GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51780C ECLI:LU:CADM:2025:51780 Inscrit le 5 novembre 2024 Audience publique du 6 mars 2025 Appel formé par la société à responsabilité limitée (AA), …, contre un jugement du tribunal administratif du 27 septembre 2024 (n° 47685 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 51780C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 novembre 2024 par Maître Annie ELFASSI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AA), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil de gérance en fonctions, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 27 septembre 2024 (n° 47685 du rôle) ayant déclaré recevable mais non fondé son recours principal en réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 11 avril 2022 déclarant irrecevable faute de qualité la réclamation introduite le 16 mars 2021 par Monsieur (B) au nom de la société (CC) contre les bulletins de l’impôt sur le revenu de collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial de l’année 2019, ainsi que contre le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2020, tous émis en date du 16 décembre 2020 ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 5 décembre 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 3 janvier 2025 par Maître Annie ELFASSI, au nom de l’appelante ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;
1Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Merona GEHBRIWET, en remplacement de Maître Annie ELFASSI, en sa plaidoirie à l’audience publique du 13 février 2025.
Le 16 décembre 2020, le bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 6, ci-après « le bureau d’imposition », émit à l’égard de la société à responsabilité limitée (AA), ci-après « la société (AA) », les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial de l’année 2019, ainsi que le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019, ci après « les bulletins d’imposition litigieux ».
Par courrier du 16 mars 2021, la société (AA) introduisit, par l’intermédiaire de la société anonyme (CC), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, ci-après « la société (CC) », sous la signature de Monsieur (B), une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », contre les bulletins d’imposition précités.
A cette même date, la société (AA) procéda, par l’intermédiaire de la société (CC), au dépôt électronique auprès du bureau d’imposition d’une déclaration rectificative pour l’impôt sur le revenu, l’impôt commercial et l’impôt sur la fortune des collectivités au titre de l’année 2019.
Par courrier du 16 juin 2021, le secrétaire de la division Contentieux de l’administration des Contributions directes, ci-après « l’administration », invita Monsieur (B) de la société (CC), sur base des §§ 107, 238 et 254 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », de justifier, pour le 16 juillet 2021 au plus tard, de son pouvoir d’agir en versant au dossier la procuration établissant son mandat exprès et spécial pour la réclamation introduite le 16 mars 2021.
Par courrier du 5 août 2021, réceptionné le 6 août 2021, la société (CC), sous la signature de Monsieur (B), transmit à l’administration une « procuration », intitulée « Power of Attorney », datée du 15 juillet 2021 « with effective date as at 16 December 2020 » libellée comme suit:
« (…) The undersigned: (…) Mr (E), (…) acting as Manager of the company (AA), a (société à responsabilité limitée) registered in Luxembourg under the tax number …, having its registered office address at …, L-…, inscribed at the Luxembourg Trade and Companies Register under number … (hereafter the Company), do hereby confirm having granted proxy and having empowered (…) (B) (…) in [his] capacity as employee of (CC) S.A., (…) to represent them, and to act in their name and on their behalf with full power of substitution, with effect as of 16 December 2020, in accordance with paragraphs 107, 238 and 254 of the Luxembourg General Tax Law of May 22, 1931 (Loi générale des impôts du 22 mai 1931), as amended from time to time, in the scope of any operation, request, or exchange of email, conference call and mail with the Luxembourg tax authorities, including the filing of a claim (réclamation), in relation with the tax assessments issued on 16 December 2020 and related to (i) 2corporate income tax 2019 (bulletin de l'impôt sur le revenu des collectivités 2019), (ii) municipal business tax 2019 (bulletin de l'impôt commercial communal 2019), (iii) the determination of the unitary value as of 1 January 2020 (bulletin d'établissement de la valeur unitaire au 1.1.2020) and (iv) net wealth tax as of 1 January 2020 (bulletin de l'impôt sur a fortune au 1.1.2020).
The undersigned direct the proxy holder to approve any item as stated above in their name and on their behalf, and give as well full powers to the proxy holder to sign all documents or undertake all actions which are necessary or useful in connection with or in respect of the performance of this power of attorney even though not especially indicated herein, undertaking to ratify and confirm such acts and signatures if the need would arise.
