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03/04/2025 | LUXEMBOURG | N°52068C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 03 avril 2025, 52068C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle 52068C ECLI:LU:CADM:2025:52068 Inscrit le 9 décembre 2024 Audience publique du 3 avril 2025 Appel formé par Monsieur (A), … (D), contre un jugement du tribunal administratif du 25 octobre 2024 (n° 48004 du rôle) en matière de changement d’administration Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 52068C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 9 décembre 2024 par Maître Benjamin MARTHOZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeur

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle 52068C ECLI:LU:CADM:2025:52068 Inscrit le 9 décembre 2024 Audience publique du 3 avril 2025 Appel formé par Monsieur (A), … (D), contre un jugement du tribunal administratif du 25 octobre 2024 (n° 48004 du rôle) en matière de changement d’administration Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 52068C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 9 décembre 2024 par Maître Benjamin MARTHOZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à D-…, …, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 25 octobre 2024 (n° 48004 du rôle) par lequel ledit tribunal a rejeté son recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 17 août 2022 prononçant à son encontre un changement d’administration d’office avec effet au 1er septembre 2022;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 janvier 2025;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 10 février 2025 au nom et pour le compte de l’appelant;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 février 2025;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Le magistrat-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Benjamin MARTHOZ et Madame le délégué du gouvernement Aurore GIGOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 mars 2025.

Le 28 août 2009, Monsieur (A) fut engagé, avec effet au 1er septembre 2009, sous le statut d’employé de l’Etat, par un contrat à durée indéterminée à raison de 40 heures par semaine en qualité d’employé de bureau au ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle – Inspectorat de l’Enseignement fondamental.

Par avenant à son contrat de travail du 27 novembre 2018, Monsieur (A) fut affecté à la Direction de l’enseignement fondamental de la région … avec effet rétroactif à la date du 1er septembre 2017.

Le 7 juin 2021, le Directeur de l’enseignement fondamental de la région …, ci-après le « directeur », informa Monsieur (A) qu’il était dispensé de l’exercice de ses services.

Le courrier afférent est libellé comme suit :

« (…) Je suis au regret de devoir vous informer que plusieurs faits, commis par vous, et susceptibles d’entraîner des sanctions disciplinaires, m’ont été rapportés.

Pour des raisons d’organisation interne, et en attendant les suites réservées à ces faits, j’ai pris, en me basant sur l’article 19quater de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’État, la décision de vous dispenser de vos services à partir de la date d’aujourd’hui, et jusqu’à nouvel ordre. (…) ».

Le recours contentieux introduit par Monsieur (A) le 3 février 2022, inscrit sous le numéro 46986 du rôle, contre cette dispense de service directoriale est actuellement pendant devant le tribunal administratif.

A la même date du 7 juin 2021, le directeur saisit le ministre de l'Education, de l'Enfance et de la Jeunesse, ci-après le « ministre », pour voir diligenter l’ouverture d'une instruction disciplinaire à l'encontre de Monsieur (A).

Par une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après le « Conseil de discipline », du 29 juin 2022, la sanction disciplinaire d’une amende de la moitié d'une mensualité brute du traitement de base fut prononcée à l’encontre de Monsieur (A), décision qui ne fit pas l’objet d’un recours contentieux.

Le 25 juillet 2022, le ministre informa Monsieur (A) de ce qu’il avait l’intention de procéder à un changement d'administration d'office à son égard, cette information étant libellée comme suit :

« (…) Par la présente, je vous informe du fait que j'ai l'intention de procéder à votre changement d'administration d'office, conformément aux dispositions de l'article 6, paragraphe 4, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, vers la Direction de l'enseignement fondamental - région 6 (…).

Ce changement d'administration est envisagé dans l'intérêt du service de votre Direction d'attache actuelle, la Direction de l'enseignement fondamental - région 9, afin d'y éviter, dans le futur, toute situation conflictuelle et de permettre ainsi de rétablir un fonctionnement harmonieux des missions d'enseignement et d'encadrement lui confiées, ainsi que dans l'intérêt du service de votre nouveau lieu de travail, à savoir répondre aux besoins en personnel de la Direction de l'enseignement fondamental - région ….

