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20/03/2025 | LUXEMBOURG | N°47/25

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 20 mars 2025, 47/25


N° 47 / 2025 du 20.03.2025 Numéro CAS-2024-00118 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt mars deux mille vingt-cinq.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1

.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et d...

N° 47 / 2025 du 20.03.2025 Numéro CAS-2024-00118 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt mars deux mille vingt-cinq.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Lionel SPET, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par son Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Clairefontaine, défendeur en cassation, comparant par Maître Jeanne FELTGEN, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué numéro 076/24-VII-CIV rendu le 12 juin 2024 sous le numéro CAL-2023-00058 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 7 août 2024 par la société anonyme SOCIETE1.) (ci-après « la société SOCIETE1.) ») à l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG (ci-après « l’ETAT ») et à l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA (ci-après « l’AEDT »), déposé le 9 août 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 30 septembre 2024 par l’ETAT à la société SOCIETE1.), déposé le 3 octobre 2024 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur l’identité de la partie défenderesse en cassation Selon le pourvoi en cassation, le défendeur en cassation est identifié comme étant « L’ETAT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG, représenté par son Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, Place Clairefontaine, et pour autant que de besoin par son Ministre des Finances, Monsieur Gilles ROTH, dont les bureaux sont établis à L-2931 Luxembourg, 3, rue de la Congrégation, poursuites et diligences de l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA, ayant ses bureaux à L-1651 Luxembourg, 1-3, avenue Guillaume, représentée par son Directeur, Monsieur Romain HEINEN, et pour autant que de besoin par le Receveur de l’Enregistrement et des Domaines au bureau de la Recette centrale de Luxembourg ».

Conformément à l’article 163 du Nouveau Code de procédure civile, l’Etat est assigné « en la personne du Ministre d’Etat ». Le défendeur en cassation est dès lors identifié à suffisance de droit comme étant « l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par son Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Clairefontaine, ».

La signification du mémoire en cassation à « l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA, en la personne de son Directeur actuellement en fonctions, ayant ses bureaux à L-1651 Luxembourg, 13, avenue Guillaume », non identifiée dans le mémoire en cassation en tant que partie défenderesse au pourvoi, n’attribue pas à celle-ci la qualité de partie à l’instance.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait déclaré irrecevable le recours de la demanderesse en cassation contre une amende fiscale prononcée par le Directeur de l’AEDT dirigé contre le défendeur en cassation. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

2 Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation par la Cour d’appel de la loi et, plus particulièrement, des dispositions de l’article 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la T.V.A.

laquelle dispose que La décision du directeur est susceptible de recours. Le recours est introduit par une assignation devant le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile. Sous peine de forclusion, l’exploit portant assignation doit être signifié à l’administration en la personne de son directeur dans un délai de 3 mois à compter de la date de notification de la décision du directeur ».

En ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement de première qui a déclaré irrecevable la demande de SOCIETE1.) portée par son assignation du 28 septembre 2021.

Aux motifs que :

jurisprudentiels sont nés, le premier retenant que l’article donnait délégation a I’AEDT pour se défendre à une action et que l’assignation était dirigée à bon escient à son encontre (CA 19 janvier 1989, n° 941 8 du rôle), tandis que le deuxième estimait que cet article ne disait pas qui devait être assignée dans la mesure où "signifier n’est dans ce contexte pas synonyme d’assigner", la formulation "l’exploit portant assignation doit être signifié" emporterait seulement obligation d’informer le directeur de I’AEDT afin qu’il ne procède pas à l’exécution de la décision (CA 5 mai 2004, n° 28082 du rôle), auxquels il a été mis fin par arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2010 n°9/10 retenant que "les juges du fond, en disant que la règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau Code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le ministre d’Etat, connait une exception au cas où la loi donne a une administration qui n‘a pas la personnalité juridique le pouvoir d’agir en justice ou d’y défendre et que les articles 76, paragraphe 3, et 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée confirent ce pouvoir a l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines pour en conclure que l’assignation du 28 décembre 2001 dirigée par la société SOCIETE2.) contre l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines ainsi que l’appel du 3 septembre 2004 de la même société contre le jugement du 15 juillet 2004 sont recevables, n’ont pas violé les textes légaux cités au moyen" (dans le même sens CA 3 mars 2010 , 34259 du rôle).

Même si dans cette affaire l’Etat et l’AEDT étaient demandeurs en cassation, au moyen que I’AEDT n’aurait pas la personnalité juridique et qu’un recours contre cette dernière devrait être dirigé contre l’Etat, la formulation de l’arrêt est d’une généralité telle qu’elle vise tant les recours dirigés contre I’AEDT en application 3 des articles 76.3 et 79 de la loi TVA, que son pouvoir d’agir en justice et l’arrêt trouve partant application en l’espèce pour le recours en annulation de l’amende fiscale du 6 juillet 2021 intente par la société SOCIETE1.) S.A..

C’est partant à bon droit que les juges de première instance en ont déduit qu’assignation doit obligatoirement être donnée à I’AEDT, la seule signification de cet exploit à cette dernière n’étant pas suffisante.

En l’espèce, l’exploit de la société SOCIETE1.) S.A. est conçu comme suit "donne assignation à l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par son Ministre d’Etat, Monsieur Xavier BETTEL, ayant ses bureaux L-

1341 Luxembourg, 2 place de Clairefontaine, et pour autant que de besoin par son Ministre des Finances, Monsieur Pierre GRAMEGNA, dont les bureaux sont établis à L-2931 Luxembourg, 3 rue de la Congrégation, poursuites et diligences de l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES et de la TVA, ayant ses bureaux à L-1651 Luxembourg, 1-3, avenue Guillaume, représentée par son Directeur Monsieur Romain HEINEN et pour autant que de besoin par le Receveur de l’Enregistrement et des Domaines au bureau de recette centrale de Luxembourg".

Compte tenu de la formulation employée et contrairement à ce qui est avancé par l’appelante, seul l’Etat est renseigné comme partie défenderesse à l’action en annulation de l’amende fiscale intentée, la seule référence "poursuites et diligences de l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES et de la TVA" ou la signification de l’exploit a I’AEDT n’étant pas suffisantes pour attribuer la qualité défenderesse a cette administration, ce qui résulte implicitement et nécessairement du jugement entrepris ayant déclaré le recours irrecevable. ».