(…) Executed on 15 July 2021 with the effective date as at 16 December 2020. (…) ».
Par décision du 11 avril 2022, référencée sous le numéro … du rôle, le directeur déclara la réclamation introduite par Monsieur (B) pour compte de la société (CC) le 16 mars 2021 irrecevable faute de qualité. Cette décision est libellée comme suit :
« (…) Vu la requête introduite le 16 mars 2021 par le sieur (B), de la société anonyme (CC), agissant au nom de la société à responsabilité limitée (AA), avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial de l'année 2019, ainsi que contre le bulletin de l'impôt sur la fortune au 1er janvier 2020, tous émis en date du 16 décembre 2020 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que le § 254, alinéa 2 AO autorise le directeur des Contributions à exiger d'un mandataire une preuve écrite de son mandat (« Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen. ») ;
Considérant qu'en droit luxembourgeois, pour pouvoir exercer l'action d'autrui, il faut justifier en toutes matières d'un mandat ad litem exprès et spécial aux fins de l'instance ;
Considérant que « l'acte d'introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l'imposition revue le cas échéant in pejus, présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l'intéressé ; qu'une procuration afférente doit dès lors être non seulement expresse, mais encore de nature à renseigner clairement l'intention du mandant d'investir le mandataire du pouvoir d'agir par la voie d'une réclamation à l'encontre d'une décision déterminée avec toute la précision requise » ;
Considérant qu'en l'espèce, faute de procuration jointe, le déposant a dû être invité par lettre du 16 juin 2021 à justifier de son pouvoir d'agir en versant au dossier une procuration qui établit son mandat exprès et spécial pour l'instance introduite ;
3 Considérant qu'il est de jurisprudence constante qu'une procuration expresse et spéciale doit avoir existé antérieurement à l'introduction d'une réclamation ; qu'il a notamment été retenu « que le mandataire d'un contribuable doit prouver l'existence d'un mandat spécial et exprès au moment de l'introduction de la réclamation pour le compte de son mandant, le tribunal, statuant dans le cadre d'un recours en réformation, peut prendre en compte des pièces qui n'étaient pas à la disposition du directeur au moment où ce dernier a pris sa décision, sous condition que le mandat versé pendant la phase contentieuse ait été antérieur à l'introduction de la réclamation litigieuse » ;
Considérant qu' « en effet que si le paragraphe 254 alinéa 2 de la loi générale des impôts (AO) porte que « Bevollmachtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen », disposition muette sur la date à laquelle devrait exister le pouvoir visé, il n'en est pas moins que l'invitation à verser une procuration doit être entendue en ce sens qu'il s'agit de communiquer à l'administration la procuration existante qui aura pu manquer au dossier, rendant ainsi incertaine l'existence de la qualité d'agir du mandataire et non pas de faire rédiger a posteriori une procuration, un mandataire n'ayant pu introduire la réclamation pour compte d'autrui qu'au cas où il était muni d'une procuration spéciale et expresse à cette fin » ;
Considérant que la « procuration » versée en date du 6 août 2021 est signée et datée au 15 juillet 2021 avec la mention « with effective date as at 16 December 2020 » ; que force est de constater que cette procuration fut cependant rédigée postérieurement à l'introduction de la requête du 16 mars 2021, date à laquelle la procuration n'existait pas encore ; que le mandataire n'était forcément pas en possession « d'une procuration spéciale et expresse » lors de l'introduction de la présente requête, ce qui n'est d'ailleurs pas énervé par ladite mention « with effective date as at 16 December 2020 », étant donné qu'aucun effet rétroactif ne peut être créé en antidatant un document, sachant qu'un tel n'est au surplus pas opposable à un tiers, dont l'Administration des contributions directes ;
Considérant qu'il découle de ce qui précède que l'existence d'un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l'introduction d'une réclamation n'est pas établie et que, partant, les réclamations contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial communal de l'année 2019, tout comme la réclamation contre le bulletin de l'impôt sur la fortune au ter janvier 2020, sont irrecevables faute de qualité ;
PAR CES MOTIFS dit les réclamations irrecevables faute de qualité.(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2022, la société (AA) fit introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision directoriale, précitée, du 11 avril 2022.
