N° 193 / 2024 du 19.12.2024 Numéro CAS-2024-00041 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf décembre deux mille vingt-quatre.
Composition :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre SOCIETE1.), établissement public à caractère industriel et commercial de droit français, établie et ayant son siège social à F-ADRESSE1.), représentée par le directeur général, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Paris sous le numéroNUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Fabio TREVISAN, avocat à la Cour, et 1) la société anonyme SOCIETE2.), établie et ayant son siège social à L-
ADRESSE2.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO2.), défenderesse en cassation, comparant par Maître Guy LOESCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) PERSONNE1.), demeurant en ADRESSE3.), à la ADRESSE4.), quartier « ADRESSE5.), agissant en sa qualité de syndic de la société multinationale SOCIETE3.) en liquidation des biens, défendeur en cassation, comparant par Maître François REINARD, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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Vu l’arrêt attaqué numéro 1/24-IX-COM rendu le 11 janvier 2024 sous le numéro CAL-2020-00840 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 21 mars 2024 par SOCIETE1.) (ci-
après « SOCIETE1.) ») à la société anonyme SOCIETE2.) (ci-après « la SOCIETE2.) ») et à PERSONNE1.), pris en sa qualité de syndic de la société multinationale SOCIETE3.) en liquidation des biens (ci-après « PERSONNE1.) »), déposé le 25 mars 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 3 mai 2024 par la SOCIETE2.) à SOCIETE1.) et à PERSONNE1.), déposé le 13 mai 2024 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 16 mai 2024 par PERSONNE1.) à SOCIETE1.) et à la SOCIETE2.), déposé le 17 mai 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général Nathalie HILGERT.
Sur les faits Selon les actes de procédure et pièces auxquels la Cour peut avoir égard, la société SOCIETE3.) avait consenti le 3 mai 1994 à SOCIETE1.) un gage sur des avoirs inscrits en compte auprès de la SOCIETE2.) en contrepartie d’un prêt lui accordé par SOCIETE1.). La société SOCIETE3.) avait été mise en liquidation judiciaire suivant jugement du Tribunal de première instance d’Abidjan du 25 avril 2002.
Statuant sur la demande en réalisation du gage dirigée par SOCIETE1.) contre la SOCIETE2.), le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière 2commerciale, après avoir reçu l’intervention volontaire de PERSONNE1.), avait dit irrecevable la demande de SOCIETE1.) au motif que le principe de non-rétroactivité des lois rendait inapplicable la loi modifiée du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière (ci-après « la loi du 5 août 2005 ») à la procédure de liquidation de la société SOCIETE3.), en cours au jour de l’entrée en vigueur de ladite loi, et que partant la suspension des poursuites individuelles dont étaient frappés les créanciers de la société SOCIETE3.) ne permettait pas à SOCIETE1.) de poursuivre l’exécution individuelle du gage.
La Cour d’appel, par un arrêt du 19 janvier 2023, avait, dans ses motifs, dit que la loi du 5 août 2005 était applicable ratione temporis au contrat de gage conclu le 3 mai 1994 et avait, dans son dispositif, rouvert les débats pour permettre aux parties de conclure sur la question de savoir si la loi du 5 août 2005 visait également les procédures étrangères non européennes.
Par l’arrêt attaqué, la Cour d’appel a retenu dans ses motifs que « la procédure de liquidation de SOCIETE3.), société de droit ivoirien, ne tombe pas sous l’application de l’article 20 précité de la loi de 2005 » pour confirmer dans son dispositif, quoique pour d’autres motifs, le jugement de première instance.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse appréciation, sinon de la fausse interprétation, de l’article 109 de la Constitution, de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile en combinaison avec l'article 587 du Nouveau code de procédure civile, ainsi que de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'homme, En ce que l’arrêt attaqué a déclaré non fondé l’appel interjeté par la Partie Demanderesse en cassation dans la mesure où la Cour d’appel a considéré que la procédure de liquidation de SOCIETE3.) ne tombait pas sous l’application de l’article 20 de la Loi de 2005 et, dans ces conditions, que c’était à juste titre, quoique pour d’autres motifs, que le tribunal de première instance avait retenu la demande de la partie Demanderesse tendant à une exécution individuelle durant la liquidation était à déclarer irrecevable.
Aux motifs que la Cour d’appel a considéré que :
directive 2002/47/CE du Parlement Européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière.
Elle relève ensuite que le mécanisme issu de la directive visée (directive dite "Collatéral") tend à renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière en prévoyant des procédures simples de constitution et d'exécution des sûretés et en soustrayant ces contrats aux incertitudes générées par la législation sur 3les procédures d'insolvabilité et permettant la réalisation des garanties financières même en cas de faillite de leur constituant.
En effet, parallèlement à la forte croissance des transactions financières, et plus particulièrement de celles portant sur les produits dérivés, les contrats de garantie financière, qui ont pour objet de réduire le risque de crédit par lequel l'une ou l'autre des parties à une transaction n'honore pas son obligation de paiement, ont connu un fort développement, à côté d'autres techniques de gestion du risque de crédit que sont l'assurance ou les dérivés de crédit. Dans une optique de réduction de ce risque et de gestion des contraintes d'allocation des fonds propres, les opérateurs de marché ont souhaité conclure des garanties transfrontalières, qui ont pleinement participé de la croissance du montant global des garanties.
L'établissement de ces garanties, également nommée "collatéralisation", s'effectue soit par la constitution d'une sûreté avec ou sans dépossession et composée de titres et/ou d'espèces, soit par un transfert en pleine propriété de titres ou d'espèces.
C'est afin de lever certaines difficultés liées aux formalités nationales de constitution des garanties et de garantir une meilleure sécurité juridique des opérations transfrontalières que la susdite directive appelée "Collatéral", a entendu mettre en place un régime homogène de la collateralisation au niveau européen.
Dès le considérant n° 4 de la directive "Collateral", les rédacteurs prennent soin de rappeler que ladite directive est adoptée dans un contexte juridique européen et qu'il s'agit de composer avec les textes concernant l'Assainissement et la liquidation des établissements de crédit (directive 98/26/CE et 2001/24/CE du 4 avril 2001), l'Assainissement et la liquidation des entreprises d'assurance (directive 2001/17/CE du 19 mars 2001) et du fameux règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 concernant les procédures d'insolvabilité.
Le considérant n° 5 prévoit ensuite que "pour renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière, les États membres (à souligner) devraient faire en sorte de les soustraire à certaines dispositions de leur législation en matière d'insolvabilité, notamment celles qui pourraient faire obstacle à la réalisation de la garantie financière ou rendre incertaine la validité de techniques actuelles, (…)".
L'hypothèse est celle de l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à l'encontre d'une des parties au contrat de garantie financière. Traditionnellement, la loi de l'État dans lequel la procédure d'insolvabilité a été ouverte a vocation à s'appliquer : il s'agit de la lex concursus. Mais l'on sait dès à présent que la lex concursus est, d'une part, écartée et, d'autre part, neutralisée par la directive "Collateral". En effet, le dispositif "Collateral" évince la lex concursus au profit de la lex rei sitae. Ainsi, les accords de "Collateral" ne peuvent être atteints par les effets de l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité. La cohérence du régime de faveur implique que la loi de l'État dans lequel le compte pertinent est situé ait vocation à s'appliquer.
