N° 180 / 2024 du 05.12.2024 Numéro CAS-2024-00021 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, cinq décembre deux mille vingt-quatre.
Composition :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Claudine ELCHEROTH, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre PERSONNE1.), demeurant à ADRESSE1.), Etats-Unis d’Amérique, ADRESSE2.), demandeur en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1) PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE3.), défenderesse en cassation, comparant par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Fabio TREVISAN, avocat à la Cour, 2) PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE4.), défenderesse en cassation, comparant par la société en commandite simple ALLEN OVERY SHEARMAN STERLING, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Thomas BERGER, avocat à la Cour.
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Vu l’arrêt attaqué numéro 114/23-VII-CIV rendu le 14 juillet 2023 sous le numéro CAL-2021-00171 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 25 janvier 2024 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.) et à PERSONNE3.), déposé le 31 janvier 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 21 mars 2024 par PERSONNE3.) à PERSONNE1.) et à PERSONNE2.), déposé le 22 mars 2024 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 20 mars 2024 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.) et à PERSONNE3.), déposé le 25 mars 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Marie-Jeanne KAPPWEILER.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, PERSONNE4.) avait légué par testament du 21 février 2017 un certain nombre de titres d’une société de droit suisse à PERSONNE1.). Un contrat signé par PERSONNE4.) le 17 août 2017, transmis le 22 août 2017 à des tiers aux fins de signature et renvoi, portait sur la vente de ces mêmes titres à ces derniers.
Ceux-ci avaient retourné ce contrat signé au mandataire de PERSONNE4.) en date du 8 septembre 2017, postérieurement au décès de cette dernière survenu le même jour.
Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait dit que PERSONNE1.) ne disposait pas de droit sur ces titres et avait rejeté tant sa demande en remise de ces titres que sa demande en paiement de leur contrevaleur dirigées contre PERSONNE2.), légataire universelle de PERSONNE4.), et contre PERSONNE3.), légataire particulière d’un compte en banque de PERSONNE4.).
La Cour d’appel, après avoir pris acte dans les motifs de son arrêt de la renonciation de PERSONNE1.) à la demande en remise des titres et de la limitationde sa demande à la condamnation de PERSONNE3.) au paiement de leur contrevaleur, a confirmé le jugement.
Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement de première instance et d’avoir dit l’appel de M. PERSONNE1.) non fondé, d’avoir condamné M.
PERSONNE1.) à payer à Mmes PERSONNE3.) et PERSONNE2.) une indemnité de procédure et de l’avoir condamné aux frais et dépens de l’instance, aux motifs que par application de l’article 1038 du Code civil, le legs au demandeur en cassation de 47 actions de la société SOCIETE1.) S.A. effectué par un testament de PERSONNE4.) était devenu caduc, du fait de la signature et de l’envoi, par PERSONNE4.), d’un contrat de vente avec des tiers portant sur les actions préalablement léguées, et ceci alors même que la vente des actions n’avait pas pu se former avant le décès de PERSONNE4.), les acquéreurs n’ayant retransmis le contrat, contresigné par eux, qu’après le décès de PERSONNE4.) ;
qu’en particulier civil, “n’est pas tant le fait même de l’aliénation que l’intention qu’il relève. Aliéner le bien légué, c’est évidemment, vouloir que le légataire ne le recueille pas” (J. Flour et H. Souleau, Les libéralités : A. Colin, coll. U, 3e éd., 1991).
Un simple projet ne saurait emporter révocation (Cass. req., 31 mai 1907 :
DP 1909, 1, p. 377. – Cass. 1re civ., 4 juill. 2007, n° 05-16.023 : JurisData n° 2007-
039912 ; Bull. civ. I, n° 260 ; JCP N 2007, n° 29, act. 530 ; Dr. famille 2007, comm.
174, B. Beignier).
PERSONNE1.) conteste que le contrat de vente était valablement conclu au moment du décès de PERSONNE4.) et soutient qu’à défaut d’aliénation effective, le legs n’était pas révoqué.
Les parties s’accordent encore pour dire que la vente des actions litigieuses est régie par le droit suisse » (page 20) ;
que, pour diverses raisons de droit suisse indiquées à la page 21 de l’arrêt, ;
que qu’il importe de vérifier, eu égard au fondement de l’article 1038 du Code civil, n’est pas la question de la formation du contrat de vente entre parties et du transfert de propriété, mais la réalité de l’aliénation dans le chef du testateur.
3 Contrairement à ce que fait plaider PERSONNE1.), le tribunal n’a dès lors pas procédé à une requalification du contrat de vente régi par le droit suisse en promesse unilatérale de vente inconnue en droit suisse, mais a analysé la manifestation de volonté de la testatrice consistant en la signature et en l’envoi d’un contrat de vente portant sur les actions litigieuses préalablement léguées à la lumière de l’article 1038 du Code civil.
Les développements de PERSONNE1.) sur l’impossibilité en droit suisse de requalifier le contrat de vente du 17 août 2017 non valablement conclu en précontrat, offre de vente ou promesse unilatérale de vente sont partant à écarter pour manque de pertinence.
En s’attachant à la volonté de PERSONNE4.), les premiers juges sont à juste titre venus à la conclusion que celle-ci a pris un engagement ferme à l’égard des acquéreurs.
Il découle tant de l’avis de Me Guerric Canonica que de celui du professeur Zwellweger-Gutknecht qu’à partir de l’envoi de l’offre de vente résultant du contrat de vente signée par la testatrice le 17 août 2017, c’est-à-dire à partir du 22 août 2017, PERSONNE4.) était liée à cette offre aussi longtemps qu’il a fallu pour recevoir une acceptation envoyée en bonne et due forme et en temps utile.
