GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 51599C ECLI:LU:CADM:2025:51599 Inscrit le 17 octobre 2024 Audience publique du 21 janvier 2025 Appel formé par Madame (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 18 septembre 2024 (n° 49776 du rôle) en matière de regroupement familial Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 51599C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 17 octobre 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :
1. Madame (A), née le … à … (Afghanistan), demeurant à L-…, 2. sa mère, Madame (B1), née le … à … (Afghanistan), demeurant actuellement en Afghanistan, 3. sa soeur, Madame (B2), née le … à … (Afghanistan), demeurant actuellement en Afghanistan, 4. sa sœur mineure, Madame (B3), née le … à … (Afghanistan), demeurant actuellement en Afghanistan, tous de nationalité afghane et élisant domicile en l’étude de leur litismandataire, préqualifié, dirigé contre le jugement du 18 septembre 2024 (n° 49776 du rôle), par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg les a déboutées de leur recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 mai 2023 portant rejet de leur demande de regroupement familial de Madame (A) au bénéfice de sa mère, Madame (B1), et de ses deux sœurs, Madame (B2) et Madame (B3), et d’une décision confirmative de refus du même ministre du 18 septembre 2023, intervenue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 novembre 2024 ;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans formalités ;
1Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 14 janvier 2025.
Par une décision du 28 juillet 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », accorda à Madame (A) le statut de réfugié ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 27 juillet 2027.
Par courrier de son mandataire du 20 janvier 2023, réceptionné le 24 janvier 2023 par la direction de l’Immigration, Madame (A) fit introduire une demande de regroupement familial au sens de l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », dans le chef de sa mère, Madame (B1), ainsi que de ses sœurs mineures à l’époque, (B2) et (B3), ci-après dénommées collectivement « les consorts (B) ». A titre subsidiaire, elle sollicita la délivrance, en faveur de ces mêmes membres de famille, d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphe (1), point c), de ladite loi, sinon, à titre encore plus subsidiaire, d’un visa de court séjour (visa C).
Par décision du 2 mai 2023, le ministre rejeta lesdites demandes aux motifs suivants :
« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 20 janvier 2022. 20 janvier 2023.
I.
Demande de regroupement familial en faveur de la mère ainsi que des sœurs mineures de votre mandante Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, conformément à l'article 73, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, « la demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies intégrales des documents de voyage des membres de la famille ».
Etant donné qu'aucun document prouvant les liens familiaux entre votre mandante et les personnes à regrouper a été joint à la demande, je ne suis pas en mesure d'établir le lien familial entre votre mandante et eux.
Même si conformément à l'article 73, paragraphe (3) : « lorsqu'un bénéficiaire d'une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant les liens familiaux, il peut prouver l'existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familiale », il ressort de l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des 2personnes et l'immigration « l'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d'origine ».
Or, il n'est pas prouvé que Madame (B1) est à charge de votre mandante, qu'elle est privée du soutien familial dans son pays de résidence respectivement de provenance et qu'elle ne peut pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens.
Concernant le regroupement familial en faveur des sœurs mineures de votre mandante, je tiens à vous informer que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
Par ailleurs, Madame (B1) ainsi que les enfants (B2) et (B3) ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Par conséquent, l'autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.
II.
Demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l'article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée Vous sollicitez à titre subsidiaire une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l'article 78 de la loi du 29 août 2008 précitée en faveur de la mère ainsi que des sœurs mineures de votre mandante.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis non plus en mesure de faire droit à cette requête.
En effet, afin de pouvoir bénéficier d'une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l'article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée, les intéressés doivent, conformément à l'article 78, paragraphe (2) de la loi, témoigner de ressources suffisantes ainsi que des liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité. Je ne dispose cependant d'aucune preuve que Madame (B1) ainsi que les enfants (B2) et (B3) remplissent ces conditions.
Je vous rappelle que «l’article 8 de la CEDH garantit seulement l'exercice du droit au respect d'une vie familiale « existante ». Ainsi, la notion vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d'un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d'une vie familiale effective, c'est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres et existante, voire préexistante, à l'entrée sur le territoire national. D'ailleurs une vie familiale n'existe pas du seul fait du soutien financier apporté par une personne à une autre sans qu'aucun autre rapport ne lie les deux personnes. De plus, une personne adulte voulant rejoindre sa famille dans le pays de résidence de celle-ci ne saurait être admise au bénéfice de l'article 8 de la CEDH que lorsqu'il existe des 3éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux ». Or, aucun document ne témoigne de liens familiaux au-delà d'éventuels liens affectifs normaux entre deux membres de famille.
