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09/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50154C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 juillet 2024, 50154C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 50154C ECLI:LU:CADM:2024:50154 Inscrit le 7 mars 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 février 2024 (n° 49310a du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50154C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 7 mars 2024 par Maître Catherine WARIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le …. 1

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 50154C ECLI:LU:CADM:2024:50154 Inscrit le 7 mars 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 février 2024 (n° 49310a du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50154C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 7 mars 2024 par Maître Catherine WARIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le …. 19.. à ….. (Syrie), et de Madame (B), née le…..19.. à ….., agissant au nom et pour compte de l’enfant mineur (C), né le …..20.. à Luxembourg, tous de nationalité syrienne, demeurant ensemble à L-…. …, …, rue …., dirigé contre le jugement rendu le 19 février 2024 (n° 49310a du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg les a déboutés de leur recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er août 2023 portant refus de faire droit à la demande de protection internationale de leur enfant (C) et a déclaré partiellement fondé leur recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’encontre de leur enfant pour dire que celui-ci n’est pas obligé de quitter le territoire luxembourgeois à destination de la Syrie ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 5 avril 2024 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WARIN et Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en leurs plaidoiries à l’audience publique du 7 mai 2024.

Le 17 décembre 2019, Monsieur (A) introduisit tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de son épouse, Madame (B), et de leurs enfants mineurs (D), (E), (F), (G) et (H) une demande de protection internationale auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère ». Il s’avéra à cette occasion qu’ils avaient introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 11 mai 2017 et qu’un statut de protection internationale leur y avait été accordé en date du 16 novembre 2018, tel que cela se dégage de la banque de données EURODAC.

En date du 24 décembre 2019, Monsieur (A) et Madame (B), ci-après « les époux (A-B) », passèrent séparément un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

En date du 27 janvier 2020, une demande de protection internationale au nom de l’enfant (C), né le …. 20.. au Luxembourg, fut introduite auprès du ministère par les époux (A-B).

Le 11 février 2020, les autorités luxembourgeoises requirent des autorités grecques la réadmission des époux (A-B) et des enfants mineurs (D), (E), (F), (G) et (H), ainsi que de l’enfant mineur (C), sur le territoire grec sur base de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après « la directive Retour », demande que les autorités grecques acceptèrent le lendemain.

Par décision du 13 février 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa les époux (A-B) de sa décision de déclarer irrecevables leurs demandes de protection internationale en application des dispositions de l’article 28, paragraphe (2), point a), de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », au motif qu’ils étaient bénéficiaires du statut de réfugié en Grèce, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mars 2020 (n° 44233 du rôle), les époux (A-B), agissant en leur nom personnel et pour compte de leurs enfants mineurs (D), (E), (F), (G), (H) et (C), ci-après « les consorts (A-B) », firent introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 février 2020.

Par jugement du 3 août 2020, le tribunal administratif arriva à la conclusion que le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision ministérielle d’irrecevabilité de la demande de protection internationale des consorts (A-B), hormis pour l’enfant (C), ainsi que contre l’ordre de quitter le territoire était non fondé et encourait le rejet en tous ses moyens. Il décida également que seul le volet de la prédite décision ministérielle concernant la demande de protection internationale de l’enfant (C) devait être annulé.

Le 27 août 2020, suite à des démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises auprès des autorités grecques, celles-ci confirmèrent que les consorts (A-B) seraient réadmis sur le territoire grec et précisèrent, au sujet de l’enfant (C), qu’à son arrivée et après avoir été enregistré, il se verrait remettre un titre de séjour équivalent à celui des autres membres de la famille et qu’il pourrait bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux bénéficiaires d’une protectioninternationale en Grèce. Le contenu de ce courrier est le suivant : « As already mentioned in your email, the competent national authorities have conceded in readmitting the (A-B) family of Syrian nationals (all 8 members), according to art. 6 of Directive 2008/15/E.C., on the grounds that all family members, with the exception of the minor (C), born in Luxemburg on ….20.., were granted refugee status by the Greek Asylum Authorities and provided with residence permits valid from 16-11-2018 to 15-11-2021.

With reference in particular to the later, (C), we would like to inform you that as family member of beneficiary of international protection, he shall receive, upon the arrival of the family to Greece, at the request of his parents and the production of the child’s birth certificate, a residence permit with the duration of the validity of the permit of the beneficiary, and shall be entitled to all the benefits referred to in Articles 24 to 35 of the Directive 2011/95/EU, in line with the national legal framework, in particular the provisions of art. 24. (4) L. 4636/2019 ».

Par décision du 8 décembre 2020, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 10 décembre 2020, le ministre informa les époux (A-B) de sa décision de déclarer irrecevable la demande de protection internationale de l’enfant (C) en application des dispositions de l’article 28, paragraphe (2), point a), de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’il serait bénéficiaire du statut de réfugié en Grèce.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 décembre 2020 (n° 45437 du rôle), les époux (A-B), agissant au nom et pour compte de l’enfant mineur (C), introduisirent un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 8 décembre 2020.

Par jugement du 1er mars 2021, le tribunal administratif s’estima confronté à une difficulté d’interprétation des termes « (…) une protection internationale a été accordée (…) » inscrits à l’article 33, paragraphe (2), point a), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ci-après « la directive Procédures », en l’absence d’une jurisprudence communautaire ayant tranché un problème juridique de même nature. Dans la mesure où cette interprétation était nécessaire pour permettre au tribunal de toiser la légalité de la décision ministérielle déclarant irrecevable la demande de protection internationale de l’enfant (C), en ce qu’elle tend à déterminer si la base légale invoquée par le ministre permettait la prise de ladite décision, et que, dans la logique juridique, les moyens subséquents soulevés par les demandeurs n’avaient de la pertinence que dans l’hypothèse où le ministre avait été en principe fondé à se prévaloir des dispositions de l’article 28, paragraphe (2), point a), de la loi du 18 décembre 2015, transposant en droit interne l’article 33, paragraphe (2), point a), de la directive Procédures, pour prendre une décision d’irrecevabilité à l’encontre de l’enfant (C), le tribunal sursit à statuer et soumit une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), demande enregistrée sous le numéro C-153/21, ladite question ayant été libellée comme suit :

« L’article 33 (2) a) de la directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lu en combinaison avec l’article 23 de la directive 2011/95/UE concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la 3 protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ainsi qu’avec l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, peut-il être interprété comme permettant de déclarer irrecevable la demande de protection internationale introduite par des parents au nom et pour le compte de leur enfant mineur dans un autre Etat membre (en l’espèce le Luxembourg) que celui ayant préalablement accordé une protection internationale aux seuls parents, ainsi qu’aux frères et sœurs de l’enfant (en l’espèce la Grèce) au motif que les autorités du pays ayant accordé une protection internationale à ces derniers, avant leur départ et la naissance de l’enfant, garantissent qu’à l’arrivée de l’enfant et au retour des autres membres de la famille, cet enfant pourra bénéficier d’un titre de séjour et des mêmes avantages que ceux octroyés aux bénéficiaires d’une protection internationale, sans qu’elles n’affirment pour autant qu’il se verra octroyer à titre personnel un statut de protection internationale ? ».

Le 1er août 2022, la CJUE rendit un arrêt répondant à une question préjudicielle portant des similitudes avec celle lui posée par jugement du tribunal administratif du 1er mars 2021. Dans cet arrêt, la CJUE retint qu’« (…) il découle tant du caractère exhaustif de l’énumération figurant à l’article 33, paragraphe 2, de la directive procédures que du caractère dérogatoire des motifs d’irrecevabilité que cette énumération comporte que l’article 33, paragraphe 2, sous a), de cette directive doit faire l’objet d’une interprétation stricte et ne saurait dès lors être appliqué à une situation ne correspondant pas à son libellé.

52. Le champ d’application ratione personae de cette disposition ne saurait, par conséquent, s’étendre à un demandeur de protection internationale qui ne bénéficie pas lui-même d’une telle protection visée à ladite disposition. Cette interprétation est confirmée par le considérant 43 de la directive procédures qui précise, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 40 de ses conclusions, la portée de ce motif d’irrecevabilité en énonçant que les États membres ne devraient pas être tenus d’examiner une demande de protection internationale au fond lorsqu’un premier pays d’asile a octroyé « au demandeur » le statut de réfugié ou lui a accordé à un autre titre une protection suffisante.

