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24/04/2025 | LUXEMBOURG | N°52118C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 24 avril 2025, 52118C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52118C ECLI:LU:CADM:2025:52118 Inscrit le 19 décembre 2024

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Audience publique du 24 avril 2025 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 novembre 2024 (no 48076 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de la Fonction publique en matière de résiliation de contrat d’employé de l’Etat Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 52118C du rôle et déposée

au greffe de la Cour administrative le 19 décembre 2024 par Maître Luc SCHAACK, a...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52118C ECLI:LU:CADM:2025:52118 Inscrit le 19 décembre 2024

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Audience publique du 24 avril 2025 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 novembre 2024 (no 48076 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de la Fonction publique en matière de résiliation de contrat d’employé de l’Etat Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 52118C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 19 décembre 2024 par Maître Luc SCHAACK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…, …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 19 novembre 2024 (no 48076 du rôle) l’ayant déboutée de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Fonction publique du 20 juillet 2022 portant résiliation de son contrat de travail avec effet au 1er août 2022;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 15 janvier 2025;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Luc SCHAACK et Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mars 2025.

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Par contrat de travail à durée indéterminée du 11 juillet 2017, Madame (A) fut engagée en tant qu’employée de l’Etat, groupe C1, sous-groupe administratif, auprès de la Police grand-ducale, à raison de 40 heures par semaine.

Le 30 août 2021, Madame (A) se vit notifier un ordre de justification par le directeur général adjoint de la Police grand-ducale qui l’informa du fait qu’il lui était reproché d’avoir enregistré, à leur insu, Madame (B), psychologue, et Monsieur (C), commissaire en chef, lors d’un entretien qui s’était tenu le 19 juin 2020, respectivement d’avoir réalisé une transcription de cet entretien, en méconnaissance de l’article 10, paragraphe (1), alinéa 2, de la loi modifiée 1du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le statut général ».

Par courrier de son mandataire du 8 septembre 2021, Madame (A) prit position par rapport audit ordre de justification.

Par courrier du 4 octobre 2021, le directeur général de la Police grand-ducale, ci-après « le directeur général », dénonça auprès du Procureur d’Etat près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg une éventuelle infraction pénale commise par Madame (A) du fait de cet enregistrement.

Le 5 novembre 2021, Madame (A) fut convoquée à se présenter au commissariat de police d’… suite à la plainte déposée contre elle par le directeur général.

Par courrier du 7 février 2022, le ministre de la Sécurité intérieure demanda au commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire d’ouvrir une instruction disciplinaire à l’encontre de Madame (A).

Par courrier du 10 février 2022, le commissaire du gouvernement informa ledit ministre qu’il ne pouvait pas donner suite à sa demande, dès lors que le contrat de travail de Madame (A) était en vigueur depuis moins de dix ans.

Par courrier du 14 mars 2022, le directeur général demanda au ministre de la Sécurité intérieure d’intervenir auprès du ministre de la Fonction publique en vue de procéder à la résiliation du contrat de travail de Madame (A).

Par courrier du 6 avril 2022, le ministre de la Sécurité intérieure demanda au ministre de la Fonction publique de faire droit à cette demande du directeur général, sur base de l’article 5 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, ci-après « la loi du 25 mars 2015 ».

Par courrier recommandé du 26 avril 2022, le ministre de la Fonction publique informa Madame (A), en vertu de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, de son intention de procéder à la résiliation de son contrat de travail, ledit courrier étant libellé comme suit :

« (…) Je viens d’être informé par Monsieur le Ministre de la Sécurité intérieure des faits suivants qui sont contraires à vos devoirs d’employée de l’Etat.

Vous êtes entrée en service en tant qu’employée de l’Etat C1 auprès de la Police grand-ducale en date du 15 juillet 2017.

