GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51597C ECLI:LU:CADM:2025:51597 Inscrit le 16 octobre 2024 Audience publique du 20 mars 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 6 septembre 2024 (n° 47740 du rôle) en matière de discipline Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 51597C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 16 octobre 2024 par Maître Christian BOCK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 6 septembre 2024 (n° 47740 du rôle) ayant déclaré non fondé son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 27 avril 2022 ayant prononcé à son égard la sanction disciplinaire de la révocation ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 novembre 2024 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 6 décembre 2024 par Maître Christian BOCK au nom de l’appelant ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 17 décembre 2024 ;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans formalités ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 21 janvier 2025.
1Après être entré en service le 1er mars 2019, Monsieur (A) fut nommé au groupe de traitement D1, sous-groupe à attributions particulières, avec effet au 1er mars 2021, en tant qu’agent pénitentiaire au Centre pénitentiaire de Luxembourg, ci-après « le CPL », affecté au Service intervention et réserve et au Groupe d’intervention pénitentiaire.
Par courrier du 22 décembre 2021, le ministre de la Justice, ci-après « le ministre », suite à un courrier lui adressé le même jour par le directeur du CPL, saisit le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ci-après « le commissaire du gouvernement », afin de procéder à une instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur (A), conformément à l’article 56, paragraphe (2), de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le statut général », dossier qui fut transmis, pour attribution, au commissaire du gouvernement adjoint par courrier du 23 décembre 2021.
Par un courrier adressé au ministre en date du 24 décembre 2021, le commissaire du gouvernement adjoint accusa réception du courrier de saisine précité du 22 décembre 2021.
Par courrier du même jour, le commissaire du gouvernement adjoint informa Monsieur (A) qu’une instruction disciplinaire avait été ordonnée à son encontre tout en lui transmettant les pièces de son dossier disciplinaire et en l’invitant à se présenter au commissariat du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire pour une audition devant se dérouler le 11 janvier 2022 afin de prendre position par rapport aux faits lui reprochés.
Par arrêté ministériel du 7 janvier 2022, Monsieur (A) fut suspendu de l’exercice de ses fonctions d’agent pénitentiaire pendant tout le cours de la procédure disciplinaire jusqu’à la décision définitive du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le Conseil de discipline ».
Par courrier de son mandataire du 10 janvier 2022, Monsieur (A) prit position sur les faits lui reprochés dans le courrier ministériel du 22 décembre 2021.
Le 11 janvier 2022, Monsieur (A), assisté par son mandataire, fut entendu par le commissaire du gouvernement adjoint, tel que cela ressort du procès-verbal du même jour.
En date du 3 février 2022, le commissaire du gouvernement adjoint clôtura son instruction par l’émission d’un rapport d’instruction et, par un courrier du même jour, informa Monsieur (A) qu’il envisagea de transmettre le dossier au Conseil de discipline, conformément à l’article 56, paragraphe (5), du statut général, sans préjudice de son droit de prendre inspection du dossier disciplinaire en vue, le cas échéant, de présenter ses observations, respectivement de demander un complément d’instruction dans le délai prévu à l’article 56, paragraphe (4), du statut général.
Par courrier du 21 février 2022, le dossier disciplinaire de Monsieur (A) fut transmis au Conseil de discipline qui, en date du 27 avril 2022, prit la décision qui suit :
« (…) Vu l’instruction diligentée à l’encontre de (A) par le commissaire du Gouvernement adjoint, ci-après le commissaire, régulièrement saisi par Madame la Ministre de la Justice sur base d’un courrier du 22 décembre 2021, en application de l’article 56 paragraphe 2 de la loi 2modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat (ci-après le statut général) et transmise pour attribution au Conseil de discipline, ci-après le Conseil, par courrier du 21 février 2022.
Vu le rapport d’instruction du 3 février 2022.
A l’audience publique du Conseil du mercredi 9 mars 2022, après rapport oral du membre désigné par le président conformément à l’article 65, alinéa 2 du statut général, (A) et son mandataire ont été entendus en leurs explications et moyens de défense et le délégué du Gouvernement, Marc LEMAL, en ses conclusions.
Dans la lettre de saisine, il est reproché à (A) :
- « d’avoir organisé, sinon d’avoir appelé à participer à des manifestations non-déclarées et tenues en violation des règles sanitaires en vigueur pour protester contre la politique gouvernementale de gestion de la pandémie Covid-19, et notamment à la manifestation ayant eu lieu le 4 décembre 2021 et à une manifestation ayant eu lieu le 18 décembre 2021 ;
- de prendre la parole publiquement et d’entretenir une communication sur les réseaux sociaux et notamment sur son compte (BB) où il apparaît aux yeux du public comme l’organisateur respectivement l’animateur des rassemblements non déclarés d’opposition à la politique gouvernementale de gestion de la pandémie Covid-19, respectivement comme leader d’opinion de ces mouvements contestataires et où il légitime et appelle le public à se joindre au mouvement de contestation et à protester contre la politique de gestion de la crise du Gouvernement par un discours harangueur et d’agitateur, polémique, voire complotiste et anxiogène, dramatisant inutilement les mesures sanitaires, voire minimisant le risque épidémiologique induit par la pandémie et appelant ouvertement au soulèvement, et en laissant librement cours sans les modérer aux commentaires répondant à ses communications et qui légitiment le recours à la violence ou appellent à une radicalisation du mouvement de contestation, respectivement en légitimant ou en minimisant l’emploi de violence contre les personnes ou les biens ou à d’autres passe-droits ;
- de ne pas se conformer scrupuleusement aux instructions et ordres de service du fait de procéder à ces publications au vu et au su de ses collègues et des détenus pendant son temps de service et à son lieu de travail en contradiction avec les règles en vigueur ;
- le fait d’appeler le CPL un « Arbeitslager ». ».
À l’audience du Conseil de discipline du 9 mars 2022, (A), assisté de son avocat, a renvoyé à ses prises de position effectuées dans le cadre de l’instruction disciplinaire.
(A) admet la matérialité des reproches tout en les minimisant et en précisant en ce qui concerne le premier reproche qu’il a bien reposté des messages appelant aux manifestations anti-
covid sans cependant être l’auteur de ces messages ni l’organisateur de ces manifestations.
(A) revendique en ce qui concerne le deuxième reproche sa liberté d’expression et affirme être parfaitement dans son droit de critiquer ouvertement la politique sanitaire du Gouvernement, étant donné qu’il porte ses critiques non pas en tant que fonctionnaire mais en tant que personne privée.
3Ni sa fonction de gardien de prison ni son travail n’en seraient affectés.
Enfin il admet avoir utilisé son Gsm privé lors de ses heures de service en sachant que cet usage est prohibé au Centre pénitentiaire.
En ce qui concerne le dernier reproche, (A) et son avocat estiment que le fait d’appeler le CPL « Arbeitslager » ne constituerait qu’une blague et il serait attristant que tout le monde semble avoir perdu le sens de l’humour.
Finalement, l’avocat de (A) relève que son client aurait, avec motivation et engagement, effectué un travail irréprochable depuis trois ans au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg.