Alors que :

Première branche du moyen, en faisant abstraction du fait que l’article 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la TVA impose aux administrés de leur recours à l’administration de la TVA en la personne de son directeur, sans autre précision ;

Deuxième branche du moyen, en ignorant que l’article 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la TVA impose aux administrés de « signifier » leur recours à l’administration de la TVA en la personne de son directeur, sans imposer la manière dont l’acte introductif d’instance doit être libellé ni sa formulation ;

L’arrêt attaqué, en ayant confirmé le jugement de première instance et déclaré la demande de SOCIETE1.) irrecevable, a violé l’article 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la TVA. ».

Réponse de la Cour Sur les deux branches du moyen réunies La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur 4 ajoutée (ci-après « LTVA ») en ayant confirmé les juges de première instance qui avaient déclaré irrecevable son recours contre une amende fiscale prononcée par le Directeur de l’AEDT pour avoir été dirigé seulement contre l’ETAT, alors qu’il avait été signifié tant à l’ETAT qu’à l’AEDT.

L’article 79 LTVA dispose « Les décisions du directeur de l’administration ou de son délégué prononçant les amendes fiscales doivent être attaquées par voie de réclamation.

(…).

La décision du directeur est susceptible de recours. Le recours est introduit par une assignation devant le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile. Sous peine de forclusion, l’exploit portant assignation doit être signifié à l’administration en la personne de son directeur dans un délai de 3 mois à compter de la date de notification de la décision du directeur (…) ».

La règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau Code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le Ministre d’Etat, connaît une exception au cas où la loi donne à une administration, qui n’a pas la personnalité juridique, le pouvoir d’agir en justice ou d’y défendre. L’article 79 LTVA confère ce pouvoir à l’AEDT.

En retenant « Compte tenu de la formulation employée et contrairement à ce qui est avancé par l’appelante, seul l’Etat est renseigné comme partie défenderesse à l’action en annulation de l’amende fiscale intentée, la seule référence "poursuites et diligences de l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES et de la TVA" ou la signification de l’exploit à l’AEDT n’étant pas suffisantes pour attribuer la qualité de défenderesse à cette administration, ce qui résulte implicitement et nécessairement du jugement entrepris ayant déclaré le recours irrecevable. », les juges d’appel ont fait l’exacte application de l’article 79 LTVA.

Il s’ensuit que le moyen, pris en ses deux branches, n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 15 de la Constitution consacrant le principe d’égalité devant la loi aux termes duquel .

5 En ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement de première instance ayant déclaré la demande de SOCIETE1.) irrecevable, considérant qu’une telle décision serait conforme au principe constitutionnel d’égalité devant la loi des citoyens, Au motif que :

jurisprudentiels sont nés, le premier retenant que l’article donnait délégation a I’AEDT pour se défendre a une action et que l’assignation était dirigée à bon escient à son encontre (CA 19 janvier 1989, n° 941 8 du rôle), tandis le deuxième estimait que cet article ne disait pas qui devait être assignée dans la mesure où "signifier n’est dans ce contexte pas synonyme d’assigner", la formulation "l’exploit portant assignation doit être signifié" emporterait seulement obligation d’informer le directeur de I’AEDT afin qu’il ne procède pas à l’exécution de la décision (CA 5 mai 2004, n° 28082 du rôle),auxquels il a été mis fin par arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2010 n°9/10 retenant que "les juges du fond, en disant que la règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau Code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le ministre d’Etat, connait une exception au cas où la loi donne a une administration qui n‘a pas la personnalité juridique le pouvoir d’agir en justice ou d’y défendre et que les articles 76, paragraphe 3, et 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée confirent ce pouvoir a l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines pour en conclure que l’assignation du 28 décembre 2001 dirigée par la société SOCIETE2.) contre l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines ainsi que l’appel du 3 septembre 2004 de la même société contre le jugement du 15 juillet 2004 sont recevables, n’ont pas violé les textes légaux cites au moyen" (dans le même sens CA 3 mars 2010 , 34259 du rôle).

Même si dans cette affaire l’Etat et l’AEDT étaient demandeurs en cassation, au moyen que l’AEDT n’aurait pas la personnalité juridique et qu’un recours contre cette dernière devrait être dirigé contre l’Etat, la formulation de l’arrêt est d’une généralité telle qu’elle vise tant les recours dirigés contre l’AEDT en application des articles 76.3 et 79 de la loi TVA, que son pouvoir d’agir en justice et l’arrêt trouve partant application en l’espèce pour le recours en annulation de l’amende fiscale du 6 juillet 2021 intenté par la société SOCIETE1.) S.A..

C’est partant à bon droit que les juges de première instance en ont déduit qu’assignation doit obligatoirement être donnée à l’AEDT, la seule signification de cet exploit à cette dernière n’étant pas suffisante ».

Alors que :

D’une part, SOCIETE1.) a versé des décisions de justice dans d’autres affaires desquelles il ressort que la même administration se présente en justice comme demanderesse selon la même formulation de l’acte introductif d’instance que celle introduite contre elle par SOCIETE1.), Que l’interprétation de la Cour d’appel de la formulation de l’acte introductif d’instance de SOCIETE1.) soutenant que l’acte ne serait dirigé que 6 contre l’Etat, alors qu’il a été signifié deux fois par SOCIETE1.), une fois à l’Etat, une fois à l’Administration et que surtout l’Administration se présente en justice dans les mêmes termes que ceux où elle a été assignée par SOCIETE1.), Instaurer de règles procédurales nouvelles modulables selon que la qualité du Ministre de l’Etat ou par un organe le représentant soit demandeur ou défendeur est de nature à occasionner une insécurité juridique et une méfiance dans l’esprit des justiciables alors que la clarté et la lisibilité de la loi constitue un gage de sécurité juridique et d’accessibilité à la Justice.

L’arrêt attaqué en ayant déclaré la demande de SOCIETE1.) irrecevable, opère une rupture d’égalité devant la loi entre le citoyen lambda, et l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines d’autre part par la différence de traitement opérée en fonction de celui qui est demandeur en justice (lorsque l’AEDT assigne dans les mêmes termes son acte est recevable, tandis que lorsqu’elle est assignée, l’acte est jugé irrecevable !) ».

Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 15 de la Constitution consacrant le principe d’égalité devant la loi en déclarant irrecevable l’assignation portant recours contre l’amende fiscale dirigée contre l’ETAT, alors que l’AEDT pourrait agir valablement comme demanderesse, dans les mêmes termes, dans le cadre d’assignations en faillite.

La mise en œuvre de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable.

Aux termes de l’article 6, alinéa 2, point b), de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, la juridiction devant laquelle est soulevée une question de constitutionnalité est dispensée d’en saisir la Cour constitutionnelle lorsque la question est dénuée de tout fondement.

Une question de constitutionnalité soulevée par rapport au principe d’égalité devant la loi de l’article 15 de la Constitution est dénuée de tout fondement lorsque les deux situations mises en exergue ne sont manifestement pas comparables.

