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09/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50519C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 juillet 2024, 50519C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50519C ECLI:LU:CADM:2024:50519 Inscrit le 29 mai 2024

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Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par la société anonyme (A) S.A., …., contre un jugement du tribunal administratif du 13 mai 2024 (n° 50072 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50519C ECLI:LU:CADM:2024:50519 Inscrit le 29 mai 2024

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Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par la société anonyme (A) S.A., …., contre un jugement du tribunal administratif du 13 mai 2024 (n° 50072 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50519C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 29 mai 2024 par Maître Lionel NOGUERA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme (A) S.A., établie et ayant son siège social à L-… …, …, rue …., immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B ….., représentée par son conseil d’administration en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 13 mai 2024 (n° 50072 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a déboutée de son recours tendant à l’annulation de la décision d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du ….. 2024, portant la référence (a), lui demandant de fournir des renseignements dans le cadre d’une demande d’échange de renseignements en matière fiscale suivant l’article 3, paragraphe (3), de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 18 juin 2024 par Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER pour compte de l’Etat ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 4 juillet 2024.

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Par courrier du ….. 2024, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la société anonyme (A) S.A., ci-après la « société (A) », de lui fournir pour le 27 février 2024 au plus tard, certains renseignements concernant cette même société, ladite injonction étant libellée comme suit :

« (…) En date du 18 décembre 2023, l'autorité compétente de l'administration fiscale française nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La finalité fiscale de la demande est de vérifier la situation fiscale de la société (A) S.A. ayant son siège social à …., rue …., L-…. …… Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 7 mai 2013 au 31 décembre 2022, les renseignements et documents suivants pour le 27 février 2024 au plus tard.

- Veuillez indiquer s'il existe un contrat entre (A) S.A. ayant une adresse à …. Rue …., …. …., France et (A) S.A., ayant son siège social à … rue …., L-…. ….. Dans l'affirmative :

o Veuillez fournir le nom des personnes ayant signé le(s) contrat(s).

o Veuillez indiquer s'il s'agit d'un contrat oral conclu par les parties ou d'un contrat écrit signé par les parties. S'il s'agit d'un contrat écrit, veuillez indiquer la date et la référence du contrat.

o Veuillez indiquer comment le(s) paiement(s) a (ont) été effectué(s) :

• Paiement en espèces.

• Virement bancaire et veuillez indiquer si disponible :

o Le nom de la banque à partir de laquelle/vers laquelle le(s) paiement(s) a/ont été effectué(s) (y compris le code BIC).

o Le numéro du compte bancaire à partir duquel/sur lequel le(s) paiement(s) ont été effectués (code IBAN).

o Le nom du détenteur du compte à partir duquel/vers lequel le(s) paiement(s) a/ont été effectué(s).

• Carte de crédit.

• Transfert d'argent en ligne (p.ex.: Paypal).

• Autres.

o Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) qui a (ont) réellement effectué le (les) paiement(s).

o Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) qui a (ont) autorisé le (les) paiement(s).

− Veuillez fournir des copies de tous les documents pertinents relatifs au tiret précédent, ainsi que les documents suivants :

o Les conventions de services et les contrats signés avec des sociétés françaises.

o Les factures pour les clients français.

o Les écritures comptables.

o Une copie des procès-verbaux des assemblées générales.

o Une copie des baux commerciaux.

o Une copie des grands livres clients et fournisseurs.

o Une copie des factures clients et fournisseurs.

o Une copie des contrats clients et fournisseurs. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 février 2024, la société (A) fit introduire un recours tendant à l’annulation de ladite décision du ….. 2024 prise par le directeur.

Dans son jugement du 13 mai 2024, le tribunal administratif reçut le recours en annulation en la forme et, au fond, le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, tout en rejetant la demande de cette dernière en paiement d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 29 mai 2024, la société (A) a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 13 mai 2024.

Moyens des parties A l’appui de son appel, l’appelante reproche au tribunal d’avoir fait une lecture in globo du contenu de la décision attaquée et de ses moyens et de ne pas avoir procédé à un examen question par question afin de juger de la pertinence vraisemblable des différents points de ladite décision, alors même que la jurisprudence requerrait un tel examen individuel par rapport aux différents renseignements sollicités.