Ce fait avéré, ensemble l’absence d’antécédent disciplinaire, mériterait de placer les reproches dans le contexte exceptionnel sans précédent lié à la pandémie et de faire bénéficier (A) de la clémence du Conseil.
Le délégué du Gouvernement a relevé que les reproches formulés dans la lettre de saisine se trouvent dûment documentés au dossier. Les ressentis strictement personnels de (A) ne sauraient lui permettre de passer outre son devoir de loyauté, de réserve et de discrétion, devoir qui est de nature à constituer une restriction légalement autorisée à la liberté d’expression. En substance, le devoir de loyauté est celui de ne pas porter atteinte aux intérêts de l’Etat, le devoir de réserve est celui de faire preuve de retenue dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles et le devoir de discrétion est celui de ne pas divulguer d’informations concernant l’exercice de ses fonctions.
En publiant sur son compte (BB) des messages appelant à la participation aux rassemblements illicites des 4 et 18 décembre 2021, (A) aurait indubitablement transgressé le devoir de réserve.
Par la publication des messages et discours incriminés, (A) aurait manqué à l’article 10, paragraphe 1, alinéa 1, du statut général, en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.
Son comportement indigne aurait compromis les grands efforts personnels à la gestion de la pandémie entrepris non seulement par le Gouvernement, mais encore et surtout par toute la population, de sorte que par son rôle actif dans le mouvement d’opposition aux mesures étatiques de lutte contre la pandémie, (A) se serait disqualifié humainement et professionnellement.
Les deux autres reproches ne viendraient que confirmer cette conclusion, alors que le fait d’introduire son Gsm privé à l’intérieur de la prison malgré une interdiction formelle au titre de l’instruction de service PGA 21 du 24 juillet 2017 relative à la black-list des objets interdits au sein du CPL et puis encore le fait de considérer que son lieu de travail serait comparable à un « Arbeitslager » aurait irrémédiablement compromis la confiance nécessaire à son maintien en fonction.
4En conséquence, le délégué demande du chef des manquements constatés constitutifs d’une violation des articles 9, paragraphe 1 et 10, paragraphe 1, alinéa 1, du statut général, la révocation, sinon la mise à la retraite d’office de (A).
Le Conseil de discipline estime qu’il n’y a pas lieu de se méprendre : être fonctionnaire n’est pas synonyme de renonciation à une opinion propre, ni de ne jamais la partager, mais c’est dans la façon dont on s’exprime que tout se joue ; il faut encore être vigilant à ne pas faire d’amalgame entre sa fonction et ses opinions personnelles, dès lors que la nature même de la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve et est partant de nature à constituer une restriction légalement autorisée à la liberté d’expression. Dans son arrêt du 2 septembre 1998 la Cour européenne des droits de l’homme (Ahmed et autres c. Royaume-Uni) a souligné « la mission des fonctionnaires dans une société démocratique étant d’aider le gouvernement à s’acquitter de ses fonctions et le public étant en droit d’attendre que les fonctionnaires apportent cette aide et n’opposent pas d’obstacles au gouvernement démocratiquement élu, l’obligation de loyauté et de réserve revêt une importance particulière les concernant ». Cette liberté d’expression ne pourrait l’emporter sur ces devoirs que sous certaines conditions clairement circonscrites par la CEDH dans son arrêt du 12 février 2008 (affaire GUJA/MOLDOVA), lesquelles ne sont pas en cause dans la présente affaire.
A l’instar de l’appréciation effectuée par le commissaire et les conclusions tirées par le délégué du Gouvernement à l’issue de l’instruction diligentée, il ressort à suffisance du dossier disciplinaire, dont les nombreux messages et discours publiés sur les réseaux sociaux par (A), que celui-ci était un des meneurs de l’action contre la politique du Gouvernement en matière de lutte contre la pandémie Covid 19.
(A) a ouvertement critiqué sur les réseaux sociaux les règles sanitaires mises en place, et fait véhiculer sur les réseaux sociaux sa conception personnelle de la gravité de la crise sanitaire en appelant à la mobilisation générale du peuple luxembourgeois face aux réformes discriminatoires du Gouvernement.
Il n’appartient évidemment pas au Conseil de se prononcer sur l’adhésion de (A) à des théories conspirationnistes et sur le bien-fondé ou non de ses opinions personnelles, mais sur le fait de les partager publiquement sur les réseaux sociaux. En faisant ainsi pulluler sans limite des discours manipulateurs et des croyances de nature complotiste, destinés à ridiculiser et à dénigrer la gestion de la crise sanitaire par les autorités, partant à contrecarrer les efforts déployés par le Gouvernement en particulier pour lutter contre la pandémie et ses répercussions, (A) s’est professionnellement disqualifié d’autant plus qu’il a fait état de sa fonction de gardien de prison pour dénoncer la politique du Gouvernement également à l’intérieur de la prison de Schrassig.
Les faits retenus à charge de (A) constituent partant un manquement aux obligations résultant des articles 9 et 10 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat et plus particulièrement :
- à l’article 9, paragraphe 1, du statut général pour avoir omis de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose, dont les instructions du Gouvernement qui ont pour objet l’accomplissement régulier de ses devoirs et les ordres de service reçus ;
5 - à l’article 10, paragraphe 1, alinéa 1, du statut général pour avoir porté atteinte à la dignité de sa fonction, à la capacité de l’exercer, donné lieu à scandale et compromis les intérêts du service public.
Aux termes de l’article 53 du Statut, l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. Elles peuvent être appliquées cumulativement.
Il est indéniable que (A) a, tout au long de l’année 2021, à d’itératives reprises, contrevenu à ses obligations de dignité, d’impartialité, d’intégrité, de probité, d’obéissance hiérarchique, de neutralité, de discrétion professionnelle et de réserve.
Si (A) bénéficie d’une ancienneté de services de trois ans et n’a aucun antécédent disciplinaire à sa charge, ceci, compte tenu des développements qui précèdent, est sans incidence sur la nature de la sanction à prononcer à son égard, le Conseil estimant en l’espèce que les faits graves établis dans le chef de (A), partant, un comportement intolérable de la part d’un fonctionnaire, ne peuvent être sanctionnés que par la révocation prévue à l’article 47, point 10, du Statut.
Par ces motifs :
le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, statuant contradictoirement, sur le rapport oral du membre désigné par son président, le fonctionnaire et son mandataire entendus en leurs explications et moyens de défense et le délégué du Gouvernement en ses conclusions, se déclare régulièrement saisi ;
prononce à l’égard de (A), du chef des manquements retenus à sa charge, la sanction disciplinaire prévue à l’article 47, point 10, du Statut, à savoir la révocation ;
condamne (A) aux frais de la procédure, ces frais étant liquidés à 49,10 euros. (…) ».
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 juillet 2022 (n° 47740 du rôle), Monsieur (A) introduisit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du Conseil de discipline du 27 avril 2022 prononçant à son égard la sanction disciplinaire de la révocation.
Par jugement du 6 septembre 2024, le tribunal reçut en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision du Conseil de discipline du 27 avril 2022, au fond, le déclara non justifié et en débouta Monsieur (A), dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, rejeta sa demande en allocation d’une indemnité de procédure, tout en le condamnant aux frais de l’instance.
