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25/02/2025 | LUXEMBOURG | N°51828C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 25 février 2025, 51828C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51828C ECLI:LU:CADM:2025:51828 Inscrit le 15 novembre 2024

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Audience publique du 25 février 2025 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2024 (n° 49639 du rôle) en matière de nationalité

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Vu la requête d'appel, inscrite sou

s le numéro 51828C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 15 nove...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51828C ECLI:LU:CADM:2025:51828 Inscrit le 15 novembre 2024

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Audience publique du 25 février 2025 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2024 (n° 49639 du rôle) en matière de nationalité

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Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 51828C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 15 novembre 2024 par Maître Hanan GANA-MOUDACHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), sans état particulier, demeurant à L-…, dirigée contre le jugement rendu le 4 octobre 2024 (n° 49639 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de la Justice du 28 août 2023, confirmant sa décision du 26 juin 2023 portant refus de la dispenser de la production du certificat de réussite de l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 25 novembre 2024;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 30 janvier 2025.

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Par courrier daté du 11 octobre 2022, Madame (A) s’adressa au ministre de la Justice, ci-après le « ministre », afin de solliciter une dispense de la production des certificats d’évaluation de la langue luxembourgeoise dans le cadre d’une demande de naturalisation, au motif qu’elle aurait « des problèmes psychiques qui font que [ses] efforts d’apprentissage de 1la langue luxembourgeoise restent vains malgré [son] profond désir d’y parvenir » en y annexant un certificat médical du Dr. (B), médecin spécialisé en psychiatrie, daté du 4 octobre 2022 et libellé comme suit :

« (…) Je soussigné Dr (B) certifie par la présente avoir examiné sur le plan psychiatrique et surtout noopsychique (pris en charge par mes soins depuis le 15 août 2022) Madame (A) née le … habitant à L-… et avoir constaté les symptômes et les troubles suivants :

- Dame de … ans, originaire de l'Iran et d'un cercle socio-culturel originaire très différent duquel où il vit actuellement en tant que «displaced person».

- Troubles mnésiques (mémoire de fixation et de la mémoire courte, facultés de concentration) qui conditionnent des difficultés d'apprentissage manifestes - Beaucoup de symptômes d'un Accès Dépressif Majeur et d'un PTSD chronifiés exprimés (angoisses, humeur dépressive, ruminations pathologiques, inquiétudes permanentes, insomnies majeures …) - Niveau d'éducation : universitaire, anglophone C'est donc bien pour des problèmes de santé psychiatrique que Madame (A) est incapable de participer actuellement aux cours et épreuves de langue française/luxembourgeoise prévus dans le cadre des démarches pour l'acquisition de la nationalité luxembourgeoise. (…) ».

Par courrier du 14 février 2023, le ministre informa Madame (A) qu’elle était invitée à participer à une expertise médicale par devant le Docteur (C), médecin spécialiste en neuropsychiatrie et expert judiciaire, ainsi qu’à une autre expertise médicale par devant le Docteur (D), médecin spécialiste en psychiatrie, conformément à l’article 15, paragraphe 5, de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, ci-après la « loi du 8 mars 2017 », afin de vérifier si l’intéressée était apte ou non « à apprendre la langue luxembourgeoise ; à participer à l’examen d’évaluation de cette langue. ».

Le 17 mars 2023, le Dr. (C) émit un rapport d’expertise sur Madame (A) dans lequel il arriva à la conclusion que « (…) [o]n ne trouve pas de problèmes cognitifs, la personne examinée renseigne très précisément sur son cas, elle parle beaucoup, de façon très détaillée et d’une manière envahissante.

Elle dit qu’elle va faire son master au Luxembourg, la perte de son pays est toujours à l’avant-plan de son raisonnement, sa relation avec son mari divorcé reste ambivalente.

Vu son niveau intellectuel et sa formation universitaire, elle devait quand-même être capable de poursuivre les cours de langue française, qu’elle a étudié pendant 5 années. Ceci devait permettre de relancer sa vie, d’avoir des contacts et de sortir de son isolement.

2Les symptômes revus n’empêchent, à mon avis, pas la possibilité de reprendre les cours de français et peut-être plus tard les cours de luxembourgeois en vue d’acquérir la nationalité luxembourgeoise.

