l’expiration du titre de séjour et la procédure d’expulsion serait quasi automatique pour les étrangers ne pouvant justifier d’un emploi ou d’un permis de séjour. De plus, il ne serait pas possible de renouveler un titre de séjour depuis l’étranger. Ainsi, depuis la fin de son contrat de travail en 2020, il n’aurait plus été possible pour Monsieur (A1) de renouveler son titre de séjour et il serait dès lors impossible pour les appelants de demeurer au Koweït pour des raisons administratives.

Les appelants affirment encore être exposés à des menaces voire à des violences de la part du clan Beni Sakhr en cas de retour en Jordanie et que la pratique de la loi du talion resterait présente dans les conflits claniques. Ils auraient subi des actes d’intimidation, tels que des tirs devant la maison de la sœur de Monsieur (A1) ou des tentatives d’enlèvement. Ainsi, ce serait à tort que le tribunal estime que les allégations de persécutions, y compris le récit du viol, manqueraient de cohérence.

La découverte de la relation entre le frère de Monsieur (A1) et (C) - membre du clan Beni Sakhr - par le clan lui-même en 2014 et la transmission des photos en 2015 ne seraient pas nécessairement contradictoires, puisque le clan aurait pu connaître cette relation par le biais de rumeurs ou par la demande en mariage faite par le frère de Monsieur (A1) en 2014 et vu sa certitude renforcée par la transmission des photos en 2015.

Le fait que Monsieur (A1) aurait d’abord dit avoir vu les photos et aurait ensuite changé d’affirmation ne serait pas non plus une contradiction mais plutôt une nuance dans la manière dont il aurait eu connaissance des faits.

Le fait que ces photos puissent montrer une relation consentie et qu’ensuite (C) les aurait utilisées pour convaincre sa famille qu’elle aurait été violée ne serait pas non plus contradictoire puisque (C) aurait pu réinterpréter les faits pour protéger son honneur ou celui de sa famille.

Toujours selon les appelants, la prétendue incohérence entre l’affirmation selon laquelle le clan Beni Sakhr disposerait d’un pouvoir conséquent et le fait que ce même clan aurait fui à l’arrivée de la police ne serait pas fondée, puisque, malgré l’influence significative du clan au sein des institutions jordaniennes, il aurait pu vouloir éviter un conflit direct avec les forces de l’ordre en raison de la visibilité immédiate de la situation ou en raison de leur volonté de suspendre temporairement leur pouvoir pour éviter des conséquences immédiates.

Les appelants font référence à un article de presse de « Middle East Eye » daté du 6 juillet 2018 qui corroborerait l’influence du clan.

Ils se prévalent du bénéfice du doute au sens de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, dès lors que les incohérences retenues seraient inexistantes ou mineures.

Dans ce contexte, ils renvoient aux arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ci-après la « CourEDH », M.S.S. c. Belgique et Grèce (n° 30696/09) du 21 janvier 2011 et Salah Sheekh c. Pays-Bas (n° 1948/04) du 11 janvier 2007.

Sur base de ce qui précède, le passeport provisoire jordanien ne conférant, selon les appelants, aucun droit à une nationalité jordanienne, Monsieur (A1) serait apatride, sans protection légale effective ni au Koweït ni en Jordanie et exposé à des représailles en Jordanie.

Ainsi, selon les appelants, Monsieur (A1) et sa famille répondraient clairement aux critères requis pour prétendre à une protection internationale, que ce soit en tant que réfugiés ou au titre de la protection subsidiaire.

S’agissant de l’ordre de quitter le territoire, les appelants estiment qu’il viole l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ci-après la « CEDH », interdisant les traitements inhumains ou dégradants, la jurisprudence de la CourEDH, les articles 4 et 19, paragraphe (2), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte », et le principe de non-refoulement, dès lors qu’ils seraient exposés à des risques graves de violence et de traitements contraires aux droits humains fondamentaux. En effet, en Jordanie, les tensions tribales et les violences claniques persisteraient, particulièrement dans les zones rurales où les autorités ne parviendraient pas à contrôler les conflits.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement a quo, tout en réitérant ses contestations quant à la crédibilité du récit des appelants.