En outre, ce changement d'administration sera également pour vous l'opportunité de faire table rase et de repartir sur de nouvelles bases neutres.

Finalement, je tiens à vous informer du fait qu'en vertu de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'État et des communes, vous disposez d'un délai de huit jours à partir du jour de la notification de la présente pour présenter vos observations par écrit ou être entendu en personne. (…) ».

Suite à une prise de position de Monsieur (A), par un courrier de son mandataire du 3 août 2022, le ministre, par deux courriers séparés datés du 17 août 2022 adressés respectivement à Monsieur (A) et à son mandataire, procéda au changement d’administration d’office envisagé, lesdits courriers étant libellés comme suit :

« (…) Par la présente, je fais suite à mon intention de procéder à votre changement d'administration d'office, conformément aux dispositions de l'article 6, paragraphe 4, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, vers la Direction de l'enseignement fondamental - région … (…), vous parvenue par courrier du 25 juillet 2022, et vous notifiée le 27 juillet 2022, à laquelle vous avez choisi de répondre, en date du 3 août 2022, par le biais de votre avocat, Maître Jean-Marie BAULER.

Aussi, et malgré les observations présentées par votre mandataire par courrier du 3 août 2022, je vous informe du fait que j'ai décidé de procéder audit changement d'administration d'office, avec effet au 1er septembre 2022. (…) », respectivement :

« (…) Par la présente, je fais suite à votre courrier du 3 août 2022 par lequel vous preniez position, pour le compte de votre mandant, Monsieur (A), quant à mon intention de procéder à son changement d'administration d'office, conformément aux dispositions de l'article 6, paragraphe 4, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, vers la Direction de l'enseignement fondamental - région … (…).

À cette occasion, vous sollicitiez le retrait de cette intention, et la communication de l'avis préalable de la Commission d'économies et de rationalisation quant à la possibilité d'effectuer un tel changement d'administration.

Vous trouverez, en annexe de la présente, la décision de ladite Commission d'économies et de rationalisation quant à la mise à disposition d'un poste de fonctionnaire ou employé B1 (sous-groupe administratif) à tâche complète, au bénéfice de la Direction de l'enseignement fondamental - région ….

Vous constaterez ainsi que le besoin en personnel y est réel, et que le changement d'administration envisagé de votre mandant répond aux dispositions légales y relatives.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2022, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de changement d’administration précitée du 17 août 2022, telle que véhiculée à travers les deux courriers ministériels précités. Par une requête du même jour, Monsieur (A) fit encore introduire une demande tendant au sursis à exécution de la même décision, recours dont il fut débouté par une ordonnance présidentielle du 11 octobre 2022, inscrite sous le numéro 48005 du rôle.

Par jugement du 25 octobre 2024, le tribunal administratif, reçut en la forme le recours en réformation introduit à titre principal, au fond, le dit non justifié et en débouta le demandeur, le tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et en rejetant la demande de Monsieur (A) tendant à voir ordonner l’effet suspensif de son recours pendant le délai et l’instance d’appel, en rejetant encore sa demande en communication du dossier administratif, ainsi que sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en le condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 9 décembre 2024, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel dudit jugement.

L’appelant expose de prime abord exhaustivement le contexte général et les antécédents dans le cadre duquel le changement d’administration critiqué prononcé à son encontre s’insérerait.

Il entend ainsi voir analyser le prononcé d’office de son changement d’administration dans le contexte plus large d’une campagne tendant à le dénigrer et à se débarrasser injustement de lui. Ainsi, selon l’appelant, le ministre n’aurait décidé ladite mesure qu’en raison du fait que la procédure disciplinaire, antérieurement menée à son encontre, n’aurait pas abouti à la fin voulue et ainsi, la véritable intention du ministre, sous-tendant sa prise de décision, aurait été de lui infliger la sanction déjà recherchée, mais non obtenue, à travers la procédure disciplinaire. Il se voit confirmé en son analyse par l’acharnement de l’administration, laquelle étant allée jusqu’au prononcé d’une « démission d’office » en méconnaissance d’un arrêt de travail pour maladie et partant de sa protection contre tout licenciement.