Par ailleurs, Madame (B1) ainsi que les enfants (B2) et (B3) ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Par conséquent, l'autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.
III.
Demande en obtention d'un visa de courte durée (visa C) dans le chef de la mère ainsi que des sœurs mineures de votre mandante Je tiens à vous informer que le Bureau des Passeports, Visas et Légalisations est compétent en matière de visas touristiques. Par conséquent, votre demande est à adresser au Bureau des Passeports, Visas et Légalisations. (…) ».
Par courrier de son mandataire du 28 juillet 2023, réceptionné le 1er août 2023 par la direction de l’Immigration, Madame (A) fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 2 mai 2023, lequel fut rejeté le 18 septembre 2023 dans les termes suivants :
« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 1er août 2023.
Après avoir procédé au réexamen du dossier de vos mandantes, je suis au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux ou non pris en considération, je ne peux que confirmer ma décision du 2 mai 2023 dans son intégralité. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2023, les consorts (B) firent introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle de refus précitée du 2 mai 2023 et la décision ministérielle confirmative du 18 septembre 2023.
Par jugement du 18 septembre 2024, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta les demanderesses, tout en les condamnant aux frais de l’instance.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2024, les consorts (B) ont régulièrement fait entreprendre ce jugement.
A l’appui de cet appel, elles contestent en premier lieu la conclusion des premiers juges ayant retenu que Madame (A) n’aurait pas rapporté la preuve que les appelantes seraient unies entre elles par un lien de parenté. Elles signalent que l’intégralité du dossier administratif contiendrait la preuve de ce lien de parenté, tout en sollicitant la communication de ce dossier. Dans ce contexte, les consorts (B) exposent qu’un acte de naissance afghan, dénommé « tazkera », ne pourrait pas en lui-même prouver les liens parentaux les unissant pour ne mentionner que le lien avec le père 4et non avec la mère. Il en serait de même pour les extraits de casier judiciaire, ainsi que de l’acte de décès de l’époux de Madame (B1). Ainsi, la législation afghane ne reconnaîtrait pas la qualité de mère vis-à-vis des enfants, au mépris de cette dernière, mais uniquement celle du père, cet obstacle législatif rendant impossible la preuve du lien familial d’une mère vis-à-vis de ses enfants.
Dans ce contexte, les appelantes invoquent encore l’article 73, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 permettant la preuve de l’existence des liens familiaux par « tout moyen », la seule absence de pièces justificatives officielles ne pouvant motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familial. Finalement, elles renvoient encore à deux attestations testimoniales, la première émanant de Monsieur (C1) et de Madame (C2) et la deuxième de Monsieur (D).
Dans un deuxième ordre d’idées, les consorts (B) insistent sur la situation extrêmement préoccupante des femmes en Afghanistan et les mesures discriminatoires adoptées récemment par le régime des talibans leur ayant retiré tous les droits, dont notamment le droit de travailler. Ainsi, il ne ferait aucun doute qu’elles nécessiteraient un soutien matériel et financier à défaut d’avoir un « tuteur masculin » à leurs côtés qui pourrait les soutenir.
Les appelantes concluent ensuite à une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) consacrant, tout comme l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le droit au respect de la vie privée et familiale. A cet effet, elles se réfèrent à un arrêt de la Cour administrative du 15 mars 2018 (n° 40345C du rôle) au sujet de l’article 8 de la CEDH, dans lequel la Cour aurait retenu un sens plus large à attribuer à la notion de famille. Elles relèvent qu’un lien spécial et étroit subsisterait entre Madame (A) et ses mère et sœurs, au-delà d’un simple lien affectif, insistant dans ce contexte sur la considération que la notion de « famille » en Afghanisatan s’entendrait au sens large du terme en ce que les membres d’un même « cercle familial » vivraient ensemble, tel que cela aurait été leur cas avant le départ de Madame (A). Les appelantes précisent encore que depuis le décès de l’époux de Madame (B1) en 2011, elles auraient dû lutter durement pour rester unies et pouvoir vivre sans la présence d’un tuteur, même déjà avant le retour des talibans au pouvoir.