Le tribunal se serait ainsi attaché à décrire la notion conventionnelle de siège de direction effective dans ses aspects usuels prenant en compte un grand nombre d’éléments rappelés par lui, mais il aurait ignoré qu’un élément pertinent en vue de la détermination du siège de direction effective serait nécessairement un élément qui permettrait d’identifier où ce siège ou la gestion centrale se trouve.

Or, plusieurs volets des renseignements demandés ne fourniraient aucune information sur le lieu d’où une société est gérée et ne seraient dès lors pas pertinents. Il en serait ainsi, « dans la mesure de son intelligibilité », de la première question relative à l’existence d’un certain contrat, à sa forme et aux personnes qui l’ont signé. Il en serait de même pour plusieurs éléments de la seconde question : les conventions de services et les contrats signés avec des sociétés françaises, les factures pour les clients français, les écritures comptables, une copie des grands livres clients et fournisseurs, une copie des factures clients et fournisseurs et une copie des contrats clients et fournisseurs. Plus particulièrement, les écritures comptables, la copie des grands livres clients et fournisseurs, ainsi que les contrats et factures en relation avec ses clients ne sauraient aider à rattacher l’appelante à un territoire ou à un autre.

En revanche, l’appelante admet que certains autres volets des renseignements demandés paraissent pertinents aux fins de la détermination de son siège de direction effective, à savoir, quant à la première question, l’identification des comptes bancaires utilisés par elle et l’identification et la localisation des personnes ayant autorisé ou effectué des paiements au nom de l’appelante. Elle reconnaît également la pertinence des procès-verbaux d’assemblées générales et déclare ne pas vouloir exclure que certains contrats et factures fournisseurs, dont les baux commerciaux, puissent également être pertinents. A ces fins, elle verse en cause les formules et certificats d’enregistrement de marque et les conventions de compte bancaire, documents qui indiqueraient qui effectuerait le suivi des enregistrements de marque et aurait le pouvoir de disposer de l’actif des comptes bancaires.

L’appelante fait ensuite valoir que la demande de renseignements française « s’ébranle d’abord toute seule, par exemple lorsqu’elle affirme que la …… vient de déménager sur la commune française de ….. », pareille affirmation n’étant pas crédible. D’après l’appelante, une décision impérative d’injonction de fournir des renseignements devrait répondre à une exigence d’intelligibilité dans un souci de protection des droits fondamentaux du contribuable et devrait partant, en l’espèce, encourir l’annulation du seul fait de son manque de clarté hérité de la demande française lui servant de base.

Pour le surplus, l’appelante souligne que le tribunal a constaté que les autorités françaises n’ont pas pu découvrir de documents relatifs à une fraude présumée lors de plusieurs visites dans différents locaux contrôlés en France. Elle se réfère en outre à des pièces versées en cause par elle, lesquelles établiraient que ses administrateurs basés à Luxembourg assumeraient pleinement leur responsabilité notamment en ce qui concerne la protection de la marque exploitée et les comptes bancaires, que les assemblées générales auraient été régulièrement tenues à Luxembourg jusqu’à la pandémie de Covid-19 et que l’actionnaire ne disposerait d’aucun pouvoir en relation avec la marque ou les comptes bancaires. Enfin, l’appelante insiste sur le fait qu’il ne serait même pas allégué par l’autorité française que quiconque l’ait représentée en droit ou en fait sur le territoire français sur base d’une délégation de pouvoir ou en qualité d’agent ayant pouvoir de conclure, voire qu’elle aurait eu à sa disposition une installation fixe d’affaires en France en vue d’y exercer tout ou partie de son activité.

Sur base de ces éléments, l’appelante considère que l’affirmation de l’autorité française, selon laquelle « un faisceau d’indices sérieux et concordants [permet] de considérer que la société (A) dispose en France d’un siège de direction effective où se localisent principalement les organes de direction, d’administration et de contrôle de la société », serait simplement fausse et serait contredite par ses comptes annuels et ses déclarations fiscales qui montreraient la structure financière et les fonds propres qui peuvent également être un indice de substance et d’autonomie de gestion.

Sur base de ces arguments, l’appelante conclut à la réformation du jugement entrepris dans le sens de l’annulation totale sinon partielle de la décision directoriale attaquée.