L’article 79 LTVA, applicable à l’assignation portant recours contre l’amende fiscale, n’est pas applicable aux assignations en faillite faites par l’ETAT, qui sont soumises aux règles de la procédure en matière commerciale. Les assignations visées au moyen relèvent de dispositions légales différentes.

La situation d’un administré qui introduit un recours contre une amende fiscale prononcée par le Directeur de l’AEDT n’est manifestement pas comparable à celle de l’ETAT qui agit en tant que demandeur dans le cadre d’une assignation en faillite sur base d’une créance de l’AEDT.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé et qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle concernant la conformité de 7 l’article 79 LTVA et des articles 153 et suivants du Nouveau Code de procédure civile à l’article 15 de la Constitution.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon du refus d’application sinon de la fausse application sinon de la fausse interprétation de l’article 109 de la Constitution disposant que .

En ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement de première instance ayant déclaré irrecevable la demande de SOCIETE1.), en soulignant que , tout en ignorant l’argument et en n’y répondant pas, considérant dès lors implicitement qu’il ne peut y avoir rupture d’égalité de traitement devant la loi aux termes de l’article 15 de la Constitution, Au motif que :

d’assignation à la requête de l’AEDT qui auraient été libellées dans les mêmes termes que l’assignation actuellement en cause », (citation de la Cour d’appel page 4 dernier paragraphe).

La Cour de dire ensuite :

courants jurisprudentiels sont nés, le premier retenant que l’article donnait délégation a I’AEDT pour se défendre a une action et que l’assignation était dirigée à bon escient à son encontre (CA 19 janvier 1989, n° 941 8 du rôle), tandis le deuxième estimait que cet article ne disait pas qui devait être assignée dans la mesure où "signifier n’est dans ce contexte pas synonyme d’assigner", la formulation "l’exploit portant assignation doit être signifié" emporterait seulement obligation d’informer le directeur de I’AEDT afin qu’il ne procède pas à l’exécution de la décision (CA 5 mai 2004, n° 28082 du rôle),auxquels il a été mis fin par arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2010 n°9/10 retenant que "les juges du fond, en disant que la règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau Code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le ministre d’Etat, connait une exception au cas où la loi donne a une administration qui n‘a pas la personnalité juridique le pouvoir d’agir en justice ou d’y défendre et que les articles 76, paragraphe 3, et 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée confirent ce pouvoir a I ‘Administration de l’Enregistrement et des Domaines pour en conclure que l’assignation du 28 décembre 2001 dirigée par la société SOCIETE2.) contre l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines ainsi que l’appel du 3 septembre 2004 de la même 8 société contre le jugement du 15juillet 2004 sont recevables, n ‘ont pas viole les textes légaux cites au moyen" (dans le même sens CA 3 mars 2010 , 34259 du rôle).

Même si dans cette affaire l’Etat et l’AEDT étaient demandeurs en cassation, au moyen que I’AEDT n’aurait pas la personnalité juridique et qu’un recours contre cette dernière devrait être dirige contre l’Etat, la formulation de l’arrêt est d’une généralité telle qu’elle vise tant les recours dirigés contre I’AEDT en application des articles 76.3 et 79 de la loi TVA, que son pouvoir d’agir en justice et l’arrêt trouve partant application en l’espèce pour le recours en annulation de l’amende fiscale du 6 juillet 2021 intente par la société SOCIETE1.) S.A..

C’est partant à bon droit que les juges de première instance en ont déduit qu’assignation doit obligatoirement être donnée a l’AEDT, la seule signification de cet exploit à cette dernière n’étant pas suffisante ».

Sans autrement se prononcer sur l’influence de l’existence de ces autres décisions de justice où l’AEDT se présente en justice de la même manière qu’elle reproche aujourd’hui à la concluante de l’avoir assigné ! Alors que :

En faisant abstraction du fait que dans d’autres affaires à la requête de l’AEDT qui sont libellées dans les mêmes termes que l’assignation actuellement en cause, et en n’ayant pas répondu aux moyens de SOCIETE1.) sur ce point, la Cour d’appel a violé les dispositions de l’article 109 de la Constitution, imposant au juge la motivation de ses décisions. ».

Réponse de la Cour Le moyen, tiré de la violation de l’article 109 de la Constitution, fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir répondu aux moyens de la demanderesse en cassation en relation avec des assignations en faillite faites à la requête de l’ETAT, déclarées recevables, qui seraient libellées dans les mêmes termes que l’assignation en cause. Le grief s’analyse partant comme un défaut de réponse à conclusions, équivalant à un défaut de motifs.

Une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En retenant « L’appelante avance en outre qu’elle aurait versé des exemples d’assignation à la requête de l’AEDT qui auraient été libellées dans les mêmes termes que l’assignation actuellement en cause. Invoquant le principe de l’estoppel, la société SOCIETE1.) S.A. estime que l’AEDT ne pourrait se faire valablement représenter en justice comme actuellement assignée lorsqu’elle serait demanderesse et soulever l’irrecevabilité de la demande au cas où elle serait défenderesse sans se contredire dans ses moyens au détriment d’autrui et sans violer le principe de la bonne foi procédurale ou de la loyauté procédurale.

9 Par ailleurs, l’assignation devrait être déclarée recevable en application du principe de l’unicité de l’Etat qui entraînerait que l’Etat aurait la qualité de partie défenderesse dès qu’un organe étatique aurait pris la décision critiquée. » et « C’est également à tort que la partie appelante oppose la théorie de l’estoppel à l’Etat, connue en droit français sous la dénomination « principe de cohérence », qui interdit de se contredire au détriment d’autrui. Chacun doit être cohérent avec soi-même, nul ne peut se contredire soi-même. Celui qui adopte un comportement contraire à son attitude ou à ses dires antérieurs, viole la confiance légitime placée en lui (cf. Jurisclasseur, Civil, art. 1131 à 1133, nos 80 - 82 ; Cass.

fr, chambre commerciale, 20 septembre 2011, n° 10-22888, RTDC 2011, p. 760, note Bertrand FAGES). Ce principe est constitutif d’un changement de position en droit, de nature à induire en erreur sur ses intentions.

L’estoppel ne saurait être utilisé pour empêcher toutes les initiatives des parties et porter atteinte au principe de la liberté de la défense, ni affecter la substance même des droits réclamés par un plaideur, en demandant au juge de devenir le censeur de tous les moyens et arguments des parties (cf. Cour d’appel, 27 mars 2014, numéro du rôle 37018 ; Cour d’appel, 10 janvier 2018, numéro du rôle 39056 ; Cour d’appel, 9 janvier 2019, numéro du rôle 45277). Il est donc permis aux parties de changer de point de vue, d’angle d’attaque, de stratégie de défense (cf. Th. Hoscheit, Le droit judiciaire privé, 2ième éd., n° 611).

