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20/06/2024 | LUXEMBOURG | N°50174C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 20 juin 2024, 50174C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50174C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50174 Inscrit le 11 mars 2024 Audience publique du 20 juin 2024 Appel formé par Monsieur (A), Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 8 février 2024 (n° 48957 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50174C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 11 mars 2024 par Maître Franck GREFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Afghan

istan), de nationalité afghane, demeurant à L-…, dirigé contre le jugemen...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50174C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50174 Inscrit le 11 mars 2024 Audience publique du 20 juin 2024 Appel formé par Monsieur (A), Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 8 février 2024 (n° 48957 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50174C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 11 mars 2024 par Maître Franck GREFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant à L-…, dirigé contre le jugement rendu le 8 février 2024 (n° 48957 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 avril 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 avril 2024;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 30 avril 2024.

Le 28 juillet 2021, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 1er mars 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 21 avril 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 28 juillet 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche manuscrite du 28 juillet 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 28 juillet 2021, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 1er mars 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi qu’une photographie versée à l’appui de votre demande de protection internationale.

Avant tout autre développement, il convient de signaler que vos déclarations contradictoires et incohérentes au fil de votre témoignage ont complexifié la synthétisation de votre rapport d’entretien de sorte que la reconstitution ci-dessous ne représente qu’une tentative de refléter au mieux votre vécu en Afghanistan et les motifs vous ayant poussé à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous seriez né le … à (a), de nationalité afghane, de confession …, d’ethnie … et célibataire. Vous expliquez que vous auriez accompli une année de scolarité et que vous n’auriez pas exercé de profession en Afghanistan.

À l’appui de votre demande, vous avancez avoir quitté l’Afghanistan, alors que vous auriez été mineur, car vous auriez craint de vous faire assassiner par des membres de votre famille, à savoir votre oncle paternel et ses deux fils - tous les trois Taliban - puisqu’ils seraient devenus vos « ennemis » (p.8/14 de votre rapport d’entretien) depuis un différend familial lié à un conflit d’héritage.

Dans ce contexte, vous indiquez que votre oncle paternel, (B), aurait été un commandant Taliban qui aurait eu plus de cinquante hommes sous ses ordres. Soutenu par ses deux enfants (C) 2et (D), qui seraient également des Taliban, votre oncle paternel aurait ambitionné de se saisir des terres agricoles et du bétail qui auraient été légués après succession à votre père (E). Partant, votre famille aurait été victime d’attaques « depuis que j’étais petit » (p.10/14 du rapport d’entretien) et votre père serait allé porter plainte une dizaine de fois auprès des anciennes autorités afghanes mais celles-ci auraient été inefficaces. Vous expliquez par exemple que vos cousins auraient lancé une grenade sur votre domicile familial dont l’impact aurait blessé votre mère. Votre oncle maternel, (F), aurait emmené celle-ci à l’hôpital où elle serait restée trois jours et il serait allé porter plainte auprès des anciennes autorités afghanes tout en veillant sur une partie de votre fratrie. Entre-temps, pendant une semaine, vous seriez parti vous réfugier à (b) avec votre père et votre frère (G) car « on avait peur de mon oncle paternel et mes cousins » (p.7/14 du rapport d’entretien).

Pour remédier à ce différend familial, votre père et (B) se seraient rendus auprès de « barbes blanches » et d’un Imam pour signer une lettre de réconciliation. Toutefois, malgré l’assurance de votre oncle paternel pour apaiser la situation, vos deux cousins (C) et (D) n’auraient pas approuvé le contenu de cette lettre et n’auraient pas respecté les engagements.

Un mois après la signature de la lettre de réconciliation, vous vous seriez fait attaquer avec votre père en pleine rue par vos deux cousins et d’autres Taliban. Ils vous auraient blessé à la jambe droite et votre père au niveau de la tête en vous frappant avec les crosses de leur arme à feu. (C) aurait même été prêt à vous kidnapper mais (B) lui aurait ordonné « qu’il fallait nous laisser partir vu qu’ils avaient signé un accord » (p.8/14 du rapport d’entretien).

Le lendemain de cette attaque, vous vous seriez rendu à un poste de police à (c) avec votre oncle maternel (F) pour porter plainte contre (C) alors que votre père serait resté au domicile en raison de ses blessures. La police se serait rendu au domicile de (B) et n’aurait été en mesure d’arrêter que (D) alors que (C) et (B) auraient été introuvables. (D) aurait été emprisonné pendant trois jours avant d’être libéré et cette incarcération aurait agacé (B).

Quelques jours plus tard, vos deux cousins et d’autres Taliban auraient attaqué à nouveau votre famille en tirant sur votre domicile. Vous vous seriez enfui avec votre famille chez votre voisin où vous auriez passé la nuit. Le lendemain, vous seriez tous retournés à votre domicile mais celui-ci aurait été endommagé et certains biens auraient été volés.

Par conséquent, votre père, accompagné de votre oncle maternel, se serait réuni avec les « barbes blanches » et l’Imam à la mosquée de (d) pour leur expliquer, qu’en dépit d’avoir signé la lettre de réconciliation, (B) et ses enfants auraient continué à attaquer votre famille. Une « barbe blanche » leur aurait rapporté que (B) lui aurait expliqué au téléphone qu’il ne cesserait pas d’importuner votre famille en raison de la plainte qui aurait été déposée contre l’un de ses fils.

Il en découle que vous vous seriez enfermé avec votre famille par mesure de sécurité dans votre domicile en limitant au maximum vos déplacements à l’extérieur alors que vos cousins auraient continué à vous intimider.

3Par conséquent, suite à cette insécurité continue car « le but de mon oncle était de nous tuer » (p.10/14 du rapport d’entretien), vous auriez quitté votre pays d’origine avec votre frère en mai-juin 2021. Votre père aurait fait de même il y a environ « 2 mois » (p.10 du rapport d’entretien) selon vos dires en date du 1er mars 2022, respectivement donc durant le mois de janvier 2022, après qu’il aurait déménagé à (b) à la suite de la prise de pouvoir des Taliban.

À l’appui de votre demande de protection internationale vous avez uniquement versé le 18 mars 2021 une photographie d’une cicatrice située vraisemblablement sur votre jambe; une blessure qui vous aurait été infligée par un de vos cousins paternels.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement en cause, il y a lieu de relever qu’il se dégage de la lecture de votre entretien, une série d’éléments pour le moins incohérents et manifestement non plausibles qui impactent votre crédibilité.

