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21/01/2025 | LUXEMBOURG | N°50763C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 21 janvier 2025, 50763C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50763C ECLI:LU:CADM:2025:50763 Inscrit le 17 juillet 2024 Audience publique du 21 janvier 2025 Appel formé par L’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 17 juin 2024 (n° 49020 du rôle) l’opposant à Madame (A), …, en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50763C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 17 juillet 2024 par Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxe

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50763C ECLI:LU:CADM:2025:50763 Inscrit le 17 juillet 2024 Audience publique du 21 janvier 2025 Appel formé par L’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 17 juin 2024 (n° 49020 du rôle) l’opposant à Madame (A), …, en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50763C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 17 juillet 2024 par Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sur base d’un mandat afférent lui conféré par le ministre des Affaires Intérieures le 3 juillet 2024, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 17 juin 2024 (n° 49020 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré fondé le recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 mai 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, tel qu’introduit par Madame (A), connue sous différents alias, déclarant être née le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, demeurant actuellement à L-… ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 octobre 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS Sàrl, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée aux fins de la présente par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de Madame (A), préqualifiée ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Le magistrat rapporteur entendu en son rapport et Maître Frank WIES et Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 novembre 2024 :

Vu l’avis du 12 novembre 2024 informant de la rupture du délibéré et autorisant le dépôt de mémoires additionnels ;

Vu le mémoire additionnel déposé au greffe de la Cour administrative le 4 décembre 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS Sàrl, représentée aux fins de la présente par Maître Frank WIES, pour compte de Madame (A), préqualifiée ;

Vu le mémoire additionnel déposé au greffe de la Cour administrative le 24 décembre 2024 par l’Etat ;

Le magistrat rapporteur entendu en son rapport complémentaire et Maître Frank Wies et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2025.

Le 7 août 2019, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le 8 août 2019, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée/police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion qu’elle avait précédemment déposé, sous diverses identités, des demandes de protection internationale en Slovénie en date du 8 décembre 2017, aux Pays-Bas en date du 7 janvier 2018, en Allemagne en date des 23 mai 2018 et 3 décembre 2018 et en Croatie en date du 13 novembre 2018.

Le même jour, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Le 16 août 2019, le ministre contacta les autorités allemandes aux fins de la reprise en charge de Madame (A), ce qu’elles acceptèrent le 20 août 2019.

Par décision du 19 septembre 2019, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Madame (A) que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’elle sera transférée vers l’Allemagne, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2019, inscrite sous le numéro 43623 du rôle, Madame (A) introduisit un recours à l’encontre la prédite décision ministérielle du 19 septembre 2019, dont elle fut déboutée par jugement du tribunal administratif du 25 novembre 2019.

Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 43624 du rôle, elle introduisit encore une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Allemagne et à l’autoriser à résider au Grand-Duché de Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur lemérite de son recours au fond, qui fut rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 10 octobre 2019.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, portant la référence …, du 28 novembre 2019 que Madame (A) fut transférée seule vers l’Allemagne en date du 22 novembre 2019. Il résulte d’un rapport du même service, du même jour, portant la référence …, que Madame (A) fut transférée en Allemagne sans sa fille mineure, alors que celle-ci faisait l’objet d’une mesure de placement provisoire dans un foyer la veille du transfert.

Le 18 octobre 2021, Madame (A) introduisit, à nouveau, auprès du service compétent du ministère une demande en obtention d’une protection internationale.

En date du même jour, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Toujours le 18 octobre 2021, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

Le 29 octobre 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues allemands en vue de la reprise en charge de Madame (A) en exécution dudit règlement.

La demande de reprise en charge de Madame (A) fut acceptée par les autorités allemandes en date du 2 novembre 2021.

Par décision du 25 janvier 2022, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Madame (A) de sa décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 février 2022, inscrite sous le numéro 47012 du rôle, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 25 janvier 2022.

Par jugement du 9 mars 2022, le tribunal administratif considéra que la vie familiale entre Madame (A) et sa fille était digne de protection et qu’il ne résultait d’aucun élément que la vie privée et familiale de ces dernières puisse être réalisée ailleurs qu’au Luxembourg, la fille de Madame (A) étant autorisée à se maintenir sur le territoire luxembourgeois jusqu’à sa majorité, de sorte que la décision ministérielle litigieuse avait été prise en violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après « la CEDH ». Par réformation, le tribunal désigna le ministre comme étant compétent en vertu de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III pour examiner la demande de protection internationale de Madame (A) et lui renvoya le dossier.

En dates des 12 septembre et 28 octobre 2022, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 8 mai 2023, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Madame (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre deuxième demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 18 octobre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Notons avant tout autre développement en cause que le 19 juillet 2018, votre fille mineure (B) a été déposée au Luxembourg et a par la suite introduit une demande de protection internationale en tant que mineure non accompagnée. Le 19 avril 2019, votre mandataire a informé les autorités luxembourgeoises que vous seriez demandeur de protection internationale en Allemagne et que vous souhaiteriez que votre fille vous y rejoigne. Suite à l’accord des autorités allemandes de prendre en charge de votre fille, son transfert avait été prévu pour le 14 août 2019. Or, le 6 août 2019, vous vous êtes présentée à la Direction de l’immigration et le transfert de votre fille a par conséquent dû être annulé. Le 7 août 2019, vous avez introduit une demande de protection internationale et vous justifiez ce changement de projet par le fait que votre demande de protection internationale introduite en Allemagne aurait été refusée « sodass mit (sic) nichts anders übrig blieb nach Luxemburg zu meiner Tochter zu kommen » (rapport du Service de Police Judiciaire du 8 août 2019).

Vous prétendez en outre auprès de la Police Judiciaire à l’occasion de cette première demande de protection internationale avoir quitté votre pays d’origine, la Tunisie, en 2007 en direction de la Libye, où vous auriez vécu jusqu’en 2017. En …, votre fille serait née et vous précisez dans ce contexte que le père de votre fille se trouverait toujours en Libye. En 2017, vous auriez été obligée de quitter la Libye parce que des inconnus seraient entrés chez vous et vous auraient violée. En 2017, vous auriez quitté la Libye avec votre fille à bord d’un avion à destination de la Turquie, avant de prendre un autre vol pour la Serbie. Par la suite, vous seriez entrée en Croatie, puis en Slovénie, où vous auriez à chaque fois dû donner vos empreintes, sans que vous n’ayez demandé une protection internationale dans un de ces pays. Vous auriez continué votre trajet en séjournant pendant trois semaines en Italie, avant de passer par la France et la Belgique aux Pays-Bas où vous auriez introduit une demande de protection internationale. Les autorités néerlandaises vous auraient fait comprendre que vous devriez retourner en Croatie. Après cinq mois passés aux Pays-Bas, vous seriez partie introduire une demande de protection internationale en Allemagne, mais vous auriez par la suite regagné les Pays-Bas pour vous faire remettre votre passeport et vous auriez laissé votre fille auprès d’une connaissance en Allemagne. Les autorités néerlandaises vous auraient ensuite transférée en Croatie, où vous n’auriez cependant pas voulu rester sans votre fille. Vous seriez du coup retournée en Allemagne à un moment où votre connaissance aurait déjà amené votre fille au Luxembourg parce qu’elle n’aurait plus voulu s’en occuper. Vous auriez par conséquent demandé aux autorités allemandes que votre fille puisse vous rejoindre, avant qu’elles n’auraient refusé votre demande de protection internationale.

Il ressort encore du rapport du Service de Police Judiciaire que vous êtes entrée en Allemagne le 22 mai 2018 et que vous y avez été fichée la même année pour « Falschbeurkundung ». Le 29 mai 2018, vous y avez introduit une demande de protection internationale qui a été « zügig abgelehnt ». Le 5 décembre 2018, vous y avez introduit une deuxième demande de protection internationale qui a également été refusée pour être « unbegründet ». Vous étiez en outre en possession d’une « Duldung » en Allemagne, valable jusqu’au 19 janvier 2019. Il ressortait encore de la comparaison de vos empreintes avec le 4 système « Eurodac » qu’hormis au Luxembourg, vous avez aussi introduit des demandes de protection internationale en Slovénie, le 8 décembre 2017, aux Pays-Bas le 7 janvier 2018, en Allemagne les 23 mai et 3 décembre 2018 et en Croatie le 13 novembre 2018, après que vos empreintes y ont été enregistrées le 18 octobre 2017. Enfin, il ressort dans ce contexte de votre dossier administratif que vous étiez enregistrée en Allemagne sous les cinq alias suivants : (A), née le … à …/Tunisie, (A), née le .. .à …/Algérie, (A), née le … à …/Tunisie, (A), née le … en Tunisie et (A), née le … en Tunisie.

Votre demande de protection internationale introduite au Luxembourg en date du 7 août 2019 n’a pas été analysée dans la mesure où la compétence dans ce contexte revenait aux autorités allemandes en vertu du règlement Dublin III. Par conséquent, vous avez été informée par décision du 19 septembre 2019, que vous seriez transférée en Allemagne. Le 22 novembre 2019, vous auriez dû être transférée en Allemagne ensemble avec votre fille, mais la veille de votre transfert, le Tribunal de la Jeunesse a prononcé une mesure de garde provisoire dans le chef de votre fille (B), après que son administrateur ad hoc s’était adressé à ladite juridiction estimant que vous ne pourriez pas garantir pour la sécurité de votre fille. Vous avez par conséquent été transférée seule en Allemagne.

