La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/11/2024 | LUXEMBOURG | N°164/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 21 novembre 2024, 164/24


N° 164 / 2024 du 21.11.2024 Numéro CAS-2024-00019 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-et-un novembre deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à DK-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant

par Maître Thomas STACKLER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est...

N° 164 / 2024 du 21.11.2024 Numéro CAS-2024-00019 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-et-un novembre deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à DK-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Thomas STACKLER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE2.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), défenderesse en cassation, comparant par la société en commandite simple CLIFFORD CHANCE, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Albert MORO, avocat à la Cour.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué numéro 113/23 – VII – CIV rendu le 14 juillet 2023 sous le numéro CAL-2021-00586 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 22 janvier 2024 par PERSONNE1.) (ci-après « PERSONNE1.) ») à la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) (ci-

après « la société SOCIETE1.) »), déposé le 29 janvier 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 21 février 2024 par la société SOCIETE1.) à PERSONNE1.), déposé le 4 mars 2024 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait déclaré irrecevable, sur base de l’exception de chose jugée, la demande de PERSONNE1.) tendant à voir dire qu’elle n’était pas débitrice de la société SOCIETE1.) et l’avait condamnée à payer à la défenderesse en cassation un certain montant à titre de remboursement d’un contrat de prêt conclu auprès de la SOCIETE2.) aux droits de laquelle venait la société SOCIETE1.). La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur la recevabilité du pourvoi La défenderesse en cassation soulève l’irrecevabilité du pourvoi pour violation de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi du 18 février 1885 ») au motif que la demanderesse en cassation n’indique, sous le titre « 2. Dispositions attaquées de l’arrêt du 14 juillet 2023 », que des parties de la motivation de l’arrêt attaqué au lieu de préciser dans le mémoire les éléments du dispositif qui sont attaqués.

Ayant reproduit l’intégralité du dispositif de l’arrêt attaqué et ayant précisé que l’arrêt est attaqué en ce qu’il a, en retenant les motifs critiqués, dit non fondé son appel, la demanderesse en cassation, qui a nécessairement visé toutes les dispositions de l’arrêt attaqué, a satisfait aux obligations prévues à l’article 10 de la loi du 18 février 1885.

Il s’ensuit que le pourvoi, introduit dans les forme et délai de la loi, est recevable.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l'article 89 de la Constitution, et de l’article 249 alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que, l’arrêt dont pourvoi, a refusé de motiver en droit la qualité de codébitrice de Madame PERSONNE1.) du prêt du 17 octobre 2006, aux motifs que :

prêt du 17 octobre 2006 a été définitivement tranchée par les décisions danoises aux termes d’un débat contradictoire.

Même si cette décision ne figure pas dans le dispositif des décisions danoises et que les juridictions danoises se sont contentées de prononcer, voire de confirmer, l’état de faillite de PERSONNE1.), toujours est-il que la question de la mise en faillite et celle de la qualité de codébitrice du prêt sont complètement indissociables dans la mesure où la faillite n’aurait pas été prononcée à l’initiative de société SOCIETE1.) à défaut de l’existence d’une créance dans le chef de cette dernière ».

alors que, l’article 89 de la Constitution prévoit que être motivé. Il est prononcé en audience publique. », que l’article 249 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile prévoit que , que lesdits articles font obligation aux jugements d'être motivés sous peine de nullité, que la justification de l'obligation de motiver est évidente alors que l'obligation de motiver les jugements est pour le justiciable la plus précieuse des garanties, elle le protège contre l'arbitraire, lui fournit la preuve que sa demande et ses moyens ont été sérieusement examinés et en même temps elle met obstacle à ce que le juge puisse soustraire sa décision au contrôle de la Cour de Cassation (Jurisclasseur Procédure Fascicule 208 n°3, citation du conseiller Faye 1903), que pour satisfaire à cette obligation il ne suffit pas que le jugement comporte pour chaque chef de dispositif des motifs qui lui sont propres, il faut aussi que les motifs énoncés puissent être considérés comme justifiant la décision, que pour justifier la décision, la motivation doit notamment être précise, il est entendu par motivation précise une motivation circonstanciée, propre à l'espèce, dans laquelle le juge s'explique sur les éléments de preuve sur lesquels il s'est fondé et qui ne laisse aucun doute sur le fondement juridique de la décision (Jurisclasseur Procédure Fascicule 508 n°33), que l’exigence d’une motivation précise a pour conséquence de refuser le caractère d’une motivation véritable à l’énoncé d’une simple affirmation ou à des motifs d'ordre général, que la qualité de codébitrice de Madame PERSONNE1.) du 17 octobre 2006, n’a pas été toisée par les juridictions danoises alors qu’une simple lecture du dispositif du Tribunal des faillites danois prouve sans équivoque que seule la question de la faillite personnelle de Madame PERSONNE1.) a été toisée (Pièces n°36 et 37), que la décision de mise en faillite danoise, tout comme en droit luxembourgeois, requiert que le failli soit en état de cessation des paiements, que si les juridictions danoises ont effectivement prononcé la faillite, elles n’ont pas déclaré PERSONNE1.) débitrice de SOCIETE2.), sinon SOCIETE1.) au titre du contrat de prêt querellé, qu’en se fondant sur une simple supposition, les juges de la Cour d’appel ne permettent pas de vérifier sur quels éléments de fait ils se sont basés pour en tirer une conclusion, alors que l’arrêt reconnaît que la question de la qualité de codébitrice solidaire de Madame PERSONNE1.) au titre de la convention de prêt du 17 octobre 2006 ne figurent pas dans les décisions des juridictions danoises, que la partie demanderesse en cassation avait pourtant longuement conclu sur l’absence d’autorité de la chose jugée sur la question de la qualité de codébitrice solidaire de Madame PERSONNE1.) au titre de la convention de prêt du 17 octobre 2006 (Pièce n°25), qu’à ce titre, la partie demanderesse en cassation avait conclu dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 13 janvier 2023 en pages 13 et 14, dans les termes suivants (Pièce n°27) :