Ainsi, l’envoi d’un contrat de vente signé par la testatrice dépasse le stade d’un simple projet d’aliénation ou d’une intention d’aliéner, dans la mesure où à partir de cet envoi, elle n’a plus eu la libre maîtrise sur les actions litigieuses » (p. 22) ;
et que à juste titre décidé que cet engagement ferme de PERSONNE4.) de céder les actions litigieuses aux époux GROUPE1.) vaut promesse de vente aux acquéreurs.
PERSONNE1.) considère encore qu’une promesse unilatérale de vente ne saurait être considéré comme aliénation au sens de l’article 1038 du Code civil.
Or, à l’instar des juges de première instance, la Cour considère qu’en tenant compte de la volonté du testateur, une promesse unilatérale de vente est suffisante pour valoir révocation au sens de l’article 1038 du Code civil et ce sans qu’il fût nécessaire que l’option ait été levée lors du décès. (Cf. en ce sens, Cour d’appel de Paris, pôle 3 chambre 1 du 26 novembre 2014, n°13/24159, GRIMALDI, Droit civil :
Libéralités. Partages d’ascendants, 1re éd., 2000, Litec., no 1499, note 314) » (p. 23).
alors que, première branche, la Cour d’appel s’est contredite en exposant d’abord qu’au regard du droit suisse auquel était soumis le contrat de vente, 4 d’un contrat de vente portant sur les actions litigieuses préalablement léguées à la lumière de l’article 1038 du Code civil. Les développements de PERSONNE1.) sur l’impossibilité en droit suisse de requalifier le contrat de vente du 17 août 2017 non valablement conclu en précontrat, offre de vente ou promesse unilatérale de vente sont partant à écarter pour manque de pertinence » (page 22, alinéa 2), mais ensuite, et ceci au moment d’appliquer l’article 1038 du Code civil à la situation de fait concrète de la cause, qu’ (page 23, alinéa 5), que ces motifs contradictoires – selon lesquels la qualification en promesse unilatérale de vente était d’une part et n’avait pas à être opérée, mais d’autre part la qualification en promesse unilatérale de vente s’imposait et donnait la solution juridique applicable à la cause – s’annulent mutuellement ; que la contradiction de motifs vaut violation de l’article 249, 1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même code ;
que, seconde branche, l’article 1038 du Code civil subordonne expressément la caducité d’un legs à la preuve d’une aliénation de la chose léguée ; que la notion d’aliénation ne s’entend, en cas d’aliénation par vente, que d’une vente devenue parfaite avant le décès du testateur ; que cependant, à défaut de manifestation de volonté de l’acquéreur devenue efficace avant le décès du testateur, la vente est restée au moment du décès – moment décisif au regard de l’article 1038 du Code civil – à l’état d’un stade préparatoire qui ne permet pas de caractériser l’ ; qu’en appliquant l’article 1038 du Code civil, alors même qu’ils ont expressément constaté que , les juges du fond ont violé l’article 1038 du Code civil. ».
Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué dès lors qu’en réponse à l’argument du demandeur en cassation consistant à dire qu’« une promesse unilatérale de vente ne saurait être considérée comme alinéation au sens de l’article 1038 du Code civil », les juges d’appel ont retenu qu’« à l’instar des juges de première instance, la Cour considère qu’en tenant compte de la volonté du testateur, une promesse unilatérale de vente est suffisante pour valoir révocation au sens de l’article 1038 du Code civil et ce sans qu’il fût nécessaire que l’option ait été levée lors du décès », formulation par laquelle ils ont exprimé que la promesse unilatérale de vente seule ne pouvait pas valoir révocation du legs, mais seulement si la volonté du testateur pouvait être interprétée en ce sens lors de la formulation de pareille promesse unilatérale, et partant sans décider que « la qualification en promesse unilatérale de vente s’imposait et donnait la solution juridique applicable à la cause ».
Il s’ensuit que le moyen manque en fait.
Sur la deuxième branche du moyen Vu l’article 1038 du Code civil aux termes duquel « Toute aliénation, celle même par vente avec faculté de rachat ou par échange, que fera le testateur de tout ou de partie de la chose léguée, emportera la révocation du legs pour tout ce qui a été aliéné, encore que l'aliénation postérieure soit nulle et que l'objet soit rentré dans la main du testateur. » La faculté de disposer de ses biens pour cause de mort par voie testamentaire est soumise au formalisme des articles 967 et suivants du Code civil. Les articles 1035 et suivants du Code civil énoncent les causes de révocation des testaments régulièrement formés en soumettant la validité de la révocation au formalisme y déterminé. La réalisation des actes visés auxdits articles, dans les conditions de forme y définies, caractérise la volonté révocatoire du testateur.
Ayant constaté, pour dire que les titres litigieux avaient fait l’objet d’une aliénation, que par l’envoi aux tiers en date du 22 août 2017 du contrat de vente signé et par application du droit suisse, la légataire « a pris un engagement ferme à l’égard des acquéreurs » et qu’elle « était liée à cette offre aussi longtemps qu’il a fallu pour recevoir une acceptation envoyée en bonne et due forme et en temps utile » pour conclure que « l’envoi d’un contrat de vente signé par la testatrice dépasse le stade d’un simple projet d’aliénation ou d’une intention d’aliéner, dans la mesure où à partir de cet envoi, elle n’a plus eu la libre maîtrise sur les actions litigieuses », ce dont il résulte que le contrat portant aliénation des titres n’était pas définitivement formé à défaut par les tiers de lui avoir fait parvenir leur acceptation avant la survenance de son décès, les juges d’appel ont violé par fausse application la disposition visée au moyen.
