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17/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50199C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 17 juillet 2024, 50199C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50199C ECLI:LU:CADM:2024:50199 Inscrit le 14 mars 2024

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Audience publique du 17 juillet 2024 Appel formé par la société (A), Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 2 février 2024 (n° 46542 du rôle) en matière de fixation de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et d’impôt sur la fortune

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50199C ECLI:LU:CADM:2024:50199 Inscrit le 14 mars 2024

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Audience publique du 17 juillet 2024 Appel formé par la société (A), Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 2 février 2024 (n° 46542 du rôle) en matière de fixation de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et d’impôt sur la fortune

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50199C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 14 mars 2024 par la société anonyme LUTHER S.A., inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, ayant son siège social à L-1736 Senningerberg, 1B, Heienhaff, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 195.777, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Mathieu LAURENT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois (A), ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son conseil de gérance, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 2 février 2024 (n° 46542 du rôle) par lequel le tribunal a déclaré irrecevable le volet du recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite de refus du directeur de l’administration des Contributions directes et a déclaré non fondé le recours en réformation dirigé contre les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier des années 2016 et 2017 et les bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 à 2017 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 9 avril 2024 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 7 mai 2024 par la société anonyme LUTHER S.A., représentée par Maître Mathieu LAURENT pour compte de l’appelante ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 13 juin 2024.

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A la suite du dépôt des déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités, l’impôt commercial communal et l’impôt sur la fortune des collectivités résidentes des années 2016 et 2017, auprès du bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après « le bureau d’imposition », en date du 12 janvier 2018, ledit bureau informa la société à responsabilité limitée (A) (anciennement …), ci-après « la société (A) », par courrier du 1er février 2019, sur le fondement du paragraphe 205, alinéa 3, de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’il envisageait de dévier des déclarations fiscales telles que déposées par ladite société, tout en l’invitant à formuler ses éventuelles objections de façon écrite jusqu’au 22 février 2019. Ledit courrier est libellé comme suit :

« (…) Primes d'émissions et primes assimilées Suivant les comptes annuels au 31/12/2015, déposés au Registre de Commerce et des Sociétés en date du 09/12/2016, le poste « Primes d'émissions et primes assimilées » est bien classé comme compte de capital. La somme de …€ n'est donc pas à considérer comme dette déductible pour la détermination de la valeur unitaire au 01/01/2016.

Suivant les comptes annuels au 31/12/2016, déposés au Registre de Commerce et des Sociétés en date du 17/07/2017, le poste « Primes d'émissions et primes assimilées » est bien classé comme compte de capital. La somme de …€ n'est donc pas à considérer comme dette déductible pour la détermination de la valeur unitaire au 01/01/2017.

Immobilisations financières Pour la détermination de la valeur unitaire au 01/01/2016, les titres détenus dans la société (B) sont à évaluer à la valeur du marché au 31 décembre 2015.

Pour la détermination de la valeur unitaire au 01/01/2017, les titres détenus dans la société (B) sont à évaluer à la valeur du marché au 31 décembre 2016.

La valeur comptable ne reflète pas nécessairement la valeur réelle de ces titres.

La valeur prise en compte au 01/01/2016 … € La valeur prise en compte au 01/01/2017 … € (…) ».

Par courrier du 15 mars 2019, la société (A) répondit au bureau d’imposition qu’elle n’avait « pas d’objection sur les commentaires formulés », mais argumenta toutefois que dans la mesure où les parts qu’elle détenait dans la société à responsabilité limitée (B), ci-après « la société (B) », étaient évaluées à la valeur du marché, les dettes à son passif seraient également à évaluer à la valeur de marché lors de la détermination de la valeur unitaire, la valeur de marché des obligations convertibles émises par elle ayant augmenté dans les mêmes proportions que l’augmentation de la valeur des parts détenues par elle.

En date du 25 avril 2019, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (A) les bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016 et au 1er janvier 2017, ainsi que les bulletins de l’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2016 et au 1er janvier 2017.

