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17/04/2025 | LUXEMBOURG | N°51393C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 17 avril 2025, 51393C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51393C ECLI:LU:CADM:2025:51393 Inscrit le 24 septembre 2024

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Audience publique du 17 avril 2025 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 29 août 2024 (n° 49683 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur (A) contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51393C ECLI:LU:CADM:2025:51393 Inscrit le 24 septembre 2024

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Audience publique du 17 avril 2025 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 29 août 2024 (n° 49683 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur (A) contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 51393C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 24 septembre 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER, agissant au nom et pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg en vertu d’un mandat lui conféré à cet effet par le ministre des Affaires intérieures le 18 septembre 2024, dirigé contre le jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 29 août 2024 (n° 49683 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré recevable et fondé le recours en réformation introduit par Monsieur (A), né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant à L-…, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 octobre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire, de manière à lui reconnaitre le statut de réfugié et à renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant le ministre actuellement compétent ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 25 octobre 2024 par Maître Franck GREFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’intimé ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER et Maître Franck GREFF en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 novembre 2024.

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Le 10 janvier 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 », en se présentant comme étant mineur.

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. L’agent constata, après une fouille de ses effets personnels et de son téléphone, que des indices indiquaient qu’il serait majeur.

Une recherche menée par les policiers dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) y était enregistré comme ayant irrégulièrement franchi la frontière italienne en date du 24 décembre 2021.

Le 10 janvier 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

Le 11 janvier 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande de reprise en charge à leurs homologues italiens, qui refusèrent d’y faire droit en date du 9 mars 2022 au motif que l’intéressé serait mineur.

Par arrêté du 12 janvier 2022, notifié à l’intéressé le 13 janvier 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », assigna Monsieur (A) à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question.

Par arrêté du 4 mars 2022, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre rapporta le prédit arrêté d’assignation à résidence.

En date du 18 juillet 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 10 octobre 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 12 octobre 2023, le ministre informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 10 janvier 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 10 janvier 2022, ainsi que le rapport d’entretien « Dublin III » du 10 janvier 2022 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 18 juillet 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez être né le … à … en Afghanistan, être de nationalité afghane, d’ethnie Hazara et de confession musulmane chiite. Vous indiquez avoir vécu dans le village …, district de …, province …, avec vos parents, grands-parents paternels et votre fratrie.

Concernant vos craintes en cas de retour dans votre pays d’origine, vous évoquez le racisme qui règne en Afghanistan envers votre ethnie et religion. Vous ajoutez que vous craignez des représailles de la part des Taliban compte tenu du fait que vous auriez participé de manière indirecte à des affrontements entre les habitants de votre quartier et les Taliban avant leur prise de pouvoir.

En ce qui concerne les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous expliquez qu’en 2018, des affrontements auraient éclatés à … entre les habitants de votre quartier et les Taliban lors desquels les Taliban auraient été battus à plusieurs reprises. Sur demande du responsable de votre quartier, vous auriez indirectement participé à ces affrontements en apportant à manger aux combattants et en vous occupant du chargement de leurs fusils. Vous ajoutez que de manière générale les Hazara seraient constamment confrontés à des actes de harcèlement et que l’Etat afghan essayait par tous les moyens de les protéger mais que les habitants en seraient arrivés à prendre en charge eux-mêmes leur propre défense.

Après la prise de pouvoir par les Taliban en août 2021, vous n’auriez plus été capable de rester vivre dans votre quartier et auriez décidé de quitter l’Afghanistan ensemble avec votre famille sachant que des habitants de votre quartier auraient commencé à dénoncer aux Taliban ceux qui avaient directement ou indirectement participé aux affrontements contre eux. D’après vous, beaucoup de personnes de votre entourage auraient été au courant que vous seriez contre les Taliban et vous supposez que tôt ou tard vous vous seriez retrouvé dans leur ligne de mire en restant en Afghanistan.

