GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50783C ECLI:LU:CADM:2024:50783 Inscrit le 22 juillet 2024
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Audience publique du 19 décembre 2024 Appel formé par la société à responsabilité limitée (A) SARL, …, contre un jugement du tribunal administratif du 11 juin 2024 (n° 47931 du rôle) en matière de travail dominical
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Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 50783C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 22 juillet 2024 par Maître Marianne GOEBEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (A) SARL, établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B145780, représentée par son gérant en fonctions, dirigée contre le jugement rendu le 11 juin 2024 (n° 47931 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a déclaré sans objet son recours tendant à l’annulation d’une décision implicite de refus du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire de lui accorder une autorisation d’employer ses salariés au-delà de quatre heures le dimanche;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 octobre 2024;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 6 novembre 2024 par Maître Marianne GOEBEL pour compte de la partie appelante;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 17 décembre 2024.
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Par arrêté du 25 octobre 2021, le ministre des Classes moyennes autorisa, par dérogation à l’article 3 de la loi modifiée du 19 juin 1995 réglant la fermeture des magasins de détail dans 1le commerce et l’artisanat, ci-après la « loi du 19 juin 1995 », les commerçants et les artisans de la commune de Weiswampach à ouvrir leurs magasins de détail jusqu’à 19 heures, tous les dimanches et jours fériés légaux de l’année 2022, à l’exception du 1er janvier, du 1er mai et des 25 et 26 décembre 2022.
Par courrier de son mandataire daté du 14 mars 2022, la société à responsabilité limitée (A) SARL, ci-après la « société (A) », sollicita du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, ci-après le « ministre », une autorisation d’employer ses salariés au-delà de quatre heures le dimanche.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2022, la société (A) fit introduire un recours tendant à l’annulation de la décision implicite de refus du ministre de lui accorder une autorisation d’employer ses salariés au-delà de quatre heures le dimanche suite au silence prolongé de plus de trois mois depuis sa demande du 14 mars 2022.
Le 17 novembre 2022, le ministre adressa un courrier au litismandataire de la société (A), qui est libellé comme suit :
« (…) Par la présente, je me réfère à votre missive du 14 mars 2022 par laquelle vous sollicitez une autorisation du ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Economie sociale et solidaire permettant à votre mandant, la société à responsabilité limitée (A), et plus particulièrement au magasin d'optique « (B) » exploité par votre mandant et situé dans le centre commercial « (D) » à Wemperhardt, d'occuper son personnel de manière permanente jusqu'à huit heures pendant les dimanches.
Dans ce contexte, je prends également note que la présente affaire a fait entretemps objet d'un recours devant le tribunal administratif en vue d'une annulation de la décision ministérielle implicite de refus.
A titre principal, vous basez votre demande sur l'article L. 231-6, paragraphe 1er, alinéa 1er, point 2. du Code du travail qui dispose que : « (1) L'interdiction visée à l'article L. 231-1 ne s'applique pas: (…) 2. aux pharmacies, drogueries et magasins d'appareils médicaux et chirurgicaux; (…) ». Selon votre interprétation et votre avis juridique, le magasin exploité par votre mandant tomberait dans la catégorie de « magasins d'appareils médicaux et chirurgicaux », ce qui permettrait à votre mandant d'occuper ses salariés le dimanche sans que la durée limite applicable aux établissements de vente au détail prévue à l'article L. 231-4 du même code ne puisse être imposée.
Il y a lieu de rappeler qu'en principe il est interdit aux employeurs du secteur public et du secteur privé d'occuper au travail, les jours de dimanche de minuit à minuit, les salariés liés par contrat de travail ou par contrat d'apprentissage.
Néanmoins, des exceptions sont prévues dans les articles suivants :
− L. 231-1 (catégories de salariés pouvant travailler le dimanche) ;
− L. 231-2 (travaux pour lesquels le travail de dimanche est autorisé) ;
− L. 231-4, L. 231-5 et L. 231-6 (secteurs d'activité dans lesquels le travail dominical est autorisé).