L’Etat rétorque que le tribunal aurait reconnu à bon droit que tous les renseignements demandés présentaient un lien avec le cas d’imposition visé en ce qu’ils permettraient de confirmer que l’appelante n’exercerait aucune activité au Luxembourg, de sorte à s’inscrire dans la finalité fiscale indiquée par l’autorité française. Cette dernière aurait en effet déclaré qu’elle dispose d’indices suivant lesquels l’appelante aurait son siège de direction effective en France, cette déclaration justifiant la pertinence vraisemblable des renseignements demandés sans qu’il appartienne à l’autorité luxembourgeoise saisie d’apprécier si ces indices sont suffisants pour retenir un siège de direction effective en France alors même que l’appelante conteste l’existence de tels indices suite à des procédures de droit de visite et de saisie.

Tout en admettant qu’il se dégage des procès-verbaux de visite et de saisie dans différents locaux en France, versés par l’appelante, que l’autorité française n’a pas réussi à découvrir des documents relatifs à la fraude présumée de l’appelante, ce constat n’ébranlerait pas le contenu de la demande d’échange de renseignements, mais confirmerait plutôt que l’autorité française avait épuisé ses moyens de contrôle en France avant d’envoyer la demande d’échange en cause.

Analyse de la Cour En premier lieu, la Cour rejoint le constat du tribunal que la demande d’échange de renseignements des autorités françaises ayant donné lieu à la décision d’injonction litigieuse est fondée sur la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après la « directive 2011/16 », transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après la « loi du 29 mars 2013 », tandis que la décision d’injonction du ….. 2024, quant à elle, est fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

Quant à la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités, il échet de relever que l’article 6 de la loi du 29 mars 2013 dispose comme suit : « [à] la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’Etat membre requérant relative aux taxes et impôts visés à l’article 1er, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives ».

La loi du 16 mai 2023 relative à l’échange automatique et obligatoire des informations déclarées par les Opérateurs de Plateforme a cependant ajouté à la loi 29 mars 2013 un article 6bis libellé comme suit dans ses paragraphes (1) et (2) :

« (1) Aux fins d’une demande visée aux articles 5 et 6, les informations demandées sont vraisemblablement pertinentes lorsque, au moment où la demande est formulée, l’autorité requérante estime que, conformément à son droit national, il existe une possibilité raisonnable que les informations demandées soient pertinentes pour les affaires fiscales d’un ou plusieurs contribuables, identifiés par leur nom ou autrement, et justifiées aux fins de l’enquête.

(2) Dans le but de démontrer la pertinence vraisemblable des informations demandées, l’autorité requérante fournit au moins les informations suivantes à l’autorité requise :

a) la finalité fiscale des informations demandées ; et b) la spécification des informations nécessaires à l’administration ou à l’application de son droit national ».

Cette disposition, introduite par ladite loi du 16 mai 2023 et entrée en vigueur le 1er juin 2023, constitue la transposition de l’article 1er, point 2), de la directive (UE) 2021/514 du Conseil du 22 mars 2021 modifiant la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après la « directive 2021/514 ».

Dans la mesure où la légalité de la décision d’injonction déférée doit être examinée, conformément aux développements ci-avant, sous l’empire de la directive 2011/16 et où ladite décision a été prise par le directeur le ….. 2024, soit après l’entrée en vigueur de l’article 6bis de la loi du 29 mars 2013, la question du respect de la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements requis dans la décision d’injonction attaquée doit être examinée par rapport à cette nouvelle définition de ladite condition.

Les premiers juges ont à bon escient déduit, conformément à la jurisprudence de la Cour (cf. 25 janvier 2024, n° 49787C ; 13 février 2024, n° 49865C), de cette nouvelle définition du critère de la pertinence vraisemblable et des exigences découlant du respect des droits fondamentaux qu’elle doit vérifier si le descriptif de la finalité fiscale poursuivie, tel que fourni par l’autorité requérante d’un autre Etat membre, est suffisant pour justifier que son appréciation quant à l’existence d’une possibilité raisonnable de pertinence des renseignements sollicités et spécifiés dans la demande par rapport à l’objet fiscal de l’enquête en cours à l’égard d’un ou de plusieurs contribuables identifiés ne soit pas manifestement infondée. Une décision d’injonction est dès lors à qualifier de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de renseignements dont le descriptif de la finalité fiscale poursuivie ne permet manifestement pas de justifier l’appréciation de l’autorité requérante quant à l’existence d’une possibilité raisonnable de pertinence des renseignements concrètement sollicités par rapport à l’objet de l’enquête et à l’identité du ou des contribuables visés.