Là aussi, il convient de replacer le problème dans le cadre d'un corpus de règles communautaires.
4Le considérant n° 8 précise d'ailleurs que "la règle de la lex rei sitae, selon laquelle la validité et donc l'opposabilité aux tiers de la garantie financière s'apprécient selon la loi du pays où la garantie financière est située, est actuellement acceptée par tous les États membres (à souligner à nouveau) (…) ".
Le principe de la lex rei sitae, déjà introduit dans notre droit par le règlement grand-ducal du 8 juin 1994 portant modification du règlement grand-ducal modifié du 17 février 1971 concernant la circulation de valeurs mobilières et du règlement grand-ducal du 18 décembre 1981 concernant le nantissement, la circulation et la perte de titres et repris par la loi du 1er août 2001 sur la circulation de titres, a été généralisé par l'article 23 de la loi de 2005.
Lors de l'introduction de cette règle dans notre droit, son efficacité pouvait encore poser problème selon le pays appelé à décider de la question de la loi applicable.
Aujourd'hui, du fait de la généralisation de cette règle au niveau européen, la solution adoptée depuis longtemps par le droit luxembourgeois peut sortir tous ses effets, dès lors que les pays en cause font partie de l'espace communautaire (cf. avis de la chambre de commerce du 23 août 2004 sur le projet de loi 5251 sur les contrats de garantie financière portant transposition de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière).» (voir Antécédent de Procédure n°5, arrêt de la Cour d’appel du 11 janvier 2024, pages 4 à 6).
Elle en a déduit que :
repose sur une reconnaissance mutuelle entre Etats membres de toutes les garanties financières constituées entre des institutions réglementées et que cette reconnaissance mutuelle se limite dès lors aux États signataires de l'accord sur l'EEE et n'est donc pas de portée universelle. » (voir Antécédent de Procédure n°5, arrêt de la Cour d’appel du 11 janvier 2024, page 6).
Alors que :
La Cour d’appel, en statuant ainsi, n’a pas répondu aux développements avancés par les Parties Demanderesses relatifs à l’application de la Loi de 2005, également aux procédures collectives non européennes , et a ainsi effectué un défaut de réponse à conclusions, qui est une forme du défaut de motif, constituant un vice de forme ;
partant, la Cour d’appel a ainsi violé l’article 109 de la Constitution, l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile en combinaison avec l'article 587 du Nouveau code de procédure civile, ainsi que l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'homme. ».
5 Réponse de la Cour En tant que tiré de la violation de l’article 109 de la Constitution, de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile en combinaison avec l’article 587 du même code, ainsi que, sous ce rapport, de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen vise le défaut de motifs, qui est un vice de forme.
Une décision judiciaire est régulière en la forme dès lors qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré. Les juges d’appel ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Par les motifs reproduits au moyen, les juges d’appel ont motivé leur décision de ne pas appliquer la loi du 5 août 2005 en présence d’une procédure collective ouverte dans un pays ne faisant pas partie de l’Espace Économique Européen.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 20(1) la Loi de 2005 En ce que l’arrêt attaqué a déclaré non fondé l’appel interjeté par la Partie Demanderesse en cassation dans la mesure où la Cour d’appel a considéré que la procédure de liquidation de SOCIETE3.) ne tombait pas sous l’application de la l’article 20(1) de la Loi de de 2005 et que, dans ces conditions, c’était à juste titre, quoique pour d’autres motifs, que le tribunal de première instance avait retenu la demande de la partie Demanderesse tendant à une exécution individuelle durant la liquidation était à déclarer irrecevable ;
Aux motifs que la Cour d’appel a considéré que :
directive 2002/47/CE du Parlement Européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière.
Elle relève ensuite que le mécanisme issu de la directive visée (directive dite "Collatéral") tend à renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière en prévoyant des procédures simples de constitution et d'exécution des sûretés et en soustrayant ces contrats aux incertitudes générées par la législation sur les procédures d'insolvabilité et permettant la réalisation des garanties financières même en cas de faillite de leur constituant.
En effet, parallèlement à la forte croissance des transactions financières, et plus particulièrement de celles portant sur les produits dérivés, les contrats de 6garantie financière, qui ont pour objet de réduire le risque de crédit par lequel l'une ou l'autre des parties à une transaction n'honore pas son obligation de paiement, ont connu un fort développement, à côté d'autres techniques de gestion du risque de crédit que sont l'assurance ou les dérivés de crédit. Dans une optique de réduction de ce risque et de gestion des contraintes d'allocation des fonds propres, les opérateurs de marché ont souhaité conclure des garanties transfrontalières, qui ont pleinement participé de la croissance du montant global des garanties.
L'établissement de ces garanties, également nommée "collatéralisation", s'effectue soit par la constitution d'une sûreté avec ou sans dépossession et composée de titres et/ou d'espèces, soit par un transfert en pleine propriété de titres ou d'espèces.
C'est afin de lever certaines difficultés liées aux formalités nationales de constitution des garanties et de garantir une meilleure sécurité juridique des opérations transfrontalières que la susdite directive appelée "Collatéral", a entendu mettre en place un régime homogène de la collateralisation au niveau européen.
Dès le considérant n° 4 de la directive "Collateral", les rédacteurs prennent soin de rappeler que ladite directive est adoptée dans un contexte juridique européen et qu'il s'agit de composer avec les textes concernant l'Assainissement et la liquidation des établissements de crédit (directive 98/26/CE et 2001/24/CE du 4 avril 2001), l'Assainissement et la liquidation des entreprises d'assurance (directive 2001/17/CE du 19 mars 2001) et du fameux règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 concernant les procédures d'insolvabilité.
Le considérant n° 5 prévoit ensuite que "pour renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière, les États membres (à souligner) devraient faire en sorte de les soustraire à certaines dispositions de leur législation en matière d'insolvabilité, notamment celles qui pourraient faire obstacle à la réalisation de la garantie financière ou rendre incertaine la validité de techniques actuelles, (…) ".
L'hypothèse est celle de l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à l'encontre d'une des parties au contrat de garantie financière. Traditionnellement, la loi de l'État dans lequel la procédure d'insolvabilité a été ouverte a vocation à s'appliquer : il s'agit de la lex concursus. Mais l'on sait dès à présent que la lex concursus est, d'une part, écartée et, d'autre part, neutralisée par la directive "Collateral". En effet, le dispositif "Collateral" évince la lex concursus au profit de la lex rei sitae. Ainsi, les accords de "Collateral" ne peuvent être atteints par les effets de l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité. La cohérence du régime de faveur implique que la loi de l'État dans lequel le compte pertinent est situé ait vocation à s'appliquer.
Là aussi, il convient de replacer le problème dans le cadre d'un corpus de règles communautaires.