Il s’ensuit que l’arrêt attaqué encourt la cassation.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge du demandeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.500 euros.
Les défenderesses en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, leurs demandes en allocation d’une indemnité de procédure sont à rejeter.
PAR CES MOTIFS, 6 la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué numéro 114/23-VII-CIV rendu le 14 juillet 2023 sous le numéro CAL-2021-00171 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, autrement composée ;
condamne les défenderesses en cassation in solidum à payer au demandeur en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;
rejette les demandes des défenderesses en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
les condamne in solidum aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Patrick KINSCH, sur ses affirmations de droit ;
ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence de l’avocat général Nathalie HILGERT et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre PERSONNE2.) et PERSONNE3.) (CAS-2024-00021) Le pourvoi en cassation, introduit par PERSONNE1.) par un mémoire en cassation signifié le 25 janvier 2024 aux défenderesses en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 31 janvier 2024, est dirigé contre un arrêt n° 114/23 rendu par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 14 juillet 2023. Cet arrêt ne semble pas avoir été signifié.
La partie défenderesse PERSONNE2.) a fait signifier un mémoire en réponse en date du 20 mars 2024 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 25 mars 2024.
La partie défenderesse PERSONNE3.) a fait signifier un mémoire en réponse en date du 21 mars 2024 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 22 mars 2024.
Lesdits mémoires en réponse ont été signifiés et déposés dans le délai prévu par l’article 15 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après la loi du 18 février 1885).
Sur les faits et rétroactes À la suite du décès testat, en vertu d’un testament olographe du 21 février 2017, de PERSONNE4.) en date du 8 septembre 2017, un litige est né entre ses héritiers, à savoir :
- son frère PERSONNE1.), légataire de 47 actions de la société de droit suisse SOCIETE1.) SA ;
- sa sœur PERSONNE3.), légataire des avoirs auprès de la banque SOCIETE2.) , - sa nièce PERSONNE2.), légataire universelle et exécuteur testamentaire.
Le litige entre les parties est né du fait des actes de la défunte en vue de l’aliénation des 47 actions ayant fait l’objet d’un legs au demandeur en cassation. En effet un acte de vente (ci-
après l’acte litigieux) a été signé par PERSONNE4.) en date du 17 août 2017 et il a été envoyé aux acquéreurs GROUPE1.) en date du 5 septembre 2017. Ceux-ci ont renvoyé l’acte signé à la venderesse quelques heures après le décès de cette dernière, survenu le 8 septembre 2017.
Les parties sont désaccord sur la question de savoir si l’acte litigieux pouvait valoir aliénation et s’il avait entraîné la révocation du legs en question.Aux termes de l’acte litigieux, celui-ci est soumis au droit suisse.1. L’applicabilité du droit suisse n’est pas contestée. Ainsi il ressort de l’arrêt attaqué que «[ L]es parties s’accordent encore pour dire que la vente des actions litigieuses est régie par le droit suisse »2.
Par jugement rendu en date du 25 novembre 2020, le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a déclaré non fondée la demande de PERSONNE1.) en délivrance des 47 actions litigieuses, en retenant que, selon la loi luxembourgeoise, les dispositions testamentaires relatives au legs litigieux ont été révoquées à la suite de la signature de l’acte litigieux.
En date du 14 juillet 2023, la Cour d’appel a rendu un arrêt dont le dispositif se lit comme suit :
« dit l’appel non fondé, confirme le jugement n°2020TALCH17/00248 du 25 novembre 2020, condamne PERSONNE1.) à payer à PERSONNE3.) une indemnité de procédure de 1.500,- euros, condamne PERSONNE1.) à payer à PERSONNE2.) une indemnité de procédure de 1.500,- euros, condamne PERSONNE1.) aux frais et dépens de l’instance[…]» Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.
Sur l’unique moyen de cassation L’unique moyen de cassation s’articule en deux branches.
La première branche est tirée de la violation de l’article 249, alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même code, pour contradiction de motifs valant défaut de motifs, tandis que la deuxième branche est tirée de la violation de l’article 1038 du Code civil.
Sur la recevabilité du moyen La partie défenderesse PERSONNE2.) soulève dans son mémoire en réponse, l’irrecevabilité du moyen de cassation aux motifs que « le moyen unique articule, d’une part, une violation de l’article 249,1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même Code, partant une pluralité de vices de formes et, 1 Article 12.1 du contrat de vente: « Dieser Vertrag untersteht dem schweizerischen materiellen Recht ».
2 Paragraphe 10, page 20 de l’arrêt attaqué.d’autre part, la violation de l’article 1038 du Code civil édictant une disposition de fond régissant la révocation de legs testamentaires, partant deux cas d’ouverture distincts »3.
L’article 10 de la loi du 18 février 1885 dispose que « [s]ous peine d’irrecevabilité, un moyen ou un élément de moyen ne doit mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture ».
L’unique moyen de cassation est divisé en deux branches et chaque branche vise un cas d’ouverture distinct, à savoir le vice de forme de la contradiction de motifs dans la première branche et le vice de fond de la violation de la loi dans la deuxième branche.
L’autonomie des branches4 est partant respectée, de sorte que le moyen est recevable.