Il y a certes une pathologie ou un problème de personnalité, les implications sont cependant pas suffisantes pour définir une dispense pour les cours et l’examen d’évaluation. ».

Le 27 avril 2023, le Dr. (D) émit à son tour un rapport d’expertise sur Madame (A) dans lequel il précise que « (…) [a]ufgrund der gesicherten Diagnosen und der Schwere der vorliegende Symptomatik empfehle ich Frau (A) von der Pflicht der luxemburgischen Sprache und einem (sic) Certificat fuer die franzoesische Sprache zu befreien, wobei sie nach einer Besserung durch eine angemessene Behandlung sich weiterhin der Aneignung der franzoesischen Sprache widmen wird. (…) ».

Par décision du 26 juin 2023, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé avec accusé de réception remis le 28 juin 2023, le ministre refusa de faire droit à sa demande de dispense, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Par la présente, je me permets de vous informer des résultats de votre demande en dispense de participation à l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise, organisé dans le cadre de la procédure d'acquisition de la nationalité luxembourgeoise.

Aux termes de l'article 15, paragraphe 5 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, « le ministre peut dispenser le demandeur de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise lorsque son état de santé physique ou psychique le met dans l'impossibilité d'apprendre cette langue ».

Par un certificat médical établi le 4 octobre 2022, le Dr (B), médecin spécialiste en psychiatrie, atteste que : « C'est donc bien pour des problèmes de santé psychiatrique que Madame (A) est incapable de participer actuellement aux cours et épreuves de langue française/ luxembourgeoise prévus dans le cadre des démarches pour l'acquisition de la nationalité luxembourgeoise. » En date du 17 mars 2023, le Dr (C), médecin spécialiste en neuropsychiatrie et expert judiciaire, certifie que : «On ne trouve pas de problèmes cognitifs, la personne examinée renseigne très précisement sur son cas, elle parle beaucoup, de façon très détaillée et d'une manière envahissante. Elle dit qu'elle va faire son master au Luxembourg, la perte de son pays est toujours à l'avant-plan de son raisonnement, sa relation avec son mari divorcé reste ambivalente. Vu son niveau intellectuel et sa formation universitaire, elle devait quand-même être capable de poursuivre les cours de langue française, qu'elle a étudiée pendant 5 années.

Ceci devait permettre de relancer sa vie, d’avoir des contacts et de sortir de son isolement. Les symptômes revus n’empêchent, à mon avis, pas la possibilité de reprendre les cours de français et peut-être plus tard les cours de luxembourgeois en vue d’acquérir la nationalité luxembourgeoise. Il y a certes une pathologie ou un problème de personnalité, les implications ne sont cependant pas suffisantes pour définir une dispense pour les cours et l’examen d’évaluation. » En date du 27 avril 2023, le Dr (D), médecin spécialiste en psychiatrie, diagnostique un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2) et certifie 3que : « Aufgrund der gesichterten Diagnosen und der Schwere der vorliegenden Symptomatik empfehle ich Frau (A) von der Pflicht der luxemburgischen Sprache und einem Zertifikat für die französische Sprache zu befreien, wobei sie nach seiner Besserung durch eine angemessene Behandlung sich weiterhin der Aneignung der französischen Sprache widmen wird. » Vu les divergences de vues entre le Dr (C) et le Dr (D), une incapacité de participer à des cours de luxembourgeois et à l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise n'est pas établie d'un point de vue médical.

Dans ces circonstances, je ne suis pas en mesure de vous accorder la dispense sollicitée.

Une demande d'acquisition de la nationalité luxembourgeoise ne pourra être actée par l'officier de l'état civil que sur production du certificat de réussite de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise.

Toutefois, vous avez la possibilité d'adresser une demande motivée au directeur de l'Institut national des langues afin de bénéficier d'un « aménagement raisonnable » de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise sur base de l'article 15, paragraphe 4 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, qui prévoit les mesures suivantes:

• l'aménagement de la salle de classe et/ou de la place du candidat ;

• une salle séparée pour les épreuves ;

• une présentation adaptée des questionnaires ;

• une majoration du temps lors des épreuves ;

• des pauses supplémentaires lors des épreuves ;

• la délocalisation des épreuves hors de l'école, à domicile ou dans une institution ;

• le recours à des aides technologiques et humaines, permettant de compenser des déficiences particulières. (…) ».

