GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51771C ECLI:LU:CADM:2025:51771 Inscrit le 4 novembre 2024
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Audience publique du 24 avril 2025 Appel formé par Monsieur (A1), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 octobre 2024 (n° 46907 du rôle) en matière de protection internationale
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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 51771C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 4 novembre 2024 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A1), né le … à … (Biélorussie), de nationalité biélorusse, demeurant à L-…, …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 7 octobre 2024 (n°46907 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 décembre 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative par Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST le 3 décembre 2024 ;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 7 janvier 2025.
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Le 31 mars 2021, Monsieur (A1) et son épouse, Madame (A2), ci-après les « consorts (A) », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Leurs déclarations sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée / police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En dates des 16 juin, 9 et 14 juillet 2021, Monsieur (A1) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame (A2) fut entendue le 25 juin 2021 aux mêmes fins.
En date du 8 octobre 2021, Madame (A2) fut à nouveau entendue dans le cadre d’un entretien supplémentaire consigné dans un rapport d’entretien complémentaire du même jour.
Par décision du 9 décembre 2021, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le 15 décembre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », informa les consorts (A) que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites le 31 mars 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 31 mars 2021, votre rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, Monsieur, du 16 juin et des 9 et 14 juillet 2021, le vôtre, Madame, du 25 juin 2021 et votre rapport d’entretien complémentaire du 8 octobre 2021, sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes de protection internationale.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 31 mars 2021, que vous, Monsieur, avez disposé d’un visa émis par les autorités lituaniennes, valable du … 2019 au … 2019 et vous, Madame, d’un visa émis par les autorités lituaniennes, valable du … 2017 au … 2018. Vous prétendez que vos deux passeports vous auraient été confisqués par les autorités biélorusses et que vous auriez quitté la Biélorussie le 26 mars 2021, à bord d’un camion.
A noter que vous avez tous les deux initialement prétendu ne jamais avoir été en Europe, jusqu’à avoir été confrontés à vos visas respectifs. Monsieur, vous changez alors de version et prétendez avoir possédé de nombreux visas grâce auxquels vous auriez visité de nombreux pays en Europe, notamment la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la Grèce, la France, l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. Convié à vous expliquer alors que vous n’avez disposé que d’un seul visa, vous vous limitez à dire que vous auriez voyagé en France pour rendre visite à des amis pendant la validité de votre visa lituanien. Suite à la vérification de vos téléphones portables, il a pu être retrouvé sur le vôtre, Madame, la réservation d’un ticket d’avion pour le 5 février 2021, avec destination …, émis à votre nom. Vous avez alors d’abord tenté de vous justifier en expliquant avoir voyagé en Thaïlande en 2020 et être retournée en Biélorussie par …. Rendue attentive au fait que le ticket d’avion en question concerne un vol depuis … en direction d’… et que vous avez été en vacances en Thaïlande en été 2020, vous changez alors de version et prétendez que vous auriez acheté ledit ticket d’avion parce qu’on vous aurait expliqué que votre époux pourrait s’enfuir de prison et que des amis vous auraient assuré qu’ils pourraient régler le « problème » avec vos passeports.
En outre, il a pu être retrouvé sur votre portable votre demande, Madame, d’un visa adressée aux autorités polonaises dans le but de travailler en Pologne pour la société « Progrès HR Internation Sp ». Vous expliquez alors avoir effectué cette demande sur base de la copie de votre passeport et avoir essayé de travailler en Pologne pour faire sortir votre époux de prison en Biélorussie. Il ressort dans ce contexte de la réponse « Interpol » des autorités polonaises que vous avez bien bénéficié d’un visa D de longue durée pour la Pologne, valable du … 2021 au … 2021. La Police Judiciaire conclut en outre que vous avez encore dû posséder un autre visa que vous cachez également aux autorités luxembourgeoises, au vu des derniers numéros de ce visa, visibles, respectivement, enregistrés, dans le cadre de votre achat du ticket d’avion.
Monsieur, concernant le ticket d’avion pour …, vous expliquez que vous pourriez uniquement « angeben, dass meine Freunde hofften ich könne die Untersuchungshaft verlassen, im Februar, darum haben sie mir ein Ticket gekauft damit ich flüchten kann.
Dieselben haben bestimmt geglaubt ich, wenn ich aus dem Gefängnis komme, bekäme ich meinen Pass zurück und ich könnte ein Visum beantragen », de sorte que la Police Judiciaire a évidemment conclu que vous étiez donc aussi en possession d’un ticket d’avion en direction des Pays-Bas. Elle conclut dans ce même contexte qu’au vu de vos déclarations, « kann davon ausgegangen werden, dass er auch über ein Visum D oder einen Aufenthaltstitel verfügt ».
Monsieur, vous signalez auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes être de nationalité biélorusse, de confession orthodoxe, être marié et originaire de …, où vous auriez vécu avec votre épouse dans sa maison et dernièrement travaillé dans le centre de divertissement « (BB) ». Vous seriez un personnage connu chez vous et auriez été le propriétaire d’un club de nuit « (CC) » et d’un café, vous auriez organisé des mariages, vous auriez mis en location un complexe de tennis et de ski nautique et vous auriez possédé plusieurs maisons ou appartements dans différentes villes que vous auriez également mis en location. Vous seriez à la recherche d’une protection internationale parce que vous craindriez d’être condamné en Biélorussie à une peine de prison dépassant les dix ans, pour être accusé d’être le « Helfer des grössten Oppositionspolitikers » (p. 4 du rapport d’entretien).
Vous prétendez qu’en octobre 2020, après être retourné en Biélorussie de vos vacances en Thaïlande, vous auriez été en train de faire du jogging dans la forêt avec votre ami, lorsque vous auriez aperçu des personnes cagoulées et en uniforme, monter dans un minibus et partir.
Vous seriez par la suite passés à un endroit où vous auriez aperçu des centaines ou des milliers de passeports et « sonstige Dokumente » contenant le nom du Président de la Biélorussie, en train de brûler. Vous auriez continué votre exercice mais en revenant un peu plus tard au même endroit, vous auriez commencé à prendre en photo les restes des documents brûlés. A ce moment, ledit minibus serait réapparu et ses passagers auraient commencé à vous crier dessus. Votre ami se serait alors enfui tandis que vous seriez resté immobile et auriez immédiatement été arrêté. Vous auriez été menotté, emmené dans leur véhicule et interrogé quant à l’identité de votre ami joggeur. Vous auriez alors répondu que vous ne connaitriez pas cette personne. Vous auriez été amené à un commissariat de police et placé en détention préventive. Ensuite, vous auriez été interrogé quant aux raisons vous ayant poussé à prendre en photo lesdits documents, on aurait voulu savoir à qui vous les auriez envoyés et on aurait été « höchst daran interessiert, wer dieser Mann war der mich begleitete ». Vous auriez simplement répondu que vous auriez pris ces photos par curiosité, que vous ne les auriez envoyées à personne et que vous ne connaitriez pas la personne qui vous aurait accompagné.
Après une semaine, vous auriez été transféré vers la prison de …, où on vous aurait tout le temps posé les mêmes questions. Vous vous seriez tenu à votre version des faits. Après un certain temps, « stellten sie alles auf den Kopf » (p. 5 du rapport d’entretien) et vous auriez été accusé d’avoir brûlé les documents en question. Vous auriez également été accusé de faire partie de l’opposition et vous auriez alors compris qu’on essayerait de faire de vous un bouc émissaire dans le cadre des élections d’été 2020 dont les résultats auraient été falsifiées. Ainsi, vous seriez d’avis que les passeports brûlés auraient appartenu à des vieilles personnes ou des personnes inexistantes et que les autorités s’en seraient servies pour falsifier les élections.