Sur la première branche du moyen La première branche du moyen reproche aux juges du fond de s’être contredits en retenant, d’une part, que :
« (…) le tribunal n’a dès lors pas procédé à une requalification du contrat de vente régi par le droit suisse en promesse unilatérale de vente inconnue en droit suisse, mais a analysé la manifestation de volonté de la testatrice consistant en la signature et en l’envoi d’un contrat de vente portant sur les actions litigieuses préalablement léguées à la lumière de l’article 1038 du Code civil. Les développements de PERSONNE1.) sur l’impossibilité en droit suisse de requalifier le contrat de vente du 17 août 2017 non valablement conclu en précontrat, offre de vente ou promesse unilatérale de vente sont partant à écarter pour manque de pertinence »5 et, d’autre part, que :
« (…) à l’instar des juges de première instance, la Cour considère qu’en tenant compte de la volonté du testateur, une promesse unilatérale de vente est suffisante pour valoir révocation au sens de l’article 1038 du Code civil et ce sans qu’il fût nécessaire que l’option ait été levée lors du décès »6.
Le demandeur en cassation fait valoir que les deux motifs incriminés constitueraient des qualifications contradictoires de l’acte litigieux au regard du droit suisse.
« Le grief tiré de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont des motifs de fait. La contradiction entre motifs de droit ou entre un motif de droit et un motif de fait, ne relève pas du grief de contradiction de motifs. »7 Une contradiction entre deux qualifications juridiques peut constituer une contradiction entre des motifs de fait.8 Ce constat s’impose surtout puisqu’il s’agit de qualifications au 3 Page 4, paragraphe 2 du mémoire en réponse de la défenderesse en cassation PERSONNE2.).
4 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, Dalloz, 6e édition, 2023/2024, n° 81.91, page 486.
5 Page 22, paragraphes 2 et 3 de l’arrêt attaqué.
6 Page 23, paragraphe 5 de l’arrêt attaqué.
7 Cass. 17.10.2024, n°CAS-2023-00188 du registre.
8 J. et L. Boré précité, n° 77.134regard d’un droit étranger, lequel est traditionnellement soumis au même régime qu’un élément de fait.9 Pour apprécier l’incompatibilité invoquée, il faut replacer les deux motifs incriminés dans leur contexte.
L’arrêt dont pourvoi a non seulement constaté que l’acte litigieux était soumis au droit suisse, mais il a également retenu que la question de la révocation du legs en faveur de PERSONNE1.) était soumise à la loi luxembourgeoise :
« Après avoir rappelé que la succession testamentaire est régie par la loi du dernier domicile du de cujus et que PERSONNE4.) était domiciliée au Luxembourg au moment de son décès, le tribunal a à juste titre fait application de la loi luxembourgeoise aux questions relevant de la succession, et notamment la demande en délivrance du legs par PERSONNE1.), la décision n’étant par ailleurs pas critiquée à cet égard.
L’article 895 du Code civil dispose comme suit : « Le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens, et qu’il peut révoquer ».
Il est de principe que le testament est librement révocable. La faculté de révocation constitue même, pour le testateur, un droit discrétionnaire, dont l’exercice ne peut en aucun cas être une source de responsabilité (Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, n° 02-20.883 : JurisData n° 2004-025905 ; JCP G 2005, II, 10179, note J.-R. Binet ; JCP N 2005, n° 4, act. 122 ; Dr. famille 2005, comm. 16, note B. Beignier).
Le Code civil consacre à la révocation des legs deux séries de dispositions, les articles 1035 à 1038 consacrés à la révocation volontaire et les articles 1046 et 1047 traitant de la révocation judiciaire.
Aux termes de l’article 1038 du Code civil, « Toute aliénation, celle même par vente avec faculté de rachat ou par échange, que fera le testateur de tout ou de partie de la chose léguée, emportera la révocation du legs pour tout ce qui a été aliéné, encore que l’aliénation postérieure soit nulle et que l’objet soit rentré dans la main du testateur. » La révocation est tacite quand elle résulte d’un acte juridique ou d’un fait absolument incompatible avec le maintien du testament. Le Code civil n’a prévu que deux cas de révocation tacite : la confection d’un testament postérieur dont les dispositions sont incompatibles avec celles du premier testament (article 1036 du Code civil) et l’aliénation de la chose léguée (article 1038 du Code civil). Il faut y ajouter un troisième cas qu’impose la nature des choses : la destruction matérielle du testament.
L’aspect essentiel de la règle posée par l’article 1038 précité du Code civil, «n’est pas tant le fait même de l’aliénation que l’intention qu’il relève. Aliéner le bien légué, c’est 9 Cass. n° 56/2021 du 01.04.2021, n° CAS-2020-00046 du registre, réponse aux 3e et 4e moyens ; Cass. n° 165/2019 du 05.12.2019, n° CAS-2018-00123 du registre , réponse au 1er moyen ; Cass. n°68/17 du 13.7.2017, n° 3821 du registre, réponse aux 5e et 6e branchesévidemment, vouloir que le légataire ne le recueille pas » (J. Flour et H. Souleau, Les libéralités : A. Colin, coll. U, 3e éd., 1991). »10 Après avoir constaté que la preuve d’une vente parfaite antérieure au décès de PERSONNE4.) n’était pas rapportée conformément au droit suisse, les juges d’appel ont dès lors procédé à l’analyse de la manifestation de la volonté de la testatrice sur la base du droit luxembourgeois pour apprécier si une révocation du legs en faveur de PERSONNE1.) a eu lieu:
« Toujours est-il, tel que l’ont correctement relevé les premiers juges, ce qu’il importe de vérifier, eu égard au fondement de l’article 1038 du Code civil, n’est pas la question de la formation du contrat de vente entre parties et du transfert de propriété, mais la réalité de l’aliénation dans le chef du testateur.
Contrairement à ce que fait plaider PERSONNE1.), le tribunal n’a dès lors pas procédé à une requalification du contrat de vente régi par le droit suisse en promesse unilatérale de vente inconnue en droit suisse, mais a analysé la manifestation de volonté de la testatrice consistant en la signature et en l’envoi d’un contrat de vente portant sur les actions litigieuses préalablement léguées à la lumière de l’article 1038 du Code civil.