Force est de constater que seuls les articles L. 231-4, paragraphe 2 et L. 231-6, paragraphe 2, prévoient la possibilité de déroger à l'interdiction du travail dominical via une 2autorisation ministérielle. En effet, l’article L. 231-6, paragraphe 1er, alinéa 1er sur lequel vous basez votre demande à titre principal, ne mentionne pas l'obligation ou la nécessité pour le demandeur de solliciter au préalable une autorisation officielle du ministre compétent, raison pour laquelle l'absence d'une réponse de ma part à votre demande du 14 mars 2022 ne peut être considérée comme décision ministérielle implicite de refus étant donné que la base légale précitée ne prévoit aucune procédure d'autorisation.
Cependant, je vous informe qu'au vu de vos arguments exposés dans votre demande du 14 mars 2022 ainsi que l'analyse des travaux parlementaires relatifs aux dispositions concernant le travail dominical, je ne partage pas votre avis selon lequel le magasin exploité par votre mandant pourrait être considéré comme un « magasin d'appareils médicaux ». A mon avis et sans préjudice d'une décision contraire d'un tribunal, l'exception visée à l'article L. 231-6, paragraphe 1er, alinéa 1er, point 2 n'est pas applicable en l'espèce.
A titre subsidiaire, vous basez votre demande sur l'article L. 231-4 qui dispose que :
« Lorsque la fermeture dominicale de l'établissement de vente au détail est de nature à en compromettre le fonctionnement normal en raison de l'importance du chiffre d'affaires dominical réalisé par l'établissement et de l'impossibilité d’un report suffisant de la clientèle sur les autres jours de la semaine, le ministre ayant le Travail dans ses attributions peut accorder des dérogations, temporaires ou permanentes, à l'interdiction du travail de dimanche dans des cas dûment justifiés, sous réserve des dispositions régissant la durée normale de travail. La dérogation prévue à l'alinéa qui précède peut uniquement être accordée à des établissements situés dans des localités à déterminer par un règlement grand-ducal qui est à prendre sur avis du Conseil d'Etat. » Force est de constater que le règlement grand-ducal visé par l'alinéa 2 du paragraphe 2 de l'article L. 231-4 n'a jamais été pris, ce qui a pour conséquence que le ministre compétent ne peut pas autoriser des dérogations pour manque de base légale.
Veuillez aussi noter que la délivrance d'une autorisation du ministre ayant les Classes moyennes dans ses attributions, vous permettant d'ouvrir votre magasin de détails jusqu'à 19 heures pendant tous les dimanches et jours fériés légaux de l'année 2022, n'autorise en rien le magasin en question à occuper ses salariés les dimanches pendant plus que quatre heures.
En effet, l'article 2 de l'arrêté ministériel du 25 octobre 2021 dispose à juste titre que : « La présente ne préjudicie en rien les dispositions légales en matière de droit du travail, notamment l'autorisation à accorder par le Ministre du Travail, indispensable en cas d'emploi de personnel salarié. ».
Pour conclure, je répète que je ne partage pas votre avis en ce qui concerne l'applicabilité de l'article L. 231-6, paragraphe 1er, alinéa 1er, point 2 du Code du travail tout en soulignant que de toute manière aucune autorisation ministérielle ne peut être délivrée à votre mandant sur base de l'article précité ni sur base de l'article L. 231-4, paragraphe 2 du même code pour manque de base légale. (…) ».
Par jugement du 11 juin 2024, inscrit sous le numéro 47931 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours contentieux de la société (A) sans objet, le tout en rejetant sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais de l’instance.
Les premiers juges arrivèrent à cette conclusion après avoir prononcé, le 2 mai 2024, la rupture du délibéré, l’affaire ayant été plaidée le 26 mars 2024, et soulevé d’office la question 3de savoir si l’affaire gardait un objet suite à l’intervention de la prise de position ministérielle du 17 novembre 2022.
