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09/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50140C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 juillet 2024, 50140C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50140C ECLI:LU:CADM:2024:50140 Inscrit le 5 mars 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par Madame (A), ….., contre un jugement du tribunal administratif du 24 janvier 2024 (nos 46457 et 47783 du rôle) ayant statué sur son recours contre des décisions du Ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 50140C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 mars 2024 par la société anon

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50140C ECLI:LU:CADM:2024:50140 Inscrit le 5 mars 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par Madame (A), ….., contre un jugement du tribunal administratif du 24 janvier 2024 (nos 46457 et 47783 du rôle) ayant statué sur son recours contre des décisions du Ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 50140C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 mars 2024 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN S.A., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1340 Luxembourg, 2, place Winston Churchill, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 209469, représentée aux fins de la présente procédure d’appel par Maître Nathalie PRUM-CARRE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-… …, … …, tendant à la réformation d’un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 24 janvier 2024, ayant joint les deux affaires inscrites sous les numéros 46457 et 47783 du rôle pour se déclarer incompétent pour connaître des recours principaux en réformation et déclarer irrecevable les recours subsidiaires en annulation pour autant qu’ils sont dirigés contre l’invitation du ministre de procéder à l’enlèvement de la cabane perchée contenue dans les décisions du 14 juin 2021 et 30 juin 2022, déclarer encore irrecevable le recours en annulation inscrit sous le numéro 47783 du rôle en ce qu’ils et dirigé contre la décision ministérielle du 5 avril 2022 pour recevoir les recours subsidiaires en annulation pour le surplus en tant que dirigés contre la décision ministérielle du 14 juin 2021 portant refus de sa demande d’autorisation ex post pour la construction de ladite cabane perchée et celles des 5 et 6 avril 2022 ordonnant la fermeture du chantier et la décision ministérielle du 30 juin 2022 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 6 mai 2024 par Maître Nathalie PRUM-CARRE, au nom de l’appelante ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 21 mai 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Joe DUCOMBLE ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nathalie PRUM-CARRE, assistée de Maître Georges GRATIA, et Monsieur le délégué du gouvernement Joe DUCOMBLE en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2024.

Après intervention du préposé forestier territorialement compétent, Madame (A) introduisit ex post en date du 18 janvier 2021 auprès du Ministère de l'Environnement, du Climat et du Développement durable une demande tendant à se voir accorder dans le cadre de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après « la loi du 18 juillet 2018 », l’autorisation ayant comme objet une « cabane perchée », sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Fischbach, section ….., lieu-dit « Acker », sous le numéro 196/534.

L’avis du brigadier forestier principal du triage de Larochette du 13 avril 2021, auquel le Chef de l’Arrondissement de la nature et des forêts ….. se rallia, est libellé comme suit :

« (…) Lors d'une tournée de contrôle en date du 26 novembre 2020, j'ai constaté qu'une cabane perchée a été érigée sur un terrain sis à …., appartenant à Mme. (A), sans autorisation ministérielle.

En date du 3 décembre 2020, une première lettre recommandée a été envoyée à Mme (A) afin de l'inviter d'enlever la cabane dans un délai de deux semaines (…).

En date du 14 décembre 2020, Mr (B) (fils de Mme (A)), a envoyé une lettre à l'administration de la nature et des forêts, ainsi qu'au parquet tribunal de et à Luxembourg, contresignée par Mme (A) (…).

Lors d'une tournée de contrôle en date du 28 décembre 2020, j'ai constaté que la cabane perchée n'a pas été enlevée jusqu'à ce jour. Cependant, j'ai dû constater que les modifications suivantes ont été effectuées à la cabane perchée :

- la façade vitrée a été cachée à l'aide d'un filet de camouflage - deux ruches ont été posées sur la terrasse de la cabane Une deuxième lettre a été envoyée à Mme (A) en date du 28 décembre 2020 afin de l'informer que l'administration de la nature et des forêts dressera procès-verbal contre elle, en tant que personne susceptible d'avoir effectué une ou des infractions à la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des forêts (…).

2 En date du 14 janvier 2021, Mme (A) a introduit une demande d'autorisation dans le cadre de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, concernant la construction d'une cabane perchée (…).