53. Par conséquent, dans une hypothèse, telle que celle du litige au principal, où le demandeur est un mineur dont les membres de la famille bénéficient de la protection internationale dans un autre État membre, mais qui ne bénéficie pas lui-même d’une telle protection, ce demandeur n’entre pas dans le champ d’application de l’exception prévue à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures. Sa demande ne saurait dès lors être déclarée irrecevable sur ce fondement.

54. En outre, cette disposition ne saurait être appliquée par analogie pour fonder une décision d’irrecevabilité dans cette situation. En effet, une telle application méconnaîtrait non seulement le caractère exhaustif de l’énumération figurant à l’article 33, paragraphe 2, de la directive procédures, mais également le fait que la situation d’un tel mineur n’est pas comparable à celle d’un demandeur de protection internationale bénéficiant déjà d’une telle protection accordée par un autre État membre, ce qui exclut toute analogie (…) ». (CJUE, RO contre Bundesrepublik Deutschland, 1er août 2022, C-720/20, EU:C:2022:623).

4 A la suite à cet arrêt, l’autorité ministérielle informa les époux (A-B), par courrier daté du 18 octobre 2022, qu’elle rapportait sa décision du 8 décembre 2020 ayant déclaré la demande de protection internationale de l’enfant (C) irrecevable.

Par jugement du 21 novembre 2022 (n° 45437a du rôle), le tribunal administratif déclara le recours introduit contre la décision ministérielle du 8 décembre 2020 sans objet et retint qu’en conséquence, une réponse à la susdite question préjudicielle n’était plus nécessaire à la solution du litige, de sorte qu’elle n’avait plus lieu d’être maintenue auprès de la CJUE.

Le 4 juillet 2023, les époux (A-B), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs (D), (E), (F), (G) et (H), introduisirent de nouvelles demandes de protection internationale auprès du ministère.

Le même jour, Madame (B) fut auditionnée par un agent du ministère sur la situation de l’enfant (C) et les motifs gisant à la base de la demande de protection internationale de ce dernier, introduite le 27 janvier 2020.

Le 14 juillet 2023, les époux (A-B) furent entendus séparément par un agent du ministère sur la recevabilité de leurs nouvelles demandes de protection internationale.

Par décision du 1er août 2023, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le 3 août 2023, le ministre informa les époux (A-B), ensemble leurs enfants mineurs (D), (E), (F), (G) et (H), que leurs nouvelles demandes de protection internationale avaient été déclarées irrecevables en application des dispositions de l’article 28, paragraphe (2), point a), de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’ils étaient bénéficiaires du statut de réfugié en Grèce.

Par décision séparée du même jour, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le 3 août 2023, le ministre informa Madame (B) qu’il avait statué sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de l’enfant (C) dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a), de la loi du 18 décembre 2015 et que ladite demande avait été refusée comme non fondée, tout en ordonnant à l’enfant (C) de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 27 janvier 2020 pour le compte de votre fils mineur (C), né le …. 20.. à Luxembourg au Luxembourg, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Il ressort de votre dossier administratif que vous avez introduit une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 17 décembre 2019 pour vous ainsi que pour le compte de vos cinq enfants mineurs (D), née le … 20.. à …../Algérie, (E), né le …. 20.. à …/Algérie, (F), né le … 20.. à …../Syrie, (G), né le … 20.. à …/Turquie et (H), née … à …/Grèce, tous de nationalité syrienne. Votre demande a été déclarée irrecevable par décision ministérielle des 13 février 2020, puisqu’une protection internationale vous a déjà été accordée par un Etat membre à savoir la Grèce.

5 Par jugement du 3 août 2020 (N° 44233 du rôle), le Tribunal administratif a déclaré non-fondé votre recours intenté contre la décision ministérielle litigeuse. Le …. 20…, vous avez donné naissance à votre fils (C). En date du 27 janvier 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en son nom. Par décision ministérielle du 8 décembre 2020, sa demande de protection internationale a été déclarée irrecevable. Le 18 octobre 2022, suite à un arrêt de principe de le Cour de justice de l’Union européenne le 19 mars 2019, vous avez été informés que le Ministre a décidé de rapporter la décision d’irrecevabilité prise à l’encontre de votre fils (C). Le Ministre a décidé de rapporter la seule décision concernant votre enfant et à maintenir la décision d’irrecevabilité dans votre chef. Le 4 juillet 2023, avec votre époux, vous avez introduit des nouvelles demandes de protection internationale au Luxembourg qui ont à nouveau été déclarées irrecevables par décision ministérielle du 1er août 2023, en raison du fait que vous êtes bénéficiaires d’une protection internationale dans un autre Etat membre de l’Union européenne.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande en obtention d’une protection internationale introduite pour le compte de votre fils (C) pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations concernant votre fils (C) En mains, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 4 juillet 2023 sur les motifs sous-tendant la demande de protection internationale de ce dernier. Madame, vous avez été entendue afin de déterminer les motifs sous-tendant la demande de protection internationale de (C).

Vous signalez avoir introduit une demande de protection internationale pour le compte de votre fils (C) « parce qu’il est né ici » (p. 3 de votre rapport d’entretien) et parce qu’en tant que Syrien, il ne pourrait aller nulle part. Vous ne pourriez pas retourner en Syrie alors qu’il y aurait toujours la guerre « entre les Kurdes » (p. 4 de votre rapport d’entretien), respectivement, parce qu’il y aurait toujours des « problèmes avec les Kurdes » (p. 3 de votre rapport d’entretien) et que Daesh n’aimerait pas les Kurdes.

Vous ajoutez n’avoir entrepris aucune démarche auprès des autorités grecques afin de régulariser la situation administrative de votre fils ni avez-vous entrepris une quelconque démarche pour faire octroyer par les autorités grecques le statut de réfugié à votre fils. Votre situation en Grèce aurait été difficile, il n’y aurait pas de travail et pas d’écoles pour les enfants, tandis que vous y auriez dormi dans des tentes.

A l’appui de la demande de protection internationale de votre fils, vous présentez un livret de famille syrien.

2. Quant à l’application de la procédure accélérée Je tiens tout d’abord à vous informer que conformément à l’article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de votre fils dans le cadre 6 d’une procédure accélérée alors qu’il apparaît que sa demande de protection internationale tombe sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. » Tel qu’il ressort de l’analyse de la demande de protection internationale ci-dessous développée, il s’avère que le point a) de l’article 27 de la Loi de 2015 se trouve être d’application pour les raisons étayées ci-après.

3. Quant à la motivation du refus de la demande de protection internationale de votre fils Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, la protection internationale se définit comme le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Madame, il échet en premier lieu de constater que vous expliquez avoir introduit une demande de protection internationale pour le compte de votre fils (C) parce qu’il serait né au Luxembourg. Or, un tel motif ne saurait évidemment pas justifier l’octroi du statut de réfugié alors qu’il ne justifie en rien une crainte fondée d’être victime de persécution dans votre pays d’origine.

Quant au fait qu’en tant que Syrien, il ne pourrait aller nulle part, alors qu’il y aurait toujours la guerre « contre les Kurdes » en Syrie, respectivement, parce qu’il y aurait toujours des « problèmes avec les Kurdes » (p. 3 de votre rapport d’entretien) et que Daesh n’« aimerait » pas les Kurdes, je relève que vous restez extrêmement vagues dans vos explications, et ce, sans fournir le moindre élément concret permettant d’établir un risque réel d’être persécuté dans le chef de 7 votre enfant en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. En effet, le seul fait de parler d’un « problème » qui concernerait les Kurdes, voire, qu’il y aurait toujours une « guerre » contre les Kurdes qui ne seraient pas « aimés » par Daesh, ne saurait pas suffire pour contrebalancer ce constat. Ainsi, les craintes que vous avancez doivent être considérées comme étant totalement hypothétiques et traduisant tout au plus un sentiment général d’insécurité qui ne saurait pas non plus justifier l’octroi du statut de réfugié.