En l’espèce, par rapport au critère de la pertinence vraisemblable, les autorités françaises ont précisé dans leur demande d’échange de renseignements que suite à une procédure de visite et de saisie effectuée en France, elles seraient en train de procéder à la vérification de la comptabilité du contribuable visé, en l’occurrence, l’appelante, sur la période allant du 7 mai 2013 au 31 décembre 2022. La demande renseigne, à cet égard, que la société (A), qui déclarerait être une société de droit luxembourgeois, a été constituée le 7 mai 2013, que son siège social est situé à Luxembourg-Ville auprès d’une société de domiciliation et que son actionnaire unique est Monsieur (B), résident en ….. et fiscalement domicilié en France.

La demande des autorités françaises explique ensuite que les documents obtenus dans le cadre de la procédure de visite et de saisie en France mettraient « en évidence un faisceau d’indices sérieux et concordants permettant de considérer que la société (A) dispose en France d’un siège de direction effective où se localisent principalement les organes de direction, d’administration et de contrôle de la société ». Elle renseigne encore que la société en question ne disposerait d’aucun salarié sur la période soumise au contrôle, que ses administrateurs seraient des salariés de la fiduciaire et qu’elle ne disposerait pas non plus d’un numéro de téléphone ou d’une adresse électronique. Elle indique également que l’enquête menée en France aurait permis de constater que certains documents administratifs avaient été signés en France par l’associé unique et que le suivi de l’activité semblerait être réalisé depuis la France.

Enfin, il est indiqué dans la demande qu’à ce jour, la société (A), représentée par un avocat, ne communiquerait aucun document comptable ou commercial et que l’associé unique de celle-ci n’aurait pas pu être questionné par le service compétent.

Les premiers juges ont déduit à bon escient de ce descriptif, dans la demande des autorités françaises, à la fois du contexte et de la finalité fiscale poursuivie que ces dernières cherchent à vérifier si l’appelante disposait durant la période visée par leur contrôle d’un siège de direction effective en France, puisqu’elles se réfèrent dans leur demande expressément à l’article 4 de la Convention fiscale entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg du 20 mars 2018, ci-après la « Convention », lequel rattache la résidence d’une société, entraînant le droit d’imposition en faveur de l’Etat de résidence, au critère du siège de direction effective.

Ainsi précisée et délimitée, la demande d’échange des autorités françaises ne tend dès lors pas à vérifier la qualité de bénéficiaire effectif des paiements, notamment, de dividendes dans le chef de l’appelante. Or, les notions de siège de direction effective et de bénéficiaire effectif sont distinctes et visent des problématiques différentes, alors même que certains éléments factuels sont susceptibles d’entrer en compte dans le cadre de l’examen par rapport à ces deux notions, en ce que la première tend à localiser géographiquement une société et que la seconde a trait à la vérification de la réalité de sa prétention à être titulaire de revenus et à invoquer le bénéfice de certaines règles fiscales (cf. Cour adm. 24 mai 2022, n° 47280, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1521). Dès lors, des questions posées dans la décision d’injonction afin d’obtenir des renseignements qui seraient exclusivement pertinents afin de contrôler le statut de bénéficiaire effectif de l’appelante ne sauraient partant pas être considérées comme pouvant être raisonnablement pertinentes dans le cadre de la finalité de la demande d’échange de renseignements telle que limitée par les autorités françaises à la question du siège de direction effective de l’appelante.

Les autorités françaises définissent elles-mêmes la notion de siège de direction effective comme désignation du lieu où sont prises les décisions stratégiques en matière de gestion et de politique industrielle ou commerciale nécessaires à la conduite des affaires de l’entreprise et que ledit siège correspond en général au lieu où les personnes exerçant les fonctions les plus élevées prennent les décisions stratégiques qui déterminent la conduite des affaires de cette entreprise dans son ensemble. Au vu du contenu ainsi reconnu à la notion du siège de direction effective, la demande d’échange en cause doit être considérée comme tendant à vérifier si l’appelante a sa gestion centrale et assure sa direction effective depuis le Luxembourg.