Premièrement, il y a lieu de noter que vous ne versez aucune pièce d’identité ou d’autres types de documents à l’appui de vos dires, en dehors d’une photographie de votre jambe cicatrisée, et qu’il ne semble à aucun moment que vous n’ayez eu le réflexe ou l’envie depuis votre séjour en Europe de vous procurer une quelconque preuve qui permettrait d’appuyer vos dires.

Or, il convient de noter qu’on peut attendre d’un demandeur de protection internationale réellement persécuté respectivement à risque de subir des atteintes graves, qu’il mette tout en œuvre pour prouver ses dires auprès des autorités desquelles il demande une protection, ce qui n’a manifestement pas été votre cas, de sorte que l’ensemble de vos déclarations reste au stade de pures allégations.

En effet, vous êtes visiblement resté passif et vous n’avez entamé aucune démarche dans ce sens malgré le fait que l’agent en charge de l’entretien vous a indiqué qu’il serait dans votre intérêt de verser une série de preuves, respectivement une copie des dépôts de plainte, une copie de la lettre de réconciliation ou encore une photographie de votre oncle paternel, et ce d’autant plus que votre mère, frère et oncle maternel vivraient encore à (a), respectivement votre province d’origine, et que votre père y aurait encore vécu jusqu’en janvier 2022.

Vous auriez par exemple pu remettre des preuves relatives aux dépôts de plainte alors que vous prétendez que votre père se serait rendu à une dizaine de reprises auprès des anciennes autorités afghanes et que vous-même, accompagné de votre oncle maternel, vous vous seriez rendu une fois au poste de police à (c). Quand bien même « ce n’est obligatoire » (p.9/14 du rapport d’entretien) pour les anciennes autorités afghanes de remettre une copie d’un dépôt de plainte, vous auriez très raisonnablement pu entreprendre les démarches administratives nécessaires pour en obtenir avant même votre départ d’Afghanistan.

Vous auriez également très bien pu remettre une copie de la lettre de réconciliation qui aurait été signée par votre père et votre oncle paternel mais malgré le fait d’avoir affirmé que « je vais voir » (p.8/14 du rapport d’entretien), force est de constater que vous n’en avez jamais remis 4une. Il en est de même pour une photographie de votre oncle paternel alors que vous vous étiez engagé à « voir si j’arrive à trouver quelque chose » (p.6/14 du rapport d’entretien).

En ce qui concerne la possession d’une carte d’identité ou d’un passeport, vous affirmez que vous n’auriez « jamais eu de passeport ou de carte d’identité » et que pour effectuer vos démarches administratives vous n’en auriez « jamais eu besoin » (p.2/14 du rapport d’entretien).

Or, il convient de s’interroger sur l’authenticité de ces dires alors que vous auriez accompli une année de scolarité et qu’il ressort d’un rapport du « Norwegian Refugee Council » qu’il est nécessaire d’avoir une tazkira pour s’enregistrer dans un établissement scolaire en Afghanistan :

« The tazkera is the primary Afghan personal identification document and is necessary to receive a variety of government services (e.g. education), employment in the government and large parts of the private sector » et « Tazkera and birth certificates are viewed as important for education (…) Qualitative data confirmed that respondents were generally asked for tazkera when registering children for school ». Ce constat est d’ailleurs confirmé par le rapport du « Refugee Council of Australia » qui mentionne que « Tazkera remains the primary identity document in Afghanistan, which is required for obtaining other documents such as passport or marriage certificate and when one decides to open a bank account and attend schools or other education institutions ».

À cet égard, il appert que vous auriez autrement très bien pu remettre une photocopie de la carte d’identité de l’un de vos parents, alors qu’il parait indéniable au vue des informations précitées que ceux-ci auraient dû obligatoirement en détenir une pour se marier, dans le but de confirmer au minimum une partie de vos dires.

Par rapport à la photographie de votre jambe cicatrisée, celle-ci ne permet nullement de prouver que la cicatrice aurait découlé des violences commises par l’un de vos cousins alors que vous auriez pu vous faire une telle blessure dans d’autres circonstances.

Deuxièmement, force est de constater que votre comportement adopté depuis votre arrivée en Europe met en doute la gravité de votre situation. En effet, il y a lieu de rappeler que vous auriez traversé un grand nombre d’Etats membres de l’Union européenne avant de rejoindre le Luxembourg, tel que la Grèce, la Croatie, la Slovénie, l’Italie ou la France, et que vous n’avez pas recherché une forme quelconque de protection dans ces pays sûrs rencontrés et que cette idée ne vous est venue qu’après votre arrivée au Luxembourg. Par ailleurs, vous reconnaissez avoir été au Luxembourg pendant « 3,4 oder 5 Monaten » (p.2/2 du rapport du Service de Police Judicaire) avant d’y introduire une demande de protection internationale.

Or, un tel comportement ne correspond clairement pas à celui d’une personne qui aurait été forcée à quitter son pays d’origine à la recherche d’une protection internationale et qui aurait été reconnaissante de se voir offrir une protection dans les pays sûrs visités. En effet, alors que l’on peut s’attendre d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves qu’elle introduise sa demande de protection dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez choisi de traverser plusieurs pays dans lesquels vous n’avez pas recherché une forme quelconque de protection et que cette idée ne vous est venue qu’après avoir vécu entre 3 et 5 mois au Luxembourg.

5Troisièmement, votre récit doit être perçu comme n’étant pas crédible alors que vous êtes dans l’incapacité de garder un déroulement chronologique inchangé de sorte qu’il est impossible de se faire une idée concrète de votre vécu.

En effet, force est de constater que vous prétendez initialement durant votre récit libre que votre famille aurait été victime d’une attaque de votre cousin qui aurait « jeté une grenade chez nous » (p.5/14 du rapport d’entretien) et qu’« Ensuite, à l’aide des barbes blanches nous avons pu nous réconcilier avec mon oncle paternel. Les barbes blanches et l’Imam avaient écrit une lettre de réconciliation » (p.5/14 du rapport d’entretien). Or, vous expliquez paradoxalement plus tardivement dans votre entretien que la lettre réconciliation aurait été signée « avant la grenade » (p.8/14 du rapport d’entretien) et qu’« il y a eu deux lettres qui ont été faites avant l’évènement de la grenade » (8/14 du rapport d’entretien). Partant, non seulement il appert que vous modifiez l’ordre chronologique des faits de sorte qu’il est impossible de savoir si l’attaque à la grenade se serait déroulée avant ou après la rédaction de la lettre de réconciliation, mais en plus vous évoquez désormais l’existence de deux lettres de réconciliation alors que jusque-là, vous ne faisiez référence qu’à une seule et unique lettre.