Analyse de la Cour La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub f) et h), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions suivantes : les actes invoqués doivent être motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social ; ces actes doivent être d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et doivent émaner de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 – étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, celles-ci sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions – ; enfin, le demandeur doit ne pas pouvoir ou vouloir se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

L’octroi d’une protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’examen au fond d’une demande de protection internationale, l’évaluation de la situation personnelle d’un demandeur d’asile ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais elle implique un examen et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’examen du bien-fondé de sa demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

A cet égard, comme souligné à bon escient par le tribunal, lorsque, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations d’un demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en la présente matière, d’une très grande importance puisqu’il est souvent impossible pour les demandeurs de protection internationale d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.

Il convient de constater qu’en l’espèce, la ministre a mis en doute la crédibilité générale du récit des appelants en raison d’un certain nombre d’incohérences et de contradictions dans leur récit, sans analyser plus en avant le bien-fondé des craintes de persécutions ou des risques d’atteintes graves mis en avant.

En l’espèce, la Cour rejoint et fait sienne l’analyse détaillée et pertinente du ministre et des premiers juges qui les ont amenés à la conclusion que la crédibilité générale du récit des appelants est fondamentalement affectée par un certain nombre d’incohérences substantielles.

La Cour constate que les éléments contradictoires relevés à juste titre par le tribunal et qui sont de nature à mettre en échec la crédibilité du récit des consorts (A), à savoir (i) qu’ils seraient prétendument apatrides d’origine palestinienne, (ii) qu’ils auraient vécu principalement au Koweït et (iii) qu’ils craindraient de subir des persécutions de la part du clan Beni Sakhr, subsistent en instance d’appel.

En premier lieu, en ce qui concerne l’affirmation des consorts (A) d’être des apatrides d’origine palestinienne, il apparaît clairement, et cela n’est pas remis en cause par les appelants, que Madame (A2) est de nationalité jordanienne. Il ressort également de la demande de visa adressée aux autorités françaises que Monsieur (A1) est en possession d’un passeport jordanien et qu’il a la nationalité jordanienne depuis sa naissance. Par ailleurs, selon l’article 9 de la loi jordanienne sur la nationalité de 1954, la nationalité jordanienne est transmise aux enfants par le père. De ce fait, l’impossibilité pour Madame (A2) de transmettre la nationalité à Monsieur (A1) et à ses enfants n’est pas pertinente.

En ce qui concerne plus particulièrement le passeport jordanien émis pour Monsieur (A1), celui-ci ne comporterait pas de numéro d’identité national.

Les appelants se prévalent de l’article 12/A de la loi sur les passeports jordaniens, numéro 2, année 1969 qui viserait les passeports de la catégorie 2 dans laquelle rentrerait le passeport de Monsieur (A1). Ledit article 12 vise sous son paragraphe A la catégorie de passeports « ordinaires » pouvant être délivrés pour deux motifs différents, à savoir l’encouragement des investissements et une situation humanitaire justifiée, et qui peut avoir une durée de validité renouvelable entre un et cinq ans. Le paragraphe C dudit article 12 précise que le titulaire d’un passeport émis sur base du paragraphe A n’acquiert pas la nationalité jordanienne. Il paraît ainsi a priori plausible que le passeport délivré à Monsieur (A1) relèverait de la catégorie 2 régie par le paragraphe A de l’article 12 susvisé et serait fondé sur le motif numéro 2 de la situation humanitaire justifiée des Palestiniens, la durée de validité correspondant au maximum de cinq ans.

