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20/03/2025 | LUXEMBOURG | N°51996C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 20 mars 2025, 51996C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51996C ECLI:LU:CADM:2025:51996 Inscrit le 25 novembre 2024 Audience publique du 20 mars 2025 Appel formé par les époux (A1)et (A2), …, contre un jugement du tribunal administratif du 14 octobre 2024 (n° 47461 du rôle) ayant statué sur leur recours dirigé contre deux décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de l’environnement Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 51996C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 25 novembre

2024 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES S.A., inscrite à la lis...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51996C ECLI:LU:CADM:2025:51996 Inscrit le 25 novembre 2024 Audience publique du 20 mars 2025 Appel formé par les époux (A1)et (A2), …, contre un jugement du tribunal administratif du 14 octobre 2024 (n° 47461 du rôle) ayant statué sur leur recours dirigé contre deux décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de l’environnement Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 51996C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 25 novembre 2024 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES S.A., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente instance d’appel par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux (A1)et (A2), demeurant ensemble à L-…, …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 14 octobre 2024 (n° 47461 du rôle) ayant déclaré recevable, mais non fondé leur recours en annulation d’une décision du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du 30 novembre 2021 portant refus de l’autorisation pour la mise en place d'une clôture sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Niederanven, section C de … (…), sous le numéro …, ainsi que d’une décision confirmative de refus sur recours gracieux du même ministre du 22 février 2022, tout en les déboutant de leur demande en allocation d’une indemnité de procédure et en les condamnant aux frais et dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 23 décembre 2024 par Madame le délégué du gouvernement Cathy MAQUIL ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 20 janvier 2025 par Maître Georges KRIEGER au nom des appelants ;

1Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 17 février 2025 par Madame le délégué du gouvernement Cathy MAQUIL ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Claude KIRPACH, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Madame le délégué du gouvernement Cathy MAQUIL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mars 2025.

______________________________________________________________________________

En date du 3 septembre 2021, Monsieur (A1) introduisit auprès du ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable et des Infrastructures une demande tendant à se voir accorder dans le cadre de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après « la loi du 18 juillet 2018 », l’autorisation ayant l’objet suivant et visant la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Niederanven, section C d’…, sous le numéro …, ci-après « la parcelle » :

« Setzen eines Staketenzaunes um ein bebautes Grundstück (…) Es soll ein Holzlattenzaun („Staketenzaun“) aus unbehandeltem Kastanienholz mit 150cm Höhe um das oben genannte Grundstück herum errichtet werden. Die Pfäle werden minimalinvasiv, händisch und ohne Beton-

oder Metallsockel in den Boden gerammt. Das Grundstück ist mit unserer Garage bebaut und enthält einen Gemüsegarten, Ziergarten, Rasen/Wiese, Obstbäume sowie Schaukel und Rutsche für Kinder. Die genauen Spezifikationen entnehmen Sie bitte dem beiliegenden Angebot. Des weiteren sind ein Begründungsschreiben, ein Schreiben der Gemeinde Niederanven sowie der angeforderte Lageplan beigefügt ».

En date du 26 octobre 2021, le préposé de la nature et des forêts du Triage Niederanven rendit l’avis libellé comme suit :

« (…) Le requérant demande l’autorisation pour l’installation d’une clôture aux fins de délimiter la propriété. La construction est contraire à l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles. Il s’agit d’une clôture de loisir et non d’une clôture agricole. Ainsi la clôture porte préjudice à la beauté du paysage. (…) ».

En date du 30 novembre 2021, le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après « le ministre », refusa de faire droit à la demande introduite par Monsieur (A1) dans les termes suivants :

« (…) En réponse à votre requête du 16 juillet 2021 par laquelle vous sollicitez l'autorisation pour la mise en place d'une clôture sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de NIEDERANVEN: section C d'… (…), sous le numéro …, j'ai le regret de vous informer qu'en vertu de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne saurais réserver une suite favorable au dossier.