Le tribunal rejeta en premier lieu les contestations du demandeur quant à sa qualité d’auteur des messages litigieux des 30 novembre, 13 et 17 décembre 2021, en relevant que dans la mesure où 6Monsieur (A) s’en était approprié le contenu, il apparaissait aux yeux des personnes ayant eu accès auxdits messages comme en ayant été l’auteur, tout en relevant que l’intéressé avait eu un rôle particulièrement actif dans l’organisation des manifestations des 4 et 18 décembre 2021, dont le but était d’exprimer des opinions désapprobatrices concernant les mesures gouvernementales adoptées dans le cadre de la lutte contre la pandémie liée au virus du Covid-19.
Il en déduisit que le Conseil de discipline avait, à juste titre, pu conclure que Monsieur (A) a violé l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1er, du statut général en ce que lesdits messages avaient, d’une part, véhiculé des propos particulièrement graves à destination du public, dans le contexte des mesures étatiques prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie liée au virus du Covid-19, et, d’autre part, conduit à des manifestations en violation des règles sanitaires en vigueur à l’époque des faits.
Quant au reproche formulé à l’égard de Monsieur (A) « d’[avoir pris] la parole publiquement et d'[avoir] entreten[u] une communication sur les réseaux sociaux et notamment sur son compte (BB) où il apparait aux yeux du public comme l'organisateur respectivement l'animateur des rassemblements non déclarés d'opposition à la politique gouvernementale de gestion de la pandémie Covid-19, respectivement comme leader d'opinion de ces mouvements contestataires (…) », le tribunal retint que ledit reproche était également établi et que le Conseil de discipline avait, à juste titre, pu considérer que le demandeur avait, en raison des messages et vidéos publiés sur son compte (BB), violé l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1er, du statut général. Dans ce contexte, il rejeta encore l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’aurait publié les messages litigieux qu’en sa qualité de citoyen et qu’il n’y aurait aucun lien avec sa qualité d’agent du CPL, alors que dans un message publié le 22 mars 2021 sur son compte (BB) sous forme d’une vidéo, Monsieur (A) avait publiquement fait état de sa fonction d’agent pénitentiaire, qualité qu’il avait encore mise en avant dans des messages des 5 mai et 3 juin 2021 à travers lesquels il avait critiqué un article de presse portant sur le statut vaccinal des gardiens de prison.
Le tribunal rejeta de même le moyen de Monsieur (A) en relation avec une violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), les premiers juges relevant, en premier lieu, par référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après la « CourEDH », que des restrictions à la liberté d’expression pouvaient consister en des sanctions postérieures à un exercice excessif de ce droit et qu’une sanction disciplinaire pouvait se baser notamment sur un excès dans l’exercice du droit à la liberté d’expression et était susceptible d’être analysée par le tribunal au regard des critères dégagés par la CourEDH.
Le tribunal se référa encore à un arrêt du 8 décembre 2009 de la CourEDH rappelant que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que les exceptions sont à interpréter de manière stricte par le juge national dans le cadre de sa marge d’appréciation des circonstances de l’espèce lui soumises, tout en rappelant que d’après les critères dégagés par la jurisprudence de la CourEDH, les restrictions à la liberté d’expression doivent être prévues par la loi, dans un but légitime, en l’occurrence la renommée de la fonction publique et du service public concerné, et être nécessaires dans une société démocratique.
7Finalement, il releva encore que la nécessité de la restriction à la liberté d’expression se résolvait par une analyse de la proportionnalité de la mesure de restriction prise par rapport au but légitime poursuivi.
Après avoir analysé en détail les messages publiés sur le compte (BB) de Monsieur (A) mis en avant par le ministre, le tribunal nota que le demandeur avait utilisé des termes hautement injurieux, irrespectueux et dédaigneux à l’égard du Gouvernement en accusant les autorités luxembourgeoises d’avoir usé de manœuvres manipulatrices, mensongères et intimidantes à l’égard de la population luxembourgeoise et que le demandeur, bien que ne prônant pas, dans la plupart de ses messages, le recours à la violence et appelant les gens à manifester paisiblement, avait tenu, à côté de ces affirmations générales, un discours légitimant le recours à la violence, respectivement la dégradation de biens.
En conséquence, le tribunal retint que la qualification disciplinaire retenue par le Conseil de discipline dans sa décision litigieuse du 27 avril 2022 était clairement établie et qu’il avait valablement pu reprocher à Monsieur (A), du fait des messages publiés, d’avoir manqué à ses obligations statutaires, plus particulièrement d’avoir manqué à l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1er, du statut général, en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ses fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public, sans que ce dernier ne pût se prévaloir utilement de sa liberté d’expression au sens de l’article 10 de la CEDH.
Quant au reproche adressé à l’égard de Monsieur (A) concernant l’utilisation de son portable lors de son service au CPL, le tribunal constata que celui-ci admettait la réalité dudit reproche basé sur une violation d’une instruction de service, en l’occurrence l’instruction de service PGA (poste de garde avancé) du 24 juillet 2017 relative à la « black-list » des objets prohibés au sein du CPL, de sorte à retenir à son égard une violation de l’article 9, paragraphe (1), du statut général en ce qu’il avait introduit et utilisé son téléphone portable au sein du CPL lors de son service, en infraction avec ladite instruction de service interdisant formellement de ce faire.
Finalement, le tribunal nota encore que le demandeur n’avait pas remis en cause la matérialité du reproche en relation avec un message publié en date du 24 novembre 2021 sur son compte (BB) qualifiant, en tant qu’agent pénitentiaire, le CPL de « Arbeitslager ».
En conséquence, il retint, dans le chef de Monsieur (A), une autre violation de l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1er, du statut général, pour avoir publié un message dont l’objet a été, d’une part, de jeter le discrédit sur les autorités étatiques quant aux mesures sanitaires mises en place dans le cadre de la lutte contre la pandémie liée au virus du Covid-19, et, d’autre part, une appellation particulièrement inappropriée du CPL ne se justifiant d’une quelconque manière par des considérations humoristiques.
Concernant la proportionnalité de la sanction disciplinaire à retenir à l’encontre de Monsieur (A), le tribunal releva en premier lieu que les critères d’appréciation de l’adéquation de la sanction prévus à l’article 53 du statut général étaient énoncés de manière non limitative et qu’il était susceptible de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis qui permettent de juger 8de la proportionnalité de la sanction à prononcer, à savoir, entre autres, l’attitude générale du fonctionnaire. Sur ce, concernant la gravité du comportement de Monsieur (A) et la sanction adéquate à prononcer à son encontre, il nota que le fait pour un fonctionnaire de l’Etat de dénigrer publiquement, dans un langage particulièrement inapproprié et dédaigneux, la politique, ainsi que les mesures prises par les autorités étatiques dans le cadre de la lutte contre la pandémie liée au virus du Covid-19, tout en appelant les lecteurs de ses messages à participer à des manifestations contre lesdites mesures, sans opposer une fin de non-recevoir ferme et explicite aux messages lui adressés quant à l’éventualité d’un recours à la violence lors des manifestations qu’il a organisées, respectivement fortement contribuées à organiser, constituaient de graves manquements aux obligations des fonctionnaires, manquements aggravés par le fait d’avoir introduit un moyen de communication prohibé au CPL et d’avoir qualifié le CPL, de manière complètement inappropriée, de « Arbeitslager ».