Par courrier de son mandataire daté du 25 juillet 2019, la société (A) fit introduire auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », une réclamation à l’encontre desdits bulletins.

A défaut de réponse du directeur, la société (A) fit introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2021, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation (1) des bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier des années 2016 et 2017, (2) des bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 à 2017 et (3) d’une « décision implicite de refus du Directeur de l’ACD à la suite de la réclamation (…) déposée auprès de l’ACD en date du 25 juillet 2019 (…) ».

Dans son jugement du 2 février 2024, le tribunal déclara irrecevable le volet du recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision implicite de refus du directeur de l’administration des Contributions directes, reçut en la forme le recours réformation pour le surplus, mais en débouta la demanderesse, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, rejeta la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 € formulée par la demanderesse, tout en condamnant celle-ci aux frais.

Pour débouter la demanderesse de son recours en réformation dirigé contre les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et des bulletins de l’impôt sur la fortune, le tribunal considéra que dans la mesure où la conversion en actions des obligations convertibles émises par la société demanderesse, ci-après « les Obligations convertibles », serait facultative et ne constituerait qu’une option parmi trois offertes tant à l’émetteur qu’aux porteurs des obligations et dans la mesure où aucune des parties au contrat d’émission des Obligations convertibles n’avait manifesté son intention de convertir celles-ci en actions aux dates-clés, aucune circonstance exceptionnelle justifiant de déroger au principe général de l’évaluation à la valeur nominale ne serait constatée et que l’exception prévue par le paragraphe 14, point 1), in fine de la loi d’évaluation du 16 octobre 1934, communément appelée « Bewertungsgesetz », en abrégé « BewG », ne pourrait pas trouver application.

Par une requête déposée au greffe de la Cour administrative en date du 14 mars 2024, la société (A) a régulièrement interjeté appel contre ce jugement.

La Cour constate de prime abord que l’appelante ne remet pas en question le volet du jugement du 2 février 2024 ayant déclaré irrecevable le recours dirigé contre une décision implicite de refus du directeur, de sorte que la Cour n’a pas à se prononcer sur cette question.

Le litige des parties porte exclusivement sur la question des modalités de l’évaluation des Obligations convertibles litigieuses.

Arguments des parties Après avoir passé en revue les faits et rétroactes de l’affaire, correspondant en substance à ceux exposés en première instance et résumés dans le jugement a quo, l’appelante prend position sur la notion de « circonstance particulière » au sens du paragraphe 14, point 1), du BewG, permettant une évaluation des créances et des dettes de façon différente au principe selon lequel celles-ci sont comptabilisées à leur valeur nominale.

Dans ce contexte, elle fait valoir que le jugement du tribunal administratif du 15 mars 2000, inscrit sous numéro 11226 du rôle, invoqué par elle en première instance, serait, contrairement à ce qui avait été retenu par le tribunal, transposable en l’espèce. En effet, le BewG ne traiterait pas de façon différente le calcul de la valeur unitaire d’un contribuable en fonction de sa qualité d’émetteur ou de porteur d’actions, l’appelante renvoyant à cet égard à l’article 1er du BewG.

S’agissant de la notion de « circonstance » au sens de l’article 14, point 1), du BewG, l’appelante est d’avis que celle-ci devrait être interprétée en ce sens que les circonstances devraient être personnelles, propres et individuelles par opposition à des circonstances générales ou communes.

Le jugement du tribunal administratif du 15 mars 2000 invoqué par elle se serait justement prononcé sur l’existence de circonstances particulières en reconnaissant le bien-fondé de l’évaluation des obligations d’un contribuable luxembourgeois à une valeur supérieure à leur valeur nominale dans le cadre de la détermination de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation, à l’aune de leur valorisation intrinsèque.

Cette jurisprudence confirmerait l’interprétation littérale de la notion de « circonstance particulière », l’appelante soulignant que la cotation en bourse, à laquelle le tribunal s’était référé dans cette affaire, était un élément de fait spécial, inhérent au titre en question, traduisant avec plus de proximité la valeur effective de celui-ci que sa valeur nominale.