Par décision du 28 août 2023 prise sur recours gracieux introduit en date 24 juillet 2023 par Madame (A), le ministre confirma sa décision de refus datée du 26 juin 2023 en ces termes :

« (…) Par la présente, j'accuse bonne réception de votre courrier qui nous est parvenu le 24 juillet 2023 et qui est à considérer comme recours gracieux contre la décision ministérielle du 26 juin 2023 portant refus de dispense de production du certificat de réussite de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise.

Je me permets de vous rappeler les résultats de l'expertise médicale faite par le Docteur (C) qui a constaté l'absence de problèmes cognitifs, votre niveau intellectuel et votre formation universitaire.

À défaut d'incapacité médicale d'apprendre la langue luxembourgeoise, je suis obligée de confirmer ma décision initiale du 26 juin 2023.

Pour acquérir la nationalité luxembourgeoise, vous devez produire le certificat de réussite de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise. (…) ».

4Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2023, Madame (A) fit introduire principalement un recours en réformation et subsidiairement un recours en annulation contre la décision ministérielle du 28 août 2023 confirmative du rejet initial du 26 juin 2023 de sa demande de dispense.

Par jugement du 4 octobre 2024, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçut le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclara non fondé, le tout en rejetant la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse et en condamnant cette dernière aux frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 15 novembre 2024, Madame (A) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 9 octobre 2024.

A l’appui de son recours, l’appelante expose séjourner au Luxembourg depuis 2018 et être désireuse de s'intégrer dans la société luxembourgeoise, de sorte qu’elle aurait décidé de demander la naturalisation.

Comme elle souffrirait cependant de graves problèmes de santé psychique (état dépressif entravant ses capacités cognitives) lui rendant impossible l'apprentissage de la langue luxembourgeoise, elle aurait sollicité d’être exemptée des cours de luxembourgeois et de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise.

Sur ce, elle reproche tant au ministre qu’aux premiers juges d’avoir fait une mauvaise analyse des conclusions contradictoires des trois rapports médicaux versés dans son dossier administratif.

Ainsi, plus particulièrement, les premiers juges auraient à tort dégagé des conclusions des médecins consultés que ces difficultés de santé ne seraient que temporaires. Au contraire, il se dégagerait clairement du rapport médical du Dr. (B) que ses problèmes psychiatriques seraient majeurs et durables, ne pouvant s'améliorer avec le temps.

Si les avis des trois médecins seraient en partie contradictoires, le Dr. (B) et le Dr. (D) s’accorderaient sur son impossibilité d’apprendre une nouvelle langue, impossibilité qui ne serait pas limitée dans le temps.

Leurs conclusions afférentes ne seraient pas infirmées par celles du Dr. (C), dont le rapport n’exprimerait que son « avis appuyé par aucun élément objectif et matériel » et qui ne se baserait que sur son niveau intellectuel, qui dans le passé lui avait permis de faire des études, et non pas sur son état de santé réel et ses pathologies empêchant tout apprentissage actuel et futur.

Sur ce, elle demande à la Cour de revenir sur et de redresser l’appréciation erronée des circonstances de fait à la base de son dossier et de réformer le jugement entrepris, en retenant qu’elle remplit les conditions pour bénéficier d'une dispense de produire les certificats d'évaluation de la langue luxembourgeoise dans le cadre d'une demande de naturalisation et en annulant par conséquent le refus ministériel.

Le délégué du gouvernement rappelle qu’en matière d'acquisition de la nationalité luxembourgeoise, la participation à l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise 5constituerait le principe et la dispense de participation à cet examen serait à considérer comme une mesure tout à fait exceptionnelle, justifiée que par la preuve d’un état de santé rendant impossible l'apprentissage de la langue luxembourgeoise. Il insiste sur le fait que de simples difficultés d'apprentissage de la langue luxembourgeoise seraient ainsi insuffisantes pour accorder une dispense, étant relevé que les personnes ayant des difficultés d'apprentissage pourraient bénéficier d'un aménagement raisonnable de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise.

Le délégué relève encore qu’en la matière, le pouvoir d’appréciation ministériel serait discrétionnaire et les avis médicaux simplement consultatifs.