En droit, l’appelant estime en premier lieu que son prétendu « changement d'administration d'office », en application de l'article 6, paragraphe (4), de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après le « statut général », constitue plutôt un « changement d'affectation », au sens de l'article 6, paragraphe 2 du statut général et que la décision critiquée serait sinon à annuler, alors à requalifier en conséquence.

Sur ce, avançant que son affaire serait à rapprocher d’une autre affaire ayant abouti à un jugement du tribunal administratif du 16 mars 2018, n° 39287 du rôle, confirmé par arrêt de la Cour administrative du 6 décembre 2018, n° 41050C du rôle, posant les lignes conductrices de la notion de sanction disciplinaire « déguisée » et de l’analyse à opérer en la matière, soulève les différents moyens d’annulation suivants :

- constituant une sanction disciplinaire déguisée, la mesure prise à son encontre serait à annuler pour violer le principe du « non bis in idem » et pour contrevenir à l'article 44bis du statut général;

- violation de la loi, excès de pouvoir sinon détournement de pouvoir et de procédure;

- violation du principe de proportionnalité;

- violation de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l´Etat et des communes, ci-après le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », et - violation de l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

N’étant pas tenue de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés, la Cour analysera ci-après, dans l’intérêt de la logique inhérente des différents moyens, d’abord les moyens tirés de l’illégalité externe de l’acte litigieux, en l’occurrence les moyens d’annulation fondés sur la violation des articles 6 et 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

A l’appui de son reproche d’une motivation insuffisante et partant de la violation de l’obligation de motivation énoncée par l’article 6 du règlement du 8 juin 1979, l’appelant fait valoir que la décision ministérielle du 17 août 2022 se limiterait à « réitérer littéralement mais erronément une sanction administrative que le MEN n'a pas pu obtenir devant le Conseil de discipline et que tant la qualification juridique que la base légale précise ne sont pas correctes ». En se limitant ainsi, et en ne reprenant pas les autres motifs antérieurement avancés dans le cadre de la lettre d'intention du 25 juillet 2022, le ministre ne motiverait pas à suffisance les causes justificatives de la mesure prise, notamment en rapport avec l’intérêt du service d’origine qu’il entendrait poursuivre, voire l’intérêt personnel de l’intéressé, le ministre ayant de la sorte manqué à son obligation de motivation, respectivement qu’il serait resté bien trop vague dans ses explications.

C’est fondamentalement à juste titre que l’appelant pointe que la mesure prise à son égard ne saurait être entrevue comme constituant un « changement d’administration », mais qu’il s’agit à proprement parler d’un « changement d’affectation », vision des choses que la partie étatique partage d’ailleurs dorénavant, tel que cela transperce de ses conclusions prises en instance d’appel.

En effet, Monsieur (A), appelé à quitter sa « Direction d'attache actuelle, la Direction de l'enseignement fondamental - région … » vers la « Direction de l'enseignement fondamental - région … (…) », n’a de façon basique pas été muté d’une administration à une, mais il s’est simplement vu assigner un emploi dans un autre service au sein de la même administration.

Cette requalification n’implique cependant pas de conséquence préjudiciable dirimante en l’espèce, notamment au niveau de la méconnaissance par l’autorité administrative de son obligation légale de motivation au titre de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

En effet, force est de rejoindre les premiers juges dans leur première approche qu’en tout état de cause, un simple défaut de motivation formelle d’une décision administrative n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette dernière, mais seulement la suspension du délai de recours contre cette dernière, et que l’autorité administrative est toujours autorisée de fournir de plus amples motifs même en cours de procédure contentieuse.