Le 18 octobre 2021, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg. Par décision du 25 janvier 2022, en vertu dudit règlement Dublin III, les autorités luxembourgeoises vous ont à nouveau informée qu’elles n’examineront pas cette demande et que vous seriez transférée en Allemagne, Etat compétent pour le traitement de cette demande. Le 9 mars 2022, le Tribunal administratif a réformé cette décision estimant que le Luxembourg serait compétent pour l’examen de votre nouvelle demande de protection internationale.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire et le rapport d’entretien « Dublin III » du 18 octobre 2021, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 septembre et 28 octobre 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale et les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale, ainsi que la retranscription de l’entretien de votre fille (B) du 5 mars 2020.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous seriez revenue au Luxembourg le 16 octobre 2021 depuis l’Allemagne parce que votre fille se trouverait en danger au Luxembourg. Conviée à expliquer pourquoi vous demandez une protection internationale, vous répondez que vous auriez quitté la Libye à cause de la guerre et que vous seriez revenue au Luxembourg parce que votre fille aurait été placée dans un foyer par l’Etat et aurait subi un viol. Etant donné que vous ne seriez « pas d’accord » avec cela, vous n’auriez plus voulu rester en Allemagne.

Il ressort du rapport d’entretien Dublin III que vous seriez divorcée depuis … et que votre ex-époux habiterait aujourd’hui en Libye, où vous auriez travaillé comme … dans des hôpitaux à … et … jusqu’à votre départ en 2017. Vous précisez encore que le droit de garde de votre fille vous aurait été retiré pour maltraitances physiques et psychiques et qu’en 2019, vous auriez été placée en psychiatrie. En 2022, votre fille aurait été placée en psychiatrie et elle 5 n’aurait « pas mal de problèmes ». L’agent de son foyer vous aurait en outre informé que « 2 africains » l’auraient violée. Avant votre arrivée au Luxembourg, vous auriez vécu pendant deux ans dans l’appartement d’une copine en Allemagne. Vous auriez laissé votre carte d’identité auprès d’une copine en Allemagne.

Il ressort du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022, que vous prétendez vous nommer (A) et que vous seriez de nationalité tunisienne, née le … à … en Tunisie, où vous auriez vécu jusqu’à votre départ pour la Libye en 2007. Vous seriez tombée enceinte en Libye suite à un viol et comme vous n’auriez pas eu le droit d’y accoucher, vous auriez conclu un mariage le … en Tunisie avec le dénommé (C), de nationalité algérienne et vous auriez accouché de votre fille le … en précisant que vous auriez donné de l’argent à votre époux pour qu’il donne son nom à votre fille. Interrogée sur l’identité du père, vous répondez que vous ne le sauriez pas alors que « Nous étions un groupe de personnes mixtes. Pendant une soirée bien arrosée, il s’est passé quelque chose. J’ignore qui a fait quoi avec qui » (p. 5 du rapport d’entretien) en précisant toutefois que vous définiriez cet acte de viol étant donné que vous n’auriez pas été consentante. Vous précisez par la suite que vous ignoreriez qui serait le père de votre fille mais que vous seriez persuadée qu’il s’agirait d’un des jeunes présents ce « fameux soir » (p. 11 du rapport d’entretien). Par peur de représailles, vous seriez en outre incapable de vous exprimer sur ce qui vous serait arrivé ce soir, « En Libye, c’est compliqué » (p. 11 du rapport d’entretien), vous vous souviendriez toutefois que « quelqu’un me faisait quelque chose » (p. 11 du rapport d’entretien), mais le lendemain, les autres femmes présentes vous auraient dit qu’il ne se serait rien passé. Une semaine après la naissance de votre fille, vous seriez retournée en Libye. Vous auriez divorcé en …. En 2017, vous auriez quitté la Libye en avion, moyennant votre passeport.

Après votre transfert en Allemagne en 2019, vous seriez revenue au Luxembourg en octobre 2021 parce que votre fille aurait été violée le même mois. Vous précisez dans ce contexte avoir été en contact téléphonique avec votre fille lorsque vous auriez séjourné en Allemagne mais ne pas encore l’avoir vue. Depuis ledit viol, elle n’irait plus à son « école spéciale » de manière régulière et elle aurait été placée pendant un mois en psychiatrie fermée ;

elle aurait toutefois arrêté de fuguer.

Vous prétendez ensuite avoir introduit une demande de protection internationale parce que votre famille aurait tenté de vous tuer à cause de votre orientation sexuelle et qu’il serait impossible de vivre en Tunisie en tant que personne homosexuelle.

Premièrement, vous prétendez qu’avant votre départ de la Tunisie, votre famille aurait découvert que vous auriez eu une relation à l’université avec votre cousine paternelle, voire, copine, (D). Vous vous seriez souvent vue dans le logement qu’elle aurait loué et vous précisez que les « gens autour » auraient été au courant de votre relation, d’autant plus que vous vous seriez embrassées en public, qu’« A l’amphithéâtre de l’université, on discutait de ça » (p. 15 du rapport d’entretien) et que (D) aurait expliqué à un homme qu’elle serait en relation avec vous. Vous prétendez aussi que tout le monde aurait appris votre relation homosexuelle parce que ledit jeune homme, après avoir été repoussé par (D), l’aurait dit à tout le monde. Après que votre famille aurait été mise au courant de votre relation homosexuelle, vous auriez été frappée par vos parents et enfermée dans votre chambre. Trois ou quatre jours plus tard, en janvier 2007, votre frère (E) et votre mère vous auraient attaquée avec un hachoir pendant que vous auriez dormi. Vous précisez qu’il se serait agi d’une tentative de meurtre et que vous auriez reçu un seul coup qui aurait été destiné à votre tête. Or, dans la mesure où vous auriez dormi avec votre bras posé sur votre tête, vous auriez uniquement été blessée au bras. Après cette attaque, vos agresseurs seraient repartis, persuadés de vous avoir tuée. Vous rajoutez encore qu’il serait sûr et certain qu’ils auraient recommencé si vous étiez restée vivre chez eux.

6 Le lendemain, votre père et votre frère (F) seraient venus vous voir avant de vous conduire à l’hôpital, où (F) vous aurait mise en garde de ne pas parler de ce qui serait arrivé.

Après l’opération de votre bras fracturé, vous seriez restée à la maison pendant trois ou quatre mois, vous auriez été enfermée dans votre chambre pendant un mois et vous seriez régulièrement sortie de la maison pour vous rendre à votre physiothérapie.

En mai 2007, votre grand-père serait décédé et comme tout le monde aurait alors été « occupé » (p. 11 du rapport d’entretien), vous en auriez profité pour vous « enfuir » vers la Libye, dans le but de vous éloigner de votre famille et d’y gagner de l’argent pour pouvoir par la suite quitter ce pays. Vous dites que votre famille ne pourrait jamais oublier la relation homosexuelle que vous auriez eue et qu’il s’agirait pour elle d’une « question d’honneur, question de sang » (p. 12 du rapport d’entretien). En plus, si jamais vos parents ne feraient pas le « nécessaire » (p. 12 du rapport d’entretien), cela serait perçu comme un scandale par la grande famille et le danger proviendrait alors de vos oncles ou cousins, d’autant plus que votre famille serait très religieuse. A cela s’ajoute que votre famille n’accepterait jamais « Tout ce qu’il s’est passé dans ma vie » (p. 19 du rapport d’entretien) en faisant allusion à votre fille, vos relations avec les femmes et le fait que vous auriez fugué.

Deuxièmement, vous prétendez craindre l’Etat tunisien alors qu’il ne pourrait pas protéger les homosexuels et que la législation tunisienne serait « contre » (p.11 du rapport d’entretien) l’homosexualité. Une personne homosexuelle risquerait trois ans de prison en Tunisie. En outre, la société tunisienne n’accepterait pas l’homosexualité et vous seriez du coup obligée d’y vivre de façon cachée. Vous n’auriez pas connu de problèmes à l’université avec votre homosexualité parce qu’il se serait agi d’une petite institution et qu’uniquement vos amis de classe auraient été au courant. Vous prétendez aussi qu’après que les gens auraient appris votre relation avec (D), tout le monde vous aurait ignorée.

Interrogée si vous ne pouviez pas vous installer dans une autre région de votre pays, notamment la capitale, vous répondez par la négative alors que vous n’auriez pas seulement des problèmes avec votre famille mais aussi avec « d’autres gens, c’est-à-dire la police » (p. 20 du rapport d’entretien). A cela s’ajouterait que vous seriez issue d’une grande famille qui serait présente partout. Vous seriez en plus fatiguée du fait de vous être cachée tout ce temps et la loi sur l’homosexualité concernerait toute la Tunisie.

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Votre acte de mariage conclu à Tunis le … ;

- un extrait de votre acte de naissance émis le 7 octobre 2019 ;

- la copie d’un diplôme du « … » et sa traduction allemande, indiquant que vous avez entre 2011 et 2013 accompli avec succès les tests donnant droit à l’exercice du métier d’…;

ainsi qu’un certificat de cette même institution informant que vous avez suivi avec succès vos années de formation de 2011 à 2014 ;

- la copie d’une lettre, et sa traduction allemande, qui aurait été émise par l’hôpital libyen de … informant que vous y avez travaillé en tant qu’… de juin … à avril 2013 ;

- une copie d’une attestation néerlandaise et sa traduction allemande informant que vous avez suivi un « … » en avril 2018.