Tout en tenant compte de l’absence d’antécédents disciplinaires dans le chef du demandeur, de son ancienneté de service depuis le 1er mars 2019, ainsi que du contexte spécifique s’inscrivant dans la crise sanitaire de la pandémie liée au virus du Covid-19, le tribunal constata que les manquements disciplinaires reprochés à Monsieur (A) étaient d’une gravité telle que seule la sanction de la révocation constituait la mesure disciplinaire appropriée à prononcer à son encontre.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 16 octobre 2024, Monsieur (A) a régulièrement entrepris le jugement du 6 septembre 2024 dont il demande la réformation avec annulation conséquente de la décision du Conseil de discipline du 27 avril 2022.
A l’appui de son appel, Monsieur (A), après avoir reproduit en intégralité la décision du Conseil de discipline du 27 avril 2022, rappelle les faits et rétroactes du dossier, tout en réitérant ses moyens de première instance par rapport aux quatre reproches retenus à son encontre.
Par rapport au premier reproche libellé à son encontre, à savoir « d’avoir organisé, sinon d’avoir appelé à participer à des manifestations non-déclarées et tenues en violation des règles sanitaires en vigueur pour protester contre la politique gouvernementale de gestion de la pandémie Covid-19, et notamment à la manifestation ayant eu lieu le 4 décembre 2021 et à une manifestation ayant eu lieu le 18 décembre 2021 », il insiste sur le fait qu’il aurait expressément mentionné que l’organisateur de la manifestation du 4 décembre 2021 était inconnu et qu’il n’aurait jamais été l’instigateur de ladite manifestation. Le fait d’avoir republié des messages appelant aux rassemblements des 4 et 18 décembre 2021 ne serait, en soi, pas répréhensible au sens de la loi, ce d’autant plus qu’il aurait invité les participants potentiels à adopter un comportement pacifique et respectueux, et le fait que des rassemblements auraient dégénéré ne pourrait lui être imputé. Après avoir cité l’article 2 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg du 26 mars 2001, tel que modifié le 23 novembre 2015, et visant les cortèges sur la voie publique et subordonnant la tenue d’une manifestation à une autorisation, l’appelant expose que les restrictions à la liberté de réunion et d’association, d’après les critères dégagés par la CourEDH par rapport à l’article 11 de la CEDH, devraient être prévues par la loi, dans un but légitime et être nécessaires dans une société démocratique, et non pas par un simple règlement, tout en affirmant qu’il ne serait pas interdit de participer à une manifestation non déclarée.
L’appelant expose ensuite qu’en republiant ces messages, il aurait uniquement fait usage de son droit à la liberté d’expression et ce dans un cadre strictement privé et, in fine, de son droit de se 9rassembler paisiblement et sans armes avec d’autres citoyens souhaitant faire entendre leur voix sur des éléments fondamentaux de la vie en société. Ce serait son droit le plus légitime de ne pas avoir été d’accord avec la politique du gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie du virus Covid-19. Il insiste encore sur le constat qu’il n’aurait pas d’antécédents judiciaires, ni disciplinaires et n’aurait connu aucun problème particulier sur son lieu de travail avant la pandémie, tel que cela se dégagerait de deux témoignages de collègues de travail.
Partant, le fait d’avoir partagé des messages ne constituerait pas une violation de son devoir de loyauté et n’affecterait ni les intérêts de l’Etat, ni la dignité de ses fonctions, ni sa capacité à les exercer, son intention ayant uniquement été de sensibiliser la population à leur droit d’exprimer leur mécontentement par rapport aux mesures restrictives mises en place par le gouvernement, mesures susceptibles de violer plusieurs principes fondamentaux consacrés par la Constitution et par des textes internationaux.
Quant au deuxième fait lui reproché à savoir « de prendre la parole publiquement et d’entretenir une communication sur les réseaux sociaux et notamment sur son compte (BB) où il apparaît aux yeux du public comme l’organisateur respectivement l’animateur des rassemblements non déclarés d’opposition à la politique gouvernementale de gestion de la pandémie Covid-19, respectivement comme leader d’opinion de ces mouvements contestataires et où il légitime et appelle le public à se joindre au mouvement de contestation et à protester contre la politique de gestion de la crise du Gouvernement par un discours harangueur et d’agitateur, polémique, voire complotiste et anxiogène, dramatisant inutilement les mesures sanitaires, voire minimisant le risque épidémiologique induit par la pandémie et appelant ouvertement au soulèvement, et en laissant librement cours sans les modérer aux commentaires répondant à ses communications et qui légitiment le recours à la violence ou appellent à une radicalisation du mouvement de contestation, respectivement en légitimant ou en minimisant l’emploi de violence contre les personnes ou les biens ou à d’autres passe-droits », Monsieur (A), après avoir cité l’article 24 de la Constitution visant la liberté d’expression/d’opinion, également consacré par l’article 10 de la CEDH, soutient que cette garantie s’appliquerait à tout fonctionnaire, sans distinction, qui n’est pas en service. Il insiste sur le fait qu’il aurait publié les divers messages sur son compte (BB) en sa qualité de citoyen et non pas en sa qualité de fonctionnaire de l’Etat et fait valoir que le simple fait de mentionner sa profession ne suffirait pas à caractériser une prise de parole au nom de l’Etat.
D’après l’appelant, le principe de proportionnalité permettrait d’opérer une mise en balance entre l’intervention de la puissance publique au nom de l’intérêt général et la sauvegarde des droits et libertés des citoyens.
Pour l’hypothèse où la Cour arriverait à la conclusion qu’il avait agi en tant que fonctionnaire de l’Etat, il donne à considérer que l’obligation de loyauté du fonctionnaire n’équivaudrait pas à s’identifier aux objectifs ou à une politique particulière du gouvernement en place et que l’Etat ne pourrait avoir intérêt à disposer de fonctionnaires qui n’exercent aucune critique à son égard. Ainsi, il n’aurait jamais remis en cause l’Etat au sens strict et politique du terme, mais il aurait uniquement fait usage de sa liberté fondamentale d’expression afin de rendre les gens attentifs sur les « méfaits » que pourraient produire les mesures sanitaires prises par le gouvernement à l’époque, son rôle ayant été celui d’un lanceur d’alerte s’exprimant sur les réseaux sociaux et dénonçant les mesures prises dans le contexte de la pandémie Covid-19 comme contrevenant à des principes constitutionnels.
10 L’appelant conteste encore l’existence d’un quelconque but légitime justifiant la restriction de sa liberté d’expression et notamment la renommée de la fonction publique et du service concerné, tel que retenu par les premiers juges. Il estime encore que ses propos relevaient de l’intérêt public, étant donné que toute la population était directement ou indirectement concernée et qu’il appartiendrait à la partie étatique d’expliquer en quoi ses propos auraient concrètement porté atteinte à la dignité de ses fonctions ou auraient compromis les intérêts du service public.