Au-delà et malgré la qualification en droit erronée, il n’en reste pas moins que le ministre a néanmoins en substance satisfait à l’obligation de motivation, d’ailleurs non pas exhaustive et précise, mais sommaire, telle qu’elle se dégage de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce qu’à travers les deux écrits, lettre d’intention et décision du 17 août 2022 considérés ensemble, il a mis l’appelant en mesure de saisir les tenants et aboutissants de sa décision de le voir concrètement changer de poste et ceci tant dans l’intérêt affiché du service que de celui personnel du concerné.

Il s’ensuit que le moyen de légalité externe tenant à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 laisse toujours d’être fondé et est à écarter.

Le second moyen d’annulation à examiner a trait à la violation de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en ce qu’il garantit aux administrés, visés notamment par une décision envisagée en dehors de leur initiative personnelle, comme c’est le cas en l’espèce, une procédure contradictoire destinée à protéger leurs droits de la défense.

En l’espèce, s’il est un fait incontestable et incontesté que la décision ministérielle déférée a pour effet de modifier une décision antérieure en mutant l’appelant d’un poste à … à un poste à …, Monsieur (A) s’est concrètement vu associer à la prise de décision en ce qu’informé à travers le courrier du 25 juillet 2022 de l’intention du ministre, il a utilement pu prendre de position, comme de fait il l’a fait à travers le courrier de son mandataire en date du 3 août 2022, avant la prise de décision par le ministre en date du 17 août 2022, de sorte que la finalité légale a été atteinte et le reproche d’une violation des exigences de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est encore à abjuger.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par la mise en balance par l’appelant de ce que le dialogue n’aurait plus été utile du fait qu’une de ses connaissances, tel qu’il se dégagerait d’un échange de messages électroniques ayant eu lieu avant qu’il ne reçoive la lettre d’intention ministérielle, aurait déjà été au courant de son changement de poste à intervenir, cette personne ayant tout au plus pu être au courant de l’intention afférente du ministre, mais non pas de la décision qui de fait n’avait pas encore été prise à l’époque, toute autre analyse n’apparaissant être le fruit que de simples supputations.

L’erreur en droit ainsi redressée ne permet pas non plus de dégager ipso facto une « approximation coupable de la part de l'autorité » que l’appelant entend en dégager encore, qui serait révélatrice d’une précipitation appelant à elle seule l’annulation de la décision critiquée. S’il y a eu erreur au niveau de l’indication de la base légale, elle n’est pas de nature à elle seule à invalider la légalité de la décision ministérielle de changement d’affectation de Monsieur (A).

Concernant la légalité interne de la décision critiquée, le premier moyen d’annulation soulevé est tiré de la violation du principe général « non bis in idem » et de l'article 44bis du statut général, prohibant différentes sortes de représailles à l’encontre d’un fonctionnaire notamment en raison de son refus opposé à un acte ou comportement contraire au principe de l’égalité de traitement, et il table sur la prémisse de base que son changement d’affectation serait à requalifier en sanction disciplinaire déguisée.

En substance, selon l’appelant, son changement d’affectation serait constitutif d’une sanction disciplinaire, dans la mesure où l’intention réelle poursuivie par le ministre serait de le sanctionner, l’intérêt de service énoncé quant à lui étant une pure chimère.

En effet, l'intérêt du service invoqué à la base de la décision litigieuse serait entrevu exclusivement sous l'angle de reproches disciplinaires, de manière à se rattacher directement et exclusivement à la procédure disciplinaire qui n’aurait pas abouti à une des fins voulues. Ainsi, le ministre viserait à le punir à nouveau pour des manquements pour lesquels il a déjà été jugé devant le Conseil de discipline.

La partie étatique conclut au rejet de ce moyen pour manquer de fondement.

En application de l’article 6 du statut général, un changement d’affectation opéré d’office, d’ailleurs tout comme un changement d’administration opéré d’office, requiert pour être valablement décidé la nécessité de s’inscrire soit dans l’intérêt du service de départ, soit de celui du service d’accueil.