En effet, même si l’Etat a le cas échéant défendu le moyen suivant lequel l’AEDT n’aurait pas la personnalité juridique et que le recours en annulation devrait être dirigé contre l’Etat, il a changé de position suite aux arrêts de la Cour de cassation, les jurisprudences invoquées par l’appelante étant antérieures à ces décisions.

Le législateur ayant attribué une délégation spéciale par l’article 79 de la loi TVA à l’AEDT pour défendre soi-même les recours contre des amendes fiscales, il ne saurait être fait échec à cette compétence spéciale légale par la théorie de l’unicité de l’Etat visant que l'Etat a la qualité de partie défenderesse dès qu'un organe étatique a pris la décision critiquée connue en matière administrative. », les juges d’appel ont répondu aux conclusions de la demanderesse en cassation sur le point considéré.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon du refus d’application sinon de la fausse application sinon de la fausse interprétation de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH disposant que 10 équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle….. » En ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement de première instance ayant déclaré irrecevable la demande de SOCIETE1.), en retenant que l’assignation signifiée à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines n’était pas suffisante au regard de la formulation de l’acte, pour donner à l’Administration la qualité de défenderesse, tout en considérant que cette solution était conforme aux dispositions de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH, Aux motifs que :

violation de l’article 6 § I de la CEDH garantissant l’existence d’une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils (Nait-Liman c. Suisse [GC], 2018, § 112 ; Bele~ et autres c République tchèque, 2002, § 49).

En effet, le "droit à un tribunal", comme le droit d’accès, ne revêt pas un caractère absolu il peut donner lieu à des limitations, mais elles ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (Stanev c. Bulgarie [GC], 2012, § 229 ;

Baka c. Hongrie [OC], 2016, § 120 ; Nait-Liman c. Suisse [OC], 2018, § 114 ; Philis c. Grece (no 1), 1991, § 59 ; De Geouffre de la Pradelle c. France, 1992, § 28). En outre, les limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et que s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but vise (Paroisse greco catholique Lupeni et autres e.

Roumanie [GC], 2016, § 89 ; Nait-Liman c. Suisse [GCJ, 2018, § 115]).

En l’espèce, tel que confirmé par les arrêts de la Cour de cassation prémentionnés [Note de la Cour : Cour de cassation du 18 février 2010 n°9/10 et du 7 avril 2011 n°25/11], le législateur a prévu par l’article 79 de la loi TVA une dérogation à la règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau Code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le ministre d’Etat.

Suivant les documents parlementaires n° 4858, commentaire des articles, de la loi du 21 décembre 2001 modifiant la loi TVA du 12 février 1979 et introduisant l’article 79 dans sa version applicable à la demande actuellement en cause : "Il est dès lors proposé de prévoir le même mode d’assignation pour le recours contre les amendes fiscales et pour le recours contre les bulletins d’impôt portant rectification ou taxation d’office. En raison de la compétence légalement attribuée à l’administration de l’enregistrement et des domaines en matière de TVA, il échet de mettre cette administration en mesure d’intenter une action en justice ou d’y défendre dans le cadre des recours contre des amendes fiscales tout comme c’est déjà le cas pour les recours contre des bulletins d’impôt. Tel est l’objet de la modification proposée de l’article 79 de ladite loi TVA".

11 L’administré disposant partant d’un recours effectif contre les amendes fiscales prévu par l’article 79 de la loi TVA, qui doit être dirige contre l’AEDT, tel qu’il a été confirmé par la Cour de cassation depuis 2010, et ce dans un but légitime, une violation de l’article 6 § I de la CEDH ne saurait être constatée ».

Alors que :

L’interprétation faite par la Cour d’appel de la formulation que doit revêtir une assignation en justice pour que l’on puisse valablement considérer l’Administration de l’Enregistrement comme partie défenderesse, alors que celle-ci s’est vue assignée par voie d’huissier, donc par la voie d’un officiel public ministériel, préjudicie gravement les droits de SOCIETE1.) et l’empêche de pouvoir porter sa cause devant une juridiction, ce d’autant plus que l’on permet à l’AEDT d’agir comme demanderesse dans les mêmes termes et formulations que celle avec laquelle l’AEDT a été assignée. ».

Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir, par l’interprétation faite de la formulation employée dans l’exploit d’assignation, décidé que l’AEDT n’était pas partie défenderesse en première instance, préjudiciant ainsi ses droits en l’empêchant de porter sa cause devant une juridiction.

Par les motifs repris au moyen, les juges d’appel n’ont pas violé l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la demanderesse en cassation n’ayant pas été empêchée de porter sa cause devant une juridiction.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne la demanderesse en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

la condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Jeanne FELTGEN, sur ses affirmations de droit.

12 La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence de l’avocat général Joëlle NEIS et du greffier Daniel SCHROEDER.

13 Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation société anonyme SOCIETE1.) S.A.

contre Etat du Grand-Duché de Luxembourg et Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (CAS-2024-00118) Le pourvoi en cassation, introduit par la société anonyme SOCIETE1.) S.A. (ci-après la société SOCIETE1.)) par un mémoire en cassation signifié le 7 août 2024 aux parties défenderesses en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 9 août 2024, est dirigé contre un arrêt n°76/24 rendu par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 12 juin 2024 (n° CAL-

2023-00058 du rôle). Cet arrêt a été signifié à la demanderesse en cassation en date du 25 juin 2024.

Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

La partie défenderesse Etat du Grand-Duché de Luxembourg (ci-après l’ETAT) a signifié un mémoire en réponse le 30 septembre 2024 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 3 octobre 2024.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

Les faits et antécédents Par décision du Directeur de l’Administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA (ci-après l’AEDT) du 6 juillet 2021, une amende fiscale a été infligée à la société SOCIETE1.).

Saisi d’un recours gracieux de la société SOCIETE1.), le Directeur de l’AEDT a, par décision du 16 juillet 2021, maintenu la décision du 6 juillet 2021.