Les développements de PERSONNE1.) sur l’impossibilité en droit suisse de requalifier le contrat de vente du 17 août 2017 non valablement conclu en précontrat, offre de vente ou promesse unilatérale de vente sont partant à écarter pour manque de pertinence.
En s’attachant à la volonté de PERSONNE4.), les premiers juges sont à juste titre venus à la conclusion que celle-ci a pris un engagement ferme à l’égard des acquéreurs.
Il découle tant de l’avis de Me Guerric CANONICA que de celui du professeur ZWELLWEGER-GUTKNECHT qu’à partir de l’envoi de l’offre de vente résultant du contrat de vente signée par la testatrice le 17 août 2017, c’est-à-dire à partir du 22 août 2017, PERSONNE4.) était liée à cette offre aussi longtemps qu’il a fallu pour recevoir une acceptation envoyée en bonne et due forme et en temps utile.
Ainsi, l’envoi d’un contrat de vente signé par la testatrice dépasse le stade d’un simple projet d’aliénation ou d’une intention d’aliéner, dans la mesure où à partir de cet envoi, elle n’a plus eu la libre maîtrise sur les actions litigieuses.
La volonté de PERSONNE4.) de céder les actions litigieuses aux époux GROUPE1.) est encore corroborée par la transmission en date du 5 septembre 2017 de ses coordonnées bancaires aux acquéreurs, qui en avaient fait la demande.
Mettant en doute l’authenticité de ce courrier au motif de l’état de santé précaire de PERSONNE4.) au moment de sa rédaction respectivement de sa signature, PERSONNE1.) demande à enjoindre aux parties adverses d’en produire l’original.
10 Page 19, dernier paragraphe, de l’arrêt du 14 juillet 2023 et page 20 Cependant, il reste en défaut de produire des éléments de nature à établir que PERSONNE4.) n’était pas capable de signer le courrier en question.
Ni le fait non contesté que PERSONNE4.) était malade, ni le fait qu’elle est décédée en date du 8 septembre 2017 ne permettent de conclure à son incapacité de signer le courrier litigieux en date du 5 septembre 2017, en l’absence de pièces documentant son état de santé les jours précédant son décès.
Si PERSONNE1.) insinue que la pièce est un faux en écritures, il lui aurait appartenu de porter plainte au pénal.
En l’absence d’autres éléments, la demande en injonction de communiquer l’original de cette pièce est à rejeter.
Eu égard aux considérations ci-avant, les juges de première instance ont à juste titre décidé que cet engagement ferme de PERSONNE4.) de céder les actions litigieuses aux époux GROUPE1.) vaut promesse de vente aux acquéreurs.
PERSONNE1.) considère encore qu’une promesse unilatérale de vente ne saurait être considéré comme aliénation au sens de l’article 1038 du Code civil.
Or, à l’instar des juges de première instance, la Cour considère qu’en tenant compte de la volonté du testateur, une promesse unilatérale de vente est suffisante pour valoir révocation au sens de l’article 1038 du Code civil et ce sans qu’il fût nécessaire que l’option ait été levée lors du décès. (Cf. en ce sens, Cour d’appel de Paris, pôle 3 chambre 1 du 26 novembre 2014, n°13/24159, GRIMALDI, Droit civil : Libéralités.
Partages d'ascendants, 1re éd., 2000, Litec., no 1499, note 314). »11 L’analyse à laquelle les juges du fond se sont livrés dans cette seconde phase ne portait plus sur la qualification juridique stricto sensu de l’acte litigieux, mais elle se limitait à apprécier l’expression de la volonté de PERSONNE4.) aux fins de déterminer si une révocation du legs en faveur du demandeur en cassation était intervenue.
Si les juges ont effectivement constaté dans une première étape l’impossibilité de requalification de l’acte litigieux régi par le droit suisse en promesse unilatérale de vente, le deuxième motif analyse exclusivement la volonté de la testatrice de révoquer un testament par application de l’article 1038 du Code civil.
Il en découle que, si les juges d’appel se sont référés à une promesse unilatérale de vente en appréciant la volonté de la testatrice sur la base de la législation luxembourgeoise, ils n’ont pas pour autant requalifié l’acte litigieux en promesse unilatérale de vente en application du droit suisse.
Ainsi les juges du fond n’ont pas vraiment procédé à deux qualifications contradictoires au regard du droit suisse, de sorte qu’il n’existe pas de véritable incompatibilité entre les motifs incriminés.
11 Pages 22 et 23 de l’arrêt du 14 juillet 2023 « [L]a contradiction de motifs ne vicie l’arrêt que si elle est réelle et profonde, c’est-à-dire s’il existe entre les deux motifs incriminés une véritable incompatibilité. »12 Le terme utilisé (« promesse unilatérale de vente ») peut certes sembler ambiguë ou équivoque, mais il ne révèle pas une contradiction réelle affectant la pensée des juges.
« [U]n moyen est irrecevable dans la mesure où il relève, dans la décision attaquée, une simple impropriété de terme ».13 La première branche du moyen est irrecevable.
Subsidiairement :
Il ressort de la lecture du développement de la première branche du moyen que le demandeur en cassation critique en réalité l’appréciation par les juges du fond de la réalité de l’aliénation dans le chef de PERSONNE4.) au regard du droit luxembourgeois, plus précisément de l’article 1038 du Code civil.
Or, il est de jurisprudence constante, tant en France qu’au Luxembourg, que la recherche de la volonté du testateur est une question de fait relevant du pouvoir souverain des juges du fond14.