A noter que vous précisez avoir reçu ces documents après les avoir demandés en 2019 à votre notaire. Vous ne seriez pas en possession de votre acte de divorce parce que vous devriez alors vous rendre en Tunisie pour le signer. Votre carte d’identité se trouverait chez une copine en Allemagne tandis que les autorités allemandes seraient en possession de votre 7 passeport après qu’il vous aurait été confisqué lors d’un contrôle dans un bus, suivant votre retour dans ce pays depuis la Croatie.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant à la crédibilité de votre récit Avant tout autre développement, je suis amené à remettre en cause la crédibilité de votre récit, alors que celui-ci est truffé de contradictions et de d’incohérences.

Il y a lieu de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’évaluation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Force est toutefois de constater que vos motifs de fuite doivent être réfutés alors que vos réponses incohérentes, combinées à votre comportement adopté depuis votre prétendue fuite de la Tunisie en 2007, sont incompatibles avec ceux d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée et qui serait en besoin réel d’une protection.

En effet, conviée à expliquer les raisons vous ayant amenée à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, vous présentez différentes versions, en prétendant d’abord que vous n’auriez pas eu d’autre choix que d’introduire cette demande après que votre demande de protection internationale aurait été refusée en Allemagne, « sodass mit (sic) nichts anders übrig blieb nach Luxemburg zu meiner Tochter zu kommen ». A part le fait qu’il est faux que vous n’ayez pas eu d’autre choix alors que vous auriez notamment tout simplement pu accepter la décision des autorités allemandes, vous prétendez toutefois aussi que vous vous seriez sentie obligée de revenir au Luxembourg et d’y introduire par la suite une demande de protection internationale après que vous auriez appris que votre fille aurait été violée dans son foyer d’accueil et que vous n’auriez pas été d’accord avec cela. Vous n’auriez par conséquent plus voulu rester en Allemagne. Vous prétendez en outre avoir senti le besoin d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg en octobre 2021, parce qu’il y aurait la guerre en Libye, pays dans lequel vous auriez vécu et travaillé de 2007 à 2017. Enfin, vous développez au cours de votre entretien concernant vos motifs de fuite la théorie selon laquelle vous auriez introduit votre demande de protection internationale parce que vous seriez homosexuelle et que l’homosexualité serait interdite en Tunisie.

A ces incohérences flagrantes s’ajoute que, tel que relevé ci-avant, votre prétendu vécu n’est pas non plus compatible avec celui d’une personne persécutée ou à risque d’être persécutée dans son pays d’origine et ressentant un besoin réel de protection. Ce constat doit 8 en premier lieu être dressé au vu de votre retour volontaire en Tunisie une année seulement après votre prétendue « fuite » du pays, dans le but de vous y marier de manière officielle et d’y être hospitalisée pour donner naissance à votre fille. Le fait que vous auriez par la suite, en tant que personne prétendument homosexuelle, décidé de vous installer sans raison apparente dans un autre pays musulman où l’homosexualité serait interdite et de surcroît en proie à une guerre civile, pour y travailler pendant 10 ans en tant qu’… tout et en y étant mariée à un homme qui vivrait toujours en Libye, ne permet manifestement pas non plus de retenir une quelconque urgence dans votre chef de rechercher une forme de protection quelconque. Ce constat vaut d’autant plus qu’en se tenant aux dires de votre fille, vous n’auriez donc pas jugé utile ou nécessaire de fuir ce pays en guerre où l’homosexualité serait interdite, même après avoir envoyé votre fille avec une connaissance en direction de l’Europe, mais que vous-même auriez pour une raison qui vous est propre encore continué d’y vivre.

Ensuite, votre parcours subséquent en Europe ne permet pas non plus de contrecarrer cette image. Bien au contraire, l’introduction de six demandes de protection internationale dans cinq pays différents de l’Union européenne entre décembre 2017 et octobre 2021 (après que vos empreintes avaient déjà été enregistrées en Croatie le 18 octobre 2017), fait preuve d’un abus évident des procédures prévues en matière de protection internationale, alors qu’une personne réellement persécutée aurait évidemment été soulagée de pouvoir introduire sa demande de protection dans le premier pays sûr et dans les plus brefs délais, tandis que vous avez d’abord refusé de rechercher une protection en Europe avant d’entamer un voyage à travers l’Europe et en ne jugeant même pas nécessaire d’attendre la réponse des autorités à votre demande d’une protection internationale, comme notamment en Croatie.

Le constat que vous n’êtes nullement en besoin d’une protection internationale se trouve par ailleurs confirmé par le fait que vous avez selon toute logique et à supposer vos dires comme étant crédibles, quod non, déjà fait part de vos motifs de fuite dans le cadre de vos demandes de protection internationale introduites ailleurs en Union européenne. Vos motifs de fuite ont donc de toute façon déjà été traités et analysés par les autorités d’un ou de plusieurs pays membres de l’Union européenne et n’ont pas amené ces dernières à vous octroyer une protection internationale.

Que vous êtes pour le surplus fichée en Allemagne pour « Falschbeurkundung » avant de vous décider à y introduire deux demandes de protection internationale, de même que vous y êtes fichée sous pas moins de cinq identités différentes prouve davantage le peu sérieux de votre comportement et de vos démarches en Europe, respectivement, démontre que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités desquelles vous souhaitez vous faire octroyer une protection internationale. En plus, étant donné qu’il ressort de votre dossier administratif qu’en date du 19 juillet 2019, la « Hansestadt … » vous a demandé votre passeport on peut pareillement supposer que contrairement à vos dires, les autorités allemandes ne sont donc pas en possession de votre passeport, mais que vous avez tout simplement décidé d’inventer cette histoire de passeport pour éviter de devoir le montrer aux autorités luxembourgeoises et ainsi empêcher ces dernières de se faire une idée sur votre véritable vécu avant votre arrivée au Luxembourg. Le 28 avril 2023, les autorités allemandes ont d’ailleurs confirmé qu’elles sont uniquement en possession d’une copie de votre passeport.

Le constat que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités en Europe se trouve davantage confirmé suite à la lecture de l’entretien de votre fille. En effet, selon cette dernière et contrairement à vos dires sur votre vécu, depuis la Libye, vous auriez envoyé votre fille avec une copine en direction de l’Europe tandis que vous-même auriez décidé de continuer à rester vivre en Libye pour une raison inconnue. Elle prétend en outre être née en … mais que vous lui 9 auriez expliqué qu’elle devrait indiquer la date de naissance de … pour retarder son éloignement vers la Tunisie.

De plus, il s’agit de soulever que l’histoire de la prétendue découverte de votre prétendue homosexualité par votre famille n’emporte pas conviction non plus alors qu’il n’est premièrement pas plausible du tout que deux femmes homosexuelles tunisiennes décident, en 2007, de vivre librement leur relation amoureuse en Tunisie, où comme vous le précisez l’homosexualité serait interdite, en s’affichant publiquement ensemble et en s’embrassant en public « devant tout le monde » (p. 15 du rapport d’entretien) à l’université, respectivement au hammam, sans connaître de quelconques conséquences. Le fait que vous prétendez pour le surplus avoir agi de cette façon afin de vous « venger de ma famille » (p. 15 du rapport d’entretien) ne permet manifestement pas de donner plus de sens à vos dires. Surtout, conviée par l’agent chargé de votre entretien à expliquer comment vous auriez bien pu vous venger de votre famille en embrassant votre copine, votre réponse selon laquelle « Je n’ai pas eu peur d’eux à ce moment-là. A ce moment, j’étais capable de faire n’importe quoi » (p. 16 du rapport d’entretien), ne permet pas non plus d’en tirer un sens quelconque, ni de rendre vos dires plus plausibles.

Un tel comportement paraît d’autant moins plausible que votre prétendue petite-amie (D) aurait, comme vous, eu peur que sa famille soit mise au courant de son homosexualité, mais aurait donc tout de même jugé bon de notamment vous embrasser en public et d’informer d’autres étudiants sur votre relation. Force est par ailleurs de constater que vos tentatives de justification d’un tel comportement ne tiennent pas non plus la route et se contredisent. En effet, vous prétendez d’abord de manière non plausible qu’à aucun moment vous n’auriez pensé que votre famille aurait pu découvrir votre homosexualité ou votre relation homosexuelle, respectivement, qu’elle serait mise au courant de cette relation, en vous comportant de telle façon en public. Or, dans le cadre de la relecture de votre entretien, vous avancez soudainement la théorie selon laquelle vous n’auriez en fait pas eu peur de votre famille et que « Je n’attendais que la bourse pour partir » (p. 16 du rapport d’entretien). Finalement, vous prétendez que ni vous, ni (D) n’auriez eu peur que vos familles ne découvrent votre relation et vous vous expliquez votre comportement en public par de la simple immaturité.

Ajoutons encore dans ce contexte qu’étant donné que vous présentez vous-même votre famille comme étant très religieuse, il ne fait pas de sens non plus que vous prétendez que vous n’auriez tout simplement pas pris au sérieux les menaces d’une de vos cousines d’informer vos parents sur votre relation homosexuelle alléguée si vous n’y mettiez pas fin.