Par ailleurs, le même constat s’impose lorsque vous prétendez initialement durant votre récit libre qu’après la rédaction de la lettre de réconciliation, « alors que nous avions signé un accord » (p.5/14 du rapport d’entretien), vos cousins et leurs amis « ont tiré sur notre maison » (p.5/14 du rapport d’entretien), et que vous changez de nouveau radicalement le déroulement chronologique de votre récit en déclarant plus tardivement que cette attaque se serait désormais produite « avant la première lettre de réconciliation donc avant l’attaque dans la rue et avant la grenade » (p.9/14 du rapport d’entretien).

Or, Monsieur, de telles modifications au cours de votre entretien quant au déroulement chronologique des faits ne font qu’effriter la crédibilité accordée à votre récit. Il est totalement compréhensible que vous ne soyez pas en mesure de vous rappeler précisément de certaines dates, sachant que vous êtes très vague à cet égard, mais il ne saurait être justifiable que le déroulement chronologique des faits, respectivement l’ordre des évènements, soit modifié dans votre récit. Par ailleurs, si vous aviez réellement vécu de tels faits, il est raisonnable de penser que vous n’auriez pas eu à apporter de telles modifications alors que la signature de la lettre de réconciliation par votre père et votre oncle paternel représente un moment clef de votre récit de sorte qu’il devrait être facile de distinguer les évènements qui se seraient passés avant ou après.

Quatrièmement, il ressort des recherches ministérielles que des informations disponibles sur les réseaux sociaux mettent à mal votre crédibilité, notamment suite à l’analyse de vos récents comptes Facebook « (A) » et « (AX) » - à noter que l’on ne saurait être dupé par le fait que vous utilisez parfois une photographie de votre frère Najibullah en guise de photo de profil pour ce compte mais que la majorité des autres photos publiées dessus vous représente et sont identiques à celles postées sur le compte « (AY) », de sorte qu’il est indéniable que vous en êtes le détenteur - ainsi que votre compte plus ancien « (AX) » que vous auriez vraisemblablement possédé lorsque vous étiez plus jeune.

Force est tout d’abord de constater que vous semblez entretenir via ces trois comptes des liens virtuels et amicaux avec un dénommé « (CX) ». Or, il s’agit là incontestablement du fils de 6votre oncle paternel, puisqu’il porte le même prénom que votre cousin paternel, partage le même nom de famille que le vôtre et vivrait selon son compte Facebook à (a), votre province d’origine, ce qui est par ailleurs conforme à vos dires dans le cadre de votre entretien ministériel (p.5/14 du rapport d’entretien).

En effet, il appert publiquement que vous vous êtes échangés réciproquement divers « likes » comme par exemple ceux que (C) a effectués sur votre publication du 27 février 2023 sur votre compte « (A) » ou encore sur celle du 11 janvier 2023 sur votre compte « (AX) ».

Inversement, avec votre compte Facebook « (A) », vous avez « liké » par exemple la publication de votre cousin paternel du 1er mai 2022 ou celle du 16 février 2021 avec votre compte récent « (AX) ». Or, sachant que (C) serait l’auteur d’actes violents commis contre vous, puisque vous évoquez que « Mon cousin, (C) m’a beaucoup frappé » (p.5/14 du rapport d’entretien), que vous auriez « déposé plainte contre (C) » (p.5/14 du rapport d’entretien), et qu’ils feraient partie de ceux qui « voulaient nous tuer parce qu’ils étaient nous (sic) ennemis » (p.9/14 du rapport d’entretien), il est aberrant de constater que vous maintenez encore des relations virtuelles avec ce dernier depuis votre départ de votre pays d’origine et que vous prenez tous les deux le soin de consulter et de « liker » réciproquement vos publications.

Par ailleurs, il appert que vous avez également tagué le compte Facebook de votre cousin (C) sur une de vos publications en date du 26 mai 2018 sur votre compte plus ancien « (AX) ».

Votre cousin paternel aurait également « liké » différentes publications sur ce compte comme par exemple celles du 7 octobre 2017 ou 9 décembre 2017 alors que vous-même, vous auriez également « liké » une de ses photos du 8 avril 2018. Par ailleurs, avec le compte plus récent, « (AX) », vous avez aussi « liké » ses publications du 27 mars 2019 et du 22 février 2018. Or, sachant que vous avez prétendu dans le cadre de votre entretien que vous auriez été attaqué « Depuis que j’étais petit » par « Mon cousin, son père avec les autres talibans » (p.10/14 du rapport d’entretien), il est consternant de constater que vous auriez tout de même fait part d’une certaine amitié avec votre cousin (C), en le postant sur une de vos publications ou en ayant mutuellement « liké » une série de vos photos, au cours de la période durant laquelle il aurait supposément commis des attaques contre vous et votre famille.

Monsieur, il appert donc que via les trois comptes que vous utilisez sur le réseau social Facebook, vous avez tenu des relations virtuelles amicales pendant plusieurs années avec votre cousin (C) au cours de la période où il aurait partiellement été responsable de votre sentiment d’insécurité en Afghanistan et encore après votre départ de votre pays d’origine. Partant, il convient d’en déduire que votre récit n’est pas crédible et il convient de remettre en doute la gravité des évènements que vous auriez vécu en Afghanistan alors qu’il parait inconcevable qu’un individu entretienne de telles relations avec l’une des personnes qui serait l’auteur d’actes violents commis contre elle et qui l’aurait poussé à quitter son pays d’origine pour introduire une demande de protection internationale à l’étranger.

Par ailleurs, vous affichez sur votre compte « (A) » une « story » s’intitulant « Brother’s » et composée de trois photos de personnes différentes. Sur ces trois photos vous avez écrit des commentaires sur chacune d’entre elles, respectivement « (H) », « … » puis « illisible brother … ». Partant, il convient d’en déduire que vous auriez éventuellement trois frères et non pas deux comme vous l’avancez dans le cadre de votre entretien et que vous auriez donc vraisemblablement 7cherché à dissimuler l’existence de votre frère dénommé Khabeer pour une quelconque raison. Si des doutes peuvent subsister quant au fait de savoir s’il s’agit réellement de l’un de votre frère, alors que le terme « brother » est parfois utilisé pour qualifier un ami proche, ceux-ci sauront être atténués par le fait que, en dehors de la ressemblance physique frappante, il détient le même nom de famille que le vôtre puisqu’il s’identifie sur Facebook sous le nom de « (G) » et informe être de (a), votre province d’origine. Autrement, il reste tout de même indéniable que celui-ci est une personne proche de vous, à qui vous accordez beaucoup d’importance.