Vous racontez que lors d’un déplacement à bord d’un pick-up avec un groupe d’autres personnes sur le territoire pakistanais, vous auriez été arrêté par des hommes dont vous supposez avoir appartenu aux Taliban ou à Daesh. Ayant été, ensemble avec l’un de vos amis, les seuls Hazara à bord de ce véhicule, vous auriez été interrogés et enfermés pendant une nuit dans une chambre au milieu du désert. Le lendemain, vous auriez été relâchés sans qu’il ne vous soit arrivé quelque-chose à part de vous avoir fait dépouillé et sans obtenir aucune explication de la part de vos ravisseurs.

Vous ne remettez aucune pièce à l’appui de votre demande de protection internationale.

1. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Avant tout autre développement, il y a lieu de constater que vous n’avez pas été en mesure de prouver votre identité et que vous ne semblez pas vouloir jouer franc jeu concernant votre âge réel. En effet, vous vous êtes présenté aux autorités luxembourgeoises en prétendant être mineur alors qu’il s’est révélé lors de votre entretien avec le Service de Police judiciaire que vous aviez atteint l’âge de la majorité à votre arrivée au Luxembourg. Vous expliquez en outre ne jamais avoir été en possession d’un passeport et que vous auriez laissé votre carte d’identité auprès de votre famille au Pakistan. Il convient également de noter que vous n’avez pas donné suite à la demande de l’agent ministériel en charge de votre entretien de lui procurer votre carte d’identité pour compléter votre dossier relatif à votre demande de protection internationale.

Quant à votre parcours depuis votre arrivée en Europe, il y a lieu de souligner qu’après être entré illégalement en Italie en décembre 2021, vous auriez décidé de continuer votre voyage en passant par la France sans cependant éprouver le besoin de solliciter d’introduire une demande de protection internationale dans l’un de ces deux pays.

Or, il convient de souligner que tel n’est pas le comportement d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d’une protection internationale. En effet, alors qu’on peut attendre d’une telle personne qu’elle introduise sa demande de protection dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez décidé de quitter l’Italie et de traverser ensuite la France sans y avoir recherché une forme quelconque de protection. Vous expliquez que vous auriez choisi le Luxembourg car « Le Luxembourg est meilleur pour continuer les études. » (p.4/14 de votre rapport d’entretien).

Concernant les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous évoquez le fait que les Hazara seraient détestés par les Taliban et se trouveraient de ce fait toujours en danger en Afghanistan. Vous racontez que vous seriez personnellement à risque de vous retrouver dans le viseur des Taliban compte tenu du fait que vous auriez été impliqué de manière indirecte dans les combats opposant les Hazara aux Taliban dans votre région.

Monsieur, considérant que ces confrontations aient vraiment eu lieu, ce qui reste à prouver, vos propos restent à l’état pur de simples suppositions alors qu’il ressort clairement de vos dires que rien ne vous est jamais arrivé jusqu’au jour de votre départ : « Non. J’ai toujours habité dans le quartier des Hazâras. C’était la première fois que j’ai quitté le quartier. » (p.9/14 de votre rapport d’entretien). Vous ajoutez que vous auriez décidé de quitter votre pays « Pour éviter de se faire dénoncer au talibans. Je me suis dit qu’il y avait des fortes chances que les talibans allaient prendre le pouvoir. Je pensais à l’avenir. » (p.11/14 de votre rapport d’entretien). Force est donc de constater que vous ne faites pas été du moindre acte de persécution dont vous auriez été victime dans votre pays d’origine, et n’établissez pas non plus pour quelles raisons vous risqueriez d’être dans le collimateur des Taliban en cas de retour dans votre pays d’origine.

Il n’est en effet pas probable que les Taliban aient connaissance de votre prétendue participation passive dans des combats ayant eu lieu il y a quelques années. Par ailleurs, vous faites encore état d’un incident qui se serait produit au Pakistan et que vous tentez de lier à votre situation en Afghanistan. Vous racontez en effet que lors d’un déplacement à bord d’un pick-up vous auriez été arrêté et enfermé dans une chambre pendant une nuit par des personnes dont vous ne pouvez jusqu’à ce jour pas déterminer l’appartenance « Je vous dis que je n’ai pas la certitude que c’étaient des talibans ou des daesch. » (p.8/14 de votre rapport d’entretien).

