GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52113C ECLI:LU:CADM:2025:52113 Inscrit le 18 décembre 2024 Audience publique du 29 avril 2025 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 15 novembre 2024 (n° 47435 du rôle) ayant statué sur le recours de Madame (A), …, en matière de police des étrangers Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 52113C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 18 décembre 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY, agissant au nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d’un mandat conféré le 13 décembre 2024 par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dirigé contre le jugement du 15 novembre 2024 (n° 47435 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a reçu en la forme et déclaré justifié le recours en annulation introduit par Madame (A), née le … 1961 à … (Brésil), de nationalité brésilienne, actuellement incarcérée au Centre pénitentiaire de Luxembourg à …, dirigé contre une décision du 15 février 2022 du ministre de l’Immigration et de l’Asile portant retrait de son droit de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, de manière à annuler ladite décision en tous ses volets et à renvoyer le dossier devant le ministre des Affaires intérieures ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 janvier 2025 par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’intimée, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 7 février 2025 ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 21 février 2025 par Maître Eric SAYS au nom de l’intimée ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK et Maître Delila CLARIS, en remplacement de Maître Eric SAYS, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 mars 2025.
1 Madame (A), de nationalité brésilienne, est arrivée sur le territoire luxembourgeois en 1991. Elle fut d’abord titulaire d’autorisations de séjour du chef de son activité d’artiste de variété et, ensuite, de titres de séjour délivrés à la suite de son mariage avec un ressortissant luxembourgeois en 1992, dont le dernier titre, une carte de séjour permanent en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union, délivrée en date du … 2008, fut valable jusqu’au … 2018.
Par jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 30 avril 2015, le mariage de Madame (A) fut dissout.
Par arrêt de la chambre criminelle de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg du 8 mars 2016, l’intéressée fut condamnée à une peine de réclusion criminelle de 24 ans et à la destitution des titres, grades, fonctions, emplois et offices publics et à l’interdiction à vie des droits énumérés à l’article 11 du Code pénal pour tentative d’assassinat, assassinat et association de malfaiteurs.
Par courrier du 31 août 2018, Madame (A) fut invitée par la direction de l’Immigration auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes à procéder au renouvellement de sa carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union.
Par courrier électronique du 11 mars 2019, la psychologue en charge du dossier de Madame (A) auprès du Centre pénitentiaire de Luxembourg, ci-après « le CPL », s’adressa à la direction de l’Immigration afin de s’enquérir sur la possibilité du renouvellement de la carte de séjour de cette dernière, expirée depuis le … 2018.
Par courrier électronique du 26 mars 2019, la direction de l’Immigration lui répondit que Madame (A) bénéficiait d’une carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union et que le Comité de guidance allait être saisi en vue de l’établissement d’un rapport à la moitié de la peine de réclusion criminelle écopée par l’intéressée.
Par courrier du 21 septembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », pria la déléguée du Procureur général d’Etat de saisir le Comité de guidance aux fins de l’établissement d’un rapport sur la situation de Madame (A), ledit rapport ayant été rendu le 20 octobre 2020 et communiqué au ministre le 11 novembre 2020.
Le 5 mai 2021, un rapport fut rendu par la commission consultative à l’exécution des peines concernant le transfert de Madame (A) vers le Centre pénitentiaire de Givenich, ci-après « le CPG ».
Le 17 mai 2021, l’agent de probation de Madame (A) proposa de transférer cette dernière vers le CPG, sous certaines conditions, dont la régularisation de son séjour.
Il ressort d’un courrier du mandataire de l’époque de Madame (A), adressé à la direction de l’Immigration le 3 juin 2021 que, par une décision du 21 mai 2021, la déléguée du Procureur général d’Etat aurait accordé à l’intéressée son transfert vers le CPG, avec effet au 6 décembre 2021, lequel fut soumis à la condition que cette dernière dispose d’un titre de séjour en cours de validité. Par le même courrier, rappelé en date des 21 septembre et 8 novembre 2021, le mandataire sollicita l’octroi dans le chef de Madame (A) d’un titre de séjour.
