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06/05/2025 | LUXEMBOURG | N°50571C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 06 mai 2025, 50571C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50571C ECLI:LU:CADM:2025:50571 Inscrit le 10 juin 2024

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Audience publique du 6 mai 2025 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 29 avril 2024 (n° 47258 du rôle) dans un litige l’opposant à Monsieur (A), …, en matière de regroupement familial

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50571C du...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50571C ECLI:LU:CADM:2025:50571 Inscrit le 10 juin 2024

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Audience publique du 6 mai 2025 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 29 avril 2024 (n° 47258 du rôle) dans un litige l’opposant à Monsieur (A), …, en matière de regroupement familial

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50571C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 10 juin 2024 par Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER, agissant au nom et pour compte de l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d'un mandat lui conféré à cet effet par le ministre de l’Immigration et de l’Asile le 10 juin 2024, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 29 avril 2024 (n° 47258 du rôle), par lequel le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours subsidiaire en reformation, déclara recevable le recours en annulation introduit par Monsieur (A), né le … en Syrie, de nationalité syrienne, demeurant à L-…, à l’époque représenté par son administrateur public, Madame (B), née le …, demeurant L-…, à l’encontre d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 décembre 2021 portant refus de sa demande de regroupement familial, au fond dit le recours justifié, partant, annula la décision ministérielle précitée, renvoya le dossier devant le ministre et condamna l’Etat aux frais et dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2024 par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 14 août 2024 par Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER et Maître Nour E. HELLAL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 novembre 2024.

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En date du 17 juillet 2020, les autorités grecques adressèrent aux autorités luxembourgeoises une demande de prise en charge de Monsieur (A), à l’époque mineur d’âge, sur base de l’article 8 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après le « règlement Dublin III », pour rejoindre sa tante paternelle, Madame (B) au Luxembourg.

Le 6 août 2020, Madame (B) fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », sur la demande de prise en charge de son neveu.

Le 19 août 2020, elle exprima par écrit son consentement pour prendre en charge son neveu (A) au Luxembourg, réitéré par une déclaration signée en date du 17 mai 2021.

Par courrier du 26 août 2020, les autorités luxembourgeoises informèrent leurs homologues grecques de l’acceptation de la demande de prise en charge de Monsieur (A).

Monsieur (A) arriva au Luxembourg le 11 mai 2021 et Madame (B) introduisit en date du 17 mai 2021, au nom de son neveu, auprès du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité furent actées par un agent de la police grand-ducal, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Par ordonnance du 1er juillet 2021, la juge aux affaires familiales désigna Madame (B) comme administrateur public de son neveu.

Le 6 août 2021, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 30 septembre 2021, notifiée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », accorda à Monsieur (A) le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et lui accorda une autorisation de séjour jusqu’au 29 septembre 2026.

Par un arrêt du 6 octobre 2021, la Cour d’appel de Luxembourg, siégeant en matière d’appel des décisions du juge aux affaires familiales, rejeta l’appel contre l’ordonnance du 1er juillet 2021, précitée, introduit en date du 24 août 2021 par Madame (B) et Monsieur (A), comme étant irrecevable.

Par courrier de son mandataire daté du 21 décembre 2021 et réceptionné par le ministère le lendemain, Monsieur (A), représenté par sa tante, Madame (B), fit introduire une demande de regroupement familial dans le chef de ses parents Monsieur (C) et Madame (D), ainsi que de ses sœurs Mesdames (E) et (F), sur base de l’article 70, paragraphe (4), de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 ».

Par décision du 30 décembre 2021, le ministre refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« (…) J'accuse bonne réception de vos courriers reprenant l'objet sous rubrique qui me sont parvenus en date des 21 et 24 décembre 2021.

Il y a lieu de rappeler que le jeune (A) est venu au Luxembourg dans le cadre du règlement UE Nr 604/2013 en date du 11 mai 2021 alors qu'il se trouvait en Grèce en tant que demandeur d'une protection internationale pour rejoindre sa tante, Madame (B), bénéficiaire d'une protection internationale. En effet, les autorités luxembourgeoises ont été contactées par les autorités grecques du cas du jeune et sa tante a été convoquée au sein de la Direction de l'immigration où elle s'est déclarée disposée à s'occuper du jeune en signant un accord en date du 19 août 2020 qu'elle le prendra charge et qu'elle prendra toutes les responsabilités. Par conséquent, la Direction de l'immigration a donné son accord pour que le jeune rejoigne sa tante au Luxembourg.