En date du 18 janvier 2021 la requérante a envoyé une lettre à Madame la Ministre Carole Dieschbourg. Dans cette lettre, Mme (A) confirme bien que son fils a érigé cette cabane perchée et qu'elle n'a pas donné suite à ma lettre du 3 décembre 2020, étant donné « qu'elle estime qu'un tel démontage est inconcevable d'un point de vue pédagogique vis-à-vis de son fils et de ses collègues de classe, qui se sont donnés tellement de peine en période de COVID-19 ou ils ont montré de l'initiative et de la créativité qu'on leur enseigne au jour le jour à l'Ecole Waldorf ».

Ensuite, elle informe Madame la Ministre du fait qu'elle soumet une demande d'autorisation pour cette cabane perchée pour y installer des ruches (…).

Mme (A) s'était présentée en date du 19 janvier 2021 au bâtiment de la nature et des forêts à Diekirch, afin de se soumettre à un interrogatoire concernant l'affaire sous rubrique.

Ceci dit, et en tenant compte de la séparation des pouvoirs, ci-joint mon avis concernant la construction de la cabane perchée :

Une cabane perchée ne tombe pas sous le champ d'application des constructions énumérées à l'article 6 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles (règlementation sur les nouvelles constructions en zone verte).

Je suis d'avis qu'une cabane perchée aves les mesures de 5m x 5m comme base et de 5m d'hauteur totale ne peut être compatible avec des activités apicoles. Néanmoins, une simple plateforme élevée pour y poser des ruches (…) pourrait être autorisée selon mon interprétation de la loi.

Je propose donc d'inviter la requérante d'enlever la cabane perchée dans les plus brefs délais et au plus tard dans un délai de deux semaines à partir de la date du refus.

J'ai essayé de traiter soigneusement ce dossier en âme et conscience et avec tous les moyens dont je dispose.

Plût il aux autorités hiérarchiques supérieurs d'examiner, vérifier et contrôler mon avis et le cas échéant de bien vouloir y apporter les modifications nécessaires aux fins de respecter les dispositions de la loi de la protection de la nature et des ressources naturelles du 19 janvier 2004 ainsi que d'autres réglementations en vigueur.

Aux fins de disposer un dossier plus complet dans cette affaire, je vous prie Monsieur le chef d'arrondissement de me tenir au courant de toute modification et de bien me vouloir envoyer une copie de votre avis. (…) ».

Par décision du 14 juin 2021, le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après « le ministre », refusa de faire droit à la demande de Madame (A). Cette décision est libellée comme suit :

« (…) En réponse à votre requête du 18 janvier 2021 par laquelle vous sollicitez l'autorisation pour la construction d'une cabane perchée sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de FISCHBACH: section …… (Acker), sous le numéro 196/534, j'ai le regret de vous informer qu'en vertu de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne saurais réserver une suite favorable au dossier.

En effet, selon l'article 6, paragraphe 1er de la loi précitée sont conformes à l'affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d'exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.

Or, une cabane perchée avec les mesures de 5 m x 5 m comme base et de 5 m d'hauteur totale ne peut être compatible avec des activités apicoles ni avec une des activités énoncées à l'article 6 précité et n'est dès lors pas autorisable en vertu de la prédite loi du 18 juillet 2018.

Dès lors, je vous invite à enlever la cabane perchée pour le 15 juillet 2021 au plus tard.

Permettez-moi toutefois de vous indiquer qu'une simple plateforme élevée pour y poser des ruches pourrait être autorisée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 septembre 2021 (n° 46457 du rôle), Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision, précitée, du 14 juin 2021 ayant rejeté sa demande d’autorisation ex post pour la construction d’une cabane perchée.

Par courrier du 4 avril 2022, le préposé de la nature et des forêts du triage de Larochette s’adressa au ministre dans les termes suivants :

« (…) Lors d’une tournée de contrôle en date du 22 mars 2022, j’ai constaté ce qui suit :

Dans la commune de FISCHBACH, section …. sur la parcelle cadastrale portant le numéro 196/534 un escalier en bois a été mis en place contre une cabane perchée au cours du mois de mars 2022. Il faut notifier que ladite cabane perchée a été érigée sur la même parcelle en 2020 sans autorisation. En réponse d’une requête du 18 janvier 2021 par laquelle Madame (A), propriétaire de ladite parcelle, sollicitait ex post une autorisation pour cette construction, le MECDD a émis un refus (…).