A cela s’ajoute que les policiers auraient retrouvé des communications sur votre portable que vous auriez eues avec votre ami (D), qui serait le dirigeant d’un syndicat d’opposition et qui vous aurait envoyé des vidéos lorsque vous auriez été en Thaïlande, concernant les événements qui auraient eu lieu en Biélorussie en rapport avec les élections. Ainsi, les policiers vous auraient également reproché de faire partie de l’opposition, ce d’autant plus qu’ils auraient des communications que vous auriez eues avec votre ami (E) qui serait directeur adjoint de l’entreprise pétrolière « (II) », et dans lesquelles vous auriez critiqué le manque d’aide du gouvernement biélorusse dans le cadre des retours des citoyens biélorusses partis à l’étranger pendant la pandémie liée au Covid-19. Vous prétendez avoir directement écrit à la Première Ministre KOCHANOVA à travers (E) qui lui aurait transmis vos messages dans lesquels vous auriez exigé qu’elle fasse en sorte que le gouvernement envoie l’avion présidentiel en Thaïlande pour rapatrier les gens et que ces derniers soient transférés gratuitement ou à un prix abordable. Vous prétendez en outre avoir directement négocié avec la Première Ministre les conditions de prolongation de visas des Biélorusses se trouvant à l’étranger et lui avoir signalé qu’ils devraient au moins rapatrier les enfants et les femmes.
« Nach langem Schweigen », la Première Ministre vous aurait répondu qu’un avion serait envoyé à …, mais ce dernier ne serait jamais arrivé. Ensuite, vous auriez commencé à « das Ganze öffentlich zu tragen » (p. 7 du rapport d’entretien) et vous auriez écrit une lettre pour critiquer l’inaction des autorités biélorusses dans le cadre de ces rapatriements et des visas que vous auriez envoyée à « … », un site qui ferait plutôt partie de l’opposition. Ces communications auraient elles aussi été utilisées contre vous dans le cadre desdits interrogatoires. On aurait par ailleurs retrouvé sur votre portable des échanges que vous auriez eus avec (F), un blogueur et journaliste connu et avec (G), une connaissance qui aurait par le passé travaillé comme policier, qui ferait partie de l’opposition et qui vous aurait proposé de rejoindre son équipe autour du candidat BABARIKO, qui aurait par la suite été arrêté. Vous continuez vos dires en prétendant qu’un juge d’instruction vous aurait de surcroît reproché que les murs de votre club de nuit auraient été peints en blanc et en rouge, les couleurs de l’opposition, et que des drapeaux de même type auraient été dressés sur le balcon d’un appartement que vous auriez loué. Vous supposez que des agents de l’unité spéciale de la police se seraient introduits chez vous et auraient accroché ces drapeaux dans le but de de se munir de preuves permettant de vous mettre en lien avec l’opposition et de vous forcer ainsi à signer des documents concernant les accusations portées contre vous.
Vous prétendez en tout cas vous être trouvé en prison pendant six mois et qu’on vous aurait accusé d’avoir brûlé lesdits passeports, de faire partie de l’opposition en tant que membre de l’équipe de BABARIKO pour lequel vous auriez falsifié les élections, d’avoir critiqué le Président et d’« unter einer Decke zu stecken » (p. 8 du rapport d’entretien) avec votre ami, le champion olympique biélorusse Wadim DEWJATOWSKIJ, une figure publique et ancien homme politique, qui aurait fait partie du parti du Président, mais qui aurait depuis expliqué à un journaliste qu’il serait opposé à sa politique. Vous n’auriez toutefois pas commis les faits vous reprochés et vous ne seriez aucunement lié à l’opposition en Biélorussie.
Vous prétendez ensuite qu’on vous aurait de temps en temps remis votre portable pendant votre incarcération dans l’espoir que vous appelleriez votre ami joggeur que les autorités n’auraient toujours pas réussi à identifier ou retrouver. Etant donné que vous n’auriez pas divulgué le nom dudit joggeur, vous auriez alors été soumis à la torture, les mains menottées sur votre dos avant d’être soulevé avec une corde. Vous auriez aussi été « brutal gebogen und gezerrt » (p. 8 du rapport d’entretien) au niveau des mains, jusqu’à perdre conscience. Vous prétendez par ailleurs que votre avocat commis d’office ne vous aurait pas correctement aidé et qu’il aurait travaillé pour la police ou les services secrets. Vous auriez alors appelé un collègue de travail pour qu’il vous trouve un avocat, mais ce dernier ne vous aurait jamais été présenté. A cause des mauvaises conditions d’incarcération, vous auriez plusieurs fois dû être transféré dans l’hôpital de la prison, la dernière fois en mars 2021. Cette partie aurait été surveillée par « einen Aufseher » (p. 8 du rapport d’entretien), une personne qui serait également originaire de …, qui vous aurait connu et à qui vous auriez expliqué que vous voudriez vous enfuir et qu’il devrait penser à un prix pour vous rendre cette « Dienstleistung ». Vous prétendez que votre collègue de travail lui aurait alors versé la somme de 70.000.- euros. Ce surveillant, dont vous supposez qu’il ferait parti de l’unité spéciale de la police, vous aurait alors escorté à l’extérieur où un taxi vous aurait attendu et lequel vous aurait immédiatement amené chez votre cousine à …. Vous auriez initialement voulu y rejoindre votre ami (H), alors qu’« Ich ahnte, dass meine Frau sich bei ihm befindet » (p. 8 du rapport d’entretien), mais vous auriez finalement eu peur d’être suivi par les autorités.
Vous auriez alors rejoint ledit (H) le lendemain pour lui demander son aide. Après deux ou trois jours, « tout » aurait été réglé et vous auriez quitté la Biélorussie à bord d’un camion.
Vous ajoutez qu’après votre départ, votre voisine vous aurait informé que des personnes sonneraient de temps en temps à votre porte et vous supposez que des personnes auraient été envoyées chez vous, déguisées en travailleurs et que « mit Hilfe von Montageseilen, die am Dach befestigt waren, sich auf die Höhe meiner Fenster herabgeseilt haben » (p. 9 du rapport d’entretien). A cela s’ajoute que les directeurs de la société « (HH) » à …, que vous connaitriez aussi et auxquelles vous loueriez deux maisons pour leurs employés, auraient tous été arrêtés et se trouveraient toujours en détention. Vous supposeriez que cet incident serait lié à vos problèmes.
Contrairement à vos explications données auprès de la Police Judiciaire, vous prétendez désormais n’avoir eu aucune idée dudit ticket d’avion en direction d’… jusqu’à ce que vous avez été confronté au Luxembourg à ce sujet. Selon cette version, comme d’habitude, votre épouse se serait occupée seule de cette histoire de ticket d’avion, probablement dans l’espoir que vous seriez libéré et que vous pourriez quitter le pays ensemble. Vous ne pourriez rien dire de plus alors que « es war ähnlich wie mit dem Visum. Wir sind so viel gereist und einige Tickets sind auch verloren gegangen. lch kann ihnen da wirklich keine Angaben geben » (p. 4 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Dans ce contexte, vous seriez en outre d’avis que votre épouse aurait été en possession d’un visa pour la Pologne « zwecks shopping » (p. 4 du rapport d’entretien), mais que finalement, elle n’y aurait jamais été.