En l’espèce, la relation contractuelle et le lien d’actionnariat unique existant entre Monsieur (C) et elle-même, ainsi que la valorisation contractuelle des Obligations convertibles correspondraient à des éléments de fait spéciaux traduisant avec plus de proximité la valeur effective des Obligations convertibles que la valeur nominale et seraient partant à qualifier de circonstances particulières justifiant une valorisation à une valeur supérieure à la valeur nominale.

Bien que les éléments objectifs justifiant la valorisation diffèrent dans la présente affaire par rapport à la jurisprudence invoquée par elle, il n’en resterait toutefois pas moins que dans les deux cas, il y aurait une valorisation régulière, constante, objective et précise des obligations.

Dès lors, la méthode d’évaluation des Obligations convertibles telle que préconisée par elle se justifierait par des circonstances particulières au sens du paragraphe 14, point 1), du BewG et ce tant au regard de la définition générique et juridique du terme « circonstance » qu’à la lumière de la jurisprudence du tribunal administratif.

Dans un second temps, l’appelante fait valoir qu’encore que les Obligations convertibles ne soient pas cotées en bourse, tel que cela était le cas dans l’affaire ayant donné lieu au jugement du 15 mars 2000, il y aurait néanmoins des similitudes, l’appelante faisant valoir que (i) les Obligations convertibles seraient évaluées de manière régulière, constante, précise et objective pour des besoins réglementaires et de transparence et (ii) l’évaluation de la valeur du marché serait prévue contractuellement.

En effet, et par rapport au premier point, l’appelante donne à considérer que, tout comme pour les obligations cotées en bourse, la valeur des Obligations convertibles dépendrait d’éléments purement objectifs, à savoir, selon le contrat d’émission, « de la Valeur de Marché des Parts sociales, du nombre des Parts sociales en circulation et du nombre d’Obligations Convertibles en circulation à la Date de Rachat ».

En outre, la valeur de marché de ses parts sociales serait majoritairement influencée par la détention exclusive des titres de la société (B), constituée et opérée sous le régime d’un fonds d’investissement spécialisé pour lequel la totalité des avoirs nets serait évaluée au dernier jour de chaque trimestre pour les besoins du calcul de la base fiscale et pour les besoins de la taxe d’abonnement.

Dès lors, la valeur réelle des Obligations convertibles proviendrait, tout comme cela serait le cas pour les obligations cotées en bourse, de sa valeur prise en compte en cas de transfert à un tiers, à savoir la valeur de marché, qui serait fonction des caractéristiques juridiques et financières du titre au moment du transfert et serait évaluée de manière régulière, constante, précise et objective pour les besoins réglementaires et de transparence.

Tout comme la valeur d’une obligation cotée en bourse s’adapterait en permanence au niveau des taux d’intérêts sur les marchés financiers, la valeur de marché des Obligations convertibles évoluerait en fonction de la valeur de ses parts sociales, elle-même directement influencée par ses activités.

Par ailleurs, si la cotation des obligations en bourse était réglementée et déterminée par une autorité accréditée, la valeur de marché des Obligations convertibles serait au moment du rachat préalablement validée par son conseil d’administration, en vertu de la valorisation de la société (B) en tant qu’entité luxembourgeoise réglementée par la Commission de surveillance du secteur financier.

L’ensemble de ces éléments constitueraient des circonstances particulières qui seraient spéciales et inhérentes aux Obligations convertibles et qui traduiraient avec plus de proximité la valeur effective de celles-ci que la valeur nominale.

Dès lors, encore que les obligations convertibles soient moins liquides, il y aurait des fortes similitudes avec les obligations cotées en bourse, notamment en termes de valorisation, de sorte que le tribunal aurait dû transposer en l’espèce sa jurisprudence du 15 mars 2000.

