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19/12/2024 | LUXEMBOURG | N°50834C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 décembre 2024, 50834C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50834C ECLI:LU:CADM:2024:50834 Inscrit le 30 juillet 2024 Audience publique du 19 décembre 2024 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 8 juillet 2024 (n° 46660 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur (A) et consorts, …., contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50834C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 30 juillet 2024

par Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI, agissant au nom ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50834C ECLI:LU:CADM:2024:50834 Inscrit le 30 juillet 2024 Audience publique du 19 décembre 2024 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 8 juillet 2024 (n° 46660 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur (A) et consorts, …., contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50834C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 30 juillet 2024 par Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI, agissant au nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d’un mandat conféré le 24 juillet 2024 par le ministre des Affaires intérieures désormais compétent, dirigé contre le jugement du 8 juillet 2024 (n° 46660 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a reçu en la forme et déclaré justifié le recours en annulation introduit par Monsieur (A), né …. à ….(Erythrée),agissant en son nom personnel et au nom de sa fille, (B), née le …. à …. (Erythrée), demeurant à L-… …, … , …, et par Madame (C), mère de l’enfant (B), demeurant en Ethiopie, tous de nationalité érythréenne, et dirigé contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 avril 2021 rejetant la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (C), de manière à l’annuler et à renvoyer le dossier audit ministre en prosécution de cause;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 octobre 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), agissant en son nom personnel et au nom de sa fille, (B), et de Madame (C), préqualifiés;

Vu le mémoire en réplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 21 octobre 2024;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

1Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 10 décembre 2024.

Le 26 octobre 2017, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 28 juin 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », accorda à Monsieur (A) le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, ci-après la « Convention de Genève », ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 27 juin 2023.

Par courrier de son mandataire du 6 septembre 2018, Monsieur (A) fit introduire une demande de regroupement familial dans le chef de ses trois enfants, (B), née le …., (D), né le …. et (E), né le ….., sur base des articles 69, paragraphe (3), et 70, paragraphe (1), point c), de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 ».

Par courrier du 5 avril 2019, le mandataire de Monsieur (A) informa le ministre de la renonciation de son mandant à sa demande de regroupement familial concernant ses enfants (D) et (E).

Par décision du 23 août 2019, le ministre accorda à l’enfant (B) une autorisation de séjour en qualité de membre de famille.

Le 29 octobre 2019, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère une demande de protection internationale au nom de sa fille (B).

Par décision du 27 novembre 2020, le ministre accorda le statut de réfugié à l’enfant (B), ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 27 juin 2023.

Par courrier du 1er mars 2021, le mandataire de Monsieur (A) et de l’enfant (B) introduisit auprès du ministère une demande de regroupement familial dans le chef de la mère de l’enfant (B), Madame (C), sur base des articles 68 et suivants de la loi du 29 août 2008.

Par décision du 15 avril 2021, le ministre refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« (…) J’accuse bonne réception de votre courrier du 1er mars 2021.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

Tout d’abord l’enfant (B) ne peut pas être considérée comme mineure non-accompagnée étant donné qu’elle a rejoint son père au Luxembourg qui dispose même de la garde unique de 2l’enfant mineur. L’article 70, paragraphe (4) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration n’est donc pas applicable.

Conformément à l’article 70 de la loi du 29 août 2008 précitée « l’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d’origine ».

Or, il ne ressort pas de votre demande que Madame (C) est à charge de son enfant, qu’elle est privée du soutien familial dans son pays d’origine et qu’elle ne peut pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens étant donné que vous ne m’avez fait parvenir aucun document concernant ces conditions.

De même, Madame (C) et Monsieur (A), le père de l’enfant, ne sont pas mariés selon les dires de ce dernier lors de son entretien qui a eu lieu dans le cadre de sa demande de protection internationale en date du 26 février 2018 et votre courrier ne contient pas de document prouvant qu’ils sont conjoints, respectivement partenaires enregistrés. Par conséquent, il n’est pas possible de requalifier la demande comme étant introduite par Monsieur (A) en faveur de sa conjointe et Madame (C) ne saurait être considérée comme membre de famille du père de l’enfant.

Enfin, Madame (C) ne remplit aucune condition afin de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L’autorisation de séjour lui est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008. (…) ».

Par courrier de leur mandataire du 19 juillet 2021, Monsieur (A) et sa fille (B) firent introduire un recours gracieux contre la décision précitée du 15 avril 2021.

Par décision du 10 août 2021, le ministre confirma sa décision de refus de la demande de regroupement familial de Madame (C) à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2021, Monsieur (A), agissant en son nom propre et au nom de sa fille mineure (B), ainsi que Madame (C) firent introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 15 avril 2021 rejetant la demande de regroupement familial dans le chef de cette dernière.

Par jugement du 8 juillet 2024, le tribunal administratif déclara ce recours recevable et fondé et annula la décision ministérielle du 15 avril 2021 portant refus de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (C), tout en renvoyant le dossier audit ministre et en condamnant l’Etat aux frais de l’instance.

