GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50602C ECLI:LU:CADM:2025:50602 Inscrit le 17 juin 2024
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Audience publique du 17 avril 2025 Appel formé par la société à responsabilité limitée (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 mai 2024 (n° 47267 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts
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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50602C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 17 juin 2024 par la société en commandite simple ALLEN OVERY SHEARMAN STERLING s.c.s., établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 5, avenue J. F. Kennedy, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Jean SCHAFFNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (A), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son organe de gestion en fonction, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 8 mai 2024 (n° 47267 du rôle), par lequel ledit tribunal se déclara compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 14 janvier 2022, répertoriée sous le numéro C 28891 du rôle, ayant rejeté la réclamation du 12 janvier 2021 de la société (A), préqualifiée, introduite à l’encontre des bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016 émis à son égard le 14 octobre 2020, reçut ledit recours en la forme, au fond, le déclara non fondé, partant en débouta la demanderesse, rejeta sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 euros et la condamna aux frais et dépens de l’instance ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 septembre 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 15 octobre 2024 par la société ALLEN OVERY SHEARMAN STERLING s.c.s., préqualifiée, représentée par Maître Jean SCHAFFNER, préqualifié, au nom de la société (A), préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique, erronément intitulé « mémoire en réponse », déposé au greffe de la Cour administrative le 14 novembre 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER ;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 21 novembre 2024.
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En date du 8 octobre 2014, la société (D), ci-après la « société (D) », faisant partie du groupe (B), ci-après le « Groupe », constitua la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois (A), ci-après la « société (A) ».
En date du 13 octobre 2014, la société (A) conclut deux contrats en vue de l’acquisition d’une participation respectivement dans la société (C), ci-après la « société (C) », et la société (CC), ci-après la « société (CC) ». L’acquisition devint effective le 30 avril 2015 à la suite de la réalisation de la condition suspensive incluse dans les deux contrats.
Afin de financer l’acquisition de ces deux participations, la société (A) obtint le 31 décembre 2015 les montants respectivement de … et de … de dollars américains, en vertu de deux contrats distincts intitulés chacun « Shareholder’s Loan Agreement », ci-après, ensemble, les « prêts litigieux », conclus avec la société (E), ci-après la « société (E) », à savoir une autre société du Groupe, désignée comme « … » de l’appelante dans la note 18 de l’annexe aux comptes annuels de l’année 2015 de l’appelante.
Le 7 août 2015, la société (A) introduisit auprès du bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau d’imposition », une demande de décision anticipée. Elle y indiquait son intention de créer une succursale en Malaisie à laquelle elle allouerait ses participations dans les sociétés (C) et (CC) et sollicita la confirmation, premièrement, de la reconnaissance de cette succursale comme établissement stable et, deuxièmement, de l’exonération de ces participations de l’impôt sur la fortune luxembourgeois, ainsi que des revenus générés par ces participations de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal luxembourgeois.
Par lettre du 10 août 2016, le bureau d’imposition rejeta la demande de décision anticipée au motif que « le traitement fiscal relatif à/aux opération(s) décrite(s) et tel qu’analysé par vos soins n’est pas en conformité aux textes légaux et réglementaires actuellement en vigueur alors qu’il s’agit d’une structure dépourvue de toute raison économique et dès lors constitutive d’un abus de droit au sens du § 6 StAnpG ».
En date du 3 janvier 2017, le bureau d’imposition réceptionna la déclaration pour l’impôt sur le revenu, l’impôt commercial communal et l’impôt sur la fortune pour l’année d’imposition 2015 de la société (A).
Par une lettre du 20 août 2020, le préposé du bureau d’imposition informa la société (A) que « (…) la Succursale « (G) » n’est pas reconnue par le bureau d’imposition ….
Par ailleurs, l’avance actionnaires de … USD et la réserve IFRS 9 de … USD sont considérées fiscalement comme un apport caché (… EUR). Le bilan fiscal reprenant le bénéfice fiscal est joint à cet effet. (…) », tout en l’invitant à formuler ses objections pour le 10 septembre 2020 au plus tard.
Par une lettre séparée, également datée du 20 août 2020, le préposé du bureau d’imposition informa la société (A), sur le fondement du § 205, alinéa (3), de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’il envisageait de s’écarter de sa déclaration fiscale de l’année 2015, à la suite de la non-reconnaissance de la succursale « (G) » et de la requalification de l’avance actionnaires en apport caché. Il fournit également un tableau précisant comment il entendait établir la valeur unitaire au 1er janvier 2016, de même que le bilan fiscal au 31 décembre 2015 identique à celui joint à la première lettre du 20 août 2020 et invita à nouveau la société (A) à formuler ses éventuelles objections pour le 10 septembre 2020 au plus tard.
Par une lettre réceptionnée par le bureau d’imposition le 1er octobre 2020, la société (A) fit parvenir ses observations écrites par rapport aux deux courriers du 20 août 2020.
En date du 14 octobre 2020, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (A) les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2015. A la même date, le bureau d’imposition émit encore à son égard :
- le bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2016, lequel comportait notamment la mention « Fixation suivant la lettre du bureau d’imposition du 20 août 2020 », et - le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, comportant notamment la mention « Imposition suivant la lettre du bureau d’imposition du 20 août 2020 ».
Par un courrier réceptionné le 12 janvier 2021, la société (A) introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », une réclamation contre les bulletins d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016.
Par une lettre du 28 avril 2021, le directeur procéda à une mise en état du dossier et invita la société (A) à lui fournir un certain nombre de documents et d’explications.
Par un courrier réceptionné le 28 juin 2021, la société (A) répondit à ladite mise en état.
Par une décision du 14 janvier 2022, référencée sous le numéro C 28891, le directeur déclara la prédite réclamation recevable mais non fondée, dans les termes suivants :
« (…) Vu la requête introduite en date du 12 janvier 2021 par Me Jean Schaffner, de la société en commandite simple Allen & Overy, au nom de la société à responsabilité limitée (A), avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, tous les deux émis en date du 14 octobre 2020 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu la mise en état du directeur des contributions du 28 avril 2021, en vertu des §§ 243, 244 et 171 de la loi générale des impôts (AO), ainsi que la réponse y relative de la réclamante entrée le 28 juin 2021 ;
Vu les §§ 228 et 301 AO ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi ; qu’elles sont partant recevables ;
Considérant que si l’introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires si elles sont connexes, mais n’est pas incompatible en l’espèce avec les exigences d’une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi ; qu’il n’y a pas lieu de la refuser ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition de ne pas avoir reconnu dans son chef l’existence d’un établissement stable en Malaisie et d’avoir requalifié deux dettes contractées auprès de son associé unique en tant qu’apport caché ;
Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la réclamante, la loi d’impôt étant d’ordre public ;
qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ; qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;
Du bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016 Considérant que la valeur unitaire de la fortune d’exploitation a été établie séparément dans le chef de la réclamante en vertu du § 214, n° 1 AO et que le bulletin de l’impôt sur la fortune de la réclamante repose sur le bulletin de l’établissement séparé de la fixation de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier de l’année 2016 ;
Considérant qu’une imposition qui est assise en tout ou en partie sur des bases fixées par établissement séparé ne peut être attaquée pour le motif que ces bases d’imposition seraient inexactes ; qu’une telle réclamation ne peut être formée que contre le bulletin portant établissement séparé, en l’espèce contre le bulletin de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation (§ 232, alinéa 2 AO) ;
Considérant d’ailleurs que le bulletin d’établissement séparé a fait l’objet d’une réclamation et que sa réformation entraîne d’office un redressement du bulletin d’impôt établi sur base dudit bulletin d’établissement séparé (§ 218, alinéa 4 AO) ;
Du bulletin de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier de l’année 2016 Considérant que le bureau d’imposition n’a pas reconnu l’existence d’un établissement stable, qui, suivant les dires de la réclamante, se trouverait en Malaisie (ci-après dénommé la succursale) pour le motif qu’il s’agirait d’un abus de droit au sens du § 6 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) ; qu’en conséquence il a procédé à l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation en y incluant les actifs de la succursale pour un montant de … euros ; qu’en sus il a requalifié une dette figurant dans le bilan de la succursale pour un montant de … euros en tant qu’apport caché, l’excluant ainsi de la déduction de la fortune d’exploitation de la réclamante ; que la réclamante conteste encore que le bureau d’imposition a également requalifié une réserve IFRS de … euros en tant qu’apport caché ;
Considérant que le litige porte d’une part sur l’existence de la succursale et d’autre part sur la qualification de deux postes figurant dans le passif de cette succursale ; qu’il en découle qu’il y a dans une première phase lieu de trancher la question de savoir si la succursale constitue un établissement stable au sens des dispositions de la convention du 21 novembre 2002 avec la Malaisie (la convention) avant de déterminer, le cas échéant, dans une deuxième phase la nature fiscale de ces prétendus instruments de dette ;
En ce qui concerne l’existence d’une succursale en Malaisie Considérant qu’en guise de motivation, la réclamante avance plusieurs arguments pour justifier l’existence d’un établissement stable en Malaisie, à savoir :
1) l’établissement stable disposerait d’une installation d’affaires, étant donné qu’un bureau, pour lequel elle aurait un accès permanent, lui serait mis à disposition en vertu d’un contrat de location, 2) l’établissement stable disposerait d’une installation fixe, car le bureau précité serait situé en un lieu précis, « à savoir au …, Malaisie », 3) l’établissement stable aurait une activité spécifique en Malaisie, à savoir la détention de participations ;
Considérant que la réclamante est en vertu du § 1 de [la] loi concernant l’impôt sur la fortune (VStG) imposable sur l’ensemble de sa fortune déterminée selon les §§ 73 à 77 de [la] loi modifiée du 16 octobre 1934 sur l’évaluation des biens et valeurs (BewG) ;
Considérant que, d’une manière générale, les conventions tendent à éviter une double imposition internationale, dite juridique, qui a lieu lorsqu’un contribuable se trouve atteint, au titre d’une même base et d’une même période, par des impôts de nature comparable appliqués par deux ou plusieurs juridictions fiscales nationales ;
Considérant que dans leur application simultanée et bilatérale par les deux Etats qui s’y sont engagés, les conventions se justifient notamment de par leur traitement équitable et uniforme des contribuables, en respectant le principe de la non-discrimination d’une personne réalisant des revenus sur les territoires de plusieurs Etats vis-à-vis d’une personne ne réalisant des revenus que sur le territoire d’un seul Etat ;
Considérant encore que les conventions fiscales internationales constituent des traités bilatéraux qui, lors de leur élaboration, ont de prime abord été négociés, paraphés et signés, puis délibérés au niveau national pour finalement être ratifiés et entrer en vigueur ; qu’elles constituent dès lors des lois auxquelles doit se conformer chaque acteur visé par leur champ d’application ;
Considérant que le principe de la hiérarchie des normes n’est autre qu’un classement hiérarchisé de l’ensemble des normes qui composent le système juridique d’un Etat de droit pour en garantir la cohérence et la rigueur ; qu’il est fondé sur le principe qu’une norme doit respecter celle du niveau supérieur et la mettre en œuvre en la détaillant ;
Considérant que lors d’un conflit de normes, elle permet de faire prévaloir la norme de niveau supérieur sur la norme qui lui est subordonnée ; qu’en l’occurrence les conventions internationales priment toujours sur le droit national ; que c’est justement le droit interne qui doit nécessairement se conformer aux conventions fiscales en vigueur ;
Considérant qu’en vertu de l’article 24, alinéa 2 de la convention, la fortune constituée par des biens mobiliers qui font partie de l’actif d’un établissement stable qu’une entreprise d’un Etat contractant a dans l’autre Etat contractant est imposable dans cet autre Etat ;
Considérant qu’en ce concerne la notion d’« établissement stable » il y a lieu de se référer à l’article 5 de la convention qui se lit comme suit :
« 1. Au sens de la présente Convention, l’expression "établissement stable" désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.
