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11/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50700C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 11 juillet 2024, 50700C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50700C ECLI:LU:CADM:2024:50700 Inscrit le 5 juillet 2024

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Audience publique du 11 juillet 2024 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 juillet 2024 (n° 50636 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.08.2008)

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50700C ECLI:LU:CADM:2024:50700 Inscrit le 5 juillet 2024

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Audience publique du 11 juillet 2024 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 juillet 2024 (n° 50636 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.08.2008)

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Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 50700C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 juillet 2024 par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, dirigée contre le jugement du 2 juillet 2024 (n° 50636 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a déclaré non fondé son recours en réformation dirigé contre une décision du ministre des Affaires intérieures du 11 juin 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 9 juillet 2024 par Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Le vice-président rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sanae IGRI et Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Par courrier du 12 septembre 2018, Monsieur (A) sollicita l’octroi d’une autorisation de séjour en tant que travailleur indépendant, demande qui fut rejetée par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 décembre 2018.

Par courrier du 10 décembre 2021, Monsieur (A) introduisit une nouvelle demande afin de se voir délivrer une autorisation de séjour en tant que travailleur indépendant, demande que le ministre de l’Immigration et de l’Asile rejeta par une décision du 11 mars 2022.

Il ressort d’un rapport de police n° …/2024 du 11 juin 2024, que Monsieur (A) fit l’objet d’un contrôle routier lors duquel il présenta aux forces de l’ordre un passeport tunisien périmé, ainsi qu’un permis de conduire allemand falsifié.

Par un arrêté du 11 juin 2024 du ministre des Affaires intérieures, ci-après le « ministre », le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois fut déclaré irrégulier, l’entrée sur ledit territoire lui fut interdit pour une durée de cinq ans et il lui fut ordonné de quitter ledit territoire sans délai.

Par arrêté ministériel séparé du même jour, notifié à l’intéressé encore le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, dans les termes suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no …/2024 du 11 juin 2024 établi par la Police grand-ducale ;

Vu ma décision de retour du 11 juin 2024, lui notifiée le même jour, assortie d'une interdiction d'entrée de 5 ans ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que l'intéressé a fait usage d'un faux document identité ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2024, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 11 juin 2024.

Par jugement du 2 juillet 2024, le tribunal administratif déclara le recours en réformation non fondé, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, en rejetant la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000.- € formulée par le demandeur et en condamnant ce dernier aux frais et dépens.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 5 juillet 2024, Monsieur (A) a régulièrement fait entreprendre le jugement précité du 2 juillet 2024 dont il sollicite la réformation, afin de voir principalement réformer la décision ministérielle critiquée et de voir ordonner, dans l’attente de son éloignement, sa libération avec placement à résidence, sinon subsidiairement de la voir annuler.

Dans un premier et principal ordre d’idées, l’appelant reproche au ministre d’avoir ordonné son placement en rétention, alors que des mesures moins coercitives auraient concrètement été envisageables.

En effet, selon l’appelant, sa privation de liberté moyennant son placement au Centre de rétention serait exclue et illégale lorsqu'il existe, comme ce serait le cas en l’espèce, des garanties de représentation suffisantes.

Plus concrètement, il demande à être placé à résidence à L-…, son domicile actuel et effectif, à savoir un studio loué par lui en date du 24 octobre 2023, sinon dans la structure d'hébergement d'urgence du Kirchberg (SHUK).

Il reproche aux premiers juges d’avoir douté de l’existence de ce domicile eu égard à ses déclarations réalisées lors de son entretien avec la police, au motif que ses déclarations auraient été faites en l’absence d’un avocat ou d’un interprète et qu’il ne maîtriserait pas bien la langue française et que ses déclarations seraient de la sorte essentiellement « fragilisées ».

La cosignature de son contrat de bail par une autre personne serait sans incidence, dès lors que cette dernière ne vivrait pas effectivement avec l'appelant « alors qu'elle ne dispose seulement d'une adresse ».

L’appelant se réfère en outre à la garantie financière apportée par son fils, moyennant le dépôt de la somme de 5.000.- € auprès de la Caisse de consignation.

Au regard de cette situation personnelle, l’appelant estime avoir démontré l’existence de garanties de représentation suffisantes et que son maintien en rétention n’est plus justifié.

Finalement, l’intéressé entend mettre en balance son comportement irréprochable au Centre de rétention.

Dans un deuxième ordre d’idées, l’appelant fait valoir que les démarches entreprises en vue de préparer son éloignement seraient insuffisantes sinon inefficaces.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

La Cour note liminairement que c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré et retenu que la décision de placement en rétention prise à l’égard de l’appelant table notamment sur la prémisse de base vérifiée de l’existence d’un risque de fuite dans le chef du concerné, étant donné qu’en présence d’une personne se trouvant en situation de séjour irrégulier au Luxembourg, pour être démunie de documents de voyage et séjour valables, et qui se trouve en outre, depuis le 11 juin 2024, sous le coup d’une décision d’interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans, il existe un faisceau d’éléments concordants laissant présupposer, en application de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1, de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 », un risque patent dans le chef de l’actuel appelant qu’il se soustraie en cas de non-rétention à son éloignement vers son pays d’origine.