2 Par courrier du 2 décembre 2021, le ministre informa le mandataire en question qu’il envisageait de ne pas renouveler la carte de séjour, respectivement de retirer le droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union et d’éloigner du territoire Madame (A) sur le fondement des articles 27, paragraphes (1), (2) et (3), 29 et 30, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », tout en l’invitant à communiquer ses observations endéans un délai de trente jours.
Par courrier du 26 décembre 2021, Madame (A) sollicita, en raison de son infection au virus Covid-19 et du changement de mandataire intervenu entretemps, un délai supplémentaire pour mieux préparer sa défense.
Par courrier du 3 février 2022, un nouveau mandataire informa le ministre de sa reprise du mandat pour représenter Madame (A) dans l’affaire relative à son titre de séjour.
Par décision du 15 février 2022, le ministre retira à Madame (A) le droit de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union, refusa le renouvellement de sa carte de séjour afférente et prononça à son encontre l’ordre de quitter le territoire dès sa libération à destination du Brésil ou d’un pays lui ayant délivré un document de voyage en cours de validité ou d’un autre pays où elle est autorisée de séjourner, cette décision étant libellée comme suit :
« (…) Je me réfère aux courriers des 23 décembre 2021 et 3 février 2022 de Maître Jean-Paul Rippinger et au vôtre du 26 décembre 2021.
En date du 2 décembre 2021, je vous ai informé que j’envisage de ne pas renouveler la carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union permanent et de vous retirer le droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union. Un éloignement du territoire luxembourgeois est également envisagé.
Je vous ai demandé de me faire parvenir vos observations endéans un délai de trente jours. Vous avez reçu ledit courrier le 3 décembre 2021.
Votre mandataire est d’avis que votre « vie est certainement en danger compte tenu des faits pour lesquels » vous avez été « condamnée. Le Ministère prend une grande responsabilité en l’envoyant ainsi dans la gueule des loups ». Il estime par ailleurs que vos ressources pour vivre au Luxembourg seraient suffisantes étant donné que vous auriez « une somme importante pour refaire sa vie à Luxembourg ». Ces affirmations restent à l’état de pure allégation étant donné qu’il n’est nullement prouvé que vous encourez un risque en vous rendant au Brésil ou ailleurs et que vous disposez de ressources stables et suffisantes pour vivre au Luxembourg.
Vous estimez que la vie au Brésil « est très dure ». Cette affirmation est largement insuffisante pour justifier un séjour au Luxembourg.
Madame (B) atteste qu’elle vous connaît « depuis longtemps » et que vous êtes « une bonne personne ». Cette attestation testimoniale n’est pas valable étant donné qu’une photocopie de la carte d’identité de l’intéressée fait défaut et le témoignage à lui seul serait de toute façon sans objet dans le contexte d’une demande en obtention d’une autorisation de séjour au Luxembourg 3Vous confirmez que votre famille séjourne au Brésil et que vous n’avez aucune attache familiale au Luxembourg. Vos liens avec votre pays d’origine sont de ce fait à qualifier comme intenses.
Par ailleurs, vous sollicitez l’octroi d’un délai supplémentaire pour me faire parvenir d’autres observations. Ce délai supplémentaire vous a été accordé implicitement et votre mandataire m’a fait parvenir un courrier supplémentaire pour compléter vos observations en date du 3 février 2022.
Au vu de votre demande et de votre dossier, aucun indice ne témoigne d’une intégration sociale et culturelle dans la société luxembourgeoise.
Tenant compte de l’énergie criminelle considérable clairement visible à travers les faits à la base de votre condamnation et que vous constituez de ce fait un danger pour l’ordre public, le droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union permanent vous est retiré et le renouvellement de la carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union permanent vous est refusé conformément aux articles 27, paragraphes (1), (2) et (3), 29 et 30 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
Vous vous trouvez de ce fait en séjour irrégulier conformément à l’article 100, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée.
En application de l’article 111, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, vous êtes obligée de quitter le territoire immédiatement après votre libération, soit à destination du pays dont vous avez la nationalité, le Brésil, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2022, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 15 février 2022.
