GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 51447C ECLI:LU:CADM:2025:51447 Inscrit le 4 octobre 2024 Audience publique du 23 janvier 2025 Requête en relevé de forclusion formée par Madame (A), …, en présence du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse Vu la requête en relevé de forclusion déposée au greffe de la Cour administrative le 4 octobre 2024 par la société à responsabilité limitée INTERDROIT SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-4018 Esch-sur-Alzette, 38, rue d’Audun, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 217690, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Dogan DEMIRCAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…;… Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 29 octobre 2024;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 18 novembre 2024 par la société à responsabilité limitée INTERDROIT SARL, représentée par Maître Dogan DEMIRCAN, au nom de Madame (A);
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 16 décembre 2024;
Vu les pièces versées en cause;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Dogan DEMIRCAN et Madame le délégué du gouvernement Aida DRAGULOVCANIN en leurs observations orales à la chambre du conseil de la Cour à la date du 9 janvier 2025.
Par jugement du 9 juillet 2024 (n° 48849 du rôle), le tribunal administratif a débouté Madame (A) de son recours en réformation sinon en annulation formé contre la décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 28 septembre 2022 portant résiliation de son contrat de travail, ainsi que contre la décision confirmative du même ministre du 19 janvier 2023 prise sur recours gracieux.
1 Ce jugement a été notifié par la voie du greffe au mandataire de l’appelante par lettre recommandée avec accusé de réception le 11 juillet 2024.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 29 octobre 2024, Madame (A), par application de la loi modifiée du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, ci-après la « loi du 22 décembre 1986 », demande à être relevée de la forclusion résultant de l’expiration du délai imparti pour relever appel du jugement rendu le 9 juillet 2024.
A l’appui de sa demande, elle expose que le jugement du 9 juillet 2024 aurait été notifié le 11 juillet 2024 au siège de l’étude INTERDROIT, laquelle serait située dans un centre d’affaires dénommé « Jeriles », à une personne inconnue. Son mandataire n’aurait pas eu connaissance du jugement jusqu’à ce qu’une amie le lui aurait transmis via Whatsapp le 19 septembre 2024. Celui-ci aurait alors pris contact avec le greffe du tribunal administratif pour demander communication du certificat de notification. Il aurait alors découvert que le jugement aurait été notifié à son attention, mais qu’il aurait été réceptionné par une personne inconnue, la signature apposée sur le récepissé de notification lui étant inconnue. Il est encore précisé que la signature du réceptionnaire ne serait ni celle de Maître DEMIRCAN, ni celle de son stagiaire Maître (B), ni d’ailleurs celle de son employé (C), qui aurait été en congé le jour de la notification.
Elle estime que cette carence dans la notification faite par le facteur, qui n’aurait pas pris le soin de contrôler l’identité du réceptionnaire, ne devrait pas lui être préjudiciable. Dès lors que son mandataire n’aurait pas réceptionné personnellement le jugement en question, ni d’ailleurs par le biais d’un collaborateur de son étude, le délai d’appel n’aurait pas pu courir valablement avant le 19 septembre 2024, date de la prise de connaissance de la décision par son mandataire. Elle demande partant à être relevée de la déchéance résultant de l’expiration du délai pour interjeter appel.
Le délégué du gouvernement conclut tout d’abord à l’irrecevabilité de la requête en relevé de forclusion au motif que le dispositif de ladite requête ne préciserait pas le jugement sur lequel porterait la demande en relevé de déchéance.
Il conclut ensuite à l’irrecevabilité de la requête en relevé de forclusion au motif que celle-ci n’aurait pas été introduite dans le délai de 15 jours, tel que prévu à l’article 3 de la loi du 22 décembre 1986. Il soutient que le délai légal de 15 jours commencerait à courir à partir du moment où l’intéressé aurait eu connaissance de l’acte faisant courir le délai ou à partir du moment où l’impossibilité d’agir aurait cessé. En se référant aux travaux parlementaires de la loi du 22 décembre 1986, le délégué estime que ledit article 3 instaure un cadre spécifique pour les demandes en relevé de déchéance, le législateur ayant voulu enfermer cette action dans des délais relativement courts. Aux yeux du délégué du gouvernement, la prise de connaissance de l’acte constituerait le point de départ du délai et non pas une computation abstraite reposant sur le début du jour suivant. En l’occurrence, le délai aurait commencé à courir à partir du moment où la demanderesse aurait eu connaissance du jugement, soit à la date du 19 septembre 2024, et aurait expiré le 3 novembre 2024, de sorte que la requête déposée le 4 novembre 2024 l’aurait été en dehors du délai légal et serait partant tardive.