2. L’expression "établissement stable" comprend notamment :
a) un siège de direction ;
b) une succursale ;
c) un bureau ;
d) une usine ;
e) un atelier ;
f) une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles ;
3. Un chantier de construction ou de montage ne constitue un établissement stable que si sa durée dépasse neuf mois. » ;
Considérant que le directeur a procédé en date du 28 avril 2021 à une mise en état du dossier afin de se procurer de plus amples détails en ce qui concerne les faits de l’espèce et les griefs formulés par la requérante ; que ladite mise en état du dossier est libellée comme suit :
« la réclamante est invitée à fournir une copie du contrat de bail du potentiel siège, du certificat d’immatriculation et du contrat d’emploi du « … », de la succursale en Malaisie, à produire une copie de la décision de l’assemblée générale statuant sur l’ouverture d’une succursale en Malaisie, à présenter un relevé d’identité bancaire d’un compte en Malaisie, ainsi que tous les extraits bancaires de l’année 2015 de ce compte, à documenter son établissement stable en Malaisie par le biais d’une présentation illustrée ;
à fournir une explication détaillée et concluante de la raison pourquoi [sic] elle a besoin d’un établissement stable en Malaisie afin de détenir deux participations, alors qu’elle aurait aussi bien pu les détenir au Grand-Duché, à produire une copie des comptes annuels des années 2014, 2015, 2016 et 2017 de toutes ses participations, et à fournir une copie de toutes les pièces comptables relatives aux années 2014, 2015, 2016 et 2017 de ces participations. » ;
Considérant que dans sa réponse entrée en date du 28 juin 2021 la réclamante s’exprime, par extraits, comme suit : « Le compte bancaire n’a été ouvert qu’en 2020, dans la mesure où il s’est avéré plus pratique pour la succursale de passer par le compte bancaire luxembourgeois dans un premier temps.
Les participations dans des sociétés actives ont été allouées à la succursale en raison de l’impossibilité de bénéficier du régime mère-filiale au Luxembourg (…) L’enregistrement de la succursale avec les autorités malaisiennes (qui est une formalité de droit des sociétés) ou le recrutement de personnel ne sont pas nécessaires pour créer un établissement stable. Néanmoins, désireux de renforcer leur structure locale, cet enregistrement et le recrutement d’une personne sont actuellement en cours. » ;
Considérant que la réclamante reste en défaut de « documenter son établissement stable en Malaisie par le biais d’une présentation illustrée » ; qu’elle a cependant joint en annexe de sa requête un croquis de l’étage numéro … « … », auquel se trouve le « bureau » de son « établissement stable » ;
Considérant encore que la réclamante « fait partie du groupe (A) » et que la gérance de la succursale ainsi que la fourniture d’un bureau pour celle-ci, sont entièrement assurées par la société de droit malaisien « (AA) », faisant partie du même groupe ; que suivant ses propres dires, ses participations ne sont pas éligibles au régime mère-filiale au sens du § 60 BewG et que pour cette raison elle a créé une succursale en Malaisie afin de pouvoir exonérer ces participations ; que cette affirmation fait ressortir que la réclamante a choisi dans le présent cas une voie inadéquate afin de pouvoir exonérer la valeur unitaire de ses participations sans la pouvoir justifier par des motifs extra-fiscaux valables ; qu’il convient donc d’analyser les opérations effectuées par la réclamante sur base des critères tels qu’énumérés et retenus à travers la jurisprudence constante, afin d’être en mesure de juger si la voie juridique choisie par elle est à qualifier d’abus de droit au sens du § 6 StAnpG ;
Considérant que les trois critères à remplir sont les suivants :
1) l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé, 2) la recherche d’une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt et 3) l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie ;
Considérant qu’au vu des constatations susénoncées, le troisième critère se trouve vérifié en l’espèce ; que les premier et deuxième critères se trouvent également vérifiés, étant donné que la réclamante, dont l’objet social consiste en la détention de participations, est une société à responsabilité limitée, ayant créé une succursale en Malaisie ; que cette opération rentre sans équivoque dans la conception de l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé ; que cette opération lui permet une réduction considérable de la charge d’impôt par le biais de l’exonération de la valeur unitaire de sa succursale ;
Considérant encore qu’en date du 19 mai 2016, un courriel est entré au nom de la réclamante, qui fait entendre que la réclamante ne réalise aucun revenu à travers son « établissement stable » en Malaisie : « With regard to the (G) (we refer to the ruling …), please be informed that the (G) will not recognize any taxable income in Malaysia on the basis that it is not earning any income which is accruing in or derived from (i.e. sourced from) Malaysia. » ;
Considérant qu’il découle de ce qui précède, que l’existence d’un établissement en stable en Malaisie ne se trouve pas vérifié[e] en l’espèce, ce qui est d’ailleurs corroboré par le fait que la réclamante ne dispose même pas d’un compte bancaire en Malaisie pour l’année litigieuse ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’opération litigieuse se caractérise par un détournement abusif des dispositions légales de leur objectif premier en vue de bénéficier, par un montage purement artificiel, d’avantages fiscaux injustifiés et non voulus par le législateur ; que tous les critères permettant de qualifier l’abus de droit au sens du § 6 StAnpG s’avèrent remplis de sorte qu’il y a pleinement lieu de confirmer le bureau d’imposition dans sa manière d’agir ;
En ce qui concerne la qualification fiscale des prétendus instruments de dette Considérant que la réclamante avance que la qualification fiscale d’un instrument devrait être effectuée sur la base de la théorie de l’accrochement du bilan fiscal au bilan commercial en vertu de l’article 40 de [la] loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) et que « les Prêts ont été enregistrés comme dettes dans le bilan IFRS de la Société » ; qu’elle est d’avis que si « les comptes avaient été établis en Luxembourg GAAP, les Prêts seraient clairement considérés comme dette, raison pour laquelle il convient également de considérer les Prêts comme tels au bilan fiscal, dans la mesure où aucune disposition fiscale ne fait obstacle à une telle qualification. » ; qu’elle énumère plusieurs critères, qui, suivant ses dires, sont susceptibles « de délimiter la notion d’instrument de dette ou de capital », à savoir : la durée du prêt, l’existence d’un taux participatif, le taux d’intérêt, la participation au boni de liquidation, la possibilité de remboursement du principal par émission d’actions de l’emprunteur, le droit de vote rattaché au prêt et la présence d’une clause de « stapling » ;
que suivant ces critères, elle constate que les instruments en question seraient à qualifier de dettes, étant donné que tous les critères seraient remplis en sa faveur sauf celui de la présence d’un intérêt ;
Considérant qu’il ressort du dossier fiscal que la réclamante a souscrit auprès de son associé unique deux prêts pour lesquels elle n’est redevable d’aucun intérêt (« interest free loan » ou « IFL ») ;
Considérant qu’à l’occasion des fonds contribués à la réclamante par le biais de l’IFL, il y a lieu de se poser la question de savoir si ces derniers sont à considérer comme fonds propres et non comme dette au niveau de la réclamante ; qu’afin de qualifier un instrument financier comme des fonds propres ou de [la] dette, il convient de se référer au principe de la réalité économique devant prévaloir sur la qualification purement juridique (« substance over form ») ;
Considérant que le § 11 StAnpG, ayant trait à l’approche économique, l’emporte de plein droit sur l’approche purement juridique ; qu’en appliquant la méthode de l’appréciation économique, il y a lieu de dégager derrière les formes choisies, le véritable contenu des opérations économiques, celui qui est pertinent pour l’application de la loi fiscale (Tribunal administratif du 18 juin 2014, n° 32653 du rôle) ;
Considérant que l’analyse économique et financière de l’opération litigieuse peut entraîner la requalification de l’IFL en apport caché ou en capital caché ; que « La notion fiscale inclut notamment les apports cachés et le capital caché. Les apports cachés et le capital caché sont, à tous les points de vue, assimilés au capital formel : il convient donc de les additionner au capital social pour déterminer la participation. Par « apport caché » (« verdeckte Einlage »), il faut entendre les apports en numéraire ou en nature faits par un actionnaire à une société en dehors de toute modification du capital social souscrit et libéré.
Par le biais d’un apport caché, un avantage est octroyé par l’actionnaire, avantage qu’il n’aurait pas octroyé à une société avec laquelle aucune relation n’existe. En d’autres mots, l’apport caché constitue l’octroi d’un avantage entre personnes apparentées motivé par les relations sociales. (…) La notion de « capital caché » (« verdecktes Stammkapital ») vise une situation où un actionnaire a accordé directement ou indirectement un prêt à une société, alors qu’un créancier indépendant, agissant suivant les usages du marché, n’aurait pas accordé ce crédit. » (cf. Etudes fiscales - Sociétés mère et filiales par …, mai 2009, pages 43 et 44) ;
Considérant qu’au sujet des apports cachés et du capital caché les travaux parlementaires relatifs à la L.I.R. ont retenu ce qui suit : « Il se peut que les sociétaires qui participent au capital dans les formes prévues par la loi accordent en plus un prêt à la société.