Par jugement du 15 novembre 2024, le tribunal administratif déclara le recours en annulation recevable et fondé et annula la décision ministérielle du 15 février 2022 en tous ses volets, tout en renvoyant le dossier au ministre des Affaires intérieures désormais en charge du dossier et en condamnant l’Etat aux frais de l’instance.
Pour ce faire, le tribunal rejeta tout d’abord comme non fondé le moyen d’incompétence invoqué dans le chef du ministre pour prendre la décision litigieuse.
Se référant ensuite aux articles 17 et 18 de la loi du 29 août 2008, ainsi qu’à l’article 7 du règlement grand-ducal modifiée du 5 septembre 2008 portant exécution de certaines dispositions relatives aux formalités administratives prévues par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, les premiers juges retinrent que Madame (A), en raison de son mariage en 1992 avec un ressortissant luxembourgeois, bénéficiait d’un droit de séjour permanent en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union, et ce malgré son divorce prononcé en 2015, de sorte qu’elle aurait a priori dû bénéficier, dès le … 2018 à l’expiration de sa carte de séjour délivrée le … 2008, d’un renouvellement de plein droit de ladite carte.
4Ils relevèrent ensuite que l’article 27, paragraphes (1) et (2), de la loi du 29 août 2008 permet au ministre de retirer le droit de séjour à un membre de la famille d’un citoyen de l’Union si son comportement personnel compromet l’ordre, respectivement la sécurité publics, comportement qui doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, sans que l’existence d’une condamnation pénale antérieure puisse à elle seule motiver le refus de séjour.
Sur ce, les premiers juges constatèrent que la décision de retrait du droit de séjour permanent, respectivement de refus du renouvellement de plein droit du titre de séjour de la demanderesse, était fondée sur sa condamnation pénale prononcée en 2016, motivation complétée en cours d’instance par la partie étatique par l’évocation des « actes de délinquance commis par la demanderesse dans le passé », ainsi que par ses antécédents disciplinaires au CPL.
Ils relevèrent encore que la demanderesse avait été condamnée à une peine de réclusion de 24 ans pour avoir en 2011 d’abord tenté d’assassiner, puis quelques jours plus tard assassiné une personne, par le fait d’avoir, par des dons et des promesses de dons faites à des tueurs à gage, préalablement recrutés, directement provoqué ces crimes, avec la circonstance qu’elle les avait décidés, planifiés et préparés depuis le mois d’août 2011 au Luxembourg, puis au Brésil, de sorte qu’elle les avait commises avec préméditation, le tout dans le cadre d’une association de malfaiteurs formée entre elle, son fils et l’épouse de la victime. Ils en déduisirent que, de par leur nature et les circonstances de leur commission, ces crimes revêtaient une gravité élevée – de manière à dénoter dans le chef de la demanderesse, au-delà du trouble à l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, un comportement présentant a priori une menace grave et réelle pour un intérêt fondamental de la société.
Ils constatèrent ensuite, compte tenu de la décision de la déléguée du Procureur général d’Etat ayant accordé le bénéfice conditionnel du régime de semi-liberté, du temps écoulé depuis la commission des faits litigieux, de l’amélioration du comportement de la demanderesse en milieu carcéral, ainsi que des efforts déployés par celle-ci en vue de sa réintégration dans la société luxembourgeoise, que celle-ci ne présentait plus au jour de la décision ministérielle litigieuse une menace réelle, suffisamment grave et actuelle pour un intérêt fondamental de la société au sens de l’article 27, paragraphes (1) et (2), de la loi du 29 août 2008.
Ils annulèrent, en conséquence, la décision du ministre de retirer à la demanderesse son droit de séjour permanent de membre de la famille d’un citoyen de l’Union et de lui refuser le renouvellement de sa carte de séjour afférente pour erreur d’appréciation des faits, tout comme l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 18 décembre 2024, l’Etat a régulièrement fait entreprendre ce jugement.