En effet, selon l'article 6, paragraphe 1er de la loi précitée sont conformes à l'affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d'exploitation 2qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.

Or, votre projet ne s'inscrit pas dans l'exercice d'une telle activité et n'est dès lors pas autorisable en vertu de la prédite loi modifiée du 18 juillet 2018.

En zone verte seules sont autorisées les clôtures agricoles autour des pâturages.

Si vous disposez d'un terrain en zone verte qui n'est pas utilisé en tant que pâturage et que vous voulez y créer une séparation par rapport au terrain voisin, vous pouvez recourir à la plantation d'une haie ou à la création d'un mur en maçonnerie sèche (sans mortier) avec des pierres naturelles de la région. (…) ».

Par courrier de son mandataire du 18 janvier 2022, Monsieur (A1) introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision, précitée, du 30 novembre 2021.

Par décision du 22 février 2022, le ministre refusa de faire droit audit recours gracieux comme suit :

« (…) La présente fait suite à votre requête du 18 janvier 2022 par laquelle vous sollicitez l'autorisation pour la mise en place d'une clôture sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Niederanven.

Permettez-moi tout d'abord de préciser qu'un mur en pierre sèches constitue un biotope de type BK20 défini à l'article 1er, point 20 et décrit à l'annexe 1 du règlement grand-ducal du 1er août 2018 établissant les biotopes protégés, les habitats d'intérêt communautaire et les habitats des espèces d'intérêt communautaire pour lesquelles l'état de conservation a été évalué non favorable, et précisant les mesures de réduction, de destruction ou de détérioration y relatives.

Une clôture, même de type « palissade » ou « Staketenzaun », ne figure pas dans ce règlement et ne peut en conséquence pas être considéré comme un biotope protégé.

En conséquence, votre « Staketenzaun » est une construction au sens de l'article 3, point 26 de la loi modifiée concernant la protection de la nature et des ressources naturelles : « tout aménagement, bâtiment, ouvrage et installation comprenant un assemblage de matériaux reliés ensemble artificiellement de façon durable, incorporé ou non au sol, à la surface ou sous terre. » Les matériaux utilisés, la méthode d'ancrage au sol ainsi que l'aménagement sous et aux alentours de la construction ne sont pas déterminants pour établir qu'une construction rentre dans le champ d'application de l'article susmentionné.

Une clôture ne peut donc uniquement être érigée en zone verte si elle respecte les critères de l'article 6 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

En effet, selon l'article 6, paragraphe 1 de la loi précitée, sont conformes à l'affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d'exploitation 3qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.

En ce qui concerne la volonté de votre mandant d'imiter « l’ancien paysage rural traditionnel », sachez que les lois ont évolué[es] et que la loi actuelle concernant les constructions en zone verte date de 2018 [et] ne permet plus ce genre de construction en zone verte.

En zone verte seules sont autorisées les clôtures agricoles autour des pâturages.

Veuillez également noter que le fait que le terrain soit en pente ne change rien aux dispositions de la loi susmentionnée.

Par conséquent, la décision n°100594 du 30 novembre 2021 est maintenue dans son intégralité. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2022, Monsieur (A1) et Madame (A2), ci-après « les époux (A) », firent introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles, précitées, des 30 novembre 2021 et 22 février 2022.

Par jugement du 14 octobre 2024, le tribunal déclara ce recours recevable mais non fondé et en débouta les demandeurs, de même qu’il rejeta leur demande en allocation d’une indemnité de procédure et les condamna aux frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 25 novembre 2024, les époux (A) ont fait régulièrement interjeter appel contre le jugement précité du 14 octobre 2024 dont ils sollicitent la réformation dans le sens de voir déclarer justifié leur recours de première instance et de voir annuler en conséquence les décisions critiquées du ministre des 30 novembre 2021 et 22 février 2022.