Vos déclarations quant à votre prétendue homosexualité, votre prétendue relation homosexuelle ou encore la prétendue découverte de celle-ci par vos parents sont en tout cas truffées d’incohérences et n’emportent par conséquent pas conviction. Ce constat vaut d’autant plus que, comme déjà susmentionné, il n’est dans un tel contexte pas crédible non plus qu’une personne homosexuelle qui voudrait éviter les lois répressives de son pays d’origine concernant l’homosexualité décide de s’installer pendant la prochaine dizaine d’années, et sans raison apparente, dans le pays musulman voisin où l’homosexualité serait pareillement interdite ; où elle aurait alors pour le surplus des relations sexuelles avec des hommes dans le cadre de soirées arrosées et déciderait même de rester dans ce pays après pourtant avoir envoyé sa fille en Europe [en se tenant aux déclarations de votre fille].

Concernant votre prétendu vécu en Libye et le prétendu viol dont vous y auriez été victime, force est en outre de constater que vos déclarations ne sont pas concordantes. Ainsi, vous prétendez initialement que vous auriez été obligée de quitter la Libye en 2017 parce que des inconnus seraient entrés chez vous et vous auraient violée. Or, vous prétendez par la suite 10 qu’en fait, « Nous étions un groupe de personnes mixtes. Pendant une soirée bien arrosée, il s’est passé quelque chose. J’ignore qui a fait quoi avec qui », de sorte que vous ne vous rappelleriez en fait plus du tout de ce qui se serait passé, à part le fait que vous seriez « convaincue que l’un d’entre eux est l’auteur de ce viol. Encore une fois, je suis incapable d’exprimer ce qu’il m’est arrivé par peur des représailles. En Libye, c’est compliqué » tout en vous souvenant étonnement que « quelqu’un me faisait quelque chose ». Hormis l’absurdité de cette dernière excuse, alors que vous ne vous trouvez plus en Libye et que vous ne devriez évidemment pas subir des quelconques représailles au Luxembourg pour parler de ce qui vous serait arrivé en Libye, force est en tout cas de constater qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à votre récit totalement décousu et vague concernant le prétendu viol subi.

Ce constat vaut d’autant plus que vous présentez initialement votre grossesse et votre fille comme le résultat de ce viol. Or, votre fille est née en …, de sorte qu’il fait évidemment encore moins de sens de prétendre, comme vous l’avez fait initialement, que vous auriez dû fuir la Libye en 2017 parce que vous y auriez été violée par des inconnus qui seraient entrés chez vous. Ensuite, vous changez toutefois de version, en prétendant qu’en fait, vous ne sauriez pas si ledit « viol » pendant la soirée arrosée aurait conduit à votre grossesse. Vous expliquez du coup entre les lignes avoir eu d’autres relations sexuelles avec un - ou plusieurs autres hommes tout en ne vous rappelant pas de l’identité du père biologique de votre fille.

Au vu de tout ce qui précède, il est en tout cas établi qu’aucune sincérité ne saurait être accordée à votre récit totalement vague et à vos dires qui soit se contredisent, soit sont incohérents, soit ne sont tout simplement pas plausibles.

Le non-sérieux de votre demande de protection internationale est pareillement souligné par l’histoire manifestement peu convaincante aux termes de laquelle vous auriez survécu à une tentative de meurtre de votre famille en Tunisie en 2007. En effet, il n’est clairement pas crédible que des membres de votre famille aient voulu vous tuer lorsque vous auriez dormi en vous frappant avec un hachoir sur la tête, mais que vous auriez survécu à cet acte parce que votre bras se serait trouvé sur votre tête et aurait absorbé le seul coup reçu. Hormis votre description frôlant l’absurde de ce qui serait arrivé cette nuit, soulevons encore qu’il ne fait pas de sens non plus que vos agresseurs auraient estimé que vous seriez morte après avoir reçu ce coup unique sur le bras, théorie que vous avancez pour expliquer pourquoi vos agresseurs ne vous auraient frappée qu’une seule fois et vous auraient tout simplement laissée dans le lit et seraient repartis. Surtout, il ne fait aucun sens de prétendre que votre famille aurait voulu vous tuer, mais qu’elle vous aurait par la suite conduite à l’hôpital pour y être soignée et qu’elle vous aurait même emmenée pendant des mois chez un physiothérapeute pour rééduquer votre bras fracturé.

Enfin, il échet de constater que vous êtes par ailleurs restée en défaut de verser une quelconque pièce qui serait en mesure de prouver ne serait-ce qu’une partie de vos dires. En effet, depuis votre séjour en Europe en 2017 et du moins depuis votre séjour au Luxembourg en 2021, vous n’avez pas jugé utile de verser une pièce quelconque susceptible de prouver vos dires en lien avec vos prétendues craintes concernant un retour en Tunisie, votre prétendue homosexualité et vos relations homosexuelles passées, votre situation familiale ou vos problèmes familiaux, votre situation personnelle et professionnelle, respectivement, concernant votre vécu en Tunisie ou en Libye, mis à part la copie d’une lettre informant que vous auriez travaillé comme … en Libye de juin … à avril 2013. Vous n’avez d’ailleurs même pas jugé utile de verser une pièce quelconque permettant de vous identifier, tout en précisant que votre carte d’identité se trouverait chez une copine en Allemagne. Notons encore à toutes fins utiles qu’au vu des copies de diplômes versées, il ne saurait d’ailleurs même pas être retenu que vous auriez effectivement vécu en Libye depuis 2007, respectivement, que vous n’auriez par la suite plus 11 vécu en Tunisie alors que vous auriez donc suivi une formation d’… de 2011 à 2014 au sein d’une institution tunisienne et que vous auriez obtenu votre diplôme à Tunis en 2013 après avoir réussi avec succès votre « Abschlussprüfung ». Il n’est pas établi où vous auriez travaillé depuis 2014, respectivement, il ne saurait nullement être exclu que vous tenteriez depuis de trouver un travail en lien avec vos diplômes.

Au vu de tout ce qui précède, aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos dires et il doit être conclu que vous avez décidé de faire part d’un récit inventé de toutes pièces dans le but évident de ne pas devoir mentionner les motifs familiaux, de convenance personnelle ou économiques qui fondent en réalité votre demande de protection internationale. De tels motifs ne sauraient toutefois pas justifier l’octroi d’une protection internationale.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Tunisie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2023, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 8 mai 2023 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 17 juin 2024, le tribunal reçut en la forme le recours en réformation, et le déclara fondé en ce sens qu’il a retenu le récit de Madame (A) comme étant crédible et renvoya le dossier au ministre compétent.

Pour arriver à cette conclusion, le tribunal retint de prime abord que le défaut d’avoir déposé une demande de protection internationale dans d’autres pays européens traversés par Madame (A) n’entraînerait pas automatiquement le refus d’une protection internationale ni un manque de crédibilité du récit, tout en estimant que la demanderesse avait expliqué de manière plausible son trajet, qu’il ne pourrait lui être reproché d’avoir eu pour but de se rendre aux Pays-Bas et que ce serait en raison des circonstances liées à son enregistrement en Croatie, de son renvoi dans ce pays par les autorités néerlandaises, du dépôt de deux demandes de protection internationale en Allemagne et de la présence fortuite de sa fille au Luxembourg, qu’elle aurait décidé de s’y rendre pour déposer une demande de protection internationale.

Le tribunal retint, par ailleurs, qu’il n’existerait pas de véritables contradictions ou incohérences sur les points fondamentaux du récit de Madame (A), en relevant que celle-ci aurait été constante sur les raisons de sa fuite, en renvoyant à la fiche des motifs remplie lors du dépôt de sa première demande de protection internationale le 7 août 2019, à l’entretien avec la police du lendemain, aux faits relatés dans le jugement du 25 novembre 2019 et aux indications fournies dans la fiche de motif lors du dépôt de la deuxième demande de protection internationale le 18 octobre 2021 et lors de ses entretiens subséquents.

Les premiers juges reprochèrent encore au ministre d’avoir interprété de façon erronée des éléments de son récit pour remettre en cause la crédibilité globale de celui-ci. Ainsi, le ministre aurait considéré à tort que la dénommée (D), avec laquelle la demanderesse aurait eu une relation amoureuse, serait sa cousine. Il aurait encore erronément situé le viol en Libye, ayant abouti à la naissance de sa fille en …, en l’année 2017 et aurait erronément qualifié devolontaire son retour en Tunisie en vue de son accouchement, tandis que la demanderesse avait expliqué qu’elle y serait retournée pour donner naissance à sa fille et pour se marier puisqu’elle aurait risqué la prison si elle avait accouché d’un enfant illégitime en Libye.

Pour le surplus, les premiers juges reprochèrent au ministre une analyse tendancieuse des faits puisque le ministre aurait considéré comme non plausibles (i) le fait que deux femmes homosexuelles tunisiennes décident de vivre librement leur relation, tout en estimant que les explications de la demanderesse, selon lesquelles elle pensait que sa famille n’en aurait pas connaissance, qu’elle était immature et dans la défiance et qu’elle comptait sur son proche départ du domicile familial, ne tiendraient pas la route et se contrediraient, (ii) le fait qu’une personne qui voudrait éviter les lois répressives de son pays d’origine concernant l’homosexualité s’installe dans un autre pays interdisant pareillement l’homosexualité, alors que Madame (A) aurait expliqué qu’elle avait voulu s’éloigner de sa famille pour sauver sa vie et gagner de l’argent pour quitter la Lybie, explications que les premiers juges considérèrent comme plausibles, (iii) les explications au sujet de la tentative de meurtre en 2007, alors que la demanderesse aurait expliqué de façon plausible les circonstances de cet incident.