Ce constat vaut d’autant plus qu’il convient de rappeler que l’analyse d’une demande en octroi du statut de réfugié se fait par définition par rapport au risque du demandeur d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine. Or, dans la mesure où vous, en tant que mère et personne responsable de (C), disposez d’une protection internationale en Grèce, votre enfant ne sera jamais éloigné vers la Syrie. Le risque de persécution est partant inexistant dans le chef de votre fils.

Partant, le statut de réfugié n’est pas accordé à votre fils mineur.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Or, et tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il échet de relever que les craintes que vous avancez dans le chef de votre fils sont à considérer comme étant totalement hypothétiques, de sorte qu’elles ne sauraient justifier l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il convient de relever que vous êtes actuellement en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois de sorte qu’il vous appartiendrait de procéder aux démarches nécessaires auprès des autorités grecques afin de pouvoir régulariser le séjour de votre enfant.

8 Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire n’est pas accordé à votre fils mineur.

La demande en obtention d’une protection internationale de votre fils est dès lors refusée comme manifestement non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 (2) de la Loi de 2015, il est dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Syrie, ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 août 2023 (n° 49310 du rôle), les époux (A-B), agissant au nom et pour le compte de l’enfant (C), introduisirent un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation (i) de la décision du ministre du 1er août 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de ce dernier dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à ladite demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par requête séparée, déposée au greffe du tribunal administratif le même jour (n° 49311 du rôle), les époux (A-B), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs (D), (E), (F), (G) et (H), introduisirent encore un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 1er août 2023 ayant déclaré irrecevables leurs demandes de protection internationale, recours dont ils furent déboutés par jugement du tribunal administratif du 11 octobre 2023, jugement non appelé par les époux (A-B).

En application de l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, par un deuxième jugement du 11 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49310 du rôle, jugea que le recours au nom et pour compte de l’enfant (C) n’était pas manifestement infondé, et renvoya l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Par jugement du 19 février 2024 (n° 49310a du rôle), le tribunal administratif, vidant ledit jugement du 11 octobre 2023, déclara non fondé le recours principal en réformation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 1er août 2023 et débouta l’enfant (C) de sa demande de protection internationale, déclara le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire partiellement fondé et par réformation, dit que l’enfant (C) n’était pas obligé de quitter le territoire luxembourgeois à destination de la Syrie, en débouta pour le surplus, fit masse des frais et dépens de l’instance et les imposa pour moitié aux demandeurs et pour moitié à l’Etat.

Pour ce faire, le tribunal rejeta en premier lieu divers moyens ayant trait à la légalité externe de la décision du 1er août 2023, tirés d’une prétendue violation des articles 10 et 13 à 15 de la loi du 18 décembre 2015, de même que des articles 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après « la Charte », et 15, paragraphe (5), de la Constitution.

Il précisa ensuite que le fait que l’enfant (C) pouvait séjourner, ensemble avec sa mère, dans unautre pays, de surcroît membre de l’Union européenne, en l’occurrence la Grèce, tel que cela ressort d’un courrier des autorités grecques du 27 août 2020, était un élément à prendre en compte dans le cadre de « l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale » en application de l’article 37 de la loi du 18 décembre 2015. Les premiers juges estimèrent qu’il s’agissait d’évaluer le besoin de protection d’un demandeur de protection internationale, en application de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés consistant à substituer une protection internationale là où elle fait défaut, tout en relevant qu’en application de l’article 28, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, une demande de protection internationale pouvait même être déclarée irrecevable si, en application de l’article 29 de la même loi, un demandeur « jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans [un] pays [qui n’est pas un Etat membre], y compris du bénéfice du principe de non refoulement, à condition qu’il soit réadmis dans ce pays », respectivement si en application de l’article 31 de la loi du 18 décembre 2015, il existe un pays tiers sûr en cas de « lien de connexion […] exist[ant] entre le demandeur et le pays tiers concerné, sur la base duquel il serait raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays ».

Partant, le tribunal retint qu’il ne pouvait être reproché au ministre d’avoir, dans le cadre de l’analyse du bien-fondé de la demande de protection internationale, pris en compte le fait que l’enfant (C) est susceptible de résider ensemble avec sa mère en Grèce où Madame (B) bénéficie d’ores et déjà d’un statut de protection internationale.

Il rappela ensuite, par rapport au fait que (C) est un enfant d’ethnie kurde, que celui-ci était né au Luxembourg et n’avait jamais vécu dans son pays d’origine, la Syrie, de sorte qu’aucun risque de subir des actes de persécution sinon des atteintes graves ne pouvait être déduit de son vécu personnel. Le tribunal nota en outre qu’il ne ressortait pas des éléments soumis à son appréciation qu’en Syrie, tous les enfants kurdes seraient, indépendamment de leur situation personnelle et du seul fait d’être des enfants et d’appartenir à l’ethnie kurde, exposés à un risque réel de subir des actes d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves, tout en relevant que, dans la mesure où, à l’instar des autres membres de la famille de (C), sa mère disposait du statut de réfugié lui accordé par les autorités grecques, il n’existait aucune probabilité raisonnable que (C) serait effectivement forcé de se rendre en Syrie, que ce soit seul ou ensemble avec sa mère, de sorte que la crainte de Madame (B) de voir son fils exposé à des actes de persécution ou des atteintes graves en Syrie pour être un enfant d’ethnie kurde était purement hypothétique et ne justifiait pas l’octroi d’une protection internationale au Luxembourg.

Concernant ensuite la situation de conflit armé régnant, de manière non contestée, en Syrie et, plus particulièrement, la question de savoir si l’enfant (C) pouvait se voir accorder la protection subsidiaire sur base de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal arriva à la conclusion qu’il ne se dégageait pas des pièces lui soumises que la situation en Syrie était telle que chaque personne y risquerait d’être victime d’une atteinte grave du seul fait de sa présence sur le territoire syrien et que partant la seule invocation de la nationalité syrienne d’un demandeur d’asile ne suffisait pas pour mener à l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire en sa faveur.

Quant au volet du recours visant l’ordre de quitter le territoire, le tribunal releva en premier lieu qu’au vu du constat que le recours dirigé contre la décision ministérielle de refus d’une protection internationale n’était pas fondé et que c’était partant à juste titre que le ministre avait rejeté la demande de protection internationale de l’enfant (C), le ministre avait, a priori, valablement puassortir sa décision d’un ordre de quitter le territoire à son égard, sans méconnaître l’article 18 de la Charte ni violer à l’égard de (C) le principe de non-refoulement ancré à l’article 19 de la Charte.

Il nota ensuite que compte tenu du statut de réfugié dont bénéficie Madame (B), en Grèce, l’enfant (C) ne pourrait se rendre en Syrie accompagné de sa mère, étant donné que pareil refoulement constituerait dans le chef de cette dernière une atteinte au principe de non-refoulement, tel qu’énoncé à l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après « la Convention de Genève », et à l’article 19 de la Charte et que (C), en tant qu’enfant mineur, ne pouvait pas non plus être contraint de se rendre seul en Syrie, sous peine de méconnaître l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que consacré par les articles 15, paragraphe (5), de la Constitution et 24 de la Charte.

Quant au volet de la décision déférée ordonnant à l’enfant (C) de quitter le territoire vers tout autre pays où il est autorisé à séjourner, le tribunal nota que la mère de (C) était, à l’instar de sa fratrie et de Monsieur (A), bénéficiaire du statut de réfugié en Grèce et était susceptible d’être éloignée vers ce pays, tout en rappelant que le 27 août 2020 les autorités grecques avaient, confirmé que les huit membres de la famille (A-B) seraient réadmis sur le territoire grec et avaient précisé que l’enfant (C), à son arrivée et après avoir été enregistré, se verrait remettre un titre de séjour équivalent à celui des autres membres de la famille et pourrait bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce. Le tribunal arriva partant à la conclusion qu’il appartenait aux époux (A-B) d’entreprendre les démarches nécessaires en vue de régulariser leur situation en Grèce et qu’il ne pouvait pas être admis que les demandeurs tirent un quelconque profit de leur refus d’entreprendre pareilles démarches, sous peine de leur permettre de contourner la législation applicable en matière d’immigration et d’asile, en forçant le ministre à tolérer leur séjour irrégulier au Luxembourg.