Sous le couvert du grief de la violation des dispositions visées à la première branche du moyen, celle-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des éléments de fait sur la base desquels ils ont retenu que les démarches entreprises par PERSONNE4.) en vue de la vente des 47 actions sont constitutives d’une volonté d’aliénation dans son chef au regard du droit luxembourgeois, Il s’ensuit que la première branche du moyen ne saurait être accueillie.
Sur la deuxième branche du moyen La deuxième branche du moyen unique est tirée de la violation de l’article 1038 du Code civil qui dispose que « [t]oute aliénation, celle même par vente avec faculté de rachat ou par échange, que fera le testateur de tout ou de partie de la chose léguée, emportera la 12 J. et L. Boré précité, n° 77.112 13 J. et L. Boré précité, n° 77.111 14 En France : « Par sa nature même, la révocation tacite a suscité un abondant contentieux. Il est nécessaire, dans le doute, de rechercher la volonté du testateur et il appartient aux juges du fond de déterminer, par une interprétation souveraine des termes de l'acte et de la volonté du testateur, s'il y a incompatibilité entre les deux dispositions (Civ. 1re, 18 oct. 1965, Bull. civ. I, no 551. – Civ. 1re, 18 mars 1980, JCP N 1981. II. 67) ». Répertoire de droit civil / Legs Civ. – Jean HÉRAIL, Quentin GUIGUET-SCHIELÉ.
Au Luxembourg : « Il appartient en cas de contestations quant à l’interprétation à donner à un legs, aux juridictions de déterminer souverainement le sens véritable des intentions du testateur, sans être liées par les termes employés par ce dernier » Successions et donations, 6ième édition, M. WATGEN et R. WATGEN, MR.
BORRI, Promoculture-Larcier, page 516.révocation du legs pour tout ce qui a été aliéné, encore que l’aliénation postérieure soit nulle et que l’objet soit rentré dans la main du testateur ».
Il est fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir débouté le demandeur en cassation de sa demande d’attribution du legs litigieux alors que ledit article dispose expressément que la révocation du legs ne peut se faire que par la production de la preuve de l’aliénation de la chose léguée, et que cette aliénation, si elle prend la forme d’une vente, doit résulter d’une vente parfaite ante mortem, dont la preuve n’aurait pas été rapportée. Ce serait à tort que les juge d’appel auraient constaté l’aliénation de la chose léguée.
Il revient dès lors à votre Cour de se positionner sur l’interprétation à donner à l’article 1038 du Code civil15, plus précisément de déterminer s’il y a lieu d’appliquer stricto sensu la lettre de la disposition susvisée ou s’il suffit de rechercher la volonté concrète du testateur pour déterminer la révocation tacite.
Cette question s’est également posée en Belgique et en France.
En Belgique, la doctrine a souligné qu’en vertu de l’article 1038 du Code civil belge, « le testateur qui vend ou donne à un tiers un bien qu’il a légué antérieurement, manifeste sa volonté que le bien concerné aille à quelqu’un d’autre que le légataire. En soi l’annulation ultérieure de l’acte de vente ou de donation ne modifie pas la volonté révocatoire exprimée par le testateur »16. Néanmoins, certains auteurs précisent que « pour que le legs17 soit révoqué, l’aliénation doit être antérieure au décès et volontaire18 ».
Dans un arrêt du 18 mars 200319, la Cour d’appel de Liège a décidé que le testament rédigé initialement par le sieur F. en faveur de sa belle-sœur n’était pas révoqué par l’aliénation qu’il avait faite, ultérieurement par donation, de l'immeuble litigieux à cette dernière, car les données de fait de l'espèce « n’[étaient]pas de nature à démontrer de manière incontestable la volonté du testateur de revenir sur son intention libérale à l’égard de [la légataire] ».
Dans un arrêt du 24 février 201020, la Cour d’appel de Liège a précisé que la révocation tacite d’un testament pouvait être admise « toutes les fois où un changement de volonté est 15 L’article 1038 du Code civil prévoit la révocation tacite d’un testament, laquelle a lieu « lorsque le testateur […] met à néant des dispositions testamentaires antérieures, en posant un autre acte, qu’il soit juridique ou simplement matériel. Une telle révocation par le testateur peut se produire de deux manières différentes : a) par l’établissement d’un nouveau testament dont les dispositions sont incompatibles avec celles du testament primitif, de sorte qu’elles ne peuvent être mises à exécution cumulativement ; b) par l’aliénation volontaire par le testateur de la chose léguée ». M. Watgen, R. Watgen et M- Borri, Successions et donations, Regards sur le droit luxembourgeois, Larcier, 2023, 6ème édition, page 550, point 411.
16 Delnoy, P., « Chapitre 3. – L’anéantissement des testaments ou des legs », in Leleu, Y.-H. (dir.), Chroniques notariales – Volume 47, 1e édition, Bruxelles, Larcier, 2008, page 297, point 30. À cet égard, les auteurs considèrent d’ailleurs que « l’article 1038 du Code civil est, en définitive, une règle d’interprétation de la volonté du testateur. En disposant du bien qu’il a légué, il manifeste la volonté de faire sortir le bien de son patrimoine, en sorte que celui-ci ne peut plus faire l’objet d’un legs ».
17 De plus, ils estiment que si le legs porte sur un bien déterminé, il sera révoqué par l’aliénation de ce bien et ne se reportera pas sur le prix de vente obtenu (si l’aliénation prend la forme d’une vente). Cit. 19 18 Sterckx, L. et Demortier, A., 2Section 1 – La révocation » in Van Halteren, Th. (dir.), Le droit familial et le droit patrimonial de la famille dans tous leurs états, 1e édition, Bruxelles, Larcier, 2017, page 149, points 7 et 8.