En date du 17 mai 2021 Madame (B) a déclaré à nouveau être le représentant et personne responsable du jeune, en confirmant vouloir demander la tutelle pour son compte.

Le même jour elle déposa une demande de protection internationale en son nom. Par la suite, Madame (B) a été désignée administrateur public de son neveu par ordonnance du 1er juillet 2021 du juge aux affaires familiales. Par décision ministérielle du 30 septembre 2021, le statut de réfugié a été accordé au jeune (A). Il y a par ailleurs lieu de constater que Madame (B) et son neveu habitent à la même adresse.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête sous rubrique.

En effet, le jeune (A) ne peut pas être considéré comme mineur non-accompagné au sens de l'article 68 d) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration alors qu'il n'a pas été laissé seul après être entré sur le territoire et que sa tante, qu'il a rejoint au Luxembourg dans les circonstances expliquées plus haut, est sa tutrice. Par conséquent l'article 70, paragraphe (4) de la loi citée n'est pas applicable en l'espèce.

Par ailleurs, afin de pouvoir bénéficier du regroupement familial conformément à l'article 70, paragraphe (5) de la loi modifiée du 29 août 2008, les ascendants en ligne directe au premier degré doivent être à charge du regroupant et privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d'origine.

Or, il ne ressort pas de votre demande que Monsieur (C) et Madame (D) sont à charge du jeune (A) et il n'est pas prouvé que les intéressés ne peuvent pas subvenir à leurs besoins élémentaires par leurs propres moyens.

En ce qui concerne la demande de regroupement familial en faveur des soeurs d'(A), je tiens à vous informer que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008.

Enfin, Monsieur (C), Madame (D) ainsi que Madame (E) et l'enfant (F) ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L'autorisation de séjour leur est donc refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 mars 2022, inscrite sous le numéro 47258 du rôle, Monsieur (A), représenté par sa tante Madame (B), fit introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 30 décembre 2021.

Par ordonnance du 18 mai 2022, la juge aux affaires familiales déclara la demande tendant à désigner un autre tuteur dans le chef de Monsieur (A) comme non fondée.

Par jugement du 29 avril 2024, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, déclara le recours principal en annulation recevable et le déclara justifié quant au fond, de sorte à annuler la décision ministérielle du 30 décembre 2021 rejetant la demande de regroupement familial de Monsieur (A) et à renvoyer son dossier devant le ministre en prosécution de cause, tout en condamnant l’Etat aux frais et dépens.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 10 juin 2024, l’Etat a régulièrement relevé appel du jugement précité.

Arguments des parties Devant la Cour, l’Etat demande la confirmation partielle du jugement entrepris au motif que ce serait à bon droit que les premiers juges ont retenu que Monsieur (A) ne pourrait être qualifié de mineur non accompagné. L’intimé ayant été un mineur accompagné, les modalités de regroupement familial lui applicables seraient bien celles issues de l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008.

Pour le surplus, la partie étatique demande la réformation dudit jugement en ce que le tribunal aurait retenu à tort que le ministre a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intimé en violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après la « CEDH », et des droits consacrés par la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989, ci-après la « CIDE ».

L’Etat rappelle que le droit au regroupement familial consacré par l’article 8 de la CEDH serait reconnu à la condition qu’existent des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer. Cependant, ce droit au regroupement familial ne saurait être interprété pour un Etat contractant comme l’obligation générale de respecter le choix des membres d’une famille du lieu de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays. L’article 8 de la CEDH ne devant ainsi s’analyser comme consacrant le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale, de telle sorte qu’il faudrait des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition.

La partie étatique souligne qu’il ressortirait du dossier administratif de l’intimé qu’il aurait vécu en Turquie avec ses parents et ses sœurs de 2015 à 2019 et qu’il aurait volontairement décidé de quitter la Turquie pour rejoindre la Grèce, pays dans lequel il a ensuite demandé à rejoindre sa tante paternelle, bénéficiaire d’une protection internationale au Luxembourg. Elle ajoute que si l’intimé s’est vu par la suite reconnaître le statut de réfugié une fois sur le territoire luxembourgeois, les autorités luxembourgeoises ne seraient pas pour autant tenues de respecter le choix de l’intimé de vouloir établir son domicile commun avec ses parents et sa fratrie au Luxembourg. La partie étatique souligne plus particulièrement le fait que si la réinstallation de l’intimé dans son pays d’origine semblerait par essence impossible, au vu de son statut de réfugié, aucun obstacle ne semblerait néanmoins empêcher son établissement en Turquie auprès de ses parents et de ses sœurs.