Monsieur (A), déclarant occuper le poste d’agent pénitentiaire ne comportant aucun risque pour la sécurité étatique, conteste également que, dans son cas, la restriction à sa liberté d’expression aurait constitué une ingérence nécessaire dans une société démocratique et fait valoir que le droit de réserve lui incombant devrait être apprécié au cas par cas, notamment au regard de la fonction occupée au sein de l’appareil étatique. Ainsi, le devoir de réserve serait plus souple pour un enseignant ou un agent pénitentiaire que pour un directeur de prison, d’hôpital ou d’un établissement scolaire.
Il estime encore qu’il conviendrait de tenir compte du contexte social, politique et sanitaire tout à fait exceptionnel de l’époque et conteste avoir propagé la « théorie du complot », alors qu’il aurait uniquement essayé de réintroduire dans le débat d’autres éléments en contradiction avec les informations véhiculées par les médias qui auraient occulté les informations de ceux s’opposant aux mesures sanitaires, sans pour autant dénoncer la politique du gouvernement à l’intérieur de la prison de Schrassig, de sorte que sa fonction de gardien de prison n’aurait pas été affectée.
L’appelant insiste encore sur le fait qu’il aurait publiquement déclaré ne prôner aucune forme de violence et qu’il se distancerait de celle-ci, tout en exprimant sa solidarité envers les personnes non vaccinées.
Quant au troisième reproche formulé à son encontre, à savoir « de ne pas se conformer scrupuleusement aux instructions et ordres de service du fait de procéder à ces publications au vu et au su de ses collègues et des détenus pendant son temps de service et à son lieu de travail en contradiction avec les règles en vigueur », il souligne que l’article 52 du règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l'administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, ci-après « le règlement grand-ducal du 24 mars 1989 », n’interdirait pas expressis verbis l’usage du téléphone portable sur le lieu de travail, l’interdiction découlant d’une simple instruction de service du 24 juillet 2017 relative à la « black-list » des objets prohibés au sein du CPL. S’il admet avoir apporté à certaines occasions son téléphone portable sur son lieu de travail et l’avoir utilisé de manière ponctuelle, il fait remarquer que ladite instruction de service ne serait pas appliquée de manière stricte au sein du CPL et que l’usage de son téléphone portable n’aurait pas eu de conséquences sur la sécurité des lieux ni par rapport à la surveillance des détenus.
Concernant finalement le reproche d’avoir désigné le CPL par le terme de « Arbeitslager », Monsieur (A) explique, tout en concédant qu’il se serait agi d’une blague de mauvais goût, que ses propos relevaient plutôt d’une exagération destinée à critiquer les conditions de travail telles que ressenties au CPL et n’étaient pas destinés à heurter quelqu’un, ses propos tombant également « sous le sceau » de l’article 10 de la CEDH.
11Finalement, Monsieur (A) soutient que la sanction disciplinaire prononcée à son encontre serait inappropriée et disproportionnée en ce que le Conseil de discipline a retenu à son encontre la sanction la plus lourde prévue au catalogue des sanctions du statut général. Il expose sur ce point qu’il afficherait une ancienneté de service non négligeable sans antécédents disciplinaires et qu’il aurait toujours démontré un professionnalisme irréprochable tout au long de son service.
Le délégué du gouvernement demande la confirmation pure et simple du jugement dont appel.
Par rapport aux deux premiers faits reprochés à l’appelant, le représentant étatique renvoie à l’analyse détaillée du rapport d’instruction en relevant que Monsieur (A), en publiant les messages et discours incriminés, en jetant le discrédit sur l’Etat, en omettant d’opposer une fin de non-
recevoir à l’éventualité d’un recours à la violence contre les agents de police et en acceptant la menace et l’intimidation en tant que moyens légitimes pour influer sur la politique du gouvernement, aurait manqué à l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1er, du statut général.
Son argumentation selon laquelle il aurait uniquement agi comme simple citoyen serait à rejeter, étant donné qu’il se serait ouvertement affiché comme étant fonctionnaire et agent pénitentiaire, d’autant plus qu’il se serait présenté comme un des rares fonctionnaires osant s’exprimer et qu’il aurait plaidé pour que d’autres le fassent aussi. Ainsi, dans les médias, son nom apparaîtrait régulièrement en lien avec ses fonctions et en raison de son rôle de meneur des mouvements contestataires opposés au gouvernement, il serait perçu comme une personne publique faisant ouvertement état de ses fonctions publiques.
Quant à l’argumentation de l’appelant en relation avec la liberté d’expression, le délégué du gouvernement relève que les restrictions à la liberté d’expression seraient à considérer comme étant prévues par la loi et dans un but légitime, à savoir la sauvegarde de l’image d’autrui, en l’occurrence la renommée des services de l’Etat, ainsi que la réputation des membres du gouvernement. Ainsi, la nature même de la fonction publique exigerait de ses membres une obligation de loyauté et de réserve et serait partant suffisante pour constituer une restriction légalement autorisée à la liberté d’expression. Il relève dans ce contexte que l’appelant aurait utilisé des termes jugés offensants vis-à-vis du gouvernement et des membres du gouvernement en dénigrant, diffamant et en injuriant les autorités publiques et les représentants politiques dans ses nombreux commentaires sur les médias ainsi que dans les médias sociaux dans un groupe (BB) comportant plusieurs centaines de lecteurs potentiels.
Quant au troisième et quatrième faits libellés à l’encontre de Monsieur (A), le délégué du gouvernement signale que l’intéressé ne remettrait pas en cause l’appréciation des premiers juges, de sorte que son argumentation serait à rejeter purement et simplement.
Concernant finalement le caractère proportionné de la sanction de la révocation prononcée à l’encontre de l’appelant, le représentant étatique signale que l’ancienneté de service de celui-ci depuis sa nomination définitive du 16 avril 2021 ne serait que de quelques mois. Il estime que les seules sanctions envisageables seraient la mise à la retraite d’office sinon la révocation, étant donné qu’un fonctionnaire qui présente publiquement ses convictions anti-gouvernementales et « antisystème » et qui considère l’Etat comme un oppresseur violant les libertés fondamentales des citoyens ne saurait travailler pour l’Etat. Partant, garder une personne comme l’appelant en service 12nuirait gravement à l’image de l’Etat et à sa crédibilité. Les positions radicales et catégoriques de celui-ci feraient de sorte qu’il y aurait une perte de confiance irrémédiable et définitive auprès des responsables de son administration, de son ministère et de l’Etat en général.
Aux termes de l’article 10 du statut général :
« 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. (…) ».
Cette disposition met à charge des fonctionnaires une obligation de dignité et de probité. Le fonctionnaire doit, en toutes circonstances, avoir une conduite exemplaire, y compris en dehors du service, alors que tout manquement à la dignité de la fonction ou donnant lieu à scandale ou compromettant les intérêts du service peut jeter le discrédit sur le service dans son ensemble et le dévaloriser1.
Il convient encore de rappeler que le devoir de loyauté, de réserve et de discrétion revêt une importance particulière pour l’employé public, en sa qualité d’agent de la fonction publique, et il est de nature à constituer une restriction légalement autorisée à la liberté d’expression2.
