Arrêt no. 182 / 2024 du 12.12.2024 Audience publique de la Cour de cassation du douze décembre deux mille vingt-quatre.
Composition:
Agnès Zago, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure Meyer, conseiller à la Cour de cassation, Monique Hentgen, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne Guillaume, conseiller à la Cour de cassation, Claudine Elcheroth, conseiller à la Cour d’appel, statuant sur une demande en récusation présentée le 11 décembre 2024 par Maître PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), comparant par Maître Antonio RAFFA, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, contre le magistrat Thierry HOSCHEIT, président de la Cour de cassation, dans le cadre d’un pourvoi en cassation introduit par Maître PERSONNE1.) contre un arrêt no 1/24 du 30 janvier 2024 rendu par le Conseil disciplinaire et administratif d’appel, LA COUR D'APPEL :
Par acte au greffe de la Cour supérieure de Justice du 11 décembre 2024, Maître Antonio RAFFA, avocat à la Cour, a, pour le compte de Maître PERSONNE1.), proposé la récusation du magistrat Thierry HOSCHEIT, président de la Cour de cassation, à l’occasion du recours contre un arrêt rendu le 30 janvier 2024 par le Conseil disciplinaire et administratif d’appel dans l’affaire entre Maître PERSONNE1.) et l’ORDRE DES AVOCATS DE LUXEMBOURG.
Les formalités prévues par l’article 527 du Nouveau Code de procédure civile ayant été respectées, la demande est recevable en la pure forme.Le mandataire de Maître PERSONNE1.) motive la demande comme suit :
« - Monsieur Thierry HOSCHEIT, Président de la Cour de Cassation et de la Cour Supérieure de Justice, alors qu'il a présidé la Cour de Cassation dans une affaire qui concernait Maître PERSONNE1.) (Arrêt N° 130/2024 du 10 octobre 2024 - CAS-2024-00018 du registre).
En effet, dans ce contexte, et au regard des éléments de l'espèce, il avait été demandé à Monsieur HOSCHEIT, ès-qualités, tout comme aux membres de la composition de la Cour de Cassation, de s'interroger - en tenant compte de l'évolution technique en matière de préservation des preuves (notamment photos) -
sur les conceptions juridiques établies depuis des siècles et sur la jurisprudence de la Cour en la matière, en "faisant un pas de côté" afin de mieux appréhender la situation et de s'adapter à la modernité, notamment au regard des dernières techniques en matière d'appareils portables susceptibles de prendre des photos de bonne qualité pour préserver d'éventuelles preuves. Or, la Cour a semblé particulièrement irritée et fortement agacée par cette demande et n'a, in fine, tenu aucune compte des plaidoiries et des arguments développés.
Il est donc parfaitement concevable que Monsieur HOSCHEIT soit ici - alors qu'il est à nouveau demandé aux magistrats de s'interroger sur le bienfondé de conceptions trentenaires et de douter des fondements de l'ordre établi, remis en cause alors qu'il pourrait, ici, se montrer partial, parce qu'à nouveau irrité et agacé par la demande, voire l'exigence d'une analyse moderniste et par une audace inhabituelle de la défense. (…) A cette constatation, se rajoute le fait qu'il y a de fortes chances qu'un magistrat soit le cousin ou petit-cousin de quelqu'un qui a un intérêt personnel, ou qu'un membre de sa famille ou de ses connaissances proches ait tout intérêt à voir aboutir cette affaire dans l'intérêt (direct ou indirect) du Conseil de l'Ordre.
L'impartialité au Grand-Duché de Luxembourg, au vu en général, du territoire exigu du pays et en particulier, du minuscule milieu des juristes d'à peine 5.000 personnes, se doit d'être analysée avec la plus grande des suspicions.