Les premiers juges relevèrent encore que la demanderesse aurait fourni un récit détaillé de son vécu en répondant à toutes les questions lui posées et ce de façon cohérente sans se contredire et que, par ailleurs, elle aurait amplement pris position dans son recours sur les points remis en cause par le ministre et aurait présenté les pièces en sa possession, en l’occurrence un acte de mariage, un acte de naissance, ainsi que des documents concernant sa formation professionnelle.

En guise de conclusion, ils considérèrent le récit comme globalement cohérent et plausible sans être contredit par un élément objectif du dossier. Comme le ministre avait rejeté la demande de protection internationale sur base de la seule considération tenant à un défaut de crédibilité, les premiers juges renvoyèrent le dossier devant le ministre pour se prononcer sur le caractère fondé de la crainte de Madame (A).

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 17 juillet 2024, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a régulièrement relevé appel de ce jugement du 17 juin 2024.

Arguments des parties A l’appui de son appel, l’Etat reprend en substance les faits et rétroactes tels que repris dans la décision ministérielle litigieuse.

Il fait de prime abord valoir que le fait d’avoir introduit six demandes de protection internationale dans cinq pays différents de l’Union entre décembre 2017 et octobre 2021 ferait preuve d’un abus évident des procédures d’asile. L’Etat donne à considérer qu’une personne réellement persécutée ou risquant de subir des atteintes graves introduirait sa demande de protection internationale dans le premier pays sûr dans lequel elle se trouve et ce dans les plus brefs délais, tandis que l’intimée aurait d’abord refusé de rechercher une protection en Europe avant d’entamer un voyage à travers ce continent et en ne jugeant même pas nécessaire d’attendre la réponse des différentes autorités à ses demandes de protection internationale. Ce comportement prouverait qu’elle n’était pas réellement à la recherche d’une protection.

L’Etat donne encore à considérer que les motifs de fuite avancés auraient d’ores et déjà été examinés par plusieurs Etats membres de l’Union européenne qui ne lui auraient pas accordé une protection internationale de ce fait.

S’agissant de l’Allemagne, au-delà du fait qu’elle y aurait introduit deux demandes de protection internationale, ayant été refusées, l’intimée y serait encore fichée pour « Falschbeurkundung » et serait connue sous cinq identités différentes, ce qui, d’après l’Etat, prouverait son comportement malhonnête et établirait qu’elle ne jouerait pas franc-jeu avec les autorités. Dès lors, le fait de mentir à plusieurs reprises sur un élément sur son identité constituerait un élément fondamental d’une personne et permettrait de remettre en doute la crédibilité de l’intimée et de jeter le discrédit sur le reste de son récit.

Les premiers juges auraient dès lors à tort retenu que ce comportement ne trahirait aucun manque de crédibilité et que le choix d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg se justifierait au regard des éléments factuels de l’espèce.

Or, à cet égard, l’Etat fait valoir qu’un demandeur de protection internationale ne devrait pas opérer de choix du pays dans lequel il souhaite obtenir une protection, mais devrait a priori être soulagé d’avoir finalement atteint un pays sûr.

Le constat que l’intimée abuse du système d’asile serait encore renforcé par le fait qu’elle avait envoyé sa fille mineure, âgée de … ans à l’époque, toute seule en Europe afin qu’elle puisse bénéficier de conditions procédurales plus favorables en tant que mineure non accompagnée, en acceptant le risque que son enfant, vulnérable, serait livrée à elle seule à des milliers de kilomètres de sa mère et risquerait de subir des traumatismes importants pendant tout ce temps.

Ensuite, l’Etat critique les premiers juges pour avoir conclu à l’absence de véritables contradictions et d’incohérences sur des points fondamentaux du récit de l’intimée.

A cet égard, il donne à considérer que la découverte de l’homosexualité de l’intimée par sa famille ne serait pas convaincante, en affirmant qu’il serait peu crédible que deux femmes homosexuelles tunisiennes décident de vivre librement leur relation amoureuse en 2007 dans un pays où l’homosexualité serait interdite en s’affichant publiquement ensemble et en s’embrassant en public. Ce comportement serait d’autant plus incompréhensible au regard de l’affirmation de l’intimée d’avoir affiché ce comportement afin de se venger de sa famille, sans toutefois donner les raisons de cette vengeance. Par ailleurs, l’Etat donne à considérer que même à admettre que l’intimée n’avait, à ce moment-là, pas peur de sa famille, elle aurait toutefois toujours pu craindre des sanctions des autorités de son pays d’origine en affichant ouvertement son homosexualité.

L’Etat relève encore que, selon l’intimée, son amie (D) aurait véritablement craint que sa propre famille soit mise au courant de son homosexualité, ce qui rendrait d’autant plus incompréhensible le fait d’afficher leur homosexualité au grand jour en s’embrassant en public.

Les explications de cette dernière seraient encore incompréhensibles puisqu’elle avait déclaré, d’une part, qu’elle n’aurait pas pensé que sa famille aurait pu découvrir son homosexualité et, d’autre part, que de toute façon elle n’aurait pas eu peur de sa famille puisqu’elle était sur le point de partir de son pays.

Au vu de ces déclarations divergentes, l’Etat conclut que l’intimée ne serait en réalité pas homosexuelle.

Il ne serait pas non plus crédible qu’une personne homosexuelle, voulant éviter les lois répressives de son propre pays d’origine, décide de s’installer pendant une dizaine d’années dans un autre pays musulman voisin, à savoir la Libye, où l’homosexualité est pareillement interdite.

Par ailleurs, les déclarations de l’intimée quant à son homosexualité, sa relation homosexuelle ou encore la découverte de celle-ci par les parents seraient truffées d’incohérences manifestes et flagrantes.

L’Etat donne à considérer, s’agissant de l’identité de la personne ayant révélé l’homosexualité, que la précision fournie par l’intimée selon laquelle ce serait sa cousine, qui ne serait pas sa petite-amie, qui aurait révélé son homosexualité à sa famille, ne changerait pas le défaut de crédibilité du récit.

En ce qui concerne la description de la tentative de meurtre, l’Etat fait valoir que si la description des faits ne faisait certes pas ressortir de véritable contradiction, elle traduirait cependant des incohérences sur les points fondamentaux du récit susceptibles de remettre en cause la réalité des faits.

A cet égard, il serait peu crédible qu’une partie des membres du noyau familial de l’intimée ait voulu mettre fin à ses jours, tandis que l’autre partie ait voulu lui porter secours le lendemain en l’emmenant à l’hôpital et en prenant même le risque d’une dénonciation.

La partie étatique relève, par ailleurs, l’absence de preuves, telles que des rapports médicaux, des factures, des séances de physiothérapie ou encore des photographies des blessures.

Enfin, l’Etat insiste sur la considération que l’explication fournie par l’intimée selon laquelle elle aurait voulu gagner de l’argent en allant en Lybie ne justifierait pas la longue durée du séjour en Libye. L’Etat est, au contraire, d’avis que le comportement de l’intimée permet plutôt de retenir que celle-ci avait vécu et travaillé de manière paisible pendant 10 ans en Libye avant de prendre la décision de quitter ce pays et de recommencer une nouvelle vie en Europe et ce pour des raisons de pure convenance personnelle et économiques.

S’agissant des critiques des premiers juges en ce qui concerne le viol que l’intimée aurait subi en Libye en … et la naissance de sa fille en …, l’Etat donne à considérer que le ministre n’aurait jamais situé la naissance de la fille de l’intimée en 2017, tel que les premiers juges l’avaient relevé. Toutefois, là encore l’intimée n’aurait pas été claire et cohérente dans ses explications puisqu’elle n’aurait jamais indiqué avoir été violée à deux reprises en Libye, à savoir en … et 2017, clarification qui n’aurait été donnée que plus tard par son mandataire dans le cadre du recours. En substance, l’Etat insiste sur les explications portant à confusion et vagues telles que fournies par l’intimée à ce sujet.

L’Etat s’interroge encore sur la circonstance que l’intimée avait quitté la Tunisie sans sa copine et fait, par ailleurs, valoir que celle-ci aurait eu plusieurs relations sexuelles avec des hommes en Libye, aurait eu un enfant, se serait mariée avec un homme et resterait en défaut de démontrer avoir eu une quelconque relation homosexuelle en Libye. A partir de ces éléments, l’Etat met en question la réalité de l’homosexualité affirmée.

S’y ajouterait encore que l’intimée ne démontrerait pas qu’elle vivrait ouvertement son homosexualité depuis son arrivée en Europe, l’Etat donnant à considérer que si elle avait effectivement quitté son pays d’origine pour vivre librement son homosexualité, il serait pour le moins étrange qu’elle n’avait eu aucune relation avec une femme en Europe.