A travers leur requête d’appel, les appelants reprennent pour l’essentiel leur argumentaire de première instance, dans la mesure où il a été intégralement rejeté par les premiers juges.

Ainsi, ils concluent en ordre principal à une violation des articles 1er et 62 de la loi du 18 juillet 2018 en ce sens que la clôture projetée contribuerait à un bilan écologique positif et correspondrait parfaitement aux objectifs de la loi contenus en son article 1er tout en n’engendrant aucun des préjudices pour l’environnement naturel qui sont énoncés à l’article 62.

En second lieu, ils invoquent une violation de l’article 6 de la même loi en estimant que la clôture en question ne constitue nullement une construction au sens dudit article.

En troisième lieu, ils invoquent les dispositions de l’article 647 du Code civil suivant lequel le fait de protéger sa propriété par une clôture est un droit, dans la mesure où il est inscrit de manière explicite au Code civil et que cette règle se rapprocherait d’un principe fondamental dont 4le bien-fondé se serait répandu progressivement au cours des siècles et serait ancré dans la mémoire collective des citoyens, de sorte à être supérieur à la loi du 18 juillet 2018 et s’imposerait à elle.

En quatrième lieu, les appelants concluent à une violation de l’article 16 de la Constitution en ce que l’usage de leur droit de propriété serait limité à tel point qu’ils ne pourraient plus laisser leurs enfants jouer dans leur jardin sans les exposer à des risques majeurs pour leur vie, sans qu’il n’existe une cause d’utilité publique rendant nécessaire pareille restriction.

En cinquième lieu, les appelants invoquent une rupture d’égalité des citoyens devant la loi en ce que leurs voisins auraient clôturé leur jardin de manière à pouvoir le refermer à clés, tandis que le même droit leur serait refusé.

En sixième lieu, les appelants concluent à une violation du principe constitutionnel de proportionnalité s’imposant par rapport à la loi du 18 juillet 2018 en application également du principe de l’Etat de droit, ensemble l’équilibre de durabilité à établir suivant les dispositions de l’article 11bis de la Constitution, la loi devant être appliquée et interprétée suivant une lecture conforme aux normes supérieures.

Dans ce contexte, il importerait également de tenir compte des effets sur l’environnement générés par le projet sous analyse à côté de l’équilibre durable exigé par l’article 11bis de la Constitution. Ces effets seraient largement positifs tel qu’exposé au niveau du premier moyen.

La partie étatique sollicite en substance la confirmation du jugement dont appel, essentiellement sur base des motifs y contenus.

Ainsi, elle demande à voir retenir qu’en application de l’article 3, point 26°, de la loi du 18 juillet 2018, la clôture litigieuse est à analyser comme construction et qu’en application de l’article 6 de la même loi, faute pour les appelants d’exercer une des activités y énoncées, notamment l’activité maraîchère, avec une intensité suffisante, ce serait à bon droit que l’autorisation sollicitée leur avait été refusée à travers les décisions ministérielles critiquées. Cette analyse étant préalable, le bilan positif allégué par les appelants importerait peu, de même qu’aucune disproportion ne serait de nature à interférer de manière pertinente, la partie étatique ayant suggéré aux appelants des solutions alternatives, à savoir la plantation de haies ou la mise en place de délimitations en murailles sèches.

Aucune rupture d’égalité ne saurait être valablement inférée non plus, la situation des voisins visés, fût-elle vérifiée, n’étant pas comparable aux yeux de la partie étatique par rapport à celle des appelants.

Enfin, l’article 647 du Code civil emporterait pour les clôtures à ériger le respect des dispositions s’imposant par ailleurs dans l’ordonnancement juridique, tandis qu’aucune atteinte suffisamment grave à l’usage du droit de propriété face à l’article 16 de la Constitution ne se dégagerait de la situation de fait de l’espèce pour entraîner une sanction, les appelants gardant 5précisément la possibilité de ceindre leur terrain par une des solutions alternatives proposées par la partie étatique.