Ces éléments précités sont d'autant plus renforcés par les faits que:
- le pouvoir économique des juristes est sous le contrôle d'une douzaine de famille d'avocats et ce depuis fort longtemps ;
- que les magistrats, avant de devenir fonctionnaires, ont dû effectuer leur stage judiciaire dans des études d'avocats - qui, la plupart du temps ont tout intérêt à voir préserver leurs privilèges -, ce qui inexorablement a formé les caractères et convictions et jeunes stagiaires et futurs juges … (l'absence d'une -Ecole Nationale de la Magistrature est significative, dans le cas d'espèce) ;
- les multiples liens d'ordre privé, tels que dénoncés régulièrement par feu Maître Gaston VOGEL, entre magistrats et avocats ;
- etc. ».
Maître PERSONNE1.) conteste l’impartialité du magistrat visé par la requête.
2 Selon les conclusions du procureur général d’Etat adjoint du 11 décembre 2024, la récusation est inadmissible.
Maître PERSONNE1.) ne reproche pas au magistrat concerné des faits précis et circonstanciés, susceptibles de justifier une récusation conformément aux article 521 du Nouveau Code de procédure civile et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais se limite à émettre des insinuations dépourvues de pertinence.
La Cour suit les considérations du Ministère public en ce que les motifs invoqués ne sont manifestement pas de nature à mettre en doute l’impartialité du magistrat visé.
Il s’ensuit que la récusation est inadmissible.
Par ces motifs :
la Cour de cassation, siégeant en matière de récusation, statuant sur le rapport du conseiller-président et sur les conclusions écrites du procureur général d’Etat adjoint, reçoit la demande en la forme ;
déclare inadmissible la récusation proposée par acte au greffe du 11 décembre 2024 par Maître PERSONNE1.) ;
condamne Maître PERSONNE1.) aux frais et dépens de la présente demande.
Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS et du greffier Daniel SCHROEDER.
3 Conclusions du Parquet Général sur deux requêtes en récusation dirigées en date du 11 décembre 2024 contre deux membres de la Cour de cassation Par deux actes au greffe de la Cour supérieure de justice du 11 décembre 2024, Maître PERSONNE1.), avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, a déclaré récuser, respectivement, Monsieur le Président Thierry HOSCHEIT et Madame la Conseiller à la Cour de cassation Carine FLAMMANG, pris en leurs qualités de membres de la Cour de cassation appelés à siéger, en date du 12 décembre 2024, aux fins de statuer sur le pourvoi en cassation n° CAS-2024-00044 dirigé par Maître Antonio RAFFA au nom et pour le compte de Maître PERSONNE1.) contre l’arrêt n° 01/24 du Conseil disciplinaire et administratif d’appel des avocats du 30 janvier 2024 ayant confirmé un jugement du Conseil disciplinaire et administratif des avocats du 12 juin 2019 ayant condamné Maître PERSONNE1.) pour certains faits disciplinaires à une interdiction de l’exercice de la profession d’avocat pendant 12 mois, assortie du sursis pendant une durée de 6 mois.
Cet acte été transmis en date de ce jour par Madame la conseiller à la Cour de cassation Agnès ZAGO à Madame le Procureur général d’Etat pour conclusions en application de l’article 528 du Nouveau Code de procédure civile.
Sur la recevabilité des récusations en la pure forme L’article 527 du Nouveau Code de procédure civile dispose que « la récusation sera proposée par un acte au greffe, qui en contiendra les moyens, et sera signé de la partie, ou du fondé de sa procuration authentique et spéciale, laquelle sera annexée à l’acte ».
Les récusations ont été formées en l’espèce par des actes au greffe, signés par le requérant. Leur motivation figure dans un écrit à part, qui est censé faire partie intégrante de la déclaration de récusation.
Il en suit que la récusation est recevable en la pure forme au regard des exigences de l’article 527 du Nouveau Code de procédure civile.
Sur l’admissibilité des récusations L’admissibilité visée par l’article 528 du Nouveau Code de procédure civile implique, au-delà de l’appréciation de la recevabilité de la demande en récusation, un examen de son bien-fondé à première vue, une demande de récusation manifestement non fondée étant inadmissible.