qui a déclaré que "l’assignation en liquidation à l’encontre de PERSONNE1.) est recevable. L’heure et la date fixées pour le jugement prononçant la faillite seront notifiées aux avocats des parties" (Pièce n°9) ;

que la question de la faillite personnelle de la concluante au Danemark est complètement étrangère au présent litige qui porte exclusivement sur le contrat de prêt du 17 octobre 2006 conclut à son insu par son ex-époux et sur sa demande en dommages et intérêts ;

que la circonstance que la partie adverse dans ses conclusions allègue que "Le contenu d'une décision de justice irrévocable s'impose donc aux parties et ne saurait ainsi faire l'objet d'une remise en cause, même directe" démontre manifestement qu’elle se méprend sur l’objet du présent débat ;

que la concluante ne remet pas en cause le prononcé de la faillite personnelle dont elle a fait l’objet par les juridictions danoises mais bien sa qualité de cocontractante au titre du contrat de prêt litigieux du 17 octobre 2006 ;

que pour approfondir, la partie intimée allègue que la question de la qualité de codébitrice de la concluante a déjà été toisée par les juridictions danoises alors qu’une simple lecture du dispositif du Tribunal des faillites danois prouve sans équivoque que seule la question de la faillite personnelle de la concluante a été toisée ;

qu’il est faux d’affirmer dès lors que "la question de savoir si Mme PERSONNE1.) a été formellement condamnée à rembourser un quelconque montant par une juridiction danoise est dès lors superfétatoire" (Page 24 des conclusions récapitulatives de CLIFFORD CHANCE du 29 avril 2022) ;

qu’en réalité, la partie intimée tente d’appliquer les effets de la chose jugée à des éléments qui ne sont pas compris dans le dispositif des décisions étrangères ce qui vient en contradiction avec le régime juridique de la notion même de chose jugée qui doit s’appliquer nécessairement et exclusivement au dispositif d’un jugement », qu’à aucun moment, dans sa motivation, la Cour ne fait état de ces développements et encore moins ne prend position quant à ces derniers, qu’à ce titre, la partie demanderesse en cassation avait démontré à suffisance sur base d’une simple lecture du dispositif des décisions danoises, que seule la faillite personnelle de Madame PERSONNE1.) a été toisée, à défaut de sa qualité de cocontractante au titre du contrat de prêt, que plus précisément, le jugement du Tribunal Maritime et Commercial de Copenhague du 31 mars 2014 mentionne que (Pièce n°36), qu’il en résulte que les motifs adoptés par les juges danois dans leur jugement de faillite sont étrangers à la question de la qualité de cocontractante au titre du contrat de prêt de de Madame PERSONNE1.), que dès lors, la Cour d'appel a retenu une motivation imprécise, incomplète et fausse, en supposant sans motiver ni justifier son raisonnement, alors que la décision danoise de mise en faillite n’avait pas l’autorité de la chose jugée, qu’elle a déduit la solution du litige des prétentions de l'une des parties sans fournir aucune motivation propre, ce qui équivaut à une absence de motifs (Dalloz, Procédure civile, Verbo : Pourvoi en cassation, N° 478 page 69), que la Cour de cassation française a posé comme règle fondamentale qu’ (Civ.

3è, 16 décembre 1998, n°97-10400, Bull. civ. II n°254), que puisqu’elle exprime les raisons qui ont amené le juge à trancher dans un sens plutôt que dans un autre. Et par son caractère complet, compréhensif et convainquant, elle emporte ou non la conviction des parties qu’elles ont été entendues et que la décision prend en compte tous les paramètres utiles et nécessaires. Accessoirement, l’existence et le contenu de la motivation permet à la juridiction de contrôle de vérifier que le juge du degré inférieur a satisfait à son obligation de statuer par une décision motivée, et la fait échapper à la censure pour défaut de motivation. Il faut donc se garder des motivations sommaires ou à l’emporte-pièce qui ne donnent pas de réelle satisfaction aux parties, mais au contraire veiller à soigner les développements qui sont contenus dans la motivation. Le défaut de motivation, ou la motivation insuffisante, entraîne logiquement l’annulation de la décision concernée.