Dans ce contexte, peu importe votre réel lien de parenté ou d’amitié, il y a lieu de soulever que celui-ci entretien également des relations virtuelles avec votre « (CX) » puisqu’il a « liké » la majorité de ses photos de profil comme celle du 31 mai 2022, du 1er mai 2022 ou du 11 mars 2022.

Il en est de même pour votre frère (G) qui dispose de plusieurs comptes Facebook, dont « (GW) », « (GX) », « (GY) » ou encore « (GZ) », et qui a également « liké » des publications de « (CX) » comme sa photo de profil du 1er mai 2022 ou celle du 21 janvier 2022. Or, sachant que dans le cadre de votre entretien, vous avez prétendu que votre (G) aurait quitté l’Afghanistan avec vous pour les mêmes motifs, il est étrange que celui-ci maintienne, tout comme vous, encore des relations avec votre cousin (C).

Cinquièmement, la découverte de vos publications sur vos comptes Facebook a permis de déterminer que vous n’avez pas joué franc-jeu avec les autorités luxembourgeoises dès l’introduction de votre demande de protection internationale.

Pour rappel, vous avez prétendu lors de l’introduction de votre demande de protection internationale en date du 28 juillet 2021 que vous ne saviez pas écrire lorsque vous étiez invité à rédiger votre fiche manuscrite. Par conséquent, celle-ci est incomplète puisqu’elle ne contient que l’indication d’un agent ministériel renseignant sur votre incapacité à écrire et vous l’avez signée avec votre empreinte digitale. Or, il est aberrant de constater que cette incapacité ne vous a visiblement pas empêché de vous inscrire sur divers réseaux sociaux et de publier des photos accompagnées de légende ou de commenter les publications d’autres personnes depuis plusieurs années, respectivement avant même le 28 juillet 2021, comme il est constatable en guise d’exemple par vos réponses aux commentaires de vos publications du 26 mai 2018 ou du 27 août 2018.

Partant, il y a lieu d’en déduire que vous avez délibérément induit en erreur les autorités luxembourgeoises dès l’introduction de votre demande de protection internationale en date du 28 juillet 2021 en prétendant donc que vous ne saviez pas écrire afin de ne pas avoir à remplir votre fiche manuscrite et de coopérer de manière transparente avec les autorités luxembourgeoises.

Sixièmement, il y a lieu de souligner qu’il est impossible de savoir à quelle date vous auriez réellement quitté l’Afghanistan alors que vous tenez des propos incohérents dans le cadre de votre entretien qui se trouvent de surcroît contredits par des informations disponibles sur votre compte Facebook.

En effet, vous prétendez dans le cadre de votre entretien en date du 1er mars 2022 que « Ça fait 7 mois que je suis au Luxembourg. Mon trajet a duré environ 2-3 mois » (p.4/14 du rapport 8d’entretien), c’est-à-dire que vous auriez quitté l’Afghanistan il y a neuf-dix mois, aux alentours du mois de mai-juin 2021. Vous le confirmez par ailleurs en déclarant que vous auriez « quitté le pays environ 2-3 mois avant la prise de pouvoir des talibans » (p.5/14 du rapport d’entretien) qui s’est produite en août 2021. Cependant, cet itinéraire est contredit par vos déclarations issues du rapport du Service de Police Judicaire en date du 28 juillet 2021 puisque vous avez déclaré que « Vor etwa 8-9 Monaten habe ich Afghanistan zusammen mit meinem Bruder nach Pakistan verlassen » (p.2/2 du rapport du Service de Police Judicaire), respectivement en octobre-novembre 2020. Donc, il s’agit là de deux dates incompatibles qui sont temporellement écartées de huit mois, de sorte qu’il est impossible de se faire une idée concrète de votre vécu au cours de cette période et de savoir à quelle date vous auriez réellement quitté votre pays d’origine.

En réalité, il ressort de votre ancien compte Facebook « (AX) » que vous auriez vraisemblablement déjà quitté l’Afghanistan depuis plus de quatre années puisque sur une de vos publications Facebook en date du 27 août 2018, vous remerciez l’un de vos amis qui commente celle-ci en écrivant « Walcom to (e) ». À cela s’ajoute que selon les informations disponibles sur ce compte, alors que vous avez publié dessus pour la dernière fois en août 2018, vous auriez vécu à Abbottabad au Pakistan, ville de résidence que vous n’avez jamais mentionnée dans le cadre de votre entretien et qui par ailleurs correspond à la même que celle inscrite sur le compte Facebook de votre éventuel frère (G).

Partant, il convient de remettre sincèrement en doute l’entièreté de votre récit alors que vous auriez vraisemblablement quitté l’Afghanistan au courant de l’année 2018, et non pas en octobre-novembre 2020 ou mai-juin 2021 - selon la version retenue de votre rapport ministériel -

de sorte qu’il vous aurait été impossible de vivre les évènements que vous mentionnez dans le cadre de vos entretiens alors que ceux-ci se seraient déroulés au cours de l’année 2020-2021.

Septièmement, en ce qui concerne la situation des membres de votre famille, vous tenez également des propos contradictoires.

Vous prétendez d’une part que « toute ma famille est concernée » (p.11/14 du rapport d’entretien) par les menaces de votre oncle paternel et de ses deux enfants, et en même temps que « les talibans ne font rien aux femmes et aux enfants » (p.10/14 du rapport d’entretien) pour tenter de donner une justification quant au fait que votre mère, votre sœur et l’un de vos frères n’auraient pas pris la fuite.

Il n’est pas non plus crédible que votre père aurait été contraint de fuir l’Afghanistan à cause des menaces et des attaques commises par votre oncle paternel qui découleraient de leur différend relatif à un conflit d’héritage puisque votre oncle paternel aurait réussi à se procurer les terres agricoles et le bétail de votre père « quand les talibans ont pris le pouvoir » (p.6/14 du rapport d’entretien). En effet, étant donné que l’objectif de votre oncle paternel aurait été atteint au cours du mois d’août 2021, il n’est pas crédible que votre père aurait quitté l’Afghanistan en janvier 2022, soit cinq mois plus tard, car votre oncle paternel aurait toujours cherché à le tuer « Pour pris (sic) les terres et la maison » (p.6/14 du rapport d’entretien). Quand bien même votre père aurait réellement quitté l’Afghanistan, et ce en janvier 2022, il est aberrant de constater qu’il aurait décidé de vivre encore autant de temps en Afghanistan, et de ne partir qu’après votre départ et celui de votre frère, alors que l’objectif de votre oncle et de vos cousins paternels auraient été 9de le tuer et « après notre père, c’était nous » (p.6/14 du rapport d’entretien). Or, on peut attendre d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée et réellement à la recherche d’une protection, qu’elle tente de quitter son pays d’origine dans les plus brefs délais. Le fait qu’il ne serait absolument rien arrivé à votre père au cours des mois ayant suivi votre départ d’Afghanistan, prouve qu’il ne risque rien en Afghanistan et qu’il n’a pas estimé être en danger.