Quant à la localisation de sa famille, l’Etat met en évidence que l’intimé aurait tenu des propos mensongers aux autorités grecques auxquelles il aurait affirmé que ses parents se trouveraient en Syrie et non en Turquie. Or, s’appuyant sur les déclarations de la tante paternelle au Luxembourg, la partie étatique soutient que l’intimé aurait volontairement menti aux autorités grecques par crainte de devoir retourner en Turquie. A partir de ces informations, l’Etat déduit que si l’intimé n’avait pas fait de fausses déclarations, les autorités grecques n’auraient probablement pas émis une demande de prise en charge auprès des autorités luxembourgeoises. Plus loin, l’Etat précise que la venue de l’intimé au Luxembourg pourrait être qualifiée de stratagème réfléchi et qu’en refusant de faire droit à sa demande de regroupement familial, le ministre aurait procédé à une approche empreinte de réalisme et soucieuse du fait que l’intégrité familiale pourrait se refaire en Turquie.

Sur la question de l’existence d’une vie familiale effective entre l’intimé et sa famille basée en Turquie, outre l’existence d’un lien de parenté non contesté, l’Etat fait valoir que les liens forts et étroits allégués par Monsieur (A) avec ses parents et ses sœurs ne seraient nullement documentés et proviendraient uniquement de son témoignage oral, témoignage dans le cadre duquel il aurait, par ailleurs, volontairement menti sur la localisation de ses parents.

L’Etat met également en évidence qu’il ne pourrait être tenu responsable du choix de l’intimé de renoncer à sa vie familiale en Turquie ou encore de ses fugues et du fait qu’il ne vivrait plus auprès de sa tante au Luxembourg. Quant aux responsabilités exercées par sa tante, la partie étatique rappelle que celle-ci avait accepté de le prendre en charge lors de sa venue au Luxembourg et que malgré son opposition ultérieure, le juge aux affaires familiales aurait maintenu son statut d’administrateur public de l’intimé.

Enfin, quant à l’intérêt supérieur de l’intimé, l’Etat conteste l’analyse des premiers juges relative à la méconnaissance, par le ministre, de l’intérêt supérieur de l’enfant en affirmant que l’intérêt de Monsieur (A) aurait primé tout au long de la procédure comme en témoigneraient l’accord de prise en charge de l’intimé par les autorités luxembourgeoises, les différentes ordonnances du juge aux affaires familiales et l’enquête sociale ordonnée par celui-ci. L’Etat insiste sur le fait que dans sa prise de décision, le ministre aurait tenu compte de la vulnérabilité de l’intimé et mis en balance les circonstances particulières de sa situation conformément aux exigences posées par l’article 8 de la CEDH. Ce serait également au nom de l’intérêt supérieur de son enfant que la mère de l’intimé aurait admis qu’il rejoigne sa tante au Luxembourg, de telle sorte qu’en réclamant un droit de séjour dans le cadre du regroupement familial de ses parents et de sa fratrie, l’intimé contredirait les déclarations de sa mère.

Monsieur (A) demande la réformation du jugement entrepris du 29 avril 2024 quant à la qualification de mineur non accompagné lui refusée par les premiers juges.

Il demande pour le surplus la confirmation dudit jugement en ce qu’il a retenu en sa faveur que le ministre a méconnu son droit au respect de la vie privée et familiale sur pied de l’article 8 de la CEDH et de ses droits tels qu’issus de la CIDE.

Dans le cadre de son appel incident, l’intimé conteste la conclusion des premiers juges ayant retenu qu’il ne pourrait être qualifié de mineur non accompagné et demande à la Cour, « à titre prudentiel », de réexaminer « la qualification juridique de [s]a situation ». Il fait valoir que s’il est vrai que sur le plan international et européen, il n’existerait pas « de définition légale stricto sensu de la situation de mineur non accompagné », seule devrait dominer l’idée qu’un enfant mineur non accompagné serait « une personne âgée de moins de 18 ans séparée de ses représentants légaux sur le sol d’un pays donné », ce qui correspondrait à sa situation. En se référant à divers instruments internationaux, l’intimé souligne que les enfants non accompagnés devraient être traités comme des enfants et non comme des migrants.