La Cour de cassation a étendu son contrôle sur ce point pour sanctionner des décisions qui prendraient appui sur des motifs insuffisants, contradictoires ou erronés en droit. (mis en gras par le rédacteur)» (Le droit judiciaire privé au Grand-duché du Luxembourg, 2ème édition, Thierry HOSCHEIT, p.662-663), que la motivation de l’arrêt d’appel est donc manifestement lacunaire et que la Cour d’appel a fait une mauvaise application de la notion d’autorité de la chose jugée, que l'article 89 de la Constitution est précisément la garantie pour le justiciable d'une motivation suffisante du jugement accordant ou rejetant sa demande, ainsi que de l’article 249 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile qui impose la motivation de sa décision, que cette garantie n'est pas donnée dans l'arrêt rendu le 14 juillet 2023, que l’arrêt attaqué doit être cassé. ».

Réponse de la Cour A l’article 89 de la Constitution invoqué à l’appui du moyen, il y a lieu de substituer l’article 109 de la Constitution, dans sa version applicable depuis le 1er juillet 2023, partant au jour du prononcé de l’arrêt attaqué.

En tant que tiré de la violation des articles 109 de la Constitution et 249, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile, le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En retenant « La qualité de codébitrice solidaire de PERSONNE1.) de la convention de prêt du 17 octobre 2006 a été définitivement tranchée par les décisions danoises aux termes d’un débat contradictoire.

Même si cette décision ne figure pas dans le dispositif des décisions danoises et que les juridictions danoises se sont contentées de prononcer, voire de confirmer, l’état de faillite de PERSONNE1.), toujours est-il que la question de la mise en faillite et celle de la qualité de codébitrice du prêt sont complètement indissociables dans la mesure où la faillite n’aurait pas été prononcée à l’initiative de société SOCIETE1.) à défaut de l’existence d’une créance dans le chef de cette dernière.

L’impératif de stabilité de la chose jugée justifie l’absence de réexamen de la qualité de codébiteur solidaire de PERSONNE1.) de la convention de prêt du 17 octobre 2016.

C’est dès lors à bon droit et pour des motifs que la Cour adopte et fait siens que les juges de première instance ont déclaré irrecevables tant la demande de PERSONNE1.) tendant à voir dire qu’elle n’est pas débitrice à l’égard de la société SOCIETE1.) que sa demande subséquente en allocation de dommages et intérêts, qui était basée sur la prémisse que la partie appelante ne soit pas codébitrice solidaire de la convention de crédit du 17 octobre 2006. », et en renvoyant à la motivation détaillée des juges de première instance, les juges d’appel ont motivé leur décision sur le point considéré.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l'article 1315 du Code civil, en ce que, pour venir à la conclusion que la société SOCIETE1.) rapporte la preuve de sa prétendue créance de 1.505.317,32 euros sur base d’un décompte unilatéral, aux motifs que :

la Banque verse, en pièces numéros 11-1 à 11-4, les extraits de compte des consorts PERSONNE1.) au 27 juin 2018, qui sont très détaillés quant aux frais, taux d’intérêt et différentes tranches des intérêts.

Contrairement aux affirmations de la partie appelante, ces extraits ne sont pas dépourvus d’effet probatoire alors que les parties ont contractuellement stipulé le contraire », alors que, nul ne peut se constituer de preuve à soi-même, que ce principe constitue une construction prétorienne sur le fondement de l’article 1315 du Code civil, que le décompte versé par la société SOCIETE1.) en pièces n°11-1 à 11-4 n’a aucune valeur probante alors qu’il s’agit d’un document purement unilatéral (Pièce n°33), que l’arrêt dont pourvoi, a accepté comme mode de preuve un document purement unilatéral, qu’à ce titre, la partie demanderesse en cassation avait conclu dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 13 janvier 2023 en pages 13 et 14, dans les termes suivants :

montant qu’elle réclame alors même qu’il appartient à un demandeur de justifier le montant de sa prétendue créance ;

que d’ailleurs, l’intimée verse seulement un extrait un document intitulé "Extrait des comptes au 27 juin 2018 des époux Andersen", extrait qui est complètement incompréhensible pour la partie concluante car la pièce ne permet pas de comprendre les écritures en frais et les autres intérêts mis en compte et de les vérifier (Pièce n°11 de CLIFFORD CHANCE) ;

qu’il y a lieu de rappeler à la partie adverse que les extraits de compte qu’elle verse n’est pas un décompte actualisé, la concluante est à ce jour dans l’impossibilité de déterminer au centime près le montant de la prétendue créance réclamée par l’adversaire, ni quelle est sa source et à quoi correspondent les augmentations frais et intérêts mis en compte et s’ils résultent d’un contrat dont les conditions auraient été approuvées par l’appelante ;

qu’il résulte de l’article 1315 du Code civil que "nul ne peut se constituer une preuve à soi-même" ;

que l’intimée verse des extraits de compte qui n’ont aucune valeur probante dans la mesure où ce sont purement et simplement des documents unilatéraux et en application de l’adage précité, lesdits documents sont irrecevables en tant que moyen de preuve ;

que partant, les allégations adverses doivent être rejetées pour être non fondées, la partie intimée restant en défaut de justifier le montant de la créance qu’elle allègue ainsi que les intérêts légaux et conventionnels de même que toutes pénalités, intérêts et autres frais qui sont vigoureusement contestés ;