En troisième lieu, le délégué du gouvernement insiste sur le retour volontaire de l’intimée en Tunisie pour y accoucher, attitude qui ne serait pas compatible avec celle d’une personne persécutée ou risquant des atteintes graves dans son pays d’origine. Là encore l’Etat estime que le fait que l’intimée s’est installée en Lybie, pays musulman où l’homosexualité est interdite et qui serait par ailleurs en proie à une guerre civile, et y a travaillé pendant 10 ans en tant qu’… tout en étant mariée à un homme vivant toujours en Libye ne ferait que confirmer qu’elle n’éprouve aucune crainte en raison de sa prétendue homosexualité et que, par ailleurs, elle ne serait pas homosexuelle.

L’Etat en conclut que l’intimée ne se serait jamais trouvée dans une situation d’urgence engendrant un besoin impérieux de rechercher une protection contre des agressions homophobes. Le fait qu’elle avait envoyé sa fille mineure avec une connaissance en Europe en décidant de rester en Libye pour une raison inconnue, ne ferait que confirmer ce constat.

Pour le surplus, l’Etat donne à considérer que le seul fait d’avoir donné un récit sur une vingtaine de pages ne rendrait pas automatiquement son récit crédible, la longueur d’un entretien sur des motifs n’étant pas un gage de crédibilité et de sincérité du demandeur de protection internationale.

S’agissant de la fourniture de pièces que les premiers juges avaient avancée pour conclure à la crédibilité du récit de l’intimée, l’Etat donne à considérer que les pièces versées ne permettraient pas de confirmer la version des faits telle que présentée par l’intimée, puisqu’elles seraient sans lien avec les motifs de fuite invoqués mais démontrerait uniquement qu’elle avait travaillé en Libye et qu’elle s’est mariée avec un homme.

Enfin, le délégué du gouvernement reproche aux premiers juges d’avoir retenu à charge du ministre un examen tendancieux des faits.

L’intimée conclut au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement a quo.

Elle fait valoir que le fait d’avoir introduit plusieurs demandes de protection internationales ne serait pas de nature à décrédibiliser son récit, tout en renvoyant à l’article 10, paragraphe (1), de la loi du 8 décembre 2015.

Elle donne à considérer qu’elle n’aurait fait usage d’aucun faux papier en Allemagne, mais que les autorités allemandes auraient pris l’original de son passeport qui ne lui aurait toujours pas été rendu.

Par rapport aux reproches étatiques d’abuser du système d’asile, l’intimée estime que ceux-ci relèveraient d’un jugement de valeur à son égard et d’une analyse tendancieuse des faits. Elle affirme qu’elle n’aurait jamais envoyé sa fille au Luxembourg pour y déposer une demande de protection internationale en tant que mineure non accompagnée, puisqu’elle l’aurait au contraire confiée à une connaissance en Allemagne et que, par la suite, elle aurait été placée en rétention en Croatie, tout en soulignant qu’elle aurait même demandé aux autorités allemandes de transférer l’enfant du Luxembourg vers l’Allemagne ce qui aurait toutefois été refusé, et ce qui expliquerait qu’elle était revenue au Luxembourg.

Par rapport à l’affirmation de la partie étatique selon laquelle les motifs fondant sa demande de protection internationale seraient d’ordre familial et de convenance personnelle et économique, l’intimée reproche au ministre d’oublier « le côté humain et émotionnel de l’histoire », tout en renvoyant à une position du Conseil de l’Europe du 4 mars 1996 au sujet de la preuve des faits et du bénéfice du doute.

S’agissant des doutes du ministre concernant les circonstances de la découverte de son homosexualité alléguée, l’intimée affirme ne pas saisir le sens de cette affirmation, tout en relevant qu’en argumentant que la persécution en Tunisie contre les minorités en raison de leur orientation sexuelle serait tellement forte qu’elle rendrait impossible toute relation intime entre deux femmes, l’Etat reconnaîtrait la réalité des persécutions par les autorités tunisiennes contre les membres de la communauté LGBT.

Par ailleurs, l’Etat n’apporterait aucun argument concret pour remettre en doute son orientation sexuelle.

L’intimée donne ensuite à considérer que l’affirmation du ministre selon laquelle il serait peu crédible que deux personnes du même sexe vivent leur sexualité de façon ouverte en Tunisie poserait problème en ce qu’elle sous-tendrait que les minorités LGBT devraient s’abstenir de vivre pleinement leur orientation sexuelle pour échapper à des persécutions. Dans ce contexte, elle se prévaut d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 7 novembre 2013, affaires jointes n° C199/12 à C201/12, dont il se dégagerait que les autorités compétentes ne pourraient pas s’attendre à ce que, pour éviter le risque de persécutions, le demandeur d’asile dissimule son homosexualité dans son pays d’origine ou fasse preuve de réserve à cet égard.

L’intimée revendique être athée et faire partie de la communauté LGBT, tout en soulignant que la Tunisie criminaliserait l’homosexualité et renvoie au Code pénal tunisien.

Dès lors, son retour en Tunisie ne serait pas viable puisqu’elle ne pourrait pas y vivre librement et afficher son orientation sexuelle.

Dans ce contexte, elle renvoie encore à des rapports d’Amnesty International et de l’ONG Human Rights Watch.

S’agissant du fait de s’être installée pendant 10 ans en Libye, l’intimée donne à considérer qu’elle n’avait pas pour but principal de s’y installer et d’y rester, mais qu’elle aurait voulu gagner suffisamment d’argent pour quitter la Libye et surtout s’éloigner de la Tunisie, ainsi que de tous pays musulmans. Elle se serait réfugiée en Libye pour échapper principalement à sa famille, mais qu’arrivée en Lybie, elle s’y serait retrouvée « coincée », dans la mesure où la guerre y régnait et qu’elle n’avait pas assez d’argent pour partir. Elle aurait dû travailler et mettre de côté de l’argent pour pouvoir espérer vivre mieux et offrir une vie qualitative à sa fille.

L’intimée poursuit qu’elle n’aurait jamais affiché son homosexualité en public en Tunisie, mais uniquement dans les salles à l’université, tout en soulignant qu’il se serait agi d’une petite université fermant les portes à 20.00 heures. Elle-même aurait pensé que sa famille n’allait pas découvrir son orientation sexuelle et son amie (D) ne serait pas originaire de la même région, de sorte que la famille de celle-ci n’aurait pas été au courant de son orientation sexuelle.

L’intimée renvoie ensuite aux explications données par elle lors de son entretien à propos de la tentative de meurtre par sa mère et son frère, tout en insistant sur les séquelles qu’elle porterait toujours, à savoir des cicatrices.

Elle souligne qu’elle n’aurait pas indiqué que ses agresseurs l’ont prise pour morte, mais qu’ils l’auraient frappée et seraient repartis.

L’intimée souligne encore que la partie étatique aurait confondu deux situations distinctes, à savoir un premier viol ayant eu lieu en 2007 et un deuxième ayant eu lieu en 2017, qu’elle aurait précisé lors de son entretien qu’il y avait eu deux viols distincts et qu’elle n’aurait pas eu l’intention de mentir puisqu’elle avait présenté l’acte de naissance de sa fille.

Par rapport au premier viol, elle souligne qu’elle ignorerait l’identité de l’auteur, ce qui expliquerait qu’elle avait demandé à Monsieur (C) de donner, contre paiement, son nom à sa fille. S’agissant du second viol en 2017, elle déclare avoir peur de représailles puisque son ancien conjoint y vivrait toujours.

Par ailleurs, elle fait valoir que si le ministre avait eu un doute sur ses déclarations, il aurait dû la convoquer à un nouvel entretien.

S’agissant de la considération avancée par la partie étatique selon laquelle elle n’aurait pas affiché son orientation sexuelle en Europe, elle fait valoir que cette question relèverait de sa sphère privée, tout en soulignant qu’elle aurait subi de nombreux traumatismes du fait de la tentative de meurtre, des deux viols, d’avoir vécu la grossesse seule, d’avoir été placée en rétention en Croatie et de la séparation avec sa fille.

L’intimée insiste encore sur la considération que la qualification de « retour volontaire » en Tunisie ne pourrait être retenue, puisqu’elle aurait été obligée d’y retourner dans la mesure où les conditions pour accoucher en Libye en toute sécurité n’auraient pas été accessibles, Monsieur (C) ayant fait le trajet avec elle pour effectuer les démarches pour donner son nom à l’enfant en échange d’une somme d’argent.

S’agissant du reproche de la partie étatique d’avoir envoyé sa fille seule en Europe, l’intimée donne à considérer qu’elle n’était plus en Libye au moment où sa fille a été emmenée au Luxembourg par son amie et qu’à ce moment-là elle était détenue en Croatie.

Enfin l’intimée souligne qu’elle se serait efforcée de répondre à toutes les questions de manière cohérente et sans se contredire et qu’en cas de doute, il aurait appartenu au ministre de lui poser des questions additionnelles.

Dans son mémoire additionnel, autorisé par la Cour afin de permettre aux parties de prendre position par rapport aux pièces additionnelles dont la communication avait été demandée par la Cour à l’audience des plaidoiries du 5 novembre 2024 et ayant trait aux déclarations de la fille de l’intimée, Madame (A) fait valoir qu’elle avait déclaré être partie de la Lybie vers la Turquie en septembre 2017, ce qui serait concordant avec les éléments du dossier administratif et plus particulièrement avec le rapport de police du 18 octobre 2021 et le résultat du fichier EURODAC, dont il ressortirait qu’elle avait donné ses empreintes en Slovénie le 8 décembre 2017, aux Pays-Bas le 7 janvier 2018, en Allemagne le 23 mai 2018, en Croatie le 13 novembre 2018 et de nouveau en Allemagne le 3 décembre 2018.