Il est cependant vrai que le directeur a limité dans sa décision d’injonction attaquée l’indication de la finalité fiscale à la mention qu’elle consiste à « vérifier la situation fiscale de la société (A) S.A. ayant son siège social à …., rue …., L-…. …. ».

L’appelante critique légitimement cette mention vague et générale qui ne fait aucune allusion à l’objet concret du contrôle fiscal consistant à vérifier l’existence d’un siège de direction effective en France. Une telle précision aurait pourtant été de nature à asseoir le lien entre l’objet du contrôle en cours en France et les différents ordres de renseignements et documents requis et, de la sorte, à motiver concrètement le contenu de l’injonction attaquée.

Néanmoins, ce défaut d’une motivation suffisante entraîne non pas l’annulation de la décision d’injonction, mais que le délai légal de recours d’un mois, prévu par l’article 6, paragraphe (2), de la loi du 25 novembre 2014, ne commence à courir (Cour adm. 17 novembre 2022, n° 47733C et 47734C, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1498).

Il se dégage de la demande d’échange des autorités françaises qu’elles sollicitent de la part du directeur certains renseignements d’ordre général (activités exercées, résidence fiscale au Luxembourg, lieu d’établissement, nom du conseiller fiscal/comptable fiscaliste, introduction de déclarations fiscales, taux d’imposition applicable) qui ne sont pas repris dans la décision d’injonction du ….. 2024, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que le directeur a pu fournir les réponses à ces questions à partir du contenu du dossier fiscal de l’appelante.

Outre ces renseignements fiscaux généraux, les autorités françaises sollicitent d’autres renseignements, repris dans la décision d’injonction invoquée, dont l’appelante ne conteste pas la pertinence vraisemblable, à savoir l’identification des comptes bancaires utilisés par elle, l’identification et la localisation des personnes ayant autorisé ou effectué des paiements en son nom, les procès-verbaux d’assemblées générales et les copies des baux commerciaux.

Au-delà, les autorités françaises sollicitent des informations en relation avec les transactions commerciales réalisées par l’appelante avec des clients français - à savoir les conventions de services et les contrats signés avec des sociétés françaises, ainsi que les factures pour les clients français - et d’une manière générale concernant ses opérations avec ses clients et fournisseurs - à savoir des copies des grands livres clients et fournisseurs, des contrats clients et fournisseurs et des factures afférentes. Cette demande est complétée par celle de fournir les écritures comptables.

Il est vrai que ces renseignements ont trait à première vue plutôt à l’activité opérationnelle de l’appelante qu’à l’organisation de sa gestion et de la conduite de ses affaires.

Cependant, les informations, potentiellement contenues dans les documents contractuels visés et les factures afférentes, sur la localisation géographique de l’activité opérationnelle à travers des indications quant à la nature des services fournis et opérations conclues par l’appelante et à leurs éventuels lieux d’exécution sont susceptibles de fournir des indices quant à la conduite effective des affaires dans la mesure où l’exécution d’une certaine activité à un certain endroit est susceptible d’entraîner également la gestion de l’appelante à partir du même lieu. Dans la même logique, le recoupement entre les opérations faites avec des clients et fournisseurs français par rapport à celles effectuées d’une manière générale avec tous les clients et fournisseurs est susceptible de donner des informations quant à l’importance de l’activité de l’appelante au Luxembourg et en France et des indices sur ses conséquences sur la gestion de l’appelante. Pour le surplus, les demandes requièrent des documents qui sont identifiables et délimités en ce qui concerne l’identité du contribuable visé par l’enquête à l’origine de la demande étrangère, la période couverte par cette enquête et la nature des documents sollicités.

Par voie de conséquence, les renseignements susvisés ne peuvent pas être considérés comme étant dénués de toute pertinence par rapport à la finalité fiscale affichée par les autorités françaises de vouloir vérifier l’existence d’un siège de direction effective de l’appelante en France.