que dans ses derniers écrits, l’intimée tente de compenser son manque de verser un décompte actualisé par un calcul aussi fantaisiste que déraisonnable qui n’a pas pour finalité que d’enchevêtrer l’esprit de la concluante (Page 44 des conclusions récapitulatives de CLIFFORD CHANCE du 29 avril 2022) ;

qu’elle ne comprend pas l’utilité de verser cette pièce qui n’explique ni ne détaille le montant réclamé et que quand bien même la Cour estimerait que l’appelante serait engagée au contrat de prêt, ce dernier ne permet pas dans ses conditions de justifier le calcul adverse qui demeure incompréhensible ;

que le même raisonnement s’applique à la pièce n°25 versée par la partie intimée qui fixe unilatéralement et arbitrairement la somme de 1.632.392,91 € ;

qu’en l’absence de la production des conditions exactes du contrat de prêt qu’elle invoque et d’un calcul intelligible des montants qu’elle réclame, l’intimée ne saurait prospérer ;

qu’en effet, l’intimée persiste à verser un tableau Excel dressé par ses propres soins, qui émane de la main de l’Homme et qui en plus de ne rien prouver, n’a strictement aucune valeur juridique conformément à l’article 1315 du Code civil ;

que d’ailleurs, la partie intimée dans ses écrits n’a jamais pris position sur l’article précité alors qu’elle conclut sur pas moins de 57 pages ;

qu’en tout état de cause, ce tableau n’est pas un décompte, aucune explication sur le montant en capital n’est indiquée, de même que l’application des intérêts, leur nature reste un mystère ;

que partant, la prétendue créance alléguée par la partie adverse n’est pas justifiée tant sur son principe que sur son quantum ;

qu’il résulte de ce qui précède, que les montants réclamés par la partie adverse ne sont pas dûment justifiés par la partie adverse de sorte qu’elles restent à l’état de pure allégation », qu’à aucun moment, la Cour d’appel ne raisonne en droit alors qu’en accueillant comme mode de preuve, un document purement unilatéral, sans s’interroger sur sa valeur probante, respectivement un document excel, la Cour d’appel a violé les principes résultant des termes de l’article 1315 du Code civil, que l’arrêt attaqué doit être cassé. ».

Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les dispositions de l’article 1315 du Code civil en « accueillant comme mode de preuve » un document qui n’aurait aucune valeur probante pour avoir été établi unilatéralement par la défenderesse en cassation.

Sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation par les juges du fond de la valeur probante des extraits de compte bancaire, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation, de l’article 288 du Nouveau Code de procédure civile, et, par renvoi, des articles 284 et 285 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que, l'arrêt dont pourvoi, a rejeté la demande en communication de pièces formulées par Madame PERSONNE1.), aux motifs que :

demande tendant à ce que le juge enjoigne la communication ou la production de pièces : - la pièce sollicitée doit être déterminée avec précision, - l’existence de la pièce doit être vraisemblable, - la détention de la pièce par le défendeur à l’incident doit être vraisemblable, - la pièce sollicitée doit être pertinente pour la solution du litige (voir Thierry Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-Duché de Luxembourg, édition 2019, n°724 et 725).

La partie appelante demande d’enjoindre à la partie intimée de " produire tous les documents relatifs aux voies d’exécutions menées en vue du recouvrement du prêt litigieux et la finalité de ces dernières ainsi que les montants obtenus et/ou l’évaluation des biens conservés au titre des voies d’exécution pratiquées ".

La première des conditions ci-avant énumérées n’est pas donnée motif pris qu’PERSONNE1.) reste en défaut de préciser les pièces dont elle souhaite avoir communication. Même à admettre, pour les besoins de la discussion, que la première condition soit donnée, il n’est pas vraisemblable qu’il existe une pièce documentant la réalisation de la garantie alors que la Banque affirme ne pas avoir exécuté le nantissement. La deuxième condition n’est pas non plus donnée.

PERSONNE1.) est dès lors à débouter de sa demande de communication forcée de pièces », alors que, Madame PERSONNE1.) a expressément précisé les pièces dont elle entend obtenir la communication, respectivement, tous les documents relatifs aux voies d’exécution menées en vue du recouvrement du prêt litigieux et la finalité de ces dernières ainsi que les montants obtenus et/ou l’évaluation des biens conservés au titre des voies d’exécution pratiquées, que la Cour d’appel, en statuant ainsi, a violé l’article 288 du Nouveau Code de procédure civile, et, par renvoi, des articles 284 et 285 du Nouveau Code de procédure civile, qui régissent la production des pièces, que l’arrêt attaqué doit être cassé. ».

Réponse de la Cour Par les motifs repris au moyen, les juges d’appel ont fait l’exacte application de la loi.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société en commandite simple CLIFFORD CHANCE, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Marc HARPES et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ Société à responsabilité limitée SOCIETE1.) (affaire n° CAS 2024-00019 du registre) Le pourvoi de la demanderesse en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 29 janvier 2024, d’un mémoire en cassation, signifié le 22 janvier 2024 à la défenderesse en cassation, est dirigé contre un arrêt numéro 113/23-VII-CIV, contradictoirement rendu en date du 14 juillet 2023 sous le numéro CAL-2021-00586 du rôle par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai1.