Cependant, le rapport Al Quds Center évoqué par les appelants indique que la Jordanie délivre des passeports à trois catégories de Palestiniens, à savoir, (i) les citoyens jordaniens d'origine palestinienne, (ii) les « Cisjordaniens » vivant en Cisjordanie et (iii) les « Gazaouis » arrivés en Jordanie après la guerre de 1967. Le rapport mentionne également que les Palestiniens de la première catégorie ne sont pas apatrides puisqu’ils détiennent la citoyenneté jordanienne. La Cour en déduit que les passeports délivrés sans numéro d’identité national sont les passeports émis aux « Cisjordaniens » et donc aux personnes appartenant à la deuxième catégorie. Or, il ressort du récit des appelants que ceux-ci n’ont jamais vécu en Cisjordanie et que leurs familles ont quitté la Palestine avant 1967. Dès lors, il apparaît improbable qu’un passeport ait été émis à Monsieur (A1) pour une raison autre que celle d’être citoyen jordanien d’origine palestinienne. Il ne ressort également d’aucun document probant apporté par les appelants qu’une autre catégorie que celle des citoyens jordaniens d’origine palestinienne serait à retenir.

Enfin, il n’est nullement convaincant d’affirmer, comme le font les appelants, que l’attestation du ministère des affaires étrangères du Royaume de Jordanie datée du 12 janvier 2023 permettrait de démontrer que Monsieur (A1) « ne possède pas de numéro national jordanien », dès lors qu’aucun original de ce document n’a été communiqué et que les appelants n’ont pas été en mesure de fournir un quelconque document d’identité authentique.

Il en est de même pour les autres courriers évoqués par les appelants. Il convient dès lors de leur dénier toute force probante.

Partant, c’est à juste titre que le tribunal a retenu que les appelants sont à catégoriser comme citoyens jordaniens d’origine palestinienne et qu’ils ont considéré que les déclarations des appelants en ce qu’ils seraient apatrides d’origine palestinienne laissent d’être crédibles.

En second lieu, concernant l’affirmation des appelants qu’ils auraient vécu principalement au Koweït, la Cour constate là encore des incohérences et un manque de preuves. En effet, les appelants contestent avoir résidé en Jordanie et estiment n’avoir que des « liens ponctuels ou temporaires avec la Jordanie ».

Ils essayent, par le biais de pures allégations, qui ne reposent sur aucune preuve tangible, de contester une quelconque résidence en Jordanie. Cependant, il échet de constater que leurs allégations ne sont aucunement étayées par des éléments circonstanciés et les appelants ne démontrent pas en quoi ils auraient effectivement vécu principalement au Koweït et ne mentionnent que le fait que Monsieur (A1) n’aurait eu accès qu’à des titres de séjour temporaires conditionnés à son contrat de travail. Par ailleurs, il ressort du dossier qu’une attestation aurait été écrite par un maire en octobre 2019 afin de recommander aux appelants de ne pas retourner vivre en Jordanie. Cette attestation renforce, là encore, le doute quant à la véracité du récit des appelants, dès lors qu’elle permet de comprendre que les appelants ont vécu en Jordanie. Il ressort également du rapport d’entretien de Monsieur (A1) que celui-ci serait resté en Jordanie pour régler des problèmes, ce qui corrobore le fait qu’il existe bien plus que des « liens ponctuels et temporaires avec la Jordanie ». Dès lors, les explications avancées par les appelants ne sauraient convaincre la Cour quant à la réalité de leurs liens avec la Jordanie.

Partant, la Cour arrive à la conclusion que c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que les appelants ont vécu aussi bien au Koweït qu’en Jordanie.

Enfin, en dernier lieu, en ce qui concerne le conflit qui existerait entre la famille (A) et le clan Beni Sakhr et qui créerait un risque grave de représailles en cas de retour en Jordanie, la Cour constate de nouveau des incohérences et contradictions.

En effet, il apparaît que le clan Beni Sakhr aurait eu connaissance de la relation entre le frère de Monsieur (A1) et (C), membre du clan Beni Sakhr, dès 2014 et non pas en 2015 par le biais de la transmission des photos. Les appelants estiment que la « découverte de cette relation en 2014 par le clan et la transmission des photos en 2015 ne sont pas nécessairement contradictoires » et qu’il est « amplement plausible que le clan ait eu connaissance d’une relation en 2014 » et que « la transmission des photos en 2015 p[uisse] avoir renforcé la certitude ou ajouté des preuves tangibles sur la nature de la relation ». Cependant, le frère de Monsieur (A1) ayant demandé la main de (C) en 2014, il apparait alors très peu probable que la famille de (C) n’ait pas été au courant de cette relation intime dès 2014.