Faisant référence à l’article 2, sub m), de la loi du 18 décembre 2015 donnant une définition du mineur non accompagné, il fait valoir qu’il serait incontestable qu’il serait à considérer comme un mineur non accompagné vu que sa tante n’aurait pas pris l’initiative de le faire venir au Luxembourg et que celle-ci ne serait intervenue qu’à partir du moment où elle a été informée qu’il était en Grèce, dans une situation délicate. Ce serait uniquement dans le contexte d’un geste familial et humanitaire qu’elle aurait sollicité son transfert au Luxembourg. Dans la réalité de son parcours, il aurait toutefois voyagé seul, de sa propre initiative et sans aucune aide, et ce serait également seul qu’il serait entré sur le territoire luxembourgeois sans informer sa famille de ses projets de voyage, étant donné que, dans son « for intérieur », il aurait entendu se comporter comme un soutien de famille pour pallier le handicap de son père. La Cour devrait retenir la réalité d’un récit qui mettrait en jeu la passion d’un enfant qui aurait agi au péril de sa vie et qui serait animé par la volonté de demeurer in fine avec ses parents et ses sœurs.

Quant au soutien de sa tante, il souligne que sa démarche initiale l’ayant amenée à être désignée comme administrateur public serait contredite par le fait qu’elle n’aurait pas été en mesure de pourvoir à cette mission, elle-même étant confrontée à des difficultés d’ordre structurel et familial et devant s’occuper de son époux malade et de ses enfants. Les représentants des mineurs joueraient un rôle déterminant en ce qu’ils devraient assurer la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant à toutes les étapes de la procédure d’asile. Or, sa tante se serait opposée à cette mission d’administrateur et aurait signifié au juge compétent qu’elle refusait la mission de tutelle qu’on entendait lui confier mais qu’elle se serait vue contrainte de l’accepter malgré son désaccord. En outre, sa cohabitation avec sa tante et sa famille aurait été pénible pour lui, l’intimé relevant qu’il aurait fugué à plusieurs reprises vu qu’il ne se sentait pas bien chez sa tante, celle-ci étant elle-même accaparée par ses propres soucis. Il se serait retrouvé continuellement en souffrance et aurait saisi, en date du 8 février 2022, le juge aux affaires familiales afin d’avoir un nouveau tuteur et d’être placé dans un foyer dédié à des jeunes de son âge pour pouvoir se concentrer sur ses études. Or, l’autorité étatique n’en aurait jamais tenu compte et il y aurait lieu de constater qu’il ne vivrait plus avec sa tante.

Sur la question de la notion de vie familiale, les affirmations de la partie étatique consistant à ne pas résumer cette notion à l’existence d’un lien de parenté relèveraient, selon l’intimé, d’un non-sens. Il précise qu’il aurait été élevé par ses parents et qu’il les aurait quittés seulement au cours de l’intermède causé par son voyage. Il s’interroge encore sur le type de preuves qu’il devrait fournir pour démontrer son attachement à ses parents.

L’intimé insiste ensuite sur le fait que son ressenti aurait été ignoré tout au long de cette procédure « laborieuse » comme en témoigneraient sa souffrance et ses tentatives d’obtenir la nomination d’un administrateur autre que sa tante paternelle. En outre, il reproche à l’Etat de le faire passer pour un menteur et conteste le reproche de l’Etat d’avoir employé des stratagèmes en vue de violer la loi luxembourgeoise.

Enfin, quant au volet du jugement ayant trait à la protection de sa vie privée, l’intimé considère que le jugement entrepris ferait preuve de sagesse et déclare se rapporter ainsi au raisonnement y déployé quant à l’existence d’une atteinte disproportionnée par le ministre à ses droits tels que garantis par l’article 8 de la CEDH. Il relève que l’Etat resterait en défaut d’apporter, tout comme en première instance, des justifications quant à l’étendue du contrôle qu’il aurait opéré pour mesurer la proportionnalité de l’ingérence litigeuse.

Analyse de la Cour Liminairement, il échet de préciser qu’étant donné que l’intimé a obtenu gain de cause en première instance en ce que la décision de refus du ministre du 30 décembre 2021 a été annulée avec renvoi du dossier à ce dernier et qu’un appel incident doit être dirigé contre un élément du dispositif du jugement ayant fait grief à la partie qui entend interjeter appel et non pas exclusivement contre certains motifs à sa base, l’appel incident doit être déclaré irrecevable pour ne pas être dirigé contre un élément du dispositif causant grief à l’intimé.