Pour ce faire, le tribunal retint tout d’abord que si la demande de regroupement familial au profit de la mère de l’enfant (B) avait été introduite dans les six mois de l’obtention de son statut de réfugié, de sorte que celle-ci bénéficiait de l’exception prévue à l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 et que l’enfant n’était pas à considérer comme une mineure non accompagnée, elle devrait néanmoins également remplir les conditions cumulatives de l’article 70, paragraphe (5), de la même loi, selon lesquelles les ascendants 3désireux de rejoindre le regroupant doivent, premièrement, être à la charge de ce dernier et, deuxièmement, être privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.

Le tribunal conclut ensuite que les demandeurs restaient en défaut d’établir qu’en tant que regroupant, l’enfant (B) apporterait à sa mère un quelconque soutien financier et que sans son soutien matériel, elle ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels, et de la sorte, la première des deux conditions cumulatives de l’article l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008 n’était pas remplie et que la demande ne pouvait pas prospérer sous cet angle. Il en conclut que le ministre avait, a priori, pu à bon droit refuser le regroupement familial dans le chef de la mère de l’enfant (B).

Par contre, le tribunal retint que le refus d’un regroupement familial dans le chef de la mère de l’enfant (B), qui était mineure lors de son arrivée au Luxembourg, tel que matérialisé par la décision litigieuse du 15 avril 2021, était à annuler pour se heurter à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ci-après la « CEDH », au motif qu’il impliquait une atteinte disproportionnée au droit dudit enfant au respect de sa vie privée et familiale et pour être contraire à l’intérêt supérieur protégé par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ci-après la « CIDE ».

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 30 juillet 2024, l’Etat a régulièrement fait entreprendre ce jugement.

A l’appui de son appel, le délégué du gouvernement sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qui concerne le rejet des moyens des demandeurs, à l’exception des moyens d’annulation fondés sur l’article 8 de la CEHD et sur l’intérêt supérieur de l’enfant, en combinaison des articles 3, 9 et 10 de la CIDE.

Il soutient que les premiers juges auraient à tort retenu l’existence d’une vie privée et familiale entre Madame (C) et sa fille (B), préexistante à l’introduction de la demande de regroupement familial du 15 octobre 2020, et que les demandeurs devraient en conséquence bénéficier de la protection prévue à l’article 8 de la CEDH. Il rappelle notamment que l’intimé aurait fourni à l’appui de la demande de regroupement familial une décision d’un tribunal érythréen, en vertu de laquelle la garde unique de la fille aurait été confiée le 5 février 2019 au père à un moment où ce dernier se trouvait déjà au Luxembourg, tout en précisant que ce serait sur la base de cette décision que le regroupement familial entre le père et la fille aurait pu avoir lieu et que le transfert de garde n’aurait eu lieu qu’en vue du regroupement familial. Il soutient dès lors qu’après avoir bénéficié d’un regroupement familial, l’intimé ne saurait, sous peine de se contredire, être admis à invoquer l’article 8 de la CEDH et l’intérêt supérieur de l’enfant relativement à la mère. Il précise que (B) aurait eu 16 ans au moment de la demande de regroupement familial avec la mère et que, contrairement aux premiers juges, elle ne saurait être regardée comme une mineure non accompagnée, dès lors qu’elle serait arrivée au pays en qualité de membre de famille de son père qui en aurait la garde exclusive. Il ajoute que ce serait le départ volontaire de la fille de son pays d’origine et non pas la décision de refus du ministre qui serait à l’origine de la rupture d’une éventuelle vie familiale avec sa mère.

Les intimés concluent au rejet de l’appel en se ralliant en substance à l’analyse des premiers juges.

4Ils font valoir que l’enfant (B) aurait vécu depuis sa naissance jusqu’à son départ d’Erythrée avec sa mère, de sorte qu’il y aurait lieu d’admettre l’existence d’une « cellule familiale stable, intense et préexistante » dans leur chef.

Ce serait partant à bon droit que les premiers juges ont retenu que l’unité familiale entre la mère et la fille devait être préservée, cette unité étant garantie par l’article 8 de la CEDH et par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte », tout comme par l’article 68, point c), de la loi du 29 août 2008 qui viserait à « maintenir l’unité familiale ».

Ils soulignent encore que l’intérêt supérieur de l’enfant exigerait que la mère rejoigne sa fille au Luxembourg afin de réunir à nouveau la cellule familiale, tout en rappelant qu’il serait impossible pour la fille de retourner dans son pays d’origine.

Invoquant encore un arrêt de la Cour administrative du 21 avril 2022, ils demandent à voir confirmer le jugement entrepris en ce que celui-ci a retenu une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale.

Ils insistent ensuite sur l’incapacité de Madame (C) de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants, de sorte qu’elle se trouverait à charge de sa fille, ainsi que sur sa dépendance et sa vulnérabilité, tout en précisant que sa maladie mentale ne constituerait pas un empêchement à sa réunion avec sa fille, alors qu’elle se serait toujours occupée de celle-ci.