Dans ce contexte, elles signalent encore que le refus d’accorder le regroupement familial sollicité constituerait une ingérence non nécessaire de la part des autorités luxembourgeoises dans leur vie privée et familiale pour conduire inéluctablement à l’éclatement de leur cellule familiale et que la solution retenue par les premiers juges omettrait de prendre en considération l’intérêt supérieur des enfants (B2) et (B3) qui seraient constamment enfermées chez elles. En outre, l’absence d’opportunités éducatives pour les filles en Afghanistan compromettrait sérieusement leurs perspectives d’avenir les condamnant ainsi à un état de pauvreté et de dépendance.
Finalement, les appelantes renvoient aux considérants 2, 4, 9 et 13 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2023 relative au droit au regroupement familial, ci-après « la directive 2003/86 », ainsi qu’au considérant 31 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, ci-après « la directive 2004/38 », desquelles il faudrait déduire qu’elles auraient vocation à faire respecter leur vie privée et familiale.
5Le délégué du gouvernement conclut en substance au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris, tout en se référant à son mémoire et aux pièces versées en première instance.
La Cour constate en premier lieu que les consorts (B) développent à l’appui de leur appel des moyens qui visent exclusivement le refus d’un regroupement familial en leur faveur sans réitérer les moyens de première instance quant au refus d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires et sans formuler de moyen ou d’argument contre la motivation ministérielle ayant rejeté leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons privées ou d’un visa de courte durée (visa C), également contenue dans les décisions attaquées, de sorte que la Cour n’est pas amenée à examiner ces volets des décisions attaquées et du jugement a quo.
S’agissant ensuite du refus d’un regroupement familial, les premiers juges ont correctement situé le cadre légal pertinent en se référant aux dispositions des articles 69, 70 et 73 de la loi du 29 août 2008, aux termes desquels :
« [ art.69] (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :
1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;
2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;
3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.
(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.
(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».
« [art. 70] (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :
a) le conjoint du regroupant ;
b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;
c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la 6charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.
(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.
(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.
(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.
(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :
a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;
b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;
c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés ».
« [art. 73] (1) La demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.
(2) Pour obtenir la preuve de l'existence de liens familiaux, le ministre ou l'agent du poste diplomatique ou consulaire représentant les intérêts du Grand-Duché de Luxembourg dans le pays d'origine ou de provenance du membre de la famille, peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant ou les membres de famille, ainsi qu'à tout examen et toute enquête jugés utiles.
(3) Lorsqu'un bénéficiaire d'une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, il peut prouver l'existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familial ».
Tel que cela a été relevé à juste titre par les premiers juges, ces dispositions règlent les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci, l’article 69 fixant les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, l’article 70 définissant les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membres de famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.
7 En ce qui concerne la demande de regroupement familial dans le chef de la mère et des sœurs de Madame (A), les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont retenu que les dispositions précitées de l’article 69 permettent à un bénéficiaire d’une protection internationale d’être rejoint, au titre du regroupement familial, par les membres de sa famille visés à l’article 70, sans que le bénéfice de ce droit ne soit soumis aux conditions de ressources, de logement et de couverture d’une assurance maladie énoncées à l’article 69, paragraphe (1), précité, qui s’appliquent au titre du regroupement familial de droit commun des étrangers.
Les premiers juges ont pareillement relevé à bon droit que cette demande doit en principe contenir toutes les indications nécessaires concernant les membres de la famille à regrouper et, en vertu de l’article 73, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, être accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives officielles prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille, sous réserve de la dérogation relative aux pièces justificatives officielles établies à l’article 73, paragraphe (3) de la même loi.
S’agissant plus particulièrement de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (B1), même à supposer que l’auteur de la demande de regroupement familial, à savoir Madame (A), puisse faire valoir une impossibilité dûment motivée de fournir les pièces officielles requises prouvant ses prétendus liens familiaux avec sa mère, Madame (B1), en raison du fait notamment que les documents officiels afghans ne mentionneraient que le lien d’une personne avec son père et non avec sa mère, la Cour se doit de rappeler que l’octroi d’une autorisation de séjour sur la base de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008, visant les ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant, est en tout état de cause subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir que lesdits ascendants sont (i) à la charge du regroupant et (ii) privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.