Plus particulièrement, après avoir entendu les parties en leurs prises de position afférentes, le tribunal retint en substance que si le recours en annulation de la demanderesse était recevable pour avoir été véhiculé contre un rejet implicite d’une demande d’autorisation libellée plus de trois mois auparavant, sans qu’elle n’ait été rencontrée par une décision, il n’en resterait pas moins que dès lors que serait intervenue, par la suite, une décision négative expresse, la prise de position ministérielle du 17 novembre 2022 étant, selon les premiers juges, à considérer comme telle, la décision négative fictive aurait perdu sa consistance, avec pour conséquence que le recours mené contre la seule décision négative fictive serait à rejeter faute d’objet.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 22 juillet 2024, la société (A) a fait entreprendre ce jugement.
Exposant exercer des activités d'opticien-lunetier et d'assistance auditive dans un centre commercial à Weiswampach généralement ouvert les dimanches et être autorisée elle-même à ouvrir son magasin les dimanches de 9 heures à 18 heures, l’appelante se déclare gênée par les dispositions légales applicables en matière de droit du travail, dont plus particulièrement l'article L.231-4 du Code du travail, qui limite la durée de travail maximale des salariés des établissements de vente au détail lors des dimanches à quatre heures maximum.
En effet, ses salariés seraient opposés à se déplacer au travail pour seulement une plage de quatre heures et demanderaient au contraire une durée de travail plus étendue, de sorte à permettre un système de rotations.
Dans ce contexte et après diverses tentatives infructueuses, elle déclare avoir saisi le ministre d’une demande motivée de dérogation en date du 14 mars 2022.
A défaut de réponse y relative, elle aurait décidé, en date du 14 septembre 2022, de saisir le tribunal administratif d’un recours en annulation dirigé contre le rejet implicite de sa demande résultant du silence ministériel de plus de trois mois.
Sur ce, l’appelante précise avoir considéré la prise de position ministérielle du 17 novembre 2022, simple courrier d'information ou de confirmation, comme restant sans incidence sur la situation juridique existante de rejet de sa demande et, partant sur la procédure en cours, de sorte qu’elle aurait pris position y relativement à travers son mémoire en réplique dans l’affaire pendante et n’aurait pas vu de nécessité d’introduire un recours supplémentaire.
L'appelante reproche aux premiers juges d’avoir procédé à une interprétation de la loi qui se heurterait à la lettre de la loi et à l'esprit du législateur, la finalité de l'article 4, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif ayant manifestement été méconnue.
Elle demande à la Cour de retenir qu'une décision explicite rendue après un recours contentieux contre une décision implicite de refus ne constituerait qu’un acte purement confirmatif ne modifiant pas substantiellement la situation juridique d’un demandeur, qui pourrait valablement poursuivre la voie engagée.
4A défaut de décision véritablement nouvelle, elle n’aurait en tout cas pas été obligée d’introduire un nouveau recours.
L’appelante demande à la Cour de reconnaître que son recours introductif de première instance garde bien un objet et de réformer le jugement a quo en conséquence, le tout avec renvoi de l’affaire devant le tribunal administratif afin qu'il soit statué sur le fond de l'affaire.
En ordre subsidiaire, à supposer que la Cour considère que la prise de position ministérielle constitue une décision nouvelle, elle demande à voir considérer qu’elle fait corps avec la décision implicite de rejet et à voir étendre son recours en annulation en conséquence, de sorte à voir garantir qu’elle obtienne une décision sur le fond de son affaire, le tout pour garantir l’effectivité de son recours et les principes de bonne administration et d'économie de la procédure.
Elle déclare encore maintenir sa demande en allocation d’une indemnité de procédure pour la première instance, tout en formulant une demande afférente pour l’instance d’appel d’un import de …. €, qu’elle était contrainte d’engager « du seul fait des conséquences du courrier émis par le Ministre du Travail du 17 novembre 2022 alors même qu'il ressort clairement de ce courrier que le Ministre s'est abstenu de prendre position sur la demande d'autorisation formulée par l'Appelante et que ce courrier a eu pour conséquence de déclarer le recours en annulation initialement introduit par l'Appelante comme étant sans objet, l'obligeant ainsi à introduire la présente instance d'appel alors qu'à ce jour elle n'a toujours pas obtenu de solution sur le fond de son litige ».