La mise en place d’un escalier en bois a été effectuée en zone verte et n’est pas couvert[e] par une autorisation ministérielle. Les travaux représentent donc une infraction contre l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

4 Par conséquent et afin d’éviter toute amplification des infractions déjà commises, je vous prie d’émettre une interdiction de continuation des travaux contraires à la loi, sur base de l’article 73 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles. (…) ».

En date du 5 avril 2022, le ministre prononça la fermeture de chantier. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Vu la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ;

Vu le rapport du préposé de la nature et des forêts territorialement compétent de l'Administration de la nature et des forêts du 4 avril 2022 ;

Considérant que des travaux ont été réalisés sur la parcelle sous rubrique sans qu'une autorisation en bonne et due forme en vertu de la prédite loi modifiée du 18 juillet 2018 n'ait été délivrée ;

décide :

Art.1er Au vu de ces faits et conformément aux dispositions de l'article 73 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, le chantier en cours sur la parcelle 196/534 inscrite au cadastre de la commune de Fischbach, section …. est fermé avec effet immédiat. Toute continuation des travaux est interdite.

Art. 2 La présente décision est affichée par les soins de l'Administration de la nature et des forêts aux abords du chantier et à la maison communale.

Toute personne qui par infraction à l'article 73 de la prédite loi modifiée du 18 juillet 2018 continue les travaux de construction entrepris est susceptible d'être punie d'une peine d'emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de 251 euros à 750.000 euros ou d'une de ces peines seulement.

Toute personne qui détruit ou rend illisible ou déplace l'affiche pré-mentionnée est susceptible d'être punie d'une amende de 24 euros à 1.000 euros.

L'Administration de la nature et des forêts est chargée de l'exécution de la présente et ampliations sont adressées à Madame le Procureur Général d'Etat, à Monsieur le Procureur d'Etat et à l'Administration communale de Fischbach. (…) ».

En date du 6 avril 2022, le ministre prit une nouvelle décision de fermeture de chantier libellée dans les mêmes termes.

Par courrier du 17 mai 2022, Madame (A) introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision du 6 avril 2022 « et pour autant que de besoin à l’encontre de la même décision rendue le 5 avril 2022 ».

En date du 30 juin 2022, le ministre rejeta le recours gracieux introduit par Madame (A).

Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) La présente fait suite à votre courrier du 17 mai 2022 par lequel vous formulez un recours gracieux à l'encontre de la décision ministérielle du 6 avril 2022 concernant la fermeture du chantier situé sur le territoire de la commune de Fischbach, section ….., numéro cadastral 196/534.

Aux termes de l'article 3, point 26° de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, une construction constitue « tout aménagement, bâtiment, ouvrage et installation comprenant un assemblage de matériaux reliés ensemble artificiellement de façon durable, incorporé ou non au sol, à la surface ou sous terre ».

Selon l'article 6, paragraphe 1 de la loi susmentionnée, sont conformes à l'affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d'exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.

L'escalier en question étant une construction érigée illégalement aux sens de la loi modifiée précitée, je vous confirme que sa pose est bien à qualifier de « travaux ».

Permettez-moi de vous rappeler qu'en zone verte le placement de ruches est possible soit sur le sol nu, soit sur un support simple d'une hauteur maximale de 50 centimètres.

Une cabane perchée avec les dimensions de 5 mètres sur 5 mètres et une hauteur totale de 5 mètres ne saurait être considérée comme support ou plateforme simple pour placer des ruches.

Une telle cabane n'est ni compatible avec des activités apicoles, ni avec des activités énoncées à l'article 6 précité, et n'est donc pas autorisable en vertu de la prédite loi modifiée du 18 juillet 2018.

L'organisation d'une entrevue n'a pas pour effet de modifier les dispositions de la loi, une telle réunion n'est donc pas envisageable.

Une mainlevée de la fermeture de chantier ne pourra être accordée à votre mandante tant que cette dernière ne se sera pas mise en conformité avec la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

Dès lors, j'invite votre mandante à enlever la cabane perchée dans les plus brefs délais.

En attendant, je suis au regret de devoir réserver une suite défavorable à votre demande. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 août 2022 (n° 47783 du rôle), Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de 1) la décision du ministre du 5 avril 2022 ordonnant la fermeture du chantier situé sur la parcellelitigieuse, 2) la décision du ministre du 6 avril 2022 ordonnant la fermeture du même chantier et 3) la décision du ministre du 30 juin 2022 rejetant le recours gracieux introduit par elle en date du 17 mai 2022.