Au fond, le délégué du gouvernement conclut au rejet de la demande en relevé de forclusion.
2 En ce qui concerne tout d’abord le défaut d’indication au dispositif de la requête du jugement sur lequel porte la demande en relevé de forclusion, tel que pointé par le délégué du gouvernement, il convient de relever que le jugement en cause est clairement identifié dans le corps de la requête, de sorte à rendre pleinement opérationnel le contrôle de la Cour, sans qu’une atteinte aux droits de la défense ne soit donnée par ailleurs. Partant, la recevabilité de la requête en relevé de forclusion ne saurait être critiquée sous cet angle de vue.
S’agissant de la recevabilité ratione temporis de la requête en relevé de forclusion, l’article 3 de la loi du 22 décembre 1986 dispose que : « La demande n’est recevable que si elle est formée dans les quinze jours à partir du moment où l’intéressé a eu connaissance de l’acte faisant courir le délai ou à partir de celui où l’impossibilité d’agir a cessé ».
Si le délégué du gouvernement fait plaider que le délai légal de 15 jours commencerait à courir à partir du moment où l’intéressé a eu connaissance de l’acte faisant courir le délai, soit le 19 septembre 2024, et non pas à partir du 19 septembre 2024 à minuit, cette position est toutefois contraire aux règles de computation découlant de la Convention européenne sur la computation des délais, signée à Bâle le 16 mai 1972, approuvée au Luxembourg par une loi du 30 mai 1984, ci-après « la Convention de Bâle ».
Dès lors que la Convention de Bâle déclare expressément être applicable également en matière administrative, les juridictions de l’ordre administratif appliquent directement cette Convention en tant que droit commun de computation des délais, sans passer par le Nouveau Code de procédure civile qui, en la matière, n’a qu’une valeur supplétive.
Il s’ensuit que la computation de tous les délais en matière administrative, fût-ce un délai pour introduire une requête en relevé de déchéance, est réglée par les dispositions de la Convention de Bâle et de celles de la loi d’approbation de ladite convention.
Le délai pour déposer la requête en relevé de forclusion étant, conformément à l’article 3, précité, de la loi du 22 décembre 1986, exprimé en jours, il convient de se référer à l’article 3, paragraphe 1er, de la Convention de Bâle qui dispose que : « Les délais exprimés en jours (…) courent à partir du dies a quo, minuit, jusqu’au dies ad quem, minuit ».
Le principe actuel de computation des délais ainsi consacré est celui des délais non francs qui veut que seul le jour de départ du délai (dies a quo) ne soit pas pris en considération, et non le jour de l’expiration du délai (dies ad quem).
Il n’est pas contesté que le mandataire de la demanderesse a eu connaissance de l’acte faisant courir le délai, soit le jugement du 9 juillet 2024, le 19 septembre 2024 lorsqu’une amie le lui a transmis via Whatsapp.
Partant, le 19 septembre 2024 constitue en l’espèce le dies a quo et le délai de 15 jours a donc commencé à courir précisément à minuit ce jour-là. C’est donc à tort que le délégué du gouvernement fait plaider que le 19 septembre 2024 devrait entrer en ligne de compte en tant que premier jour pour le calcul du délai de 15 jours.
Il s’ensuit que le délai de 15 jours a commencé à courir le 19 septembre 2024 à minuit pour expirer le 4 octobre 2024 à minuit, de sorte que la requête en relevé de déchéance, déposée le 4 octobre 2024, l’a été dans le délai légal.