En l’occurrence le prêt peut constituer une façon déguisée de doter la société du capital nécessaire à la poursuite de son but. Dans certaines conditions un prêt pareil est considéré, dans le chef de la société et à l’égard de l’impôt sur le revenu des collectivités, comme capital social occulte de la société. Les intérêts accordés en raison du prêt ne sont, en l’occurrence, pas déductibles comme charges de la société. En conséquence il faut considérer le prêt, dans le chef du sociétaire, comme participation supplémentaire et les intérêts comme dividendes de cette participation. Il est difficile de prévoir des règles générales et précises qui permettraient de déterminer, dans un cas particulier, si le prêt constitue une participation au sens de l’article 114. En général, le prêt est à considérer comme participation, lorsque la voie normale de financement, dictée par des considérations économiques ou juridiques sérieuses, eût été l’augmentation de capital et qu’il résulte clairement des circonstances que la forme du prêt ne peut avoir été choisie que dans un but d’évasion fiscale. Le défaut des formes juridiques usuelles du prêt, à savoir la fixation du taux des intérêts et des modalités de remboursement, l’affectation des fonds prêtés aux immobilisations à longue durée, le défaut de garanties, la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés fournissent autant de présomptions de l’existence d’une participation déguisée sous la forme du prêt. Il importe aussi de tenir compte des circonstances dans lesquelles le prêt est accordé. Lorsque le prêt est p. ex. immédiatement consécutif à un remboursement de capital, il ne peut y avoir aucun doute sur la nature économique du prêt. » (projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc.
parl. 5714, commentaire des articles, ad art. 114, p. 180 ; article 114 du projet correspondant à l’article 97 L.I.R.) ;
Considérant que, contrairement aux dires de la réclamante, les conditions générales des prêts litigieux font ressortir l’existence d’une clause « stapling » sous le point 9 « MANDATORY PREPAYMENT If : » et plus particulièrement sous la lettre (b) de celui-ci :
« Change of Shareholding : The Lender ceases to own whether directly or indirectly, more than fifty- per cent (50 %) of the issued share capital of the Borrower ; » ; qu’il en découle que le paiement anticipé des « prêts » est obligatoire dès que le taux de participation de la réclamante dans le capital social de la société emprunteuse (A) diminue à moins de cinquante pourcent ; que cet agrafage avec les parts représentatives de capital est un indice clair que les instruments concernés sont à qualifier de capitaux propres ;
Considérant qu’il ressort encore des contrats de ces différents « prêts » qu’aucun intérêt n’a été fixé ; que les fonds prêtés sont majoritairement destinés à financer les deux participations de la réclamante, alors que le risque d’une dépréciation éventuelle et de la perte éventuelle des fonds investis pèse entièrement sur son associé ; que la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés est manifeste (Capital social suivant les bilans des années 2014 et 2015 et suivant les dires de la réclamante : … euros) ; que la réclamante est donc largement sous-capitalisée (ratio dettes/fonds propres de 99,998 pourcent par rapport à 0,002 pourcent) ;
Considérant encore qu’il échet d’apporter une précision relative au bilan commercial introduit par la réclamante en annexe de sa déclaration pour l’impôt sur le revenu des collectivités, pour l’impôt commercial de l’année 2015 et pour l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016 ; qu’il ressort dudit bilan commercial que la réclamante a comptabilisé une « réserve IFRS » capitalisée pour un montant de … dollars américains, alors que cette réserve est entièrement constituée d’une partie des « prêts » susénoncés, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté, mais bien au contraire, confirmé par la réclamante : « la comptabilisation d’une partie des Prêts sous forme de Réserve d’après la norme IFRS ne saurait être retenue pour les besoins de la qualification des Prêts d’un point de vue fiscal luxembourgeois. » ;
Considérant qu’en matière fiscale, les sociétés membres d’un groupe doivent être considérées comme agissant entre elles sur un marché de pleine concurrence (normes OCDE) ;
Considérant qu’un gestionnaire même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, ne renoncerait pas à la perception d’un intérêt lorsque celle-ci aurait accordé un prêt à sa filiale, n’avancerait pas des fonds tout en assumant in fine l’entièreté des conséquences s’il ne visait pas un rendement certain à moyen ou long terme et n’aurait pas favorisé une sous-capitalisation comme dans le cas d’espèce ; qu’il en ressort qu’un créancier indépendant, agissant suivant les usages du marché, n’aurait pas accordé un crédit à la réclamante dans la situation donnée ;
Considérant qu’en droit fiscal, la « distribution cachée et l’apport caché constituent des opérations voisines ayant les caractéristiques suivantes. Il s’agit en effet de l’octroi d’un avantage entre personnes apparentées motivé par les relations sociales. » (Etudes fiscales n° 113/114/115, Guy Heintz, Impôt sur le revenu des collectivités) ;
Considérant qu’il découle de ce qui précède que le bureau d’imposition a fait une juste appréciation des faits et que c’est à juste titre qu’il n’a pas reconnu l’existence d’un établissement stable en Malaisie, tout en requalifiant les prétendus instruments de dette en apport caché ;
Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d’ailleurs pas autrement contestées ;
PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 avril 2022, la société (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du directeur du 14 janvier 2022.
Par jugement du 8 mai 2024, le tribunal se déclara compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision du directeur du 14 janvier 2022, reçut ledit recours en la forme, au fond, le déclara non fondé, partant en débouta la demanderesse, rejeta sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 euros et la condamna aux frais et dépens.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 17 juin 2024, inscrite sous le numéro 50602C du rôle, la société (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Après avoir retracé les faits et rétroactes repris en substance ci-avant, l’appelante avance, premièrement, que le tribunal aurait effectué une qualification fiscale erronée des prêts litigieux et aurait donc conclu à tort que lesdits prêts seraient des instruments de capital et non de dette. Deuxièmement, les premiers juges auraient fait une appréciation erronée des faits avancés par elle et tendant à démontrer l’existence de sa succursale en Malaisie à partir de l’année 2015 et auraient ainsi refusé à tort de reconnaître l’existence de son établissement stable en Malaisie. Enfin, l’appelante critique le tribunal pour avoir retenu l’existence d’un abus de droit en lien avec l’établissement de sa succursale alléguée en Malaisie et l’allocation de ses participations dans les sociétés (C) et (CC) à cette succursale.
I.
Quant à la qualification fiscale des prêts litigieux Arguments des parties Selon l’appelante, dans le cadre de son entreprise de qualification des prêts litigieux ayant abouti à la conclusion que ceux-ci seraient des instruments de capital, le tribunal administratif, d’une part, aurait analysé d’une manière erronée certains critères et, d’autre part, aurait adopté une approche biaisée en ce qui concerne son appréciation globale.
L’analyse erronée de certains critères concernerait son affectation des fonds, la disproportion des fonds empruntés par rapport à ses fonds propres et l’absence de garantie assortissant les prêts litigieux.
En substance, quant au critère de l’affectation des fonds, l’appelante déduit du raisonnement des premiers juges que selon eux, une participation serait nécessairement à qualifier d’ « immobilisation de longue durée ». Elle critique ce raisonnement en donnant à considérer que les travaux parlementaires ne se prononceraient pas sur la signification d’ « immobilisation de longue durée » et qu’à suivre le raisonnement du tribunal, tout instrument de dette finançant une participation courrait le risque d’être requalifié en fonds propres, sous réserve de la présence d’autres indices tendant vers la qualification d’un instrument de capital.
Soulignant que dans le « monde des affaires » actuel, l’endettement serait souvent privilégié par rapport à des « financements en capital », notamment pour des raisons de flexibilité et de rendement des actionnaires, elle critique encore le tribunal pour avoir qualifié les participations dans les sociétés (C) et (CC) d’ « immobilisation de longue durée » en raison des actifs détenus par ces deux sociétés – liés en l’espèce à un gazoduc. En effet, ceci reviendrait à analyser, pour les besoins de la qualification d’ « immobilisation de longue durée », « les actifs sous-jacents d’une participation par transparence », alors qu’une telle analyse ne serait prévue ni par les travaux parlementaires, ni par la jurisprudence, ni par la doctrine.
L’appelante se prévaut ensuite de faits survenus plusieurs années après l’octroi des prêts litigieux – à savoir, la vente des deux participations susmentionnées, en vertu d’un contrat conclu en décembre 2021 et devenu effectif en février 2022 – pour accentuer la circonstance que les participations auraient été détenues pour une durée totale de six années, ce qui montrerait qu’elles auraient eu vocation à n’être détenues que pour une durée limitée.
De plus, depuis cette vente, les prêts litigieux auraient financé des liquidités, lesquelles seraient « plutôt » des actifs circulants, ce qui confirmerait qu’ils n’auraient pas pour seul objectif de financer les participations, ni même une quelconque immobilisation de longue durée.
En outre, l’appelante estime que pour être qualifiée « de longue durée », une immobilisation devrait être financée par un instrument financier étant lui-même « de longue durée », de sorte qu’une telle qualification dépendrait de la maturité de l’instrument financier.
Or, en l’espèce, les prêts litigieux auraient une maturité de 10 ans, soit une durée qui, aux dires du tribunal, tendrait vers la qualification d’instrument de dette. Par conséquent, les participations ne devraient pas être considérées comme des « immobilisations de longue durée », et ce fait, à son tour, constituerait un indice qui ne saurait tendre vers la qualification des prêts litigieux en instruments de capital.
Enfin, l’approche du tribunal serait en « forte contradiction » avec celle que l’administration des Contributions directes aurait adoptée jusqu’en 2015 : cette dernière aurait admis, dans une circulaire L.I.R. 164/2 du 28 janvier 2011 en matière de financement intragroupe, la possibilité de limiter le montant des fonds propres à 1% des fonds sous-jacents ou à deux millions d’euros.