Par jugement du 24 janvier 2024, le tribunal joignit les deux recours inscrits sous les numéros 46457 et 47783 du rôle pour se déclarer incompétent pour connaître des recours principaux en réformation et déclarer irrecevables les recours subsidiaires en annulation pour autant qu’ils sont dirigés contre l’invitation du ministre de procéder à l’enlèvement de la cabane perchée contenue dans les décisions des 14 juin 2021 et 30 juin 2022 et déclarer encore irrecevable le recours en annulation inscrit sous le numéro 47783 du rôle en tant que dirigé contre la décision du 5 avril 2022 pour, pour le surplus, déclarer les recours subsidiaires en annulation recevables mais non fondés avec condamnation de la demanderesse aux dépens des deux rôles.

Pour arriver à cette solution, le tribunal retint en termes de charge de la preuve que du fait que la décision déférée de refus d’autorisation bénéficie de la présomption de légalité attachée à tout acte administratif et que cette présomption implique que l’essentiel du fardeau de la preuve en droit administratif est porté par le demandeur, Madame (A) était restée en défaut d’établir qu’elle exerçait une activité d’exploitation apicole au sens de la loi en ce que, notamment, la présence de ruches installées sur la plateforme de la cabane perchée n’était guère suffisante pour illustrer une exploitation apicole ni, par ailleurs, des photos affichant le matériel nécessaire à l’apiculture entreposé dans la cabane en question, étant donné qu’elles ne seraient pas de nature à prouver que Madame (A) poursuit activement et effectivement l’apiculture.

Dès lors, le recours contre le refus d’autorisation fut déclaré non fondé sans que le tribunal n’arriva de la sorte à analyser si la construction avait un lien certain et durable avec l’activité de la demanderesse, voire s’il existait un besoin réel de ladite construction en vue d’exercer l’activité d’apicultrice.

Par voie de conséquence, le recours contre les décisions de fermeture de chantier furent également déclarées non justifiées.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 5 mars 2024, Madame (A) a fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 24 janvier 2024 dont elle sollicite la réformation, pour, en ordre principal, voir réformer, sinon annuler les décisions ministérielles entreprises, sinon, en ordre subsidiaire, requérir, avant tout arrêt au fond, l’organisation d’une visite des lieux afin de permettre à la Cour de s’assurer que la cabane litigieuse est compatible et indispensable à l’activité de l’appelante et que l’escalier n’est pas qualifiable de construction.

Pour autant que de besoin, l’appelante demande le renvoi devant l’autorité compétente aux fins de voir statuer conformément à l’arrêt à intervenir avec mise des frais et dépens des deux instances à charge de la partie intimée.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelante invoque d’abord une violation des principes généraux de sécurité juridique et de confiance légitime en ce que la partie étatique aurait développé en phase contentieuse des motifs de refus sans lien direct avec le motif explicite exprimé dans la décision de refus d’autorisation. Ce motif a été tiré du fait qu’une cabane perchée avec les mesuresde 5x5 mètres comme base et de 5 mètres de hauteur totale ne peut être compatible avec les activités apicoles, ni avec une des activités énoncées à l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018.

La partie appelante demande dès lors à la Cour d’écarter les motifs complémentaires invoqués par la partie étatique en phase contentieuse à l’appui du refus d’autorisation litigieux.

La Cour est amenée à retenir que de manière constante un équilibre a été instauré par la loi, ensemble la jurisprudence des juridictions administratives, en ce sens qu’en instance contentieuse la partie administrée peut invoquer des moyens nouveaux même en instance d’appel et qu’en contrepartie, la partie publique peut invoquer des motifs complémentaires de nature à justifier sa décision attaquée à condition que ces motifs aient existé au moment de la prise de la décision dans le cas de figure où l’on se trouve dans le cadre d’un recours en annulation tel le cas de figure de l’espèce.

Dès lors, sur cette seule base, le moyen de l’appelante est à rejeter.

En ordre subsidiaire, l’appelante estime que dans le cas de l’application de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018, il résulterait à suffisance des éléments produits en cause qu’elle procède à un exercice effectif de l’activité d’apicultrice, suffisant pour justifier la mise en place d’une infrastructure adéquate. Tout en admettant que la cabane perchée a été construite par son fils et ses amis durant la période Covid, alors que parallèlement elle exerçait déjà l’activité d’apicultrice, l’appelante met en exergue que la cabane perchée se justifie en ce que la cabane proprement dite abrite le matériel d’apicultrice, tandis que sur la plateforme à l’air libre se trouvent les ruches, de manière à être dégagées de l’humidité du sol, particulièrement forte dans la contrée de …… dans le pourtour de sa maison d’habitation.