3 Le moyen d’irrecevabilité afférent est partant à rejeter comme non fondé.
Quant au bien-fondé de la demande, la loi du 22 décembre 1986 dispose en son article 1er que : « Si une personne n’a pas agi en justice dans le délai imparti, elle peut, en toutes matières, être relevée de la forclusion résultant de l’expiration du délai si, sans qu’il y ait eu faute de sa part, elle n’a pas eu, en temps utile, connaissance de l’acte qui a fait courir le délai ou si elle s’est trouvée dans l’impossibilité d’agir ».
Il résulte de cette disposition qu’une demande en relevé de déchéance est conditionnée par l’expiration d’un délai pour agir en justice au moment où elle est introduite.
En vertu de l’article 38 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le délai pour interjeter appel contre les jugements du tribunal administratif est, sous peine de forclusion, de quarante jours. Ce délai court pour toutes les parties du jour où le jugement leur aura été notifié par le greffe de la juridiction de première instance, d’après la procédure prévue par l’article 34 qui dispose en son paragraphe 1er, que le greffier notifie aux parties une copie certifiée conforme du jugement, tandis que le paragraphe 2 prévoit que la notification s’opère par pli fermé et recommandé à la poste, accompagné d’un avis de réception et que le pli est délivré aux mandataires auprès desquels les parties ont élu domicile.
En l’espèce, le mandataire de la demanderesse conteste formellement avoir réceptionné lui-même le courrier recommandé avec avis de réception, contenant le jugement du 9 juillet 2024, en date du 11 juillet 2024, affirmant en substance que la signature apposée sur l’avis de réception de l’entreprise POST LUXEMBOURG ne serait ni la sienne, ni même celle d’un des collaborateurs de son étude.
Il ressort de l’avis de réception de l’entreprise POST LUXEMBOURG versé au dossier que le jugement du 9 juillet 2024 a été notifié par lettre recommandée avec avis de réception à Maître DEMIRCAN à son étude à l’adresse à Esch-sur-Alzette, 38, rue d’Audun, le facteur ayant coché sur ledit avis la case intitulée « acceptée par le destinataire en personne ».
Si en matière de notification d’un jugement par pli recommandé par voie postale, la juridiction saisie doit pouvoir se fier en principe aux indications de l’entreprise POST LUXEMBOURG en charge des opérations de notification en question, il convient toutefois de constater, en procédant à la comparaison des signatures, que la signature apposée sur l’avis de réception, et qui est censée être celle de Maître DEMIRCAN, ne correspond nullement à celle figurant sur la requête en relevé de déchéance signée par les soins de Maître DEMIRCAN. Par ailleurs, la demanderesse a produit en cause deux attestations testimoniales émanant de Maître (B), stagiaire à l’étude de Maître DEMIRCAN, et de Monsieur (C), employé à la même étude, qui attestent tous les deux que la signature figurant sur l’avis de réception n’est pas celle de Maître DEMIRCAN, ni d’ailleurs la leur.
Dans ces conditions, il y a lieu d’admettre que l’envoi recommandé n’a pas été remis à Maître DEMIRCAN en personne, ni n’est-il possible d’identifier la personne à laquelle l’envoi a été remis et qui a signé l’avis de réception en question.
Il convient dès lors de conclure que si l’envoi recommandé n’a pas été remis au destinataire, à savoir Maître DEMIRCAN, tel que pourtant indiqué sur l’avis de réception de 4l’entreprise POST LUXEMBOURG, et s’il n’est pas possible d’identifier la personne à laquelle l’envoi a été remis, la notification du jugement ne saurait être considérée comme valablement effectuée.
Il suit de ce qui précède qu’aucun délai n’a pu valablement courir en relation avec la notification sous analyse concernant le jugement précité du 9 juillet 2024.
Il s’ensuit qu’à défaut d’expiration vérifiée au jour de l’introduction de la requête en relevé du délai imparti pour interjeter appel contre le jugement du 9 juillet 2024, pour lequel la demande en relevé de forclusion sous examen a été introduite, celle-ci est à considérer comme étant sans objet.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;
déclare la requête en relevé de forclusion sans objet;
laisse les frais afférents à charge de la demanderesse.
Ainsi délibéré et jugé par:
Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, à laquelle le prononcé avait été fixé, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
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