Ensuite, en ce qui concerne le critère de la disproportion des fonds empruntés par rapport aux fonds propres de l’appelante, celle-ci admet que les participations ont été financées en grande partie par les prêts litigieux. Toutefois, dans un arrêt du 23 novembre 2023 (n° 48125C du rôle), la Cour aurait retenu que le critère de la disproportion « doit être apprécié en tenant compte des exigences relatives au ratio dettes/fonds propres au moment de la mise à disposition des fonds ». L’appelante en déduit qu’une éventuelle disproportion entre ses fonds propres et le montant des prêts litigieux aurait dû être appréciée par rapport à la date à laquelle les participations avaient été acquises, soit le 30 avril 2015. Or, jusqu’à l’introduction en 2020 de lignes directrices de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique, ci-après l’ « OCDE », en matière de prix de transfert dans un contexte de transactions financières, la pratique de marché – laquelle aurait été endossée par l’administration des Contributions directes – aurait été d’admettre le financement d’une participation à hauteur de 85% par de la dette, et de 15% par des fonds propres. En l’espèce, l’appelante aurait fait procéder à une « revue prix de transfert des pairs opérant dans la même industrie » qui permettrait de conclure que « la structure d’endettement des opérations de (AAA), avec 85 % de dettes et 15 % de capitaux propres, est conforme à la structure d’endettement utilisée par ses pairs au cours de l’exercice 2015 ».
L’appelante estime qu’en tout état de cause, à supposer qu’il y ait lieu de procéder à une requalification des prêts litigieux en fonds propres, seule la partie excédant le montant de la dette considérée comme de pleine concurrence (à savoir 85 %) devrait être requalifiée.
Enfin, selon l’appelante, le constat que le risque de la perte de fonds serait exclusivement supporté par la société (E) ne serait pas « un indice supplémentaire faisant tendre la qualification des [prêts litigieux] vers des instruments de dette », mais simplement une conséquence directe de sa prétendue sous-capitalisation.
En troisième lieu, quant au critère de l’absence de garantie assortissant les prêts litigieux, l’appelante critique le tribunal pour avoir retenu qu’une telle absence constituerait un indice laissant supposer l’existence d’un instrument de capital. En effet, ce faisant, le tribunal n’aurait pas tenu compte du fait que les prêts litigieux ne contiendraient pas de clause dite de « limited recourse », à savoir une clause qui limiterait les droits d’un prêteur à certains actifs de l’emprunteur. En tout état de cause, les prêts intragroupes seraient moins assortis de sûretés ou de garanties. En l’espèce, puisque le prêteur serait l’actionnaire de l’appelante, il posséderait déjà 100 % des actions de l’emprunteur, de sorte qu’il n’aurait pas été possible de mettre en place un gage sur les parts détenues par l’emprunteur. Les garanties susceptibles d’être accordées par l’emprunteur dans un contexte intragroupe serait donc limitées et un tel critère ne devrait pas être considéré comme déterminant.
Ensuite, quant à la critique de l’appelante selon laquelle le tribunal aurait adopté une approche biaisée dans son appréciation globale des critères pertinents pour l’analyse de la qualification fiscale des prêts litigieux, la société (A) avance que les premiers juges auraient écarté à tort, de façon arbitraire et sans justification, les cinq critères suivants : l’absence d’intérêt participatif, l’absence de participation au boni de liquidation, l’absence de possibilité de conversion du montant principal en capital, l’absence de possibilité de remboursement du principal par émission d’actions et l’absence de droits de vote ou d’information.
Selon l’appelante, si ces critères avaient été pris en compte, la majorité des indices aurait pointé en faveur d’une qualification d’instrument de dette. Or, bien que la qualification d’un instrument financier devrait être faite sur base d’une analyse économique tenant compte des circonstances plus que sur une base arithmétique, il conviendrait néanmoins d’analyser vers quelle qualification tend la majorité des indices, comme cela aurait été retenu par la Cour dans son arrêt susmentionné du 23 novembre 2023.
L’appelante souligne ensuite que les prêts litigieux ne seraient pas subordonnés par rapport à d’autres de ses dettes, ce qui serait à nouveau une caractéristique d’un instrument de dette.
Dans son mémoire en réplique, l’appelante avance qu’il ressortirait de l’article 40 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après la « LIR », que la qualification fiscale d’un instrument financier dépendrait de sa qualification sur le plan comptable. En l’espèce, bien qu’elle présente ses comptes annuels sous la norme comptable IFRS 9, il serait incontestable que les prêts litigieux auraient été enregistrés comme instruments de dette si lesdits comptes avaient été préparés en Lux GAAP, comme cela ressortirait des deux « Loan classification memorandum » versés par elle. Par conséquent, en vertu de la « théorie de l’accrochement au bilan commercial », les prêts litigieux devraient être considérés comme des instruments de dette.
Elle indique ensuite qu’à supposer qu’il faille néanmoins s’intéresser à l’appréciation économique d’un instrument financier, comme cela serait prévu par le § 11 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, telle que modifiée, appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après « StAnpG », tant l’analyse des premiers juges que la position de la partie étatique seraient critiquables au regard des considérations avancées par elle ci-avant.
L’appelante conclut que la qualification des prêts litigieux en instruments de dette s’imposerait tant sur la base de l’analyse économique que sur celle des caractéristiques de ces prêts, de sorte qu’il y aurait lieu d’annuler la décision litigieuse du directeur sur ce point. Ainsi, elle demande à titre principal cette annulation et, à titre subsidiaire, la réformation de la décision directoriale afin de requalifier uniquement 15% des tirages effectués en vertu des prêts litigieux.
De son côté, la partie étatique sollicite la confirmation intégrale de ce volet du jugement appelé.
Analyse de la Cour Avant de se pencher sur la question de la requalification litigieuse, il convient de clarifier le fondement juridique sous-tendant cette requalification, les parties étant en désaccord sur ce point.
Contrairement à ce qu’affirme l’appelante, la théorie de l’accrochement du bilan fiscal au bilan commercial ancrée à l’article 40, alinéa (1), LIR ne concerne pas la qualification d’un instrument financier, mais l’évaluation des actifs et passifs pour les besoins du bilan fiscal (Cour adm. 28 mai 2020, n° 43749C, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 162). En effet, cette disposition énonce que :
« Lorsque les prescriptions régissant l’évaluation au point de vue fiscal n’exigent pas une évaluation à un montant déterminé, les valeurs à retenir au bilan fiscal doivent être celles du bilan commercial ou s’en rapprocher le plus possible dans le cadre des prescriptions prévisées, suivant que les valeurs du bilan commercial répondent ou ne répondent pas aux mêmes prescriptions ».
Le § 11 StAnpG, auquel se réfère la partie étatique, ne concerne à lui seul pas non plus la qualification d’un instrument financier d’un point de vue fiscal, mais l’imputation personnelle de revenus et de biens (cf. « Für die Zurechnung bei der Besteuerung gelten, soweit nichts anderes bestimmt ist, die folgenden Vorschriften : (…). »).
En revanche, il est vrai que le § 11 StAnpG, en ce qu’il instaure une propriété fiscale qui s’écarte de la propriété juridique lorsqu’il se dégage de la réalité économique que la propriété économique a été transférée à un tiers (Cour adm., 2 juillet 2020, n° 43931C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 91), constitue une mise en œuvre du principe de l’appréciation économique ou de la prééminence du fond sur la forme, applicable en matière fiscale. En effet, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, il est de principe en droit fiscal que les faits et les actes juridiques doivent être interprétés et appréciés d’après des critères économiques et que les qualifications juridiques avancées par les parties ne sont retenues par le juge de l’impôt que dans la mesure où elles correspondent à l’intention réelle des parties (Cour adm., 26 juin 2008, n° 24061C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 86).
Dans ce contexte, comme la Cour l’a souligné dans ses arrêts du 31 mars 2022 (nos 46131C et 46132C du rôle) et ainsi que les premiers juges l’ont rappelé à bon escient dans le jugement entrepris, il est utile de se référer au commentaire de l’article 114 du projet de loi concernant l’impôt sur le revenu (doc. parl. 571/04, p. 295), qui énonce ce qui suit à propos de la requalification d’un prêt en capital déguisé :
« Il se peut que les sociétaires qui participent au capital dans les formes prévues par la loi accordent en plus un prêt à la société. En l’occurrence le prêt peut constituer une façon déguisée de doter la société du capital nécessaire à la poursuite de son but. Dans certaines conditions un prêt pareil est considéré, dans le chef de la société et à l’égard de l’impôt sur le revenu des collectivités, comme capital social occulte de la société. Les intérêts accordés en raison du prêt ne sont, en l’occurrence, pas déductibles comme charges de la société. En conséquence il faut considérer le prêt, dans le chef du sociétaire, comme participation supplémentaire et les intérêts comme dividendes de cette participation. Il est difficile de prévoir des règles générales et précises qui permettraient de déterminer, dans un cas particulier, si le prêt constitue une participation au sens de l’article 114. En général, le prêt est à considérer comme participation, lorsque la voie normale de financement, dictée par des considérations économiques ou juridiques sérieuses, eût été l’augmentation de capital et qu’il résulte clairement des circonstances que la forme du prêt ne peut avoir été choisie que dans un but d’évasion fiscale. Le défaut des formes juridiques usuelles du prêt, à savoir la fixation du taux des intérêts et des modalités de remboursement, l’affectation des fonds prêtés aux immobilisations à longue durée, le défaut de garanties, la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés fournissent autant de présomptions de l’existence d’une participation déguisée sous la forme du prêt. Il importe aussi de tenir compte des circonstances dans lesquelles le prêt est accordé. Lorsque le prêt est p. ex. immédiatement consécutif à un remboursement de capital, il ne peut y avoir aucun doute sur la nature économique du prêt ».
Il se dégage de cet extrait des travaux parlementaires que la requalification en capital déguisé d’un prêt octroyé par un associé – en l’espèce indirect – à sa société s’impose lorsque l’analyse des caractéristiques de ce prêt et des circonstances dans lesquelles il a été octroyé révèle qu’il est économiquement à assimiler à une participation et qu’il résulte clairement du contexte que la forme du prêt ne peut avoir été choisie que pour des raisons fiscales.