La récusation est dirigée contre deux des cinq membres de la formation de la Cour de cassation appelés à siéger, à l’occasion de l’audience du 12 décembre 2024, sur le pourvoi n° CAS-2024-
00044 du requérant.
A l’appui de ses demandes le requérant fait valoir que Monsieur le Président HOSCHEIT aurait, à l’occasion de l’audience de la Cour de cassation du 19 septembre 2024, dans le cadre des plaidoiries relatives à un autre pourvoi en cassation, n° CAS-2024-00018 du registre, formé par le requérant et ayant donné lieu à l’arrêt n° 130/2024 de la Cour de cassation du 10 octobre 2024, 4 manifesté une irritation et un agacement du fait des développements oraux du requérant, lui aurait retiré la parole après deux minutes et n’aurait accepté d’admettre le requérant à poursuivre ses développements qu’après la demande de ce dernier de voir acter ce retrait de parole. Il fait en outre, sans circonstancier davantage ce reproche en ce qui concerne le magistrat visé par sa requête, valoir l’existence d’une proximité trop importante entre magistrats et avocats à Luxembourg.
S’agissant de Madame la conseiller à la Cour de cassation FLAMMANG, il se limite à affirmer que « [a]u regard des éléments qui précèdent, les mêmes arguments peuvent être invoqués »1.
Sur les reproches adressés à Monsieur le Président HOSCHEIT La circonstance alléguée, que Monsieur le Président HOSCHEIT aurait manifesté une irritation et un agacement à l’occasion des développements oraux du requérant à l’audience de plaidoirie du pourvoi n° CAS-2024-00018 n’est manifestement pas de nature à mettre en doute l’impartialité du magistrat attaqué pour juger le pourvoi n° CAS-2024-00044, dès lors que le requérant admet lui-
même que ce magistrat a, nonobstant cette irritation ou cet agacement allégués, accepté de le laisser poursuivre ses développements oraux et que, à suivre les explications du requérant, ces développements avaient pour objet de demander à la Cour « de s’adapter à la modernité, notamment au regard des dernières techniques en matière d’appareils portables, susceptibles de prendre des photos de bonne qualité pour préserver d’éventuelles preuves »2, donc, à bien comprendre, d’admettre le requérant à procéder à un enregistrement vidéo de l’audience de la Cour de cassation, ce que Monsieur le Président était, au regard de l’usage constant et général de la prohibition de tels enregistrements au cours des audiences publiques des juridictions du pays et sur base de ses pouvoirs de police d’audience, parfaitement en droit de refuser.
L’insinuation relative à une trop grande proximité entre magistrats et avocats n’est manifestement pas non plus de nature à mettre en doute l’impartialité de Monsieur le Président, aucun reproche circonstancié n’ayant été adressé à ce sujet à ce dernier, de sorte que cette insinuation ne respecte même pas le critère d’un grief de récusation.
Sur les reproches adressés à Madame la conseiller FLAMMANG Les reproches adressés à Madame la conseiller FLAMMANG se limitent à un renvoi à ceux opposés à Monsieur le Président HOSCHEIT. Or, l’irritation et l’agacement reprochés à ce dernier n’ayant pas été le fait de celle-ci, le reproche y relatif est dépourvu de pertinence en ce qui la concerne. L’insinuation relative à une trop grande proximité entre magistrats et avocats n’ayant pas plus été caractérisée au sujet de Madame FLAMMANG que de Monsieur HOSCHEIT, elle ne réunit même pas les éléments constitutifs d’un grief de récusation.
Les motifs invoqués ne sont donc manifestement pas de nature à mettre en doute l’impartialité de Madame FLAMMANG.
Les récusations dirigées contre Monsieur le Président HOSCHEIT et Madame la conseiller FLAMMANG sont dès lors à déclarer inadmissibles.
1 Note accompagnant les requêtes, page 5, premier alinéa.
2 Idem, page 1, dernier alinéa.
5 Conclusion :
Les récusations sont recevables, mais inadmissibles.
Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY 6