Suivant exploit d’huissier du 28 septembre 2021, la société SOCIETE1.) a fait donner assignation à « l’Etat du Grand-duché de Luxembourg, représenté par son Ministre d’Etat, Monsieur Xavier BETTEL, ayant ses bureaux L-1341 Luxembourg, 2, place de Clairefontaine et pour autant que de besoin par son Ministre des Finances, Monsieur Pierre GRAMEGNA, dont les bureaux sont établis à L-2931 Luxembourg, 3, rue de la Congrégation, poursuites et 14 diligences de l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES et de la TVA, ayant ses bureaux à L-1651 Luxembourg, 1-3, avenue Guillaume, représentée par son Directeur Monsieur Romain HEINEN et pour autant que de besoin par le Receveur de l’Enregistrement et des Domaines au bureau de recette centrale de Luxembourg », pour voir annuler la décision du 6 juillet 2021, ainsi que la décision de maintien de cette amende du 16 juillet 2021.

Par jugement du 7 décembre 2022, le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a déclaré la demande irrecevable et a condamné la société SOCIETE1.) aux frais et dépens de l’instance.

Par exploit d’huissier du 21 décembre 2022, la société SOCIETE1.) a interjeté appel contre ce jugement.

Par arrêt rendu en date du 12 juin 2024, la Cour d’appel a déclaré l’appel recevable, l’a dit non fondé et a confirmé le jugement entrepris.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après LTVA) qui dispose :

« Un recours est ouvert aux intéressés contre les décisions du directeur de l'administration ou de son délégué prononçant les amendes fiscales prévues par la présente loi. Le recours est introduit par une assignation devant le tribunal civil. Sous peine de forclusion l'exploit portant assignation doit être signifié à l'administration en la personne de son directeur dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification de la décision. » Le moyen fait grief à l’arrêt dont pourvoi d’avoir confirmé le jugement de première instance qui a déclaré irrecevable la demande de la société SOCIETE1.) introduite par une assignation du 28 septembre 2021, aux motifs que :

« Suite à l’introduction de l’article 76.3 de la loi TVA différents courants jurisprudentiels sont nés, le premier retenant que l’article donnait délégation à l’AEDT pour se défendre à une action et que l’assignation était dirigée à bon escient à son encontre (CA 19 janvier 1989, n° 9418 du rôle), tandis le deuxième estimait que cet article ne disait pas qui devait être assigné dans la mesure où «signifier n’est dans ce contexte pas synonyme d’assigner», la formulation « l’exploit portant assignation doit être signifié » emporterait seulement obligation d’informer le directeur de l’AEDT afin qu’il ne procède pas à l’exécution de la décision (CA 5 mai 2004, n° 28082 du rôle), auxquels il a été mis fin par arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2010 n° 9/10 retenant que « les juges du fond, en disant que la règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau Code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le ministre d’Etat, connaît une exception au cas où la loi donne à une administration qui n’a pas la personnalité juridique le pouvoir d’agir en justice ou d’y défendre et que les articles 76, paragraphe 3, et 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée 15 confèrent ce pouvoir à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines pour en conclure que l’assignation du 28 décembre 2001 dirigée par la société SOCIETE2.) contre l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines ainsi que l’appel du 3 septembre 2004 de la même société contre le jugement du 15 juillet 2004 sont recevables, n’ont pas violé les textes légaux cités au moyen » (dans le même sens CA 3 mars 2010 , 34259 du rôle).

Même si dans cette affaire l’Etat et l’AEDT étaient demandeurs en cassation, au moyen que l’AEDT n’aurait pas la personnalité juridique et qu’un recours contre cette dernière devrait être dirigé contre l’Etat, la formulation de l’arrêt est d’une généralité telle qu’elle vise tant les recours dirigés contre l’AEDT en application des articles 76.3 et 79 de la loi TVA, que son pouvoir d’agir en justice et l’arrêt trouve partant application en l’espèce pour le recours en annulation de l’amende fiscale du 6 juillet 2021 intenté par la société SOCIETE1.) S.A..

C’est partant à bon droit que les juges de première instance en ont déduit qu’assignation doit obligatoirement être donnée à l’AEDT, la seule signification de cet exploit à cette dernière n’étant pas suffisante.

En l’espèce, l’exploit de la société SOCIETE1.) S.A. est conçu comme suit « donne assignation à l’Etat du Grand-duché de Luxembourg, représenté par son Ministre d’Etat, Monsieur Xavier BETTEL, ayant ses bureaux L-1341 Luxembourg, 2, place de Clairefontaine et pour autant que de besoin par son Ministre des Finances, Monsieur Pierre GRAMEGNA, dont les bureaux sont établis à L-2931 Luxembourg, 3, rue de la Congrégation, poursuites et diligences de l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES et de la TVA, ayant ses bureaux à L-1651 Luxembourg, 1-3, avenue Guillaume, représentée par son Directeur Monsieur Romain HEINEN et pour autant que de besoin par le Receveur de l’Enregistrement et des Domaines au bureau de recette centrale de Luxembourg » et il a été signifié à l’Etat et à l’AEDT.

Compte tenu de la formulation employée et contrairement à ce qui est avancé par l’appelante, seul l’Etat est renseigné comme partie défenderesse à l’action en annulation de l’amende fiscale intentée, la seule référence « poursuites et diligences de l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES et de la TVA » ou la signification de l’exploit à l’AEDT n’étant pas suffisantes pour attribuer la qualité de défenderesse à cette administration, ce qui résulte implicitement et nécessairement du jugement entrepris ayant déclaré le recours irrecevable. » Le moyen s’articule en deux branches, la première reprochant à l’arrêt entrepris d’avoir fait abstraction du fait que l’article 79 de la LTVA impose aux administrés de « signifier » leur recours à l’administration de la TVA en la personne de son directeur, sans autre précision, et la deuxième reprochant à l’arrêt entrepris d’avoir ignoré que l’article 79 de la LTVA impose aux administrés de « signifier » leur recours à l’administration de la TVA en la personne de son directeur, sans imposer la manière dont l’acte introductif d’instance doit être libellé ni sa formulation.

Dans la discussion commune aux deux branches, la demanderesse en cassation expose avoir fait procéder à la signification de deux exploits d’assignation, l’un à l’Etat et l’autre à l’AEDT.

16 Elle souligne que cette double signification n’aurait pas eu pour objectif d’attraire au procès deux défendeurs distincts et elle rappelle que l’AEDT n’a pas la personnalité juridique, de sorte que les actions en justice concernant cette administration seraient en principe intentées par l’Etat ou contre l’Etat. Il n’y aurait dès lors pas deux défendeurs à l’action, mais bien un seul, à savoir l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son Ministre d’Etat.

La partie défenderesse en cassation soulève à juste titre dans son mémoire en réponse que la demanderesse en cassation a plaidé le contraire en instance d’appel. L’arrêt attaqué résume la position de l’appelante SOCIETE1.) qui a fait valoir en appel que « [l’] appelante se serait conformée aux exigences du texte en signifiant l’assignation à l’Etat et à l’AEDT et cette dernière serait clairement identifiée comme défenderesse dans l’assignation du 28 septembre 2021 »1.