Les faits suivants vous sont reprochés:

Le 19 juin 2020, vous avez eu un entretien avec Madame (B), psychologue du Service santé et bien-être au travail de la Direction des ressources humaines (SBET), et Monsieur (C), commissaire en chef. Cet entretien avait pour but de vous faciliter le retour au travail après votre congé de maladie prolongé.

2En date du 3 août 2021, soit plus d’un an après cet entretien, vous avez par inadvertance envoyé un courriel à Madame (B) intitulé « entretien 19.6.20 » auquel était attaché un document Word. Madame (B) a réalisé que ce document annexé était la transcription exacte de l’entretien qui a eu lieu à la date précitée entre vous-même, Madame (B) et le commissaire en chef (C).

Par courriel du 3 août 2021, Madame (B) vous a posé la question si le document en question constituait une retranscription de l’entretien et si vous avez procédé à un enregistrement à l’insu des personnes présentes.

Vous avez répondu par courriel du même jour de la façon suivante : « Ech haat läscht Joer versicht mir opzeschreiwen waat mir beschwaat haaten, haat awer den Fuedem verluer … ech wollt mir daat amfong weider mailen … wann d’Gespréicher kéinten opgeholl gin, wieren verschidden Saachen méi einfach ze beweisen…. » Suite à votre échange de courriels avec Madame (B), un ordre de justification vous a été notifié le 31 août 2021. En date du 10 septembre 2021, par le biais de l’étude d’avocat AS-Avocats Etude Assa et Schaack Sarl, vous avez répliqué à cet ordre de justification.

Maître Luc Schaack confirme dans sa réponse que vous avez effectivement procédé à un enregistrement de l’entretien du 19 juin 2020 à l’insu des personnes présentes, tout en précisant que vous vous en excusez formellement et sincèrement.

Un tel comportement, à savoir enregistrer vos collègues de travail à leur insu, est contraire à vos obligations résultant de l’article 9, paragraphe 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat qui dispose ce qui suit: « Le fonctionnaire est tenu de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose. » Un tel comportement est encore contraire à vos obligations résultant de l’article 10, paragraphe 1, de la loi précitée du 16 avril 1979 qui dispose ce qui suit : «Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu’il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination. » Par ailleurs, un tel enregistrement est contraire aux dispositions de l’article 2 de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée qui dispose ce qui suit: «Est puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de deux mille cinq cent un à cinquante mille francs, ou d’une de ces peines seulement, quiconque a volontairement porté atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :

1° en écoutant ou en faisant écouter, en enregistrant ou en faisant enregister, en transmettant ou en faisant transmettre, au moyen d’un appareil quelconque, des paroles prononcées en privé par une personne, sans le consentement de celle-ci (…) ».

Finalement, un tel enregistrement à l’insu des personnes concernées est contraire à l’article 6, paragraphe 1, a) du règlement européen 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement 3des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données en vertu duquel « Le traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie: a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques. » Par conséquent, en application de l’article 7, paragraphe 1, de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat et sur demande de Monsieur le Ministre de la Sécurité intérieure, je vous informe que j’ai l’intention de résilier votre contrat de travail.

Enfin, je vous informe qu’en vertu de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, vous disposez d’un délai de huit jours pour présenter vos observations ou pour demander à être entendue en personne par un agent de l’Etat au sujet de la décision envisagée. (…) ».

Par courrier de son mandataire du 2 mai 2022, Madame (A) demanda à être entendue en personne pour présenter ses observations. L’entrevue eut lieu en date du 3 juin 2022.

Par courrier du 17 juin 2022, le directeur général informa le ministre de la Sécurité intérieure qu’il maintenait son intention de voir résilier le contrat de travail de Madame (A) et lui demanda de saisir le ministre de la Fonction publique à cette fin.

Par courrier du 29 juin 2022, le ministre de la Sécurité intérieure demanda au ministre de la Fonction publique d’engager la procédure de résiliation du contrat de travail de Madame (A).