Dans la mesure où ledit incident se serait produit en dehors de votre pays d’origine, que vous restez en défaut d’établir l’identité et la motivation des prétendus malfaiteurs et que vous auriez été libéré après une journée sans que rien de grave ne vous soit arrivé, ne saurait permettre d’établir que vous seriez dans le collimateur des Taliban en Afghanistan.

Finalement, vous évoquez lors de votre entretien personnel avec l’agent ministériel, de manière générale, les tensions existantes entre les Taliban et les Hazara « Vous savez bien qu’en Afghanistan, il y a toujours eu du racisme ethnique et religieux contre les Hazâras. » (p.5/14 de votre rapport d’entretien) ou encore « Les talibans n’aiment pas les Hazâras. Les talibans n’aiment pas notre religion ou notre éducation. » (p.8/14 de votre rapport d’entretien). » (p.8/14 de votre rapport d’entretien).

Or, il ne ressort pas des informations à ma disposition que toutes les personnes d’ethnie Hazara seraient toutes à risque de devenir victimes de persécution en Afghanistan de par leur seule appartenance ethnique.

Il convient dès lors de faire une analyse des motifs individuels et personnels présentés par chaque demandeur de protection internationale.

Il échet de constater que vous n’établissez aucunement être personnellement à risque alors que vous ne faites état que des considérations générales qui sont dépourvues de lien directe avec votre personne et que vos craintes personnelles restent dans l’état de simples suppositions spéculatives.

Il convient dès lors de constater que votre crainte est à qualifier de purement hypothétique. Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine.

On ne saurait dès lors retenir dans votre chef une quelconque crainte fondée de persécution.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Tout en renvoyant aux développements contenus dans la partie « Quant au refus de statut de réfugié », il échet de constater que les craintes que vous avancez sont à considérer comme étant purement hypothétiques de sorte que vous restez en défaut d’établir que vous seriez à risque de subir une atteinte grave en cas de retour dans votre pays d’origine.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de l’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023, Monsieur (A) introduisit un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 10 octobre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 29 août 2024, le tribunal administratif déclara le recours en réformation recevable et justifié et, par réformation de la décision ministérielle du 10 octobre 2023, reconnut à Monsieur (A) le statut de réfugié, renvoya l’affaire devant le ministre actuellement compétent en prosécution de cause, dit encore que Monsieur (A) ne devait pas quitter le territoire luxembourgeois, tout en condamnant l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 24 septembre 2024, la partie étatique a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Moyens des parties A l’appui de son appel, le délégué du gouvernement relate l’exposé des faits à la base de la demande de protection internationale de l’intimé, tel que repris dans la décision ministérielle litigieuse précitée.

Il demande ensuite la confirmation du jugement entrepris en ce que les premiers juges ont retenu que la crainte de l’intimé d’être persécuté par les Talibans en raison de sa participation au ravitaillement pendant des combats contre les Talibans était à qualifier de purement hypothétique et que sa seule appartenance à l’ethnie hazara ne pouvait pas non plus entraîner l’octroi du statut de réfugié.

Toutefois, il soutient que l’analyse des premiers juges serait erronée en ce qu’ils ont retenu que Monsieur (A) risquerait de subir des persécutions de la part des Talibans en cas de retour en Afghanistan en raison du fait qu’il serait depuis plus de trois ans au Luxembourg et de sa prétendue occidentalisation et demande la réformation du jugement en ce qu’il a reconnu à l’intimé le statut de réfugié et réformé l’ordre de quitter le territoire.

Le représentant étatique renvoie dans ce contexte à un arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2024 (n° 50174C du rôle) et soutient qu’il appartiendrait à un demandeur de protection internationale d’apporter des preuves qu’il se serait occidentalisé et qu’il ne pourrait plus se réadapter aux lois et coutumes en vigueur en Afghanistan en cas de retour, c’est-à-dire que le demandeur devrait établir qu’il aurait développé une conviction profonde, intime, sérieuse et durable des valeurs pratiquées en Occident qui l’empêcherait de changer de nouveau son mode de vie en cas de retour dans son pays d’origine. Dans ce contexte, il renvoie encore à une décision du « Bundesverwaltungsgericht » autrichien du 22 février 2024, à une décision du « Verwaltungsgericht » Würzburg du 5 avril 2023, à une décision du « Verwaltungsgerichtshof » Baden-Württenberg du 22 février 2023, ainsi qu’à une décision du Conseil du Contentieux des Etrangers de Belgique (ci-après « CCE ») du 30 octobre 2023.