La défenderesse en cassation soulève l’irrecevabilité du pourvoi au motif que la demanderesse en cassation n’indique, sous le titre « 2. Dispositions attaquées de l’arrêt du 14 juillet 2023 », que des parties de la motivation de l’arrêt au lieu de préciser dans le mémoire les éléments du dispositif qui sont attaqués.

L’article 10, alinéa 1, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose :

« Pour introduire son pourvoi, la partie demanderesse en cassation devra, sous peine d’irrecevabilité, dans les délais déterminés ci-avant, déposer au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse, lequel précisera les dispositions attaquées de l’arrêt ou du jugement, les moyens de cassation et contiendra les conclusions dont l’adjudication sera demandée.

La désignation des dispositions attaquées sera considérée comme faite à suffisance de droit lorsqu’elle résulte nécessairement de l’exposé de moyens ou des conclusions. ».

La demanderesse en cassation ayant retranscrit l’intégralité du dispositif de l’arrêt2 et ayant précisé que cet arrêt est attaqué en ce qu’il a, en retenant les motifs critiqués, dit non fondé son appel, l’a déboutée de sa demande basée sur l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile 1 Suivant affirmation de la demanderesse en cassation (Mémoire en cassation, page 2, sous « 1. Recevabilité du pourvoi »), non contredite par la défenderesse en cassation, l’arrêt attaqué ne lui a pas été signifié, de sorte que le délai de recours prévu par l’article 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, n’a pas commencé à courir, partant, n’a pas pu être méconnu.

2 Mémoire en cassation, pages 1 et 2, sous « DÉCISION ENTREPRISE ».

et l’a condamnée aux frais et dépens de l’instance3, le mémoire répond aux conditions de l’article 10, alinéa 1, de la loi précitée4.

Il en suit que le moyen d’irrecevabilité n’est pas fondé.

Le mémoire en cassation respecte les autres conditions de forme prévues par la loi précitée5.

Il est dirigé contre une décision contradictoire rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi précitée.

Il s’ensuit que le pourvoi est recevable.

Sur les faits Saisie par PERSONNE1.) d’une demande dirigée contre la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), venant aux droits de la société anonyme SOCIETE2.), aux fins de voir constater qu’elle n’est pas codébitrice d’un prêt conclu en 2006 entre son mari et la société assignée et de voir engager la responsabilité civile de celle-ci, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg la débouta de sa demande. Sur son appel, la Cour d’appel confirma le jugement entrepris.

Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen de cassation est tiré de la violation des articles 89 de la Constitution (devenu l’article 109, nouveau, de la Constitution révisée) et 249, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a admis la qualité de codébitrice de la demanderesse en cassation au contrat de prêt conclu par le mari de celle-ci avec la défenderesse en cassation, aux motifs que « La qualité de codébitrice solidaire de PERSONNE1.) de la convention de prêt du 17 octobre 2006 a été définitivement tranchée par les décisions danoises aux termes d’un débat contradictoire. Même si cette décision ne figure pas dans le dispositif des décisions danoises et que les juridictions danoises se sont contentées de prononcer, voire de confirmer, l’état de faillite de PERSONNE1.), toujours est-il que la question de la mise en faillite et celle de la qualité de codébitrice du prêt sont complètement indissociables dans la mesure où la faillite n’aurait pas été prononcée à l’initiative de société SOCIETE1.) à défaut de l’existence d’une créance dans le chef de cette dernière »6, alors que les motifs cités sont imprécis, incomplets et erronés, les décisions danoises évoquées s’étant limitées à prononcer la faillite personnelle de la demanderesse en cassation sans se prononcer sur la question de la qualité de codébitrice de celle-ci.

Le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme7. Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré8.

3 Idem, page 2, sous « 2. DISPOSITIONS ATTAQUÉES DE L’ARRÊT DU 14 JUILLET 2023 ».

4 Voir dans le même sens : Cour de cassation, 18 mars 2021, n° 48/2021, numéro CAS-2020-00052 du registre.

5 La demanderesse en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que les formalités de l’article 10, alinéa 1, de la loi précitée.

6 Arrêt attaqué, page 17, quatrième et cinquième alinéa.

7 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 29 février 2024, n° 35/2024 pénal, numéro CAS-2023-00039 du registre (réponse au troisième moyen).

8 Idem et loc.cit.

Par les motifs cités ci-avant, dans la présentation du moyen, la Cour d’appel a motivé pourquoi elle considéra que la qualité de codébitrice de la demanderesse en cassation résulte des décisions danoises de mise en faillite personnelle de celle-ci et s’impose à elle.

La décision étant motivée, elle ne s’expose pas au reproche, d’ordre formel, d’un défaut de motivation du point considéré. La contestation élevée par le moyen au sujet du bien-fondé et du caractère suffisant de cette motivation est étrangère au cas d’ouverture du défaut de motifs.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 1315 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a retenu que la défenderesse en cassation était en droit de faire valoir à l’égard de la demanderesse en cassation une créance de 1.505.317,32.- euros, aux motifs que :

« Pour justifier sa créance portant sur le montant de 1.505.317,32 euros, la Banque verse, en pièces numéros 11-1 à 11-4, les extraits de compte des consorts PERSONNE1.) au 27 juin 2018, qui sont très détaillés quant aux frais, taux d’intérêt et différentes tranches des intérêts.