Quant à la considération selon laquelle l’évaluation de la valeur du marché serait prévue contractuellement, l’appelante rappelle qu’elle aurait financé sa participation dans la société (B), entre autres, par l’émission des Obligations convertibles et fait valoir que le contrat en question prévoirait soit la conversion en parts sociales intégralement libérées, soit le rachat, soit la cession à une partie tierce, tout en relevant que dans chaque hypothèse, il y aurait lieu de prendre en compte la valeur du marché des Obligations convertibles qui serait déterminée en tenant compte de la valeur de marché de ses parts sociales.

Dès lors, que ce soit en cas de conversion, de rachat ou de cession des Obligations convertibles à une partie tierce, chaque transaction devrait être effectuée à la valeur du marché de ses parts sociales. Celle-ci reflèterait dès lors la valeur effective et réelle des Obligations convertibles. L’appelante en déduit que les clauses contractuelles constitueraient une circonstance particulière au sens du paragraphe 14, point 1), du BewG justifiant de retenir la valeur du marché de ses parts sociales pour les besoins de l’évaluation des Obligations convertibles dans le cadre de l’établissement de sa valeur unitaire.

Tant dans le cadre de l’établissement de sa valeur unitaire que dans le cadre de la détermination de l’impôt sur la fortune des années 2016 et 2017, il conviendrait ainsi de tenir compte de l’augmentation de la valeur des Obligations convertibles émises par elle, liées à l’augmentation de la valeur des titres dans la société (B), les Obligations convertibles devant ainsi suivre dans les mêmes proportions l’évaluation de la valeur du marché des titres de la société (B) financés par ces Obligations.

Dans un troisième temps, l’appelante fait valoir que les premiers juges auraient à tort pris en compte l’intention des parties de convertir à la valeur du marché les Obligations convertibles, alors qu’il ne s’agirait là pas d’une condition préalable à l’application du paragraphe 14, point 1), du BewG et à l’existence de circonstances particulières au sens de cette disposition.

Par ailleurs, même si son intention devait être considérée comme un élément décisif pour l’application du paragraphe 14 du BewG, la conversion des Obligations convertibles à la valeur du marché, telle que prévue à l’article 7 du contrat, ne constituerait plus une simple option facultative ni pour elle-même ni pour le porteur des obligations convertibles dans le cas où l’option est préférée par le porteur.

Dans ce contexte, l’appelante donne à considérer que depuis la publication de ses comptes annuels au 31 décembre 2018, contrôlés par un réviseur d’entreprises agréé, elle aurait enregistré des provisions ayant pour objectif de consacrer comptablement la charge qu’elle aurait à supporter à l’avenir lors de la conversion ou du rachat des Obligations convertibles, ce en application du principe comptable de l’image fidèle, du principe de prudence et de continuité des méthodes d’évaluation comptable. La décision du conseil de gérance d’enregistrer la provision dans ses comptes renforcerait dès lors le caractère certain de la conversion ou du rachat des Obligations convertibles à la valeur de marché dans un avenir proche, cette intention ayant déjà existé en 2015 et 2016.

Cette provision comptable aurait été enregistrée afin de s’assurer que ses comptes reflètent une image fidèle de son patrimoine ainsi que de sa situation financière, reliant la valeur de marché des titres dans la société (B) au financement de sa participation par Obligations convertibles, tout en anticipant la charge future qu’elle aura à supporter lors de la conversion ou du rachat des Obligations convertibles.

Dans ce contexte, elle précise que Monsieur (C) aurait l’intention dans un avenir proche de procéder, dans le cadre de la planification successorale et de réallocation de son patrimoine à ses héritiers, à un rachat ou à une conversion des Obligations convertibles.

Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments et à l’aune de la philosophie du contrat, la conversion ou le rachat des Obligations convertibles par elle ne pourrait pas être considéré comme un événement facultatif ou purement hypothétique tel que cela avait été retenu par le tribunal.