La Cour relève que l’acte d’appel ne présente aucune explication supplémentaire permettant d’éclaircir les imprécisions et les incohérences précédemment décrites concernant le contenu des photos et l’utilisation en faite. Monsieur (A1) a, dans un premier temps, affirmé avoir vu les photos qui ont été transmises en 2015, puis a, dans un second temps, affirmé ne pas les avoir vues mais en connaître le contenu par le biais de récits ou de descriptions. Il dit encore que les photos montreraient une relation consentie entre le frère de Monsieur (A1) et (C), avant d’avancer que (C) aurait utilisé ces photos pour convaincre sa famille qu’elle aurait été violée afin de protéger son honneur ou celui de sa famille. Encore une fois, le manque de cohérence dans le récit est flagrant.

Les appelants affirment encore que le clan Beni Sakhr aurait une influence significative en Jordanie, et notamment au sein des institutions telles que la police, l’armée et le gouvernement. Si les appelants font état d’un article de presse de « Middle East Eye » de 2018 qui titre que « ladite tribu « menace de « faire trembler » le pays si sa figure de proue n’est pas libérée » », la Cour constate que cet article n’est pas relatif aux consorts (A) et qu’il ne fait mention que d’une menace, sans démontrer que celle-ci ait été mise à exécution par le clan. Par ailleurs, les appelants n’ont pas non plus rapporté la preuve que ce clan aurait fait l’objet d’un article de presse, ou autre, mettant en avant leurs méfaits ou une quelconque influence réelle et effective sur les institutions précitées. Il ressort également du récit de Monsieur (A1) que des personnes liées à ce même clan ont pris la fuite à l’arrivée de la police lors d’un acte que les appelants qualifient d’intimidation. Cet acte de fuite ne fait qu’accentuer le peu voire l’absence d’influence du clan sur la police jordanienne.

Enfin, la Cour constate encore que les craintes de représailles en raison des actes d’intimidation qui auraient été perpétrés restent à l’état de pures allégations par les consorts (A).

Au vu de ce qui précède, la Cour ne peut que conclure que le ministre a valablement remis en question la crédibilité du récit des appelants dans sa globalité et partant confirmer les premiers juges en ce qu’ils ont abouti à la même conclusion.

Par ailleurs, au regard des principes retenus ci-avant, le bénéfice du doute ne saurait profiter aux appelants puisqu’ils ont livré un récit non crédible, manquant de cohérence et qu’ils ne se sont pas efforcés à étayer leurs dires, voire à livrer tous les éléments dont ils disposaient.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les appelants ne sauraient bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire sur la base des faits invoqués par eux à l’appui de leur demande de protection internationale et le jugement a quo est à confirmer.

Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, comme le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé aux appelants le statut de réfugié et celui conféré par la protection subsidiaire et que le refus d’octroi d’un tel statut est automatiquement assorti d’un ordre du ministre de quitter le territoire, la demande de réformation dudit ordre est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer cet ordre.

En effet, comme il a été retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux appelants l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité, ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient valablement être remis en cause.

En ce qui concerne le moyen fondé sur une violation du principe de non-refoulement, de l’article 3 de la CEDH et des articles 4 et 19, paragraphe (2) de la Charte, la Cour relève qu’au regard de ce qui vient d’être retenu par rapport au caractère non crédible des craintes des appelants en cas de retour dans leur pays d’origine et à défaut d’autres éléments, le moyen afférent est à rejeter.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter les appelants et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 25 octobre 2024 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute les appelants ;

partant, confirme le jugement entrepris du 25 septembre 2024 ;

condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 6 mai 2025 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.

s. SANTOS s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 mai 2025 Le greffier de la Cour administrative 18


Synthèse
Numéro d'arrêt : 51638C
Date de la décision : 06/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 13/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-05-06;51638c ?

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