A l’instar des premiers juges, la Cour constate que l’appelant ne conteste pas la matérialité des faits lui reprochés, en relation avec la publication de messages sur son compte (BB) et l’utilisation d’un téléphone portable lors de son service au CPL, mais en conteste la qualification disciplinaire telle qu’effectuée par le commissaire du gouvernement et par le Conseil de discipline, ainsi que la gravité, respectivement la proportionnalité de la sanction prononcée à son encontre.
En relation avec le premier fait reproché à l’appelant, à savoir en substance celui d’avoir organisé sinon appelé à participer à des manifestations non déclarées et tenues en violation des règles sanitaires en vigueur pour protester contre la politique gouvernementale de gestion de la pandémie Covid-19, et notamment celles s’étant déroulées les 4 et 18 décembre 2021, la Cour note que Monsieur (A) conteste en avoir été l’instigateur, tout en se prévalant du bénéfice de la liberté de réunion et d’association, telle que garantie par l’article 11 de la CEDH, et affirme n’avoir procédé qu’à la republication sur son compte (BB) de messages publiés les 30 novembre, 13 et 17 décembre 2021, par quelqu’un d’autre, tout en mentionnant pour l’une des manifestations que l’organisateur serait inconnu.
La Cour partage l’appréciation des premiers juges en ce qu’ils ont considéré que la republication desdits messages appelant à ces manifestations non autorisées implique nécessairement que l’appelant s’en est approprié le contenu et ce indépendamment de la question de savoir s’il en était l’auteur originaire. Ce faisant, il a pu apparaître, pour les destinataires desdits messages, comme ayant la qualité d’auteur. Par ailleurs l’argumentation de Monsieur (A) selon laquelle « il a, sans ambiguïté aucune, informé les participants de l’importance d’adopter un comportement pacifique et respectueux », révèle, indépendamment de la question de savoir si les positions prises par lui 1 Cour adm. 25 février 2021, n° 45262C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction publique, n° 392 2 Cour adm. 7 juin 2016, n° 37367C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction publique, n° 460 et autres références y citées 13consistaient réellement à apaiser les participants, plutôt un rôle actif au niveau de l’organisation des manifestations des 4 et 18 décembre 2021.
Sous cet aspect, la Cour partage et fait sienne l’analyse pertinente faite par les premiers juges du contenu des messages publiés et la conclusion en tirée, à savoir que l’appelant a joué un rôle actif dans l’organisation des manifestation litigieuses. S’il est établi en cause que Monsieur (A) a pris part à ces manifestations tenues en violation des règles sanitaires en vigueur, il convient cependant de préciser que l’appelant s’était vu reprocher devant le Conseil de discipline non pas le fait d’avoir participé à une manifestation non déclarée tenue en violation des règles sanitaires, mais d’avoir appelé, en tant que fonctionnaire de l’Etat, à participer aux manifestations des 4 et 18 décembre 2021 et d’avoir pris la parole publiquement et sur les réseaux sociaux pour protester contre la politique gouvernementale de gestion de la pandémie Covid-19. Ainsi, les reproches véhiculés à l’encontre de l’appelant ne constituent pas une restriction à sa liberté de réunion et d’association, telle que garantie par l’article 11 de la CEDH, et le moyen afférent consistant en substance à mettre en doute la légalité du prérequis d’une autorisation pour l’organisation d’une manifestation est à rejeter.
Au vu de ce qui précède, la Cour, à l’instar du tribunal, retient que le Conseil de discipline a, à juste titre, pu conclure que Monsieur (A), au regard des messages publiés le 30 novembre, ainsi que les 13 et 17 décembre 2021 sur son compte (BB), a violé l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1er, du statut général, en ce que lesdits messages ont, d’une part, véhiculé des propos particulièrement contestataires, à destination du public, à l’égard des mesures étatiques prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19, et, d’autre part, conduit à des rassemblements en violation des règles sanitaires en vigueur à l’époque des faits, et ceci en violation de son devoir de loyauté, de réserve et de discrétion en sa qualité d’agent de l’Etat.
Concernant le deuxième reproche adressé à Monsieur (A), à savoir « de prendre la parole publiquement et d’entretenir une communication sur les réseaux sociaux et notamment sur son compte (BB) où il apparaît aux yeux du public comme l’organisateur respectivement l’animateur des rassemblements non déclarés d’opposition à la politique gouvernementale de gestion de la pandémie Covid-19, respectivement comme leader d’opinion de ces mouvements contestataires et où il légitime et appelle le public à se joindre au mouvement de contestation et à protester contre la politique de gestion de la crise du Gouvernement par un discours harangueur et d’agitateur, polémique, voire complotiste et anxiogène, dramatisant inutilement les mesures sanitaires, voire minimisant le risque épidémiologique induit par la pandémie et appelant ouvertement au soulèvement, et en laissant librement cours sans les modérer aux commentaires répondant à ses communications et qui légitiment le recours à la violence ou appellent à une radicalisation du mouvement de contestation, respectivement en légitimant ou en minimisant l’emploi de violence contre les personnes ou les biens ou à d’autres passe-droits », l’appelant argumente qu’il aurait publié ces messages en sa qualité de simple citoyen et non pas comme fonctionnaire de l’Etat, tout en se prévalant de son droit à la liberté d’expression, tel que protégé par l’article 10 de la CEDH, et de la qualité de lanceur d’alerte.
La Cour partage l’analyse pertinente des premiers juges que Monsieur (A) a utilisé, dans ses messages litigieux publiés sur son compte (BB), en l’occurrence les vidéos publiées les 22 mars et 17 décembre 2021, ainsi que les messages des 5 et 6 mai, 3 juin, 26, 29 et 30 novembre, 14respectivement des 5, 11 et 12 décembre 2021, des termes devant être considérés hautement injurieux, irrespectueux et dédaigneux à l’égard du Gouvernement tout en remettant en cause les mesures prises par ce dernier dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19. Sur ce point, la Cour renvoie pour le détail des propos tenus aux pages 15 à 17 du jugement dont appel, tout en relevant la multitude des publications à destination du public faites par l’appelant.
L’argumentation de l’appelant selon laquelle il aurait publié les messages litigieux en sa qualité de citoyen et non pas en sa qualité de fonctionnaire de l’Etat, en l’occurrence d’agent pénitentiaire, est à abjuger d’emblée, étant donné qu’il se dégage du dossier, dont notamment un message publié le 22 mars 2021 sur le compte (BB) de l’intéressé sous forme d’une vidéo, que Monsieur (A) fait publiquement état de ses fonctions d’agent pénitentiaire, qualité qu’il a encore mise en avant dans ses messages des 5 mai et 3 juin 2021 à travers lesquels il a critiqué un article de presse portant sur le statut vaccinal des gardiens de prison.
La Cour constate dès lors qu’il apparaît clairement que Monsieur (A) revendiquait dans ses prises de position publique sa qualité de fonctionnaire respectivement d’agent pénitentiaire. Il n’est pas fondé à affirmer n’avoir aucun contrôle sur les contenus médiatiques, dans la mesure où l’information selon laquelle il occupe la fonction d’agent pénitentiaire a forcément été communiquée aux journalistes. Même à supposer qu’il n’était pas de la volonté de l’appelant de faire valoir ses opinions en relation avec ses fonctions, le fait de les mentionner est nécessairement de nature à impliquer une certaine confusion pour le public.