Contrairement aux affirmations de la partie appelante, ces extraits ne sont pas dépourvus d’effet probatoire alors que les parties ont contractuellement stipulé le contraire. Il appartient dès lors à PERSONNE1.) de rapporter la preuve que les extraits de compte contiennent une erreur manifeste. Force est de constater que la partie appelante se borne à contester les extraits de compte mais qu’elle ne fournit pas la moindre critique quant aux écritures y renseignées. A défaut d’avoir formulé le moindre reproche en ce sens, il faut considérer que les extraits ne sont pas affectés d’une erreur manifeste et que la société SOCIETE1.) a rapporté la preuve que le montant de sa créance s’élève au montant de 1.505.317,32 euros. »9, alors que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même, de sorte que le décompte versé par la défenderesse en cassation, sur base duquel la créance de celle-ci a été constatée, ne peut, en raison de son caractère unilatéral, être accueilli comme mode de preuve, de sorte que la Cour d’appel, en l’accueillant, a méconnu la disposition visée.

La Cour d’appel constata, en l’espèce, l’existence d’une dette de la demanderesse en cassation résultant de la qualité de celle-ci de codébitrice solidaire d’une convention de prêt10. Elle conclut, s’agissant de l’étendue de la dette, que celle-ci s’élève à un montant de 1.505.317,32.-

euros, aux motifs que :

« L’article 13 du contrat de prêt du 17 octobre 2016, intitulé « 13. ACCOUNTS AS EVIDENCE » est de la teneur suivante :

« Accounts maintained by the Bank in connection herewith shall constitute prima facie evidence of sums owing to the Bank hereunder in the absence of manifest error ».

Pour justifier sa créance portant sur le montant de 1.505.317,32 euros, la Banque verse, en pièces numéros 11-1 à 11-4, les extraits de compte des consorts PERSONNE1.) au 9 Arrêt attaqué, page 21, huitième au dernier alinéa.

10 Idem, page 16, dernier alinéa, à page 17, antépénultième alinéa.

27 juin 2018, qui sont très détaillés quant aux frais, taux d’intérêt et différentes tranches des intérêts.

Contrairement aux affirmations de la partie appelante, ces extraits ne sont pas dépourvus d’effet probatoire alors que les parties ont contractuellement stipulé le contraire.

Il appartient dès lors à PERSONNE1.) de rapporter la preuve que les extraits de compte contiennent une erreur manifeste.

Force est de constater que la partie appelante se borne à contester les extraits de compte mais qu’elle ne fournit pas la moindre critique quant aux écritures y renseignées.

A défaut d’avoir formulé le moindre reproche en ce sens, il faut considérer que les extraits ne sont pas affectés d’une erreur manifeste et que la société SOCIETE1.) a rapporté la preuve que le montant de sa créance s’élève au montant de 1.505.317,32 euros. »11.

Ce raisonnement est critiqué par le deuxième moyen, motif tiré de ce qu’il violerait l’article 1315 du Code civil en accueillant, en violation du principe que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même, un mode de preuve – un extrait de compte – établi unilatéralement par le créancier et demandeur.

Le principe allégué, que « nul ne peut se constituer une preuve à soi-même », traduit de façon imprécise le principe, rappelé par POTHIER, que « nul ne peut se faire de titre à soi-même »12.

Le titre ainsi visé « est ce qui, sur le fond du droit, justifie la prérogative sans ouvrir le pouvoir d’appréciation judiciaire : il s’agit du texte, et, souvent en droit privé, de l’acte juridique, sous son double aspect substantiel et instrumentaire, cette preuve littérale parfaite par laquelle est établi le droit subjectif, le juge se contentant de reconnaître et sanctionner les effets de l’acte, après avoir, s’il y a lieu, opéré des interprétations »13. L’adage rappelle donc l’impossibilité de « se constituer seul une preuve littérale parfaite »14, comme le constitue un acte sous seing privé ou un acte authentique, dont le juge doit se limiter à prendre acte, par opposition, par exemple, à un indice, dont la pertinence relève du pouvoir d’appréciation du juge. POTHIER « évoque ce principe à deux reprises, afin d’expliciter que l’écrit unilatéralement établi par le seigneur qui constate en un registre l’état des redevances, ou par le commerçant, dont les livres marchands transcrivent l’état des fournitures, ne peuvent constituer un « titre », car de tels écrits « ne peuvent faire foi de la prestation, ni fonder par conséquent suffisamment la demande » de leurs auteurs. Néanmoins, ces écrits constituent une « semi-preuve » qui nécessitera d’être confortée par un serment, voire d’autres indices. En d’autres termes, l’adage permet d’expliciter que le seigneur, à l’instar du commerçant, ne peut se constituer seul une preuve littérale parfaite, tout en étant admis à se constituer une preuve écrite imparfaite, qu’il est possible d’exciper en justice. »15.

11 Idem, page 21, sixième au dernier alinéa.

12 Clémence MOULY-GUILLEMAUD, La sentence « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » ou le droit de la preuve à l’épreuve de l’unilatéralisme, Revue trimestrielle de droit civil, 2007, pages 253 et suivantes, n° 2.

13 Cour de cassation française, Rapport annuel 2012, La preuve dans la jurisprudence de la Cour de cassation, page 222, deuxième alinéa.