Madame, vous signalez être de nationalité ukrainienne et avoir vécu en Ukraine jusqu’en 2010, avant de vous marier et de vous installer en Biélorussie. Vous confirmez n’avoir connu aucun problème en Ukraine (p. 3 du rapport d’entretien complémentaire). Vous confirmez les dires de votre époux dans les grandes lignes. Vous prétendez toutefois que vous seriez partis ensemble depuis … vers … (p. 4 du rapport d’entretien), tout en prétendant à la page suivante de votre entretien que vous auriez rejoint votre époux à …. Vous prétendez en outre n’avoir eu aucun contact avec votre époux pendant son incarcération. Ainsi, vous auriez initialement lancé un appel de recherche auprès de la police laquelle vous aurait expliqué qu’elle ne saurait pas où il se trouverait. Vous auriez alors constamment appelé les policiers qui vous auraient finalement confirmé que votre époux se trouverait auprès d’eux. Ils vous auraient prié de leur amener toutes vos « Unterlagen » et celles de votre époux en promettant de vous envoyer une invitation pour venir lui rendre visite. Vous auriez remis les documents, respectivement, les passeports demandés, mais vous n’auriez jamais reçu d’invitation. Vous prétendez en outre que pendant cette même période, vous seriez partie vivre chez votre belle-mère et que votre voisine vous aurait informée que des policiers seraient venus chez vous à plusieurs reprises pendant votre absence. Vous supposez qu’ils vous auraient également voulu arrêter pour pouvoir exercer de la pression sur votre époux. Vous prétendez ensuite qu’en décembre 2020, vous auriez reçu une convocation pour vous présenter à la « Migrationsbehörde » et vous supposez qu’il aurait pu s’agir d’une tentative de vous éloigner du territoire biélorusse ou d’une menace alors que cette administration vous aurait déjà dans le passé mise en garde que vous risqueriez de perdre votre « nationalité » (p. 10 de votre rapport d’entretien, Madame) si vous vous rendiez coupable d’une infraction.
En janvier 2021, vous auriez quitté … et vous vous seriez installée chez des connaissances à … Le 22 mars 2021, vous y auriez rejoint votre époux qui ne vous aurait rien raconté quant aux raisons de son absence, respectivement des raisons qui l’auraient amené en prison ni quant aux circonstances de sa libération (p. 5 du rapport d’entretien). Vous changez ensuite de propos alors qu’à la page suivante de votre entretien, vous affirmez le contraire en prétendant qu’il vous aurait mise au courant de son arrestation, ainsi que de sa fuite de la prison. Votre époux se serait en outre occupé de votre départ et aurait décidé tout seul que vous viendriez introduire des demandes de protection internationale au Luxembourg.
Vous n’auriez pas demandé d’explications à ce sujet (p. 3 du rapport d’entretien complémentaire). Vous n’auriez par ailleurs pas envisagé de vous installer en Ukraine avec votre époux alors que vous auriez investi beaucoup d’argent en Biélorussie et que vous n’auriez pas tout simplement pu y abandonner toutes vos activités, alors que votre époux serait quelqu’un de connu chez lui tandis qu’il ne serait « personne » (p. 3 du rapport d’entretien complémentaire) en Ukraine. A cela s’ajoute que votre mère habiterait en « zone grise » en Ukraine et aurait été obligée pendant quelque temps d’aller vivre en Russie à cause de la « guerre », tandis que la maison de votre sœur aurait été détruite. Vous n’auriez pas pu vous installer ailleurs en Ukraine alors que vous n’y connaitriez personne. En plus, « die allgemeine Situation ist sowieso recht kompliziert » (p. 3 du rapport d’entretien complémentaire) et votre époux ne parlerait pas l’ukrainien de sorte qu’il ne s’y verrait même pas vendre du pain. Les personnes parlant le russe seraient en outre dévisagées en Ukraine et votre époux, refusant d’apprendre l’ukrainien, s’y trouverait en « Lebensgefahr » (p. 4 du rapport d’entretien complémentaire). Vous prétendez finalement ne pas avoir pu vous y réfugier avec votre époux parce qu’« Es lag an den Papieren, die wir nicht hatten » (p. 4 du rapport d’entretien complémentaire).
Vous présentez les documents suivants :
− Des photos qui montreraient des passeports brûlés et des documents contenant le mot « Lukaschenko ». Vous prétendez que ces photos vous auraient été envoyées par votre ami joggeur qui serait toujours en cavale et qui serait retourné sur les lieux, voire, qui y aurait envoyé ses enfants pour prendre des photos et récupérer des « preuves » ;
− des copies de deux pages de vos deux passeports. Madame, vous précisez dans ce contexte que l’idée ne vous serait jamais venue en tête de demander un nouveau passeport auprès d’une ambassade ukrainienne, après que le vôtre vous aurait été confisqué en Biélorussie alors que vous auriez espéré jusqu’à la fin de vous le voir remettre ;
− une copie de votre acte de mariage.
1. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Madame, Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes:
En effet, il s’avère que votre parcours précédant votre arrivée au Luxembourg n’est nullement établi et ne paraît manifestement pas être celui que vous voulez faire croire aux autorités luxembourgeoises. Ainsi, alors que vous prétendez avoir « fui » la Biélorussie en mars 2021, à bord d’un camion qui vous aurait directement amenés au Luxembourg, je ne peux que confirmer la conclusion de la Police Judiciaire, qui, au vu des informations retrouvées sur votre portable, combiné à vos réponses non sincères et manifestement contradictoires et au fait que vous avez caché vos visas aux autorités luxembourgeoises, a évidemment déduit que vous ne jouez pas franc jeu et que votre sincérité doit être mise en cause.
Il est ainsi évident que votre vécu précédant votre arrivée au Luxembourg n’a nullement été celui que vous voulez faire croire, au vu de vos réponses incohérentes que vous donnez dans ce contexte. Monsieur, vous confirmez initialement avoir possédé un ticket d’avion pour un vol vers … en février 2021, alors que des amis vous l’auraient acheté « damit ich flüchten kann ». Ces amis auraient d’ailleurs été d’avis que vous pourriez entamer cette « fuite » après que les autorités biélorusses vous auraient rendu votre passeport. A part le fait qu’il ne fait évidemment aucun sens qu’on vous remette votre passeport dans le cadre d’une prétendue « fuite » de prison et puis d’une « fuite » de la Biélorussie, je constate aussi que vous changez par la suite totalement de version en prétendant n’avoir eu aucune idée de l’existence de ce ticket d’avion jusqu’à votre arrivée au Luxembourg et que ce serait votre épouse qui aurait acheté le ticket en question et non plus vos amis. Vous précisez encore que vous ne pourriez rien dire de plus alors qu’« es war ähnlich wie mit dem Visum. Wir sind so viel gereist und einige Tickets sind auch verloren gegangen. Ich kann ihnen da wirklich keine Angaben geben », une excuse qui ne permet manifestement pas de donner plus de poids à vos dires; bien au contraire, elle démontre encore davantage que vous avez manifestement entamé des voyages dans l’Union européenne avant votre arrivée au Luxembourg et que vous avez possédé des visas vous permettant de voyager, de séjourner et de travailler dans des pays européens.
Ce constat vaut d’autant plus que vous, Madame, avez également décidé de mentir par rapport à ce ticket d’avion de février 2021, en prétendant d’abord que vous avez possédé ce ticket parce que vous auriez été en vacances en Thaïlande et que vous seriez rentrée en Biélorussie via …. Informée par la Police Judiciaire que votre version des faits était manifestement impossible alors que le vol en question reliait … à … et non pas le contraire et qu’en plus ledit vol est daté à février 2021 alors que vous auriez été en vacances en été 2020, vous changez de version en prétendant alors avoir acheté ce ticket d’avion, tout en vous étant prétendument fait confisquer votre passeport et celui de votre époux, dans l’espoir que ce dernier serait jusque-là sorti de prison et que vous pourriez alors quitter le pays ensemble, une justification tout aussi peu crédible que plausible. Votre comportement et vos tentatives de justification dans ce contexte démontrent en tout cas que vous n’êtes pas sincères et que vous tentez manifestement de cacher votre véritable vécu et les lieux où vous auriez vécu et travaillé avant de vous décider à venir introduire des demandes de protection internationale au Luxembourg.