La validité d’un changement d’affectation contesté est partant conditionnée par la preuve, à rapporter par l'administration, que l'intérêt de l'un au moins de ces deux services le justifie.

Il s’y ajoute que sous peine de constituer une sanction disciplinaire déguisée, un changement d’affectation ne doit pas entraîner une dégradation de la situation professionnelle de l’agent, d’une part, et ladite mutation ne doit pas non plus autrement s’insérer dans un contexte de sanction disciplinaire déguisée, d’autre part. Sur ce deuxième point, il est en effet indubitable qu’une décision de mutation est à requalifier en sanction disciplinaire à partir du moment où sa nature est essentiellement répressive, notamment afin de punir le manquement du fonctionnaire à l’une de ses obligations professionnelles.

7 L’appelant appelle ainsi à juste titre la Cour à s’interroger concrètement sur la nature et les effets de la décision querellée et ceci non seulement au regard des éléments de motivation invoqués à l’appui de la mesure prise, mais aussi du contexte entourant la prise de décision et, s’il y a lieu, à la requalifier au regard de l’intention véritable dissimulée.

Ces considérations circonscrivent en l’espèce le cadre de l’analyse à laquelle la Cour est appelée à s’adonner, étant relevé que l’argumentaire de l’appelant a essentiellement trait à une remise en cause non pas du critère matériel prévisé, à savoir la détérioration de sa situation professionnelle, mais du critère subjectif, l’usage délibéré d’une sanction déguisée, caractérisé par la volonté de l’administration de le sanctionner moyennant contournement de la procédure disciplinaire.

En l’espèce, à l’appui de la décision de mutation querellée, le ministre invoque tant l’intérêt du service de départ de l’intéressé, afin que le bon fonctionnement du service soit rétabli, que l’intérêt du service de destination, dans lequel existerait un besoin de personnel depuis plusieurs années, de même que l’intérêt personnel de l’appelant.

Il est patent que le but affiché par le ministre de réorganiser un service administratif, spécialement réduit en nombre d’agents y affectés, en vue d’y réinstaller l’esprit d’équipe et de la sorte de bonnes conditions de travail, notamment en termes d’un environnement social sain, garantes d’un bon fonctionnement du service public s’insère dans une approche valable de sauvegarde de l’intérêt de service, en l’occurrence du service de départ de l’appelant, spécialement lorsqu’un apaisement d’un conflit pour le moins relationnel par une réconciliation des agents en cause apparaît illusoire.

S’il est patent que la décision ministérielle de mutation de l’appelant fait suite à une situation conflictuelle pour le moins d’ordre relationnel entre l’intéressé et certains membres dirigeants de son service d’attache, il n’appert ni de la décision de mutation du 17 août 2022, considérée ensemble son préalable, la déclaration d’intention du 25 juillet 2022, ni de la procédure menée, étant relevé que la prise de décision a été précédée d’une procédure ayant garanti les droits de la défense de l’intéressé -information préalable et possibilité utile de prise de position-, ni encore du contexte général et de l’action disciplinaire antérieure, que le ministre ait été concrètement mû par une intention de sanctionner l’intéressé.

En effet, ni les termes de la décision et de la lettre d’intention, ni un quelconque autre élément de la cause ne révèle le moindre indice palpable de pareille volonté punitive au niveau de l’autorité ministérielle.

Au contraire, le ministre appert avoir été mû par l’intention de mettre fin à une situation de mésentente et partant de mauvais fonctionnement au niveau du service où l’appelant était affecté, mais non point par celle de le sanctionner à nouveau en raison de ses manquements professionnels passés.

Quant à la circonstance que les problèmes rencontrés au niveau du service concerné sont en rapport avec l’existence d’une tension professionnelle entre l’appelant et sa hiérarchie directe, ayant abouti à une procédure disciplinaire par ailleurs menée à son encontre, elle n’affecte pas le constat prépondérant de ce que la motivation ministérielle apparaît tirée de l’intérêt et de la bonne marche du service administratif.