14 Clémence MOULY-GUILLEMAUD, Nul ne peut se constituer de titre à soi-même…C’est-à-dire ? », Revue trimestrielle de droit civil, 2018, pages 45 et suivantes, voir n° 2.

15 MOULY-GUILLEMAUD, 2007, n° 6.

Compris dans le sens plus large, que « nul ne peut se constituer [non seulement un titre, mais même] une preuve à soi-même », l’adage « ne relève […] pas de la recevabilité des preuves mais de leur valeur probante. Il n’a dès lors pas de portée décisive et n’est que l’expression de la méfiance spontanée du droit français (et belge) quant à la sincérité de la partie intéressée à l’issue du litige »16. Dans cette logique il est admis, tant par la Cour de cassation belge17 que par son homologue luxembourgeois18, « qu’un rapport d’expertise unilatéral, dressé par le conseil technique de la partie qui l’invoque, ne peut être rejeté par principe mais peut contenir des présomptions soumises à l’appréciation du juge »19.

La jurisprudence des Cours de cassation belge et luxembourgeoise se distingue de ce point de vue de celle leur homologue française, qui avait déclaré irrecevable des preuves constituées unilatéralement par la partie qui les invoque avant de revenir partiellement sur cette jurisprudence en la circonscrivant à la preuve des actes juridiques, à l’exclusion de celle des faits20. L’ordonnance française n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations inséra au Code civil français un article 1363, disposant, en reprenant la formule de POTHIER, que « [n]ul ne peut se constituer de titre à soi-même ». Ce texte « n’interdit pas de se constituer une « preuve » à soi-même en ce qu’il est possible, lorsque la preuve est libre d’apporter un élément de preuve bien qu’il provienne de celui qui l’a produit. Simplement, il reviendra au juge d’en apprécier la force probante afin de se forger une conviction. Au fond, cet élément vaut comme un indice » 21.

Il s’ensuit que si une personne ne peut se constituer un titre à soi-même, donc une preuve littérale parfaite, soustraite à l’appréciation du juge, et qu’une telle prétention serait irrecevable, il n’existe, sous réserve du respect des règles d’admissibilité des modes de preuve définies par les articles 1341 et suivants du Code civil, aucune irrecevabilité de principe de moyens de preuve du fait de leur caractère unilatéral. L’adage que « nul ne peut se constituer une preuve à soi-même » se limite à exprimer à l’attention du juge un conseil de circonspection dans l’appréciation, dans les circonstances de l’espèce, de la valeur probante à attribuer à ces moyens de preuve, qui émanent de celui qui les invoque.

L’adage invoqué ne saurait donc avoir, comme soutenu dans le moyen, pour effet de mettre en cause l’admissibilité des moyens de preuve versés.

Le cas de l’espèce présente par ailleurs la particularité que les parties ont stipulé dans le contrat de prêt une convention relative aux moyens de preuve, acceptant d’admettre les extraits de compte comme preuve à première vue du montant dû, sous réserve de l’existence d’une erreur 16 Dominique MOUGENOT, in DE LEVAL, Droit judiciaire – Tome 2 : Procédure civile – Volume 1 : Principes directeurs du procès civil Compétence-Action-instance-jugement, 2e édition, Bruxelles, Larcier, 2021, page 711, troisième alinéa.

17 Idem et loc.cit. et les références citées à la note de bas de page n° 2907.

18 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 17 décembre 2020, n° 174/2020, numéro CAS-2020-00008 du registre (réponse au quatrième moyen) ; idem, 24 février 2022, n° 27/2022, numéro CAS-2021-00014 du registre (réponse au cinquième moyen) et Sévérine MÉNÉTREY et Thierry HOSCHEIT, Procédure civile luxembourgeoise, 2e édition, Bruxelles, Larcier, 2023, n° 641, page 386.

19 MOUGENOT, précité, page 711, troisième alinéa, citant la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique.

20 Idem, page 711, deuxième alinéa, et les références citées et Rapport annuel précité de la Cour de cassation française de 2012, pages 221 à 225.

21 Jurisclasseur Civil, Art. 1363, Fascicule unique, par Laurent SIGUOIRT, 2021, n° 11, citant Olivier DESHAYES, Thomas GENICON et Yves-Marie LAITHIER, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis, 2e édition, 2018, page 977.

manifeste22. De telles conventions relatives à la preuve sont valables, sous réserve de ne pas priver le juge de tout pouvoir d’appréciation23, donc sous réserve de conférer à l’autre partie la possibilité de rapporter la preuve contraire24. La Cour d’appel constate, en l’espèce, que ce critère a été respecté, retenant que la demanderesse en cassation avait, sur base de la clause stipulée, la possibilité de rapporter la preuve que les extraits de compte versés par la défenderesse en cassation contenaient une erreur manifeste25, possibilité dont elle ne fit pas usage, se bornant à contester les extraits pour le principe sans formuler aucune critique circonstanciée26.

Il s’ensuit que, outre que l’adage invoqué n’est pas pertinent pour mettre en cause l’admissibilité des moyens de preuve, cette admissibilité ne pouvait d’autant moins être contestée qu’elle avait été retenue contractuellement par les parties.