D’après le délégué du gouvernement, de simples efforts d’intégration, sans renonciation claire et univoque à l’identité culturelle du pays d’origine, ne sauraient suffire pour rapporter la preuve que l’intimé aurait adopté une conviction profonde des valeurs pratiquées en Occident auxquelles il ne pourrait plus renoncer en cas de retour en Afghanistan.

Selon la partie étatique, l’intimé n’établirait pas qu’il aurait adopté un mode de vie occidental qui l’empêcherait de se réadapter au mode de vie afghan. Ainsi, la tenue vestimentaire que porterait l’intimé au Luxembourg ne constituerait pas une part essentielle de l’identité profonde d’une personne et ne modifierait pas fondamentalement celle-ci. Par ailleurs, la pratique d’un sport ne serait pas interdite en Afghanistan puisque des clubs de fitness y existeraient. Les photos communiquées ainsi que la pratique d’autres activités avec des personnes de son âge constitueraient seulement des éléments d’intégration mais ne seraient pas suffisantes pour démontrer qu’il aurait renoncé à son ancienne identité culturelle.

Encore selon la partie étatique, la maîtrise de la langue française ne constituerait pas un signe d’occidentalisation, mais seulement un outil d’intégration pour pouvoir communiquer, évoluer et vivre plus facilement au Luxembourg et, en cas de retour en Afghanistan, l’intimé pourrait reprendre l’usage de sa langue maternelle à laquelle il n’a pas renoncé. L’intimé pourrait également poursuivre avec réussite des études scolaires voire travailler dans le secteur « Horesca » en Afghanistan.

Quant au fait qu’il aurait servi du porc et de l’alcool dans des restaurants, ce comportement démontrerait seulement qu’il aurait fait preuve de professionnalisme en suivant les instructions et ordres de son employeur. Concernant sa consommation personnelle de porc et d’alcool, le délégué du gouvernement soutient que l’intimé n’apporterait aucune preuve de cette consommation. Il explique également que rien n’obligerait l’intimé à en consommer publiquement en cas de retour en Afghanistan et le simple fait de ne pas vouloir renoncer à la consommation d’alcool serait plutôt le signe d’un comportement inquiétant et dangereux. Il en serait de même pour le fait d’écouter de la musique « anglaise » ou de fumer, l’intimé pouvant continuer à le faire dans son pays d’origine.

En ce qui concerne les déclarations de l’intimé sur le fait qu’il aurait oublié les prières et n’irait plus à la mosquée, la partie étatique note que ceci ne saurait prouver qu’il aurait pris ses distances avec l’islam et renoncé à sa religion mais démontrerait uniquement qu’il ne serait pas un pratiquant assidu.

Concernant le prétendu « état d’esprit aux antipodes de celui des talibans » affiché par l’intimé, celui-ci ressortirait d’une simple déclaration écrite de sa part, qui ne saurait à elle seule prouver qu’il s’engagerait publiquement, d’une quelconque manière, pour l’égalité des droits entre les sexes ou de façon générale pour les valeurs démocratiques de la société occidentale.

Selon la partie étatique, le seul fait que l’intimé avait séjourné en Europe pendant deux à trois ans ne saurait suffire pour démontrer une occidentalisation.

Finalement, le représentant étatique note qu’aucune source d’information publique pertinente et disponible ne permettrait de démontrer que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan l’exposerait de manière systématique à des persécutions de la part des Talibans en cas de retour en Afghanistan et que l’intimé serait en défaut d’établir qu’il serait expressément visé par les Talibans en raison d’une prétendue occidentalisation. Dans ce contexte, la partie étatique renvoie à cinq arrêts de la Cour administrative des 21 février 2023 (n° 48083 du rôle), 23 mai 2023 (n° 47793C du rôle), 26 octobre 2023 (n° 49160C du rôle), 8 février 2024 (n° 49093C du rôle) et 14 août 2024 (n° 49783C du rôle), à une décision du tribunal administratif du 15 juin 2023 (n° 48250 du rôle) ainsi qu’à une décision du « Bundesverwaltungsgericht » autrichien du 22 janvier 2024.