J’ajoute pour être complet à ce sujet que vos explications, Madame, concernant votre visa polonais sont également à rejeter. En effet, vous prétendez avoir demandé ce visa de travail dans l’espoir de partir travailler en Pologne et ainsi faire sortir votre époux de prison.
Or, je soulève que cette explication est non seulement dénuée de tout sens alors qu’un travail en Pologne n’est pas lié à une peine de prison en Biélorussie, mais qu’en plus, votre visa polonais était valable du … mars 2021 au … septembre 2021, c’est-à-dire, postérieur à la prétendue « fuite » de prison de votre époux. Monsieur, le fait que vous auriez dans ce contexte estimé que votre épouse aurait possédé ce visa de travail longue durée pour la Pologne « zwecks shopping » est évidemment à considérer comme une nouvelle tentative de justification manifestement non convaincante exposée dans le seul but de cacher aux autorités luxembourgeoises votre vécu avant votre arrivée au Luxembourg. Je rappelle que ce dernier constat est encore renforcé par ce visa supplémentaire découvert par la Police Judiciaire sur votre portable, Madame, et que vous avez également caché aux autorités luxembourgeoises.
Enfin, le fait que votre plan de « fuite » aurait consisté dans le fait de demander et d’avoir obtenu des visas pour ainsi traverser la frontière de manière officielle, constitue un dernier élément sans aucune logique ressortant de vos dires en rapport avec ces visas et tickets d’avion.
Madame, Monsieur, le constat que la sincérité de vos propos est à réfuter est encore consolidé par d’autres incohérences et contradictions ressortant de vos dires. Ainsi, je soulève tout d’abord, Monsieur, que vos explications selon lesquelles les autorités prisonnières vous auraient régulièrement rendu votre portable pendant votre incarcération dans l’espoir que vous appelleriez ce joggeur qui serait recherché par les autorités biélorusses frôlent le ridicule. Il est en effet exclu que les prisonniers en Biélorussie se fassent remettre leurs portables en cellule où ils pourraient alors documenter tout ce qui leur arrive, appeler des gens à l’extérieur ou leur envoyer des images et des vidéos, ce d’autant plus quand il s’agirait, comme dans votre cas, de prisonniers accusés de faire partie de l’opposition et d’avoir des liens privilégiés avec tout un tas de personnes bien placées, bien connues et réputées pour appartenir à l’opposition.
Madame, je soulève ensuite que dans le cadre de cette prétendue incarcération de votre conjoint, vous expliquez ne pas avoir été en contact avec lui, tandis que vous, Monsieur, précisez justement avoir pu régulièrement téléphoner à votre épouse grâce à ce portable qui vous aurait été remis en cellule.
Madame, vous prétendez d’ailleurs aussi que votre époux ne vous aurait rien raconté quant aux raisons de son absence, respectivement des raisons qui l’auraient amené en prison ni quant aux circonstances de sa libération (p. 5 du rapport d’entretien). Or, je constate qu’une page plus loin dans votre entretien, vous dites le contraire, en précisant qu’il vous aurait mise au courant de son arrestation, ainsi que de sa fuite de la prison.
Je note en outre, Madame, qu’il n’est clairement pas possible non plus que les autorités biélorusses vous aient menacée, respectivement, mise en garde de vous enlever votre nationalité si vous vous rendiez coupable d’infractions. En effet, étant donné que vous seriez de nationalité ukrainienne, les autorités biélorusses n’ont évidemment aucune main mise sur votre nationalité, respectivement, sur la possibilité de vous déchoir de votre nationalité.
Monsieur, je soulève ensuite vos explications absolument non plausibles tournant autour du fait que les autorités biélorusses auraient absolument voulu vous relier à l’opposition biélorusse en plaçant des « preuves » chez vous. En effet, vous arguez que des prétendus agents de la police, déguisés en travailleurs, seraient descendus avec des cordes au niveau des fenêtres de votre maison et que des agents de l’unité spéciale se seraient introduits chez vous pour placer des drapeaux interdits de l’opposition sur votre balcon. Hormis le caractère rocambolesque et clairement non plausible de vos déclarations, je m’interroge surtout sur les raisons qu’auraient pu avoir les autorités biélorusses de faire tant d’efforts et se faire tant de peines dans le seul but de pouvoir vous relier, un simple citoyen sans précédents apparents, à l’opposition politique. En effet, étant donné que les autorités vous auraient de toute façon déjà arrêté et qu’il ressort des informations en mes mains qu’elles ont recours à des arrestations et condamnations d’activistes et d’opposants politiques supposés, je me demande qu’est-ce qui aurait bien pu les empêcher de tout simplement vous condamner vous aussi à une peine de prison si tel avait été leur but et ce même sans descendre avec des cordes devant la façade de votre maison ou de placer des drapeaux interdits sur votre balcon, respectivement sans posséder des preuves physiques en formes de petits drapeaux rouges et blancs.
Les autorités biélorusses, à supposer qu’elles aient vraiment voulu vous accuser de faire partie de l’opposition, vous auraient tout simplement arrêté et condamné à une peine de prison pour faire partie de l’opposition et n’auraient certainement pas eu besoin de retrouver chez vous des drapeaux interdits. Ce constat vaut d’autant plus qu’elles auraient donc trouvé sur votre portable une multitude de preuves tangibles, démontrant que vous auriez été en contact avec de nombreux personnages issus du monde de la politique, de l’opposition, des syndicats, du monde des affaires et que vous auriez même publié une lettre critique envers le gouvernement sur un site internet qui appartiendrait à l’opposition. A supposer que ces faits soient réels, ce qui n’est clairement pas le cas, les autorités biélorusses auraient en tout cas eu assez de raison de réellement vous accuser.
En outre, Monsieur, je constate que la base-même de vos prétendus problèmes en Biélorussie, à savoir le fait que vous ayez été arrêté en forêt pour avoir pris en photo des documents brûlés, n’est manifestement pas crédible non plus. En effet, je me demande tout d’abord pourquoi bien les autorités biélorusses s’amuseraient à brûler des passeports de vieilles personnes biélorusses ou de personnes inexistantes, tout comme je m’interroge sur le lien entre des passeports de vieilles personnes et des élections prétendument falsifiées. A cela s’ajoute qu’il n’est manifestement pas crédible non plus que les autorités biélorusses dans leur prétendue tentative de cacher une fraude électorale en brûlant des passeports, décident de ne pas faire cela en cachette, respectivement dans un lieu appartenant aux régime biélorusse, mais de se déplacer en cagoule, en uniforme et en camionnette avec ces documents compromettants vers un lieu public et accessible à tous pour les y brûler. De nouveau, je me demande pourquoi les autorités biélorusses auraient besoin d’organiser un tel scénario et de se faire de telles peines dans le seul but de faire disparaître des documents.
Les constats susmentionnés ne sauraient manifestement pas non plus être ébranlés par les copies de photos que vous avez versées. En effet, ces photos prises à une date inconnue, sur un lieu inconnu et par une personne inconnue, ne constituent en rien une preuve à vos dires, mais montrent uniquement les restes ou les cendres d’un petit feu qui aurait brûlé dans un clairière d’une forêt et les restes brûlés de documents illisibles en langue cyrillique. Il est d’ailleurs encore plus improbable de lire que vous seriez en possession de ces photos parce que votre ami joggeur vous les aurait envoyées après être retourné sur les lieux, voire, après avoir envoyé ses enfants sur les lieux. En effet, d’un côté cela voudrait donc dire que les autorités biélorusses auraient laissé toutes ces « preuves » sur place, même après avoir compris que leur prétendu lieu de destruction de preuves en rapport avec des élections falsifiées aurait été découvert par des civils, mais encore que votre ami en cavale, qui serait activement recherché par les autorités biélorusses, y serait tout simplement retourné - ou aurait jugé bon d’envoyer ses enfants au lieu même où vous auriez tous les deux été découverts, respectivement, où vous auriez été arrêté.