Il insiste encore sur ce qu’au cours de la procédure administrative, l'appelante aurait déclaré avoir des connaissances de la langue anglaise et de la langue française, en plus du persan, sa langue maternelle. Au-delà du fait d’avoir suivi des études universitaires en Iran, ayant abouti à un « Bachelor » en littérature, elle aurait encore formellement déclaré souhaiter compléter sa formation universitaire en faisant un « Master » au Luxembourg.

La seule question discutée en instance d’appel et partant utilement soumise à la Cour est celle de la légalité et de l’adéquation de l’appréciation ministérielle à la base de son refus d’accorder une dispense de l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise, les éléments de motivation à analyser étant ceux découlant des deux décisions ministérielles des 26 juin et 28 août 2023, en substance indivisibles, même si le recours de l’appelante ne vise directement que la deuxième, telle que le cas échéant complétée au niveau contentieux. Quant aux autres moyens encore initialement soulevés en première instance, mais non repris en instance d’appel, l’appelante est censée y avoir renoncé.

Ceci étant, l’analyse de cette question est légalement cadrée par les articles 14 et 15 de la loi du 8 mars 2017.

L’article 14 de la loi du 8 mars 2017 énumère les conditions cumulatives que doit remplir une personne majeure pour acquérir la nationalité luxembourgeoise par voie de naturalisation, à savoir :

« (…) 1° d’avoir une résidence habituelle au Grand-Duché de Luxembourg et de s’y trouver en séjour régulier depuis au moins cinq années, dont la première année de résidence précédant immédiatement la déclaration de naturalisation ininterrompue ;

2° d’avoir une connaissance de la langue luxembourgeoise, documentée par le certificat de réussite de l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise ; les dispositions de l’article 15 sont applicables ; et 3° d’avoir participé au cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg » ou réussi l’examen sanctionnant ce cours ; les dispositions de l’article 16 sont applicables. ».

Cet article précise en son paragraphe (2) que le ministre refuse la naturalisation : 1° lorsque le candidat ne remplit pas les conditions visées au paragraphe qui précède; (…). ».

L’article 15 de la loi du 8 mars 2017 précise que :

« (1) L’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise comprend :

6 1° l’épreuve d’expression orale portant sur le niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues ;

2° l’épreuve de compréhension de l’oral portant sur le niveau B1 du Cadre européen commun de référence pour les langues.

(2) Le candidat doit participer à l’épreuve d’expression orale et à l’épreuve de compréhension de l’oral. (…) (4) Sur demande motivée du candidat, le directeur de l’Institut national des langues décide ou, en cas de besoin, adapte ou suspend, les aménagements raisonnables suivants :

1° l’aménagement de la salle de classe et/ou de la place du candidat ;

2° une salle séparée pour les épreuves ;

3° une présentation adaptée des questionnaires ;

4° une majoration du temps lors des épreuves ;

5° des pauses supplémentaires lors des épreuves ;

6° la délocalisation des épreuves hors de l’école, à domicile ou dans une institution ;

7° le recours à des aides technologiques et humaines, permettant de compenser des déficiences particulières.

Le directeur peut solliciter l’avis de la Commission des aménagements raisonnables, créée par la loi modifiée du 15 juillet 2011 visant l’accès aux qualifications scolaires et professionnelles des élèves à besoins éducatifs particuliers.

(5) Sur demande motivée, le ministre peut dispenser le demandeur de l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise lorsque son état de santé physique ou psychique le met dans l’impossibilité d’apprendre cette langue.

Un certificat émanant d’un médecin spécialiste doit être joint à la demande.

Le demandeur peut être entendu par le délégué du ministre.

En cas de doute, le ministre peut ordonner une expertise médicale. ».

En ce qui concerne plus spécifiquement la faculté ministérielle d’accorder une dispense de l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise, prévue par l’article 15 sus-énoncé, c’est à bon escient que les premiers juges ont relevé la condition de base de la vérification d’un état de santé physique ou psychique rendant impossible l’apprentissage de cette langue, avec la précision qu’il se dégage des travaux préparatoires à la loi du 8 mars 2017 et, plus particulièrement, du commentaire de l’article 15 de ladite loi, que la dispense est conçue comme étant une mesure exceptionnelle dont le dispositif devra être appliqué de manière restrictive, de sorte qu’en utilisant plus particulièrement le terme d’« impossibilité », le législateur a nécessairement entendu écarter les simples difficultés d’apprentissage d’une langue.