Il convient tout d’abord, dans le cadre de la présente affaire, de préciser que la Cour est saisie d’un recours en annulation tel que prévu par la loi du 18 juillet 2018, de sorte que la Cour est amenée à se situer dans le temps au niveau des dates de prises respectives des décisions critiquées, soit aux 30 novembre 2021 et 22 février 2022.

La Cour est dès lors amenée à prendre en considération la loi du 18 juillet 2018 avant qu’elle ne fût changée respectivement par les lois des 3 mars 2022 et 23 août 2023 en portant modification et par la loi du même jour sur les forêts en portant modifications ponctuelles.

Dès lors, ce sont également les dispositions de la Constitution non encore révisée applicables en 2021/2022 qui s’imposent en l’espèce, la Constitution révisée ainsi désignée n’étant entrée en vigueur que le 1er juillet 2023.

En fait, le terrain litigieux des appelants est situé dans la zone verte de manière contiguë par rapport au périmètre d’agglomération de la localité de … au niveau de …. Il s’agit d’un terrain construit sur lequel se trouve une grange désaffectée servant notamment de garage et de lieu de stockage.

Il est vrai que d’un côté du terrain, notamment le long d’une clôture à fil barbelé et d’une haie de mûres, particulièrement débordante suivant les appelants, ceux-ci ont d’ores et déjà installé le « Staketenzaun » litigieux, ceci sans autorisation.

Il est de jurisprudence constante qu’au-delà de la question de savoir à ce stade de l’analyse déjà si une autorisation était nécessaire en l’espèce, une autorisation réparative ex post peut être accordée chaque fois que le projet sous analyse se trouvait être autorisable en application de l’ordonnancement juridique en place.

Ce constat ne porte toutefois pas à conséquence en l’espèce, étant donné qu’il est encore constant en fait que sur le terrain litigieux, les appelants ont planté nombre d’arbres fruitiers qu’ils entendent protéger notamment contre l’action invasive du gibier, tels cerfs et biches, de même que contre celle dévastatrice de sangliers, dont la présence est vérifiée dans les alentours proches et notamment les forêts distantes à quelques centaines de mètres seulement.

Les appelants ont encore établi un potager dont ils entendent protéger les cultures contre toute sorte d’animaux faisant partie de la faune sauvage présente à l’endroit. Ils déclarent vouloir également clôturer utilement leur terrain afin de garantir la sécurité de leurs enfants et de pouvoir laisser librement se mouvoir leur chien à l’intérieur du terrain en question.

Ils estiment encore que le « Staketenzaun » projeté correspondrait à une forme de division des parcelles ancestrale, même si elle n’avait plus été beaucoup présente dans les paysages 6luxembourgeois ces dernières décennies et même si en zone verte, notamment au Kirchberg, et à bien d’autres endroits sa présence se multiplierait actuellement. La partie étatique conteste de son côté que ce type de clôture fasse partie du paysage cultural luxembourgeois.

Saisis d’un recours en annulation, il importe au juge administratif d’analyser si, dans la marge d’appréciation qui est la sienne, également vérifiée en l’espèce, le ministre ne s’est point adonné à un dépassement de celle-ci. Ce dépassement est analysé au regard des exigences du principe à valeur constitutionnelle de la proportionnalité, qualité qui a été retenue formellement par la Cour constitutionnelle à travers ses arrêts 152 du 22 janvier 2021 et 146, 2ième arrêt, du 19 mars 2021, ainsi que dans différents arrêts postérieurs.

Le principe de proportionnalité s’impose encore par rapport à la législation et plus particulièrement à la loi du 18 juillet 2018, ce que la Cour a rappelé dans son arrêt du 20 juillet 2022 (n° 47027C du rôle), dans le contexte de l’application du principe constitutionnel de proportionnalité, en raisonnement par rapport aux arrêts de la Cour constitutionnelle précités des 22 janvier 2021 et 19 mars 2021.