Enfin, la partie étatique donne à considérer qu’il ne serait pas à exclure que l’appelant tente par tout moyen de se faire passer pour une personne occidentalisée sans l’être véritablement en appuyant cette conclusion par la description du comportement de l’intimé depuis son entrée en Europe et par le fait qu’il ne semblerait pas jouer franc-jeu concernant son âge réel.

Quant au volet de la décision ministérielle portant rejet du statut conféré par la protection subsidiaire, le délégué du gouvernement estime que Monsieur (A) n’établit pas non plus qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, tout en relevant dans ce contexte que la Cour administrative aurait récemment confirmé, à de nombreuses reprises, qu’il n’y aurait pas de conflit armé en Afghanistan.

L’intimé conclut au rejet de l’appel.

Il réitère être de nationalité afghane, d’ethnie Hazara, de confession chiite et être originaire du district de … dans la province de …, province dans laquelle les autorités séviraient avec dureté à l’égard des Hazaras et procéderaient à des expropriations massives. Il aurait les caractéristiques physiques des Hazaras et serait dès lors « facilement repérable ». Il indique qu’il se serait trouvé intimement lié aux combats contre les Talibans et qu’il serait devenu une cheville ouvrière du combat contre les Talibans dans sa région dans la mesure où il aurait été en charge du ravitaillement des combattants et de missions de surveillance. Dès lors, il indique qu’il ne pourrait plus rester en Afghanistan au vu des risques encourus par lui.

Tout en admettant ne pas pouvoir relever appel incident au vu de l’octroi du statut de réfugié par les premiers juges, l’intimé estime néanmoins que c’est à tort que les premiers juges ont retenu que ses craintes sont à qualifier de purement hypothétiques et que le fait d’être Hazara chiite n’entraine pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

Il soutient qu’en cas de retour en Afghanistan, il serait doublement considéré comme une personne à risque, en raison, d’une part, de son occidentalisation et, d’autre part, de la transgression des normes religieuses, morales et sociétales afghanes.

Dans ce contexte, Monsieur (A) cite un arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2024 (n° 50174C du rôle) sur la nécessité de rapporter des preuves d’une certaine occidentalisation et estime que cet arrêt n’irait pas, contrairement à ce qui serait avancé par la partie étatique, jusqu’à solliciter une « renonc[iation] à son identité culturelle afghane ». L’intimé ajoute également qu’il n’existerait pas un seul modèle d’occidentalisation mais de multiples formes et preuves d’occidentalisation et cite, par ailleurs, un arrêt du 30 mai 2024 de la Cour administrative (n° 50080C du rôle) en estimant que celle-ci aurait retenu qu’était occidentalisée la personne qui « a réussi à s’intégrer dans la société luxembourgeoise ».

Pour appuyer son moyen fondé sur l’occidentalisation, l’intimé fait valoir qu’il se trouverait au Luxembourg depuis presque trois ans et qu’il se serait intégré en adoptant les habitudes occidentales. Il aurait fait des stages comme serveur dans un restaurant où il aurait servi de la viande de porc et de l’alcool aux clients, aurait suivi une brillante scolarité au Luxembourg, aurait conclu un contrat d’apprentissage avec un établissement réputé et poursuivrait une formation professionnelle. Il parlerait le français, le luxembourgeois et l’anglais, serait inscrit dans un club de fitness, sortirait dans des bars avec des amis, consommerait de la viande de porc et de l’alcool et écouterait de la musique « anglaise ». De surcroît, il aurait adopté une mentalité libérale en respectant l’égalité entre les hommes et les femmes et les droits des minorités. En outre, il aurait des fréquentations dont certaines feraient partie de la communauté LGBT. Il porterait des vêtements occidentaux « près du corps », serait devenu athée et aurait pris ses distances avec l’Islam, utiliserait des outils numériques et ne porterait pas la barbe. Par ces éléments, il soutient qu’il aurait rapporté la preuve de son intégration et de son occidentalisation selon les critères dégagés par les arrêts précités de la Cour administrative des 20 juin et 30 mai 2024, qui se serait elle-même inspirée de la jurisprudence du Conseil du Contentieux des Etrangers de Belgique, ci-après le « CCE », ayant dégagé un certain nombre de critères en vue de la détermination d’un profil à risque d’une personne originaire d’Afghanistan occidentalisée ou perçue comme telle (arrêts du CCE des 12 septembre 2023, n° 294074, 30 octobre 2023, n° 296461, 14 novembre 2023, n° 297112, 27 février 2024, n° 302380, et 29 février 2024, n° 302554). Il aurait, par ailleurs, fait valoir des raisons personnelles et concrètes permettant d’établir qu’il aurait un profil occidentalisé et serait dès lors incapable de se réadapter aux lois et coutumes en vigueur en Afghanistan.