L’analyse des caractéristiques du prêt consiste, d’une part, à examiner les stipulations de la convention de prêt afin de vérifier si elles fixent un taux d’intérêt et définissent les modalités de remboursement des fonds mis à disposition, ces deux éléments étant considérés dans l’extrait précité comme les « formes juridiques usuelles du prêt ». D’autre part, cette analyse implique d’étudier des éléments relevant de l’économie de l’opération, tels l’utilisation des fonds prêtés, l’existence de garanties et la proportion entre le capital social et les fonds prêtés. A cet égard, l’affectation des fonds prêtés aux immobilisations à longue durée, le défaut de garanties et la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés constituent des éléments permettant de présumer l’existence d’une participation déguisée sous la forme du prêt (Cour adm., 26 juillet 2017, n° 38357C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 765).
Comme rappelé par le tribunal, d’autres indices retenus par la jurisprudence des juridictions administratives sont en l’occurrence la fixation de droits de vote au profit du prêteur, sa participation aux profits et aux risques de la société, son droit à un éventuel boni de liquidation, un degré élevé de subordination de l’instrument par rapport à d’autres titres, une échéance à long terme, l’option de convertir l’instrument en capital par décision unilatérale de la société, le remboursement en actions de la société et la présence d’une clause de « stapling », correspondant à une disposition empêchant le transfert de l’instrument indépendamment de celui des actions de la société emprunteuse. Il peut également être pertinent d’examiner sous quel poste d’actif – participation ou créance – les instruments litigieux sont inscrits au bilan de leur détenteur (Cour adm., 31 mars 2022, nos 46131C et 46132C du rôle).
Quant aux circonstances dans lesquelles le soi-disant prêt a été accordé, les travaux parlementaires donnent l’exemple d’une mise à disposition de fonds, qualifiée de prêt, immédiatement consécutive à un remboursement de capital. Il s’agit donc d’apprécier d’une manière plus globale comment le prêt s’insère dans la « vie » de la société, en veillant à ce que cette mise à disposition des fonds ne soit pas artificiellement isolée d’autres opérations certes distinctes, mais néanmoins pertinentes pour comprendre s’il y a en l’espèce une volonté de dissimuler la véritable nature de la mise à disposition des fonds. Ainsi, le fait que le prêteur de fonds soit en même temps un actionnaire direct ou indirect de la société emprunteuse est également un élément à prendre en compte dans cette analyse des circonstances (Cour adm.
31 mars 2022, n° 46131C et 46132C ; Cour adm. 23 novembre 2023, n° 48125C).
Les premiers juges ont donc conclu à juste titre qu’il leur revenait d’examiner les caractéristiques des prêts litigieux et les circonstances ayant entouré leur conclusion.
Comme déjà indiqué, l’appelante estime que le tribunal a effectué une appréciation erronée de trois de ces caractéristiques. La Cour ne saurait cependant partager le raisonnement de l’appelante.
En effet, premièrement, quant au grief portant sur le critère de l’affectation des fonds par l’appelante, la Cour ne peut que partager la conclusion des premiers juges selon laquelle les prêts litigieux sont à considérer comme ayant financé des « immobilisations à longue durée », pour reprendre la terminologie de l’extrait précité des travaux parlementaires.
Tout d’abord, indépendamment du bien-fondé de l’affirmation de l’appelante selon laquelle les travaux parlementaires ne contiendraient pas de définition d’« immobilisation de longue durée », force est de constater que selon l’article 21 LIR :
« (1) Les biens de l’actif net investi comprennent les immobilisations, les biens du réalisable et du disponible et les éléments du passif envers les tiers.
(2) Sont considérés comme immobilisations les biens qui sont destinés à servir de manière permanente à l’entreprise. » Au vu de cette définition, l’expression « immobilisation à longue durée » est un pléonasme, le terme « immobilisation » tout court étant suffisant pour désigner les actifs détenus à long terme, par opposition aux « biens du réalisable et du disponible », soit les actifs destinés à être détenus à court ou moyen terme.
En l’espèce, ainsi que l’a révélé l’examen du tribunal, les prêts litigieux ont servi in fine à financer un projet de gazoduc, à travers la détention des participations dans les sociétés (C) et (CC). Que l’octroi des prêts litigieux ait servi à financer l’acquisition de ces deux participations est également indiqué dans diverses sections du rapport de prix de transfert de l’entreprise (Y) versé par l’appelante (cf. la liste initiale des abréviations et définitions, la section 4.2 « Assumptions in relation to the Debt Quantum Analysis » et la section 5 « Covered Transaction »).
Or, le bilan fiscal de l’appelante au 31 décembre 2015 joint à sa déclaration fiscale de l’année 2015 confirme l’intention de détenir à long terme ces participations : celles-ci sont classées dans les « Non current assets » et la note n° 1 explique bien que ce sont les « current assets » qui sont des actifs à court terme (« Current assets and liabilities are considered as short term »).
En outre, il ressort de la note n° 5 de l’annexe aux comptes annuels 2015 de l’appelante que l’acquisition de ces deux participations était subordonnée à certaines conditions telle une approbation gouvernementale (« The acquisition was subject to customary condition precedents including approval of host government authorities »), l’Etat ayant souligné à juste titre qu’un tel investissement, en raison de sa complexité et de son envergure, a vocation à être durable. Dans ce contexte, contrairement à ce qu’affirme l’appelante, les premiers juges n’ont pas analysé « les actifs sous-jacents d’une participation par transparence », mais se sont bien concentrés sur les actifs directement détenus par l’appelante – à savoir les participations susmentionnées –, le fait que ces participations servent ensuite à exploiter un gazoduc étant à prendre en compte parce qu’il explique la complexité accrue entourant l’acquisition de ces participations.
Qui plus est, l’appelante n’a pas allégué, ni démontré que ces participations seraient détenues dans des sociétés cotées et bénéficieraient ainsi d’une liquidité telle qu’il serait plausible qu’elles aient été acquises dans une optique de détention à court terme.
Par ailleurs, l’appelante n’a pas valablement contredit l’affirmation de l’Etat selon laquelle elle n’avait pas d’autres actifs et ne poursuivait pas d’activité autre que l’acquisition et la gestion de ces participations, de sorte que ces dernières sont bien à considérer comme des actifs immobilisés, indépendamment d’un éventuel changement ultérieur de stratégie commerciale de l’appelante ayant entraîné finalement la cession des participations au bout de six ans.
De plus, il ressort de la note n° 21 de l’annexe aux comptes annuels 2015 de l’appelante que cette dernière estimait détenir une influence significative sur les deux entités en question (« Although the Group has 15.19% and 15.5% ownership in the equity interests of (CCC) and (CCCC) respectively, the Company has determined that it has significant influence because it has representation on the board of the entities. »), ce qui conforte une volonté de détention à long terme de ces participations.
De surcroît, la grande proximité entre la dénomination de l’appelante et celle des sociétés dans lesquelles elle a détenu les participations financées par les prêts litigieux – les trois dénominations sociales comportant la mention « … » – montre bien la volonté de former un groupe et l’inscription des relations entre ces sociétés dans une optique de longue durée.
En effet, d’un point de vue commercial, utiliser des dénominations proches dans une approche à court terme n’aurait pas de sens, en raison du risque d’induire par la suite en erreur d’éventuels clients à cause de confusions potentielles entre les diverses entités concernées, et ainsi, de s’auto-générer des problèmes de concurrence.
Par rapport à l’affirmation de l’appelante que pour être qualifiée « de longue durée », une immobilisation devrait être financée par un instrument financier étant lui-même « de longue durée », la Cour admet qu’il est certes logique qu’une immobilisation soit financée par un instrument de longue durée, sans quoi, le débiteur s’exposerait au risque de ne pas réussir à refinancer son immobilisation. Cependant, premièrement, la qualification d’immobilisation ne saurait exclusivement dépendre de la maturité de l’instrument finançant l’actif pertinent, mais requiert d’effectuer une analyse globale incluant en l’espèce, comme indiqué plus haut, la complexité de l’acquisition de l’actif et la proximité des dénominations sociales des entités concernées. Deuxièmement, si les prêts litigieux ont certes formellement une maturité de 10 ans, donc une durée relativement brève, il ressort toutefois des pièces nos 17 et 18 versées par l’appelante que pendant plusieurs années d’affilée, la stratégie du Groupe a été de refinancer l’appelante à travers l’octroi d’un nouveau prêt d’une maturité à chaque fois d’au moins 10 ans. Or, une telle manière de procéder revient de facto à accorder un prêt pour une durée supérieure à 10 ans.
Cette interprétation n’est pas valablement remise en cause par la référence faite par l’appelante à la circulaire L.I.R. 164/2 du 28 janvier 2011 susmentionnée. En effet, l’appelante n’explique pas en quoi la tolérance administrative relative au montant du capital à risque serait pertinente pour déterminer si un actif est à qualifier d’immobilisation.
Deuxièmement, quant au grief portant sur la manière dont les juges ont apprécié le critère de la disproportion des fonds empruntés par rapport aux fonds propres, la Cour constate que l’appelante n’avance aucun argument de nature à remettre en cause la validité de l’analyse du tribunal.
Ainsi, étant donné que l’appelante elle-même invoque le passage de l’arrêt du 23 novembre 2023 (n° 48125C du rôle) dans lequel la Cour a retenu que le critère de la disproportion significative entre le montant prêté et le montant des fonds propres « doit être apprécié en tenant compte des exigences relatives au ratio dettes/fonds propres au moments [sic] de la mise à disposition des fonds », il est singulier que l’appelante avance ensuite qu’une éventuelle disproportion entre ses fonds propres et le montant des prêts litigieux aurait dû être appréciée par rapport à la date à laquelle les participations ont été acquises.
De plus, les prêts litigieux ayant été octroyés à des moments différents de l’année 2015 et non concomitamment, le choix du tribunal d’examiner le rapport entre fonds propres et fonds empruntés à la date du 31 décembre 2015 est, premièrement, un choix compréhensible, car cette date permet précisément de tenir compte de l’existence du second prêt litigieux, deuxièmement, un choix par défaut, du fait de l’absence de comptes intérimaires documentant la situation comptable de l’appelante aux dates respectives de mise à disposition des fonds, et, troisièmement, un choix qui n’est pas préjudiciable à l’appelante puisque celle-ci ne démontre pas qu’au 31 décembre 2015, le rapport entre ses fonds propres et ses fonds empruntés aurait été différent du rapport existant à la date de la mise à disposition des fonds provenant du deuxième prêt litigieux.