Le considérant n° 8 précise d'ailleurs que "la règle de la lex rei sitae, selon laquelle la validité et donc l'opposabilité aux tiers de la garantie financière s'apprécient selon la loi du pays où la garantie financière est située, est actuellement acceptée par tous les États membres (à souligner à nouveau) (…)".
7Le principe de la lex rei sitae, déjà introduit dans notre droit par le règlement grand-ducal du 8 juin 1994 portant modification du règlement grand-ducal modifié du 17 février 1971 concernant la circulation de valeurs mobilières et du règlement grand-ducal du 18 décembre 1981 concernant le nantissement, la circulation et la perte de titres et repris par la loi du 1 er août 2001 sur la circulation de titres, a été généralisé par l'article 23 de la loi de 2005.
Lors de l'introduction de cette règle dans notre droit, son efficacité pouvait encore poser problème selon le pays appelé à décider de la question de la loi applicable.
Aujourd'hui, du fait de la généralisation de cette règle au niveau européen, la solution adoptée depuis longtemps par le droit luxembourgeois peut sortir tous ses effets, dès lors que les pays en cause font partie de l'espace communautaire (cf. avis de la chambre de commerce du 23 août 2004 sur le projet de loi 5251 sur les contrats de garantie financière portant transposition de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière). » Elle en a déduit la limitation selon laquelle :
repose sur une reconnaissance mutuelle entre Etats membres de toutes les garanties financières constituées entre des institutions réglementées et que cette reconnaissance mutuelle se limite dès lors aux États signataires de l'accord sur l'EEE et n'est donc pas de portée universelle. » Alors que :
La Cour d’appel, en jugeant que l’article 20 (1) de la Loi de 2005 ne devait pas s’appliquer aux procédures collectives non-européennes, alors que ledit article vise expressément les procédures « étrangères » sans exclure les procédures non européennes, n'a pas fondé sa décision en droit et a partant violé les dispositions de l’article 20 (1) de la Loi de 2005. ».
Réponse de la Cour Vu l’article 20, paragraphe 1, de la loi du 5 août 2005, aux termes duquel « Les contrats de garantie financière d’avoirs ainsi que les faits entraînant l’exécution de la garantie, les contrats de compensation et les modalités d’évaluation et d’exécution convenues entre les parties conformément à la présente loi sont valables et opposables aux tiers, commissaires, curateurs, liquidateurs et autres organes similaires nonobstant l’existence d’une mesure d’assainissement, d’une procédure de liquidation ou la survenance de toute autre situation de concours, nationale ou étrangère. » Cette disposition légale vise l’existence d’une mesure d’assainissement, d’une procédure de liquidation ou la survenance de toute autre situation de concours « étrangère », sans opérer de distinction selon que l’Etat, autre que le Luxembourg, 8dans lequel survient cette mesure, procédure ou situation de concours soit signataire ou non de l’accord sur l’Espace Économique Européen.
En écartant la mise en œuvre de cette disposition légale en raison d’une procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre du constituant de la garantie dans un État non-signataire dudit accord, la Cour d’appel a violé la disposition visée au moyen.
Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.
Sur la portée de la cassation Le défendeur en cassation sub 2) relève que dans l’arrêt attaqué, la Cour d’appel a dit être liée par les motifs décisoires de l’arrêt antérieur n° 8/23-IX-COM du 19 janvier 2023 rendu dans la même instance en ce que ce dernier arrêt avait retenu que la loi du 5 août 2005 avait vocation à régir des situations juridiques nées avant son entrée en vigueur et visait tant les mesures et procédures en cours au jour de son entrée en vigueur que celles à venir, pour en déduire que le gage du 3 mai 1994 était soumis à la loi du 5 août 2005 et opposable aux tiers même en présence d’une procédure en cours.
Sur cette base, il fait valoir que l’arrêt attaqué du 11 janvier 2024 et l’arrêt du 19 janvier 2023 « ont un lien de dépendance dès lors que les motifs du 1er arrêt du 19.01.2023 ont été intégralement repris par l’arrêt du 11.01.2024 et en constituent le soutien nécessaire à la motivation du 2nd arrêt », pour en déduire sur base de l’article 28 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi du 18 février 1885 ») que la cassation de l’arrêt du 11 janvier 2024 devrait s’étendre à celui du 19 janvier 2023.
Aux termes de l’article 28, alinéa 1, de la loi du 18 février 1885 « Lorsque la cour cassera ou annulera un arrêt ou un jugement, elle déclarera nuls et de nul effet les dites décisions judiciaires et les actes qui s'en sont suivis, et elle remettra les parties au même état où elles se sont trouvées avant la décision cassée ou annulée. ».
Il résulte de cette disposition légale que l’annulation par voie de conséquence résultant de la cassation d’une décision de justice n’affecte que les actes postérieurs à la décision cassée, sans produire aucun effet sur les décisions antérieures.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de prononcer la cassation de l’arrêt n° 8/23-IX-
COM du 19 janvier 2023.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation demande à voir condamner chacune des parties défenderesses à lui payer une indemnité de procédure.
9Il serait inéquitable de laisser à charge de la demanderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros à charge du seul défendeur sub 2), l’allocation d’une indemnité de procédure à charge de la défenderesse sub 1) ne paraissant pas se justifier par l’iniquité.
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens de cassation, la Cour de cassation casse et annule, dans les limites du deuxième moyen de cassation, l’arrêt attaqué numéro 1/24-IX-COM rendu le 11 janvier 2024 sous le numéro CAL-2020-
00840 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, autrement composée ;
fixe la créance de la demanderesse en cassation à l’égard du défendeur en cassation sub 2) du chef d’une indemnité de procédure à 2.500 euros ;
renvoie la demanderesse en cassation devant qui de droit aux fins d’admission de sa créance au passif de la liquidation de la société multinationale SOCIETE3.) en liquidation des biens ;
rejette la demande de la demanderesse en cassation en obtention d’une indemnité de procédure en tant que dirigée contre la défenderesse sub 1) ;
met les frais et dépens de l’instance en cassation à charge du défendeur en cassation sub 2), avec distraction au profit de la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS et de Maître Guy LOESCH, sur leurs affirmations de droit, et les renvoie devant qui de droit aux fins d’admission de leurs créances au passif de la liquidation de la société multinationale SOCIETE3.) en liquidation des biens ;
rejette la demande du défendeur sub 2) en cassation de l’arrêt n° 8/23-IX-
COM du 19 janvier 2023 ;
ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’État, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.
10La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence de l’avocat général Anita LECUIT et du greffier Daniel SCHROEDER.
11Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Etablissement public à caractère industriel et commercial SOCIETE1.) contre PERSONNE1.) pris en sa qualité de syndic de la société multinationale SOCIETE3.) et la société anonyme SOCIETE2.) Affaire n° CAS-2024-00041 du registre Le pourvoi de la partie demanderesse en cassation, l’établissement public à caractère industriel et commercial SOCIETE1.), par dépôt au greffe de la Cour en date du 25 mars 2024, d’un mémoire en cassation, signifié le 21 mars 2024 aux parties défenderesses en cassation, est dirigé contre l’arrêt n° 1/24-IX-COM, rendu contradictoirement le 11 janvier 2024, par la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale, dans la cause inscrite sous le numéro CAL du registre.