En outre, citant un rapport publié le 23 mai 2024 par l’Agence de l’Union Européenne pour l’Asile (ci-après « AUEA »), il prétend qu’il encourrait un risque de persécution en raison de sa consommation d’alcool, de son athéisme et de visites d’églises. Il cite encore un rapport de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (ci-après « OSAR ») intitulé « Afghanistan :

risques au retour liés à l’occidentalisation » et soutient que son occidentalisation ne serait pas dissimulable au vu « du niveau atteint » et qu’en cas de retour en Afghanistan, il serait poursuivi pour apostasie et mauvaise conduite.

Au vu de ces éléments, l’intimé estime remplir les conditions d’octroi du statut de réfugié au sens de l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015, qu’il rapporterait bien la preuve qu’il s’agirait de persécutions au sens des paragraphes 1 et 2 de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il rapporterait que ces persécutions seraient commises par des auteurs selon l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Dans le cas où la Cour réformerait le jugement entrepris, l’intimé estime qu’il devrait se voir accorder la protection subsidiaire en application des articles 2, sub g), et 48 de la loi du 18 décembre 2015 sur base des éléments invoqués à l’appui de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Enfin, s’agissant de l’ordre de quitter le territoire, l’intimé soutient que celui-ci serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 », en ce qu’un retour en Afghanistan serait suivi de menaces graves et individuelles contre sa vie et sa personne.

Analyse de la Cour La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

L’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, concernant, en premier lieu, la crainte de l’intimé d’être persécuté par les Talibans en raison, d’une part, de sa participation au ravitaillement pendant des combats contre les Talibans, et d’autre part, du fait que les habitants de son quartier le dénonceraient aux Talibans, il échet de constater qu’il ressort des éléments de fait que l’intimé n’avait jamais été personnellement inquiété par les Talibans pour avoir apporté de la nourriture et des munitions aux habitants de son quartier qui combattaient contre les Talibans. La Cour partage ainsi et fait sienne l’analyse des premiers juges ayant abouti à la conclusion que la crainte de l’intimé d’être persécuté par les Talibans en raison de sa participation au ravitaillement pendant des combats par les Talibans est purement hypothétique.

Concernant, en second lieu, la crainte de l’intimé d’être persécuté par les Talibans en raison de son appartenance à l’ethnie Hazara, il convient de rappeler, par rapport à la situation générale des membres de cette communauté en Afghanistan, que si les membres de l’ethnie Hazara font l’objet d’actes de violence et de harcèlements persistants de la part des Talibans, il ne ressort néanmoins pas des éléments d’informations lui soumis que les Hazaras feraient l’objet de persécutions généralisées et systématiques du seul fait de leur origine ethnique ou de leur confession musulmane chiite. Tel que déjà retenu par la Cour dans ses arrêts des 19 mai 2022 (n° 46363C du rôle), 30 juin 2022 (n° 46108C du rôle), 30 mai 2024 (n° 50080C du rôle) et récemment dans ses arrêts du 24 octobre 2024 (n° 50859C du rôle), du 21 novembre 2024 (n° 51245C du rôle) et du 20 mars 2025 (n° 51457C du rôle), les attaques menées contre les Hazaras sont, pour la plupart, l’œuvre de l’organisation terroriste « Etat Islamique » de la province du … et visent surtout les lieux de culte chiites, respectivement des civils Hazaras en raison de leur profil de fonctionnaires, de journalistes ou encore de personnel d’organisations non gouvernementales, attaques qui sont pour le surplus très ponctuelles, non quotidiennes et perpétrées dans les grandes villes du pays.