Huitièmement, votre récit est parsemé d’autres contradictions et incohérences, moins flagrantes mais tout de même étonnantes, qui prises dans leur globalité ne font que réduire la crédibilité qui lui est accordée.

En effet, force est de constater que vous prétendez tout d’abord qu’après l’attaque à la grenade contre votre domicile familial, votre père serait allé porter plainte auprès d’un poste de police. Or, en même temps, vous avez déclaré que vous auriez directement pris la fuite vers (b) avec lui et votre frère le soir-même de l’attaque. Partant, alors qu’il paraît improbable que ces deux évènements puissent se produire en même temps, l’agent en charge de votre entretien vous confronte face à cette incohérence et vous répondez désormais que ce ne serait pas votre père qui se serait rendu au poste de police mais votre oncle maternel. Cette rectification n’emporte cependant pas conviction alors qu’il s’agit là irréfutablement d’une tentative de votre part de vous aligner sur votre récit afin de garder un semblant de crédibilité après avoir été averti de votre incohérence par l’agent ministériel.

Le même constat s’impose lorsque vous prétendez initialement qu’après l’attaque dans la rue dont vous et votre père auraient été victimes, vous auriez « amené mon père au 3ème arrondissement à (c) chez la police. Nous avons déposé plainte contre (C) » (p.5/14 du rapport d’entretien) avec votre oncle maternel, puis vous modifiez plus tardivement de version en avançant désormais que vous ne vous seriez rendu auprès des anciennes autorités afghanes qu’avec votre oncle maternel puisque votre père « était blessé » (p.8/14 du rapport d’entretien).

Dans ce contexte, il convient également de souligner que vous n’êtes pas cohérent en ce qui concerne les auteurs de cette attaque dont vous et votre père auraient été victimes. En effet, vous déclarez d’abord que vous auriez été attaqué par vos deux cousins : « Mon oncle avait accepté l’accord, mais ses enfants nous ont attaqué un mois plus tard » (p.5/14 du rapport d’entretien) puis vous changez de version en déclarant plus tardivement qu’il se serait agi de « Mon cousin et d’autres talibans » (p.8/14 du rapport d’entretien), à savoir seulement (C) et non pas lui avec son frère (D).

Puis, puisque vous avez uniquement dénoncé (C) et non (D) dans votre dépôt de plainte effectué au poste de police de (c), il n’est pas crédible que les anciennes autorités afghanes auraient alors décidé d’arrêter (D) « à la place de (C) et de mon oncle paternel » (p.9/14 du rapport d’entretien) car ces derniers « n’étaient pas à la maison » (p.8/14 du rapport d’entretien).

Nonobstant le fait que vous mentionnez désormais que votre oncle paternel aurait lui aussi potentiellement pu être arrêté alors que vous ne l’aviez nullement évoqué dans votre prétendu dépôt de plainte, il est aberrant de constater que les anciennes autorités afghanes se seraient donc ravisés sur votre cousin (D) par défaut en ayant pour unique motif qu’elles n’avaient pas été en mesure de retrouver votre autre cousin ou votre oncle paternel. Par ailleurs, il est déconcertant qu’après la libération de (D) trois jours plus tard, (C) n’aurait vraisemblablement plus été inquiété 10par une éventuelle arrestation alors qu’il aurait été l’accusé principal dans votre dépôt de plainte, tout comme il est étrange que les anciennes autorités afghanes n’auraient visiblement plus été à sa recherche.

Il y a également lieu de noter que vous dites tout et son contraire lorsque vous faites allusion à votre domicile familial. En effet, vous dites que « La maison était détruite. Tout était cassé. Ils ont volé certains biens de la maison » (p.5/14 du rapport d’entretien) après les tirs sur votre domicile. Puis vous prétendez de manière irréaliste que « La maison a été construite de terre et de paille. Les murs sont solides. Même un lance-roquette ne pouvait pas détruire complètement la maison » (p.10/14 du rapport d’entretien) pour justifier le fait qu’en dépit des attaques hebdomadaires dont vous auriez prétendument été victime au sein de votre domicile, celui-ci aurait malgré tout réussi à se maintenir.

Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous sera accordée.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de l’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 21 avril 2023 en ce que celle-ci porte refus de lui octroyer la protection subsidiaire et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 8 février 2024, le tribunal administratif reçut le recours en réformation en la forme, donna acte à Monsieur (A) qu’il renonçait à sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, déclara le recours en ce qu’il vise la décision ministérielle refusant l’octroi de la protection subsidiaire non justifié et en débouta, reçut en la forme le recours en réformation visant l’ordre de quitter le territoire, le déclara non justifié et en débouta, tout en condamnant le demandeur aux frais de l’instance.

De ce jugement, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 11 mars 2024.

A l’appui de son appel, Monsieur (A), qui déclare être de nationalité afghane, d’ethnie pachtoune et être originaire de la province de (a), soutient que ce serait à tort qu’il n’a pas obtenu le statut de protection subsidiaire.

En premier lieu, il critique le tribunal pour avoir, à l’instar du ministre, conclu à l’absence de crédibilité de son récit. Il note que le ministre se serait donné beaucoup de mal pour trouver des incohérences dans ses déclarations et rappelle, en se référant aux lignes directrices de l’UNHCR, 11qu’il y aurait lieu de tenir compte, dans le cadre de l’évaluation de la crédibilité, notamment de l’âge du demandeur de protection internationale.

En outre, le ministre se serait concentré sur des publications sur Facebook pour remettre en question notamment l’existence d’un conflit familial invoqué par lui. Il explique que le ministre ferait erreur, alors que la personne avec laquelle il serait en relation sur Facebook ne serait pas son cousin avec lequel il aurait un différend, mais un ami qui porterait le même nom que son cousin.

Il sollicite dès lors l’application du bénéfice du doute à son égard sur base de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015.

Il critique ensuite le fait qu’aucun entretien complémentaire n’aurait été organisé afin de lui permettre de prendre position sur les éléments relevés par l’agent en charge de l’entretien, alors que, selon lui, ces incohérences ou contradictions devraient être soulevées au moment de l’audition et qu’il appartiendrait au ministre de le convoquer si une incohérence surgissait lors de la phase décisionnelle.

Quant au fond, l’appelant soutient qu’il devrait obtenir le bénéfice de la protection subsidiaire en raison de son occidentalisation et de la situation sécuritaire prévalant en Afghanistan.