Par décision du 20 juillet 2022, le ministre de la Fonction publique prononça la résiliation du contrat de travail de Madame (A), sur base des considérations suivantes :

« (…) En référence à mon courrier du 26 avril 2022 dans lequel je vous ai informée des raisons qui m’ont fait envisager la résiliation par décision motivée de votre contrat de travail, je vous adresse ma décision y relative.

Suite à votre demande, une entrevue a eu lieu en date du 3 juin 2022, en présence de représentants de la Police grand-ducale et de mon ministère. Vous étiez assistée par Maître Luc Schaack.

Lors de cette entrevue vous avez réitéré vos excuses par rapport à l’enregistrement que vous avez effectué lors de l’entretien du 19 juin 2020 à l’insu de Madame (B), psychologue du Service santé et bien-être au travail de la Direction des ressources humaines (SBET), et de Monsieur (C), commissaire en chef.

Vous avez souligné que vous aviez effectué cet enregistrement en raison de vos problèmes d’anxiété qui ne vous permettent pas de prendre des notes, que vous n’aviez cependant pas l’intention de porter dommage aux agents concernés et que vous estimiez que l’Etat n’a pas subi de préjudice par rapport à cet acte. Par ailleurs, vous avez suggéré qu’auprès de l’Office national de l’accueil où vous êtes provisoirement détachée jusqu’au 31 octobre 2022, une possibilité existe pour que vous y soyez affectée à titre définitif.

4Concernant ce dernier point, l’Office national de l’accueil a informé la Police grand-ducale ne pas être intéressé à vous reprendre à titre définitif.

Quant aux reproches à votre encontre, bien que vos excuses soient louables, il n’empêche que ces reproches non contestés sont très graves.

Je rappelle que votre première réponse par courriel du 3 août 2021 suite à la découverte de cet enregistrement illégal était de dire « wann Gespréicher kéinten opgeholl gin, wieren verschidden Saachen méi einfach fir ze beweisen… » ce qui affaiblit vos affirmations que vous ne souhaitiez pas porter dommage aux agents concernés. Je rappelle également que l’entretien en question avait pour objectif de vous faciliter le retour au travail après une longue période de maladie - il ne s’agissait donc aucunement d’un entretien en votre défaveur mais d’un appui pour vous aider à reprendre pied.

Par l’enregistrement que vous avez effectué à l’insu des personnes concernées en date du 3 août 2020, les agents concernés et la Police grand-ducale ont perdu toute confiance en vous.

Vous avez violé vos obligations en tant qu’agent de l’Etat, notamment l’article 9, paragraphe 1er, et l’article 10, paragraphe 1er, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, l’article 2 de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée et l’article 6, paragraphe 1er, a) du règlement européen 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Pour les raisons indiquées ci-dessus et dans mon courrier du 26 avril 2022, et sur demande de Monsieur le Ministre de la Sécurité intérieure, un maintien des relations de travail s’avère impossible et j’ai le regret de vous informer que votre contrat de travail est résilié avec effet au 1er août 2022, sur base de l’article 7, paragraphe 1er, de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat. (…) ».

Par requête déposée le 21 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif, Madame (A) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Fonction publique du 20 juillet 2022 portant résiliation de son contrat de travail avec effet au 1er août 2022.

Par jugement du 19 novembre 2024, le tribunal reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclara non justifié et en débouta, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation. Il rejeta encore la demande en allocation d’une indemnité de procédure de la demanderesse et la condamna aux frais de l’instance.

Par requête déposée le 19 décembre 2024 au greffe de la Cour administrative, Madame (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, elle réitère tout d’abord les faits et rétroactes de l’affaire.

En droit, l’appelante conteste, en premier lieu, que le principe de l’autonomie du droit disciplinaire s’appliquerait aux fonctionnaires de l’Etat et par extension aux employés de l’Etat.