La disposition constitutionnelle en matière de protection spécifique de la nature est l’article 11bis de la Constitution disposant que : « l’Etat garantit la protection de l’environnement humain et naturel, en œuvrant à l’établissement d’un équilibre durable entre la conservation de la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et la satisfaction de besoin des générations présente et future. Il promeut la protection et le bien-être des animaux ».

Le principe de proportionnalité exige que la mesure décidée par le ministre, en l’occurrence les deux refus d’autorisation déférés, soit en proportion par rapport à l’objectif de la loi, à savoir la protection de la nature.

La mesure imposée ne doit pas être excessive par rapport aux effets qu’elle est censée exercer sur l’environnement.

La mise en place d’une clôture autour d’un fonds immobilier est encore sous-tendue par les dispositions de l’article 647 du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682 ».

L’exception prévue par l’article 682 du Code civil vise les terrains enclavés et n’est point opérante en l’espèce.

Cette disposition va de pair avec un principe fondamental du droit qui est celui de la liberté individuelle, garanti par l’article 12 de la Constitution, de manière continue depuis la Constitution promulguée le 9 juillet 1848.

Il est constant que l’article 3, point 26°, de la loi du 18 juillet 2018 définit la notion de « construction » comme étant « tout aménagement, bâtiment, ouvrage et installation comprenant un assemblage de matériaux reliés ensemble artificiellement de façon durable, incorporé ou non 7au sol, à la surface ou sous terre. Au sens de la présente loi, la notion de construction ne comprend pas les clôtures agricoles entourant des pâtures, ni les clôtures protégeant les rajeunissements forestiers ».

Force est de constater en termes de systémique que le fait que la notion de construction y est décrite comme ne comprenant pas les clôtures agricoles entourant des pâtures, ni les clôtures protégeant les rajeunissements forestiers, semble impliquer a priori que les clôtures soient par ailleurs à comprendre dans la notion de construction.

Toutefois, cette vision a priori des choses se heurte à une asymétrie difficilement compatible avec les principes de proportionnalité et de cohérence.

Il est constant en cause que les clôtures agricoles les plus usuelles entourant des pâtures, eu égard à la composition des sols du « Gutland », s’analysent généralement dans cette partie du pays en tant que piquets en acier coulés dans un socle en béton et correspondant substantiellement plutôt à une construction.

Ce caractère se trouve déjà moins vérifié pour les clôtures plus usuelles dans le Nord du pays, comprenant des fils barbelés ou non, attachés à des poteaux en bois enfoncés dans le sol à coups de massue, correspondant moins à la notion de construction.

Face à ces deux séries de clôtures usuelles en matière d’enceinte de pâturage, le Staketenzaun sous analyse excelle par sa fragilité naturelle mise en avant à bon escient par les appelants et non contestée comme telle par la partie étatique.

Toujours d’après une lecture a priori de l’article 3, point 26° sous analyse, ces trois séries d’assemblages correspondraient à la notion de construction y définie de manière, il est vrai, éminemment large si l’on suit la lettre du texte.

Or, la lettre d’un texte n’est jamais une fin en soi, mais un moyen de refléter le plus fidèlement possible la volonté de son auteur.

En toute occurrence, la loi doit être appliquée et interprétée dans une lecture conforme aux normes supérieures que sont la Constitution au niveau national et les textes applicables de droit international interférant en la matière.

Face à une situation de fait donnée, à laquelle des textes de loi précis doivent être appliqués, la démarche du juge est toujours appelée à répondre à deux questions fondamentales de base : la première s’articule en « qu’est-ce qui fait du sens (Was macht Sinn ?) », tandis que la deuxième entraîne « que dit le bon sens ? (Was sagt der gesunde Menschenverstand ?) ». Ces deux questions constituent des vecteurs fondamentaux de toute analyse juridique, surtout, lorsque des parties invoquent de manière argumentée l’absurdité d’une solution dégagée par une décision ou un jugement dont le contrôle est soumis à la juridiction d’instance supérieure.