Sur la recevabilité du pourvoi Aux termes de l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « Loi de 1885 »), le délai de deux mois pour se pourvoir en cassation court à partir du jour de la signification à personne ou à domicile. Ce délai est augmenté, conformément à l’article 167, paragraphe 1, tiret 1, du Nouveau Code de procédure civile, de quinze jours, la partie demanderesse en cassation demeurant en France.
La signification visée par cette disposition légale s’entend d’une signification conforme aux articles 155 et suivants du Nouveau Code de procédure civile, rendus applicables à l’instance de cassation par l’article 162 du même Code.
Il ne ressort pas des pièces auxquelles la soussignée a accès que l’arrêt attaqué ait été signifié à personne ou à domicile du demandeur en cassation. Les pièces ne renseignent qu’une signification au mandataire de celui-ci en date du 26 janvier 2024.
Il faut en conclure que le délai pour se pourvoir en cassation n’a pas commencé à courir et que le pourvoi est recevable quant au délai.
Aux termes de l’article 10 de la Loi de 1885, le mémoire en cassation doit, sous peine d’irrecevabilité, être signé par un avocat à la Cour.
En l’espèce, le mémoire a été signé par Maître Elodie VINCENT (sans autre précision quant à sa qualité), en remplacement de Maître Fabio TREVISAN, celui-ci agissant en sa qualité de représentant de BSP S. à r.l., l’associé commandité et le gérant de la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners. D’après les informations disponibles sur le site internet du 12barreau de Luxembourg, Maître Elodie VINCENT est avocat à la Cour. Par référence à un arrêt de Votre Cour1, la soussignée conclut au respect des exigences légales2.
Le demandeur en cassation a, par ailleurs, signifié son mémoire en cassation aux parties adverses, antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que le pourvoi est recevable quant à la forme.
Finalement, le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la Loi de 1885.
Les mémoires en réponse des parties défenderesses en cassation peuvent être pris en considération pour avoir été signifiés dans le délai et déposés conformément aux prescriptions de la loi3.
Sur les faits et les antécédents du litige La partie demanderesse en cassation, alors Caisse française de développement, a conclu avec la société multinationale SOCIETE3.) un prêt à long terme en date du 17 décembre 1993. Afin de garantir la bonne exécution des obligations dudit prêt, SOCIETE3.) a convenu auprès de la société anonyme SOCIETE2.), alors SOCIETE2.), un acte de nantissement au profit de la partie demanderesse en cassation sur un compte ouvert à son nom auprès d’elle. L’acte de nantissement a été signé respectivement le 30 mai 1994 par le créancier gagiste, à savoir la partie demanderesse en cassation, et le 10 août 1994 par le constituant de gage, à savoir SOCIETE3.), lequel a été signifié au tiers détenteur, à savoir la SOCIETE2.), le 22 juin 1994 par acte d’huissier.
Par jugement du 25 avril 2002, le Tribunal de première instance d’Abidjan a prononcé la liquidation judiciaire de SOCIETE3.), laquelle est en cours et est représentée par PERSONNE1.), en qualité de syndic. Par conséquent, la créance de la partie demanderesse en cassation, au titre dudit prêt, est devenue exigible et a été admise4 par lettre des syndics du 6 mai 2003, mais demeure toutefois impayée, eu égard, notamment, au refus du tiers détenteur de procéder au paiement de celle-ci au motif de l’incertitude de l’application, en l’espèce, de la loi modifiée du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière (ci-après « Loi de 2005 »).
Par jugement du 13 février 2020, le Tribunal d’arrondissement du Luxembourg a admis la demande d’intervention du syndic de SOCIETE3.), en la personne de PERSONNE1.), et a déclaré irrecevable la demande du créancier gagiste de condamner le tiers détenteur à lui verser la totalité des avoirs nantis au motif que, si elle devait s’appliquer immédiatement aux 1 Cass., 16 juin 2026, n° 68/16, n° 3663 du registre.
2 Cette situation est différente de celle ayant donné lieu à l’arrêt de Votre Cour du 6 juin 2024, n° 92/2024 pénal, n° CAS-
2023-00115 du registre aux termes duquel : « Le mémoire en cassation déposé au greffe de la Cour, sans mentionner la qualité du signataire, porte une signature illisible, différente de celle figurant sur la déclaration de Maître (xxx), avocat à la Cour, de former un recours en cassation au pénal et au civil contre l’arrêt attaqué. Il est, dès lors, impossible de déterminer l’identité de l’auteur de la signature apposée sur le mémoire en cassation et de vérifier si le signataire du mémoire en cassation avait la qualité d’avocat à la Cour ».
3 Le mémoire en réponse de SOCIETE2.), en date du 3 mai 2024, a été signifié le même jour aux autres parties au litige et déposé au greffe de la Cour le 13 mai 2024. Le mémoire en réponse de PERSONNE1.), en date du 15 mai 2024, a été signifié le 16 mai 2024 et déposé au greffe de la Cour le 17 mai 2024.
4 Il y a lieu de relever que le compte nanti a fait l’objet de plusieurs saisies-arrêts par deux autres créanciers de la société multinationale SOCIETE3.).
13procédures de liquidation en cours, la Loi de 2005 aurait un effet rétroactif, ce qui serait contraire à l’article 2 du Code civil.
Statuant sur l’appel interjeté par le demandeur en cassation, la Cour d’appel a, par un premier arrêt du 19 janvier 2023, retenu sur base de l’article 27 de la Loi de 2005 que celle-ci a vocation à régir les situations juridiques acquises avant son entrée en vigueur et que le contrat de gage du 3 mai 2994 est soumis à la Loi de 2005 dans son entièreté et qu’il est opposable aux tiers même en présence d’une procédure collective en cours. Par ce même arrêt, les parties ont été invitées à conclure quant au fait de savoir si la Loi de 2005 vise également les procédures étrangères non européennes.
Par l’arrêt attaqué du 11 janvier 2024, la Cour d’appel a jugé que la procédure de liquidation de SOCIETE3.) ne tombait pas sous l’application de l’article 20 de la Loi de 2005 et que, par conséquent, la demande du créancier gagiste tendant à une exécution individuelle durant la liquidation était irrecevable. En effet, elle a considéré que le mécanisme mis en place par la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière (ci-après « Directive 2002/47/CE ») repose sur une reconnaissance mutuelle entre Etats membres de toutes les garanties financières constituées entre des institutions réglementées et que cette reconnaissance mutuelle se limite dès lors aux Etats signataires de l’accord sur l’EEE et n’est donc pas de portée universelle.
Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt du 11 janvier 2024.
A l’appui de son pourvoi, la partie demanderesse en cassation soulève, à titre principal, trois moyens, tirés, le premier, de la violation des articles 109 de la Constitution, 249 et 587 du Nouveau Code de procédure civile et 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; le deuxième, de la violation de l’article 20, paragraphe 1er, de la Loi de 2005; le troisième, de la violation de l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile et, finalement, le quatrième, formulé à titre subsidiaire par rapport aux deuxième et troisième moyens, de la violation de l’article 20, paragraphe 1er, de la Loi de 2005.