Elle considère que même si l’employé de l’Etat n’avait pas l’ancienneté nécessaire pour 5pouvoir être assimilée aux fonctionnaires de l’Etat, il devrait néanmoins bénéficier d’une protection différente de celle accordée aux employés privés, compte tenu de la mission de service public qui lui aurait été confiée. Cela serait d’autant plus vrai en l’espèce puisqu’elle travaillerait au sein de la Police. Elle en conclut que ses responsabilités et obligations accrues devraient lui également valoir une protection accrue. Elle estime dès lors avoir été sanctionnée trop lourdement pour des faits d’une gravité mineure.

En ordre subsidiaire, elle critique le ministre de la Fonction publique pour avoir fondé sa décision sur une plainte pénale déposée contre elle, alors que cette plainte n’aurait pas reçu de suites, de sorte que celle-ci ne pourrait pas servir de fondement à la décision de résiliation litigieuse.

En deuxième lieu, l’appelante invoque l’illégalité de la décision de résiliation litigieuse en ce qu’elle serait fondée sur une motivation insuffisante, voire inexistante. Elle critique ainsi le ministre de la Fonction publique pour avoir résilié son contrat de travail sans attendre la prise de position du procureur d’Etat. De même, la décision litigieuse, prise sur base de l’article 10, paragraphe (1), alinéa 2, du statut général, ne préciserait pas dans quelle mesure elle aurait méconnu son devoir de se comporter avec dignité et civilité avec les personnes ayant assisté à l’entretien du 19 juin 2020. Elle précise qu’elle aurait procédé à l’enregistrement de cet entretien en raison de ses problèmes de santé et pour en faire un usage strictement personnel et qu’elle n’aurait envoyé la transcription à quiconque, de sorte à n’avoir porté préjudice ni aux agents concernés, ni à l’Etat.

En troisième lieu, l’appelante soutient que la décision de résiliation litigieuse serait entachée d’un excès de pouvoir, au motif que le ministre de la Fonction publique n’aurait pas tenu compte des circonstances ayant mené à l’enregistrement de l’entretien du 19 juin 2020.

Contrairement aux allégations de la direction générale de la Police grand-ducale, elle n’aurait jamais eu l’intention de nuire à Madame (B) ou à Monsieur (C), ni de les enregistrer délibérément à leur insu lors de l’entretien du 19 juin 2020. Elle explique souffrir depuis plusieurs années de troubles anxiogènes qui se traduiraient par des crises de panique, phénomène s’étant aggravé pendant la crise sanitaire du Covid-19. En raison de ses crises d’angoisse et de panique, qui se manifesteraient notamment par des tremblements au niveau des mains rendant toute prise de notes impossible, et par des difficultés de concentration, elle aurait décidé d’enregistrer cet entretien.

Elle souligne qu’elle n’aurait pas été consciente des conséquences que cet enregistrement litigieux pourrait avoir, d’autant plus qu’il lui aurait été précisé au préalable par téléphone que l’entretien n’était pas confidentiel, tout en affirmant à nouveau que sa seule et unique intention aurait été d’en faire un usage strictement personnel.

Elle reproche encore au ministre de la Fonction publique d’avoir interprété à tort la phrase « wann Gespréicher kéinten opholl gin, wieren verschidden Saachen méi einfach fir ze bewéisen », telle que contenue dans son courrier du 3 août 2021, comme une intention de nuire à Madame (B) et à Monsieur (C). Elle souligne que le litige n’aurait rien de personnel et ne viserait pas ces deux personnes et qu’aucun reproche ne leur serait adressé. D’ailleurs, Madame (B) aurait été parfaitement au courant des problèmes qui existeraient au sein de certains services de la Police grand-ducale.

6L’appelante en conclut que la résiliation de son contrat de travail serait disproportionnée au regard des faits de l’espèce. Le licenciement constituerait la sanction la plus lourde pour les employés de l’Etat et constituerait une sanction disciplinaire.