A l’appui de son appel, le délégué du gouvernement reproche aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte, dans le cadre de l’appréciation du risque pour l’ordre public, de la gravité exceptionnelle des crimes pour lesquels l’intimée a été condamnée en 2016, à savoir la tentative d’assassinat, l’assassinat avec préméditation et l’association de malfaiteurs. Il souligne que ces actes, soigneusement planifiés, auraient été qualifiés de particulièrement crapuleux par la Cour d’appel, dans son arrêt du 8 mars 2016, qui aurait relevé une 5détermination et une énergie criminelle rarement observées. Il insiste encore sur le mobile purement financier de l’intimée.
Il critique ensuite les premiers juges pour avoir retenu que le temps écoulé depuis les faits était de nature à en réduire la pertinence dans le cadre de l’appréciation des risques pour l’ordre public. Il estime, au contraire, que la gravité de ces crimes justifierait, à elle seule, une menace pour l’ordre public, même en l’absence d’un risque de récidive. Se référant à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 27 octobre 1977, il fait valoir qu’un seul fait, s’il était suffisamment grave, pourrait justifier le retrait du droit de séjour. Or, en l’espèce, les crimes de l’intimée dépasseraient manifestement le seuil de gravité requis.
Il estime, par ailleurs, que le risque de récidive retenu dans le chef de l’intimée, même s’il avait été qualifié de faible, ne pourrait pas être négligé face à des infractions d’une gravité exceptionnelle. En outre, le dossier administratif révélerait plusieurs procès-verbaux qui auraient été dressés contre l’intimée entre 1997 et 2009 notamment pour faux et usage de faux, proxénétisme, injures et violences légères, coups et blessures et vol. Il insiste sur la dangerosité de l’intimée en relevant que celle-ci aurait fait l’objet de 22 sanctions disciplinaires au cours de ses premières années de détention, tout comme sur le fait qu’elle n’aurait toujours pas admis la responsabilité de ses actes, ni fait preuve d’un réel repentir.
Le délégué du gouvernement fait encore valoir que depuis son arrivée au pays en 1991, l’intimée aurait passé plus de dix ans en prison, qu’elle ne disposerait plus d’attaches familiales ou sociales au pays, dès lors que sa famille proche résiderait au Brésil et qu’elle ne recevrait de visites en prison que de la part d’une visiteuse de l’(CC) et d’une religieuse. Par ailleurs, l’intimée disposerait de ressources financières significatives issues de la liquidation de son mariage, de sorte qu’elle pourrait reconstruire sa vie au Brésil, sans que son éloignement ne constitue une ingérence disproportionnée dans ses droits.
Il sollicite dès lors, par réformation du jugement entrepris, de voir rejeter le recours initial comme non fondé.
L’intimée conclut au rejet de l’appel en se ralliant en substance à l’analyse des premiers juges.
Selon elle, elle ne constituerait pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public luxembourgeois au sens de l’article 27, paragraphe (2), de la loi du 29 août 2008, estimant que la partie étatique ne justifierait pas en quoi elle présenterait un tel danger réel, actuel et suffisamment grave, alors que l’existence de condamnations pénales antérieures ne pourrait pas, à elle seule, motiver le refus de séjour. Elle conteste, par ailleurs, l’existence d’un risque de récidive dans son chef, en se prévalant de l’évaluation psycho-criminologique dont elle aurait fait l’objet. Elle donne encore à considérer qu’il faudrait apprécier plus particulièrement si son comportement représentait à l’heure actuelle une menace suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, en tenant dûment compte de l’ensemble des circonstances caractérisant sa situation, dont les liens particulièrement étroits qu’elle aurait tissés avec la société luxembourgeoise, et sa présence régulière sur le territoire luxembourgeois pendant plus de 31 années.
Elle estime ne plus présenter actuellement un danger réel et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, alors même qu’elle aurait fait l’objet d’une condamnation à une peine de réclusion criminelle de 24 ans des chefs de tentative d’assassinat, assassinat et 6association de malfaiteurs, dès lors que les faits remonteraient à 2011 et que le rapport d’évaluation psycho-criminologique réalisé par le service psycho-criminologique du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 28 octobre 2020 aurait conclu à l’absence de risque de récidive dans son chef. Quant aux sanctions disciplinaires prononcées contre elle, l’intimée souligne que celles-ci ne seraient pas dues à des comportements violents, mais auraient été causées par son état émotionnel et que depuis 2018, elle n’aurait plus fait l’objet de sanctions disciplinaires, alors qu’elle aurait appris à gérer ses émotions et qu’elle suivrait un programme de soutien « Suchthellef ».