Ensuite, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle la « pratique de marché » aurait été d’admettre le financement d’une participation à hauteur de 85% par de la dette et de 15% par des fonds propres, il convient de souligner l’absence de caractère juridiquement contraignant d’une telle pratique.
C’est encore en vain que l’appelante cherche à se prévaloir d’une « revue prix de transfert des pairs opérant dans la même industrie » qui permettrait de conclure que « la structure d’endettement des opérations de (AAA), avec 85 % de dettes et 15 % de capitaux propres, est conforme à la structure d’endettement utilisée par ses pairs au cours de l’exercice 2015 ». En effet, premièrement, l’entité pertinente en l’espèce est l’appelante et non « (AAA) ».
Deuxièmement, la question pertinente n’est pas celle de savoir si d’autres groupes ont effectué un financement intra-groupe selon un ratio de 85:15, mais de savoir quel est le ratio dettes-
fonds propres qui aurait été appliqué si les opérations de financement avaient eu lieu entre tiers et non au sein d’entités du même groupe. Troisièmement, à supposer que la référence faite dans la revue prix de transfert précitée à « (AAA) » au lieu de l’appelante ait été une erreur, le rapport de prix de transfert établi par l’entreprise (Y) (pièce n° 19) concerne certes la situation de l’appelante, et plus particulièrement le niveau d’endettement pouvant être supporté par l’appelante du point de vue du principe de pleine concurrence dans le cadre du financement des participations dans les sociétés (C) et (CC), mais il paraît non concluant. En effet, au vu de ses annexes nos 3 et 4, il est fondé sur un nombre extrêmement réduit de sociétés qui seraient comparables et ne contient pas tout le contenu annoncé. Ainsi, la section 6 était censée inclure « the accurate delineation of the Covered Transaction [la Covered Transaction étant définie comme étant les prêts litigieux accordés à l’appelante pour financer les participations dans les sociétés (C) et (CC)], including an overview of the commercial rationale behind them [sic] and other options realistically available » (p. 6 du rapport), mais hormis une explication très vague sur les raisons commerciales des opérations de financement réalisées par l’appelante (cf. « acting as borrower to be able to pursue its business opportunities », p. 25 du rapport), le rapport ne contient aucune analyse précise des autres options disponibles pour justifier la structure mise en place au niveau de l’appelante, l’affirmation « Altermatively, going for equity funding would be for the Company a less risky option but more expensive in the long-term as an equity holder may demand a higher return » demeurant très générale et non étayée.
C’est donc à tort que l’appelante prétend que le caractère adéquat de sa structure de financement serait établi au regard du principe de pleine concurrence et qu’en conséquent, il faudrait lui reconnaître une structure de financement composée à hauteur de 85% de dette et à hauteur de 15% de capitaux propres.
Quant à la prétention de l’appelante de limiter la requalification des prêts litigieux en fonds propres à la partie excédant le montant de la dette considérée comme de pleine concurrence, celle-ci est à rejeter. Il est, en effet, ici question de la nature des prêts litigieux, qui logiquement ne saurait être hybride : soit il s’agit entièrement d’une dette, soit entièrement de fonds propres.
Enfin, l’appelante critique à tort le tribunal pour avoir retenu, à la suite du directeur, que le fait que le risque de la perte de fonds soit exclusivement supporté par la société (E) constituerait « un indice supplémentaire faisant tendre la qualification des prêts litigieux vers des instruments de dette ». En effet, le tribunal a retenu l’inverse, en considérant qu’une telle circonstance est un « indice supplémentaire tendant à exclure la qualification d’instrument de dettes » (la Cour souligne).
A supposer que l’appelante ait voulu rejeter cette circonstance comme indice supplémentaire tendant vers la qualification des prêts litigieux en fonds propres, force est de constater que son affirmation selon laquelle ladite circonstance serait simplement une conséquence directe de sa prétendue sous-capitalisation, n’est pas de nature à invalider le raisonnement du tribunal. Ce dernier n’a fait que souligner le risque très élevé supporté par la société (E), étant souligné que la question du risque est bien une question pertinente dans la classification d’un instrument financier dans la mesure où le risque encouru par un actionnaire est ordinairement plus élevé que celui encouru par un créancier.
Troisièmement, quant au grief portant sur la manière dont les juges ont apprécié le critère de l’absence de garantie assortissant les prêts litigieux, il convient d’emblée de rejeter comme non fondé le reproche de l’appelante concernant une absence de prise en compte de ce que les prêts litigieux ne contiendraient pas de clause de recours limité. En effet, l’appelante n’explique pas en quoi l’absence d’une telle clause justifierait l’absence de garantie. Surtout, l’absence de clause de recours limité n’est pas vérifiée dans les faits : certes, les contrats formalisant les prêts litigieux ne contiennent pas une telle clause, mais une importante limitation du recours de la société (E) existe néanmoins, ainsi qu’il ressort des explications suivantes figurant à la page 4 du « management report for the year ended 31 December 2015 » et dans la note n° 15 de l’annexe aux comptes annuels 2015 de l’appelante : « The Company received letter from … [c’est-à-dire le « créancier » des prêts litigieux] (…). The … also affirmed it would not demand any repayment of the amount owing to it except in so far as the funds of the Company permit repayment and such repayment will not affect the ability of the Company to meet its financial liabilities as and when they fall due. ».
Au-delà, l’affirmation de l’appelante selon laquelle les prêts intragroupes seraient moins assortis de sûretés ou de garanties, bien que non étayée, paraît néanmoins plausible dans la mesure où l’appartenance à un groupe de sociétés suppose précisément l’existence de liens particuliers de confiance et de contrôle qui n’existent pas entre tiers. En revanche, il est erroné d’affirmer que puisque le prêteur serait l’actionnaire de l’appelante, il posséderait déjà 100 % des actions de l’emprunteur, de sorte qu’il n’aurait pas été possible de mettre en place un gage sur les parts détenues par l’emprunteur. En effet, ce n’est pas l’actionnaire direct de l’appelante qui a octroyé les prêts litigieux, mais son actionnaire indirect, de sorte qu’il n’aurait pas été impossible de mettre en gage les parts dans l’appelante. De plus, l’appelante n’explique pas pourquoi d’autres formes de garantie n’auraient pas été envisageables. Si donc les garanties susceptibles d’être accordées dans un contexte intragroupe sont potentiellement plus limitées qu’entre tiers, et si le critère de l’absence de garantie n’est pas déterminant à lui seul, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un critère parmi d’autres à prendre en compte dans l’analyse globale des caractéristiques des prêts litigieux et qu’en l’espèce, cette absence de garantie, entraînant un risque plus élevé à charge du bailleur de fonds, tend à rapprocher la position de la société (E) de celle d’un actionnaire.
Au vu de ce qui précède, les reproches de l’appelante concernant une analyse erronée par les premiers juges des trois critères énumérés ci-avant ne sont pas fondés.
La Cour ne partage pas non plus le reproche de l’appelante consistant à affirmer que les premiers juges auraient adopté une approche biaisée dans leur appréciation globale des critères pertinents pour l’analyse de la qualification fiscale des prêts litigieux, en écartant à tort, de façon arbitraire et sans justification, les cinq critères que sont l’absence d’intérêt participatif, l’absence de participation au boni de liquidation, l’absence de possibilité de conversion du montant principal en capital, l’absence de possibilité de remboursement du principal par émission d’actions et l’absence de droits de vote ou d’information.
En effet, le tribunal a bien constaté l’absence de ces cinq critères – absence pouvant tendre vers une qualification d’instruments financiers en instruments de dette – et a ensuite expliqué à juste titre qu’il ne s’agit pas de procéder à un calcul arithmétique, en vertu duquel les prêts litigieux seraient de la dette si la majorité des indices pointait en ce sens, mais de procéder à une analyse économique globale de la situation. En l’espèce, le tribunal a détaillé son raisonnement et l’appelante n’a pas apporté d’élément permettant d’invalider la conclusion des premiers juges selon laquelle le fait que l’appelante a pu bénéficier de telles conditions de financement ne peut s’expliquer que par le lien d’actionnariat indirect existant avec la société (E).
En particulier, le fait pour l’appelante de souligner que les prêts litigieux ne sont pas subordonnés par rapport à d’autres de ses dettes n’est pas de nature à remettre en cause cette analyse. D’une part, comme rappelé ci-avant, ce critère n’est pas déterminant par principe, puisqu’il s’agit de procéder à une analyse globale et non arithmétique, dans laquelle certains critères peuvent avoir plus ou moins de poids selon les circonstances de l’espèce. D’autre part, l’engagement susmentionné pris par la société (E) de ne pas exiger de remboursement des prêts litigieux au cas où un tel remboursement empêcherait l’appelante d’honorer ses autres engagements financiers rend de toute manière insignifiante l’absence de subordination des prêts litigieux.
Pour le surplus, la Cour rejoint l’analyse du tribunal selon laquelle les indices portant sur (i) l’absence d’intérêts débiteurs, (ii) la disproportion manifeste entre les fonds mis à disposition par la société (E) et les capitaux propres de l’appelante, (iii) l’absence de garanties en faveur de la société (E) et (iv) l’affectation des fonds litigieux à des immobilisations à longue durée, doivent, dans leur ensemble et compte tenu de la globalité des opérations dans lesquelles les prêts litigieux s’insèrent, emporter la conclusion que lesdits prêts s’analysent intégralement au niveau fiscal, autrement dit sur base de la réalité économique, en des apports de capitaux déguisés de la société (E) en faveur de l’appelante et que les autres indices en faveur de la qualification comme instruments de dettes, fondés en partie sur la simple absence de stipulations afférentes dans les contrats portant sur les deux instruments litigieux, ne sont pas de nature à inverser cette conclusion. Le tribunal a souligné à bon escient à cet égard que dans une approche économique de la réalité de l’ensemble des circonstances, c’est essentiellement le lien d’actionnariat indirect existant avec la société (E) qui a fait que l’appelante a pu bénéficier de telles conditions liées à l’absence de rémunération des prêts et d’absence de garanties de remboursement.
Il y a donc lieu d’écarter comme non fondé le grief de l’appelante visant l’appréciation globale des prêts litigieux effectuée par les premiers juges.