Partant, le tribunal réforma l’ordre de quitter le territoire litigieux dans la mesure où le ministre avait ordonné à l’enfant (C) de quitter le territoire luxembourgeois vers la Syrie et déclara ce volet du recours non fondé pour le surplus.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 7 mars 2024, les époux (A-B), agissant au nom et pour le compte de l’enfant (C), ont régulièrement relevé appel du jugement du 19 février 2024 pour voir réformer le jugement entrepris dans le sens de voir accorder une mesure de protection internationale au profit de l’enfant (C) et de voir réformer sinon annuler l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre.

En ordre subsidiaire, ils demandent à la Cour de poser à la CJUE deux questions préjudicielles.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour le 5 avril 2024, le délégué du gouvernement, de son côté, relève appel incident contre le jugement du 19 février 2024 dans le sens de voir réformer sinon annuler ledit jugement en ce qu’il a réformé partiellement l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’encontre de l’enfant (C), vers la Syrie, et voir ordonner à celui-ci de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à partir du prononcé de l’arrêt à intervenir.

Les deux appels ayant été relevés suivant les formes et délais prévus par la loi, ils sont recevables.

Quant à la prétendue insuffisance au niveau des auditions réalisées :

A l’appui de leur appel, les époux (A-B) réitèrent leur moyen tiré d’une prétendue violation des articles 10 et 13 à 15 de la loi du 18 décembre 2015, de même que des articles 24 de la Charte et 15, paragraphe (5), de la Constitution en soutenant que le ministre aurait pu obtenir des informations supplémentaires sur les risques encourus par l’enfant (C) s’il avait, tel que suggéré, procédé à des entretiens avec le père et la sœur aînée de (C), son dossier ne pouvant être traité de façon complètement détachée de ceux des membres de sa famille, ce d’autant plus que les questions posées par l’agent du ministère à la mère de (C) concernaient presque exclusivement le parcours de la famille entre la Grèce et le Luxembourg.

Ladite argumentation est cependant à rejeter.

En effet, tel que retenu par le tribunal, il convient de relever en premier lieu que ni les articles 10, respectivement 13 à 15 de la loi du 18 décembre 2015, prévoyant, notamment, un examen approprié et les conditions et modalités de l’entretien personnel sur le fond de la demande de protection internationale, ni les articles 24 de la Charte et 15, paragraphe (5), de la Constitution, consacrant le principe de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, ne permettent de dégager une obligation à charge du ministre de faire procéder à l’audition de la fratrie d’un demandeur de protection internationale mineur. Pour le surplus, il y a lieu de constater que si les articles 24, paragraphe (1), de la Charte et 15, paragraphe (5), alinéa 2, de la Constitution prévoient le droit de chaque enfant d’exprimer son opinion librement et consacrent la nécessité de prise en considération de l’opinion ainsi exprimée eu égard à son âge et son discernement, lesdites dispositions ne sauraient exiger des autorités étatiques l’audition de l’enfant en cas de prise d’une décision le concernant, ce d’autant plus que l’enfant (C), âgé de 4 ans, n’a pas encore atteint l’âge de la raison. En outre, la Cour note qu’il n’est pas clair en quoi il aurait été nécessaire de procéder à un entretien de la sœur aînée de (C), l’enfant (D), pour examiner la demande de protection internationale de son jeune frère. Si les parties appelantes affirment que les « souvenirs de Syrie [de (D)] » auraient pu « être pertinents pour l’ensemble de la fratrie », elles restent en défaut de mettre en évidence en quoi ces déclarations auraient été un complément inédit et nécessaire aux déclarations faites par la mère de (C) lors de son audition dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale introduite au nom de son fils (C).

Quant au défaut d’audition du père de (C), la Cour se doit de relever que Monsieur (A) ne figure pas sur l’acte de naissance de (C) et qu’au vu des éléments soumis la paternité de Monsieur (A) à l’égard de (C) n’est toujours pas établie à l’heure actuelle, de sorte que, comme seule Madame (C) est officiellement reconnue comme parent de l’enfant (C), il ne saurait être reproché au ministre de s’être limité à auditionner cette dernière et de ne pas avoir procédé à un entretien de Monsieur (A).

Quant au reproche que les questions posées par l’agent du ministère à la mère de (C) concernaient presque exclusivement le parcours de la famille entre la Grèce et le Luxembourg, il se dégage dudit rapport d’audition qu’il a été expressément demandé à celle-ci, d’une part, de préciser les raisons pour lesquelles elle a introduit une demande de protection internationale pour son fils (C) au Luxembourg, d’autre part, de fournir de plus amples renseignements sur le vécu de la famille (A-

B) en Grèce et, enfin, de décrire le sort éventuel réservé à son fils et tous risques encourus parcelui-ci en cas d’éloignement vers la Syrie. Finalement, après relecture du rapport d’audition, l’agent ministériel a encore expressément demandé à Madame (B) si elle avait bien mentionné tous les risques craints pour son fils en cas de retour dans son pays d’origine, la Syrie, et celle-ci, avant de signer une « déclaration finale » certifiant qu’elle n’avait aucun problème de compréhension, a déclaré qu’il n’existait plus d’autres faits à invoquer au sujet de la demande de protection internationale de (C).

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une prétendue violation des articles 10 et 13 à 15 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que des articles 24 de la Charte et 15, paragraphe (5), de la Constitution est à rejeter.

Quant à l’examen de la demande de protection internationale :

Les appelants, par rapport au refus d’octroi d’une mesure de protection internationale au profit de l’enfant (C), soulèvent en premier lieu la question générale de l’incidence de l’obtention du statut de bénéficiaire de la protection internationale de la famille de (C) obtenu en Grèce sur l’examen des critères d’octroi du statut de réfugié et de la protection subsidiaire dans le chef de ce dernier au Luxembourg.

Ils soutiennent dans ce contexte qu’à moins que l’une des exceptions prévues dans la directive Procédures ne soit applicable, le Luxembourg devrait procéder à l’examen au fond de la demande de protection internationale de (C), conformément à la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après « la directive Qualification », ce qui aurait été souligné par la CJUE dans un arrêt du 16 novembre 2021 (CJUE, Commission européenne contre Hongrie, 16 novembre 2021, C-821/19, EU:C:2021:930) et dans l’arrêt du 1er août 2022 (C-720/20), précité. Or, en réaffirmant sans cesse tout au long de l’examen au fond de la demande d’asile de (C) que celui-ci n’aurait qu’à retourner en Grèce, le ministre, confirmé par le tribunal, tenterait de contourner ces arrêts de la CJUE. D’après les appelants, en déclarant irrecevable une demande de protection internationale introduite par un enfant au motif que les membres de sa famille se sont vus accorder une protection internationale dans un autre Etat membre, les autorités nationales compétentes s’exposeraient à ce que la demande introduite par ledit enfant ne soit jamais examinée, ce d’autant plus qu’il n’y aurait aucune garantie automatique pour (C) d’obtenir un titre de séjour en Grèce, alors que les titres de séjour délivrés aux membres de sa famille auraient expiré le 15 novembre 2021.

Les époux (A-B) exposent encore que l’attitude des autorités luxembourgeoises violerait la jurisprudence C-720/20, précitée, de la CJUE, de même que le devoir de coopération loyale ainsi que le droit pour un enfant à voir son intérêt supérieur pris en considération. Ainsi, il aurait déjà été jugé pour leur cas d’espèce que le statut de réfugié octroyé par la Grèce à la famille de (C) ne permettrait pas au Luxembourg de déclarer irrecevable la demande de protection internationale de celui-ci et que le ministre devrait procéder à une évaluation individuelle de celle-ci en tenant compte des éléments énumérés à l’article 37, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 et que l’hypothèse d’un refus de protection internationale, au motif que le concerné pourrait être protégédans un autre Etat, serait totalement absente des critères énumérés audit article 37.