19 Liège, (1ère ch.), 18 mars 2003, R.G.D.C., 2005, 66.
20 Liège, 24 février 2010, Rev. Trim. Dr. Fam., 2011, p. 556.établi par un ensemble de faits précis et concordants révélant que les dispositions testamentaires étaient inconciliables avec les actes postérieurs du testateur ». Cette motivation, alors même qu’elle se fonde sur la jurisprudence née de l’arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 198921 « selon laquelle en dehors des hypothèses définies par la loi22, si des circonstances qui, lors de la rédaction du testament, étaient déterminantes pour le testateur pour effectuer le legs, ont changé au moment du décès, dans un tel cas l’exécution du legs ne peut pas correspondre aux intentions du testateur et le testament devrait être annulé », a donné lieu à certaines critiques23, dans la mesure où, in abstracto, pourrait être pris en compte « n’importe quel faisceau d’éléments » comme « constituant la révocation d’un testament », ce qui reviendrait à encourager « l’extrapolation des volontés » du testateur.
Malgré ces critiques, la doctrine et la jurisprudence belges appliquent l’article 1038 du Code civil de manière extensive en recherchant quelle a été la volonté du testateur.
En France, l’article 1038 du Code civil « ne s'applique [aussi] qu'aux legs de corps certain et déterminé et non aux legs portant sur une universalité de biens24 ». Dans son application, « la jurisprudence privilégie l’intention du testateur sur la lettre de la loi25 », dans la mesure où elle considère que l’article 1038 du Code civil prévoit une « présomption simple de révocation susceptible de céder devant la preuve contraire d'une absence de volonté de révocation de la part du testateur 26». En d’autres termes, « l’intention de révoquer, même parfaitement établie, est insuffisante ; pour être efficace, elle doit avoir été régulièrement extériorisée27 ». Ainsi, la Cour de cassation ne retient la présomption de volonté révocatoire que dans des cas limités28, à savoir lorsque l’aliénation a été volontaire, comme en cas de promesse de vente29, et lorsqu’elle a été concrétisée ou « consommée30 ». En tout état de 21 Cass., 16 novembre 1989, Pas, 1990, I, 331, R.D.G., 1990, p. 294.
22 Dans un arrêt du 21 janvier 2000, la Cour de cassation belge a décidé que « la loi présume que la volonté de l’auteur d’une libéralité, exprimée dans un testament, a persisté jusqu’au décès du testateur ; que cette présomption implique que la cause de la libéralité testamentaire subsiste jusqu’à ce moment ».
23 Voir, notamment, P. Moreau, « Les donations testamentaires », in Liberalités et successions, CUP, liège, Anthémis, 2012, p. 288.
24 Cour de Cassation française, Ch. civ. 1ère, du 18 novembre 1986, n° 84-14.793, publié au bulletin.
25 M. Grimaldi et al., Droit patrimonial de la famille, Dalloz, Dalloz action, 7ème édition, Paris, 2021/2022, point 324.32.
26 Cour de cassation française, Ch. civ. 1ère, du 11 mars 2003, n° 00-16.663, publié au Bulletin. Voir, en ce sens, Chambre civile 1, 1968-02-06, Bulletin 1968, I, n° 52, p. 42.
27 Répertoire du droit civil, Dalloz, point 135.
28 En effet, celle-ci doit être « exempte d’ambiguïté ». Voir, Répertoire du droit civil, Dalloz, point 134.
29 Cour de cassation, ch. civ. 1ère, du 8 avril 1986, n° 84-16-167, publié au bulletin : en l’espèce, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges d’appel en ce qu’ils ont déduit « dans l'interprétation souveraine de la volonté de la testatrice, sans dénaturer les clauses de l'acte sous seing privé […], que [la testatrice] avait entendu de façon non équivoque anéantir la libéralité dont se prévaut [la légataire] ».
30 Répertoire du droit civil, Dalloz, point 140. À titre d’exemple, la Cour de cassation a considéré que viole l’article 1038 du Code civil, par refus d’application, une Cour d’appel qui a déduit d’une donation consentie postérieurement, la volonté du défunt de procéder à la révocation d’un testament olographe (Cour de cassation, Ch. civ. 1ère, du 8 juillet 2015, 14-18.875, publié au bulletin ; et du 30 juin 2004, n° 02-13.623, Inédit). De plus, elle a jugé que les juges d’appel avaient également violé ladite disposition en annulant, à la requête d’un légataire, la vente du bien, objet du legs, tout en constatant que la vente attaquée était postérieure au testament portant legs particulier de la chose vendue (Cour de cassation, Ch. civ. 3ème, du 4 juillet 1979, n° 78-12.455, publié au bulletin).cause, la Cour de cassation a considéré que l’appréciation de la situation de fait et de la volonté du testateur relevaient de l’exercice du pouvoir souverain des juges du fond31.