Par conséquent, ce premier volet de l’appel n’est pas fondé et le jugement entrepris est à confirmer en ce volet.
Dès lors, il convient d’examiner le deuxième volet de l’appel, relatif à l’existence d’un établissement stable de l’appelante en Malaisie.
II.
Quant à l’existence d’un établissement stable en Malaisie Arguments des parties Selon l’appelante, le tribunal aurait fait une appréciation erronée des faits tendant à démontrer l’existence de sa succursale en Malaisie, notamment quant à la fixité de la succursale et à la valeur à donner à la confirmation de l’existence de la succursale par les autorités fiscales malaisiennes.
Quant à la fixité de la succursale, l’appelante explique que l’étendue des activités du Groupe serait telle que ce dernier posséderait « tout ou partie » des trois tours dénommées « (A) » à …. Il serait donc « tout à fait concevable » que le bureau alloué à la succursale change d’une tour à une autre en fonction des besoins opérationnels, en termes de surface de bureaux, des entités du Groupe. A cet égard, le plan de coupe de … de la « … » transmis au directeur à sa demande serait cohérent avec « l’état des choses actuel » et avec l’adresse de facturation figurant dans le formulaire d’ouverture du compte bancaire de la succursale.
Les trois tours susmentionnées devraient être considérées comme étant un site unique, l’appelante insistant encore sur le « commentaire sur la convention modèle de l’OCDE » en vertu duquel la fixité d’un établissement stable pourrait « se concevoir à partir du moment où l’activité est réalisée sur un site précis endéans lequel l’activité peut être exercée à certains endroits ».
Ce serait donc de façon erronée que le tribunal a conclu à l’absence de locaux fixes de la succursale au sens de la Convention entre le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le Gouvernement de la Malaisie tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir la fraude fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et du Protocole y relatif, signée le 21 novembre 2002, ci-après la « Convention », alors même que l’adresse de la succursale serait clairement identifiée.
Quant à la lettre du 13 avril 2017 provenant des autorités fiscales malaisiennes, l’appelante concède qu’elle ne précise pas à partir de quelle date sa succursale malaisienne aurait commencé à exister. Toutefois, cette lettre de confirmation aurait été rédigée à la suite de demandes du « … » de la succursale introduites peu après le dépôt, en janvier 2017, de sa déclaration fiscale de l’année 2015, alors qu’elle aurait souhaité se prémunir contre une éventuelle remise en question de l’existence de la succursale par l’administration des Contributions directes. Il serait donc évident que la confirmation de l’existence de la succursale émanant des autorités malaisiennes porterait sur l’année 2015, de sorte que cette existence en 2015 serait établie par la seule Convention.
Dans son mémoire en réplique, l’appelante fait valoir qu’en vertu du contrat « Service Level Agreement », ci-après le « SLA », qu’elle aurait conclu avec la société du Groupe dénommée (A1)., ci-après la « société (A1) », sa succursale disposerait bien « d’un bureau équipé, avec meubles de bureau, un téléphone, un ordinateur et une imprimante, un accès internet et un espace de stockage » et d’un « … » en charge de sa gestion, en l’occurrence un salarié de la société (A1).
L’appelante insiste encore sur l’existence d’une installation d’affaires en la forme de la succursale en Malaisie, sur la fixité de cette installation d’affaires, sur l’exercice de tout ou partie de « l’activité de l’entreprise » par l’intermédiaire de cette installation – l’appelante précisant ici que l’activité de la succursale serait comparable à celle d’une « Soparfi luxembourgeoise » détenant des participations, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu d’exiger la présence d’un personnel important – et sur l’absence de caractère préparatoire ou auxiliaire de cette activité, la gestion des participations dans les sociétés (CCC) et (CC) constituant son activité principale.
De son côté, la partie étatique sollicite la confirmation intégrale de ce volet du jugement appelé.
Analyse de la Cour Dans sa décision litigieuse, le directeur reproche à l’appelante d’avoir simulé l’ouverture d’une « succursale » en Malaisie exclusivement pour lui attribuer, suivant une résolution de son conseil de gérance du 17 décembre 2015, ses participations détenues dans la société (C) et la société (CC) acquises le 30 avril 2015 suivant un contrat du 13 octobre 2014, et ainsi faire en sorte que lesdites participations ne soient pas prises en considération au Luxembourg dans le cadre de l’établissement de sa fortune d’exploitation au 1er janvier 2016, le directeur ayant qualifié ces opérations dans leur ensemble comme constitutifs d’abus de droit au sens du § 6 StAnpG. Le jugement entrepris confirme cette analyse sous ses deux volets du refus de reconnaître l’existence d’une « succursale » en Malaisie au sens de la Convention et de l’existence d’un abus de droit.
La question de la reconnaissance de la succursale malaisienne de l’appelante au 1er janvier 2016 est à analyser sur base des dispositions de la Convention dont l’article 5, intitulé « Etablissement stable », dispose comme suit :
« 1. Au sens de la présente Convention, l’expression „établissement stable“ désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.
2. L’expression „établissement stable“ comprend notamment :
a) un siège de direction, b) une succursale, c) un bureau, d) une usine, e) un atelier et f) une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles.
3. Un chantier de construction ou de montage ne constitue un établissement stable que si sa durée dépasse neuf mois.
4. Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, on considère qu’il n’y a pas „établissement stable“ si :
a) il est fait usage d’installations aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l’entreprise :
b) des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison;
c) des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fins de transformation par une autre entreprise;
d) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins d’acheter des marchandises ou de réunir des informations, pour l’entreprise;
e) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins d’exercer, pour l’entreprise, toute autre activité de caractère préparatoire ou auxiliaire;
f) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins de l’exercice cumulé d’activités mentionnées aux alinéas a) à e), à condition que l’activité d’ensemble de l’installation fixe d’affaires résultant de ce cumul garde un caractère préparatoire ou auxiliaire.
5. Une entreprise d’un Etat contractant est considérée comme ayant un établissement stable dans l’autre Etat contractant, si elle exerce des activités de surveillance dans cet autre Etat pendant plus de cinq mois en relation avec un chantier de construction ou de montage qui est entrepris dans cet autre Etat.
6. Une personne (autre qu’un courtier, qu’un commissionnaire général ou que tout autre agent jouissant d’un statut indépendant auquel s’applique le paragraphe 7) agissant dans un Etat contractant pour le compte d’une entreprise de l’autre Etat contractant, est considérée comme un établissement stable dans le premier Etat, si :
a) elle dispose dans le premier Etat de pouvoirs qu’elle y exerce habituellement, lui permettant de conclure des contrats au nom de l’entreprise, à moins que ses activités ne soient limitées à l’achat de marchandises pour l’entreprise; ou b) elle conserve dans le premier Etat un stock de marchandises appartenant à l’entreprise, au moyen duquel elle accepte et exécute régulièrement des commandes pour le compte de l’entreprise.
7. Une entreprise d’un Etat contractant n’est pas considérée comme ayant un établissement stable dans l’autre Etat contractant du seul fait qu’elle y exerce son activité par l’entremise d’un courtier, d’un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d’un statut indépendant, lorsque ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité.
8. Le fait qu’une société qui est un résident d’un Etat contractant contrôle ou est contrôlée par une société qui est un résident de l’autre Etat contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l’intermédiaire d’un établissement stable ou non) ne suffit pas, en lui-même, à faire de l’une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l’autre. ».
La Cour rejoint les premiers juges dans leur analyse selon laquelle l’argumentation de l’appelante relative à l’existence d’une succursale en Malaisie doit être examinée au regard des conditions visées aux paragraphes 1, 2, point b), voire c), et 4, point e), de la Convention, de sorte que les autres cas visés à l’article 5 ne sont point à vérifier par la Cour.
Il se dégage des travaux parlementaires relatifs à la loi du 27 mai 2004 portant approbation de la Convention que celle-ci « reprend pour une large part l’essentiel des dispositions du Modèle de l’OCDE » et que son article 5 « donne une définition de l’établissement stable, mais il ne correspond qu’en partie au modèle de l’OCDE » (projet de loi portant approbation de la Convention entre le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le Gouvernement de la Malaisie tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir la fraude fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et du Protocole y relatif, signés à Putrajaya, le 21 novembre 2002, doc. parl. 5227, pp. 2-3). Dans la mesure où les points particuliers relevés dans le commentaire des articles ne portent pas sur les dispositions de l’article 5 en cause en l’espèce, les premiers juges ont pertinemment admis que cette disposition peut être utilement interprétée à la lumière du commentaire du Modèle de Convention de l’OCDE.
Au vœu des dispositions combinées de l’article 5, paragraphes 1, 2, points b et c), et 4, point e), de la Convention, l’existence d’un établissement stable en Malaisie est partant conditionnée par la réunion des caractéristiques essentielles de (i) l’existence d’une installation d’affaires, c’est-à-dire une installation matérielle quelconque pouvant notamment revêtir la forme d’une succursale ou d’un bureau, (ii) le caractère fixe de cette installation d’affaires, c’est-à-dire qu’elle doit être établie en un lieu précis et être caractérisée par un certain degré de permanence, et (iii) l’exercice de tout ou partie de l’activité de l’entreprise en question par l’intermédiaire de cette installation en ce sens que des personnes exercent l’activité dans l’Etat où est située l’installation fixe, en l’occurrence en Malaisie, auxquelles caractéristiques générales il faut ajouter en l’espèce l’élément d’analyse de (iv) l’absence de caractère préparatoire ou auxiliaire de cette activité.
En ce qui concerne d’abord la question de la fixité de la succursale alléguée de l’appelante, si la Cour concède qu’il est tout à fait plausible que l’allocation d’un bureau à une succursale au sein d’un complexe formé de trois tours puisse varier au fil du temps, il n’en demeure pas moins qu’un tel bureau devrait à tout moment être clairement identifié.
Or, tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce. Ainsi, alors que l’appelante avance que le plan de coupe de … de la « … », transmis une première fois en juin 2021 au directeur et sur lequel l’appelante a encore insisté en juin 2024 dans sa requête d’appel, serait cohérent avec « l’état des choses actuel », une telle allégation est contredite par le rapport de gestion joint respectivement aux comptes annuels 2021 et 2022 de l’appelante, dans lequel il est écrit que: « The Company has established its branch office in Malaysia since 2015 through Service Level Agreement (…) and its physical office in …, (A) … (…) », puis par le rapport de gestion joint aux comptes annuels 2023 de l’appelante, indiquant que le bureau de la succursale alléguée se situerait à l’étage 70 de la deuxième tour.