Cette décision serait d’autant plus excessive qu’elle n’aurait pas d’antécédents disciplinaires et que son manquement constituerait un fait isolé. En plus, lors du véritable entretien « retour au travail » qui aurait eu lieu le 29 juillet 2020 en présence de ses supérieurs hiérarchiques, la qualité de son travail et un grand professionnalisme lui auraient été attestés.

Elle sollicite partant, par réformation du jugement entrepris, à voir réformer, sinon annuler la décision du ministre de la Fonction publique portant résiliation de son contrat de travail.

La partie étatique sollicite la confirmation pure et simple du jugement entrepris.

Tout d’abord, les premiers juges ont correctement retenu qu’en vertu de l’article 10 de la loi du 25 mars 2015, un recours en réformation est prévu en matière de décisions portant résiliation d’un contrat d’emploi d’un employé de l’Etat prises sur base de l’article 7 de la même loi.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que le recours en réformation est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés (cf. Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C du rôle, Pas. adm. 2024, V°Recours en réformation, n° 12 et autres références y citées).

Aux termes de l’article 7, paragraphe (1), de la loi du 25 mars 2015, dans sa version applicable au litige, telle qu’issue de la loi modificative du 11 décembre 2024 :

« (1) Le contrat de travail à durée indéterminée de l’employé ne peut plus être résilié, lorsqu’il est en vigueur depuis dix ans au moins, sauf à titre de mesure disciplinaire. Pendant la période précédant cette échéance, il peut être résilié par le ministre ou par le ministre du ressort pour des raisons dûment motivées (…) ».

Il ressort de cette disposition que le contrat de travail à durée indéterminée d’un employé de l’Etat, en vigueur depuis moins de dix ans, ce qui est le cas en l’espèce, puisque l’appelante avait, au moment de la résiliation de son contrat, une ancienneté de cinq ans, peut être résilié par l’autorité compétente, notamment, pour des raisons dûment motivées, ces raisons devant nécessairement être réelles et sérieuses.

7Les premiers juges en ont à bon droit déduit, eu égard à une ancienneté de moins de dix ans, que la procédure disciplinaire et les sanctions disciplinaires prévues au statut général ne s’appliquent pas à l’appelante.

Par voie de conséquence, l’argument soulevé par l’appelante que le principe de l’autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal ne lui serait pas applicable ne peut qu’être écarté, puisqu’il repose sur la prémisse erronée que la décision de résiliation de son contrat de travail constituerait une sanction disciplinaire.

En outre, le fait que la plainte pénale déposée à l’encontre de l’appelante n’avait pas encore donné lieu à des poursuites, ni à une condamnation au moment où le ministre de la Fonction publique a résilié le contrat de travail de l’appelante ne porte pas à conséquence, étant donné que la décision litigieuse n’est pas fondée sur cette plainte pénale, mais sur les manquements de l’appelante à ses obligations découlant des articles 9 paragraphe 1er, et 10, paragraphe 1er, du statut général, de l’article 2 de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée et de l’article 6, paragraphe 1er, point a), du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, de sorte que la Cour ne saurait suivre l’appelante en ce qu’elle affirme que le ministre de la Fonction publique aurait lié l’action disciplinaire à l’action pénale.

Le moyen afférent laisse partant d’être fondé et est à rejeter.

Ensuite, le moyen de l’appelante tiré d’une motivation insuffisante voire inexistante, en ce que le ministre, d’une part, aurait résilié son contrat de travail avant même de connaître les suites réservées par le Parquet à la plainte pénale déposée à son encontre et, d’autre part, n’aurait pas précisé dans quelle mesure elle aurait violé l’article 10, paragraphe (1), alinéa 2, du statut général, ne saurait pas non plus valoir.

En effet, par rapport à la première branche de ce moyen, le ministre de la Fonction publique, ainsi que cela a été relevé à bon droit par les premiers juges, n’est pas lié par l’appréciation des faits litigieux par le juge pénal, son objectif d’intervention n’étant, non pas de se prononcer sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, mais de veiller, par une appréciation in concreto, au respect des conditions fixées par la loi en matière de résiliation du contrat de travail d’un employé de l’Etat.