8 En l’occurrence, il ne fait pas de doute que le Staketenzaun, essentiellement fragile, se constitue majoritairement et en substance de bâtons en bois de châtaignier et d’une hauteur de 1,50 mètres, reliés nécessairement entre eux, sinon leur juxtaposition par simple enfoncement dans le sol ne serait qu’éphémère.

Le lien entre les bâtons en bois est réalisé par des fils de fer non barbelé qui rattachent les différents bâtons à une certaine distance, en l’espèce d’une dizaine de centimètres, les uns par rapport aux autres à quatre niveaux dans le cas d’espèce.

Cette manière de faire confère une stabilité relative à l’ensemble, laisse passer la lumière et confère à l’ensemble une allure relativement aérée comparable à distance à des piquets de bois d’une haie massivement taillée en hiver, c’est-à-dire sans feuillage.

Il est indéniable que ce genre de clôture s’intègre le plus naturellement dans l’environnement avoisinant, comparé aux autres clôtures de pâturages ou de plantis forestiers, dont pourtant la notion de construction est déniée, d’ailleurs à juste titre et pour des raisons de bon sens, par l’article 3, point 26° sous analyse.

Si l’on admettait avec cette définition qu’une des clôtures les plus fragiles et les moins durables, en l’occurrence le « Staketenzaun » litigieux, devrait être retenue comme étant une construction avec toutes les conséquences de droit se dégageant notamment de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018, ce raisonnement frôlerait l’absurde, de même qu’il serait contraire au principe général à valeur constitutionnelle de proportionnalité, de même qu’au principe général de cohérence.

Autrement dit, si la clôture construite à partir de blocs en béton dans lesquels se trouvent enfouis des piquets d’acier n’est, selon le législateur, pas à considérer comme construction, a fortiori, celle beaucoup plus légère et moins durable du Staketenzaun ne saurait pas non plus l’être.

Rien qu’à partir de cet argumentaire a fortiori, ensemble les principes généraux le sous-

tendant, la conclusion s’impose que le Staketenzaun litigieux ne saurait être considéré comme construction au sens de la loi du 18 juillet 2018 et que partant aucune autorisation afférente n’était exigée à l’époque.

Il s’y ajoute que le Staketenzaun faisant l’objet de la demande d’autorisation refusée à deux reprises par le ministre n’est éminemment pas contraire aux objectifs de la loi du 18 juillet 2018 inscrits à son article 1er qui les expose comme suit : « 1° la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel ; 2° la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels, 3° la protection et la restauration des biotopes, des espèces et de leurs habitats, ainsi que des écosystèmes, 4° le maintien et l’amélioration des équilibres et de la diversité biologiques ; 5° la protection des ressources naturelles contre toutes dégradations, 6° le maintien 9et la restauration des services écosystémiques ; et 7° l’amélioration des structures de l’environnement naturel. ».

Ainsi, le « Staketenzaun » apparaît comme étant la moins mauvaise des solutions, comparée plus particulièrement aux deux séries de clôtures auxquelles l’article 3, point 26° sous analyse dénie la qualité de construction, et ce en termes de sauvegarde du caractère et de l’intégrité de l’environnement naturel suivant le point 1° de l’article 1er précité, de même que dans une optique de protection et de restauration des paysages et des espaces naturels (point 2°) et, enfin, de l’amélioration des structures de l’environnement naturel (point 7°).

De plus, le Staketenzaun sous analyse excelle par son caractère essentiellement fragile qui emporte que par nature sa durabilité ne correspond pas à la définition générale prévue par l’article 3, point 26° en question, suivant lequel les constructions y visées se définissent précisément par un assemblage de matériaux reliés ensemble de façon durable, ce dernier caractère faisant par essence défaut en l’espèce.