Cependant, la Cour procède à l’examen de l’argument afférent relatif à la qualification de mineur non accompagné en tant que moyen réitéré en instance d’appel.

En ce qui concerne le cadre légal pertinent, il convient de relever que les premiers juges l’ont correctement situé en se référant aux dispositions de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel :

« (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».

L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre le bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, dispose que :

« (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés ».

Les premiers juges ont correctement analysé ces dispositions en ce sens qu’elles règlent les conditions à partir desquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci.

En vertu de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, de manière exceptionnelle il ne doit pas remplir les conditions du paragraphe (1) de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

C’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que Monsieur (A) bénéfice de la dispense issue de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, étant donné qu’il a introduit sa demande de regroupement familial dans le délai précité.

Ils ont encore à bon droit retenu que Monsieur (A) n’était pas à qualifier de mineur non accompagné et confirmé que le ministre avait valablement pu analyser sa demande de regroupement familial sur pied de l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008.

Quant à la notion de « mineur non accompagné », l’article 68, point d), de la loi du 29 août 2008, portant transposition en droit luxembourgeois de l’article 2, point f), de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au regroupement familial, ci-après la « directive 2003/86 », définit le mineur non accompagné comme étant « tout ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de dix-huit ans, entrant sur le territoire sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, aussi longtemps qu’il n’est pas effectivement pris en charge par une telle personne, ou toute personne mineure qui est laissée seule après être entrée sur le territoire ».

Conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », et plus particulièrement à son arrêt A et S du 12 avril 2018 (aff. C-550/16), la Cour administrative a précisé dans son arrêt du 21 avril 2022 (n° 46806C du rôle) quant à la qualification d’un demandeur de protection internationale en tant que mineur non accompagné dans le cadre d’une demande de regroupement familial que la minorité en tant que telle est à apprécier par rapport à l’âge atteint par le demandeur de protection internationale au moment de l’introduction de sa demande, tandis que le caractère non accompagné est à apprécier par rapport aux circonstances ultérieures entourant sa prise en charge sur le territoire.

A l’instar des premiers juges, la Cour est amenée à retenir que Monsieur (A), ayant certes été mineur d’âge au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale, n’était pas, à la date de la décision litigieuse, à qualifier de mineur non accompagné au sens dudit article 68, point d), de la loi du 29 août 2008, par l’effet de la nomination par le juge des tutelles, via l’ordonnance du 1er juillet 2021, de sa tante paternelle, Madame (B), comme son administrateur public, avec la mission d’exercer, en tant que tel, l’autorité parentale sur lui.

S’il est vrai que l’intimé ainsi que son administrateur ont contesté l’ordonnance précitée aux fins d’obtenir la nomination d’un administrateur autre que Madame (B), au motif que celle-ci n’était plus en mesure de s’occuper de lui une fois sur le territoire luxembourgeois, la Cour note que l’ordonnance l’ayant nommée administrateur public de l’intimé a été confirmée par une ordonnance du 18 mai 2022 et cela après que le juge aux affaires familiales avait chargé le Service Central d’Assistance Sociale de réaliser une enquête sociale aux fins de déterminer la situation globale de Madame (B) et les circonstances de sa prise en charge de l’intimé.

En effet, à l’issue de l’enquête sociale précitée du 4 avril 2022, qui nota que l’intimé vivait encore avec sa tante dans un foyer, le juge aux affaires familiales a considéré la demande en nomination d’un autre administrateur public comme non fondée eu égard au fait que Madame (B) présentait « toutes les capacités éducatives pour assumer la tâche d’administrateur public » et que le « mal-être du mineur ne trouv[ait] pas sa cause dans une défaillance de l’administrateur public, mais dans une situation de logement compliqué, qui engendr[ait], par ricochet, des tensions entre le mineur et ses cousins et cousines ».

La Cour note enfin que les préférences et comportements de l’intimé quant au désir de vivre dans un foyer distinct de celui de sa tante ou encore la circonstance selon laquelle il aurait fugué du logement de sa tante ne sauraient avoir pour effet, en l’espèce, de remettre en cause l’autorité parentale valablement exercée par Madame (B).