Si les critiques de l’appelante par rapport au document visé au premier tiret des renseignements requis à travers la décision d’injonction attaquée sont compréhensibles en ce que ledit tiret vise un « contrat entre (A) S.A. ayant une adresse à … Rue ….., …. ….., France et (A) S.A., ayant son siège social à …., rue …., L-…. …. », soit un contrat que l’appelante aurait conclu en quelque sorte avec elle-même, c’est néanmoins à bon escient que les premiers juges ont souligné qu’il est clairement indiqué sous le premier tiret de ladite décision que ce n’est qu’en cas d’existence et de disponibilité d’un tel contrat que les renseignements et informations demandés sous ce tiret sont à fournir. Le défaut d’un tel contrat constitue partant pour l’appelante un motif valable pour indiquer au directeur l’impossibilité de le fournir.

Au-delà, le caractère a priori surprenant du contenu de ce premier tiret dans la décision d’injonction n’est pas de nature à invalider la demande de fournir les renseignements y visés, étant donné que le directeur a repris cette question telle quelle de la demande d’échange des autorités françaises. Or, en adressant cette question précise au directeur dans le cadre de leur demande d’échange, les autorités françaises ont fait usage de leur pouvoir d’appréciation quant à l’utilité d’une telle information particulière dans le cadre de leur examen du cas d’imposition et peuvent avoir eu des raisons particulières pour poser cette question. Conformément aux principes admis par la Cour de Justice de l’Union Européenne (cf. CJUE, 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. directeur de l’administration des Contributions directes, C-682/15, point 77), l’autorité luxembourgeoise est en principe appelée à faire confiance à l’appréciation de l’autorité requérante.

Par voie de conséquence, cette demande de fournir, sous réserve de son existence, un « contrat entre (A) S.A. ayant une adresse à … Rue …., … …., France et (A) S.A., ayant son siège social à …, rue …., L-… … » ne peut pas non plus être considérée comme étant dénuée de toute pertinence par rapport à la finalité fiscale affichée par les autorités françaises.

Pour le surplus, les arguments de l’appelante, suivant lesquels la gestion de sa marque n’exigerait pas la mobilisation d’une force de travail nombreuse, que ses administrateurs auraient tous été professionnellement actifs au Luxembourg, voire que son actionnaire unique n’aurait pas eu accès à ses comptes bancaires, tendent essentiellement à établir une apparence d’une gestion à partir du Luxembourg, mais ne sont pas de nature à infirmer la cohérence de l’ensemble des explications exposées par les autorités françaises à la base de leur demande.

Dans ce cadre, le renvoi par l’appelante aux procès-verbaux de visite et de saisie des autorités françaises n’exclut pas que ces autorités disposent d’autres éléments sous-tendant leur déclaration, dans la demande d’échange, relative à l’existence d’un faisceau d’indices sérieux et concordants, étant notamment relevé à cet égard que les procès-verbaux font état d’opérations de copiage de fichiers informatiques non directement analysés, mais susceptibles de révéler ultérieurement des faits pertinents.

Ainsi, ces moyens de l’appelante ont trait à des considérations factuelles, voire au bien-fondé de la procédure fiscale en France et les premiers juges ont considéré à juste titre qu’un tel examen de la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant excéderait le rôle et les pouvoirs du juge luxembourgeois dans le cadre du présent recours en annulation, puisque l’application et l’interprétation de la législation fiscale française relèvent de la seule compétence de l’autorité requérante française.

Ces mêmes arguments sont donc pareillement à rejeter.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel sous examen n’est justifié en aucun de ses moyens et qu’il y a lieu d’en débouter l’appelante, le jugement a quo étant à confirmer en conséquence.

L’appelante sollicite l’allocation d’une indemnité de procédure de …. euros en renvoyant à la situation de fait et à ses moyens au fond.

Le délégué du gouvernement conteste cette demande tant en son principe qu’en son quantum en soutenant que les conditions pour l’octroi d’une telle indemnité ne seraient pas remplies.

Cette demande est effectivement à rejeter, étant donné qu’au vu de l’issue du litige, il n’appert pas des éléments en cause en quoi il serait inéquitable de laisser à charge de l’appelante les frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 29 mai 2024 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute la société anonyme (A) S.A., partant, confirme le jugement entrepris du 13 mai 2024, rejette la demande de la société anonyme (A) S.A. en allocation d'une indemnité de procédure de …..euros, condamne la société anonyme (A) S.A. aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 9 juillet 2024 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier de la Cour …..

s. …..

s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50519C
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-07-09;50519c ?

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