Je soulève encore qu’il n’est clairement pas plausible non plus que les autorités biélorusses aient voulu vous transformer en « bouc émissaire » en rapport avec les élections prétendument falsifiées de 2020. En effet, c’est bien l’opposition biélorusse qui crie au scandale et manifeste justement contre des élections falsifiées alors que les autorités biélorusses parlent évidemment d’élections justes et de résultats officiels. Il ne fait par conséquent aucun sens qu’elles aient en même temps voulu se servir de vous pour démontrer que les résultats des élections auraient effectivement été falsifiés, respectivement, que les autorités aient eu besoin d’un bouc-émissaire pour le présenter en quelque sorte au peuple et ainsi se dédouaner des résultats falsifiés des élections.
Ensuite, je soulève évidemment aussi qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée au fait que vous auriez personnellement discuté, voire, négocié avec la Première ministre de la Biélorussie à travers des messages que vous vous seriez entre-changés par le biais d’un ami qui vous aurait mis en relation.
Enfin, je note que votre version, Monsieur, concernant votre prétendue fuite de la prison n’est clairement pas crédible non plus, alors que selon vos dires, une seule garde serait apparemment en charge de surveiller l’ensemble des prisonniers qui auraient été placés dans l’hôpital de la prison. Or, sur base de considérations évidentes concernant la sécurité de tous les employés et personnes présentes dans cet hôpital, il semble évident qu’un nombre beaucoup plus important de gardes serait utilisé. Comme par pur hasard, cet unique gardien présent dans l’hôpital de la prison vous aurait directement reconnu alors qu’il serait lui aussi originaire de …, une ville de quelques cent-mille habitants et aurait même tout de suite été prêt à vous aider en vous permettant de « fuir » la prison en taxi, en s’en moquant apparemment des risques encourus et des peines auxquelles il risquerait forcément d’être condamné pour avoir facilité la fuite d’un « Helfer des grössten Oppositionspolitikers ». Vous n’êtes d’ailleurs pas non plus en mesure d’expliquer comment le transfert d’une telle somme d’argent aurait été organisé à part de parler d’une tierce personne qui aurait été impliquée, mais « Die Einzelheiten sind mir allerdings nicht bekannt » (p. 14 de votre rapport d’entretien, Monsieur).
Au vu de tout ce qui précède, il est évident que votre sincérité et par conséquent aussi l’ensemble de vos prétendus problèmes en Biélorussie doivent être réfutés. En effet, il en est déduit que vous n’avez nullement vécu les problèmes mentionnés en Biélorussie, qu’il n’est nullement retenu que vous ayez même vécu en Biélorussie avant votre arrivée au Luxembourg et que vous avez clairement fait état d’un récit inventé de toutes pièces, en tentant de manière manifestement pas convaincante de vous servir des récents événements politiques et de la répression étatique en Biélorussie envers des vrais activistes et opposants politiques, dans le but évident d’augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale.
Ce constat est d’ailleurs confirmé par le fait que vous n’êtes pas en mesure de fournir la moindre preuve pour corroborer ne serait-ce qu’une partie de vos dires. En effet, à part les photos susmentionnées qui ne sauraient manifestement pas valoir comme preuve pour ne rien montrer de concret et pour pouvoir avoir été prises à n’importe quel endroit, n’importe quel moment et par n’importe quelle personne, vous êtes étonnement restés en défaut de fournir des preuves quelconques à vos dires, ni même à votre seul prétendu séjour en Biélorussie fin 2020 ou début 2021.
Je soutiens toutefois qu’une personne est normalement en mesure de présenter des preuves démontrant un lien avec son pays d’origine et sa vie quotidienne, sa vie familiale, sa vie professionnelle, ses prétendus problèmes avec la police ou la justice ou ne serait-ce que des pièces susceptibles de démonter le seul fait que vous auriez effectivement vécu en Biélorussie depuis vos vacances en Thaïlande en été 2020. Vous n’êtes par ailleurs même pas en mesure de prouver votre identité par une quelconque pièce, ni même votre nationalité. Or, Monsieur, dans la mesure où votre mère, votre sœur, votre ami à … et d’autres connaissances bien placées et connues séjourneraient toujours en Biélorussie, et que vous seriez carrément en lien avec la Première Ministre, il ne devrait pas constituer dans votre chef une impossibilité insurmontable de soumettre aux autorités des pièces probantes sur votre identité, votre vie professionnelle, voire simplement votre vie au quotidien dans votre pays d’origine depuis l’automne 2020.
Ce constat vaut d’autant plus, Monsieur, que vous prétendez avoir été un homme très connu dans votre ville en tant que propriétaire d’un club de nuit et d’un café, organisateur de mariages, propriétaire de résidences dans différentes villes mises en location à des grandes entreprises pour leurs employés ou encore propriétaire d’un complexe de tennis et de ski nautique que vous auriez mis en location, de sorte que vous devriez être en mesure de verser des quelconques pièces pour soutenir vos dires. Vous prétendez par ailleurs avoir décidé de « das Ganze öffentlich zu tragen » (p. 7 du rapport d’entretien) en prétendant avoir publiquement critiqué le gouvernement, respectivement d’avoir publié un texte critique envers le gouvernement sur un site internet qui appartiendrait à l’opposition après vos prétendues négociations infructueuses, mais là encore vous restez en défaut de corroborer ces allégations par une quelconque preuve. Vous restez pareillement en défaut de prouver un quelconque lien personnel que vous auriez partagé avec un dénommé, (F), qui serait un blogueur et journaliste connu, avec (G), une connaissance qui aurait par le passé travaillé comme policier, qui ferait partie de l’opposition et qui vous aurait proposé de rejoindre son équipe autour du candidat BABARIKO, le champion olympique Wadim DEWJATOWSKIJ ou toute autre personne nommée dans cette panoplies de personnes biélorusses que vous citez dans le but de rendre votre récit plus authentique, respectivement, de le relier à des événements et des personnes réels pour le rendre plus important et dramatique.
Au vu de votre prétendu vécu, de votre prétendu standing en Biélorussie et de vos prétendues connaissances, il est en effet impossible que vous ne soyez pas en mesure d’en corroborer la moindre infime partie de vos dires. Ce dernier constat vaut aussi pour la prétendue torture à laquelle vous auriez été exposée pendant votre prétendue incarcération.
A supposer que vous ayez effectivement vécu les actes de torture mentionnés, ce qui n’est pas le cas, votre corps devrait manifestement en porter des séquelles et vous seriez clairement en mesure de faire certifier ces actes de torture et les blessures subies, ce d’autant plus que vous seriez donc immédiatement arrivé au Luxembourg après votre prétendu transfert dans l’hôpital de la prison.
Dans la mesure où votre sincérité est irrémédiablement compromise, aucune suite favorable à vos demandes de protection internationale ne saurait être envisagée.
Je soulève que cette conclusion se réfère clairement aussi par rapport au pays dont vous, Madame, possédez la nationalité et qui est l’Ukraine.