Dans le cadre du présent litige, les juges d’appel ont conclu que « l’aliénation ne pouvait être parfaite avant l’expédition par les acquéreurs de leur acceptation moyennant envoi du contrat signé de leur part32 » conformément aux stipulations contractuelles et aux dispositions du Code des obligations suisses, en particulier les articles 16.1 et 13.1 dudit Code. Ils ont constaté que les avis juridiques versés au dossier étaient contraires sur la question de savoir si un contrat de vente s’était valablement formé dans les circonstances d’espèce et en ont déduit que la preuve d’une vente parfaite n’avait pas été rapportée. Ils n’ont toutefois pas requalifié l’acte litigieux en « promesse unilatérale de vente » ou en « demi - aliénation » sur la base du droit suisse.33 Néanmoins, en l’absence d’une aliénation parfaite de la chose léguée, les juges d’appel ont recherché, sur le fondement de l’article 1038 du Code civil, la « réalité de l’aliénation dans le chef de la testatrice34 », à savoir le caractère tangible de la présomption de volonté de la testatrice de mettre à néant une disposition testamentaire, prise au sujet de la vente des 47 actions litigieuses. À cet égard, il y a lieu de rappeler que « cette règle s’inspire de l’idée que l[a] testat[rice], qui a aliéné la chose léguée, a en fait entendu par là même révoquer une disposition testamentaire antérieure35 ». En effet, l’article 1038 du Code civil ne se fonde pas sur « une impossibilité d'exécuter le legs en raison de l'aliénation du bien et de l'application de la règle selon laquelle nul ne peut transmettre plus de droits qu'il n'en a, mais sur l'intention de révoquer que révèle l'aliénation36».
Les juges d’appel ont recherché in concreto quelle était la volonté de la testatrice37, non seulement afin de respecter celle-ci et de faire ainsi produire ses effets à la disposition testamentaire litigieuse, mais aussi afin de constater s’il s’agissait effectivement d’une révocation testamentaire tacite. Ainsi, ils ont examiné chronologiquement les circonstances factuelles précédant son décès, à savoir notamment la signature du projet de contrat de vente par la testatrice en date du 17 août 2017 et la transmission par courrier du 5 septembre 2017 de ses coordonnées bancaires aux acquéreurs38. Eu égard à l’ensemble des considérations de l’espèce, les juges d’appel ont pu, à juste titre, constater que la testatrice n’avait pas 31 Cour de cassation, Ch. Civ. 1ère, du 14 mai 1996, n° 94-14.667, publié au bulletin. Voir, également, répertoire du droit civil, Dalloz, point 138.
32 Paragraphe 5, page 21, de l’arrêt attaqué.
33 Paragraphe 2, page 22, de l’arrêt attaqué.
34 Paragraphe 1er, page 22, de l’arrêt attaqué.
35 M. Watgen, R. Watgen et M- Borri, Successions et donations, Regards sur le droit luxembourgeois, Larcier, 2023, 6ème édition, page 554, point 413.
36 M. GRIMALDI, Droit civil. Libéralités, Partages d'ascendants, 2000, LexisNexis, point 1499.
37 À cet égard, il y a lieu de relever qu’en matière de révocation légale d’une donation au titre de l’article 953 du Code civil, les juges du fond luxembourgeois vont également rechercher quelle était concrètement la volonté du testateur, à savoir « si la volonté du disposant était bien de lier la donation et la charge de manière que, dans son intention, l’inexécution de la charge devrait entraîner la résolution de la donation, c’est-à -dire si la charge était […] la cause impulsive et déterminante de la volonté du disposant ». TAL, n° 151/2000 du 18 mai2000, n° 62356 du rôle et TAL, n° 2022TALCH17/00139 du 25 mai 2022, n° TAL-2021-00146 du rôle. Voir, Hilger, F. et Westendorf, H., « Panorama de droit des successions et des libéralités (années judiciaires 2021-2022 et 2022-
2023) » in Engel, A. et al. (dir.), Annales du droit luxembourgeois : Volume 32 – 2022, 2022e édition, Bruxelles, Bruylant, 2024, pages 573-574.
38 Pages 22 et 23 de l’arrêt attaqué. seulement eu l’intention de vendre les 47 actions litigieuses, sinon qu’elle avait entamé des démarches poussées en ce sens, lesquelles s’étaient concrétisées par des actes écrits et datés, pouvant valoir promesse de vente vis-à-vis des acquéreurs39 au regard de la disposition visée à la deuxième branche du moyen.
Par conséquent, ils ont pu valablement déduire, conformément à l’article 1038 du Code civil, que la testatrice avait eu la volonté d’aliéner le legs et qu’elle n’entendait plus en gratifier le légataire, à savoir l’actuel demandeur en cassation.
De plus, il relève du dossier, et notamment du testament olographe du 21 février 2017, ainsi que l’ont justement constaté les juges d’appel40 et du courrier du 5 septembre 2017 susvisé, que la testatrice n’exprimait pas la volonté de faire bénéficier le demandeur en cassation du montant des 47 actions litigieuses en cas d’aliénation de celles-ci. C’est donc à bon droit que les juges d’appel ont conclu41 que la présomption légale de révocation, prévue à l’article 1038 du Code civil, n’avait pas été renversée par les pièces déposées par le demandeur en cassation.42 Dès lors, c’est par une application correcte de l’article 1038 du Code civil que la Cour d’appel a, par son arrêt attaqué, confirmé le jugement du 25 novembre 2020 rendu par les juges de première instance et débouté l’actuel demandeur en cassation de sa demande en attribution du montant du legs litigieux.
La deuxième branche du moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.
Pour le Procureur Général d’Etat, Le Procureur Général d’Etat adjoint Marie-Jeanne Kappweiler 39 Paragraphe 3, page 23, de l’arrêt attaqué.
40 Paragraphe 6, page 24, de l’arrêt attaqué.
41 Paragraphe 1er, page 25, de l’arrêt attaqué.
42 Voir Cour de cassation française, Civ. 1re, 11 mars 2003 n°00-16.663 en ce sens : « En rappelant que l'art. 1038 édicte une présomption légale de révocation qui ne cède que devant une intention contraire formellement exprimée par le testateur, et en décidant qu'une telle intention ne se vérifiait pas en l'espèce, les juges du fond ont souverainement apprécié que la révocation du legs était établie » Cf. jurisprudence citée sous l’article 1038 du Code civil français.