Dès lors, contrairement à une lecture a priori et sous peine de distorsion déraisonnable et incompatible avec le principe constitutionnel de proportionnalité ensemble le principe général de cohérence, le Staketenzaun litigieux ne remplit précisément pas cette condition de durabilité et, in fine, ne peut correspondre non plus à la notion de construction telle que définie par ledit article 3, point 26°.

Dès lors, ne s’agissant point d’une construction au sens de la loi du 18 juillet 2018 également sous cet aspect, aucune autorisation ministérielle n’était requise pour l’ériger en zone verte, ce d’autant plus que le terrain litigieux se trouve à la lisière de cette zone à proximité directe, de manière contiguë, aux zones urbanisées et qu’ici encore, en termes de proportionnalité, une rupture d’égalité aurait le cas échéant dû être constatée si la Cour avait suivi l’analyse des premiers juges confirmant le ministre en ce que le Staketenzaun litigieux aurait été une construction.

L’analyse de la Cour se trouve indirectement confirmée en ce que le législateur a réagi peu après la prise des décisions ministérielles litigieuses en adjoignant par la loi modificative précitée du 23 août 2023 une annexe 9 à la loi du 18 juillet 2018, suivant laquelle toute une série de clôtures y énumérées se trouvent exemptes de l’obligation d’autorisation pour ne pas correspondre in fine à la notion de construction nécessitant pareille démarche, même si l’analyse de savoir si l’énumération afférente et la couverture du Staketenzaun par ladite annexe 9 correspondent à une application correcte et raisonnable du principe de proportionnalité échappe en l’occurrence à l’office du juge de l’annulation, appelé à se placer aux dates respectives de prise des décisions ministérielles déférées qui sont antérieures à l’entrée en vigueur de cette annexe 9.

Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que, par réformation du jugement dont appel, les décisions ministérielles déférées des 30 novembre 2021 et 22 février 2022 encourent l’annulation, sans qu’il n’y ait lieu à renvoi devant le ministre, aucune autorisation de sa part n’ayant été nécessitée à l’époque d’après l’analyse ci-avant portée.

10 Dans la mesure où le Staketenzaun litigieux devait être considéré en 2021/2022 comme n’étant point une construction, il n’impliquait pas la nécessité d’une autorisation afférente au sens de la loi du 18 juillet 2018. Cette solution s’impose également par la suite en ce que les lois notificatives précitées vont dans le même sens de non-soumission à une autorisation.

Egalement sous cet aspect un renvoi devant le ministre doit être regardé comme étant inopérant actuellement.

Les appelants sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure de 5.000.- € « alors qu’il serait manifestement inéquitable de laisser à l’unique charge de la partie requérante les frais et dépens exposés pour faire valoir ses droits devant le tribunal administratif, dont notamment les frais et honoraires d’avocat », suivant l’énoncé figurant au dispositif de la requête d’appel, repris à l’identique au niveau du dispositif du mémoire en réplique.

La Cour note que tant dans le dispositif de leur requête d’appel que dans celui de leur mémoire en réplique les appelants rattachent cette demande à leur seule démarche devant le tribunal administratif, partant uniquement pour la première instance, les appelants ayant d’ailleurs sollicité le même montant devant le tribunal.

Eu égard à l’issue du litige et aux considérations à la base de celle-ci, la demande en allocation d’une indemnité de procédure des appelants est fondée en son principe.

La Cour évalue ex aequo et bono l’indemnité de procédure à allouer aux appelants de manière globale à 2.500.- €.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, le dit justifié ;

réformant, annule les décisions ministérielles déférées des 30 novembre 2021 et 22 février 2022, sans renvoi devant le ministre, le « Staketenzaun » litigieux n’ayant point été soumis à autorisation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure des appelants ;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg à verser aux appelants une indemnité de procédure globale de 2.500.- ;

11 condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.

s. SANTOS s. DELAPORTE 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 51996C
Date de la décision : 20/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 25/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-03-20;51996c ?

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