Le délégué du gouvernement estime que l’appel, tout comme le recours en annulation de première instance, sont à déclarer irrecevables, au motif que « ni la prétendue décision implicite de refus contre laquelle la partie appelante a introduit un recours en annulation, ni le courrier ministériel du 17 novembre 2022 ne constituent des actes revêtus d'un caractère décisionnel ».
Renvoyant encore à « la Section « Recevabilité » de son mémoire en réponse déposé en première instance », le délégué estime que l'acte d'appel serait « dès lors à déclarer irrecevable pour défaut d'objet ».
Pour le surplus, le délégué déclare maintenir ses conclusions développées en première instance.
Concernant les demandes en allocation d’une indemnité de procédure, celles-ci seraient à rejeter au motif que l’appelante « omet de spécifier concrètement la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu'elle ne précise ni concrètement ni suffisamment en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non répétibles à charge de la partie appelante », sinon de ramener les montants réclamés à de plus justes proportions.
L’appel, formulé dans les délai et formes de la loi, est recevable. Véhiculé contre un jugement qui a déclaré sans objet et rejeté le recours en annulation soumis aux premiers juges par l’actuelle appelante, l’appel a un objet manifeste et l’appelante un intérêt patent à agir à son encontre, le moyen du délégué, qui appert procéder d’une confusion entre la question de la recevabilité de la requête introductive de première instance et celle de la recevabilité de l’acte d’appel, est à écarter pour manquer de fondement. Pour le surplus, la Cour est saisie dans la limite des prétentions des parties, telles que concrétisées à travers les moyens invoqués dans leurs requête ou mémoires, de sorte que sans préjudice des moyens à soulever d'office, elle 5n'est pas amenée à prendre position par rapport à des conclusions de première instance auxquelles se réfèrent simplement les conclusions d'appel.
Ceci étant dit, en l’espèce, le différend utilement soumis à son appréciation appelle la Cour à se prononcer concrètement sur l’incidence procédurale de la prise de position ministérielle prévisée du 17 novembre 2022 au cours de la procédure introduite et menée par la société (A) à l’encontre du refus ministériel implicite de sa demande d’autorisation prévisée.
De prime abord, la Cour constate et pointe que la situation spécifique sous examen est celle où, suite à une demande restée sans réponse pendant plus de trois mois, un recours contentieux a été véhiculé contre un refus implicite de l’administration, décision que le législateur permet de dégager de pareil silence prolongé pour ouvrir la voie du prétoire au justiciable, et où, par la suite, au cours de cette procédure contentieuse, est encore intervenue une prise de position expresse négative de l’autorité administrative par rapport à la demande lui soumise par l’administré, cette décision expresse n’ayant quant à elle pas été directement attaquée moyennant une action spécifique. - Ce cas de figure se distingue d’autres situations telle celle où, suite à un recours dirigé contre un refus implicite, une prise de position expresse de l’autorité administrative se trouve à son tour contestée en justice, de sorte que le juge se trouve confronté à deux recours, le premier véhiculé contre le silence valant refus implicite, le second contre l’éventuel refus explicite, d’une part, celle où un recours contentieux n’est introduit contre un prétendu refus implicite seulement une fois qu’est intervenue une décision administrative expresse, d’autre part, ou encore celle où, au cours d’une procédure contentieuse dirigée contre un refus implicite, intervient une décision nouvelle et différente se substituant à un refus implicite, tel un accord partiel ou conditionné, de troisième part.
Ceci dit, les premiers juges paraissent avoir dégagé d’une certaine jurisprudence1, visant essentiellement les deux cas de figure ci-avant relevés d’un recours dirigé contre le silence, bien qu’une décision expresse ait été rendue, d’une part, et surtout de recours visant tant un refus implicite qu’une décision expresse subséquente, d’autre part, qu’en général, dès lorsqu’une décision négative constitutive d'une fiction juridique se dégageant de l'inaction de l'administration est suivie d'une décision expresse, la décision négative fictive perd nécessairement et irrémédiablement sa consistance par le fait même de la prise de la décision explicite, avec pour conséquence inévitable que tout recours véhiculé contre la décision implicite perd son objet par l’effet de la décision explicite.