La Cour constate que les premiers juges ont analysé la question de savoir si Madame (B1) est financièrement dépendante de sa prétendue fille, Madame (A).
Ils ont, dans ce contexte, correctement dégagé à partir de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008 que les conditions légales d’un regroupement familial ne sont données que si la preuve de l’existence d’une situation de dépendance économique effective vis-à-vis du regroupant est rapportée et que la charge de la preuve appartient principalement au demandeur au regroupement, la preuve de ce soutien pouvant être rapportée par tous moyens.
Or, cette preuve n’a été et n’est toujours pas rapportée en cause. En effet, à l’instar du tribunal, la Cour constate que les appelantes ne versent aucune pièce probante démontrant que Madame (A), en tant que regroupante, apporterait à sa mère un quelconque soutien financier, restant ainsi en défaut de prouver que cette dernière serait à sa charge et que sans son soutien matériel, elle ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels en Afghanistan. En outre, les appelantes n’apportent toujours pas en instance d’appel des éléments tangibles démontrant que Madame (B1) aurait été dépendante de Madame (A) au moment où celle-ci vivait encore en Afghanistan, les simples allégations y afférentes n’étant pas suffisantes à cet égard.
8Finalement, les appelantes restent toujours en défaut de prouver que Madame (B1) serait privée de ressources personnelles dans son pays d’origine, celles-ci ne fournissant guère d’éléments quant aux conditions de vie concrètes de cette dernière depuis la séparation avec sa fille avant le départ de celle-ci pour le Luxembourg, voire quant à sa situation patrimoniale. La seule allégation selon laquelle elle se retrouverait seule et démunie avec ses deux filles en Afghanistan en raison plus particulièrement du décès de son mari et de la situation politique et économique y régnant n’est, en tout état de cause, pas suffisante, pour démontrer que sans l’aide de sa fille (A) vivant au Luxembourg, elle ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels dans son pays d’origine.
La Cour est partant amenée à retenir que les appelantes restent en défaut de démontrer que Madame (B1) serait « à charge » de sa fille, de sorte que c’est à bon droit que les premiers juges ont confirmé le ministre pour avoir refusé de leur accorder une autorisation de séjour sur la base de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008, l’examen de la deuxième condition posée par cette même disposition, à savoir celle ayant trait au soutien familial nécessaire dans le pays d’origine, y compris la demande en communication du dossier administratif formulée dans ce contexte, devenant surabondant au vu du caractère cumulatif des deux conditions.
En ce qui concerne la demande de regroupement familial dans le chef des deux sœurs de Madame (A), les premiers juges ont relevé à bon droit, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par les appelantes, que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne vise pas la fratrie au titre des membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg, de sorte qu’il appert que le ministre a pu valablement refuser la demande de regroupement familial soumise en ce qui concerne la fratrie de Madame (A).
Il convient cependant de vérifier encore si le refus du regroupement familial en application des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 relativement au regroupement familial de membres de la famille d’un bénéficiaire d’une protection internationale n’aboutit pas à un résultat qui se heurte au droit au respect de la vie privée et familiale des appelantes eu égard à leur situation individuelle et particulière, les appelantes invoquant l’article 8 de la CEDH pour contester la validité du refus ministériel.
L’article 8 de la CEDH est libellé comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, se son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, elle existe aussi entre frères et sœurs, ainsi qu’entre parents et enfants adultes, dès lors que des éléments de dépendance renforcés sont vérifiés.
Ladite Cour a en effet précisé que « les rapports entre adultes (…) ne bénéficieront pas 9nécessairement de la protection de l’article 8 sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux » (Commission EDH, 10 décembre 1984, S. et S. c. Royaume-Uni (req. n° 10375/83), D.R. 40, p. 201. En ce sens, voir également par exemple CEDH, 17 septembre 2013, F.N. c. Royaume Uni (req. n° 3202/09), § 36 ; CEDH, 30 juin 2015, A.S. c. Suisse (req. n° 39350/13), § 49).
En outre, au-delà d’un lien de parenté, la notion de « vie familiale » requiert l’existence d’un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.