Dans un souci de logique juridique, il convient d’abord d’analyser les deuxième et troisième moyens de cassation, mettant en œuvre des moyens de fond, avant d’aborder le premier moyen de cassation, ne véhiculant qu’un moyen de forme. L’analyse des deuxième et troisième moyens de cassation pourrait également être combinée.
Sur le deuxième moyen de cassation :
Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 20, paragraphe 1er, de la Loi de 2005, en ce que la Cour d’appel a jugé que la procédure de liquidation litigieuse ne tombait pas sous l’application de cette disposition, alors que celle-ci vise expressément les procédures de liquidation étrangères, dont les procédures non européennes.
Le demandeur en cassation reproche à la Cour d’appel d’avoir « déduit que le mécanisme dérivé de la directive « Collatéral » repose sur une reconnaissance mutuelle entre États membres de toutes les garanties financières constituées entre des institutions réglementées et 14que cette reconnaissance mutuelle se limite dès lors aux États signataires de l’accord sur l’EEE et n’est donc pas de portée universelle »5.
La Loi de 2005 constitue la transposition en droit luxembourgeois de la Directive 2002/47/CE6.
Il résulte tant du considérant n°22 de cette directive que de l’exposé des motifs du projet de loi ayant conduit à l’adoption de la Loi de 20057 que la Directive 2002/47/CE n’institue qu’un régime minimal d’harmonisation, permettant aux Etats membres d’aller au-delà de ce minimum requis.
Aux termes de l’article 20, paragraphe 1er, de la Loi de 20058 :
« (1) Les contrats de garantie financière d’avoirs ainsi que les faits entraînant l’exécution de la garantie, les contrats de compensation et les modalités d’évaluation et d’exécution convenues entre les parties conformément à la présente loi sont valables et opposables aux tiers, commissaires, curateurs, liquidateurs et autres organes similaires nonobstant l’existence d’une mesure d’assainissement, d’une procédure de liquidation ou la survenance de toute autre situation de concours, nationale ou étrangère ».
L’article 20, paragraphe 4, de la Loi de 2005 dit notamment que les dispositions du Livre III (ayant trait aux faillites) du Code de commerce ne sont pas applicables aux contrats de garantie financière et ne font pas obstacle à l’exécution de ces contrats.
L’article 20, paragraphe 1er, de la Loi de 2005 vise de façon indistincte les procédures nationales et étrangères. Le moyen de cassation a trait à la signification du terme « étranger ».
Selon le Robert en ligne, le terme « étranger » a notamment les significations suivantes :
1. « Qui est d'une autre nation ; qui est autre (en parlant d'une nation). Les nations, les puissances étrangères. Les travailleurs étrangers en France (➙ immigré). Langues étrangères.
2. Relatif aux rapports avec les autres nations. Politique étrangère. ➙ extérieur. Le ministre des Affaires étrangères ».
A priori, ce terme paraît clair pour viser tout ce qui n’est pas national. Se pose la question de la nécessité de l’interprétation d’un terme légal clair.
5 Arrêt attaqué, page 6.
6 Cette directive a été modifiée par la directive 2009/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 modifiant la directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres et la directive 2002/47/CE concernant les contrats de garantie financière, en ce qui concerne les systèmes liés et les créances privées, par la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) n ° 1093/2010 et (UE) n ° 648/2012 et par le Règlement (UE) 2021/23 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un cadre pour le redressement et la résolution des contreparties centrales et modifiant les règlements (UE) no 1095/2010, (UE) no 648/2012, (UE) no 600/2014, (UE) no 806/2014 et (UE) 2015/2365, ainsi que les directives 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2007/36/CE, 2014/59/UE et (UE) 2017/1132.
7 Voir documents parlementaires n° 5251, p. 3.
8 Voir la version consolidée de cette loi : https://www.cssf.lu/wp-content/uploads/L_050805_garantiefin.pdf 15Dans ce contexte, référence peut être faite aux conclusions de Monsieur Jean ENGELS, ancien avocat général, dans l’affaire de cassation ayant donné lieu à l’arrêt du 22 décembre 2011 aux termes desquelles :
« Pour qu’il y ait lieu à interprétation, encore faut-il que cela soit nécessaire. De cette évidence, jointe au souci de modérer les ardeurs des interprètes, se dégage la maxime classique selon laquelle l’interprétation cesse lorsqu’un texte est clair. Encore convient-il de ne pas exagérer cette limitation, parce qu’il est souvent difficile de distinguer un terme clair d’un terme obscur et parce que le sens de certains termes clairs dans le langage courant, peut cesser de l’être dans le langage juridique.
Dans un jugement du 29 septembre 1982 le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg a suivi cette théorie du texte clair en retenant que « l’interprétation de la loi par le juge doit se fonder sur la volonté du législateur telle qu’elle est formulée dans le texte de loi.
Si ce texte est clair, le juge n’a pas la mission de chercher les intentions du législateur et, le cas échéant, de les faire prévaloir sur le texte légal »9.
Dans ses conclusions rendues dans une affaire de cassation du 1er février 2008, Monsieur l’Avocat général John PETRY s’est exprimé de manière plus nuancée au sujet de l’interprétation et du recours aux travaux préparatoires, de la manière suivante10 :
« C’est la théorie du « texte clair », suivant laquelle seul un texte obscur ou imparfait donne lieu à interprétation, alors qu’un texte clair ne donne lieu qu’à application11.
Cette théorie a été critiquée non sans raison au motif qu’elle repose sur une pétition de principe, alors que, en cas de contestation sur la signification d’un texte, toute la question est de savoir s’il est clair ou non, question que doit précisément élucider l’interprétation. En réalité, la nécessité de l’interprétation résulte moins de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi que de sa nature, de règle générale qu’il faut par l’interprétation rendre susceptible d’application dans le concret.
L’interprétation, qui ne se limite donc pas aux seuls textes obscurs ou imparfaits, doit respecter certains principes, dont deux paraissent pertinents dans le cas d’espèce.
Le premier principe, de portée générale, donc non circonscrit au seul domaine du droit pénal, est celui qui a été exprimé par l’article 5 du titre V du projet de Livre préliminaire du Code civil, qui disposait :
« Quand une loi est claire, il ne faut point en éluder la lettre sous prétexte d’en pénétrer l’esprit »12.
Cette maxime exprime le principe que le texte formulé de la loi doit prévaloir sur les intentions réelles ou supposées du législateur, mais restées inexprimées dans le texte.
Ce principe comporte deux conséquences.
9 Pas. 25, p. 453.
10 Conclusions du 1er février 2008 dans l’affaire Ministère Public c/ Harff, n° 2528 du registre.
11 Pierre PESCATORE, Introduction à la Science du Droit, Luxembourg, 1960, réimpression 1978, n° 224, p. 327.
12 Idem, p. 327.
16La première conséquence est relative à la valeur des travaux préparatoires.