Par jugement du 27 septembre 2024 (n° 47685 du rôle), le tribunal déclara ce recours recevable mais non fondé et en débouta la demanderesse, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de 4statuer sur son recours subsidiaire en annulation, en rejetant sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais et dépens.
Le tribunal vint à cette conclusion en s’appuyant sur ce qu’à défaut de preuve de l’existence d’un mandat conféré à la société (CC) au jour de l’introduction par celle-ci de la réclamation en cause le 16 mars 2021, voire antérieurement, c’était à bon droit que la décision directoriale du 11 avril 2022 déférée avait déclaré la réclamation ainsi introduite par la société (CC), sous la signature de Monsieur (B), irrecevable, faute de qualité et qu’à défaut d’autres moyens soulevés, le recours était à rejeter comme étant non fondé.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 5 novembre 2024, la société (AA) a fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 27 septembre 2024 dont elle sollicite la réformation, principalement, dans le sens de voir déclarer recevable son recours introduit le 11 juillet 2022 et de le voir également déclarer fondé et justifié, de manière à réformer la décision directoriale critiquée du 11 avril 2022 dans le sens de voir constater que la société (CC) avait qualité et pouvoir d’introduire la réclamation du 16 mars 2021 pour son compte et de voir renvoyer le dossier devant le directeur en prosécution de cause ; sinon, subsidiairement, de voir déclarer recevable et fondé son recours dans le sens de voir annuler la décision directoriale critiquée avec renvoi devant le directeur en prosécution de cause.
A l’appui de son appel, l’appelante fait valoir que le jugement dont appel retiendrait à tort l’absence d’un mandat exprès et spécial antérieur à l’introduction de la réclamation du 16 mars 2021 en ce que la preuve d’un mandat exprès et spécial pourrait être rapportée par écrit, même après l’introduction de la réclamation en question.
L’appelante souligne qu’elle aurait établi en date du 15 juillet 2021 une procuration confirmant le mandat exprès et spécial donné à la société (CC) et spécifiant que Monsieur (B) était habilité à introduire cette réclamation en son nom.
Elle énonce encore que le mandat exprès et spécial donné oralement antérieurement au dépôt de la réclamation et ressortant d’une procuration écrite donnée après son introduction devrait être déclaré valable en ce que pareille manière de procéder devrait être regardée comme étant suffisante en vertu de l’ordonnancement juridique en place et qu’aucun doute n’existerait ni quant à l’objet du mandat, ni quant à sa portée.
Ensuite, l’appelante fait valoir que la procuration du 15 juillet 2021 établirait l’existence d’un mandat exprès et spécial préalable pour l’introduction de sa réclamation et suffirait en cela aux prescriptions légales, dont notamment celles issues des articles 1987, 1988 et 1989 du Code civil portant que le mandat spécial est défini comme celui qui vise une affaire ou certaines affaires seulement.
Dans un deuxième ordre d’idées, l’appelante met en exergue que les déclarations non équivoques du contribuable confirmeraient l’existence et la réalité du mandat et suffiraient comme telles même en l’absence de procuration.
5 Selon l’appelante, l’existence d’un mandat oral ressortirait de manière claire des courriels qu’elle a échangés avec la société (CC) dès janvier 2021 dans lesquels elle demanderait à cette dernière de déposer une déclaration rectificative pour l’année litigieuse et de tout mettre en œuvre auprès de l’administration pour redresser l’erreur constatée dans ses comptes annuels. Elle ajoute que le paiement de la facture relative aux services de la société (CC) corroborerait l’existence du mandat exprès et spécial qu’elle a fourni à la société précitée.
L’appelante souligne encore que son intention aurait été constante et sans ambiguïté. Ainsi, le fait qu’elle ait interjeté un recours contre la décision directoriale critiquée et qu’elle ait formé le présent appel contre le jugement du 27 septembre 2024 confirmerait encore son intention constante de cautionner l’introduction de la réclamation opérée le 16 mars 2021 par la société (CC) sous la signature de Monsieur (B).
La partie étatique sollicite la confirmation du jugement dont appel, essentiellement et en substance, à partir des motifs y énoncés.
Par rapport à l’écrit du 15 juillet 2021, la partie étatique estime que l’appelante tente de prouver qu’un mandat oral aurait été donné « à partir du 16 décembre 2020 ». En réalité, il tenterait toutefois d’établir un effet rétroactif à cette date. Qui dirait effet rétroactif dirait défaut d’existence à la date à laquelle l’acte tente de remonter ses effets dans le temps.