Comme il y a partant lieu de conclure que Monsieur (A) n’est pas à considérer comme mineur non accompagné et comme son moyen afférent réitéré en appel est dès lors à rejeter, c’est à bon droit que les premiers juges sont arrivés à la conclusion que la demande de regroupement familial introduite par lui est à examiner sous l’angle de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008.

Ainsi, concernant le regroupement dans le chef des parents de Monsieur (A), l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008 exige que les parents du regroupant soient à sa charge et qu’ils soient privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.

A ce titre, c’est à bon droit que les premiers juges ont rappelé qu’il se dégage de la jurisprudence constante des juridictions administratives et des travaux parlementaires relatifs à la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement du commentaire de l’article 12 de cette loi, qu’il faut entendre par « être à charge », « le fait pour le membre de la famille (…) de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant (…) La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1/05). » (doc. parl. n° 5802, commentaire des articles, p.61).

Ainsi, la notion d’être « à charge » est essentiellement à entendre dans le sens d’un soutien matériel, fourni par le regroupant et nécessaire au membre de la famille pour subvenir à ses besoins essentiels dans son pays d’origine ou de provenance, respectivement l’absence de ce soutien qui aurait pour conséquence de priver le membre de la famille des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels.

A cet égard, les premiers juges ont encore conclu à bon droit qu’en l’espèce, l’intimé n’a pas rapporté la preuve que ses parents dépendraient de lui financièrement.

Il y a donc lieu de conclure que le ministre a valablement pu refuser le regroupement familial au bénéfice des parents de Monsieur (A) sur base des dispositions de l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008.

Ensuite, concernant sa fratrie, c’est encore à bon droit que les premiers juges ont rappelé que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne vise pas la fratrie au titre de membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg, de sorte que le refus du ministre, visant la fratrie de Monsieur (A), n’est dès lors pas non plus sujet à critique au regard des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

Partant, c’est a priori à bon droit que le ministre a refusé la demande de regroupement familial aux parents et à la fratrie de Monsieur (A) au regard de la loi du 29 août 2008.

La Cour note enfin que le tribunal a annulé la décision ministérielle litigieuse sur le fondement de l’article 8 de la CEDH, au motif que dans les circonstances de la présente affaire, en refusant le regroupement familial des parents et de la fratrie de l’intimé, le ministre aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale au sens de cette disposition et par ailleurs méconnu l’intérêt supérieur de l’enfant tel que protégé par la CIDE.

Le tribunal a fondé cette décision sur le constat que Monsieur (A) a fui la Syrie avec ses parents et sa fratrie en 2015 vers la Turquie et qu’il y est resté jusqu’en septembre 2019 pour s’enfuir vers la Grèce, de sorte à avoir eu avec eux une vie familiale stable, intense et préexistante à son arrivée en Grèce, respectivement au Luxembourg, tout comme il a déclaré avoir de contacts réguliers avec ses parents et sa fratrie avant l’introduction de sa demande de regroupement familial.

Le tribunal en a déduit qu’en l’absence de contestation sur ce point de la part du délégué du gouvernement, il doit être admis qu’il justifie d’une vie familiale effective, respectivement d’un lien réel et suffisamment étroit entre lui et ses parents et sa fratrie pour que l’article 8 de la CEDH protège son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le tribunal a encore relevé que le ministre ne s’est prononcé à aucun moment sur l’intérêt supérieur de l’intimé à vivre ensemble avec ses parents et sa fratrie, de même qu’il n’a pas opéré une évaluation ou une pondération entre les intérêts en jeu, tout comme il n’apporterait aucun élément permettant de constater que le refus du regroupement familial dans le chef des parents de l’intimé et de sa fratrie constituerait une mesure qui, en tenant compte des termes de l’article 8 de la CEDH, serait nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

L’article 8 de la CEDH est libellé comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, se son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

La Cour rappelle que l’application de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 est susceptible d’être tenue en échec par une disposition internationale d’essence supérieure, tel l’article 8 de la CEDH, qui garantit à toute personne le droit au respect de la vie privée et familiale et qui limite les ingérences par une autorité publique dans l’exercice de ce droit, dont le champ d’application est plus large que celui de l’article 70 quant à la notion de la vie familiale, c’est-à-dire qu’il vise au-delà de la cellule de famille fondamentale, composée des parents et de leurs enfants mineurs, d’autres membres de la famille chaque fois qu’il y a des liens de consanguinité suffisamment réels et étroits entre différents membres d’une famille (en ce sens : Cour adm. 26 avril 2022, n° 46765C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 491).