Elle conteste avoir envoyé sa fille « en éclaireur » toute seule en Europe. Elle donne à considérer que les déclarations de sa fille lors de sa propre audition, selon lesquelles elle serait partie sans sa mère en Europe en 2018 accompagnée d’une copine de celle-ci qui, elle, serait restée en Libye, ne serait pas concordante avec le résultat des recherches EURODAC, dont il se dégagerait qu’elle avait quitté le territoire libyen depuis septembre 2017.

Par ailleurs à la date du 19 juillet 2018, à laquelle son enfant a été déposé au Luxembourg, elle se serait déjà trouvée sur le territoire européen, l’intimée déclarant qu’elle aurait confié son enfant à une connaissance en Allemagne à une époque où elle était détenue en Croatie. A son retour en Allemagne, elle aurait demandé aux autorités allemandes de transférer son enfant du Luxembourg vers l’Allemagne, demande qui aurait été rejetée, ce qui expliquerait qu’elle serait de nouveau venue au Luxembourg pour être réunie avec sa fille.

L’intimée poursuit que l’affirmation du ministre selon laquelle son enfant aurait été envoyé en Europe « en éclaireur » se baserait sur des déclarations d’un enfant âgé de … ans au moment des faits et de … ans au moment de l’entretien, de sorte qu’il ne pourrait être exclu que l’enfant ait confondu le départ de l’Allemagne où elle l’avait effectivement laissé auprès d’une amie et le départ de la Libye.

Enfin, l’intimée critique la partie étatique pour n’avoir déposé que des pièces « soigneusement sélectionnées » du dossier administratif de sa fille et demande à la partie étatique de verser l’intégralité de ce dossier.

Dans son mémoire additionnel, la partie étatique déclare verser l’intégralité du dossier administratif de la fille mineure de l’intimée.

Pour le surplus, elle insiste sur la considération que le 19 juillet 2018, l’enfant (B), âgé à l’époque de … ans, aurait été déposée au Luxembourg par une connaissance, de sorte qu’il faudrait en déduire que l’intimée avait envoyé sa fille seule au Luxembourg pour y introduire une demande de protection internationale.

A supposer que l’enfant soit partie ensemble avec sa mère de Libye et que l’enfant ait confondu le départ de la Libye avec celui de l’Allemagne, la partie étatique donne néanmoins à considérer que l’intimée aurait abandonné son enfant lors de son séjour en Europe, ce qui correspondrait à un comportement irresponsable et qui démonterait que l’intimée tenterait d’abuser du système d’asile et de bénéficier de conditions procédurales plus favorables afin de pouvoir rejoindre sa fille mineure au Luxembourg par le biais d’un regroupement familial.

Au regard des traumatismes potentiels dans le chef de l’enfant se trouvant seule au Luxembourg, il serait d’autant plus inconcevable qu’une personne à la recherche d’une protection décide d’envoyer seul son propre enfant vulnérable.

Le désintérêt de l’intimée par rapport à sa fille serait d’autant plus confirmé par le fait que celle-ci se trouverait dans un foyer de la Croix Rouge et que l’intimée n’avait fait aucune démarche afin de récupérer la garde de son enfant qui lui avait été retirée.

Dès lors, face au désintérêt affiché par l’intimée par rapport à sa fille, il conviendrait de retenir que l’ensemble des éléments figurant au dossier administratif ne pourrait mener qu’au constat que l’intimée n’est pas crédible et profite du mécanisme de protection internationale pour pouvoir s’installer en Europe en utilisant sa fille pour ce faire.

Analyse de la Cour La Cour relève de prime abord que l’Etat a déposé le dossier administratif relatif à la fille de l’intimée. La demande de celle-ci de verser ce dossier en intégralité, indépendamment de la question du caractère fondé de cette demande, n’est dès lors pas à examiner par la Cour.

En ce qui concerne le renvoi aux écrits de première instance fait par l’intimée, la Cour rappelle qu’elle est saisie dans la limite des prétentions des parties, telles que concrétisées à travers les moyens invoqués dans leurs requête ou mémoires. Il s'ensuit que sauf l'hypothèse des moyens à soulever d'office, elle n'est pas amenée à prendre position par rapport aux moyens qui ne figurent pas dans les conclusions d'appel, de sorte qu'elle n'est pas tenue de répondre aux conclusions de première instance auxquelles se réfèrent simplement les conclusions d'appel.

La Cour relève ensuite que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2 sub f), 2 sub h), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que doit être considérée comme réfugié toute personne qui a une crainte fondée d’être persécutée et que la reconnaissance du statut de réfugié est notamment soumise aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2 sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés 20 de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Dans le cadre de l’examen au fond d’une demande de protection internationale, l’évaluation de la situation personnelle d’un demandeur d’asile ne se limite point à la pertinence des faits allégués, mais elle implique un examen et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit de ce dernier constituant, en effet, un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Sous cet aspect, la Cour relève que si, selon l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur de protection internationale bénéficie du doute, c’est à condition que son récit puisse être considéré comme crédible, qu’il se soit réellement efforcé d’étayer sa demande, ait livré tous les éléments dont il disposait et que ses déclarations soient cohérentes et ne soient pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, étant relevé que le principe du bénéfice du doute est, en droit des réfugiés, d’une très grande importance, alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.

La Cour constate que selon les déclarations de l’intimée faites lors de son entretien au sein du ministère, réitérées dans le cadre de la procédure contentieuse, sa demande de protection internationale est motivée par sa crainte de représailles de la part de sa famille vivant en Tunisie, dont certains membres auraient tenté de la tuer en 2007, en raison de son orientation sexuelle, et de sanctions de la part de l’Etat tunisien pour les mêmes motifs, tandis que l’Etat remet en question tant la réalité de l’homosexualité alléguée que celle du récit en tant que tel.

Il est certes vrai qu’un certain nombre de contradictions et d’incohérences relevées par l’Etat reposent sur une mauvaise compréhension des déclarations de l’intimée, tel par exemple la prétendue confusion en ce qui concerne l’identité de la personne qui aurait informé les parents de l’intimé de son orientation sexuelle ou encore la confusion au niveau de la date du viol allégué et de la naissance de la fille de l’intimée, voire n’emportent pas la conviction, tel que le reproche que l’intimée aurait fourni des explications divergentes au sujet des motifs à la base de sa demande de protection internationale, alors que, tel que le tribunal l’a relevé, ses déclarations à ce sujet sont restées globalement constantes.

Il est encore vrai que l’intimée a donné des réponses aux questions lui posées lors de son entretien et que ces explications ont été notées dans un rapport volumineux.

Néanmoins, malgré ce constat, la Cour relève un certain nombre d’éléments qui sont de nature à semer le doute sur la sincérité des dires de l’intimée et surtout sur la réalité et le sérieux des craintes dont elle se prévaut, de sorte que globalement son récit n’est pas crédible.

La Cour note de prime abord des contradictions flagrantes entre le récit de l’intimée donné durant ses entretiens des 12 septembre et 28 octobre 2022 et celui de sa fille donné lors de l’entretien tenu le 5 mars 2020 et retranscrit dans un rapport ayant été versé aux débats en instance d’appel à la demande de la Cour au sujet du trajet pour venir au Luxembourg.

En effet, si l’intimé a déclaré lors de ses entretiens qu’elle aurait quitté la Lybie ensemble avec sa fille en septembre 2017 et que l’arrivée de celle-ci toute seule au Luxembourg en juillet 2018 s’expliquerait par le fait qu’une connaissance, auprès de laquelle elle l’aurait laissée en Allemagne, l’aurait amenée au Luxembourg, sa fille déclare que sa mère l’aurait envoyée seule au Luxembourg depuis la Lybie, ensemble avec une amie dénommée Leila, et que sa mère serait restée en Lybie et serait partie plus tard.

Si l’intimée entend attribuer les déclarations de sa fille à une confusion s’expliquant par son jeune âge et si elle insiste sur la considération que ses empreintes avaient déjà été prises en décembre 2017 en Slovénie, ce dont elle déduit qu’elle n’aurait pas quitté la Lybie après sa fille, la Cour relève toutefois encore d’autres incohérences entre les déclarations de l’intimée et de sa fille au sujet du trajet pour venir au Luxembourg : ainsi, sa fille fait état d’un trajet en bateau de la Lybie en Italie, puis en bus de l’Italie au Luxembourg, tandis que l’intimée déclare avoir quitté … en avion vers …, puis avoir voyagé en avion en Serbie, ensuite vers la Croatie où elle était restée un mois, en Slovénie, où elle était restée une semaine, puis en Italie, en France, aux Pays-Bas et en Allemagne1, de sorte qu’il convient de s’interroger sur les réelles circonstances de ce trajet et surtout sur la question de savoir si, comme l’intimée l’affirme, elle a quitté la Lybie ensemble avec sa fille et a par suite voyagé avec elle et n’aurait été séparée d’elle qu’en Allemagne.