Suivant la partie étatique, un « mandant (sic) » oral n’aurait pas pu être donné à la date indiquée du 16 décembre 2021, étant donné que les bulletins litigieux ont été émis à cette même date et n’auraient dès lors pu être portés à la connaissance de l’appelante qu’au plus tôt le lendemain, 17 décembre 2021, ainsi indiqué, l’Etat ayant toutefois indubitablement visé l’année 2020.
Un mandat oral n’aurait dès lors pas pu être donné le 16 décembre 2020, date d’émission des bulletins critiqués.
En plus, la procuration préciserait qu’elle est exécutée - « executed on 15 July 2021 » - ce qui voudrait dire qu’elle n’a pas pu produire d’effets avant cette date à laquelle elle a été signée et accordée.
En ce qui concerne la confirmation alléguée du mandat par l’introduction du recours en première instance et de l’appel, la partie étatique estime que s’il suffisait d’introduire un pareil recours voire par la suite un appel contre une décision directoriale ayant rejeté une réclamation pour défaut de mandat, le rôle des juridictions administratives serait réduit à l’extrême, voire à néant. Elles n’auraient plus à apprécier l’existence d’un mandat au jour de la réclamation, mais seraient limitées à constater l’existence d’un recours pour le déclarer de la sorte ipso facto justifié.
6 Les juridictions administratives seraient alors privées de toute appréciation juridique quant à la légalité de l’acte attaqué.
Dans cette optique, l’introduction du recours aurait pour conséquence juridique obligatoire l’illégalité de l’acte administratif déféré.
Suivant la partie étatique, la nécessité de l’existence d’un certain mandat ne serait pas constitutive d’un « formalisme excessif » et sa finalité ne serait pas seulement « une mesure destinée à protéger le contribuable ».
L’Etat souligne qu’une réclamation peut entraîner une réformation in pejus, ce qui obligerait le directeur à vérifier avec le plus grand soin si la personne se prétendant mandataire avait effectivement reçu le pouvoir en bonne et due forme par le contribuable en temps utile.
Ainsi, à défaut et en cas de réformation in pejus, le contribuable pourrait faire valoir l’irrégularité du mandat pour contester l’aggravation de la charge fiscale en résultant pour lui dans le cadre de son recours contentieux qui, dans l’optique étatique, ne vaudrait pas ratification du mandat.
Suivant l’Etat, il résulterait de tous ces développements que l’appel ne serait pas justifié.
A titre liminaire et de manière préalable la Cour rappelle que d’après l’article 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le prérequis pour l’introduction valable d’un recours devant le tribunal administratif en matière fiscale consiste dans la formulation d’une réclamation auprès du directeur contre les bulletins d’imposition faisant grief au contribuable.
Par son arrêt n° 146 du 28 mai 2019, la Cour constitutionnelle a érigé en principe fondamental à valeur constitutionnelle, le principe de l’Etat de droit. Elle a en même temps constaté que de ce principe fondamental découlait toute une série d’autres principes généraux à valeur constitutionnelle et énonçait expressément les principes de l’accès au juge et du recours effectif.
Par ailleurs, la Constitution révisée entrée en vigueur le 1er juillet 2023 consacre expressément en son article 2 le principe fondamental de l’Etat de droit.
En outre, par son arrêt n° 152 du 22 janvier 2021, la Cour constitutionnelle a également reconnu valeur constitutionnelle au principe de proportionnalité.
En vertu des principes constitutionnels ci-avant relevés, les exigences de preuve d’un mandat confié en vue du prérequis d’une réclamation devant le directeur en la matière sont à analyser, sous l’aspect de leur nécessité et de leur adéquation, l’accès au directeur et, par la suite, au juge ne devant in fine pas être entravés par un formalisme démesuré.
7 La Cour rappelle ensuite qu’en application du paragraphe 238 AO, le destinataire d’un bulletin d’impôt désirant introduire une réclamation contre celui-ci peut se faire représenter conformément au paragraphe 102, paragraphe (2) AO, ce dernier paragraphe renvoyant aux règles du droit civil quant à la capacité à agir des personnes privées.