En effet, hormis le fait que vous confirmez ne pas avoir connu le moindre problème en Ukraine, je soulève surtout que vos réponses censées expliquer votre choix de ne pas vous installer dans votre pays d’origine à un quelconque moment, ni même après votre départ de la Biélorussie, n’emportent, elles non plus, pas conviction. Ainsi, vous justifiez d’abord votre choix de ne pas vous installer avec votre époux en Ukraine par le fait que vous auriez trop investi d’argent en Biélorussie. Or, en même temps, vous avez pourtant pris le choix de venir introduire des demandes de protection internationale au Luxembourg, en abandonnant pareillement tout dans lequel vous auriez investi en Biélorussie. Vous prétendez en outre, Madame, que vous n’auriez pas tout simplement pu abandonner toutes vos activités en Biélorussie puisque votre époux y serait quelqu’un de « connu », tandis qu’il ne serait « personne » en Ukraine. C’est pourtant exactement ce que vous avez fait en venant au Luxembourg, où votre époux n’est pas quelqu’un de connu non plus. Enfin, vous prétendez que vous n’auriez pas pu vous installer en Ukraine avec votre époux par manque de papiers, une excuse qui doit manifestement de nouveau être réfutée au vu de toutes les informations et constats susmentionnés faisant clairement état de voyages et de demandes de visas que vous auriez uniquement pu entreprendre et effectuer moyennant des pièces d’identité. A cela s’ajoute, Madame, que vous seriez donc à tout moment libre de signaler la prétendue perte de votre passeport aux autorités ukrainiennes et de vous faire remettre des nouvelles pièces d’identité.
Quoi qu’il en soit, il est établi que vous n’auriez pas connu le moindre souci en Ukraine et vous ne faites pas état du moindre risque d’y être persécutée, voire d’y subir une atteinte grave, de sorte que l’octroi d’une protection internationale ne saurait manifestement pas non plus être justifié dans votre chef. Ce constat ne saurait pas être ébranlé par le fait, Madame, que vous ne pourriez plus vous installer dans la maison de votre mère ou de votre soeur à cause de la « guerre », que vous ne connaitriez personne ailleurs en Ukraine, que la situation générale serait « sowieso recht kompliziert » ou que votre époux ne parlerait pas l’ukrainien de sorte qu’il serait dévisagé en Ukraine et s’y trouverait en « Lebensgefahr ». En effet, vous ne mentionnez pas le moindre problème ou ne serait-ce que souci personnel que vous auriez connu en Ukraine dans le cadre de cette situation générale compliquée et vos prétendues craintes concernant l’utilisation du russe par votre époux sont à définir comme étant totalement non fondées et exagérées, voire, inventées.
Vos demandes de protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Biélorussie, de l’Ukraine ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2022, les consorts (A) introduisirent un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 9 décembre 2021 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Dans son jugement du 7 octobre 2024, le tribunal constata en premier lieu qu’à l’audience publique des plaidoiries du 23 mai 2024 et sur question afférente du tribunal, Maître Louis TINTI avait demandé acte du désistement de Madame (A2) du prédit recours pour autant qu’introduit en son nom, dans la mesure où elle s’était vu octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire en date du 29 février 2024. Le tribunal donna dès lors acte à Madame (A2) de son désistement. Pour le surplus, le tribunal administratif reçut le recours en réformation au nom de Monsieur (A1) en la forme, au fond le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en le condamnant aux frais de l’instance.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 4 novembre 2024, Monsieur (A1) a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Moyens des parties A l’appui de son appel, il réitère en substance l’exposé des faits qui l’auraient poussé à quitter la Biélorussie, son pays d’origine. Il rappelle qu’il y aurait exploité plusieurs activités de divertissement, qu’il ne présenterait aucune difficulté financière et qu’il y aurait vécu paisiblement tout en disposant de la faculté de se rendre régulièrement à l’étranger comme en témoigneraient de précédents visas pour partie renseignés dans son dossier administratif. Il soutient qu’il aurait clandestinement quitté la Biélorussie le … mars 2021 après s’être évadé de prison grâce à la complicité d’un gardien et moyennant une somme de 70.000 euros qui aurait été versée par l’un de ses amis. L’appelant fait valoir qu’il aurait été incarcéré pendant six mois. Son arrestation serait due à ce qu’il aurait été témoin, durant un jogging avec un ami, d’une scène au cours de laquelle des hommes cagoulés et en uniforme étaient en train de brûler des documents en pleine forêt. Il soutient qu’il s’agirait de documents d’identités utilisés par les autorités de son pays pour procéder à des fraudes électorales en août 2020 et ainsi permettre la réélection du président sortant. Durant la période d’incarcération, il aurait fait l’objet de tortures et se serait vu accusé d’être à l’origine de la destruction desdits documents qui auraient été utilisés par l’opposition au régime en place et dont il ferait partie en raison de ses relations avec un opposant politique et de ses critiques à l’égard du Président LUKASCHENKO.
Au soutien de sa demande de protection internationale, il rappelle avoir transmis au ministère, le 7 septembre 2022, un document faisant état d’une procédure de mise en examen dans son chef décidée par un juge d’instruction biélorusse pour commission de crime prévu par le « p. 1 de l’art 357 » du Code pénal de la république du Bélarus et sur la base des faits précédemment évoqués ainsi que de sa qualité d’assistant et de sponsor d’un dirigeant d’un comité de grève qui serait également à la tête du Parti du front populaire biélorusse. Il soutient que ce document, dont l’authenticité n’aurait pas été remise en cause par le ministère, serait la démonstration de l’existence d’un dossier répressif à son égard dans le seul but de le réduire au silence et qu’à l’appui de sa demande de protection internationale, il n’aurait jamais fait état d’une quelconque participation aux activités dudit parti alors même qu’il évoque des persécutions à caractère politique dans son pays d’origine.
En droit, Monsieur (A1) reproche aux premiers juges d’avoir retenu un manque de crédibilité de son récit et d’avoir considéré à tort, sans examiner plus avant sa demande, que les conditions d’octroi d’une protection internationale ne seraient pas remplies dans son chef.
A cet égard, il se prévaut notamment d’un jugement du tribunal administratif du 17 septembre 2019 (n° 41029 du rôle) et soutient que dans la mesure où l’autorité ministérielle a rejeté sa demande de protection internationale sur base de la seule considération tenant au manque de crédibilité de son récit, il conviendrait d’annuler la décision ministérielle litigieuse et de renvoyer le dossier au ministre compétent en prosécution de cause.
S’agissant des explications qu’il a fournies concernant l’absence de précautions prises par les autorités biélorusses lors de la destruction des documents d’identité, l’appelant reproche au tribunal de retenir dans son chef la production de détails insuffisants et d’exiger de lui une appréciation subjective consistant à interpréter la volonté d’autrui et, partant, à exiger une preuve qu’il ne pourrait pas fournir.
Pour les mêmes raisons, tenant au contexte et au fait qu’il ne pourrait qu’émettre des suppositions à l’égard du comportement des autorités, il estime exagéré de la part des premiers juges de mettre en cause le caractère convaincant des explications fournies par lui quant au fait que les autorités n’aient pas immédiatement rassemblé le restant des documents brulés afin d’éviter d’autres témoins, au lieu de les abandonner sur place et permettant ainsi à son ami joggeur de revenir une nouvelle fois sur les lieux pour en faire des photographies. Il souligne que l’impunité dont jouiraient les agents servant le régime en place suffirait à constituer une explication crédible.
Il déplore ensuite que les premiers juges lui fassent grief de son silence quant au fait que son ami joggeur ait décidé de retourner sur les lieux et même d’y avoir envoyé ses enfants pour prendre des photographies des documents brûlés malgré la conscience du risque ainsi encouru. L’appelant soutient qu’il ne lui appartiendrait ni d’apprécier ni d’expliquer les motivations de son ami mais rappelle que le contexte politique en Biélorussie pourrait expliquer que des citoyens concernés par la « chose publique » puissent décider d’agir de la sorte et de prendre de tels risques.