Les appelants renvoient encore à l’affaire C-753/22, dans laquelle l’arrêt de la CJUE vient d’ailleurs d’être rendu le 18 juin 2024 (CJUE, QY contre Bundesrepublik Deutschland, 18 juin 2024, C-753/22, EU:C:2024:524) visant l’hypothèse d’une personne bénéficiaire d’une protection internationale en Grèce et ayant introduit une nouvelle demande de protection internationale en Allemagne. Ils citent dans ce contexte les conclusions de l’Avocate générale suggérant que « l’existence d’une décision favorable dans un premier Etat membre doit être prise en compte, non pas pour rendre une décision d’irrecevabilité déguisée, mais au contraire comme l’un des éléments à l’appui de la demande examinée par le deuxième Etat membre ».

Ils suggèrent encore de faire application des enseignements de l’arrêt du 4 octobre 2018 de la CJUE, d’après lequel « les membres de la famille d’une personne menacée risquent en règle générale de se trouver, eux aussi, dans une situation vulnérable » (CJUE, Ahmedbekova contre Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite, 4 octobre 2018, C-652/16, EU:C:2018:801) et de retenir que le fait qu’il serait établi que sept membres de la famille immédiate de (C) seraient exposés à des risques de persécution augmenterait le risque pour (C) lui-même de se trouver, lui aussi, dans une situation vulnérable.

Finalement, ils signalent qu’actuellement pas moins de quatre affaires seraient pendantes devant la CJUE concernant les conséquences de l’octroi de la protection internationale par un Etat membre pour l’examen d’une autre demande de protection internationale par un autre Etat membre et qu’il serait partant nécessaire, avant de trancher dans un sens défavorable pour (C), de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« 1) L’article 4 de la directive Qualification et l’article 33 de la directive Procédures, lus en combinaison avec les articles 18 et 24 de la Charte des droits fondamentaux et la jurisprudence C-652/16 Ahmedbkova, doivent-ils être interprétées en ce sens que la circonstance qu’un enfant demandeur de protection internationale a sa famille bénéficiaire de la protection internationale dans un autre Etat membre doit être prise en compte lors de l’examen au fond du risque de persécution, sinon du risque d’atteintes graves dans le pays d’origine :

1) pour écarter un risque de persécution sinon d’atteintes graves au motif que l’enfant ne retournera pas dans son pays d’origine 2) pour étayer le risque de persécution sinon d’atteintes graves dans le chef de l’enfant ? » Concernant plus particulièrement le refus d’octroi d’une protection internationale au profit de l’enfant (C), les époux (A-B) réfutent l’argumentation du ministre et des juges de première instance selon laquelle (C) ne courrait aucun risque de persécution future, étant donné que sa mère disposerait d’un statut de protection internationale en Grèce, de sorte qu’il ne serait jamais éloigné vers la Syrie, soulignant que cette argumentation ne serait conforme ni aux exigences de la Convention de Genève, ni au droit de l’Union, ni à la jurisprudence récente de la CJUE.

Ils soutiennent en substance que l’enfant (C) remplirait les conditions d’octroi du statut de réfugié, étant donné qu’il se dégagerait de la « Country Guidance » publiée par l’« European Union 14 Agency for Asylum » que dans son pays d’origine (i) il encourrait un risque de subir des actes de persécution du fait de son appartenance à l’ethnie kurde, risque qui serait renforcé par le fait d’être un enfant, (ii) que ces actes seraient d’une gravité suffisante au regard des dispositions de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et (iii) que les auteurs des actes en question, en l’occurrence l’Etat islamique respectivement l’organisation terroriste « Daesh » et les forces gouvernementales syriennes, constitueraient des acteurs de persécution, au sens de l’article 39 de ladite loi.

A cela s’ajouterait une autre forme de persécution dans le chef de l’enfant (C), à savoir la privation de nationalité et les conséquences que cela entraînerait en Syrie. Ainsi, un enfant né hors de la Syrie et dont l’acte de naissance ne mentionne pas un père syrien ne serait pas reconnu comme citoyen syrien, de sorte que (C) risquerait d’être considéré comme apatride en cas de retour en Syrie, élément qui devrait être pris en considération lors de l’examen de sa demande de protection internationale.

Dès lors, il y aurait lieu, par réformation de la décision ministérielle entreprise, d’accorder à l’enfant (C) le statut de réfugié.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, les appelants se prévalent d’un arrêt de la CJUE du 10 juin 2021 (C-901/19) (CJUE, CF contre Bundesrepublik Deutschland, 10 juin 2021, C-901/19, EU:C:2021:472), et reprochent au ministre d’avoir qualifié d’hypothétiques les craintes de Madame (B) pour son enfant (C), alors qu’en Syrie, ce dernier serait exposé à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Ce risque découlerait non seulement de la situation générale en Syrie, mais aussi, d’une part, de la situation particulière régnant dans la région d’origine de la famille de (C), en l’occurrence la ville d’….., qui serait particulièrement dangereuse pour les civils, ainsi que cela se dégagerait de la « Country Guidance », et, d’autre part, d’autres caractéristiques individuelles dans le chef de (C), à savoir son appartenance à l’ethnie kurde, le fait de ne pas disposer de documents d’identité syriens et le constat d’appartenir à une famille exposée à des persécutions, tel que reconnu par les autorités grecques.

Les appelants en déduisent que (C) devrait se voir accorder le statut conféré par la protection subsidiaire au Luxembourg.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub f), 2 sub h), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l'octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu'au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l'article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d'origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, ils sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute encore que dans le cadre du recours en réformation dans lequel elle est amenée à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, la Cour administrative doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais elle se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

A titre liminaire, la Cour rappelle que dans son arrêt précité C-720/20 du 1er août 2022, la CJUE a considéré que l’article 33, paragraphe 2, de la directive Procédures ne permettrait pas aux Etats membres de déclarer irrecevable la demande de protection internationale d’un enfant mineur né hors de l’Etat membre d’accueil dans lequel ses parents bénéficient d’ores et déjà d’une protection internationale.

Pour parvenir à une telle interprétation, la CJUE a rappelé que l’article 33 précité devait faire l’objet d’une interprétation stricte eu égard au caractère exhaustif des motifs d’irrecevabilité qu’il contient et qu’il n’était pas permis de raisonner par analogie pour étendre une telle irrecevabilité à l’encontre de la demande de protection internationale déposée au profit d’un enfant mineur né dans un Etat membre autre que celui où ses parents sont détenteurs d’une protection internationale (CJUE, C-720/20, op. cit., points 50 et suivants). Conformément à la jurisprudence de la CJUE, il appartient partant à l’Etat membre dans lequel est déposée une demande de protection internationale pour l’enfant mineur concerné de procéder à un examen individuel de ladite demande.

Il convient de noter qu’à la suite du prononcé de l’arrêt C-720/20, précité, l’autorité ministérielle est revenue sur la décision d’irrecevabilité qu’elle avait initialement rendue le 8 décembre 2020 dans le cas de la demande de protection internationale introduite au nom de (C) et afin de se conformer audit arrêt de la CJUE, l’autorité ministérielle a procédé à l’examen de sa demande de protection internationale en auditionnant la mère de l’enfant (C) le 4 juillet 2023 afin de recueillir les raisons à l’origine du dépôt de cette demande du 27 janvier 2020.

Par une décision datée du 1er août 2023, le ministre a considéré la demande de protection internationale de l’enfant (C) comme étant non fondée dans le cadre d’une procédure accélérée prise sur pied de l’article 27, paragraphe (1), point a), de de la loi du 18 décembre 2015.

La Cour note que la décision ministérielle précitée rejette l’octroi du statut de réfugié à l’enfant mineur (C) au motif que les déclarations de sa mère n’ont pas permis de retenir que la situation de son fils relèverait d’un des critères de fond du statut de réfugié.