Dans un quatrième temps, l’appelante se prévaut du principe d’équité et d’opportunité, par référence au paragraphe (2) de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, telle que modifiée, appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG ». Ce principe tendrait à vérifier le caractère approprié d’une décision par rapport à la situation concrète du contribuable et son incidence afin d’éviter de lui imposer une charge déraisonnable selon les circonstances concrètes. Comme la notion de circonstances particulières au sens du paragraphe 14, point 1), du BewG ne serait pas autrement définie, l’administration devrait utiliser son pouvoir discrétionnaire d’équité et d’opportunité dans l’appréciation de la valeur effective et réelle des Obligations convertibles et il conviendrait, en l’espèce, sur cette base de tenir compte de l’augmentation de la valeur des Obligations convertibles émises par elle, liée à l’augmentation de valeur des titres dans la société (B).

Dans sa réplique, l’appelante insiste en substance sur la transposition des principes retenus par le tribunal dans son jugement du 15 mars 2000. Tout en admettant que les faits à la base des deux affaires ne seraient pas exactement identiques, l’appelante fait valoir que certains éléments caractéristiques d’obligations cotées en bourse et des Obligations convertibles présenteraient des similarités permettant de transposer cette jurisprudence dans le cas d’espèce.

Ensuite, en ce qui concerne le reproche de la partie étatique en relation avec la déduction des primes d’émission et primes assimilées, l’appelante expose que cette déduction résulterait d’une erreur lors de la préparation de ses déclarations fiscales et que les critiques afférentes de la partie étatique ne seraient pas contestées.

Elle souligne que suite au courrier émis par le bureau d’imposition sur le fondement du paragraphe 205, alinéa (3), AO, elle aurait, par courrier du 15 mars 2019, précisé qu’elle n’avait pas d’objection par rapport au projet d’imposition lui communiqué, sous réserve de la volonté de l’administration d’évaluer les Obligations convertibles à leur valeur nominale, tout en insistant sur sa bonne foi, ce qui se traduirait d’ailleurs par le fait que le bulletin n’avait émis aucune pénalité à son égard du fait de l’erreur commise.

En ce qui concerne la référence faite par la partie étatique aux paragraphes 6 et 62 du BewG, l’appelante se prévaut de l’article 1181 du Code civil. En faisant valoir qu’en application de cette disposition une condition suspensive serait celle qui ne relève pas de la volonté des parties, elle conclut que comme la conversion des Obligations convertibles ne dépendrait que de la volonté du souscripteur, les Obligations convertibles ne seraient pas affectées d’une condition suspensive, de sorte que le paragraphe 6 du BewG invoqué par la partie étatique ne trouverait pas application.

Par rapport à l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle la détermination de la valeur de marché des Obligations convertibles tournerait en boucle, l’appelante fait valoir (i) qu’une fois converties en actions, la détermination de la valeur des Obligations convertibles ne se poserait plus et (ii) que dans le cadre du calcul de la valeur de marché d’une entité, la valeur nominale des instruments de dettes convertibles serait exclue.

En outre, la méthode d’évaluation utilisée par elle en cas de conversion serait largement reconnue et suivie par les acteurs du marché visant à garantir une évaluation équitable et précise des instruments financiers favorisant ainsi la transparence.

Analyse de la Cour A l’instar du tribunal, la Cour relève que les contestations de l’appelante portent exclusivement sur la question de la détermination de la valeur unitaire de sa fortune d’exploitation au 1er janvier 2016 et au 1er janvier 2017 et plus précisément sur celle de savoir si dans ce contexte, les Obligations convertibles en actions émises par elle, que l’appelante ne conteste pas être un élément de dette envers le porteur des obligations, sont à évaluer à leur valeur nominale ou à une valeur supérieure.

Un premier constat s’impose, à savoir qu’au regard de cette limitation des débats, les explications des parties tournant autour de la question de la déduction des primes d’émission et primes assimilées, sont sans pertinence.