Concernant la revendication de l’appelant de l’application d’une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et notamment une assignation à résidence, c’est à bon escient que les premiers juges ont confirmé le ministre en ce qu’il a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence, ne sont pas concrètement envisageables, dès lors que l’appelant reste en défaut de présenter des garanties de représentation effectives propres à prévenir le susdit risque de fuite.

En effet, aux yeux de la Cour rien que le fait que l’intéressé, -qui ne conteste pas fondamentalement cet état des choses- a fait usage de fausses identités et de faux documents officiels, notamment en présentant aux agents de police un permis de conduire allemand falsifié, et qui, circulant pour le moins entre la France et le Luxembourg, séjourne régulièrement, mais illégalement, sur le territoire luxembourgeois depuis plusieurs années, sont un indicateur contredisant la crédibilité de ses promesses de se tenir à la disposition des autorités luxembourgeoises en vue de son rapatriement.

Au-delà, son allégation relativement à une prétendue résidence effective et stable au Luxembourg dans le studio qu’il déclare avoir pris en location se trouve être bien loin d’une réalité établie, partant bien loin d’un début de garantie de représentation effective. Au contraire, elle se heurte fondamentalement aux propres déclarations de l’intéressé faites à l’occasion de son contrôle par la police routière en date du 11 juin 2024, étant donné qu’il a alors indiqué ne plus séjourner au Luxembourg, mais en France et plus précisément à F-…. Il se dégage ainsi du rapport de police n° …/2024 alors établi que l’appelant a déclaré « (…) Zur Zeit wohne ich nicht in Luxembourg. Ich wohnte in L-…. Mein Mietvertrag wurde mir jedoch gekündigt, da ich Gebrauch von falschen Namen machte und diese am Briefkasten aufklebte. (…) ».

Dans ce contexte, l’argumentaire de l’appelant consistant à ne pas lui tenir rigueur de ses déclarations a priori claires et précises au sujet de l’adresse de résidence faites auprès de la police lors de son interpellation au motif de sa prétendue connaissance insuffisante de la langue française n’est pas non plus de nature à emporter la conviction de la Cour. En effet, cet argumentaire ne résiste guère à l’analyse de la situation personnelle par ailleurs déclarée et documentée de l’intéressé, lequel déclare lui-même séjourner et travailler au Luxembourg depuis 2018 et verse, parmi ses pièces, les statuts -en langue française- d’une société luxembourgeoise par lui créée le 27 juin 2018, un contrat de bail en langue française, ainsi qu’une lettre manuscrite en langue française sur plusieurs pages, par lui adressée au ministre pour solliciter sa mise en liberté, étant relevé qu’à travers ce courrier, il déclare en outre exploiter à Paris une société active dans le domaine du bâtiment et chargée actuellement de huit chantiers de rénovation.

En dernière analyse, la Cour n’arrive pas à dénoter de la situation personnelle essentiellement ténébreuse de l’appelant des garanties de représentation effectives justifiant l’application d’une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, que ce soit au prétendu domicile luxembourgeois de l’intéressé ou à la SHUK, laquelle ne constitue pas per se une garantie de représentation effective.

Cette conclusion ne se trouve pas fondamentalement ébranlée par la mise en balance de la promesse, entretemps réalisée, du dépôt d’une garantie financière de 5.000.- €, laquelle compte tenu de la situation financière alléguée de l’intéressé en ce qu’il se déclare être propriétaire exploitant au moins deux sociétés commerciales au Luxembourg et en France et d’une situation personnelle incertaine, n’appert pas de nature à prévenir à suffisance le risque d’une soustraction au rapatriement.

Le premier moyen de réformation ou d’annulation de la décision ministérielle critiquée laisse partant d’être fondé et est à écarter.

Concernant ensuite les contestations de l’appelant par rapport à la suffisance des diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, la Cour rejoint et fait siennes les considérations pertinentes des premiers juges qui les ont amenés à conclure à la vérification d’une procédure exécutée avec toutes les diligences nécessaires.

Ainsi, ils ont pointé à bon escient que dès le lendemain du placement en rétention de l’appelant, les autorités tunisiennes ont été contactées en vue de l’identification de l’appelant, démarches qui n’ont certes pas encore abouti, mais les autorités luxembourgeoises restent en contact avec celles du consulat tunisien à Bruxelles, une relance leur ayant été adressée en date du 3 juillet 2024.

Ainsi, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, lequel reste essentiellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères, le reproche de l’appelant quant à la mise en œuvre de trop peu de diligences laisse d’être vérifié en fait, le dispositif de l’éloignement étant en cours et apparaissant au contraire être poursuivi avec des diligences adéquates et proportionnées.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

Compte tenu de l’issue du litige, la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000.- €, telle que formulée par l’appelant, est à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris du 2 juillet 2024;

rejette comme non justifiée la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par l’appelant;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel;

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50700C
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-07-11;50700c ?

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