L’arrêt dont pourvoi a retenu :

« Compte tenu de la formulation employée et contrairement à ce qui est avancé par l’appelante, seul l’Etat est renseigné comme partie défenderesse à l’action en annulation de l’amende fiscale intentée, la seule référence « poursuites et diligences de l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES et de la TVA » ou la signification de l’exploit à l’AEDT n’étant pas suffisantes pour attribuer la qualité de défenderesse à cette administration, ce qui résulte implicitement et nécessairement du jugement entrepris ayant déclaré le recours irrecevable. » Dans la mesure où le moyen nouveau invoqué par la demanderesse en cassation ne met partant en jeu aucun fait qui n’aurait pas été constaté par la décision attaquée, il pourrait être considéré comme un motif de pur droit2. Or, même un motif de pur droit n’est recevable en cassation que s’il n’est pas contraire aux conclusions d’appel du demandeur au pourvoi.3 Le premier moyen, pris en ses deux branches, est irrecevable.

Subsidiairement :

Tout d’abord il résulte sans aucune ambiguïté des travaux parlementaires4 quel était l’objectif en ce qui concerne la modification de l’article 97 de la LTVA :

« En vertu de l’article 79 de la loi du 12 février 1979 concernant la TVA, un recours est ouvert aux intéressés, dans les trois mois de la notification, contre les décisions du directeur de l’administration ou de son délégué prononçant les amendes fiscales prévues par ladite loi, devant les tribunaux d’arrondissement en conformité avec la loi du 4 mars 1896 concernant la procédure en matière fiscale et domaniale. Un arrêt de la Cour d’Appel du 5 avril 2000 (numéro 23414 du rôle) a précisé que le recours visé ne peut être dirigé que contre l’Etat et non contre l’administration, étant donné que l’administration n’a pas 1 Arrêt du 12 juin 2024, page 3, pénultième paragraphe 2 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 6e éd. 2023/2024, n°82.211 3 ibidem, n° 82.281 et jurisprudences y citées 4 Dossier parlementaire n°4858, session 2002-2002, projet de loi, commentaire des articles, III. Autres modifications, Ad point 3°, page 8 17 de personnalité juridique et que, sauf dans les cas où la loi donne expressément à l’administration pouvoir pour intenter une action en justice ou pour y défendre, les actions concernant l’administration sont intentées par l’Etat ou dirigées contre l’Etat. L’article 79 ne prévoyant pas l’assignation de l’administration, il y a application de la règle générale selon laquelle c’est l’Etat seul qui peut agir en justice.

La situation est pourtant différente en matière de recours contre les bulletins d’impôt portant rectification ou taxation d’office. A cet égard l’article 76 de la prédite loi TVA prévoit, au paragraphe 3, que l’exploit portant assignation doit être signifié à l’administration de l’enregistrement et des domaines en la personne de son directeur dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du bulletin.

En cas de recours contre lesdits bulletins, c’est donc l’administration, et non l’Etat, qui agit en justice.

La divergence entre les deux recours en ce qui concerne le mode d’assignation est source d’erreurs susceptibles d’entraîner l’irrecevabilité des recours. Elle a également donné lieu à des doubles assignations afin de parer à toute éventualité. L’on ne saurait par ailleurs que difficilement justifier, au regard des recours contre des amendes fiscales, un double emploi consistant à faire intervenir, outre l’administration qui est en possession des dossiers respectifs et qui doit de toute façon suivre les affaires concernées, d’autres services étatiques. Il y a lieu de mettre fin à cette situation incohérente qui ne sert pas la sécurité juridique et qui ne se concilie pas avec les exigences d’une gestion rationnelle des affaires publiques.

Il est dès lors proposé de prévoir le même mode d’assignation pour le recours contre les amendes fiscales et pour le recours contre les bulletins d’impôt portant rectification ou taxation d’office. En raison de la compétence légalement attribuée à l’administration de l’enregistrement et des domaines en matière de TVA, il échet de mettre cette administration en mesure d’intenter une action en justice ou d’y défendre dans le cadre des recours contre des amendes fiscales tout comme c’est déjà le cas pour les recours contre des bulletins d’impôt. Tel est l’objet de la modification proposée de l’article 79 de ladite loi TVA. » Ensuite votre Cour a encore rendu deux arrêts clarifiant la relation entre l’article 163 sub 1° du Nouveau code de procédure civile et les articles 76, paragraphe 3, et 79 de la LTVA :

- un arrêt n° 9/10 rendu en date du 18 février 20105 :

« Mais attendu que les juges du fond, en disant que la règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le ministre d’Etat, connaît une exception au cas où la loi donne à une administration qui n’a pas la personnalité juridique le pouvoir d’agir en justice ou d’y défendre et que les articles 76, paragraphe 3, et 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée confèrent ce pouvoir à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines pour en conclure que l’assignation du 28 décembre 2001 dirigée par la société SOCIETE2.) contre l’Administration de l’Enregistrement et des 5 n° 2708 du registre, réponse au premier moyen de cassation 18 Domaines ainsi que l’appel du 3 septembre 2004 de la même société contre le jugement du 15 juillet 2004 sont recevables, n’ont pas violé les textes légaux cités au moyen ;

d’où il suit que le moyen n’est pas fondé. » - un arrêt n° 25/11 rendu en date du 7 avril 20116 :

« Mais attendu que la règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le ministre d’Etat, connaît une exception au cas où la loi donne à une administration qui n’a pas la personnalité juridique le pouvoir d’agir en justice ou d’y défendre, comme c’est le cas pour les articles 76, paragraphe 3, et 79 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la TVA».

Il découle de ce qui précède que les recours contre les amendes fiscales sont à diriger contre l’AEDT et non pas contre l’Etat.

En statuant comme ils l’ont fait, par les motifs visés au moyen, les juges d’appel ont fait une correcte application de l’article 79 de la LTVA.

Le moyen, pris en ses deux branches, n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 15 de la Constitution consacrant le principe d’égalité devant la loi aux termes duquel « [l]es Luxembourgeois sont égaux devant la loi ».7 Le moyen reproche à la décision entreprise d’avoir confirmé le jugement de première instance ayant déclaré la demande de la société SOCIETE1.) irrecevable, considérant qu’une telle décision serait conforme au principe constitutionnel d’égalité devant la loi. La demanderesse en cassation fait valoir qu’elle aurait « versé des décisions de justice dans d’autres affaires desquelles il ressort que la même administration se présente en justice comme demanderesse selon la même formulation de l’acte introductif d’instance que celle introduite contre elle par SOCIETE1.) ». De cette différence de traitement résulterait une rupture d’égalité entre le citoyen lambda et l’AEDT.