Ce serait dès lors à juste titre que le tribunal administratif a retenu qu’elle aurait fait preuve d’une forte volonté de réinsertion dans la société luxembourgeoise et de contribuer à celle-ci en suivant les cours d’orthographe et d’initiation à la couture et en étant encadrée psychologiquement pour son addiction à l’alcool. Elle ajoute qu’elle aurait résidé la majorité de sa vie adulte sur le territoire luxembourgeois et qu’elle se serait mariée en 1992 avec un citoyen luxembourgeois, de sorte à bénéficier, en vertu des dispositions de l’article 18 de la loi du 29 août 2008, d’un droit de séjour permanent de membre de la famille d’un citoyen de l’Union, et ce malgré son divorce prononcé en 2015. Elle en conclut qu’elle aurait dû bénéficier dès le … 2018, à l’expiration de sa carte de séjour délivrée le … 2008, d’un renouvellement de plein droit de ladite carte. En refusant le renouvellement de cette carte, le ministre a commis une erreur d’appréciation des faits.
Elle ajoute encore qu’elle aurait toujours travaillé depuis son arrivée au pays, soit de 1994 à 2012, et qu’elle aspirerait à reprendre son activité. Ce serait la raison pour laquelle elle aurait demandé à être transférée au CPG, ce qui lui permettrait d’exercer un emploi et de s’insérer progressivement dans la société dans l’attente d’être pensionnée et afin « de se construire une situation stable ». Elle ajoute qu’elle aurait fait un aveu partiel des faits et qu’elle aurait fait preuve de repentir depuis la commission des faits.
Elle pointe ensuite le fait que les interdictions de l’article 11 du Code pénal n’auraient pas été prononcées au regard « de la conviction des juridictions répressives quant à la menace que représente la requérante, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société », mais que celles-ci seraient prononcées en cas de condamnation à la réclusion criminelle supérieure à dix ans.
Elle en conclut que ce serait à juste titre que le tribunal administratif a conclu que la décision litigieuse du 15 février 2022 doit encourir l’annulation pour erreur d’appréciation des faits, alors qu’elle ne présenterait plus une menace réelle, suffisamment grave et actuelle pour un intérêt fondamental de la société, de sorte qu’il y aurait également lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire dès sa libération du CPL.
Le délégué du gouvernement souligne encore, en termes de réplique, en ce qui concerne le risque de récidive, que selon la synthèse de l’évaluation psycho-criminologique du 28 octobre 2020, la consommation excessive d’alcool aurait certainement joué un rôle dans les décisions prises par l’intimée lors de la planification du meurtre. Or, il ne ressortirait d’aucun élément du dossier administratif que l’intimée aurait trouvé une solution durable à son problème de dépendance. De même, ladite évaluation psycho-criminologique aurait mis en évidence une capacité réduite de l’intimée à gérer ses émotions et à maîtriser son comportement, ce qui constituerait un facteur en faveur du risque de récidive.
7Il souligne encore que la dangerosité de l’intimée ne se limiterait pas au seul risque de récidive, mais inclurait l’absence manifeste de repentir sincère, comme en témoignerait son incapacité à reconnaître pleinement sa responsabilité. Il estime que le simple fait pour l’intimée d’accepter sa peine d’emprisonnement ne pourrait pas être assimilé à une expression de repentir, d’autant plus qu’il s’agirait d’une contrainte juridique à laquelle l’intimée ne pourrait pas se soustraire. Cette acceptation relèverait davantage d’une obligation légale incontournable que d’une démarche volontaire traduisant une véritable prise de conscience.
S’agissant de l’intégration de l’intimée, le délégué du gouvernement donne à considérer que la durée de sa résidence au Luxembourg serait, pour l’essentiel, marquée par son incarcération, ce qui limiterait de facto sa capacité d’intégration.