S’agissant de son « occidentalisation », l’appelant déclare avoir adopté un mode de vie occidental apparent, ce qui devrait être qualifié de circonstance particulière à prendre en compte dans le cadre de sa demande de protection subsidiaire. Il relève que le ministre en aurait été au courant puisqu’il aurait vérifié son profil sur les réseaux sociaux et qu’il lui aurait dès lors appartenu de procéder à de plus amples investigations à cet égard.

S’il admet que sa seule présence en Europe serait insuffisante pour établir son occidentalisation, il estime néanmoins présenter un profil à risque.

Il renvoie, dans ce contexte, à quatre arrêts du Conseil du contentieux des étrangers de Belgique (CCE) rendus en date des 12 septembre, 30 octobre (deux arrêts) et 14 novembre 2023, ayant dégagé un certain nombre de critères en vue de la détermination d’un profil à risque d’une personne originaire d’Afghanistan occidentalisée ou perçue comme telle.

A cet égard, il fait valoir qu’il se trouverait au Luxembourg depuis presque trois ans et qu’il se serait efforcé à s’intégrer en adoptant les habitudes occidentales. Il travaillerait comme serveur/aide cuisinier, parlerait le français et l’anglais, serait inscrit dans un club de fitness, sortirait dans des bars et des discothèques, fumerait et boirait de l’alcool. De surcroît, il aurait adopté une mentalité libérale en respectant l’égalité entre les hommes et les femmes. Il aurait des amis dont deux feraient partie de la communauté …. Il porterait des vêtements occidentaux, n’irait pas à la mosquée, écouterait de la musique occidentale et utiliserait les outils numériques. Il aurait également une fiancée qui ne porterait pas le voile. Partant, il soutient, en cas de retour en Afghanistan, qu’il courrait un double risque, d’une part, en raison de son occidentalisation et, d’autre part, en raison de la transgression des normes religieuses, morales et sociétales, de sorte à encourir le risque d’être accusé de blasphème et d’apostasie.

12L’appelant se réfère, à cet égard, au rapport de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (EUAA) du 23 janvier 2023,, intitulé « Country Guidance : Afghanistan : Common analysis and guidance note, Januaray 2023 », ainsi qu’à un rapport de l’OSAR du 26 mars 2021, intitulé « Afghanistan : risques au retour liés à l’occidentalisation », et soutient que son occidentalisation ne serait pas dissimulable au vu du « seuil d’occidentalisation » atteint par lui.

Au vu de ces éléments, il estime courir un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour dans son pays d’origine, de manière à devoir se voir accorder le statut de protection subsidiaire.

En ce qui concerne encore la situation sécuritaire prévalant actuellement en Afghanistan, l’appelant invoque la résurgence de l’Etat islamique (EI) depuis la prise de pouvoir des talibans, lesquels ne seraient pas en mesure de protéger les Afghans contre les attaques de l’EI.

L’appelant pointe ensuite le fait que le ministre n’aurait pas, dans sa décision, indiqué de zone sûre en Afghanistan dans laquelle il pourrait vivre en toute sécurité. En ce qui concerne sa province d’origine de (a), il indique que l’EUAA, dans son rapport précité de janvier 2023, retiendrait que cette province connaît une situation de violence aveugle, laquelle n’atteint cependant pas un niveau tel qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne court du seul fait de sa présence un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne, mais qu’il doit justifier d’éléments propres à sa situation pour pouvoir se voir octroyer une protection subsidiaire. Or, en raison de son occidentalisation qui ne serait pas dissimulable, il présenterait justement un tel risque accru.

Ainsi, le jugement entrepris serait à réformer et le statut de protection subsidiaire devrait lui être reconnu.

Le délégué du gouvernement conclut en substance au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris.

Concernant le manque de crédibilité du récit de l’appelant retenu par les premiers juges, le délégué estime que les explications fournies par l’appelant ne permettraient pas de rétablir la crédibilité de son récit. Il réfute par ailleurs l’argumentation de l’appelant selon laquelle le ministre aurait dû le convoquer une nouvelle fois à un entretien pour le confronter aux incohérences relevées dans son récit, en se prévalant de la jurisprudence de la Cour sur ce point. Il conclut finalement que l’appelant n’aurait pas droit au bénéfice du doute faute de récit crédible.

Le délégué du gouvernement déclare ensuite relever appel incident contre le jugement en ce que les premiers juges ont procédé à une analyse au fond en évaluant le risque de l’appelant de subir des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de sa prétendue occidentalisation. Il soutient, en se prévalant de diverses décisions des juridictions administratives, que les premiers juges, une fois qu’ils ont retenu le manque de crédibilité du récit, n’auraient pas dû procéder à un examen des conditions de fond de l’octroi d’une protection internationale. En cas de défaut de crédibilité du récit, seule une analyse de la situation sécuritaire du pays d’origine du demandeur de protection internationale serait possible sous l’angle de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. Par contre, il n’y aurait aucune disposition dans la loi du 18 décembre 132015 qui s’opposerait à ce que le ministre déclare non fondée une demande de protection internationale dans le cas où l’intégralité des déclarations faites par le demandeur ne sont pas crédibles.

A titre subsidiaire, s’agissant du risque allégué par l’appelant de subir des atteintes graves en raison de son occidentalisation, le délégué du gouvernement fait valoir que les pièces versées au dossier ne prouveraient pas que l’appelant aurait transgressé les normes religieuses, morales ou sociales afghanes, respectivement qu’il ne pratiquerait plus la religion musulmane ou qu’il aurait durablement adopté des attitudes occidentales de manière à provoquer une éventuelle désapprobation des talibans.

En ce qui concerne d’abord l’appel incident formulé par l’Etat dans son mémoire en réponse, celui-ci est irrecevable, dès lors qu’il émane d’une partie qui a gagné en première instance, de sorte qu’elle n’a pas intérêt à entreprendre le jugement. Cette irrecevabilité n’empêche cependant pas que la Cour tienne compte de l’argumentaire sous-tendant l’appel incident en tant que moyens de défense de la partie intimée en question.

Il convient ensuite de relever que le recours initial de l’appelant ne visait pas la décision du ministre du 21 avril 2023 portant refus de lui reconnaître le statut de réfugié, mais uniquement en ce qu’elle lui refusait l’octroi du statut de protection subsidiaire. La Cour est partant uniquement saisie du volet du refus ministériel d’octroyer à l’appelant le statut conféré par la protection subsidiaire.

Cela étant dit, les premiers juges ont correctement tracé le cadre légal applicable en l’espèce. Aux termes de l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015, peut bénéficier de la protection subsidiaire « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’octroi de la protection subsidiaire est ainsi notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international », et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les atteintes graves et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

14 Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire.