Au-delà et en général, dès lors que l’autorité administrative agit fondamentalement dans l’intérêt d’une bonne gestion administrative, la simple considération qu’une mutation est, directement ou indirectement, liée à la manière de servir de l’agent muté n’est pas à elle seule de nature à l’empreindre d’un caractère punitif déguisé et à appeler sa requalification en sanction déguisée, pour le moins à défaut de tout autre indice militant en ce sens.

La Cour se doit encore d’insister sur ce que le fait patent de la mésentente régnant entre l’appelant et sa hiérarchie directe, ne serait-ce qu’au vu des reproches réciproques de harcèlement moral, laisse encore transpercer l’intérêt patent de l’appelant de se voir changer d’environnement professionnel.

Il s’y ajoute que la mutation de l’appelant n’apporte pas d’atteinte palpable à sa situation en ce qu’il n’est pas privé d’une partie de ses droits ou avantages liés à sa fonction.

Le premier moyen laisse partant d’être fondé, au-delà de toutes considérations relativement à l’intérêt du service d’accueil de l’appelant, et il est à rejeter.

L’appelant réitère ensuite son moyen d’annulation de première instance fondé sur ce que le ministre aurait violé la loi et commis un excès ou un détournement de pouvoir ou de procédure.

En effet, selon l’appelant les éléments de la cause mettraient en lumière que le ministre aurait « manifestement commis un excès/détournement de procédure lorsqu'il a choisi la procédure du changement « d'administration » et non pas une procédure interne de l'ordre de justification sinon, si le cas avait effectivement été plus grave, la procédure disciplinaire ».

Pour arriver à la fin non obtenue aux termes de la procédure disciplinaire, le ministre aurait « détourné la procédure prévue pour le changement « d'administration » afin d'imposer, malgré tout, au requérant la sanction qu'il estimait adéquate ».

Tout comme les premiers juges, la Cour se doit de constater que dès lors que les considérations ci-avant relevées démontrent que la décision de mutation litigieuse n'est pas à considérer comme une sanction disciplinaire déguisée, il ne saurait être question d’un excès ou détournement de pouvoir dans le chef du ministre. En effet, le raisonnement table sur et partant tombe, faute de vérification effective, avec la prémisse de base d’une intention punitive dans le chef du ministre.

Dans un troisième et dernier ordre d’idées, l’appelant reproche aux premiers juges d’avoir dénaturé ses propos et rejeté à tort son moyen tiré de ce que la décision critiquée se heurterait au principe général de proportionnalité.

Il serait faux d'affirmer que la mesure lui imposée aurait été dans son intérêt et il insiste sur ce que les conditions de travail avec ses collègues directs auraient été excellents et il se serait révélé dans le cadre de la procédure d'instruction disciplinaire que « certains aspects des tâches à accomplir par Monsieur (A) se révélaient plus compliquées du fait d'ordre et de positions contradictoires des directeurs adjoints, ce qui a perturbé l'ensemble des employés de … et non isolément Monsieur (A) ».

A nouveau, l’appelant fait valoir que les motifs qui entendraient justifier la décision, à savoir l'intérêt de service, le rétablissement du fonctionnement harmonieux du service, le départ sur de nouvelles bases, ne justifieraient pas la mesure prise.

Ce serait d’ailleurs l'application de la sanction disciplinaire prononcée par le Conseil de discipline qui serait censée protéger les intérêts professionnels de Monsieur (A) et non sa mutation d'office.

Au-delà, les inconvénients de sa mutation dépasseraient largement ce qui est raisonnable.

Selon l’appelant, la décision ministérielle de mutation en ce qu’elle changerait son environnement de travail et ses collègues de longue date, impliquerait un changement de son lieu de travail, appelant « des déplacements géographiques importants en le déplaçant à l'autre bout du pays par rapport à sa résidence en Allemagne » et changerait du fait des longs trajets son amplitude horaire de travail, entraînerait une dégradation considérable de son état de santé, de même que de sa situation professionnelle, personnelle et familiale.