Contrairement à l’interprétation du tribunal, l’article 6 en question n’impliquerait pas une activité d’une certaine envergure à l’exclusion d’une occupation occasionnelle accessoire.

L’appelante se rapporte aux conclusions du rapport de contrôle du 21 décembre 2023 délivré par le Service de l’Economie rurale du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Viticulture suivant lequel le matériel retenu pour le cofinancement était présent sur le lieu d’exploitation et que le matériel pour la récolte, le stockage et le conditionnement du miel se trouvait sur le site à …….

Contrairement aux conclusions étatiques, l’appelante estime que le caractère incompatible de sa cabane avec ses activités d’apicultrice, tel que retenu dans les décisions litigieuses du 21 juin 2021 ne se trouverait ni vérifié ni en droit, ni en fait, tandis qu’il serait manifeste que la construction de la cabane permettrait la préservation des ruches contre les parasites et permettrait à l’appelante de travailler à l’abri des mauvaises conditions météorologiques. En ayant joint l’auvent et l’entrepôt des outils dans une seule structure, à savoir précisément la cabane perchée, elle aurait fait preuve d’ingénuité et réduirait les dimensions de la construction indispensable à l’activité.

Pour le surplus, celle-ci serait majoritairement réalisée en bois et placée sur des piliers en bois aisément enlevables au terme de l’exploitation, l’imperméabilisation du sol restant limitée etla construction ne nuisant pas à l’environnement, ni à la nature, ni à la beauté ou au caractère du paysage.

De même, le matériel apicole serait sécurisé dans un dépôt proche du poste de travail, de sorte que la conclusion pourrait être tirée que la cabane perchée est indispensable à l’activité exercée.

La partie étatique sollicite la confirmation du jugement dont appel, essentiellement sur base des motifs et argumentaires y déployés.

Sans nier l’existence de l’activité d’apicultrice dans le chef de l’appelante, ce que le délégué du gouvernement a encore confirmé à l’audience publique, la partie étatique estime cependant que tout comme la cabane perchée a été construite non pas en vue de l’activité apicole, celle-ci ne serait point indispensable pour rendre possible celle-ci à l’endroit.

Dès lors, le refus d’autorisation ex post serait à confirmer, les conditions légales de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 ne se trouvant pas rencontrées à suffisance, tandis qu’également le recours dirigé contre la fermeture de chantier devrait être déclaré non justifié, celle-ci s’étant trouvée fondée au regard du caractère non autorisable, dans un premier stade, de la cabane perchée, puis, dans un deuxième stade, de l’escalier préfabriqué y rajouté.

Le délégué du gouvernement insiste encore que le terrain litigieux se trouve en zone Natura 2000 et que dès lors une vigilance accrue devrait être déployée par les autorités étatiques.

D’abord, la Cour est amenée à constater que l’appelante actuelle a commencé par solliciter une autorisation ex post de la part du ministre pour la cabane perchée préexistante, dont elle n’a jamais nié le mode de mise en place pendant la période Covid de la part de son fils et de ses camarades.

Une autorisation ex post peut être délivrée et le fait d’ériger une construction en zone verte sans autorisation préalable n’implique pas automatiquement le refus de pareille autorisation.

Au contraire, du moment que la construction en question rentre dans les prévisions de la loi, une autorisation peut être délivrée par après, étant donné qu’à moyen et long terme, la persistance d’une construction non autorisée en zone verte, partant illégale, pèserait plus lourd dans la balance que la reconnaissance d’une régularisation possible dans la mesure du caractère légal intrinsèque de la construction en question au vu des prévisions de la loi.

Le fait que le demandeur d’autorisation ait créé un fait accompli en ayant déjà réalisé la construction pour laquelle il demande, ex post, l’autorisation, n’est pas, en tant que tel, un empêchement à la délivrance de celle-ci, en quelque sorte par voie de régularisation, du moment que les conditions légales afférentes se trouvent remplies.