Les premiers juges ont encore dégagé à bon escient des termes de l’article 2 sub g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 que la définition y contenue vise une personne risquant de subir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin qu’elle ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.

Par ailleurs, l’octroi d’une protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Or, dans le cadre du recours en réformation dans lequel il est amené à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, le juge administratif doit fondamentalement procéder à une évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais il se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de celui-ci, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’examen du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement dans la mesure où des éléments de preuve matériels font défaut.

Le cadre légal ainsi tracé, la Cour retient en premier lieu que c’est à juste titre que le ministre et les premiers juges ont qualifié le récit de l’appelant comme n’étant pas crédible.

L’appelant, à l’appui de sa demande de protection internationale, a invoqué en substance un conflit familial successoral alors que son oncle et les deux fils de ce dernier, qui seraient tous des talibans, auraient voulu s’approprier les terres et le bétail légués à son père, en s’en prenant à lui et sa famille.

La Cour constate que la décision du ministre indique de manière exhaustive les raisons pour lesquelles ce dernier a conclu au défaut de crédibilité des faits invoquées par l’appelant. En effet, d’une part, l’appelant n’a fourni aucune preuve à l’appui de ses dires, hormis une photo d’une cicatrice sur sa jambe sans que celle-ci prouve la cause de cette blessure, ni n’a-t-il prouvé son identité et, d’autre part, son récit sur le conflit familial comporte des incohérences chronologiques notamment au niveau de la lettre de réconciliation. En outre, le ministre a relevé dans le récit de l’appelant des incohérences au niveau de la date de son départ d’Afghanistan, dès lors que s’il a 15affirmé être parti au début de l’année 2021, il se dégage également de ses déclarations des indices d’un départ en octobre/novembre 2020, voire même déjà en 2018. Quant aux recherches faites par le ministre sur Facebook, il convient de relever que les éléments y découverts par le ministre contredisent la version des faits présentée par l’appelant liée au conflit avec son oncle et ses cousins. S’y ajoute que l’appelant a traversé de nombreux pays, et notamment l’Italie et la France, sans y demander l’asile et qu’il a déclaré être resté au Luxembourg durant 3 à 5 mois avant d’introduire sa demande de protection internationale, un tel comportement n’étant pas compatible avec une personne se disant persécutée.

La Cour rejoint ainsi tant les premiers juges que le ministre en leur constat que ces incohérences et contradictions sont de nature à ébranler la crédibilité du récit de l’appelant dans son ensemble, sans que les explications fournies par l’appelant en instance d’appel ne permettent de remettre en cause ce constat. En effet, l’explication avancée par l’appelant selon laquelle son ami sur Facebook aurait le même nom que son cousin taliban avec lequel il serait en conflit et qui serait également originaire de (a) n’est guère convaincante. Par ailleurs, l’appelant n’apporte aucun éclairage sur les incohérences chronologiques relevées ou sur le défaut de se procurer des pièces probantes. La seule explication avancée en cause tenant à son jeune âge n’est pas de nature à expliquer ces incohérences.

Dans ce contexte, la critique de l’appelant selon laquelle aucun entretien complémentaire n’aurait eu lieu afin de lui permettre de s’expliquer au sujet des incohérences ainsi relevées dans ses déclarations, ne saurait valoir. En effet, aucune disposition de la loi n’oblige le ministre à convoquer à nouveau le demandeur de protection internationale s’il estime que le récit de ce dernier n’est pas crédible. L’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 prévoit certes la possibilité de fournir des explications sur des éléments manquants ou sur des incohérences ou des contradictions dans les déclarations du demandeur de protection internationale, mais cette possibilité est à entrevoir dans le contexte de l’entretien lui-même et s’applique au demandeur qui a ainsi la faculté de compléter voire de préciser ses déclarations. Cette disposition ne prévoit toutefois pas, contrairement à ce que semble suggérer l’appelant, une obligation dans le chef du ministre de demander des clarifications au demandeur de protection internationale dans le cadre d’un entretien complémentaire. En outre, le paragraphe (3) dudit article 15 prévoit que : « Le demandeur est invité à confirmer que le contenu du rapport reflète correctement l’entretien », ce qui a été le cas en l’espèce.

Quant à l’application du bénéfice du doute encore sollicitée par l’appelant, dans la mesure où la crédibilité générale de son récit n’a pas pu être établie, il n’y a pas lieu de lui accorder le bénéfice du doute, les conditions de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, et notamment de son point e) n’étant pas remplies en l’espèce.

Au vu de ces constatations, la Cour est amenée à retenir que le récit de l’appelant, par rapport à son prétendu vécu en Afghanistan, n’est pas crédible dans sa globalité.

En deuxième lieu, s’agissant de la crainte de l’appelant d’être exposé à des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 de la part des talibans, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de sa prétendue occidentalisation, la Cour note que l’appelant apporte 16des éléments supplémentaires en appel à cet égard, alors que le tribunal avait écarté ce motif faute de précisions.

Dans ce contexte, la Cour ne saurait suivre l’argumentation de la partie étatique qui reproche aux premiers juges d’avoir examiné le motif de l’occidentalisation mis en avant par l’appelant, alors qu’ils venaient de conclure au défaut de crédibilité de son récit. En effet, le fait de constater le manque de crédibilité des déclarations d’un demandeur de protection internationale en rapport avec son vécu dans son pays d’origine qui l’aurait poussé à quitter ce pays, est indépendant de sa crainte, fondée ou non, de subir des persécutions ou des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d’origine, du fait d’avoir séjourné durant des années en Europe et d’avoir acquis un profil occidentalisé. Par voie de conséquence, même si le récit a été jugé non crédible, la crainte en rapport avec une prétendue occidentalisation du demandeur de protection internationale peut être prise en considération dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale.

Concernant l’occidentalisation alléguée de l’appelant, la partie étatique estime que le simple fait d’être un Afghan qui a séjourné en Europe n’est pas suffisant pour justifier l’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire et que l’appelant n’apporte pas assez d’éléments qui montreraient qu’il risquerait d’être perçu négativement par les talibans en cas de retour en Afghanistan.

La Cour note que si les sources d’information sur le traitement des Afghans de retour d’Occident sont certes limitées, il ne peut toutefois pas être affirmé de manière générale que tout Afghan qui revient d’Europe ait des craintes fondées de persécution ou coure un risque réel de subir des atteintes graves de la part des talibans.