L’appelant fait également mention de ce que le tribunal, en remettant en cause la possibilité de déduire des photographies versées au dossier tant le lieu que la date des évènements en cause, aurait exigé de lui, de façon excessive, l’établissement d’une preuve qui ne pourrait être fournie à l’aune de la dangerosité du contexte des faits.
Il soulève également que le comportement des autorités, notamment en lui remettant un téléphone portable durant son incarcération, visait précisément à pouvoir retrouver son ami joggeur à l’origine des photographies et que la disparition de toutes traces de communication entre ce dernier et lui s’expliquerait par des raisons de sécurité.
Monsieur (A1) conteste encore que les premiers juges aient pu retenir dans son chef l’absence d’argumentation quant à l’intérêt que pourraient avoir les autorités biélorusses à prétendre que les élections présidentielles de 2020 auraient fait l’objet de fraudes dans la mesure où le Président sortant a été réélu. A contrario, l’appelant soutient qu’il aurait mis à jour l’un des moyens frauduleux ayant permis la réélection du Président et que cela expliquerait les accusations dont il aurait fait l’objet et, partant, la volonté des autorités d’accumuler des charges à son encontre en lui prêtant un certain activisme politique, la pièce transmise le 7 septembre 2022 au soutien de sa demande de protection internationale corroborant son analyse. A l’appui de son argumentation, il se prévaut d’une résolution du Parlement européen du 19 mai 2022 selon laquelle les autorités et plus particulièrement l’appareil judiciaire biélorusse auraient fréquemment recours à des poursuites pénales afin de réprimer les droits et libertés des citoyens, notamment grâce à des preuves fabriquées de toute pièce et ne faisant pas l’objet d’une évaluation critique objective.
L’appelant reproche, en outre, au tribunal de ne pas avoir suffisamment pris en considération sa volonté de ne pas inquiéter son épouse quant à la réalité de sa situation en Biélorussie, de sorte qu’ils n’auraient que très peu communiqué ensemble à ce sujet, ce qui expliquerait les divergences dans leurs déclarations respectives concernant tant le billet d’avion du … février 2021 à destination d’… que le visa polonais accordé à Madame (A2) valable pour la période du … au … 2021. Par ailleurs, il soutient que la cohérence globale de son récit ne devrait pas être mise à mal par certaines imprécisions dues à son état de fatigue lors de son entretien et ce notamment s’agissant de la question du nombre de gardiens dans l’hôpital de la prison où il était incarcéré.
Enfin, l’appelant fait grief aux premiers juges de ne pas avoir correctement évalué le bien-fondé de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié au regard des dispositions de l’article 37, paragraphe (5), de la loi modifiée du 18 décembre 2015 et met en avant qu’il devrait pouvoir bénéficier du doute dès lors que son récit pourrait être considéré comme crédible.
L’appelant conclut ainsi à la réformation du jugement entrepris dans le sens de l’annulation de la décision du 9 décembre 2021 et au renvoi de l’affaire devant le ministre actuellement compétent en prosécution de cause en vue de l’examen du bien-fondé de sa demande de protection internationale.
Le délégué du gouvernement, pour sa part, conclut en substance à la confirmation intégrale du jugement entrepris.
Analyse de la Cour La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub h), 2, sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’octroi d’une protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
Dans le cadre de l’examen au fond d’une demande de protection internationale, l’évaluation de la situation personnelle d’un demandeur d’asile ne se limite pas, tel que les premiers juges l’ont retenu à juste titre, à la pertinence des faits allégués, mais elle implique un examen et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’examen du bien-fondé de sa demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
A cet égard, comme souligné à bon escient par le tribunal, lorsque, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015 si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en la présente matière, d’une très grande importance puisqu’il est souvent impossible pour les demandeurs de protection internationale d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.
La Cour relève de prime abord que le ministre a limité son examen à la crédibilité du récit, cette approche n’étant pas critiquable en soi, sous réserve de l’examen du bienfondé de cette conclusion à opérer par la cour saisie du recours.
Néanmoins, en l’espèce, la Cour rejoint et fait sienne l’analyse détaillée et pertinente du ministre et des premiers juges qui les ont amenés à la conclusion que la crédibilité générale du récit de l’appelant est fondamentalement affectée par un certain nombre d’incohérences substantielles.
Tout d’abord, la Cour relève que l’appelant demeure dans l’incapacité de fournir des éléments cohérents et vraisemblables concernant les conditions et les circonstances de son itinéraire pour venir en Europe et partage le constat de la partie étatique que le parcours ayant précédé l’arrivée de l’appelant au Luxembourg n’est pas celui qu’il a voulu faire croire aux autorités luxembourgeoises à travers ses premières déclarations. En effet, ses déclarations restent contradictoires et insuffisamment étayées quant à l’origine du billet d’avion du … février 2021 réservé à son nom à destination d’… et trouvé sur le téléphone portable de son épouse. Ses affirmations quant aux précautions qu’il aurait prises pour préserver cette dernière concernant la gravité des faits qui lui seraient reprochés en Biélorussie ne peuvent pas fournir une explication plausible concernant une telle contradiction. Au demeurant, les déclarations que les consorts (A) ont respectivement faites se contredisent quant à la connaissance, au moins partielle, par Madame (A2) des évènements ayant conduit à leur départ précipité de Biélorussie. Le manque de cohérence globale des déclarations concernant l’itinéraire de l’appelant pour venir en Europe est encore conforté par le fait, non contesté par lui, que son épouse s’était vu délivrer un visa par la Pologne valable pour la période du … au … 2021 et que celle-ci a pu affirmer qu’elle l’avait sollicité afin de travailler en Pologne pour participer au financement du départ de son époux de Biélorussie.
La Cour rejoint également les premiers juges sur le constat de l’absence de crédibilité du récit de l’appelant selon lequel les autorités biélorusses, après avoir prétendument réalisé des fraudes dans le cadre des élections présidentielles de 2020, notamment en recourant à l’utilisation de faux documents d’identité ou de ceux de personnes âgées, auraient procédé à la destruction des preuves de cette manipulation électorale dans un lieu public.
L’argumentation de Monsieur (A1) consiste à rappeler une nouvelle fois l’impunité dont jouiraient les autorités pour procéder à de tels agissements sans prendre davantage de précautions. A l’instar du ministre, confirmé en cela par le tribunal, la Cour estime que l’appelant ne s’est pas montré convaincant lorsqu’il s’est limité à déclarer que les auteurs desdits actes auraient été masqués et qu’il s’agissait sans aucun doute possible de « Mitarbeiter der Spezialeinheiten » (page 5 du rapport d’entretien) agissant ainsi au profit et sous la complète protection des autorités en place. Par ailleurs, l’appelant se limite à soutenir que la grande quantité de documents qui auraient été brulés expliquerait le fait que cette destruction se soit réalisée en extérieur sans que cela ne puisse, pour autant, expliquer de façon crédible le caractère public du lieu en cause et le risque afférent d’être surpris par des témoins.
S’agissant des conditions même de réalisation des photographies des documents par l’ami joggeur de l’appelant, la Cour rejoint l’analyse du ministre, confirmée par les premiers juges, selon laquelle Monsieur (A1) reste dans l’incapacité d’apporter une explication crédible quant à l’abandon desdits documents par les autorités et se limitant à soutenir que les documents étaient déjà réduits, pour l’essentiel, à l’état de cendres. Le défaut de crédibilité est encore renforcé par la circonstance que les photos auraient été réalisées après que l’ami de l’appelant se soit enfui pour finalement revenir sur place, respectivement y aurait même envoyé ses enfants, et photographier le reste des documents brulés malgré le risque d’être surpris par les autorités. L’explication que l’engagement de certains citoyens biélorusses dans la contestation des résultats de la précédente élection présidentielle pourrait justifier de prendre de tels risques pour documenter les différentes formes de fraude électorale n’emporte pas, en l’espèce, l’adhésion de la Cour.