A ce stade du dossier, l’activité d’apicultrice de l’appelante ne se trouve pas contestée en tant que telle. Il serait d’ailleurs difficile de ne pas l’admettre en ce que, tel que le tribunal l’a également constaté, Madame (A) a versé au dossier, dès l’ingrès, une autorisation de la part du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 9 janvier 2020 l’autorisant à travailler comme apicultrice, ainsi qu’un certificat du « Lëtzebuerger Landesverband fir Beienzucht » attestant sa participation aux cours théoriques d’apiculteur en 2017.

Pour le surplus, Madame (A) verse toute une série de factures documentant l’achat de matériel nécessaire à l’activité d’apicultrice et se réfère valablement au rapport de contrôle précité du 21 décembre 2023 délivré par le Service de l’Economie Rural documentant, si besoin en avait encore été, l’existence du matériel cofinancé par l’Etat et sa présence au site d’exploitation à …….

En l’espèce, il n’est pas contesté que la cabane perchée se trouve installée sur un terrain faisant partie de la zone verte au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la loi du 18 juillet 2018, de sorte que les dispositions de cette dernière sont applicables en l’espèce.

A la suite des premiers juges, il y a lieu de relever que la loi du 18 juillet 2018 poursuit, tel qu’indiqué en son article 1er, les objectifs suivants : « 1° la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel ; 2° la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels ; 3° la protection et la restauration des biotopes, des espèces et de leurs habitats, ainsi que des écosystèmes ; 4° le maintien et l’amélioration des équilibres et de la diversité biologiques ; 5° la protection des ressources naturelles contre toutes dégradations ; 6° le maintien et la restauration des services écosystémiques ; et 7° l’amélioration des structures de l’environnement naturel. ».

Dans ce contexte, il convient de souligner que le Luxembourg, tout comme ses pays voisins, souffrent d’une pénurie d’abeilles et que l’activité d’apiculteur est à favoriser particulièrement en ce que la culture des abeilles rejoint précisément, per se, la plupart des objectifs précités de la loi elle-même. C’est effectivement l’article 6, tel que cité par le tribunal, qui énumère les constructions pouvant être érigées dans la zone verte.

Il est constant qu’il convient de rappeler ensuite que le législateur n’a pas entendu préserver le paysage de toute atteinte quelconque, étant entendu que toute construction nouvelle constitue objectivement une atteinte au paysage existant.

En effet, les dispositions de la loi du 18 juillet 2018 ne doivent pas être interprétées comme interdisant ipso facto et ipso jure tout projet qui serait de nature à affecter à court terme l’environnement existant, sous peine de paralyser toute activité humaine, mais doivent être appliquées au cas par cas, en fonction des caractéristiques propres de chaque projet ainsi que des mesures et obligations imposées à l’exploitant afin de préserver en définitive les objectifs poursuivis par la loi.

Dans ce contexte, il convient encore de souligner que dans la mesure où l’activité apicole est à favoriser de manière particulière, la mise en place des constructions nécessaires afin d’assurer cette activité, telle que prévue par la loi, doit également pouvoir être assurée.

Ainsi, l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 prévoit sous le point 4 de son paragraphe 1er :

« 4° L’activité d’exploitation apicole comprend les opérations de fabrication de miel depuis la pose des ruches jusqu’à la collecte du miel par l’apiculteur. (…) ».

Reste la question essentiellement litigieuse du lien que doit avoir l’activité d’exploitation apicole avec les constructions pouvant être érigées pour la rendre possible.

Les passages pertinents de l’article 6 précité se lisent comme suit en son paragraphe 1er :

« (1) Sont conformes à l'affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d'exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.

Seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d'exploitation. Il appartient au requérant d'une autorisation de démontrer le besoin réel de la nouvelle construction en zone verte.

Ne comptent pas comme activités d'exploitation au sens de la présente loi les activités économiques sans lien avec la production de matière première, notamment la location ou le prêt à usage de bâtiments, étables ou machines à des tiers.

Les activités d’exploitation visées à l’alinéa 1er et les constructions autorisables doivent répondre aux critères suivants : (…) ».

Il est vrai que d’après l’énoncé de l’alinéa 2, du paragraphe 1er, de l’article 6 précité, seules sont autorisables les constructions indispensables aux activités d’exploitation énoncées audit article, dont les activités apicoles, et qu’il appartient aux requérants d’une autorisation de démontrer le besoin réel de la nouvelle construction en zone verte.

A ce stade, il convient de souligner que la loi du 18 juillet 2018 se trouve cadrée par une norme constitutionnelle par rapport à laquelle son application, voire même son interprétation, doivent se trouver être conformes.