La Cour constate ensuite que l’appelante est d’avis que les Obligations convertibles auraient dû être évaluées, non pas tel que le bureau d’imposition l’a fait et tel que cela a été confirmé par les premiers juges, à leur valeur nominale, mais à une valeur - supérieure -

correspondant à celle de ses actions qui en formeraient la contrepartie.

Le tribunal a à juste titre rappelé qu’une obligation constitue une valeur mobilière, donc un titre, lequel correspond à un contrat entre l’émetteur, en l’espèce l’appelante, et le porteur de l’obligation, en l’espèce Monsieur (C), et qui représente une dette du premier envers le second, qu’elle est une valeur mobilière négociable constatant une créance à long terme sur une société et que les obligations convertibles en actions ont pour caractéristique de permettre à leur titulaire de devenir à son gré associé de la société à laquelle il a prêté dans les conditions fixées par le contrat d’émission1.

Les premiers juges se sont ensuite référés à bon droit au mode d’évaluation des dettes de sociétés, au motif que dans le chef de l’émetteur les obligations s’analysent en une dette envers le porteur.

Ils ont encore à juste titre retenu qu’à défaut de dispositions spécifiques relatives au mode d’évaluation d’obligations convertibles en actions dans le chef de l’émetteur, il convient de se référer à la règle générale contenue au paragraphe 14 BewG, relatif aux « Kapitalforderungen und Schulden », aux termes duquel : « (1) Kapitalforderungen, die nicht im § 13 bezeichnet sind, und Schulden sind mit dem Nennwert anzusetzen, wenn nicht besondere Umstände einen höheren oder geringeren Wert begründen. (…) ».

Ils sont à confirmer en ce qu’ils ont relevé, à partir de cette disposition, qu’aux fins de la fixation de la valeur unitaire, les dettes, telles les Obligations convertibles de l’espèce, sont en principe à évaluer à leur valeur nominale et qu’une évaluation à une valeur supérieure ou inférieure constitue l’exception à ce principe. La Cour relève toutefois qu’en exigeant la justification de circonstances exceptionnelles, les premiers juges ont imposé une condition plus restrictive que celle prévue par la loi. En effet, au regard des termes du paragraphe 14 BewG, qui se réfère à des « besondere Umstände », les circonstances justifiant une dérogation au principe de l’évaluation à la valeur nominale doivent être particulières, de sorte qu’il convient d’examiner au cas par cas si des circonstances particulières propres à tel cas justifient une dérogation au principe d’évaluation consacré par le paragraphe 14 BewG.

Se pose dès lors en l’espèce la question de savoir si l’appelante fait état de telles circonstances particulières justifiant une évaluation des Obligations convertibles à une valeur supérieure à leur valeur nominale.

A l’instar des premiers juges, la Cour constate que le contrat d’émission des Obligations convertibles, signé le 30 octobre 2014, prévoit différentes options : les Obligations peuvent soit être converties en parts sociales de la société (A)2, soit être rachetées par la société (A) elle-même3, soit être cédées à un tiers4.

1 Alain Steichen, Précis de droit fiscal, 5e édition, 2020, p.448, n°487 2 Article 6 du contrat d’émission des Obligations convertibles : « A la Date de Conversion, tout ou partie des Obligations Convertibles concernées est convertie en Parts Sociales intégralement libérées ».

Article 6.1 du même contrat : « Tout ou partie des Obligations Convertibles détenues par un Porteur d'Obligations pourront, au cours de la Période de Conversion et si ce dernier le souhaite, être converties en Parts sociales intégralement libérées sur la base d'une Part Sociale par Obligation Convertible. ».

3 Article 7 du contrat d’émission : « La Société est en droit de racheter tout ou partie des Obligations Convertibles détenues par le Porteur d'Obligations Convertibles. (…) ».

4 Article 3.2 du contrat d’émission, intitulé « Cession » : « Si un porteur d'Obligations Convertibles souhaite céder tout ou partie de ses Obligations Convertibles sans respecter la procédure ci-dessous décrite, ces Obligations Convertibles seront immédiatement annulées par la Société sans aucun paiement. (…) ».