A partir des dispositions des articles 1987, 1988 et 1989 du Code civil, distinguant entre le mandat spécial pour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant et précisant les pouvoirs du mandataire en fonction du mandat choisi et dans la mesure où l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue, le cas échéant, in pejus conformément au paragraphe 243 AO (« Sie können die Entscheidung auch zum Nachteil dessen, der das Rechtsmittel eingelegt hat, ändern. »), présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé, une procuration afférente doit être expresse et spéciale et renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise, étant précisé qu’en l’espèce, les parties à l’instance s’accordent pour retenir l’exigence d’un tel mandat.
En vertu du paragraphe 254 AO, le mandataire a l’obligation de justifier de son mandat sur demande afférente de l’administration, de sorte que le directeur a valablement pu exiger en l’espèce la preuve d’un mandat exprès et spécial.
La Cour rappelle que, bien que le contribuable soit en droit de produire matériellement une procuration, suite à la demande du directeur, en vue de la soumission d’une preuve écrite du mandat dans le chef de celui qui a introduit une réclamation, ce mandat doit toutefois avoir existé dès l’introduction de la réclamation auprès du directeur et cette antériorité au dépôt de la réclamation doit ressortir clairement du libellé de la procuration émanant du contribuable concerné (cf. Cour adm., 21 octobre 2021, n° 45977C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1197 et Cour adm., 30 novembre 2023, n° 49092C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1193).
En l’occurrence, le directeur a prononcé l’irrecevabilité de la réclamation du 16 mars 2021 pour défaut de qualité dans le chef du mandataire, la société (CC), en ce que, d’après lui, l’existence d’un mandat spécial et exprès à la date de l’introduction de cette réclamation ne se trouvait pas établie à suffisance.
L’appelante contribuable qui est la principale intéressée à ce que son recours soit valable et, en amont sa réclamation affirme tout au long de la procédure, de manière cohérente avoir conféré un mandat oral également à ladite société mandataire, professionnel en la matière, et a confirmé ce mandat par l’écrit prérelaté, intitulé « power of attorney », daté du 15 juillet 2021 indiquant valoir « with the effective date as at 16 december 2020 ».
La Cour rappelle que la seule circonstance qu’une procuration soit établie ex post n’est pas ipso facto de nature à exclure la preuve de l’existence d’un mandat, mais il convient d’examiner les termes de l’acte, qui doivent faire ressortir non seulement l’existence d’un mandat exprès mais 8également celle d’un mandat antérieur à l’introduction de la réclamation (Cf. Cour adm., 30 novembre 2023, n° 49092C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1193).
De manière générale, le juge administratif est appelé à s’attacher à la substance plutôt qu’à la forme.
Il est indéniable que le « power of attorney » sous analyse entend, quant à sa substance, établir de la part du contribuable en question qu’un mandat spécial oral avait été conféré dès le mois de décembre 2020 à la société (CC) en vue d’introduire une réclamation auprès du directeur contre les bulletins d’imposition y visés distinctement.
Ce document établit sans discussion véritable que le contribuable en question a entendu en substance revêtir la société (CC) en question d’un mandat spécial dès la connaissance des bulletins d’imposition lui faisant grief en vue d’entamer la procédure prévue par la loi consistant dans l’introduction d’une réclamation devant le directeur.
La partie étatique s’attache au quantième du 16 décembre 2020 qui correspond à la date d’émission des bulletins d’imposition pour en voir dégager qu’à ce jour précis le contribuable n’avait pas pu valablement conférer pareil mandat, étant donné qu’en pratique il avait obtenu connaissance de ces bulletins au plus tôt le lendemain 17 décembre 2020.
Cet argument de pure forme méconnaît la substance du document sous analyse.
De manière cohérente, le contribuable fait valoir que son intention confirmée par le « power of attorney » consistait précisément à conférer mandat à la société (CC) dès la prise de connaissance des bulletins d’imposition lui faisant grief. C’est cet élément substantiel qui est déterminant.
Si la partie étatique maintient que l’appelante n’a pas pu mandater la société (CC) à cette date faute pour elle d’avoir eu connaissance des bulletins d’impôts ce jour-là, il n’en reste pas moins que la date à laquelle elle a mandaté ladite société reste antérieure à l’introduction de la réclamation.