Dans cette optique, la Cour relève, à l’instar des premiers juges, que si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH et en l’occurrence son article 8 (Cour adm. 18 octobre 2001, n° 13636C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 485 ; dernièrement rappelé par Cour adm.

19 décembre 2024, n°50834C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu).

Néanmoins et tel que les premiers juges l’ont relevé à juste titre, ledit article 8 ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays (CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, n° 9214/80; 9473/81; 9474/81; CEDH, 19 février 1996, Gül c. Suisse, n° 23218/94 ; CEDH, 28 novembre 1996, Ahmut c. Pays-Bas, n° C-540/03 ; Cour adm. 2 juillet 2019, n° 42550C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 503, 2e tiret et l’autre référence y citée), mais requiert des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur lui (Cour adm. 10 septembre 2008, n° 24083C, Pas. adm.

2024, V° Etrangers, n° 513 et les autres références y citées). Par ailleurs, ni l’article 8 de la CEDH ni aucune autre disposition de ladite convention ne peut être interprété comme garantissant, en tant que tel, le droit à un type particulier de titre de séjour.

Au-delà d’un lien de parenté, la notion de « vie familiale » requiert l’existence d’un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.

L’article 3.1 de la CIDE, qui peut être directement invoqué devant les juridictions nationales, prévoit que : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

La CIDE reconnaît également le principe du respect de la vie familiale. Ainsi, l'article 9.1 dispose que les Etats parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, tandis que l’article 10.1 prévoit que toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un Etat partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale doit être considérée par les Etats parties « dans un esprit positif, avec humanité et diligence » (cf. CJUE, Parlement européen c. Conseil de l’Union européenne, aff. C-540/03, point 59).

Il est incontestable qu’il est dans l’intérêt de l’enfant que celui-ci grandisse avec ses deux parents. Il s’agit d’un principe de base fondamental qui n’est toutefois pas absolu.

Ainsi, la CJUE a retenu, au sujet des articles 7 et 24 de la Charte, ce dernier consacrant le même principe que celui prévu par l’article 3.1 de la CIDE, que : « Ces différents textes soulignent l'importance, pour l'enfant, de la vie familiale et recommandent aux Etats de prendre en considération l'intérêt de celui-ci mais ne créent pas de droit subjectif pour les membres d'une famille à être admis sur le territoire d'un Etat et ne sauraient être interprétés en ce sens qu'ils priveraient les Etats d'une certaine marge d'appréciation lorsqu'ils examinent des demandes de regroupement familial » (cf. CJUE, précité, point 59).

La CourEDH a retenu dans un arrêt du 1er décembre 2005 (CourEDH, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, §§ 44 et 49 qu’à chaque fois qu’un mineur est concerné, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale et que l’Etat refusant le regroupement familial doit ménager un juste équilibre entre les intérêts des demandeurs, d’une part, et son propre intérêt à contrôler l’immigration, d’autre part. La CourEDH y a encore indiqué que, pour mettre en balance ces différents intérêts, elle tenait compte de l’âge des enfants concernés, de leur situation dans leur pays d’origine et de leur degré de dépendance vis-à-vis de leurs parents. Elle y a également précisé qu’elle avait précédemment rejeté des affaires dans lesquelles les enfants concernés par le regroupement familial avaient atteint un âge où ils n’avaient vraisemblablement pas autant besoin de soins que de jeunes enfants et où ils étaient de plus en plus capables de se débrouiller seuls. Ainsi, dans le cadre de la demande de regroupement familial avec un mineur, il est nécessaire de prendre en compte l’âge de l’enfant concerné, sa situation dans son pays d’origine et son degré de dépendance vis-à-vis du regroupant, puis de vérifier la réalité de l’entrave à la vie familiale, notamment l’étendue des liens des personnes concernées avec le Luxembourg, s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine de l’une de ces personnes et s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion, tout en considérant l’intérêt supérieur de l’enfant.

Pour pouvoir prétendre au regroupement familial avec un parent collatéral, il doit être établi, à l’égard du regroupant et dudit parent, l’existence d’une vie familiale effective précédant l’entrée du regroupant sur le territoire luxembourgeois, les liens de dépendance autres que les liens affectifs normaux, ainsi que l’état de dépendance économique du parent en question envers le regroupant. Dans l’hypothèse où le regroupement concerne un mineur, il devrait, par ailleurs, être tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, ce dernier étant dégagé par le biais de la mise en balance des éléments et critères retenus par l’arrêt, précité, de la CourEDH du 1er décembre 2005.