La Cour conclut dès lors, tel que les premiers juges l’ont fait, que (i) la conversion des Obligations en actions est facultative et ne constitue qu’une option parmi trois qui s’offrent aux parties au contrat, lesquelles disposent ainsi du libre choix de convertir ou non les obligations en actions et que (ii) aucune des parties au contrat d’émission des Obligations convertibles n’a manifesté son intention de convertir les obligations en actions aux dates clés de l’espèce, à savoir au 1er janvier 2016 ou au 1er janvier 2017, et, a fortiori qu’aucune conversion n’est intervenue.

Contrairement à ce qui est avancé par l’appelante, ce n’est pas nécessairement en chacune de ces trois hypothèses que la valeur des Obligations est liée à la valeur de marché de ses parts sociales. En effet, en l’occurrence lorsque la société décide, en application de l’option lui conférée par le premier alinéa de l’article 7 du contrat (« la Société est en droit5 de racheter (…) »), de racheter les Obligations convertibles, elle dispose selon les termes de l’article 7.1.

du contrat (« pourra être rachetée à la Valeur de Marché si la Société le souhaite ») de la possibilité de les racheter non pas à la valeur nominale, partant à la somme qu’elle a empruntée, mais à la valeur du marché, ce qui pourrait se justifier lorsque la valeur du marché est inférieure à la valeur nominale. Or, ce choix de prendre en compte la valeur du marché n’est pas dans l’intérêt de la société lorsque la valeur du marché est supérieure à la valeur nominale de sa dette à l’égard du souscripteur des Obligations convertibles, de sorte qu’il est tout à fait concevable que la société souhaite racheter les Obligations convertibles à la valeur nominale et partant procède à un remboursement anticipé à la valeur nominale à laquelle se rajoutent encore les intérêts courus jusqu’à ce moment (cf article 5 in fine du contrat d’émission).

Dès lors, non seulement la conversion en tant que telle, mais encore la valorisation en tenant compte non pas de la valeur nominale des Obligations convertibles, mais de la valeur du marché, liée à la valeur des parts de l’appelante, restent hypothétiques aux dates clés de l’évaluation, lesquelles sont pourtant déterminantes.

La conclusion s’impose partant que le rattachement nécessaire de la valeur des Obligations convertibles à celle des actions de l’appelante et plus loin à celles détenues par elle dans la société (B), tel que réclamé par l’appelante, ne se dégage ni du contrat d’émission, ni de la réalité aux dates clés pertinentes pour la détermination de la valeur unitaire d’exploitation, de sorte que la Cour ne décèle en l’espèce pas plus que les premiers juges, l’existence des circonstances particulières (« besondere Umstände » ), qui justifieraient une évaluation à la valeur du marché, par dérogation au paragraphe 14 BewG.

A cet égard, les premiers juges ont encore relevé à juste titre que c’est justement la valeur unitaire de l’entreprise à la date-clé du 1er janvier de l’année civile qui est, conformément au § 21 BewG6, déterminante dans la fixation de la valeur des éléments dont 5 Souligné par la Cour.

6 §21 BewG, intitulé « Hauptfeststellung »:

« (1) Die Einheitswerte werden allgemein festgestellt (Hauptfeststellung):

1. in Zeitabständen von je sechs Jähren: für die wirtschaftlichen Einheiten des land- und forstwirtschaftlichen Vermögens und des Grundvermögens, für die Betriebsgrundstücke (§ 57) und für die Gewerbeberechtigungen (§ 58);

2. in Zeitabständen «von je einem Jahr»: für die wirtschaftlichen Einheiten des Betriebsvermögens.

Der Finanzminister kann bestimmen, dass die Hauptfeststellung in kürzeren oder längeren als den in Satz 1 bezeichnetem Zeitabständen vorgenommen wird. Die Bestimmung kann sich auf einzelne Vermögensarten oder Vermögensunterarten beschränken.

elle se compose, en ce compris les dettes, alors que l’argumentation de l’appelante revient à anticiper une hypothétique conversion des Obligations convertibles par Monsieur (C), de sorte à solliciter la fixation d’une valeur par rapport à une situation non donnée aux dates-clés litigieuses, ce qui contrevient à la disposition susvisée.