En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur l’affirmation qu’il n’aurait fait qu’exercer son droit à la liberté d’expression, la Cour relève qu’aux termes de l’article 10 de la CEDH :
« (…) 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…) 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
Il convient de rappeler, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, qu’il se dégage de la jurisprudence de la CourEDH que, dans une société démocratique, la liberté d’expression, telle que garantie par l’article 10 de la CEDH, n’est pas absolue, mais qu’elle peut être soumise à des restrictions en vertu de dispositions légales, motivées par des considérations tenant à la défense de l’ordre et à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, de même que ces restrictions légales peuvent consister en des sanctions postérieures à un exercice excessif de ce droit.
Dans son arrêt du 8 décembre 2009, la CourEDH a rappelé que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que les exceptions sont à interpréter 15de manière stricte par le juge national dans le cadre de sa marge d’appréciation des circonstances de l’espèce lui soumise, respectivement qu’il y a lieu de déterminer notamment si l’ingérence critiquée était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants »3.
Le droit disciplinaire applicable aux fonctionnaires et notamment l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1er, du statut général, prévoit que le fonctionnaire doit éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. Il s’ensuit que les restrictions à la liberté d’expression sont à considérer comme étant prévues par la loi et que celles-ci sont également prévues dans un but légitime, à savoir notamment la sauvegarde de l’image d’autrui et, en l’occurrence, la renommée de la fonction publique et du service public concerné, étant rappelé que la nécessité de la restriction à la liberté d’expression se résout par une analyse de la proportionnalité de la mesure de restriction prise par rapport au but légitime poursuivi4.
Tel que relevé de manière pertinente par le Conseil de discipline, il n’est nullement reproché à Monsieur (A) de ne pas avoir renoncé à ses opinions propres, mais il lui est reproché d’avoir, en tant que fonctionnaire, publiquement adhéré à des théories conspirationnistes et d’avoir de la sorte fait un amalgame entre sa fonction et ses opinions personnelles.
Si Monsieur (A) se prévaut encore du statut de « lanceur d’alerte », la Cour retient que l’appelant ne peut pas se prévaloir de cette « qualité » pour ne pas répondre à la définition classique d’un « lanceur d’alerte », étant donné qu’il n’établit pas remplir les conditions d’un « auteur de signalement », tel que défini par l’article 3, point 7°, de la loi du 16 mai 2023 portant transcription de la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, c’est-à-dire une personne physique qui signale ou divulgue publiquement des informations aux autorités compétentes sur des violations qu’elle a obtenues dans le cadre de ses activités professionnelles. En outre, le concerné ne démontre pas s’être trouvé dans une impossibilité manifeste d’agir autrement que par des publications faites sur les réseaux sociaux et ouvertes au public visant à critiquer les mesures prises dans le contexte de la pandémie liée au virus du Covid-19, et notamment en relation avec la situation au CPL, tel que cela se dégage d’une vidéo datée du 22 mars 2021 dans laquelle l’appelant a critiqué ouvertement les mesures prises par le gouvernement en ces termes « (…) Eis Regierung huet et net fäerdeg bruecht no engem Joer e System ze etabléieren fir déi vulnérabel Leit ze schützen […] Leider, no engem Joer Pandémie, huet eis Regierung null System etabléiert. Dat eenzegt wat se fäerdeg bréngen ass eis gesond Mënschen anzespären, an eis gesond Mënschen doduerch krank ze maachen. An mat deem System wou se hunn, wou se etabléiert hunn maachen se keen Kranken gesond. Am Géigendeel. Sie maachen ganz vill gesond Leit krank (…) », ainsi que de ses messages des 5 mai et 3 juin 2021 insinuant une manipulation de la population par des fausses informations en les termes « (…) Eng ontransparent Politik an eng Press dei hir Aarbecht komplett verfeehlt sin Gëft vir d'Vollék wei mir dei lecht Méint spieren missten. D'Medien sin an der Pflicht dei Informatiounen dei sie vun der Politik kréien ze iwwerpréiwen an den Bierger ze informéieren, net ze manipuléieren. Ech froen mech heiansdo op dei riets Hand vun eisen Vertrieder iwwerhaapt nach wees waat dei lénks mecht. Et gesäit op allenfall net sou aus…(…) », 3 CourEDH, Aguilera Jiménez et autres c. Espagne, 8 décembre 2009, § 22 et s.
4 CourEDH, Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 51 et s.
16ou encore dans un message du 26 novembre 2021 en déclarant « (…) Mir ginn belunn an getäuscht.
[…] Sie wëssen net méi waat se den Mënschen nach verzielen sollen, wéieng Statistiken se nach verfälschen sollen oder wéieng Mutatioun se nach op den Marché kënnen bréngen vir eis an Angscht ze haalen an eis gefügeg ze maachen. Mir hunn d'Spill duerchsinn an loossen eis net méi an Angscht an Panik versetzen (…) », pour ensuite qualifier les mesures sanitaires étatiques, dans son message du 29 novembre 2021, de « Impf-Apartheidsstaat », respectivement de « Impf-Faschismus », avec comme but « (…) vir eng Minoritéit aus ze grenzen an ze diskriminéieren (…) » discréditant de sorte, à côté des médias, les autorités luxembourgeoises compétentes en matière de gestion de la pandémie liée au virus Covid-19.
A ce stade, la Cour se doit de rappeler que le devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers son employeur auquel est tenu un agent de la fonction publique, revêt une importance toute particulière au vu de la mission des fonctionnaires et employés publics dans une société démocratique, dès lors que la nature même de la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve et est partant de nature à constituer une restriction légalement autorisée à la liberté d’expression, comme l’a relevé la CourEDH dans un arrêt du 12 février 20085, restriction qui est a fortiori applicable pour un fonctionnaire occupant un poste sensible comme celui d’agent pénitentiaire.
Bien que Monsieur (A) soutienne que ses publications ont été faites dans le but de dénoncer les mesures prises dans le contexte de la pandémie Covid-19 au motif qu’elles contreviendraient à des principes constitutionnels, la Cour relève que ses déclarations virulentes sont à considérer comme offensantes et constituent une attaque gratuite envers les autorités, que ce soit envers l’administration pénitentiaire ou le gouvernement. Certains passages des commentaires publiés par Monsieur (A) sont à considérer comme négatifs, désobligeants respectivement infamants et discréditants. Evidemment, le devoir de réserve incombant au fonctionnaire ne saurait mettre à néant la liberté d’expression. Néanmoins, en l’espèce, tel que cela a été relevé à juste titre par le Conseil de discipline, confirmé par les premiers juges, c’est essentiellement la manière dont l’appelant a exprimé ses opinions qui est critiquable. S’y ajoute que dans le contexte aussi particulier que celui de la pandémie due au virus Covid-19 et de la gestion d’une crise nationale de grande ampleur, le lien de confiance entre l’Etat et ses agents doit être renforcé et qu’ainsi le devoir de réserve soit apprécié plus strictement et que les propos tenus soient mesurés et sans amalgame avec les fonctions exercées.