Cette impossibilité de la part de l’appelante de clairement identifier l’adresse du bureau de sa succursale alléguée est à apprécier sur la toile de fond de divers autres éléments qui constituent également des indices faisant douter sérieusement de la réalité des prestations de services prévues par le SLA et, partant, de la réalité de l’installation d’affaires et de sa fixité.
Premièrement, comme souligné par le délégué du gouvernement, le SLA a été conclu le 7 mars 2016, soit plus d’un an après la date d’effet y mentionnée, à savoir le 1er janvier 2015, le SLA prévoyant ainsi un effet rétroactif. Or, le contenu du SLA n’était pas d’une complexité telle qu’elle justifierait ce délai de conclusion : seules les modalités de paiement des honoraires dus par l’appelante sont un peu plus complexes, sans pour autant justifier un tel délai, d’autant plus que le SLA était conclu intragroupe.
Deuxièmement, la Cour ne peut ignorer que cette affaire est marquée par un historique de services rendus uniquement sur le papier. Ainsi, le rapport de prix de transfert relatif à l’année 2016, fourni à l’appelante et contenu dans le dossier fiscal, indique explicitement que l’appelante était censée fournir divers services à sa succursale alléguée et qu’elle a enregistré en ce sens des revenus dans ses comptes, alors que de l’aveu même des dirigeants du Groupe, l’appelante n’a jamais fourni les services en question :
« It was initially intended for PSC [l’appelante] to provide the following head office support services to the (G) at a cost plus 5% mark-up charging basis. (…) Based on our discussions with the (A) Group management, PSC does not have any employees of its own in Luxembourg and the abovementioned head office support services was never actually provided by PSC to the (G) from the outset. However, despite the above, PSC has all this while recorded revenue from the cost plus 5% charge in its books for the provision of head office support services to the (G). (…) From a transfer pricing requirement perspective, it is imperative to ensure that services have actually been provided by the service provider and thereon received by the service recipient in order to render a charge. Based on the above analysis, as there were no actual head office support services provided by PSC to the (G) (and hence no services and benefits received by the (G)), it is there reasonable to conclude that PSC should not charge the (G) and should not record any revenue from the cost plus 5% charge in its’s [sic] books. » (cf. paragraphes 3.1.1 et 3.1.2, page 5 de ce rapport).
Troisièmement, l’appelante reste en défaut de verser la preuve de paiement des honoraires dont elle est redevable à la société (A1) en vertu du SLA.
Quatrièmement, sur base du SLA, les services fournis à la soi-disant succursale devaient inclure « Assisting in preparing monthly management accounts and collating the reports of performance on a monthly basis » et plusieurs autres tâches impliquant la préparation de documents comptables et des communications écrites. Or, l’appelante reste en défaut de verser des documents permettant d’établir que ces tâches ont été réellement effectuées et ce, par le « … ».
Cinquièmement, les services du SLA liés à un compte bancaire malaisien (ouverture du compte, surveillance des dépôts bancaires et exécution de versements) n’ont clairement pas été fournis jusqu’en 2020, puisque c’est seulement au cours de 2020 qu’un compte bancaire de la soi-disant succursale a été ouvert en Malaisie, ainsi que l’appelante l’a indiqué dans sa lettre du 24 juin 2021 répondant à la mise en état du directeur du 28 avril 2021.
La Cour relève encore que d’après l’annexe 4 du SLA, jusqu’à indication contraire de la société (A1), le gérant de la soi-disant succursale est référencé comme « … ». Toutefois, l’appelante n’a fourni aucun document qui aurait été établi par cette personne et il est très singulier que cette dernière ne soit pas mentionnée parmi les personnes ayant participé à la réunion du conseil de la gérance de l’appelante du 8 juin 2016, pourtant postérieure à la nomination du « … ». La thèse de l’appelante semble d’autant plus douteuse que ce n’est même pas le « … », précité, qui a fait un rapport sur les activités de la soi-disant succursale au cours de cette réunion, ni d’ailleurs l’un des gérants de l’appelante (cf. le point VI. du compte rendu de cette réunion, contenu dans le dossier fiscal).
Une autre incongruité non expliquée par l’appelante réside dans le fait que d’après le SLA, l’adresse du gérant de la soi-disant succursale était dans la « … » du …, donc une adresse qui ne correspond pas aux adresses de notification prévues dans les différents documents importants pour la soi-disant succursale, tels que le SLA et les prêts litigieux. Ces documents ne mentionnent d’ailleurs aucune obligation d’informer le gérant de la soi-disant succursale, alors que c’est à elle que les participations financées par les prêts litigieux ont été allouées, et l’appelante n’a pas démontré que dans les faits, les personnes désignées comme ses personnes de contact dans le SLA auraient maintenu informé le gérant de la soi-disant succursale.
En ce qui concerne ensuite la valeur à donner à la confirmation de l’existence de la succursale par les autorités fiscales malaisiennes, la Cour relève que les critères sur base desquels ces autorités ont fourni cette confirmation ne sont nullement détaillés. Il est juste fait référence à des lettres envoyées aux autorités en vue d’obtenir cette confirmation et à des documents soumis, mais aucune précision sur lesdits documents ni sur le raisonnement n’est fournie.
En outre, les certificats sont bien postérieurs à l’année pertinente 2015 : ils datent respectivement du 31 mars 2017 et du 31 décembre 2020 et ne se réfèrent qu’aux années 2017 à 2020.
Quant au raisonnement de l’appelante détaillé ci-avant sur le lien qui serait établi entre la confirmation de 2017 des autorités malaisiennes et l’année d’imposition 2015, il n’est nullement convaincant. En particulier, alors que l’appelante estime que sa volonté de se prémunir contre une éventuelle remise en question de l’existence de la succursale par l’administration des Contributions directes rend évident que la confirmation de l’existence de la succursale émanant des autorités malaisiennes porterait sur l’année 2015, elle n’explique pas pourquoi ces autorités n’avaient alors pas explicitement étendu leur confirmation à l’année 2015.
Ensuite, comme l’appelante avance à bon escient, une société n’a certes pas besoin d’un personnel important pour gérer deux participations, mais il faut néanmoins que quelqu’un effectue une vraie activité de gestion, quand bien même celle-ci est limitée. Or, en l’espèce, rien n’a été versé en ce sens et l’appelante elle-même fournit des informations qui remettent en cause l’existence d’une activité de gestion qui aurait été exercée par le « … » en Malaisie.
Ainsi, il est curieux que l’appelante se prévale de la communication à un salarié du Groupe en … d’informations relatives au SLA. Il ressort effectivement de ce contrat que la personne de contact de l’appelante pour toute communication relative au SLA – du moins au moment de la conclusion du SLA – était Monsieur …, qui n’était ni le « … », ni un gérant de l’appelante : d’après les résolutions du conseil de gérance de l’appelante du 17 décembre 2015, cette personne, occupant au sein du groupe la fonction de « … », avait été autorisé à négocier, finaliser et rendre effectif le SLA au nom de l’appelante et son adresse de contact était à …, en …. Il est également curieux que ce soit cette personne qui ait signé le 30 juillet 2015 à … la demande de décision fiscale anticipée de l’appelante, laquelle figure aussi dans le dossier fiscal.
Au vu de l’implication de ce salarié du Groupe en … et du fait que, d’après sa déclaration fiscale de l’année 2015, l’appelante avait un gérant également établi en …, la plausibilité d’une gestion effective à partir de la Malaisie de la succursale alléguée est fortement ébranlée.
Au vu de ce qui précède, l’argumentation de l’appelante relative à l’existence d’une installation fixe d’affaires en la forme d’une succursale en Malaisie est à rejeter et l’appréciation du tribunal est à confirmer sur ce point.
Par conséquent, ce deuxième volet de l’appel n’est pas fondé et le jugement entrepris est à confirmer en ce volet.
Etant donné que la Cour vient de retenir, à l’instar des premiers juges, que l’administration des Contributions directes a valablement requalifié les prêts litigieux sur le fondement du principe de l’appréciation économique et a valablement retenu l’absence de la succursale alléguée et, donc, d’un établissement stable de l’appelante en Malaisie, la question de l’existence d’un abus de droit n’est plus pertinente. En effet, le traitement fiscal critiqué par l’appelante est d’ores et déjà justifié par ces conclusions, puisqu’en l’absence d’établissement stable en Malaisie, le Luxembourg conserve le droit d’imposition des revenus et de la fortune nette de l’appelante et qu’il n’est pas possible à l’appelante d’avoir transféré ses participations à une succursale inexistante. Autrement dit, à défaut pour l’appelante de satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe quant à la démonstration des faits dont elle se prévaut pour obtenir un traitement fiscal différent de celui retenu par l’administration des Contributions directes, il n’est pas nécessaire de se placer sur le terrain de l’abus de droit pour justifier le traitement fiscal critiqué.
En conclusion, le jugement entrepris est à confirmer, quoique pour des motifs partiellement différents.
III.
Quant à l’indemnité de procédure et aux dépens Sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, l’appelante sollicite pour l’instance d’appel l’allocation d’une indemnité de procédure de 5.000 euros.
Par ailleurs, sur le fondement de l’article 32 de la loi du 21 juin 1999, elle demande la condamnation de l’Etat aux dépens des deux instances.
Le délégué du gouvernement, pour sa part, conteste la demande en allocation d’une indemnité de procédure tant en son principe qu’en son quantum.
Au vu de la solution au fond du litige, il y a lieu de rejeter cette demande en allocation d’une indemnité de procédure, de laisser à la charge de l’appelante les dépens de la première instance, tel que décidé par le tribunal, et de la condamner aux dépens de l’instance d’appel.
Par voie de conséquence, l’appel sous examen encourt intégralement le rejet.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit l’appel en la forme ;
au fond, le rejette comme n’étant pas fondé ;
partant, confirme le jugement entrepris ;
rejette la demande de l’appelante tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 5.000 euros pour l’instance d’appel ;
condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 17 avril 2025 à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.
s. SANTOS s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 avril 2025 Le greffier de la Cour administrative 28