La Cour ne peut pas partager cette vision des choses.
Aux yeux de la Cour et dans le cas de figure précis de la présente affaire, ci-avant circonscrit, s’il n’est pas interdit à une autorité administrative d'adopter une décision explicite à la suite d'une décision implicite de rejet, il n’en reste pas moins qu’un recours intenté contre la décision implicite ne perd pas pour autant automatiquement son objet.
1 Lorsqu'une décision négative constitutive d'une fiction juridique se dégageant de l'inaction de l'administration, est suivie d'une décision négative expresse, la décision négative fictive a perdu sa consistance par le fait même de la prise de la décision explicite, étant entendu que c'est par rapport à une seule et même demande que ces deux décisions, respectivement fictive et expresse sont intervenues – jugement du trib. adm. 26-10-05 (nos 18396 et 19082 du rôle); jugement du trib. adm.
du 5-12-07 (n°s 22336a et 22911 du rôle, c. par arrêt de la Cour adm. du 17-4-08, n° 23952C du rôle); jugement du trib. adm.
du 19-3-08 (n° 22503 du rôle); jugement du trib. adm. du 8-5-13 (n° 29843 du rôle); jugement du trib. adm. du 13-9-13 (n° 30689 du rôle); jugement du trib. adm. du 25-11-15 (n° 34999 du rôle); jugement du trib. adm. du 29-11-16 (n° 37548 du rôle); jugement du trib. adm. du 12-3-18 (n° 38972 du rôle); jugement du trib. adm. du 16-9-21 (n°44924 du rôle) 6Admettre le contraire dans pareille constellation serait admettre que le justiciable soit obligé à introduire un nouveau recours et serait verser dans un formalisme excessif portant atteinte à l’équité de la procédure.
En effet, contraindre le justiciable, dont l’action n’a été en rien fautive et qui se trouve confronté à une administration qui tente de remédier, par la prise d’une décision explicite, à un dysfonctionnement antérieur -étant remarqué qu’un défaut de réponse, non autrement justifié, dans le délai raisonnable de trois mois, généralement reconnu à l’administration, ne saurait être analysé comme relevant d’une action administrative normalement diligente-, à introduire recours contentieux sur recours contentieux serait compliquer et alourdir indûment l’accès du justiciable au juge.
Sous ce rapport, il convient de rappeler que l’accès au juge -qui est un aspect inhérent au principe à valeur constitutionnelle de l’Etat de droit, tout comme aux garanties énoncées par la Convention européenne des droits de l’homme- doit toujours être pratique et effectif.
Il s’y ajoute que l’assimilation par le législateur d’un silence prolongé de l’administration à une décision de refus et la possibilité corrélative reconnue au justiciable pour agir à son encontre sont justement motivées par le souci du législateur de garantir au justiciable un accès effectif au juge et non pas de l’en priver.
Or, admettre que le fait par l’administration de prendre, en substitution d’un refus implicite d’ores et déjà attaqué en justice, une décision de refus explicite, soit de nature à obliger le justiciable à recommencer une toute nouvelle procédure contentieuse, avec les conséquences bien évidentes d’une perte de temps préjudiciable, spécialement au regard des délais d’évacuation souvent excessivement longs que connaissent à l’heure actuelle bien des affaires contentieuses, ainsi qu’un surcoût financier sensible, serait affaiblir considérablement la protection des droits des justiciables, par l’effet d’un alourdissement de l’accès au juge à un point tel que la substance même de ce droit risque de s’en trouver affectée.
Si le formalisme protecteur des droits des justiciables est un garant de la sécurité juridique, un formalisme excessif, que ce soit au niveau de l’évaluation de la recevabilité d’un recours ou au niveau de l’examen du maintien de son objet tout au long de la procédure, est à bannir.