En l’espèce, la Cour arrive à la conclusion que les liens spéciaux et étroits que Madame (A) déclare entretenir avec sa mère et ses sœurs restent à l’état de pure allégation. En effet, les appelantes n’ont pas rapporté une quelconque preuve de nature à démontrer l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine, s’étant limitées à affirmer l’existence de tels liens, sans fournir une explication concrète à cet égard, et encore moins des justificatifs démontrant l’existence plus particulièrement de contacts réguliers avant l’introduction de la demande de regroupement familial. Ainsi, le seul fait d’avoir grandi et vécu ensemble avec sa mère et ses sœurs n’est pas suffisant à cet égard pour établir l’existence d’un lien de dépendance autre que les liens affectifs normaux.
Finalement, la Cour constate que les attestations testimoniales versées en cause, outre de ne pas respecter les formes d’une attestation testimoniale telles que prévues par l’article 402 du Nouveau Code de Procédure Civile, ne sauraient, à elles seules, établir des liens spéciaux et étroits entre les appelantes, allant au-delà de liens affectifs normaux existant entre les intéressées, lesdits écrits insistant surtout sur les conditions de vie difficiles en général des femmes vivant en Afghanistan.
A défaut de preuve de l’existence d’une vie familiale susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH, il n’y a pas lieu d’examiner plus en avant le bien-fondé, voire la pertinence des développements dont se prévalent les appelantes pour se réclamer de la protection de cette disposition et fondés sur l’existence d’une vulnérabilité particulière de la mère et des deux jeunes sœurs de Madame (A) du fait d’un risque allégué existant dans leur chef en Afghanistan, y compris les explications fournies au sujet de la situation sécuritaire prévalant dans ce pays et en particulier celle des femmes afghanes, cet examen étant surabondant.
Il s’ensuit qu’au regard des éléments du dossier à la disposition du ministre et à défaut d’autres explications fournies par les appelantes, la Cour ne saurait déceler en l’espèce une violation par le ministre de son obligation au respect de l’article 8 de la CEDH et, en l’occurrence, une atteinte disproportionnée à une vie familiale qui corresponde aux critères d’intensité requis par cette disposition.
En ce qui concerne le renvoi tout à fait vague fait par les appelantes dans leur requête d’appel à l’intérêt supérieur des sœurs de Madame (A) d’être regroupées avec celle-ci au motif qu’elles 10n’auraient pas de perspectives d’avenir dans leur pays d'origine, en raison notamment d’un défaut de scolarisation et d’une impossibilité d’accès au marché du travail, cet argument, relevé dans le contexte du reproche d’une violation de l’article 8 de la CEDH, ne saurait mettre en échec la légalité du refus litigieux. En effet, au-delà du fait que ce moyen n’est pas autrement étayé en instance d’appel, la Cour relève que dans la mesure où elle vient de retenir que la vie familiale susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH, telle qu’invoquée, n’est pas établie à suffisance, le reproche d’un défaut de prise en compte de l’intérêt supérieur des sœurs de Madame (A), lesquelles sont entretemps majeures, en ce qu’il repose sur la prémisse d’une rupture d’une telle unité familiale, est à rejeter pour les mêmes considérations.
Enfin, à admettre que les appelantes aient entendu se prévaloir de la situation sécuritaire existant en Afghanistan indépendamment du moyen fondé sur l’article 8 de la CEDH, cette situation ne saurait constituer une cause d’illégalité du refus litigieux et conduire à l’annulation de celui-ci, dans la mesure où la situation sécuritaire dans le pays d’origine ne constitue pas per se une cause de justification de l’octroi d’une autorisation de séjour au titre d’un regroupement familial telle que recherchée par les appelantes.
En ce qui concerne, enfin, le moyen des appelantes, tiré des considérants des directives 2003/86 et 2004/38, ledit moyen est à rejeter pour ne pas être autrement soutenu et auquel la Cour n’a dès pas à répondre, alors qu’il appartient aux appelantes d’expliquer utilement le sens qu’elles entendent donner à leur moyen, le simple renvoi à des considérants d’une directive étant insuffisant à cet égard.
L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter les consorts (B) et de confirmer le jugement entrepris.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel du 17 octobre 2024 en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute les appelantes ;
partant, confirme le jugement entrepris du 18 septembre 2024 ;
condamne les appelantes aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, 11et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
s. SCHINTGEN s. SPIELMANN 12