Il s’agit de l’article 11bis de la Constitution, tel qu’il existait avant la réforme entrée en vigueur le 1er juillet 2023 à l’époque de la prise des décisions ministérielles critiquées.

L’article 11bis de la Constitution de l’époque est libellé comme suit : « L’Etat garantit la protection de l’environnement humain et naturel, en œuvrant à l’établissement d’un équilibre durable entre la conservation de la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et la satisfaction des besoins des générations présentes et futures.

11 Il promeut la protection et le bien-être des animaux ».

En ce que les abeilles font éminemment partie des animaux dont le bien-être est à garantir par l’Etat, l’article 11bis, paragraphe 2, de la Constitution, s’applique en particulier à elles.

En ce qui concerne le lien que doit observer la construction érigée dans l’intérêt d’une activité d’exploitation apicole, face aux besoins de celle-ci, c’est l’équilibre durable énoncé par l’article 11bis de la Constitution en son paragraphe 1er, entre la conservation de la nature, d’un côté, avec en particulier sa capacité de renouvellement, et la satisfaction des besoins des générations présentes et futures de l’autre, qu’il s’agit d’atteindre dans chaque cas particulier.

C’est ainsi au regard du standard posé par cet équilibre que le caractère « indispensable » énoncé par l’article 6, paragraphe 1er, de la loi du 18 juillet 2018 doit s’analyser.

D’après les éléments de l’ensemble du dossier, le nombre de ruches composant l’exploitation apicole de l’appelante sur le site à …… est de deux unités.

Il ressort de l’ensemble des données fournies au dossier que le placement de ces ruches en hauteur peut se justifier eu égard notamment à l’humidité ambiante à l’endroit au ras du sol et aux inconvénients d’un entourage peu prospère aux abeilles y relativement.

Dès lors, le maintien d’une plateforme en hauteur se justifierait ainsi que le garde forestier puis le ministre, in fine de sa décision attaquée, l’ont mis en perspective.

En admettant pareille plateforme, un escalier d’accès y relatif doit également pouvoir être autorisé ne fût-ce que pour le transport des ruches et l’accès adéquat dans le chef des personnes s’occupant de celles-ci.

La Cour est cependant amenée à retenir que la nécessité voire le caractère indispensable d’une cabane de la dimension de celle se trouvant en place ne se trouve pas à suffisance vérifiée par rapport à l’activité, somme toute réduite, de l’appelante en tant qu’apicultrice par rapport aux deux ruches en place sur la plateforme aux moments pertinents.

En conclusion, statuant dans le cadre d’un recours en annulation, la Cour est amenée à retenir que certes, au-delà des conclusions des premiers juges, une activité d’apicultrice dans le chef de l’appelante se trouve vérifiée, de manière à justifier le maintien de la plateforme existante avec escalier d’accès amovible dans l’intérêt des ruches y posés, sans que toutefois le maintien de la cabane ne se trouve indispensable au sens de la loi aux fins de l’exercice de l’activité en question, telle que documentée au dossier.

Partant, la décision ministérielle critiquée du 14 juin 2021 encourt l’annulation partielle afin de permettre l’autorisation de la plateforme d’ores et déjà existante ensemble l’escalier d’accèsamovible dans l’intérêt des ruches y placées avec levée parallèle de la fermeture de chantier prononcée.

Au vu de la solution ainsi trouvée devant la Cour sur base des éléments du dossier lui soumis, une visite des lieux n’est plus à rencontrer positivement.

En ce que la décision de la Cour intervient sur demande d’autorisation ex post, y compris d’éléments érigés après un premier refus ministériel, de l’escalier en place, il y a lieu de faire masse des dépens des deux instances et de les imposer à l’appelante.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, le dit partiellement justifié ;

réformant, déclare les recours subsidiaires en annulation de l’appelante fondés, dans la mesure du maintien autorisable de la plateforme existante dans l’intérêt des ruches y posées ensemble l’escalier amovible installé à l’exclusion de la cabane, et de la suppression de la fermeture de chantier y relativement ;

partant, annule les décisions de refus d’autorisation ministérielles du 14 juin 2021, de même que la décision de fermeture de chantier ministérielle du 6 avril 2022 et la décision ministérielle confirmative du 30 juin 2022 dans cette mesure et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de l’Environnement ;

fait masse des dépens des deux instances et les impose à l’appelante.

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …….

s. …..

s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50140C
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-07-09;50140c ?

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