Sous cet aspect, ce n’est ni la volonté affirmée en instance d’appel, soit 7, respectivement 8 ans après les années fiscales pertinentes, de manifester dans un avenir plus ou moins proche la volonté de convertir les Obligations convertibles dans un proche avenir afin de faciliter le partage entre héritiers, ni la modification dans les comptes annuels du mode d’évaluation des Obligations à partir de l’années fiscale 20187 - l’appelante n’ayant pas évalué les Obligations à la valeur de marché dans ses comptes visant les années pertinentes -, qui sont déterminants pour l’évaluation des Obligations aux dates clés.

La Cour rejoint dès lors les premiers juges en leur conclusion selon laquelle une conversion hypothétique des Obligations en actions en tenant compte de la valeur de marché des titres détenus dans la société (B), ne constitue pas une circonstance particulière de nature à déroger au principe selon lequel les dettes sont à évaluer à leur valeur nominale et selon laquelle à défaut par la société appelante de faire valoir d’autres éléments, aucune circonstance particulière justifiant de déroger au principe général de l’évaluation à la valeur nominale ne peut être constatée en l’espèce et l’exception prévue par le paragraphe 14, point (1), in fine BewG ne saurait partant trouver application.

Les premiers juges ont à juste titre retenu que cette conclusion n’est pas énervée par la référence au jugement du tribunal administratif du 15 mars 2000, que l’appelante continue à invoquer en instance d’appel. En effet, ils ont à bon escient retenu que ce jugement n’est pas transposable en l’espèce, étant donné que la situation qui se présentait à l’époque diffère foncièrement de celle qui se présente en l’espèce, comme il s’agissait dans cette espèce de procéder à l’évaluation de la fortune du porteur et non point de l’émetteur des obligations, lesquelles étaient cotées à une bourse étrangère, de sorte que le tribunal avait retenu que leur liquidité était augmentée par la centralisation des opérations d’achat et de vente y relatives et par la potentialité d’un volume plus élevé de transactions, impliquant que le prix se dégageant de ces opérations devait être considéré comme traduisant avec plus de proximité la valeur effective de ce titre, de sorte que la cotation de l’obligation en bourse et les conséquences s’en dégageant pour leur valeur constituaient des circonstances particulières ayant justifié une évaluation divergeant du principe général de l’évaluation à la valeur nominale, situation non vérifiée en l’espèce.

L’appelante se prévaut encore à tort du principe d’équité et d’opportunité, par référence au paragraphe (2) StAnpG, étant donné que l’évaluation des Obligations convertibles ne correspond pas à une décision discrétionnaire au sens de cette disposition.

Il suit de l’ensemble des éléments qui précèdent que les premiers juges ont à juste titre confirmé le bureau d’imposition pour avoir évalué les Obligations convertibles à leur valeur nominale et ont partant à bon droit rejeté le recours pour ne pas être fondé.

(2) Der Hauptfeststellung werden die Verhältnisse zu Beginn des Kalenderjahres (Hauptfeststellungszeitpunkt) zugrunde gelegt. Die Vorschriften im § 32 Absatz 2 und § 63 über die Zugrundelegung eines anderen Zeitpunkts bleiben unberührt. ».

7 Cf annexes aux comptes annules au 31 décembre 2018 – note 2 « jusqu’au 31 décembre 2017, la Société enregistrait les obligations convertibles à leur valeur nominale ».

Au vu de l’issue du litige, la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros formulée par la société appelante sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute la société appelante ;

rejette la demande de la société appelante en allocation d’une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

condamne l’appelante aux frais de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Patrick WIES.

s. WIES s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50199C
Date de la décision : 17/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-07-17;50199c ?

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