Par ailleurs, tout en prenant en considération la dangerosité alléguée du contexte dans lequel les photographies auraient été réalisées, en particulier le risque de répression à l’égard des opposants ou personnes y assimilées en Biélorussie, la Cour, à l’instar des premiers juges, que photographies n’étayant pas à suffisance la crédibilité du récit de l’appelant dans la mesure où elles ne permettent pas de fixer dans le temps les faits évoqués ni d’en déduire qu’il s’agit du lieu public en cause et que les copies fournies présentent des documents quasiment illisibles et en langue cyrillique.
La Cour constate encore, à la suite des premiers juges, que les doutes quant à la crédibilité du récit de l’appelant sont confortés par le fait qu’il n’apporte aucun élément crédible concernant l’intérêt du régime en place, d’une part, à prétendre à l’existence de fraudes électorales dans le cadre des élections présidentielles de 2020 dans la mesure où le parti au pouvoir est celui qui a remporté lesdites élections et, d’autre part, à procéder à la recherche d’une personne qu’elles accuseraient d’avoir manipulé le scrutin. En effet, au regard des éléments précédemment évoqués quant aux photographies produites, la Cour ne tient pas pour établi que l’appelant ait mis au jour des documents révélant un moyen frauduleux ayant permis la réélection du président sortant et de nature à justifier des poursuites à son encontre.
Au demeurant, Monsieur (A1) n’apporte pas d’élément plausible permettant d’expliquer les raisons pour lesquelles les autorités auraient pris le risque d’être aperçues installant un drapeau interdit sur son balcon alors que celles-ci auraient disposé d’autres preuves de son activisme politique, notamment des correspondances qui établiraient des contacts avec des membres de l’opposition ou une lettre dans laquelle il aurait publiquement émis des critiques à l’encontre du gouvernement. La résolution du Parlement européen du 19 mai 2022 sur les poursuites engagées contre des membres de l’opposition en Biélorussie dont se prévaut l’appelant afin de démontrer l’existence d’un appareil judiciaire particulièrement répressif à l’encontre des opposants politiques ne contredit pas un tel constat, dans la mesure où les autorités disposeraient déjà de preuves suffisantes pour engager des poursuites à son encontre sans qu’elles n’aient à devoir escalader la façade de son immeuble pour y déposer un drapeau interdit. Du reste, l’affirmation de l’appelant selon laquelle les autorités biélorusses, qui bénéficieraient d’une totale impunité pour agir de la sorte, auraient un intérêt évident à le faire condamner au titre de son activisme politique afin de discréditer les accusations de fraude qu’il aurait imputées aux autorités en place et partant à vouloir engranger dans son chef un grand nombre de preuves, n’est pas suffisante pour rendre son récit globalement plausible.
La Cour constate que les éléments contradictoires relevés à juste titre par le tribunal et non éclaircis par Monsieur (A1) et qui sont de nature à mettre en échec la crédibilité de son récit, à savoir (i) que lors de son incarcération il aurait pu bénéficier de l’accès à un téléphone portable dans la perspective qu’il entre en contact avec son ami joggeur qui aurait découvert avec lui et photographié les documents d’identité partiellement détruits, et (ii) qu’un gardien l’aurait reconnu durant son incarcération comme étant également originaire de la ville de … alors que ladite ville compterait près de 100.000 habitants, chiffre non contesté par l’appelant, de sorte qu’il ne s’agirait pas d’une petite commune tel que le prétendait Monsieur (A1), et aurait accepté de l’aider à s’évader de la prison tout en risquant lui-même une condamnation pour avoir aidé un détenu, considéré comme un opposant politique, respectivement comme « Helfer des grössten Oppositionspolitikers », à s’échapper, subsistent en instance d’appel.
La Cour relève que l’acte d’appel ne présente aucune explication supplémentaire permettant d’éclaircir les imprécisions et les incohérences précédemment décrites. Au-delà, l’appelant, n’ayant pas été en mesure de fournir à la Cour la preuve des correspondances entretenues avec des opposants au régime biélorusse dont il se prévaut, indique simplement que lesdites conversations n’ont pas été conservées et ont été probablement supprimées à l’époque des faits pour des raisons de sécurité. Cette indication est aux antipodes avec son affirmation, dans le cadre de son entretien, qu’une partie des échanges qu’il aurait eus sur les réseaux sociaux, tels que « VKontakte » et « Telegram », seraient encore disponibles sur ces sites, de même que la vidéo avec une personne de l’opposition politique, et qu’il pourrait essayer de soumettre les passages les plus importants de ces échanges.
Par voie de conséquence, l’appelant demeure dans l’incapacité d’apporter des preuves permettant de corroborer certains éléments de son récit et n’étaye pas de manière cohérente et crédible les craintes de persécutions dont il ferait l’objet en raison de ce soi-disant activisme politique qui lui aurait été imputé par les autorités de son pays d’origine.
Dans ce contexte, il n’est nullement convaincant d’affirmer, comme le fait l’appelant, que le document transmis au ministère le 7 septembre 2022 faisant état dans son chef d’une procédure de mise en examen et d’inculpation du crime prévu par le « p.1 de l’article 357 » du Code pénal de la république du Bélarus, soit susceptible de démontrer l’existence d’une persécution dont il ferait l’objet de la part des autorités biélorusses. En effet, ledit document, constituant un simple acte de procédure, n’emporte à lui seul toujours pas la conviction de la Cour au regard du défaut global de crédibilité du récit et des multiples incohérences et invraisemblances ci-avant relevées. Ceci est d’autant plus vrai que l’appelant n’en a fait état qu’en septembre 2022 dans le cadre de son recours contentieux alors même que le document en cause avait été transmis à l’avocat biélorusse de l’appelant le 14 novembre 2021.
Enfin, la Cour constate, à la suite des premiers juges, que l’appelant répond à la critique du ministère, quant à l’absence de preuves à l’appui de son récit, en affirmant que l’évaluation de sa demande de protection internationale par le ministère devrait être réalisée en collaboration avec lui et que la charge de la preuve devrait être appréciée à l’aune de sa situation personnelle, de ses vulnérabilités et de ses difficultés pratiques et psychologiques.
Cette argumentation n’emporte pas la conviction de la Cour dans la mesure où Monsieur (A1) ne se prévaut d’aucune vulnérabilité dans son chef, si ce n’est celle de la longueur de l’entretien ministériel, pour expliquer la confusion de ses propos, notamment s’agissant du nombre de gardiens en charge de la surveillance des détenus au sein du service médical de la prison.
Au vu de ce qui précède, la Cour ne peut que conclure que le ministre a valablement remis en question la crédibilité du récit de l’appelant dans sa globalité et partant confirmer les premiers juges en ce qu’ils ont retenu qu’en raison de ce défaut de crédibilité ainsi que d’efforts de collaboration de l’intéressé pour étayer ses déclarations, l’appelant ne saurait se prévaloir du bénéfice du doute.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appelant ne saurait dès lors bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire sur la base des faits invoqués par lui à l’appui de sa demande de protection internationale et le jugement a quo est à confirmer.
Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, comme le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de réfugié et celui conféré par la protection subsidiaire et que le refus d’octroi d’un tel statut est automatiquement assorti d’un ordre du ministre de quitter le territoire, la demande de réformation dudit ordre est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer cet ordre.
En effet, comme il a été retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder à l’appelant l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité, ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient valablement être remis en cause.
L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 4 novembre 2024 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 7 octobre 2024, condamne la partie appelante aux frais et dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par:
Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 24 avril 2025 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.
s. SANTOS s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 avril 2025 Le greffier de la Cour administrative 20