La Cour constate de prime abord qu’elle ne se trouve pas appelée à se prononcer sur le premier moyen d’annulation soulevé par les demandeurs en première instance, lequel a été rejeté par les premiers juges, en rapport avec le respect des conditions énoncées à l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008 et, plus particulièrement, la question de savoir si Madame (C), en tant qu’ascendant désireux de rejoindre sa fille au Luxembourg, est à considérer comme étant à la charge de cette dernière, au sens de ladite disposition légale.

En effet, la limitation de l’appel étatique à l’annulation par les premiers juges du refus ministériel litigieux en ce qu’il se heurte aux dispositions impératives de l’article 8 de la CEDH, ensemble l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, et l’absence de conclusions utilement produites par la partie intimée tendant à remettre en discussion la réponse y apportée par les premiers juges, d’autre part, ce moyen est à considérer comme définitivement rejeté par l’effet du jugement entrepris.

Cela étant dit, s’il s’ensuit que le ministre a a priori été en droit d’opposer un refus à la demande de regroupement familial lui soumise, c’est toutefois à juste titre que les premiers juges ont encore considéré qu’au-delà, le ministre était appelé à s’assurer que son refus ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit des personnes concernées au respect de leur vie privée ou familiale, tel que garanti par l’article 8 de la CEDH, qui est rédigé comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions 5pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Les premiers juges ont rappelé à bon escient le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative – telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH – est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne et que, par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale.

Il s’ensuit que si sans nul doute les Etats ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux sur leur territoire, ils doivent, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH, dont plus particulièrement le droit au respect de la vie privée et familiale consacré par son article 8, ceci tout spécialement en la matière sensible du regroupement familial.

Les premiers juges ont encore considéré à bon escient que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays, à savoir, en l’occurrence, son pays d’origine que le demandeur a dû quitter pour solliciter une protection internationale au Luxembourg.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’argument de l’intérêt supérieur de l’enfant (B), qui au moment de sa demande de protection internationale, soit le 29 octobre 2019, était âgée de 14 ans, les premiers juges ont rappelé à juste titre que lorsque les autorités nationales prennent une décision qui concerne un enfant, elles doivent, dans leur examen de la proportionnalité aux fins de l’application de la CEDH, faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant.

En effet, l’article 3.1 de la CIDE prévoit que : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Ce même principe est consacré par l’article 24.2 de la Charte qui dispose que « dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

La CIDE reconnaît également le principe du respect de la vie familiale. Ainsi, l’article 9.1 dispose que les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, tandis que l’article 10.1 prévoit que toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un Etat partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale doit être considérée par les Etats parties « dans un esprit positif, avec humanité et diligence » (cf. arrêt CJUE du 27 juin 2006, Parlement c. Conseil, C-540/03, EU:C2006:429, point 57).

6Il est incontestable qu’il est dans l’intérêt de l’enfant que celui-ci grandisse avec ses deux parents. Il s’agit d’un principe de base fondamental qui n’est toutefois pas absolu.

Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne a retenu, au sujet des articles 7 et 24 de la Charte, que : « Ces différents textes soulignent l’importance, pour l’enfant, de la vie familiale et recommandent aux Etats de prendre en considération l’intérêt de celui-ci mais ne créent pas de droit subjectif pour les membres d’une famille à être admis sur le territoire d’un Etat et ne sauraient être interprétés en ce sens qu’ils priveraient les Etats d’une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils examinent des demandes de regroupement familial » (cf. arrêt précité Parlement c. Conseil, point 59).

En l’espèce, si le refus d’accorder le regroupement familial avec la mère de l’enfant (B) constitue certes une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale de ceux-ci, il convient toutefois de relever qu’à travers la décision du tribunal érythréen du 5 février 2019, produite à l’appui de la demande de regroupement familial de l’intimé avec sa fille, la garde exclusive sur celle-ci a été confiée au père au motif que la mère, souffrant de troubles mentaux, n’était pas capable de prendre soin d’elle.

Dans les circonstances spécifiques de l’espèce, l’ingérence dans le droit au respect de la vie familiale ne saurait être considérée comme disproportionnée, étant donné que c’est dans l’intérêt de la fille que la garde exclusive a été confiée afin qu’elle puisse rejoindre son père au Luxembourg, de sorte que les intimés ne sauraient désormais valablement faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant et son droit au respect de la vie familiale pour réclamer un droit de séjour au titre du regroupement familial sous peine de se contredire.

La Cour arrive partant à la conclusion que la décision litigieuse portant rejet de la demande de regroupement familial en faveur de la mère de l’enfant mineur (B) ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie familiale des intimés, ni à l’intérêt supérieur de cette enfant.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg est fondé et que, par réformation du jugement entrepris, il y a lieu de rejeter le recours des intimés dirigé contre la décision ministérielle litigieuse.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le dit justifié;

partant, par réformation, dit qu’il n’y a pas lieu à annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 avril 2021 rejetant la demande de regroupement familial et rejette le recours afférent comme étant non fondé;

donne acte aux intimés de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire;

condamne les intimés aux dépens des deux instances.

7Ainsi délibéré et jugé par:

Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. SPIELMANN 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50834C
Date de la décision : 19/12/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-12-19;50834c ?

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