Le Conseil d’Etat l’avait exprimée en ces termes :
« Les travaux préparatoires de la loi, de quelque pertinence qu’ils soient, ne peuvent servir ni à suppléer aux lacunes du texte légal, ni à déroger à ses dispositions ».
Bref, les travaux préparatoires ne peuvent pas servir à compléter le texte et encore moins à le dénaturer. Il en est ainsi, d’une part, parce que, selon la Constitution, seul le texte légal est obligatoire, alors que les travaux préparatoires ne sont pas soumis aux mêmes garanties que l’élaboration du texte légal et, d’autre part, parce que les travaux préparatoires, en raison de leur caractère souvent lacunaire et partial, ne peuvent être maniés qu’avec prudence.
La Cour de cassation de Belgique applique cette même solution en décidant de façon constante que :
« Les travaux préparatoires d’une loi ne peuvent être invoqués à l’encontre d’un texte légal clair et précis de celle-ci »13.
La deuxième conséquence du principe est que la prééminence du texte formulé de la loi sur l’intention éventuellement contraire du législateur restée inexprimée dans le texte s’applique, bien entendu, outre aux travaux préparatoires, également à toute autre technique du raisonnement juridique destinée à découvrir les intentions du législateur.
(…) Le texte formulé de la loi, s’il est clair et précis, ne saurait être écarté au profit de la prétendue intention du législateur qui ne s’est pas exprimée dans le texte et qui est déduite soit des travaux préparatoires, soit d’autres méthodes encore plus aléatoires du raisonnement juridique. (…) Un deuxième principe, lui aussi de portée générale, est qu’il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas14.
Il en est déduit en droit pénal le principe qu’une loi pénale s’applique à tous les cas rentrant dans ses termes. Il s’ensuit que restreint abusivement la portée de la loi pénale, le juge qui ajoute aux conditions d’existence de l’infraction. » Ce dernier principe est de même appliqué en matière civile : il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas. L’interprète n’est pas autorisé à écarter l’application d’un texte conçu en termes généraux ».
Il découle notamment du principe qu’il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas que la notion de « procédure étrangère », en ce qu’elle est générale, ne saurait être restreinte aux procédures prononcées au sein de l’Union européenne ou d’un Etat faisant partie de 13 Cour de cassation de Belgique, 30 juin 2006, n° C05117F ; solution déjà adoptée notamment par la Cour de cassation de Belgique, 22 décembre 1994, n° C940035F et 20 février 1951, Pas. belge, I, page 410.
14 Idem, pages 348 à 349. 91 Voir en Belgique : Cour de cassation de Belgique, 30 juin 2006, mentionné ci-avant ; en France:
Cass. crim., 15 avril 1982, Bull. crim., n° 90 ; Cass. soc., 22 octobre 1996, pourvoi n° 94-43319 ; au Luxembourg : Cour d’appel, 8 juillet 1997, n° 257/97 V.
17l’Espace économique européen. Une telle interprétation conduirait à la conclusion qu’une procédure de liquidation prononcée en Côte d’Ivoire ne serait pas considérée comme une procédure étrangère.
Il est vrai que la Loi de 2005 est issue de la transposition d’une directive qui a été adoptée dans un « contexte juridique européen » et « qu’il s’agit de composer avec les textes concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (directive 98/26/CE et 2001/24/CE du 4 avril 2001), l’assainissement et la liquidation des entreprises d’assurance (directive 2001/17/CE du 19 mars 2001) et du fameux règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 concernant les procédures d’insolvabilité »15. Il n’en reste pas moins qu’en tant que loi de transposition d’une directive renfermant des dispositions minimales, la Loi de 2005 a une existence propre.
A cela s’ajoute qu’il résulte des travaux parlementaires que l’article 20, paragraphe 1er, de la Loi de 2005 n’est pas directement issu de la transposition de la Directive 2002/47/CE mais reprend en substance le deuxième alinéa de l’article 3 (4) de la loi du 1er août 2001 relative au transfert de propriété à titre de garantie16. Les travaux parlementaires précisent encore que « la véritable innovation est que cette disposition exigée par la Directive s’applique dorénavant également aux gages. Cette extension du champ d’application assure le respect du « level playing field » entre les garanties financières et que présent projet s’est fixé comme objectif d’établir »17.
La doctrine en a conclu qu’« au-delà de l’argument tendant à l’un des objectifs principaux poursuivis par la directive, à savoir celui d’assurer une exécution rapide et non formelle de garanties, afin de limiter les effets de contagion en cas de défaillance d’une partie, le texte luxembourgeois traduit encore à d’autres niveaux la volonté politique très affirmée de voir immuniser l’exécution des garanties financières contre tous incidents et manœuvres pour le renvoyer qu’à la responsabilité des bénéficiaires après réalisation, en particulier, en protégeant l’exécution des garanties financières, non seulement contre tous effets généralement quelconques de procédures d’insolvabilité luxembourgeoises ou étrangères, mais aussi contre les effets de toute saisie civile, pénale ou judiciaire ou encore d’une confiscation pénale »18.
Or, dans l’hypothèse où l’article 20, paragraphe 1er, de la Loi de 2005 ne trouve pas application face à une faillite ou à autre procédure d’insolvabilité prononcée hors de l’Union européenne (ou hors de l’Espace économique européen), les titulaires de garanties financières ne peuvent pas exécuter leurs garanties (et doivent donc produire au passif de cette faillite par exemple).
Confrontés, au contraire, à une procédure collective européenne, ils ont le droit de réaliser leurs garanties. Les procédures collectives non-européennes sont donc avantagées par rapport à celles prononcées en Europe.
S’il est certes vrai que la doctrine (dont, notamment, celle citée par le demandeur en cassation dans le cadre de son premier moyen de cassation) s’est, à juste titre, interrogée sur l’efficacité concrète de la mise en œuvre du droit d’exécuter sa garantie nonobstant faillite (ou autre mécanisme de concours) soumise au droit d’un Etat non membre de l’Union européenne ou de 15 Arrêt attaqué, page 5, deuxième alinéa.
16 Doc.parl. 5251, commentaire des articles, p. 20.
17 Idem. P. 20 18 P. Schleimer, « Réalisation des garanties financières et pratiques des prêteurs bancaires », J.T.L., 4 février 2010, n°7, p.
15, n°30 18l’Espace économique européen, toujours est-il que d’éventuelles difficultés pratiques n’ont pas d’incidence sur la signification à donner aux termes de « procédure étrangère ».
Il y a finalement lieu de remarquer que depuis l’adoption de la loi du 15 juillet 2024 relative au transfert de crédits non performants19, et portant modification notamment de la Loi de 2005, la question dont Votre Cour est actuellement saisie a été clarifiée par le législateur.
En effet, aux termes de l’article 1er, 9bis de la Loi de 2005, tel que modifié, les termes « mesure d’assainissement, procédure de liquidation ou toute autre situation de concours, nationale ou étrangère » sont définies comme « une mesure d’assainissement, une procédure de liquidation ou toute autre situation de concours, nationale, d’un autre État partie à l’Accord sur l’Espace économique européen, ou d’un autre État ».