L’arrêt dont pourvoi a constaté qu’en instance d’appel l’actuelle demanderesse en cassation SOCIETE1.) avait avancé « qu’elle aurait versé des exemples d’assignation à la requête de l’AEDT qui auraient été libellées dans les mêmes termes que l’assignation actuellement en cause » pour invoquer le principe de l’estoppel8. Par contre, il ne ressort pas du dossier d’appel que la demanderesse en cassation aurait invoqué en instance d’appel une violation du principe d’égalité devant la loi. Ce moyen est partant nouveau.

6 N° 2853 du registre, sur la recevabilité du pourvoi 7 Article 15, paragraphe (1), 1ère phrase 8 Arrêt du 12 juin 2024, page 4, 3e paragraphe 19 Or, dans la mesure où l’arrêt dont pourvoi ne comporte aucune précision concernant ces « exemples d’assignation », le moyen repose sur des faits que les juges du fond n’ont pas constatés, de sorte qu’il est irrecevable pour être mélangé de fait et de droit.

D’ailleurs le moyen de cassation lui-même n’indique pas quelles sont ces « décisions de justice dans d’autres affaires »,9 de sorte que l’énoncé du moyen ne répond pas aux exigences de précision de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le moyen est irrecevable pour être nouveau et mélangé de fait et de droit, et pour manque de précision.

Subsidiairement :

Il semble ressortir de la discussion du moyen que ces « autres affaires » dans lesquelles l’AEDT se serait présentée comme demanderesse selon la même formulation que celle utilisée par SOCIETE1.), étaient des assignations en faillite pour non-paiement de TVA, intérêts et amende fiscale.

Etant donné qu’une assignation en faillite ne tombe pas dans le champ d’application des articles 76, paragraphe 3, et 79 de la LTVA, c’est l’article 163 sub 1° du Nouveau code de procédure civile qui s’applique et c’est l’Etat qui est partie au procès. La formulation à utiliser pour désigner la partie au procès n’est alors évidemment pas la même que lorsqu’il s’agit d’un recours contre des amendes fiscales ou contre des bulletins d’impôt portant rectification ou taxation d’office.

Etant donné que l’assignation du 28 septembre 2021 signifiée par la société SOCIETE1.) et les assignations en faillite lancées par l’Etat pour défaut de paiement en matière de TVA relèvent de dispositions légales différentes, le moyen manque en fait.

Plus subsidiairement :

A supposer que les « décisions de justice dans d’autres affaires » aient trait à des assignations tombant dans le champ d’application des articles 76, paragraphe 3, et 79 de la LTVA (quod non), le grief formulé consiste à reprocher aux juridictions d’accepter des formulations différentes dans les actes introductifs d’instance pour désigner l’AEDT, selon que celle-ci est demanderesse ou défenderesse au procès. Ce reproche ne vise pas une différence de traitement prévue par la loi mais concerne exclusivement l’application de la loi par les juridictions. Il ne saurait partant s’analyser en une violation du principe constitutionnel d’égalité devant la loi.

Le grief formulé est étranger à la disposition visée au moyen, de sorte que le moyen est irrecevable.

9 Même la pièce 11, à laquelle il est fait référence à titre d’exemple dans une note de bas de page, ne correspond pas à une décision dans une affaire dans laquelle l’AEDT aurait agi comme demanderesse 20 Dans la mesure où aucune question d’égalité devant la loi ne se pose, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande subsidiaire de saisir la Cour constitutionnelle.

Sur le troisième moyen de cassation :

Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 109 de la Constitution pour défaut de motifs.

Le moyen fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir confirmé le jugement de première instance ayant déclaré irrecevable la demande de la société SOCIETE1.) en soulignant que « l’appelante avance en outre qu’elle aurait versé des exemples d’assignation à la requête de l’AEDT qui auraient été libellées dans les mêmes termes que l’assignation actuellement en cause », tout en ignorant l’argument et en n’y répondant pas, considérant dès lors implicitement qu’il ne peut y avoir rupture d’égalité de traitement devant la loi aux termes de l’article 15 de la Constitution. Le grief s’analyse partant comme un défaut de réponse à conclusions équivalant à un défaut de motifs, qui constitue un vice de forme.

Tel qu’exposé dans le cadre du moyen précédent, l’actuelle demanderesse en cassation a fait valoir en instance d’appel qu’elle aurait « versé des décisions de justice dans d’autres affaires » en invoquant le principe d’estoppel10. La Cour d’appel a répondu à ce moyen comme suit :

« C’est également à tort que la partie appelante oppose la théorie de l’estoppel à l’Etat, connue en droit français sous la dénomination « principe de cohérence », qui interdit de se contredire au détriment d’autrui. Chacun doit être cohérent avec soi-même, nul ne peut se contredire soi-même. Celui qui adopte un comportement contraire à son attitude ou à ses dires antérieurs, viole la confiance légitime placée en lui (cf. Jurisclasseur, Civil, art.

1131 à 1133, nos 80 - 82 ; Cass. fr, chambre commerciale, 20 septembre 2011, n° 10-

22888, RTDC 2011, p. 760, note Bertrand FAGES). Ce principe est constitutif d’un changement de position en droit, de nature à induire en erreur sur ses intentions.

L’estoppel ne saurait être utilisé pour empêcher toutes les initiatives des parties et porter atteinte au principe de la liberté de la défense, ni affecter la substance même des droits réclamés par un plaideur, en demandant au juge de devenir le censeur de tous les moyens et arguments des parties (cf. Cour d’appel, 27 mars 2014, numéro du rôle 37018; Cour d’appel, 10 janvier 2018, numéro du rôle 39056 ; Cour d’appel, 9 janvier 2019, numéro du rôle 45277). Il est donc permis aux parties de changer de point de vue, d’angle d’attaque, de stratégie de défense (cf. Th. Hoscheit, Le droit judiciaire privé, 2ième éd., n° 611).

En effet, même si l’Etat a le cas échéant défendu le moyen suivant lequel l’AEDT n’aurait pas la personnalité juridique et que le recours en annulation devrait être dirigé contre l’Etat, il a changé de position suite aux arrêts de la Cour de cassation, les jurisprudences invoquées par l’appelante étant antérieures à ces décisions.