Dans son mémoire en duplique, l’intimée conteste l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle elle essaierait de minimiser l’impact de ses crimes. Elle estime qu’à l’heure actuelle, aucun élément du dossier administratif ne conforterait l’hypothèse selon laquelle elle représenterait encore un danger. Elle souligne qu’elle serait incarcérée et que les possibilités de prise en charge en prison seraient, par définition, limitées. Or, elle suivrait scrupuleusement les programmes qui lui sont accessibles et ne pourrait pas faire davantage dans le cadre de sa détention. Selon elle, ce serait à tort que le délégué du gouvernement s’appuie sur une évaluation de 2022, ayant relevé des difficultés dans son chef à gérer ses émotions et à maîtriser son comportement, pour en conclure qu’elle présenterait un risque de récidive, alors que cette analyse serait désuète, puisqu’elle aurait depuis lors entrepris un travail sur elle-même, en s’engageant dans un processus de réhabilitation et en prouvant sa volonté de se reconstruire, tout en relevant qu’elle n’aurait plus fait l’objet de sanctions disciplinaires depuis 2018, dans la mesure où elle aurait appris à gérer ses émotions. Elle conteste encore l’affirmation de la partie étatique selon laquelle elle n’éprouverait pas de repentir sincère, estimant au contraire que le fait d’accepter une peine et de purger une condamnation ne reviendrait pas à nier la gravité de ses actes, mais à en assumer les conséquences.
Ce serait encore à tort que le délégué du gouvernement remet en cause son intégration, alors qu’elle résiderait de manière régulière depuis plus de 31 années sur le territoire luxembourgeois. Elle estime dès lors que le fait de lui imposer un éloignement serait une décision brutale, injustifiée et sans fondement.
La Cour note que la décision litigieuse portant respectivement retrait du droit de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union et refus de renouveler la carte de séjour permanent en qualité de membre de la famille d’un citoyen de l’Union est fondée sur l’article 27, paragraphes (1) et (2), de la loi du 29 août 2008 qui, dans sa version applicable au présent litige, est libellé comme suit :
« (1) Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage, applicables aux contrôles aux frontières, l’entrée sur le territoire luxembourgeois peut être refusée et le droit de séjour peut être refusé ou retiré au citoyen de l’Union, ainsi qu’aux membres de sa famille de quelque nationalité qu’ils soient, et une décision d’éloignement du territoire peut être prise à leur encontre, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.
(2) L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver le refus de séjour. Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel du citoyen de l’Union et des membres de sa 8famille qui en font l’objet. Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, sans que des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne puissent être retenues ».
Il ressort de cette disposition qu’un membre de la famille d’un citoyen de l’Union, - qualité ayant persisté dans le chef de l’intimée en vertu de l’article 18 de la loi du 29 août 2008 malgré son divorce prononcé en 2015, ainsi que cela a été retenu à juste titre par les premiers juges -, peut faire l’objet d’une décision de retrait de son droit de séjour, le cas échéant permanent, comme cela est le cas en l’occurrence, si son comportement personnel compromet l’ordre public ou la sécurité publique, comportement qui doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, sans que des condamnations pénales antérieures puissent à elles seules motiver ce retrait.
Il se dégage encore du paragraphe (2) de l’article 27, précité, que si l’autorité compétente devra examiner chaque situation dans sa globalité, sans qu’elle ne puisse se fonder sur la seule existence d’une condamnation pénale antérieure pour refuser le renouvellement d’un titre de séjour, il n’en reste pas moins que suivant la consistance de la ou des condamnations prononcées, celles-ci sont appelées à peser différemment d’un cas à l’autre.
En l’espèce, l’intimée a été condamnée suivant l’arrêt précité de la Cour d’appel du 8 mars 2016 à une peine de réclusion criminelle de 24 ans, ainsi qu’à la destitution des titres, grades, fonctions, emplois et offices publics et à l’interdiction à vie des droits énumérés à l’article 11 du Code pénal, des chefs de tentative d’assassinat, d’assassinat et d’association de malfaiteurs.