Il s’ensuit que le seul fait d’être Hazara et de confession chiite n’est pas suffisant en soi pour justifier une crainte de persécution dans le chef de l’intimé.

Cette conclusion n’est pas invalidée par les sources d’informations additionnelles invoquées par l’intimé en instance d’appel. En effet, s’il est certes vrai que certaines publications évoquent un sérieux risque de génocide des Hazaras chiites en Afghanistan, il n’en demeure pas moins que la Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir que la situation actuelle puisse être qualifiée de telle, de sorte qu’il convient de vérifier si la personne concernée Hazara présente d’autres éléments qui permettraient de conclure qu’elle correspond à un profil plus à risque que d’autres, situation qui n’est pas établie en l’espèce. Partant, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que sa seule appartenance à l’ethnie Hazara ne saurait entrainer le statut de réfugié.

S’agissant, enfin, de la crainte de l’intimé d’être persécuté par les Talibans en cas de retour dans son pays d'origine en raison de son occidentalisation alléguée, la Cour note qu’il se contente d’affirmer qu’il se serait intégré dans la société luxembourgeoise par le suivi d’une scolarité au Luxembourg, la poursuite d’une formation professionnelle, l’apprentissage des langues française, luxembourgeoise et anglaise, la fréquentation de bars, le fait d’avoir travaillé dans un restaurant où il servirait de l’alcool et de la viande de porc aux clients, sa consommation personnelle de viande de porc et d’alcool, ses tenues vestimentaires « près du corps », la fréquentation des clubs de fitness, son absence de barbe ou encore son discours libéral sur l’égalité homme femme.

La Cour tient à réitérer en premier lieu les principes retenus dans ses arrêts du 30 mai 2024 (n° 50080C du rôle) et du 13 février 2025 (n° 51851C du rôle), à savoir qu’il ne peut pas être affirmé de manière systématique qu’une crainte générale de persécution peut être présumée pour chaque Afghan revenant d’Europe uniquement en raison d’un séjour prolongé dans cette région, mais que la Cour est amenée à examiner les circonstances particulières et spécifiques de chaque cas d’espèce, à savoir en substance son degré d’intégration et d’assimilation du mode de vie occidental.

Contrairement à l’interprétation que l’intimé a fait de l’arrêt de la Cour du 30 mai 2024, précité, le simple fait de s’être intégré dans le pays d’accueil ne permet pas de conclure ipso facto à une occidentalisation du demandeur de protection internationale, ni d’ailleurs à un risque particulier dans le chef de celui-ci en cas de retour dans son pays d’origine, mais il faut que l’intéressé établisse qu’il a, sur une période prolongée de plusieurs années, développé une conviction profonde, intime, sérieuse et surtout durable des valeurs pratiquées en Occident, de sorte qu’il présente des caractéristiques personnelles et des comportements qu’il est extrêmement difficile ou pratiquement impossible pour lui de modifier ou de dissimuler afin de se réadapter de nouveau au mode de vie afghan pour l’hypothèse d’un éventuel retour en Afghanistan (en ce sens Cour adm. 13 février 2025, n° 51851C).

Par ailleurs, comme indiqué par la partie intimée, il n’existe pas un seul modèle d’occidentalisation mais de multiples formes et de multiples preuves d’occidentalisation. Ainsi, il ne convient pas seulement de remplir certains critères qui auraient déjà pu être retenus par la jurisprudence mais il convient de faire une analyse de chaque situation notamment au regard de la durée de présence sur le sol luxembourgeois.