Cette modification résulte d’un amendement gouvernemental au projet de loi n° 8185 relatif au transfert de crédits non performants et a été motivé comme suit :
« La loi modifiée du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière traduit un certain nombre de choix opérés par le législateur lors de son adoption, à savoir notamment la volonté d’aller au-delà d’une transposition minimale de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière. Elle vise à offrir un cadre législatif sécurisant les garanties financières luxembourgeoises, tant au stade de leur conclusion, de leur réalisation, que la compensation d’avoirs. Elle écarte, également, toute règle nationale ou étrangère en matière d’insolvabilité, de concours et de saisie susceptible d’affecter leur fonctionnement normal.
L’article 24 de la loi modifiée du 5 août 2005 prévoit, par ailleurs, que les dispositions nationales en matière d’insolvabilité, de concours et de saisie sont inapplicables, dans le cas où (i) le constituant d’une garantie financière, ou de toute autre garantie similaire à laquelle une loi étrangère s’applique, ou lorsque (ii) la partie défaillante dans une opération de mise en pension ou à un arrangement de compensation auxquels une loi étrangère s’applique, est établi au Luxembourg ou y réside.
19 Loi du 15 juillet 2024 relative au transfert de crédits non performants et portant :
1° transposition de la directive (UE) 2021/2167 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2021 sur les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits, et modifiant les directives 2008/48/CE et 2014/17/UE ;
2° mise en œuvre du règlement (UE) 2022/2036 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 modifiant le règlement (UE) n° 575/2013 et la directive 2014/59/UE en ce qui concerne le traitement prudentiel des établissements d’importance systémique mondiale selon une stratégie de résolution à points d’entrée multiples et des méthodes pour la souscription indirecte d’instruments éligibles pour l’exigence minimale de fonds propres et d’engagements éligibles ;
3° modification :
a) du Code de la consommation ;
b) de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier ;
c) de la loi modifiée du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier ;
d) de la loi modifiée du 22 mars 2004 relative à la titrisation et portant modification de - la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier ;
- la loi modifiée du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier ;
- la loi du 27 juillet 2003 sur le trust et les contrats fiduciaires ;
- la loi modifiée du 4 décembre 1967 relative à l’impôt sur le revenu ;
- la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’impôt sur la fortune ;
- la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée ;
e) de la loi modifiée du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière ;
f) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la défaillance des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement. (Mém. A 2024 N° 292 ; Doc. parl. 8185 ; Dir. (UE) 2021/2167).
19La question de savoir si l’exclusion des procédures et mesures nationales et étrangères en matière d’insolvabilité doit être comprise comme couvrant toute procédure et mesure nationale ou étrangère ordinaire, ou plutôt comme couvrant seulement les procédures et mesures nationales et européennes, à l’exception des procédures et mesures d’Etats tiers, peut être source d’incertitude, et affecter la sécurité juridique des dispositifs mis en place sous la loi modifiée du 5 août 2005.
Lors de l’adoption de la loi du 5 août 2005, le législateur n’entendait pas distinguer entre procédures et mesures étrangères d’origine européenne ou procédures et mesures étrangères d’origine extra-européenne. L’intention du législateur était, alors, d’aller au-delà d’une transposition minimale de la directive 2002/47/CE. En effet, le législateur entendait protéger les contrats de garantie financière et la compensation de tout incident issu du droit des procédures de liquidation, des mesures d’assainissement et des autres situations de concours au sens large, et ce quelle que soit l’origine ou la juridiction de ces procédures et mesures.
L’intention du législateur était de viser toute loi étrangère, incluant les lois des Etats tiers.
Le présent amendement clarifie davantage le sens de ces concepts, eu égard à l’insécurité juridique que des interrogations à ce sujet seraient susceptibles de causer ».
Il en résulte clairement que le sens qu’il convient d’attribuer aux termes « national ou étranger » n’a pas été modifié, mais simplement précisé par cette législation récente.
L’examen tant du texte légal que de l’intention du législateur mène à la conclusion qu’une procédure de liquidation hors de l’Espace économique européen doit être considérée comme une procédure étrangère au sens de l’article 20, paragraphe 1er de la Loi de 2005.
Le deuxième moyen de cassation est partant fondé.
Sur le troisième moyen de cassation :
Le troisième moyen est tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a considéré que la procédure de liquidation de SOCIETE3.) ne tombait pas sous l’application de l’article 20 paragraphe 1er de la Loi de 2005, alors que ledit article vise expressément les procédures étrangères, sans exclure les procédures non européennes. La Cour aurait partant procédé à une interprétation d’un texte clair violant ainsi l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile.
L’article 61 du Nouveau Code de procédure civile est rédigé comme suit :
« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. » 20Cette disposition prévoit ainsi deux obligations distinctes dans le chef des juges à savoir celle de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et celle de donner aux faits et actes litigieux leur exacte qualification.
Par référence aux développements faits dans le cadre du deuxième moyen de cassation relatifs au libellé de l’article 20, paragraphe 1er, de la Loi de 2005 et à la volonté clairement affichée du législateur d’aller au-delà des dispositions minimales de la Directive 2002/47/CE, il y a lieu de conclure que le troisième moyen de cassation est également fondé.
Sur le premier moyen de cassation :
Le premier moyen est tiré de la violation des articles 109 de la Constitution, 249 et 587 du Nouveau Code de procédure civile et 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pris ensemble, en ce que la Cour d’appel a considéré que la procédure de liquidation de SOCIETE3.) ne rentrait pas dans le champ d’application de l’article 20 de la Loi de 2005 et que c’était à juste titre, quoique pour d’autres motifs, qu’il y avait lieu dès lors de confirmer la décision de première instance, alors qu’en statuant ainsi, elle n’a pas répondu aux développements du demandeur en cassation relatifs à l’applicabilité de la loi susvisée aux procédures collectives non européennes et est en défaut de réponse à conclusions.
Dans le cadre de la discussion du moyen, le demandeur en cassation reproche aux juges d’appel d’avoir fait abstraction des nombreux moyens développés dans ses conclusions en appel du 17 mars 2023 pour soutenir que la Loi de 2005 s’applique également aux procédures collectives non-européennes.
Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme. Les juges d’appel ne sont tenus de répondre qu’aux moyens qui exigent réponse. Pour qu’un moyen exige réponse, il faut qu’il comporte un élément de fait et une déduction juridique;
il faut encore que cette déduction juridique soit de nature à influer sur la solution du litige.
Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré. Les juges d’appel ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
La Cour d’appel a motivé comme suit sa conclusion selon laquelle la procédure collective ivoirienne ne tombe pas dans le champ d’application de l’article 20 de la Loi de 2005 :
« La Cour rappelle d’abord que la loi de 2005 porte transposition de la directive 2002/47/CE du Parlement Européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière.
Elle relève ensuite que le mécanisme issu de la directive visée (directive dite « Collatéral ») tend à renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière en prévoyant des procédures simples de constitution et d’exécution des sûretés et en soustrayant ces contrats aux incertitudes générées par la législation sur les procédures d’insolvabilité et permettant la réalisation des garanties financières même en cas de faillite de leur constituant.