Il se dégage dudit arrêt versé au dossier administratif que l’intimée a d’abord tenté d’assassiner en date du 21 octobre 2011 et, ensuite, a assassiné en date du 25 octobre 2011 le mari de son amie au Brésil à l’aide respectivement d’un couteau et d’au moins cinq coups de feu tirés dans la tête de la victime, par le fait d’avoir, par des dons et des promesses de dons faites à des tueurs à gage, préalablement recrutés, directement provoqué à ces crimes, avec la circonstance qu’elle a décidé, planifié et préparé ces infractions depuis le mois d’août 2011 au Luxembourg, puis au Brésil, de sorte qu’elle les a commises avec préméditation, le tout dans le cadre d’une association de malfaiteurs formée entre elle, son fils et l’épouse de la victime.
Il convient, par ailleurs, de relever que la Cour d’appel, dans son arrêt précité du 8 mars 2016, a rejoint tant les premiers juges que le représentant du ministère public pour qualifier les crimes commis de « particulièrement crapuleux » et comme révélant dans le chef de l’intimée notamment « une énergie et une persistance criminelle rarement observées ».
Contrairement à l’appréciation des premiers juges, la Cour arrive à la conclusion qu’au vu de la nature particulièrement grave du comportement de l’intimée et des crimes par elle commis, dans un but purement de lucre, et de la lourde peine à laquelle elle a été condamnée, cet état des choses accablant pèse très lourd dans la balance.
S’y ajoute qu’une fois incarcérée, l’intimée a fait l’objet au CPL, entre 2012 et 2018, de pas moins de 22 sanctions disciplinaires, liées principalement à sa cohabitation avec sa complice. Il ressort, par ailleurs, du dossier administratif qu’entre 1997 et 2009, la police a dû dresser plusieurs procès-verbaux à l’encontre de l’intimée, notamment pour faux et usage de 9faux, proxénétisme, injures et violences légères, coups et blessures ainsi que vols, même si pour ces faits, elle n’a fait l’objet d’aucune condamnation.
Eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, la Cour arrive à la conclusion que le ministre a à bon droit pu estimer, même si ce n’est que de manière implicite, que le comportement de l’intimée constituait, à la date de la prise de la décision litigieuse, une menace réelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, laquelle menace reste d’actualité spécialement eu égard aux sanctions disciplinaires dont l’intimée a fait l’objet au CPL et de l’absence d’un véritable repentir, tel que relevé par son agent de probation en 2021 qui a retenu qu’elle n’admettait toujours pas sa part de responsabilité quant aux faits de l’affaire ayant mené à sa condamnation.
Cette conclusion n’est point énervée par les éléments mis en balance par l’intimée fondés notamment sur la durée de son séjour au Luxembourg et de ses prétendues attaches avec le pays. En effet, s’il n’est pas contesté que l’intimée réside au Luxembourg depuis 1991, soit depuis une trentaine d’années, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a pas de véritables attaches au pays, étant donné que ses trois enfants résident au Brésil et qu’elle ne reçoit pas de visites au CPL, si ce n’est de la part d’une visiteuse bénévole de prison et d’une religieuse, tel que cela ressort du rapport de la Commission consultative du 20 octobre 2020. Par ailleurs, les efforts de réintégration dans la société luxembourgeoise entrepris par l’intimée en prison, consistant dans sa poursuite de cours d’orthographe et de couture et dans sa participation au programme de type « Suchthëllef » pour son problème d’addiction à l’alcool, tout comme sa volonté de travailler à nouveau, ne permettent pas de considérer que la décision litigieuse serait disproportionnée ou injustifiée au regard de l’extrême gravité et de la nature des crimes commis par l’intimée.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg est fondé et que, par réformation du jugement entrepris, il y a lieu de rejeter le recours initial non fondé et d’en débouter Madame (A).
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel en la forme ;
au fond, le dit justifié ;
partant, par réformation du jugement entrepris, déclare le recours initial en annulation non fondé et en déboute ;
condamne l’intimée aux dépens des deux instances.
10 Ainsi délibéré et jugé par:
Henri CAMPILL, vice-président, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.
s. SANTOS s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 mai 2025 Le greffier de la Cour administrative 11