La Cour relève, par ailleurs, que l’Etat ne conteste pas que l’appelante a pu valablement mandater la société (CC) pour la préparation d’une déclaration rectificative pour l’année 2019, déclaration qui fut déposée le 16 mars 2021, soit le même jour que la réclamation déclarée irrecevable pour faute de qualité à agir.
Or, il ne peut avoir échappé à la partie étatique que la déclaration rectificative précitée et la réclamation litigieuse poursuivaient un objectif identique, à savoir corriger la situation fiscale de l’appelante à partir de ses comptes annuels nouvellement adoptés.
9 Sur cette toile de fond le directeur n’a pas non plus poussé plus loin la collaboration administrative en invitant le contribuable à se prononcer plus en avant.
L’Etat fait encore plaider que le mandat spécial préalable serait exigé pour protéger en quelque sorte le contribuable contre des effets négatifs éventuels d’une décision directoriale à intervenir suite à la réclamation introduite, étant donné que le directeur statuant ainsi a le pouvoir d’opérer in pejus entraînant qu’un résultat négatif de nature à faire encore plus grief au contribuable est susceptible de sortir de la procédure précontentieuse obligatoire menée.
S’il est vrai que, tel que cela a été retenu ci-avant, l’exigence d’un mandat spécial et exprès préalable se justifie en principe par la possibilité donnée au directeur de statuer in pejus, ce dont le contribuable est appelé à être rendu conscient avec l’introduction de la réclamation, surtout dans le cas de figure où il ne l’introduit pas personnellement, il n’en reste pas moins que cette mesure de protection ne saurait être pervertie en défaveur précisément du contribuable du moment qu’une vue extrêmement stricte au niveau de la preuve du mandat risque de barrer tout simplement la possibilité du contribuable de porter son recours ultérieurement devant le tribunal.
Or, c’est précisément cet effet pervers qui est alimenté par une appréciation extrêmement stricte de la preuve de l’existence d’un mandat exprès et spécial préalable à l’introduction de la réclamation telle que menée en l’occurrence par le directeur.
Pareille manière d’analyser les choses est éminemment disproportionnée et contraire au principe constitutionnel de l’accès au juge.
De manière patente, face à un contribuable qui confirme, certes après l’introduction de sa réclamation, à travers un document pertinent, tel celui de l’espèce, avoir conféré un mandat exprès et spécial préalablement à l’introduction de la réclamation à un opérateur, pour le surplus professionnel en la matière, et qui maintient de manière crédible cette confirmation tant en phase contentieuse de première instance devant le tribunal qu’actuellement devant la Cour, ayant été nécessairement rendu attentif sur les risques d’une réformation in pejus à travers la procédure menée, il devient passablement absurde et pour le surplus pervers de soutenir, tel que l’a fait le directeur, qu’il ne serait point établi à suffisance de droit que pareil mandat ait existé préalablement à l’introduction de la réclamation.
Par voie de conséquence, par réformation du jugement dont appel, il convient de réformer la décision directoriale critiquée du 11 avril 2022 dans le sens de déclarer recevable la réclamation du 16 mars 2021 à sa base et de renvoyer le dossier devant ledit directeur en prosécution de cause.
La partie appelante sollicite la condamnation de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg au paiement d’une indemnité de procédure de 10.000.- € se ventilant en une indemnité de 5.000.- € pour la première instance et une indemnité également de 5.000.- € pour l’instance d’appel.
10 Eu égard à l’issue du litige, cette demande en allocation d’une indemnité de procédure est fondée en son principe.
La Cour évalue le montant global à allouer de la sorte à la partie appelante ex aequo et bono à 3.000.- € pour les deux instances.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
déclare l’appel recevable ;
au fond, le dit justifié ;
partant, par réformation du jugement dont appel, réforme la décision directoriale critiquée du 11 avril 2022 et déclare la réclamation du 16 mars 2021 recevable ;
renvoie le dossier en prosécution de cause devant le directeur de l’administration des Contributions directes.
condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg à payer à l’appelante une indemnité de procédure globale de 3.000.- € pour les deux instances ;
condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux dépens des deux instances.
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
s. SCHINTGEN s. DELAPORTE 11