Plus particulièrement, le ministre a considéré que le simple fait d’être né au Luxembourg ne saurait justifier une crainte fondée d’être victime de persécutions en Syrie, pays d’origine de sa famille, et que les craintes évoquées par sa mère à son endroit par rapport à la Syrie seraient vagues, imprécises et hypothétiques.

Pour le surplus, le ministre a considéré que n’ayant pas pu identifier de craintes précises de persécution dans le chef de l’enfant mineur (C), le constat qu’il n’existait aucun risque de persécution à son endroit serait d’autant plus confirmé, étant donné que sa mère était d’ores et déjà bénéficiaire du statut de réfugié en Grèce, de telle sorte que l’enfant (C) ne pourrait jamais être éloigné vers la Syrie.

Quant au statut de la protection subsidiaire, le ministre a refusé l’octroi dudit statut après avoir relevé que les déclarations de la mère étaient identiques à celles préalablement relatées dans l’analyse de l’octroi du statut de réfugié de son fils et qu’elles étaient à qualifier de totalement hypothétiques.

Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que l’autorité ministérielle a effectué un examen individuel de la demande de protection internationale déposée au nom de l’enfant (C) et qu’elle a, dans ce cadre, tenu compte de tous les faits pertinents et de la situation personnelle de l’enfant mineur à partir des diverses déclarations de sa mère aussi bien en réponse aux questions de l’autorité ministérielle que de celles soulevées par son avocate lors de l’audition du 4 juillet 2023.

S’il est vrai que le ministre a considéré dans sa décision de rejet que la mère du demandeur bénéficiait d’ores et déjà du statut de réfugié en Grèce, il ne l’a fait qu’à titre résiduel et à l’issue de l’analyse individuelle qu’il a préalablement réalisée de la situation personnelle de l’enfant (C).

Les premiers juges doivent partant être confirmés quand ils retiennent que le statut de réfugié de la mère de l’enfant est une information que le ministre était tenu de prendre en compte en ce qu’il s’agit d’une information sur la situation personnelle de l’enfant et qu’elle est susceptible de révéler l’existence d’une forme de protection dans un autre Etat membre.

Partant, l’examen du bien-fondé de la demande de protection internationale réalisée par l’autorité ministérielle est conforme aux exigences posées par la CJUE à savoir qu’une telle demande doit faire « l’objet d’un examen individuel, objectif et impartial au regard d’informations précises et actualisées des conditions pour l’octroi du statut de réfugié » (CJUE, C‑753/22, op. cit., point 74).

Concernant le statut de réfugié, c’est à juste titre que les premiers juges ont jugé que l’enfant (C) est né au Luxembourg, de telle sorte qu’il n’a jamais vécu en Syrie, pays d’origine de ses parents,et qu’à partir de son seul vécu personnel aucun risque de persécutions, respectivement d’atteintes graves ne saurait être dégagé. C’est également à juste titre que le tribunal a retenu qu’il ne ressortait pas des éléments soumis à son appréciation qu’en Syrie, tous les enfants kurdes seraient, indépendamment de leur situation personnelle et du seul fait d’être des enfants et d’appartenir à l’ethnie kurde, exposés à un risque réel de subir des actes d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves et a retenu que les craintes exprimées par la mère de (C) étaient hypothétiques quant au risque de le voir exposé à des actes de persécution ou des atteintes graves en Syrie du fait de son ethnie kurde, étant relevé qu’au vu du constat que sa mère est détentrice du statut de réfugié en Grèce, (C) ne saurait, en tout état de cause, être expulsé vers la Syrie sous peine de porter atteinte au principe de non-refoulement du fait de la protection internationale reconnue à ses parents avec lesquels il vit.

En ce qui concerne l’octroi de la protection subsidiaire, les premiers juges doivent également être confirmés en ce qu’ils ont retenu que l’enfant (C) ne saurait se voir accorder un tel statut du fait de son vécu personnel et en raison, pour le surplus, de l’improbabilité de son expulsion en Syrie du fait de la protection internationale dont jouissent les membres de sa famille en Grèce.

Pour le surplus, c’est encore à juste titre que le tribunal a retenu, en relation avec la situation de conflit armé régnant, de manière non contestée, dans certaines parties de la Syrie et, plus particulièrement, la question de savoir si l’enfant (C) pouvait se voir accorder la protection subsidiaire sur base de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, qu’il ne se dégageait pas des pièces lui soumises que la situation en Syrie était telle que chaque personne y risquerait d’être victime d’une atteinte grave du seul fait de sa présence sur le territoire syrien et que partant la seule invocation de la nationalité syrienne d’un demandeur d’asile ne suffisait pas pour mener à l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire en sa faveur.

Concernant plus précisément la question relative à la protection en Grèce, la Cour tient à souligner que celle-ci ne fait aucun doute au regard de la confirmation formelle fournie par les autorités grecques quant au fait que les huit membres de la famille (A-B) seraient réadmis en Grèce où ils bénéficient du statut de réfugié et y détenaient des titres de séjour : « the competent national authorities have conceded in readmitting the (A-B) family of Syrian nationals (all 8 members), according to art. 6 of Directive 2008/15/E.C., on the grounds that all family members […] were granted refugee status by the Greek Asylum Authorities and provided with residence permits valid from 16-11-2018 to 15-11-2021. ».

En outre, quant au cas particulier de l’enfant mineur (C), né au Luxembourg, après le départ de sa famille de Grèce, les autorités grecques indiquaient qu’il recevrait à son arrivée en Grèce, et à la demande de ses parents et sur remise d’un certificat de naissance, un titre de séjour d’une durée équivalente aux titres de séjour de ses proches parents et qu’il serait, en outre éligible, aux droits garantis par la directive Qualification aux articles 24 à 35 : « With reference in particular to the later, (C), we would like to inform you that as family member of beneficiary of international protection, he shall receive, upon the arrival of the family to Greece, at the request of his parents and the production of the child’s birth certificate, a residence permit with the duration of the validity of the permit of the beneficiary, and shall be entitled to all the benefits referred to in Articles 24 to 35 of the Directive 2011/95/EU ».

L’existence d’une protection en Grèce en faveur de l’enfant mineur (C) est précisément confirmée par les autorités grecques en raison du lien familial qui l’unit aux sept autres membres de la famille (A-B) bénéficiant, en Grèce, du statut de réfugié.

Les appelants ne sauraient non plus se fonder sur les délais qui se sont écoulés depuis ladite confirmation des autorités grecques ou s’appuyer sur l’expiration des titres de séjour en Grèce des membres de la famille (A-B) pour nier le principe même de la protection reconnue, en Grèce, en faveur de l’enfant mineur (C), ce d’autant plus que, depuis leur arrivée au Luxembourg, ils sont restés en défaut de s’enquérir et de se tenir au courant de leur situation administrative en Grèce et plus précisément sur la question de savoir si les titres de séjour leur conférés en Grèce sont toujours valables.

Enfin, en ce qui concerne la question préjudicielle suggérée et portant sur la prise en compte de l’existence d’une protection internationale en Grèce dans le chef des membres de la famille de l’enfant (C) pour l’examen au fond de sa propre demande de protection internationale au Luxembourg, il échet de relever qu’une telle question de principe a d’ores et déjà fait l’objet de quelques précisions de la part de la CJUE, dont notamment le récent arrêt précité du 18 juin 2024, dans lequel la CJUE a dit pour droit qu’il appartenait à l’Etat membre dans lequel un bénéficiaire de protection internationale avait déposé une seconde demande de protection internationale que « les demandes de protection internationale [déposées dans un deuxième Etat membre] doivent faire l’objet d’un examen individuel, objectif et impartial au regard d’informations précises et actualisés » (CJUE, C-753/22, op. cit., point 73), examen auquel les autorités luxembourgeoises se sont précisément livrées dans le cas sous rubrique.

Eu égard aux faits de la présente, bien qu’il soit évident que l’enfant (C) n’est pas détenteur d’une protection internationale en Grèce, contrairement à l’hypothèse dans l’affaire C-753/22, l’existence d’une telle protection dans le chef de ses proches parents, y compris de sa mère, est une information qui doit bien évidemment être prise en compte dans le cadre de l’examen au fond de sa demande de protection internationale au Luxembourg eu égard à son âge, à l’exigence de respecter l’unité familiale et à la nécessité pour l’autorité ministérielle de se prononcer en présence de tous les faits pertinents quant à la situation globale du demandeur d’une protection internationale tels que dégagés par la jurisprudence de la CJUE.