Partant, il échet de retenir que, par rapport aux faits de l’espèce, la restriction à la liberté d’expression de Monsieur (A) constitue une ingérence nécessaire et proportionnée dans une société démocratique.
Concernant ensuite le troisième fait reproché à Monsieur (A), à savoir l’utilisation de son téléphone portable durant son service au CPL, la Cour note que celui-ci ne conteste pas la matérialité du fait litigieux lui reproché.
A l’instar des premiers juges, la Cour relève que le reproche en cause se fonde sur une violation de l’article 9, paragraphe (1), du statut général aux termes duquel :
5 CourEDH, Guja c. Moldavie, 12 février 2008, § 70 et s.
17 « 1. Le fonctionnaire est tenu de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose.
Il doit de même se conformer aux instructions du gouvernement qui ont pour objet l’accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu’aux ordres de service de ses supérieurs (…).
En effet, en utilisant son téléphone portable à son lieu de travail, l’appelant a contrevenu à l’instruction de service PGA (poste de garde avancé) du 24 juillet 2017 relative à la « black-list » des objets prohibés au sein du CPL et celui-ci ne démontre pas que l’introduction et l’utilisation du téléphone portable aient été justifiées au titre des exceptions prévues par ladite instruction et concernant « [les téléphones portables] qui sont la propriété de l’Etat et/ou commandés par une raison de service », l’argumentaire selon lequel les détenus utiliseraient couramment des téléphones portables ne relativisant pas l’application stricte de cette instruction de service vis-à-vis des agents pénitentiaires.
Concernant finalement le dernier fait reproché à l’appelant, à savoir le fait d’avoir qualifié dans un message publié le 24 novembre 2021 sur son compte (BB), en qualité d’agent pénitentiaire, le CPL de « Arbeitslager », la Cour, à l’instar des premiers juges, retient que le message litigieux constitue une forme publique de discrédit à l’égard des autorités publiques s’agissant des mesures adoptées dans le cadre de la lutte contre la pandémie liée au virus du Covid-19 et non pas une simple « blague de mauvais goût ». Ladite formulation, particulièrement inappropriée du CPL dans le contexte donné, ne saurait dès lors être justifiée ou minimisée par des considérations humoristiques et l’appelant, ce faisant, a gravement manqué à son devoir de réserve et a jeté le discrédit sur sa propre administration, attitude portant atteinte à la dignité de ses fonctions et ayant donné lieu à scandale.
Concernant la sanction disciplinaire à retenir à l’encontre de Monsieur (A), et partant la proportionnalité de celle-ci au regard des faits lui reprochés, l’article 53, alinéa 1er, du statut général prévoit que « l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé ».
La Cour a déjà eu l’occasion de préciser que les critères d’appréciation de l’adéquation de la sanction prévus légalement « sont énoncés de manière non limitative, de sorte que le juge administratif est susceptible de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis qui permettent de juger de la proportionnalité de la sanction à prononcer, à savoir, entre autres, l’attitude générale du fonctionnaire »6.
Concernant la gravité des faits reprochés à Monsieur (A), la Cour note, à l’instar des premiers juges, que celui-ci s’est livré à de multiples reprises et de façon publique à des actes de dénigrement à l’égard du gouvernement et des actions entreprises par les autorités publiques dans le cadre de la lutte contre la pandémie liée au virus du Covid-19 à travers des propos particulièrement polémiques, inappropriés, injurieux et dédaigneux. Il convient encore de relever dans ce contexte que par l’appropriation du contenu des messages republiés sur son propre compte (BB), l’appelant, fonctionnaire de l’Etat, a incité ses lecteurs à participer à des rassemblements qu’il a organisés, 6 Cour adm., 8 décembre 2022, n° 47780C du rôle, non publiée 18respectivement contribué à organiser, en violation des mesures sanitaires prises par les autorités étatiques et sans manifester, de façon explicite, sa désapprobation quant au recours potentiel à la violence prôné par certaines personnes commentant lesdites publications. La Cour constate encore que dans des messages dont Monsieur (A) est l’auteur, il est fait mention d’un dénigrement des mesures étatiques d’encadrement des manifestations d’opposition à la politique du gouvernement respectivement des mesures sanitaires et vaccinales, y compris s’agissant du statut vaccinal des agents pénitentiaires et de la situation au CPL en relation avec la pandémie liée au virus du Covid-19, de nature à associer de façon négative l’administration pénitentiaire au contenu de ses publications. Finalement, il est établi en cause que Monsieur (A) a introduit un moyen de communication prohibé au sein du CPL et qu’il a qualifié le CPL, de façon outrageante et inappropriée, de « Arbeitslager ».
S’il est certes exact que le devoir de réserve incombant à un agent de l’Etat doit être apprécié au cas par cas, notamment au regard de la fonction occupée au sein de l’appareil étatique, un fonctionnaire placé à un degré élevé de la hiérarchie devant faire preuve de plus de modération dans l’exercice de sa liberté d’expression qu’un simple agent étatique et même si l’appelant n’occupe pas de fonction dirigeante au sein du CPL, il n’en reste pas moins qu’en tant que gardien de prison, chargé d’encadrer des détenus, il occupe un poste sensible et est amené à afficher un comportement exemplaire, que ce soit dans l’enceinte du CPL ou en dehors de ses fonctions, en l’occurrence en s’abstenant de s’exprimer sur des réseaux sociaux par des propos particulièrement polémiques, inappropriés, injurieux et dédaigneux vis-à-vis des autorités étatiques et de l’administration les employant.
Même si Monsieur (A) n’a pas d’antécédents disciplinaires, étant relevé qu’il ne peut faire valoir qu’une ancienneté de service toute relative depuis sa nomination définitive en tant qu’agent pénitentiaire au 1er mars 2021, soit à peine antérieure aux premiers messages publiés par l’intéressé, et en prenant en considération le contexte spécifique de la crise sanitaire liée au virus du Covid-19, la Cour retient, dans le cas d’espèce, surtout eu égard à la répétitivité des faits et en l’absence de prise de conscience de la gravité de son comportement par l’intéressé, que c’est à bon droit que le Conseil de discipline, confirmé en cela par les premiers juges, est arrivé à la conclusion que la confiance entre l’Etat et son fonctionnaire se trouve définitivement ébranlée et que le maintien de l’appelant au sein de la fonction publique n’est plus envisageable. Dans ces conditions, la sanction disciplinaire de la révocation, telle que prévue par l’article 47, point 10, du statut général, s’impose en conséquence et n’est dès lors pas disproportionnée.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, l’appel n’est dès lors pas fondé, de sorte que l’appelant en est à débouter et le jugement dont appel à confirmer.
Monsieur (A) sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de chaque fois 10.000.- € pour la première instance et pour l’instance d’appel.
Eu égard à l’issue du litige, lesdites demandes en allocation d'une indemnité de procédure sont à rejeter.
19Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties ;
reçoit l'appel du 16 octobre 2024 en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
partant, confirme le jugement du 6 septembre 2024 ;
déboute Monsieur (A) de ses demandes en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne l’appelant aux dépens de l'instance d'appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.
s. SANTOS s. SPIELMANN 20