Ainsi, le médecin chargé du suivi de Monsieur (A), médecin spécialiste en neurologie ainsi qu'en psychiatrie, aurait expressément retenu dans son avis médical du 8 septembre 2022 que :

« « (..) damit beide Erkrankungen [maux de têtes récurrents et états dépressifs périodiques] sich nicht deutlich verschlimmern, ist es notwendig, dass mein Patient einen möglichst nahen Anfahrts- und Rückfahrtsweg zur Arbeit hat. Eine Tätigkeit in … mit einer Anfahrtsdistanz von 10 km von zu Hause ist einer Tätigkeit in … in jedem Fall vorzuziehen. Eine Tätigkeit in … sollte aus medizischen Gründen nicht durchgeführt werden ».

La décision de mutation imposerait ainsi plus qu'une simple gêne, mais réellement une sanction à son encontre.

A l’instar des premiers juges, la Cour estime à son tour qu’une mutation de l’appelant à un autre service est non seulement dans l’intérêt du service, mais aussi dans l'intérêt de l’appelant en ce qu’au-delà de sa bonne entente avec ses collègues directs, ne serait-ce que ses critiques persistantes à l’encontre de sa hiérarchie directe, à laquelle il n’a de cesse d’imputer un acharnement à son encontre dans le but de le discréditer et de s’en débarrasser, témoignent incontestablement de ce que la situation conflictuelle des choses a atteint un point de non-retour et qu’il serait malsaine de la faire perdurer, ceci notamment dans l’intérêt bien compris de l’appelant.

Si la Cour entrevoit un certain inconvénient dans le chef de l’intéressé dans la mesure que sa nouvelle affectation était -la Cour se devant d’insister sur le fait que bien que statuant en principe dans le cadre d’un recours en réformation, le fait qu’actuellement l’appelant ne se trouve pas en service, par l’effet de la « démission d’office », son examen se résume nécessairement à un contrôle de la légalité de la décision de mutation au moment de la prise de décision et n’est susceptible de mener, en cas de gain de cause par l’appelant, qu’à un constat d’illégalité- de nature à allonger son trajet professionnel, avec des allers et retours de son domicile à son lieu d’emploi apparaissant passer de quelques minutes (avec une distance d’environ 4,5 kilomètres entre … et …) à une bonne demi-heure (avec une distance d’environ 40 kilomètres entre … et …), la gêne légitimement ressentie par l’appelant n’apparaît cependant pas appeler le constat objectif d’une gêne excessive pour la vie privée et familiale par rapport à celle incombant à une large partie de la population, en général, et des agents publics, en particulier.

Au-delà même de toutes autres considérations, les craintes de détérioration de l’état de santé en rapport avec un trajet professionnel étendu à plus de dix kilomètres émanant du médecin traitant de l’appelant, essentiellement théoriques, ne sont pas de nature à invalider cette conclusion.

Ainsi, il ne se dégage pas de la mise en balance d’un trajet professionnel sensiblement plus étendu et certes plus inconvénient dans le chef de l’intéressé, que la décision de mutation serait de ce fait disproportionnée dans ses effets par rapport au but recherché, tant au niveau de l’intérêt de service et de celui personnel de l’appelant, et les reproches du dernier d’une violation du principe de proportionnalité, voire à nouveau d’une sanction déguisée, laissent encore d’être fondés et sont à écarter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et l’appelant est à en débouter, le jugement étant à confirmer.

Au vu de l’issue du litige, la demande formulée par l’appelant tendant à la condamnation de l’Etat intimé au paiement d’une indemnité de procédure de 3.500.- € est à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris;

rejette comme non justifiée la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par l’appelant;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 avril 2025 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52068C
Date de la décision : 03/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 08/04/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-04-03;52068c ?

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