Quant à la deuxième branche du moyen, il ressort du libellé susvisé de la décision litigieuse du 20 juillet 2022, ensemble la lettre du ministre du 26 avril 2022 informant l’appelante de son intention de résilier le contrat de travail, que les motifs indiqués en l’espèce sont loin d’être imprécis et qu’ils ont permis à l’appelante d’assurer la protection de ses droits et intérêts en parfaite connaissance de cause.

S’agissant du bien-fondé de la décision de résiliation querellée, la Cour rappelle que le motif de résiliation opposé à l’appelante est fondé sur le fait non contesté que celle-ci a enregistré son entrevue du 19 juin 2020 avec la psychologue Madame (B) et le commissaire en chef Monsieur (C), à leur insu, entrevue qui était censée préparer son retour au travail après un congé de maladie de trois mois.

Il convient de rappeler que la procédure de résiliation du contrat de travail d’un employé de l’Etat pour des raisons dûment motivées a notamment pour objet de sanctionner les 8violations des obligations lui incombant du chef des règles qui lui sont applicables, à savoir en l’occurrence les obligations prévues au chapitre 5 du statut général, intitulé « Devoirs du fonctionnaire », et notamment à travers ses articles 9 et 10.

Aux termes de l’article 10, paragraphe 1er, du statut général :

« 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu’il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination ».

Si la Cour peut concevoir que l’appelante, eu égard à ses soucis de santé, et notamment ses crises de panique et ses difficultés de concentration, telles que documentées, ait ressenti le besoin d’enregistrer l’entretien en question, alors qu’elle se voyait incapable de prendre des notes, il lui aurait dans ce cas incombé de demander l’accord de ses interlocuteurs, ce qu’elle a toutefois omis de faire, ayant préféré enregistrer délibérément ledit entretien à leur insu.

Cette façon de procéder paraît d’autant plus étonnante que l’appelante a elle-même indiqué dans sa requête introductive de première instance que Madame (B) « avait confirmé (…) que ledit entretien n’était pas confidentiel et qu’un rapport allait être dressé », un tel rapport figurant parmi les pièces de l’appelante.

Or, en procédant ainsi, l’appelante a manqué de se comporter avec dignité et civilité dans ses rapports de service avec ses supérieurs et ses collègues, en violation de l’article 10, paragraphe 1er, alinéa 2, du statut général, précité.

S’il ne ressort certes d’aucun élément du dossier que cet enregistrement ait été utilisé ou diffusé par l’appelante, si ce n’est que celle-ci semble en avoir fait une transcription pour ses propres besoins, qu’elle a toutefois envoyée un an plus tard, prétendument par erreur, à Madame (B) en annexe à un courriel à cette dernière, et qu’il ne ressort pas davantage à ce stade des éléments du dossier que cet enregistrement ait été utilisé par l’appelante à des fins malveillantes, en méconnaissance de son devoir de réserve et de loyauté, telles que découlant de l’article 10, paragraphe 1er, du statut général, la Cour considère toutefois, à l’instar du ministre de la Fonction publique et des premiers juges, que ce manquement certes unique mais indéniablement grave, est de nature à justifier la résiliation du contrat de travail de l’appelante, la confiance de l’employeur dans celle-ci étant ainsi irrémédiablement compromise.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et que le jugement entrepris est à confirmer.

Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 12.500 euros pour l’instance d’appel, telle que formulée par l’appelante, est à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

9 au fond, le dit non fondé et en déboute l’appelante;

partant, confirme le jugement entrepris du 19 novembre 2024;

rejette la demande de l’appelante en allocation d’une indemnité de procédure;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.

s. SANTOS s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 avril 2025 Le greffier de la Cour administrative 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52118C
Date de la décision : 24/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-04-24;52118c ?

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