Il se dégage du rapport précité de l’OSAR du 26 mars 2021 que « les Afghans rapatriés d’Occident sont également identifiés par des inconnus comme « occidentalisés » et sont menacés ou attaqués, car ils sont considérés comme des traîtres ou des infidèles. Le terme « qarb-zadeh » en Dari qui veut dire littéralement « occidentalisé », est utilisé pour décrire le fait de reconnaître spontanément les rapatriés par exemple au travers de l’expression verbale et des émotions, du contact visuel, de l’attitude et de la gestuelle, voire même des interactions sociales. (…) [C]es changements chez les personnes concernées ne peuvent pas être dissimulés si facilement. Il était assez troublant de constater que les rapatriés des pays occidentaux étaient immédiatement reconnaissables. (…) Plus les rapatriés ont passé du temps à l’étranger, plus il leur est difficile de dissimuler et de s’adapter aux changements de comportement et d’apparence. D’après le Danish Refugee Council (DRC), plus la personne est restée longtemps hors d’Afghanistan, plus elle était « éloignée » et plus elle sera soupçonnée d’être occidentalisée » (page 6 du rapport OSAR).

« D’après l’étude de Friederike Stahlmann, la violence à l’encontre des rapatriés ou de leurs familles en raison du rapatriement est non seulement prévisible, mais elle se produit dans un laps de temps très court. Comme un nombre important d’Afghans rapatriés quittent à nouveau le pays dans un court laps de temps, l’étude ne comprend que les expériences de 31 hommes qui sont restés dans le pays pendant au moins deux mois et pour lesquels des informations sont 17disponibles. D’après l’étude, sur les 31 personnes interrogées, 28 ont subi des violences.

Friederike Stahlmann a divisé les 46 incidents de violence reportés en deux catégories.

22 incidents qui concernaient 17 victimes s’expliquent par le séjour en Europe ou le statut de personne rapatriée de force. D’autre part, 24 incidents concernaient 17 victimes et auraient pu se produire même sans un séjour à l’étranger » (page 8 et 9 du rapport OSAR).

En outre, il se degage du rapport précité de l’EUAA du 23 janvier 2023, sous le titre « 3.13 Individuals perceived as « Westernised » », « Acts reported to be committed against individuals under this profile are of such severe nature that they amount to persecution (e.g. violence by family members, conservative elements in society Taliban). When the acts in question are restrictions on the exercise of certain rights of less severe nature or (solely) discriminatory measures, the individual assessment of whether they could amount to persecution should take into account the severity and/or repetitiveness of the acts or whether they occur as an accumulation of various measures.

The individual assessment of whether there is a reasonable degree of likelihood for the applicant to face persecution should take into account risk-impacting circumstances, such as the behaviour adopted by the applicant, area of origin and conservative environment, gender (the risk is higher for women), age (it may be difficult for children of certain age to (re-)adjust to Afghanistan’s social restrictions), duration of stay in a western country etc. ».

La Cour rappelle ensuite que la partie étatique ne met pas sérieusement en doute l’origine afghane de l’appelant, ni sa provenance de la province de (a). De même, il convient de relever que l’appelant a demandé l’asile au Luxembourg le 28 juillet 2021, même s’il a affirmé avoir résidé au pays déjà 3 à 5 mois auparavant, de sorte qu’il a passé au total presque trois ans au Luxembourg, ce qui correspond à une durée relativement courte. Par ailleurs, l’appelant, qui n’a produit aucune pièce d’identité, affirme être né le …, de sorte qu’il serait actuellement âgé de … ans.

L’appelant a encore produit en instance d’appel un contrat de travail comme serveur/aide cuisinier signé en juillet 2023, ainsi qu’une série de photos de soi-même, de sa prétendue fiancée et de connaissances, qui sont censées démontrer son adoption d’un style de vie occidental (tenue vestimentaire, activités sportives, sorties en discothèque, etc.). Par ailleurs, l’appelant affirme parler le français et l’anglais, avoir adopté les valeurs occidentales, être pour l’égalité des genres, s’être éloigné de la religion, fumer et boire de l’alcool et être actif sur les réseaux sociaux.

Si, à partir de ces éléments, se résumant pour la plupart à de simples allégations et à des photographies, notamment sous forme de « selfies », il semblerait que le mode de vie de l’appelant se soit occidentalisé, il convient toutefois de relever que le seul fait d’affirmer d’avoir adopté un mode de vie occidental pendant son séjour relativement court de trois ans au Luxembourg ne saurait à lui seul déboucher sur l’octroi de la protection subsidiaire, rien ne permettant de conclure dans le chef de l’appelant à une occidentalisation telle qu’il serait incapable de se réadapter aux lois et coutumes en vigueur en Afghanistan en cas de retour dans ce pays, d’autant qu’il appert avoir gardé des liens avec des membres de sa famille dans son pays d'origine via les réseaux sociaux.

18La Cour arrive partant à la conclusion que l’appelant n’établit pas dans son chef un risque réel de subir des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de sa prétendue occidentalisation.

Enfin, en ce qui concerne l’hypothèse de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, l’appelant invoquant l’existence d’une situation de conflit armé en Afghanistan, la Cour constate qu’il se dégage du rapport précité de l’EUAA de janvier 2023 que le conflit armé qui sévit notamment dans la province de (a) dont l’appelant est originaire entraîne une situation de violence aveugle à l’égard des civils, dont l’intensité n’est toutefois pas exceptionnelle. Par ailleurs, il ressort du même rapport qu’une part significative des victimes civiles de cette violence résulte dans cette province d’attaques ciblées et que dans ce contexte un niveau élevé d’éléments individuels est requis pour justifier les besoins de protection subsidiaire. Il s’ensuit que la protection subsidiaire ne peut être accordée à un demandeur que s’il présente un risque accru d’être exposé aux conséquences de cette violence aveugle, la prétendue occidentalisation alléguée par l’appelant ne pemettant pas de retenir un tel risque accru.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon escient que les premiers juges ont conclu que l’appelant ne saurait bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire sur la base des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale.

Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le refus du statut de réfugié n’a pas été entrepris, que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de protection subsidiaire et que le refus d’octroi du statut de protection internationale – statut de réfugié et statut de protection subsidiaire- est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

En ce qui concerne le moyen fondé sur une violation du principe de non-refoulement inscrit à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, au regard de ce qui vient d’être retenu par rapport au bien-fondé des craintes de l’appelant en cas de retour dans son pays d’origine et à défaut d’autres éléments, la Cour n’entrevoit pas de risque pour celui-ci de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des actes contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme auquel ledit article 129 renvoie.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit l’appel en la forme;

19au fond, le déclare non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris du 8 février 2024;

donne acte à l’appelant de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SPIELMANN 20


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50174C
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-06-20;50174c ?

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