Dans un cas de figure comme il se présente en l’espèce, il convient de considérer la prise de position explicite comme une confirmation du refus implicite, avec communication des motifs sous-tendant le refus de l’administration nécessairement non motivé en tant que refus implicite.
Ainsi, sans préjudice de ce qu’isolément considéré, le courrier du 17 novembre 2022 appert susceptible d’être entrevu comme un acte décisionnel attaquable, dans les circonstances de l’espèce, de par son libellé, ci-avant reproduit, cette prise de position ministérielle complémentaire s’apparente bien plus à une simple communication des motifs, qui manquent au refus implicite initial, qu’à une décision tendant à s’y substituer. En tout cas, le ministre, se référant spécialement à la procédure contentieuse qui était en cours, ne précise point vouloir substituer une nouvelle décision au refus initial et le courrier ne précise pas non plus la moindre information sur les voies de recours ouvertes à son encontre.
Sous le spectre de cette analyse des choses, l’action en justice de l’appelante était et est par conséquent loin d’avoir été privée de son objet par l’effet de la prise de position 7ministérielle expresse du 17 novembre 2022 et c’est à tort que les premiers juges ont rejeté le recours en annulation leur soumis pour ce motif, le jugement étant à réformer en conséquence.
Eu égard au fait que les juges de première instance ne se sont pas prononcés plus en avant sur le fond à proprement parler de l’affaire, le dossier est à renvoyer devant eux en prosécution de cause.
A titre surabondant et concernant la situation prévisée, non vérifiée en l’espèce, où le juge se trouve confronté à deux recours, l’un contre le refus implicite, l’autre contre un refus explicite subséquent, situation où, dans le passé, les juridictions administratives ont essentiellement pu se concentrer sur le deuxième recours -celui dirigé contre le refus explicite-
et considérer que le premier recours -celui dirigé contre le refus implicite- n’avait plus vocation ou nécessité de perdurer, s’il se dégage des considérations qui précèdent que dans pareil cas de figure un constat de perte d’objet du premier recours paraît comme devoir être revu, il n’en reste pas moins que la vision classique des choses n’était en rien préjudiciable aux intérêts bien compris du justiciable, qui pour l’essentiel demandait à être entendu en justice dans son action dirigée contre « le » refus opposé à sa demande, ce qui se trouvait donné. Ceci dit, au regard de ce qui précède, il apparaît qu’en lieu et place d’un constat de perte d’objet du premier recours, il convient plutôt d’envisager de recevoir les deux recours en les considérant comme formant un tout indissociable. Pareille analyse aurait en tout cas l’avantage de ce que le refus opposé par l’administration à une demande serait, en sa substance, attaquable par des recours véhiculés contre les deux décisions, tout aussi bien que par un recours dirigé seulement contre la seconde, voire contre la seule première, le tout dans un esprit bien compris d’être utile et de garantir un accès facile au juge, l’intention du justiciable étant, dans chacun des trois cas de figure, clairement perceptible.
Au vu de l’issue du litige, la demande de l’appelante tendant à se voir allouer une indemnité de procédure d’un montant de ….- €, pour l’instance d’appel, est justifiée tant en son principe qu’en son quantum, l’action ayant dû être engagée par elle pour lui voir ouvrir un accès utile au prétoire.
L’appréciation de la demande en allocation d’une indemnité de procédure pour la première instance, encore réitérée en cause, laquelle dépend quant à elle notamment de l’issue qui sera réservée au fond de l’affaire, est cependant à réserver.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;
reçoit l’appel en la forme;
au fond, le déclare justifié;
réformant, dit que c’est à tort que les premiers juges ont considéré que le recours en annulation de la société (A) SARL a été privé de son objet par l’effet de la prise de position du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire du 17 novembre 2022;
renvoie le dossier devant le tribunal administratif en prosécution de cause;
condamne l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel d’un import de ….- € au profit de la société (A) SARL;
8 réserve la demande de la société (A) SARL en allocation d’une indemnité de procédure pour la première instance;
condamne l’Etat intimé aux dépens de la présente instance;
réserve les dépens pour le surplus.
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
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