10 Arrêt du 12 juin 2024, page 4 21 Le législateur ayant attribué une délégation spéciale par l’article 79 de la loi TVA à l’AEDT pour défendre soi-même les recours contre des amendes fiscales, il ne saurait être fait échec à cette compétence spéciale légale par la théorie de l’unicité de l’Etat visant que l'Etat a la qualité de partie défenderesse dès qu'un organe étatique a pris la décision critiquée connue en matière administrative. » Par contre, les juges d’appel n’avaient pas à motiver leur décision par rapport à l’article 15 de la Constitution dans la mesure où aucun moyen tiré de la violation du principe d’égalité devant la loi n’avait été invoqué en instance d’appel.

Le moyen manque en fait, sinon n’est pas fondé.

Sur le quatrième moyen de cassation :

Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après CvEDH).

Le moyen reproche à la décision attaquée d’avoir confirmé le jugement de première instance ayant déclaré irrecevable la demande de la société SOCIETE1.) en retenant que l’assignation signifiée à l’AEDT n’était pas suffisante au regard de la formulation de l’acte, pour donner à l’AEDT la qualité de défenderesse, tout en considérant que cette solution était conforme aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1er, de la CvEDH, aux motifs que :

« C’est également à tort que l’appelante entend se prévaloir d’une violation de l’article 6 § 1 de la CEDH garantissant l’existence d’une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils (Naït-Liman c. Suisse [GC], 2018, § 112 ; Běleš et autres c.

République tchèque, 2002, § 49).

En effet, le « droit à un tribunal », comme le droit d’accès, ne revêt pas un caractère absolu : il peut donner lieu à des limitations, mais elles ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (Stanev c. Bulgarie [GC], 2012, § 229 ; Baka c. Hongrie [GC], 2016, § 120 ; Naït-

Liman c. Suisse [GC], 2018, § 114 ; Philis c. Grèce (no 1), 1991, § 59 ; De Geouffre de la Pradelle c. France, 1992, § 28). En outre, les limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et que s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse gréco-

catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], 2016, § 89 ; Naït-Liman c. Suisse [GC], 2018, § 115).

En l’espèce, tel que confirmé par les arrêts de la Cour de cassation prémentionnés, le législateur a prévu par l’article 79 de la loi TVA une dérogation à la règle générale de procédure de l’article 163 du Nouveau Code de procédure civile selon laquelle les assignations concernant une administration publique étatique qui n’a pas de personnalité juridique sont à diriger contre l’Etat, représenté par le ministre d’Etat.

22 Suivant les documents parlementaires n° 4858, commentaire des articles, de la loi du 21 décembre 2001 modifiant la loi TVA du 12 février 1979 et introduisant l’article 79 dans sa version applicable à la demande actuellement en cause : « Il est dès lors proposé de prévoir le même mode d’assignation pour le recours contre les amendes fiscales et pour le recours contre les bulletins d’impôt portant rectification ou taxation d’office. En raison de la compétence légalement attribuée à l’administration de l’enregistrement et des domaines en matière de TVA, il échet de mettre cette administration en mesure d’intenter une action en justice ou d’y défendre dans le cadre des recours contre des amendes fiscales tout comme c’est déjà le cas pour les recours contre des bulletins d’impôt. Tel est l’objet de la modification proposée de l’article 79 de ladite loi TVA ».

L’administré disposant partant d’un recours effectif contre les amendes fiscales prévu par l’article 79 de la loi TVA, qui doit être dirigé contre l’AEDT, tel qu’il a été confirmé par la Cour de cassation depuis 2010, et ce dans un but légitime, une violation de l’article 6 § 1 de la CEDH ne saurait être constatée. » Alors que :

L’interprétation faite par la Cour d’appel de la formulation que doit revêtir une assignation en justice pour que l’on puisse valablement considérer l’AEDT comme partie défenderesse, alors que celle-ci s’est vu assignée par voie d’huissier, donc par la voie d’un officiel public ministériel, préjudicie gravement les droits de SOCIETE1.) et l’empêche de pouvoir porter sa cause devant une juridiction, ce d’autant plus que l’on permet à l’AEDT d’agir comme demanderesse dans les mêmes termes et formulations que celle avec laquelle l’AEDT a été assignée.

Cette critique tranche de manière radicale avec les développements dans le cadre du premier moyen, où la demanderesse en cassation rappelle que l’AEDT n’a pas de personnalité juridique et insiste que son assignation est exclusivement dirigée contre l’Etat :

« Il convient donc de souligner et d’insister avec force qu’il n’y a pas non pas deux défendeurs à l’action, mais bien une seule à savoir l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE Luxembourg, représenté par son Ministre d’Etat conformément à l’arrêt précité de la Cour de Cassation rendu le 9 mars 1995 et par le jugement du 20 octobre 1994.

Dès lors la double signification opérée par l’Huissier de justice pour SOCIETE1.) avait pour objectif de porter à la connaissance d’un défendeur unique pris en la personne du Ministre d’Etat mais représenté par différentes institutions politiques morcelées en plusieurs souches en interne (l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines sous la tutelle du Ministère des Finances en vertu du point 12. de l’Annexe du Règlement interne du Gouvernement). »11 Compte tenu de cette assertion ferme et claire concernant l’identité du défendeur à son action, la demanderesse en cassation est mal venue de reprocher à la Cour d’appel d’avoir gravement préjudicié ses droits en refusant de considérer l’AEDT comme partie défenderesse compte tenu de la formulation de son assignation. Le reproche du formalisme tournant à une tracasserie administrative ayant pour effet de restreindre l’accès à la justice est d’autant moins 11 Mémoire en cassation, page 9, 3e et 4e paragraphes 23 fondé que l’article 79 de la LTVA exige qu’en matière de recours contre une amende fiscale, l’exploit d’assignation doit, sous peine de forclusion être signifié à l’administration en la personne de son directeur et que la portée de cette disposition a encore été précisée par les deux arrêts précités rendus par votre Cour en date du 18 février 2010 et en date du 7 avril 2011.

La règle prévue dans l’article 79 de la LTVA n’a nullement pour effet de restreindre l’accès au tribunal, mais elle a pour seul effet d’indiquer contre quelle partie le recours doit être dirigé.

Rappelons que l’objectif de la modification législative de l’article 79 de la LTVA était justement d’aligner le recours contre une amende fiscale sur le recours contre les bulletins de rectification ou de taxation d’office, et d’harmoniser le mode d’assignation pour ces recours.

L’administré dispose ainsi d’un recours effectif contre les amendes fiscales, qui doit être dirigé contre l’AEDT.

Le moyen n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais à rejeter.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le procureur général d’Etat adjoint Marie-Jeanne Kappweiler 24


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47/25
Date de la décision : 20/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 25/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-03-20;47.25 ?

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