Il suit de l’ensemble des considérations que les premiers juges ont retenu à juste titre que le ministre était fondé à rejeter la demande de protection internationale de l’enfant (C) après l’examen individuel au fond qu’il a effectué de celle-ci, sans qu’il ne soit nécessaire de poser à la CJUE la question préjudicielle suggérée par les appelants dans la mesure où la solution retenue par la Cour se dégage à suffisance de la jurisprudence de la CJUE ci-avant citée.

Quant à l’ordre de quitter le territoire :

Concernant finalement l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de la demande de protection internationale de l’enfant (C), les appelants demandent la confirmation du jugement entrepris ayant réformé l’ordre de quitter le territoire àdestination de la Syrie. Cependant, le « reste » de l’ordre de quitter le territoire serait également entaché d’illégalité puisque (C) ne serait actuellement « autorisé à séjourner » ni en Grèce ni dans aucun autre pays, les appelants rappelant dans ce contexte que les titres de séjour décernés en Grèce aux membres de leur famille seraient arrivés à expiration. Ils renvoient à ce sujet à deux affaires jointes où la CJUE, dans un arrêt du 14 mai 2020, aurait expliqué la notion de « décision de retour » au sens de la directive Retour, en retenant que « cette obligation de retour impose à la personne concernée de rentrer soit dans son pays d’origine, soit dans un pays de transit, soit dans un autre pays tiers dans lequel elle décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel elle sera admise » et « une telle obligation de retour ne pouvant se concevoir, au vu du point 3 de cet article [article 3 de la directive Retour], sans identification d’une destination, qui doit être l’un des pays visés à ce point 3 » (CJUE, C-924/19 PPU et C-925/19 PPU, 14 mai 2020, EU:C:2020:367, point 74).

Or, l’enfant (C) ne pourrait être renvoyé ni en Syrie, le tribunal ayant exclu cette possibilité, ni vers un pays de transit, ni vers un autre pays tiers, et l’expression « tout autre pays où il est autorisé à séjourner » serait vide de sens en l’espèce puisque (C) ne disposerait d’aucun titre de séjour dans aucun autre pays. Les appelants répètent dans ce contexte que les titres de séjour délivrés aux membres de leur famille en Grèce auraient expiré depuis le 15 novembre 2021 et qu’un renouvellement d’un titre de séjour en Grèce ne serait pas automatique, les appelants relevant dans ce contexte que le ministre n’aurait même pas pris la peine de vérifier si l’assurance donnée par les autorités grecques serait toujours d’actualité trois ans plus tard. Partant, l’ordre de quitter le territoire aurait été pris en violation de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 3 de la directive Retour, tels qu’interprétés par la CJUE, et ledit ordre serait également contraire à l’article 24 de la Charte respectivement l’article 15, paragraphe (5), de la Constitution.

Finalement, les appelants rappellent dans ce contexte que (C) a vécu toute sa vie au Luxembourg et qu’un départ forcé du Luxembourg, même avec sa famille, serait traumatisant dans son chef.

Quant à la suggestion du tribunal, dans le jugement entrepris du 19 février 2024, qu’ils devraient entreprendre les démarches nécessaires en vue de régulariser leur situation en Grèce et qu’il ne saurait être admis que ceux-ci tirent un quelconque profit de leur refus d’entreprendre pareilles démarches sous peine de contourner la législation applicable en matière d’immigration et d’asile, en forçant le ministre à tolérer leur séjour irrégulier au pays, les appelants estiment nécessaire, avant de trancher dans un sens défavorable pour l’enfant (C), de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« L’article 3, point 4, de la directive 2008/115 lu en combinaison avec l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux permet-il à un Etat membre de donner à un enfant débouté de sa demande de protection internationale, une décision de retour à destination d’un Etat membre où cet enfant a une possibilité, mais non une garantie, d’obtenir un titre de séjour au motif que les autres membres de sa famille y sont bénéficiaires de la protection internationale ? ».

Le délégué du gouvernement, de son côté, demande en premier lieu acte que son appel incident ne porte que sur le volet relatif à l’ordre de quitter le territoire en ce que les premiers juges ont retenu que (C) n’est pas obligé de quitter le territoire luxembourgeois à destination de la Syrie.

Il argumente que la décision de retour serait la conséquence automatique et légale du refus de l’octroi d’une protection internationale, une décision d’exclusion de la protection subsidiaire étant également une décision négative suivant l’article 2 sub q) de la loi du 18 décembre 2015, et que le ministre ne disposerait pas d’un pouvoir d’appréciation d’assortir ou non une décision de refus d’une protection internationale d’une décision de retour, mais serait tenu par les dispositions légales impérieuses de la loi du 18 décembre 2015, prise en son article 34, paragraphe (2).

En citant un certain nombre d’arrêts de la Cour administrative, la partie étatique soutient que l’invocation d’arguments par un demandeur de protection internationale débouté tendant à se voir accorder la permission de rester sur le territoire luxembourgeois malgré un refus ministériel d’octroi d’une protection internationale, tel que visé par la loi du 18 décembre 2015, s’analyserait en réalité en une demande autonome ne relevant pas de la procédure d’asile mais des procédures prévues par la loi du 29 août 2008.

Le délégué du gouvernement rappelle ensuite que l’existence d’un ordre de quitter le territoire ne signifierait pas qu’un demandeur de protection internationale débouté soit immédiatement et sans discussion éloigné vers son pays d’origine, la décision portant ordre de quitter le territoire étant à distinguer de l’exécution effective de celle-ci. Ainsi, lors de l’exécution de pareil ordre de quitter le territoire, la partie étatique contrôlerait elle-même que pareil retour ne viole pas le principe de non-refoulement prévu à l’article 3 de la CEDH et à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, ce d’autant plus que le concerné disposerait encore de diverses possibilités prévues par ladite loi de 2008, tel que de solliciter un report à l’éloignement ou un sursis à l’éloignement.

En outre, l’Etat signale que le jugement entrepris placerait (C) dans une situation inextricable car il se trouverait en situation irrégulière sans possibilité de solliciter un report à l’éloignement ou un sursis à l’éloignement, étant donné qu’une décision de retour serait une condition nécessaire pour pouvoir entamer l’une de ces deux démarches. Ainsi, la remise en cause de l’automatisme de l’ordre de quitter le territoire aurait pour conséquence qu’un demandeur de protection internationale débouté pourrait alors, sans titre de séjour valable, rester sur le territoire luxembourgeois, ce qui le placerait dans une situation irrégulière et non voulue, et priverait le ministre de toute possibilité de garder une quelconque trace du concerné sur le territoire en vue d’un éventuel futur éloignement, ce qui ne serait pas le cas si ce dernier serait en mesure d’introduire un report à l’éloignement ou un sursis à l’éloignement.

La Cour tient à rappeler en premier lieu que dès lors que l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose qu’« une décision du ministre vaut décision de retour (…) » et qu’en vertu de l’article 2 sub q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », l’ordre de quitter est a priori à considérer comme constituant la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Comme le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a rejeté la demande de protection internationale de l’enfant (C), la Cour, à l’instar des premiers juges, arrive à la conclusion que le ministre a dès lors a priori valablement pu assortir sa décision du 1er août 2023 d’un ordre de quitter le territoire.

En application de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, rendu applicable en vertu de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la Cour est cependant amenée à vérifier si le retour envisagé d’un demandeur de protection internationale ne l’expose pas à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de sorte que c’est à tort que la partie étatique argumente que le ministre n’aurait aucune autre possibilité que de prononcer un ordre de quitter le territoire.