C’est à juste titre que le délégué pointe dans ce contexte le fait qu’en son paragraphe (4), l’article 15 de la loi du 8 mars 2017 prévoit la possibilité pour les personnes rencontrant de simples difficultés rendant l’apprentissage de la langue luxembourgeoise plus laborieuse, de 7demander des aménagements raisonnables tant au niveau des cours que de l’examen, voire des aides tant technologiques que humaines afin de compenser les déficiences.

Ceci dit, en l’espèce, la Cour rejoint les premiers juges en leur conclusion que l’application ministérielle des articles 14 et 15 de la loi du 8 mars 2017 aux circonstances de la cause et, plus particulièrement, son appréciation des éléments de preuve relatifs aux capacités d’apprentissage de la langue luxembourgeoise de l’appelante n’appert point être le fruit d’une erreur d’appréciation des faits lui soumis ou d’un usage illégal ou démesuré des pouvoirs lui reconnus, étant rappelé que dans le cadre d’un recours en annulation, la mission spécifique du juge administratif ne saurait être de déjouer le pouvoir de décision politique ni de s'immiscer dans l'appréciation de l'opportunité des mesures prises, mais il est appelé à examiner, sur base des pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s'est fondée l'administration sont matériellement établis à l'exclusion de tout doute et s'ils sont de nature à justifier la décision, de même qu'il peut examiner si la mesure prise ne comporte pas une erreur d'appréciation.

En effet, si, sans conteste, les trois médecins ne s’accordent pas en leurs conclusions, il n’en reste pas moins que tant le Dr. (C), médecin spécialiste en neuropsychiatrie, que le Dr. (D), médecin spécialiste en psychiatrie-psychothérapie, entrevoient une possibilité réelle sinon latente d’apprentissage d’une langue dans le chef de l’appelante.

Pareille possibilité se dégage du rapport d’expertise du Dr. (C) du 17 mars 2023, en ce qu’il atteste que « […] [l]es symptômes revus n’empêchent, à mon avis, pas la possibilité de reprendre les cours de français et peut-être plus tard les cours de luxembourgeois en vue d’acquérir la nationalité luxembourgeoise.

Il y a certes une pathologie ou un problème de personnalité, les implications ne sont cependant pas suffisantes pour définir une dispense pour les cours et l’examen d’évaluation.

(…) ».

Une possibilité latente pour le moins à terme se dégage encore du rapport du Dr. (D) du 27 avril 2023 en ce qu’après avoir conclu à une dispense actuelle justifiée, il relève néanmoins que l’intéressée envisage « (…) nach seiner Besserung durch eine angemessene Behandlung sich weiterhin der Aneignung der französischen Sprache widmen wird. (…) ».

Tout comme les premiers juges, ces deux certificats ne permettent en tout cas pas de retenir une impossibilité définitive et irrémédiable de tout apprentissage de la langue luxembourgeoise.

Si, dans son rapport en date du 4 octobre 2022, le Dr. (B), médecin spécialisé en psychiatrie, conclut formellement à l’existence d’une incapacité de participer à des cours et épreuves des langues française et luxembourgeoise, il qualifie cette incapacité d’actuelle et ne se prononce pas sur l’avenir. Il convient de relever aussi que ledit médecin parle de troubles mnésiques engendrant des « difficultés d'apprentissage » manifestes, mais non pas une impossibilité totale et définitive.

Dans ces conditions, dans le cadre d’une possibilité dérogatoire conçue par le législateur comme devant rester exceptionnelle, car allant sans conteste dans un sens s’opposant à l’objectif primaire de voir garantir une bonne intégration dans la communauté luxembourgeoise qu’un demandeur à la naturalisation entend rejoindre, les premiers juges ont pu conclure que, 8considérés ensembles, les différents avis médicaux, nécessairement personnels et point discutables comme tels, ne permettent pas de dégager la preuve d’une impossibilité définitive d’apprentissage de la langue luxembourgeoise dans le chef de l’appelante.

Dans les conditions de la cause, le refus ministériel d’accorder une dispense des cours d’apprentissage de la langue luxembourgeoise ou de l’examen d’évaluation des connaissances y afférentes n’apparaît partant ni illégal, ni contraire au principe général de proportionnalité.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris du 4 octobre 2024;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. CAMPILL 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 51828C
Date de la décision : 25/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-02-25;51828c ?

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