Par ailleurs, la fille de l’intimée a déclaré que sa mère lui aurait dit de mentir sur sa date de naissance et de dire qu’elle serait née en … afin de retarder son renvoi en Tunisie à l’âge de 18 ans, alors qu’en réalité elle serait née en …, tandis que l’intimée a longuement insisté sur la considération qu’elle serait tombée enceinte de sa fille à la suite d’un viol durant une soirée alcoolisée en Lybie en … peu de temps après qu’elle a quitté son pays d’origine et qu’elle serait retournée en 2008 en Tunisie pour s’y marier avec un homme rencontré en Lybie et qu’elle aurait payé pour donner son nom à sa fille, puisqu’il n’aurait pas été possible d’accoucher en tant que femme seule en Lybie.

Ensuite, la Cour constate un certain nombre d’invraisemblances qui affectent la crédibilité globale du récit en tant que tel de l’intimée et par suite le sérieux de ses craintes.

A cet égard, la Cour relève que l’affirmation d’avoir quitté la Tunisie au motif de craintes des peines prévues par la loi tunisienne et du rejet de sa famille en raison de son orientation sexuelle, pour aller dans un autre pays musulman dans lequel l’homosexualité est pareillement interdite et où elle risquerait pareillement des réactions homophobes de la population, n’est guère cohérente.

Si l’affirmation de l’intimée qu’elle se serait rendue en Libye pour y gagner suffisamment d’argent pour fuir ensuite vers l’Europe pourrait, selon les circonstances, être 1 Page 7 du rapport d’entretiencrédible, cet argument n’est toutefois guère convaincant dans les conditions de l’espèce, dans la mesure où elle n’explique pas pourquoi elle est restée dans ce pays pendant 10 ans.

Il est, par ailleurs, incompréhensible pourquoi l’intimée, qui déclare ne pas avoir pu partir plus tôt de la Lybie à défaut de disposer de ressources suffisantes pour financer une fuite ailleurs, aurait pourtant, peu après son départ de la Tunisie et après en court séjour en Lybie, employé les ressources qu’elle avait pour payer un homme vivant en Lybie pour l’accompagner en Tunisie, l’y marier et y donner naissance à sa fille, au lieu de partir vers un pays susceptible de lui accorder une protection contre les risques qu’elle déclare encourir en raison de son orientation sexuelle.

Ensuite, si le fait d’afficher ouvertement son orientation sexuelle n’est évidemment pas en soi de nature à remettre en question la crédibilité de celle-ci, si l’intimée était parfaitement en droit de ne pas se cacher et si son affirmation qu’elle pensait à l’époque pouvoir afficher son orientation sexuelle sous prétexte d’une certaine immaturité et comptant de toute façon partir du foyer familial, pourrait éventuellement convaincre, il n’en reste toutefois pas moins que les explications données sur les circonstances de la découverte de son orientation sexuelle et le comportement en tant que tel des concernées ne sont guère cohérents. Ainsi, le ministre s’est interrogé de façon pertinente sur la raison pour laquelle l’intimée et la dénommée (D) avaient affiché ouvertement leur relation amoureuse en s’embrassant publiquement, alors même que l’intimée a déclaré que pour le moins (D) avait peur que sa propre famille n’apprenne leur relation, de sorte qu’il est raisonnable d’admettre que cette dernière aurait été soucieuse d’adopter un comportement plutôt discret au lieu de s’afficher publiquement, et ce même dans un cadre restreint d’une petite faculté, et au lieu d’avancer même son homosexualité pour repousser un homme qui se serait intéressé à elle. Par ailleurs, l’intimée explique son comportement à l’université en déclarant tantôt ne pas avoir pensé que ses parents allaient apprendre son homosexualité, de sorte que son attitude serait à attribuer à une certaine insouciance, tantôt affirme avoir affiché son orientation sexuelle de façon délibérée pour se venger de sa famille, de sorte que son attitude serait à attribuer à un comportement délibéré et prémédité. De plus, elle reste en défaut d’expliquer pourquoi elle aurait voulu se venger en prenant un risque à l’égard des autorités, ni n’explique-t-elle en quoi le fait d’afficher son homosexualité puisse avoir un quelconque effet de vengeance à l’égard de sa famille, cette attitude risquant au contraire de l’exposer à l’égard des autorités étatiques au regard des lois dont elle se prévaut elle-même.

Ces invraisemblances doivent être lues à la lumière du comportement affiché par l’intimée entre 2007, la prétendue découverte de son homosexualité alléguée, et sa demande de protection internationale au Luxembourg, qui ne correspond pas à celui d’une personne craignant des représailles de la part de sa famille ou des sanctions dans son pays d’origine en raison d’une relation amoureuse découverte par sa famille. L’intimée a certes quitté la Tunisie mais déclare pourtant y être retournée après un an pour donner naissance à sa fille et se marier.

Un tel retour dans un pays où elle déclare pourtant craindre pour sa vie en raison de son orientation sexuelle, même si le retour était court et selon les dires de l’intimée uniquement pour les besoins du mariage et la naissance de sa fille, est de nature à remettre en question la réalité et le sérieux des craintes dont l’intimée se prévaut par rapport à ce pays. Par ailleurs, elle est restée pendant 10 ans dans un pays, la Lybie, où l’homosexualité est interdite sans avoir rencontré un quelconque problème en raison de l’orientation sexuelle alléguée. S’y ajoute encore qu’elle a traversé plusieurs pays européens sans sentir le besoin d’y déposer une demande de protection internationale et ce n’est qu’en décembre 2017 qu’elle a déposé une telle demande en Slovénie, d’où elle déclare être partie après une semaine, et a transité par l’Italie et la France sans y demander une protection.

La Cour estime encore que la tentative de meurtre dont elle aurait été victime et les circonstances décrites par elle sont douteuses dans la mesure où si certains membres de sa famille avaient réellement eu l’intention de la tuer, ils ne l’auraient pas laissé dans sa chambre à crier et d’autres membres de la famille ne l’auraient pas emmenée à l’hôpital le lendemain.

S’y ajoute que l’intimée n’a produit aucune preuve qui permettrait de retracer ses dires quant aux blessures subies. Si elle a montré une cicatrice, celle-ci pourrait avoir de multiples origines.

Elle n’a toutefois versé aucun document en relation avec les blessures subies, tel que des factures liées à son séjour à l’hôpital, un rapport d’un médecin ou encore des pièces relatives à la physiothérapie qu’elle déclare avoir dû suivre.

Les doutes quant à la réalité de l’homosexualité de l’intimée sont encore nourris par le fait qu’elle n’a pas fait état d’une quelconque relation qu’elle aurait eue après son arrivée en Europe et n’a affiché ouvertement aucun comportement qui permettrait de retracer son orientation sexuelle. Certes, l’absence d’entretenir une relation amoureuse ne met pas per se en question l’orientation sexuelle. Néanmoins en l’espèce, face à un récit incohérent et invraisemblable, ce constat est un indice additionnel qui est de nature à conforter la thèse de la partie étatique.

L’ensemble des circonstances qui précèdent amènent la Cour à retenir, de concert avec la partie étatique, que le comportement global affiché par l’intimée traduit plutôt celui d’une personne ayant quitté son pays d’origine pour des raisons de convenance personnelle, voire pour des raisons économiques, afin de se rendre en fin de compte dans un pays de l’Union européenne de son choix, conclusion qui est encore confortée par le fait que l’intimée a introduit des demandes de protection internationale dans différents pays européens et n’a même pas jugé utile d’attendre le sort réservé à sa demande, tel que cela est relevé par la partie étatique et non contesté par l’intimée, et le fait qu’elle a employé différents alias en Europe, ce qui ne correspond pas au comportement d’une personne craignant pour sa vie dans son pays d’origine dont il est raisonnable d’attendre qu’elle demande une protection dans le premier pays sûr qu’elle atteint et y reste et qui ne cache pas son réelle identité.

Le récit de l’intimée n’étant pas crédible, c’est à bon droit que le ministre lui a refusé l’octroi d’une protection internationale, prise en ses deux volets.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le jugement a quo est à réformer en ce que les premiers juges ont à tort retenu que le récit de l’intimée est crédible et ont de ce fait annulé le refus d’octroi d’une protection internationale et renvoyé le dossier au ministre.

Par réformation du jugement a quo, la Cour est dès lors amenée à rejeter le recours en réformation introduit contre la décision de refus d’une protection internationale.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le recours en réformation dirigé contre le refus d’octroi d’une protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire – est rejeté dans la mesure où ledit refus est justifié et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, ledit ministre a valablement pu assortir son refus d’un ordre de quitter le territoire. Le jugement est dès lors à réformer en ce qu’il a réformé ledit ordre.

En ce qui concerne le moyen fondé sur le principe du non-refoulement, la Cour relève qu’au regard de ce qui vient d’être retenu par rapport au sérieux des craintes de l’intimée en casde retour dans son pays d’origine et à défaut d’autres éléments, la Cour n’entrevoit pas en quoi le principe du non-refoulement n’ait pas été respecté en l’espèce.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 17 juillet 2024 en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation du jugement entrepris du 17 juin 2024, rejette le recours en réformation dirigé contre la décision du 8 mai 2023 portant refus d’octroi d’une protection internationale, par réformation du jugement entrepris du 17 juin 2024, rejette encore le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision, donne acte à l’intimée qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’intimée aux frais et dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller Lynn SPIELMANN, délégué à ces fins en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. SCHROEDER 25


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50763C
Date de la décision : 21/01/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-01-21;50763c ?

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