Concernant en premier lieu l’ordre de quitter le territoire en ce qu’il enjoint à l’enfant (C) de quitter le territoire luxembourgeois à destination de la Syrie, la Cour, à l’instar du tribunal prend en considération le statut de réfugié dont bénéficie Madame (B), de sorte que (C), actuellement âgé de …. ans, ne saurait se rendre en Syrie, accompagné de sa mère, pareil refoulement constituant dans le chef de cette dernière une atteinte au principe de non-refoulement, tel qu’énoncé à l’article 33 de la Convention de Genève et à l’article 19 de la Charte. Pour le surplus, il est évident que (C) ne saurait pas non plus être renvoyé seul à destination de la Syrie, sous peine de méconnaître l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que consacré par les articles 15, paragraphe (5), de la Constitution et 24 de la Charte.

La Cour, par confirmation du jugement entrepris, arrive dès lors à la conclusion que l’ordre de quitter le territoire encourt, dans le cadre du recours en réformation introduit, l’annulation dans la mesure où ledit ordre vise le pays d’origine de l’enfant (C), à savoir la Syrie.

Concernant ensuite l’ordre de quitter le territoire en ce qu’il enjoint à l’enfant (C) de quitter le territoire luxembourgeois à destination de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, et plus particulièrement à destination de la Grèce, la Cour relève que les appelants indiquent maintenir, « à toutes fins utiles » qu’elles craindraient toujours d’être exposés à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Grèce. Elles soulignent que dans l’affaire C-753/22, l’Avocate général y aurait constaté une « rupture de confiance mutuelle » entre l’Allemagne et la Grèce, ce qui ne serait toutefois pas le cas en l’espèce, puisque le Luxembourg aurait maintenu sa confiance envers la Grèce.

La Cour rappelle que le système européen commun d’asile, tel qu’il est notamment organisé suivant le règlement Dublin III, s’appuie sur le principe de confiance mutuelle qui instaure, en droit de l’Union, une présomption réfragable selon laquelle les Etats membres respectent, dans la mise en œuvre de la politique d’asile, les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale.

Tel que l’a reconnu la CJUE dans son arrêt du 19 mars 2019, rendu en matière de transfert d’un demandeur d’asile vers l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale, le système de l’asile peut cependant être amené à traverser des « difficultés majeures de fonctionnement dans un Etat membre déterminé, de telle sorte qu’il existe un risque sérieux que des demandeurs d’une protection internationale soient, en cas de transfert vers cet État membre, traités d’une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux (CJUE, (K) contre Bundesrepublik Deutschland, 19 mars 2019, C-163/17, EU:C:2019:218, point 83).

Plus particulièrement, la CJUE a dit pour droit qu’il appartenait aux Etats membres, y compris auxjuridictions nationales, de s’abstenir de procéder au transfert d’un demandeur d’asile vers l’Etat membre responsable, conformément au règlement Dublin III, « lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants » (CJUE, C-163/17, op. cit., point 85).

Afin d’assurer l’effectivité des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, la CJUE a rappelé que cette protection contre le risque de subir un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, qui prohibe la torture, les peines ou traitements inhumains ou dégradants, doit trouver application tout au long de la procédure d’asile (CJUE, C-163/17, op. cit., point 88).

Dès lors, afin de garantir le plein respect de l’article 4 de la Charte, il appartient à la juridiction nationale saisie d’apprécier l’existence de tels risques à partir de la prise en compte d’éléments « objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union » (CJUE, C-163/17, op. cit., point 90).

Selon la CJUE, pour être caractérisées les défaillances systémiques susceptibles d’empêcher le transfert d’un demandeur de protection internationale en application du règlement Dublin III doivent atteindre « un seuil particulièrement élevé de gravité » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CJUE, C-163/17, op. cit., point 91; Cour EDH, 21 janvier 2011, M.S. S. c. Belgique et Grèce, CE:ECHR:2011:0121JUD003069609, point 254).

Ce seuil de gravité est atteint d’après la CJUE « lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant. » (CJUE, C-163/17, op. cit., points 92 et 93).

Si cette jurisprudence de la CJUE a été rendue à propos de l’interprétation du règlement Dublin III, la Cour est néanmoins amenée à s’inspirer en l’espèce de ces principes, à propos d’un demandeur de protection internationale débouté, tel que cela est le cas de l’enfant (C), auquel le ministre a ordonné de quitter le territoire luxembourgeois vers un autre pays de l’Union européenne, en l’occurrence la Grèce, où sa famille est bénéficiaire d’une mesure de protection internationale et qui fait état de conditions de vie difficiles dans ce pays ou qui déclare craindre y subir des traitements inhumains et dégradants.

La Cour note que, devant elle, les appelants restent en défaut de mettre en évidence l’existence de circonstances exceptionnelles et personnelles atteignant le seuil de gravité, tel que retenu par laCJUE en matière de décisions de transfert selon le règlement Dublin III, permettant de retenir que l’obligation de quitter le territoire imposée à leur enfant (C), dans le cadre du transfert plus global les concernant ainsi que leurs enfants, serait incompatible avec l’article 4 de la Charte.

En effet, à l’exception de renvoyer à une décision du « Bundesverwaltungsgericht » allemand du 7 septembre 2022, à la base de l’affaire susmentionnée renvoyée devant la CJUE (CJUE, QY contre Bundesrepublik Deutschland, 18 juin 2024, C-753/22, EU:C:2024:524), décision qui, d’après les appelants, a retenu que le bénéficiaire d’une protection internationale en Grèce risquerait d’y subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi vers cet Etat, il convient de noter que les parties appelantes restent en défaut respectivement de soutenir par des éléments factuels concrets les craintes personnelles alléguées et de verser, à cette occasion, des preuves permettant de retenir qu’il existerait, à l’heure actuelle, des défaillances systémiques en Grèce qui atteindraient le seuil de gravité dégagé aussi bien par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que par celle de la CJUE.

Bien au contraire, il se dégage des déclarations de la mère de l’enfant (C) que lors de leur séjour en Grèce, ses enfants ont pu y bénéficier d’une prise en charge médicale adéquate, y compris d’une hospitalisation de près de sept mois pour le traitement du cancer d’un de ses enfants malgré ses dires selon lesquels elle « n’avait pas l’argent pour payer les soins ».

Il convient enfin de rappeler, tel que l’a dégagé la CJUE que « le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’État membre requérant que dans l’État membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier État membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte. » (CJUE, C-163/17, op. cit., point 97).

Partant, la Cour ne saurait dégager du récit des appelants l’existence d’un risque de traitement inhumain ou dégradant en cas de renvoi de l’enfant (C) vers la Grèce, la simple allégation qu’il existerait un fort risque de traumatisme dans son chef lié à son départ forcé du Luxembourg et l’affirmation que la famille (A-B) ne bénéficie plus d’un droit de séjour en Grèce n’étant pas suffisants pour caractériser pareil risque, de sorte que le moyen afférent est à écarter.

Le ministre ayant partant a priori valablement pu assortir sa décision du 1er août 2023 d’un ordre de quitter le territoire, tel que retenu ci-avant, il convient de retenir que l’ordre de quitter le territoire à destination de tout autre pays dans lequel l’enfant (C) est autorisé à séjourner est à maintenir.

Il n’y a dès lors pas lieu non plus de poser à la CJUE la deuxième question préjudicielle proposée par les appelants, ladite question suggérant que l’intérêt supérieur de l’enfant (C) ne serait pas pris en considération pour l’hypothèse de son éloignement vers la Grèce. En effet, la problématique mise en avant par les appelants dans ce contexte, en énonçant que l’enfant (C) aurait une possibilité mais non une garantie d’y obtenir un titre de séjour est, au vu des développements qui précèdent, de nature purement hypothétique et n’est dès lors pas pertinente en ce qu’elle ne saurait avoir aucune influence sur la solution du litige.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et que le jugement entrepris est à confirmer.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit les appels principal et incident en la forme ;

au fond, les déclare non justifiés en en déboute les parties appelante et intimée ;

partant, confirme le jugement du 19 février 2024 ;

fait masse des frais et dépens de l’instance d’appel et les impose pour moitié à la partie appelante et pour moitié à l’Etat.

Ainsi délibéré et jugé par :

Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …… s. …..

s. SPIELMANN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 25


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50154C
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-07-09;50154c ?

Source

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