En l’espèce, la Cour relève que l’intimé rapporte la preuve d’éléments d’intégration plutôt que d’occidentalisation Dès lors, le seul fait de s’être intégré dans une société occidentale pendant un séjour relativement court, de moins de trois ans, au Luxembourg ne saurait, à lui seul, déboucher sur l'octroi d’une protection internationale, rien ne permettant de conclure dans le chef de l’intimé à une occidentalisation telle qu'il serait incapable de se réadapter aux lois et coutumes en vigueur en Afghanistan en cas de retour dans ce pays.

Il suit de ce qui précède que la Cour, à l’instar du ministre, arrive à la conclusion que l'intimé n'établit pas dans son chef une crainte fondée de subir de persécutions, de sorte que c’est à tort que les premiers juges ont reconnu le statut de réfugié à l’intimé.

Quant au statut de protection subsidiaire considéré sous l’angle des points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, dès lors que les faits qui soutiennent cette demande sont les mêmes que ceux à la base de la demande d’octroi du statut de réfugié et que la Cour vient de conclure à l’absence de risque dans le chef de l’intimé que ce soit en raison de son vécu en Afghanistan, de son appartenance à l’ethnie Hazara ou encore de sa prétendue occidentalisation, il n’existe pas davantage de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans son pays d'origine, l’appelant courrait un risque réel de subir, à raison de ces mêmes faits, des atteintes graves telles que visées aux points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

La Cour n’est pas non plus saisie d’éléments permettant de conclure à l’existence d’une situation de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015.

En effet, si les publications et rapports produits en cause retiennent certes une détérioration de la situation en Afghanistan depuis la prise de pouvoir par les talibans, ils ne permettent toutefois pas de conclure à l’existence d’une situation où l’ampleur de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé est telle qu’il existerait des motifs sérieux de croire qu’un civil, du seul fait de sa présence sur place, courrait un risque réel d’être exposé à des atteintes graves au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, l’appelant n’ayant, par ailleurs, pas apporté de manière crédible d’éléments qui permettraient de retenir qu’il serait personnellement exposé, en raison de particularités propres à sa situation personnelle, à un risque réel découlant d’une violence aveugle au point qu’il faille admettre qu’en cas de retour en Afghanistan, il courrait un risque réel de menace grave pour sa vie ou sa personne (en ce sens Cour adm. 25 février 2025, n° 52038).

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’intimé ne saurait bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire sur la base des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale. La demande de protection internationale de l’intimé, prise en son double volet, laisse partant d’être justifiée et le jugement est à réformer en ce sens.

Enfin, concernant l’ordre de quitter le territoire, dès lors que l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose qu’« une décision du ministre vaut décision de retour.

(…) » et qu’en vertu de l’article 2, sub q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », l’ordre de quitter est à considérer comme constituant la conséquence automatique du refus de protection internationale, avec comme conséquence pour le cas d’espèce, où le rejet ministériel de la demande de protection internationale vient d’être déclaré justifié dans ses deux volets, que l’ordre de quitter n’est pas sérieusement critiquable ni critiqué, étant relevé qu’il vient d’être retenu ci-avant que les craintes invoquées par l’intimé ne véhiculent pas un risque réel et actuel de subir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’invocation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 qui dispose que : « L'étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

En effet, dans la mesure où la Cour vient de constater que les craintes invoquées par l’intimé ne véhiculent pas un risque réel de subir des atteintes graves, le renvoi de l’intimé en Afghanistan ne saurait être incompatible avec ledit article 129, précité.

Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel étatique dirigé contre le jugement entrepris est fondé et que la demande de protection internationale de l’intimé n’est justifiée ni dans son volet principal, ni dans celui subsidiaire, de manière que ledit jugement encourt la réformation dans le sens que le recours contentieux dirigé par l’actuel intimé contre la décision ministérielle du 10 octobre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire est à rejeter.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 24 septembre 2024 en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation du jugement entrepris du 29 août 2024, rejette le recours en réformation dirigé par Monsieur (A) contre la décision ministérielle du 10 octobre 2023 portant refus de sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

condamne l’intimé aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 17 avril 2025 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.

s. SANTOS s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 avril 2025 Le greffier de la Cour administrative 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 51393C
Date de la décision : 17/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-04-17;51393c ?

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