En l’espèce, la Cour constate, en premier lieu, que Monsieur (A) était âgé de … ans au moment de son arrivée au Luxembourg, de sorte qu’en tant qu’adolescent, sa dépendance de sa famille était déjà bien inférieure à celle d’un enfant.

Ensuite, les liens étroits que Monsieur (A) déclare entretenir avec ses parents et sa fratrie depuis son départ de la Turquie restent à l’état de pure affirmation. Tel que le souligne à bon droit la partie étatique, au-delà des liens de filiation, l’intimé est en effet resté en défaut de rapporter une quelconque preuve de nature à démontrer l’existence d’éléments témoignant de la réalité et de l’intensité de leurs relations familiales. Contrairement à l’argumentation de l’intimé, ces liens ne sauraient être déduits du seul lien de parenté et du fait qu’il aurait été élevé par ses parents et la soumission d’éléments établissant le maintien des relations familiales malgré la séparation physique constitue une preuve qui peut être raisonnablement exigée de la part d’une personne qui entend voir rétablie l’unité familiale sur le fondement de l’article 8 de la CEDH.

En outre, la Cour relève que l’intimé est à l’origine de la rupture de la vie familiale qu’il indique avoir menée avec ses parents et sa fratrie en Turquie, préalablement à son arrivée en Grèce et au Luxembourg. En effet, il échet de relever que les circonstances ayant mené à la séparation entre l’intimé et sa famille sont directement la conséquence de son choix volontaire de partir vers la Grèce. Sa prise en charge par les autorités luxembourgeoises est fondée, de surcroît, sur le fait qu’il a erronément indiqué aux autorités grecques que sa famille se trouvait en Syrie, et non en Turquie, et qu’il souhaitait partant rejoindre sa tante paternelle au Luxembourg. Pour le surplus, l’intimé ne fait pas utilement état de circonstances particulières qui auraient fondé la nécessité de sa fuite de la Turquie et qui l’empêcheraient d’y retourner afin de retrouver sa famille, de sorte qu’un obstacle à la reconstitution de la vie familiale en Turquie n’est pas établi en cause.

Enfin, il convient de relever que la mère de l’intimé a expressément consenti, au nom de l’intérêt supérieur de son fils, à ce qu’il soit pris en charge par sa tante paternelle au Luxembourg, de telle sorte à avoir également contribué à la rupture volontaire de l’unité familiale alléguée actuellement en acceptant que son enfant grandisse auprès de sa tante, au Luxembourg.

Pour le surplus, l’intimé ne fait pas non plus état d’autres éléments factuels qui seraient de nature à imprimer au refus ministériel de son regroupement avec ses parents et sa fratrie au Luxembourg un caractère disproportionné par rapport à l’obligation du ministre de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’intimé, en tant que mineur au moment de la prise de la décision litigieuse, de ne pas être séparé de sa famille.

Eu égard à ce qui précède, l’intimé ne saurait partant faire valoir que le ministre avait attenté de manière disproportionnée à son droit au respect à la vie familiale dans le cadre de sa demande de regroupement familial.

Par suite, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que le ministre n’a pas réservé une suite favorable à la demande de l’intimé tendant au regroupement familial avec ses parents et sa fratrie et que c’est à tort que les premiers juges ont retenu que la décision ministérielle litigieuse a porté atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale tel que prévu par l’article 8 de la CEDH et méconnu ses intérêts tels que protégés par la CIDE.

Il s’ensuit que l’appel sous examen est justifié et que le jugement entrepris est à réformer en ce sens que le recours principal en annulation contre la décision ministérielle déférée est à rejeter comme n’étant pas justifié.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel principal du 10 juin 2024 en la forme, au fond, le dit justifié, partant, par réformation du jugement entrepris du 29 avril 2024, rejette comme non fondé le recours en annulation dirigé par Monsieur (A) contre la décision ministérielle du 30 décembre 2021 portant rejet de sa demande de regroupement familial et l’en déboute, déclare l’appel incident de Monsieur (A) irrecevable, fait masse des dépens des deux instances et les met à charge de Monsieur (A).

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 6 mai 2025 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2025 Le greffier de la Cour administrative 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50571C
Date de la décision : 06/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 13/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-05-06;50571c ?

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