En effet, parallèlement à la forte croissance des transactions financières, et plus particulièrement de celles portant sur les produits dérivés, les contrats de garantie financière, 21qui ont pour objet de réduire le risque de crédit par lequel l'une ou l'autre des parties à une transaction n'honore pas son obligation de paiement, ont connu un fort développement, à côté d'autres techniques de gestion du risque de crédit que sont l'assurance ou les dérivés de crédit.
Dans une optique de réduction de ce risque et de gestion des contraintes d'allocation des fonds propres, les opérateurs de marché ont souhaité conclure des garanties transfrontalières, qui ont pleinement participé de la croissance du montant global des garanties. L'établissement de ces garanties, également nommée « collatéralisation », s'effectue soit par la constitution d'une sûreté avec ou sans dépossession et composée de titres et/ou d'espèces, soit par un transfert en pleine propriété de titres ou d'espèces.
C’est afin de lever certaines difficultés liées aux formalités nationales de constitution des garanties et de garantir une meilleure sécurité juridique des opérations transfrontalières que la susdite directive appelée « Collatéral », a entendu mettre en place un régime homogène de la collatéralisation au niveau européen.
Dès le considérant n° 4 de la directive « Collateral », les rédacteurs prennent soin de rappeler que ladite directive est adoptée dans un contexte juridique européen et qu’il s’agit de composer avec les textes concernant l’Assainissement et la liquidation des établissements de crédit (directive 98/26/CE et 2001/24/CE du 4 avril 2001), l’Assainissement et la liquidation des entreprises d’assurance (directive 2001/17/CE du 19 mars 2001) et du fameux règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 concernant les procédures d’insolvabilité.
Le considérant n° 5 prévoit ensuite que « pour renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière, les États membres (à souligner) devraient faire en sorte de les soustraire à certaines dispositions de leur législation en matière d'insolvabilité, notamment celles qui pourraient faire obstacle à la réalisation de la garantie financière ou rendre incertaine la validité de techniques actuelles, (…) ».
L’hypothèse est celle de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre d’une des parties au contrat de garantie financière. Traditionnellement, la loi de l’État dans lequel la procédure d’insolvabilité a été ouverte a vocation à s’appliquer : il s’agit de la lex concursus.
Mais l’on sait dès à présent que la lex concursus est, d’une part, écartée et, d’autre part, neutralisée par la directive « Collateral ». En effet, le dispositif « Collateral » évince la lex concursus au profit de la lex rei sitae. Ainsi, les accords de « Collateral » ne peuvent être atteints par les effets de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. La cohérence du régime de faveur implique que la loi de l’État dans lequel le compte pertinent est situé ait vocation à s’appliquer.
Là aussi, il convient de replacer le problème dans le cadre d’un corpus de règles communautaires.
Le considérant n° 8 précise d’ailleurs que « la règle de la lex rei sitae, selon laquelle la validité et donc l'opposabilité aux tiers de la garantie financière s'apprécient selon la loi du pays où la garantie financière est située, est actuellement acceptée par tous les États membres (à souligner à nouveau). (…) ».
Le principe de la lex rei sitae, déjà introduit dans notre droit par le règlement grand-ducal du 8 juin 1994 portant modification du règlement grand-ducal modifié du 17 février 1971 concernant la circulation de valeurs mobilières et du règlement grand-ducal du 18 décembre 221981 concernant le nantissement, la circulation et la perte de titres et repris par la loi du 1er août 2001 sur la circulation de titres, a été généralisé par l’article 23 de la loi de 2005.
Lors de l’introduction de cette règle dans notre droit, son efficacité pouvait encore poser problème selon le pays appelé à décider de la question de la loi applicable.
Aujourd’hui, du fait de la généralisation de cette règle au niveau européen, la solution adoptée depuis longtemps par le droit luxembourgeois peut sortir tous ses effets, dès lors que les pays en cause font partie de l’espace communautaire (cf. avis de la chambre de commerce du 23 août 2004 sur le projet de loi 5251 sur les contrats de garantie financière portant transposition de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière).
La Cour en déduit que le mécanisme dérivé de la directive « Collatéral » repose sur une reconnaissance mutuelle entre États membres de toutes les garanties financières constituées entre des institutions réglementées et que cette reconnaissance mutuelle se limite dès lors aux États signataires de l’accord sur l’EEE et n’est donc pas de portée universelle.
Au vu de ce qui précède, la procédure de liquidation de SOCIETE3.), société de droit ivoirien, ne tombe pas sous l’application de l’article 20 précité de la loi de 2005 ».
Il en découle qu’en motivant longuement pourquoi l’article 20 de la Loi de 2005 ne s’applique qu’aux procédures collectives européennes, la Cour d’appel a, certes implicitement mais nécessairement, rejeté en bloc l’ensemble des arguments avancés par la partie demanderesse en cassation tendant à établir le contraire.
Le deuxième moyen de cassation est partant non fondé.
Sur le quatrième moyen de cassation :
Il résulte du mémoire en cassation que ce moyen n’est formulé qu’à titre subsidiaire par rapport aux deuxième et troisième moyens de cassation. Etant donné que, de l’avis de la soussignée, ces moyens sont fondés, il n’y a pas lieu de développer le quatrième moyen de cassation.
Remarque quant à la portée d’une éventuelle cassation à intervenir :
Le défendeur en cassation PERSONNE1.) donne à considérer qu’étant donné que les motifs de l’arrêt avant dire droit du 19 janvier 2023 ont été repris par l’arrêt attaqué du 11 janvier 2024 et en constituent le soutien nécessaire, une éventuelle cassation de l’arrêt du 11 janvier 2024 devrait, au vu de cette interdépendance, s’étendre également à l’arrêt du 19 janvier 2023.
Or, les effets d’un arrêt de cassation se résument comme suit : la décision attaquée et tous les actes qui en sont la suite nécessaire ou l’exécution sont annulés. En revanche, toute la procédure antérieure au prononcé de la décision subsiste.
Une cassation de l’arrêt qui tranche le fond n’affecte pas la validité de la décision antérieure, rendue sur la recevabilité de l’action, puisque seules les décisions qui sont postérieures à l’arrêt cassé et qui en sont la suite nécessaire, sont annulées par voie de conséquence20. Il faut en 20 J. BORE et L. BORE, La cassation en matière civile, Dalloz, 2023/2024, n° 122.83, p. 697.
23conclure que ce même principe s’applique même si une première décision a statué sur une partie du fond de l’affaire.
Il en découle qu’à défaut de pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt du 19 janvier 2023, celui-
ci n’est pas affecté par une éventuelle cassation à intervenir de l’arrêt du 11 janvier 2024.
Conclusion Le pourvoi est recevable.
Le premier moyen de cassation est à rejeter.
Les deuxième et troisième moyens de cassation sont fondés.
Le quatrième moyen de cassation, formulé à titre subsidiaire, est surabondant.
Pour le Procureur général d’État l’avocat général Nathalie HILGERT 24