Le moyen n’est dès lors pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation des articles 284, 285 et 288 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a rejeté la demande de la demanderesse en cassation en communication forcée de pièces par la défenderesse en cassation, aux motifs que :

« Quatre conditions sont nécessaires pour qu’il puisse être fait droit à la demande tendant à ce que le juge enjoigne la communication ou la production de pièces : - la pièce sollicitée doit être déterminée avec précision, - l’existence de la pièce doit être vraisemblable, - la détention de la pièce par le défendeur à l’incident doit être vraisemblable, - la pièce sollicitée doit être pertinente pour la solution du litige (voir Thierry Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-

Duché de Luxembourg, édition 2019, n°724 et 725). La partie appelante demande d’enjoindre à la partie intimée de « produire tous les documents relatifs aux voies d’exécutions menées en vue du recouvrement du prêt litigieux et la finalité de ces dernières ainsi que les montants obtenus et/ou l’évaluation des biens conservés au titre des voies d’exécution pratiquées ». La première des conditions ci-avant énumérées n’est pas donnée motif pris que PERSONNE1.) reste en défaut de préciser les pièces dont elle souhaite avoir communication. Même à admettre, pour les besoins de la discussion, que la première condition soit donnée, il n’est pas vraisemblable qu’il existe une pièce documentant la réalisation de la garantie alors que la Banque affirme ne pas avoir exécuté le nantissement. La deuxième condition n’est pas non plus donnée. PERSONNE1.) est dès lors à débouter de sa demande de communication forcée de pièces.»27, alors que la demanderesse en cassation a expressément précisé les pièces dont elle entendait obtenir communication, respectivement, tous les documents relatifs aux voies d’exécution menées en vue du recouvrement du prêt litigieux et la finalité de ces dernières ainsi que les montants du prêt litigieux et la finalité de ces dernières ainsi que les montants obtenus et/ou l’évaluation des biens conservés au titre des voies d’exécution pratiquées, de sorte que la Cour, en statuant comme elle a fait, a méconnu les dispositions visées au moyen.

22 « Accounts maintained by the Bank in connection herewith shall constitute prima facie evidence of sums owing to the Bank hereunder in the absence of manifest error » (arrêt attaqué, page 21, sous « Appréciation », deuxième alinéa, citant l’article 13 du contrat de prêt).

23 MOULY-GUILLEMAUD, 2007, n° 10.

24 Jurisclasseur Civil, précité, n° 19.

25 Arrêt attaqué, page 21, antépénultième alinéa.

26 Idem, même page, avant-dernier alinéa.

27 Idem, page 22, antépénultième alinéa, à page 23, deuxième alinéa.

La Cour d’appel rejeta, en l’espèce, la demande en communication forcée de pièces par la défenderesse en cassation aux motifs que la demanderesse en cassation avait omis de préciser les pièces dont elle souhaitait voir imposer la communication à son adverse et qu’il n’était pas vraisemblable que ce dernier en était le détenteur.

Sous le couvert du grief tiré des dispositions visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, du bien-fondé de la demande en communication forcée de pièces, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de votre Cour28.

Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

Dans un ordre subsidiaire il est observé que la Cour d’appel a, en l’espèce, correctement appliqué les conditions régissant les demandes en communication forcée de pièces, régies par les dispositions visées du Nouveau Code de procédure civile29.

Elle constata que la demanderesse en cassation avait reproché à la défenderesse en cassation de ne pas avoir versé de pièce probante démontrant qu’elle n’avait pas exécuté un nantissement judiciaire pratiquée par elle sur des parts sociales ayant appartenu notamment à la demanderesse en cassation dans une société de droit français SOCIETE3.)30, la communication forcée des pièces se rapportant à l’exécution de ce nantissement constituant l’objet de la demande. Elle releva que la défenderesse en cassation avait soutenu qu’il n’existait aucun document se rattachent à l’exécution de ce nantissement parce que ce dernier n’aurait pas été exécuté, en raison de l’absence d’actifs au sein de la société SOCIETE3.)31.

Pour conclure qu’il était invraisemblable que la défenderesse en cassation détînt les pièces d’exécution du nantissement ayant fait l’objet de la demande en communication forcée, elle fit valoir que la défenderesse en cassation contestait cette exécution et que la demanderesse en cassation, propriétaire des parts sociales ayant formé l’objet du nantissement, devrait savoir s’il y a eu exécution de la garantie ou non32, cette incertitude affichée de la demanderesse en cassation renforçant implicitement la crédibilité de l’absence de vraisemblance de la détention, par la défenderesse en cassation, des pièces relatives à une exécution du nantissement.

En l’état de ces constatations, la Cour d’appel a correctement appliqué les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit, à titre subsidiaire, que le moyen n’est pas fondé.

28 Cour de cassation, 19 mai 2022, n° 75/2022, numéro CAS-2021-00066 du registre (réponse aux premier et deuxième moyens réunis).

29 MÉNÉTREY et HOSCHEIT, précité, n° 600, page 367.

30 Arrêt attaqué, page 18, sixième alinéa.

31 Idem, page 20, dernier alinéa, et page 21, troisième alinéa.

32 Idem, page 22, septième et huitième alinéa.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 19


Synthèse
Numéro d'arrêt : 164/24
Date de la décision : 21/11/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-11-21;164.24 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award