La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2024 | LUXEMBOURG | N°50121C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 18 juin 2024, 50121C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50121C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50121 Inscrit le 29 février 2024

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 18 juin 2024 Appel formé par Madame (A), …., contre un jugement du tribunal administratif du 24 janvier 2024 (n° 46538 du rôle) ayant statué sur son recours dirigé contre une délibération du conseil communal de la Ville de Grevenmacher et contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’am

énagement général

----------------------------------------------------------...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50121C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50121 Inscrit le 29 février 2024

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 18 juin 2024 Appel formé par Madame (A), …., contre un jugement du tribunal administratif du 24 janvier 2024 (n° 46538 du rôle) ayant statué sur son recours dirigé contre une délibération du conseil communal de la Ville de Grevenmacher et contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête d'appel inscrite sous le numéro 50121C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 29 février 2024 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES S.A., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-… …, …, rue ……, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 24 janvier 2024 (n° 46538 du rôle) à travers lequel le tribunal a déclaré recevable mais non fondé son recours en annulation dirigé contre la délibération du conseil communal de la Ville de Grevenmacher du 23 octobre 2020 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général de la Ville de Grevenmacher, ainsi que contre la décision du ministre de l’Intérieur du 18 juin 2021 approuvant la délibération prévisée du conseil communal de la Ville de Grevenmacher du 23 octobre 2020;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 29 mars 2024 par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS À LA COUR, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1470 Luxembourg, 7-11, route d’Esch, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 265322, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Stéphane SUNNEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 8 avril 2024 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH S.A., inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre 1des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue J.F. Kennedy, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 186371, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Grevenmacher, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 25 avril 2024 par Maître Georges KRIEGER, préqualifié, pour le compte de la partie appelante;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 23 mai 2024 par Maître Stéphane SUNNEN, préqualifié, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mai 2024 par Maître Christian POINT, préqualifié, au nom de l’administration communale de la Ville de Grevenmacher;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, Maître Martial BARBIAN, en remplacement de Maître Christian POINT, et Maître Stéphane SUNNEN, en remplacement de Maître Albert RODESCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2024.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Lors de sa séance publique du 4 juin 2019, le conseil communal de la Ville de Grevenmacher, ci-après le « conseil communal », fut saisi par le collège des bourgmestre et échevins de la même commune, ci-après le « collège échevinal », en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après la « loi du 19 juillet 2004 », d’un projet d’aménagement général (« PAG ») pour la Ville de Grevenmacher qu’il mit sur orbite en conséquence à travers un vote positif, de sorte que le collège échevinal put procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 2004.

Par courrier recommandé de son mandataire du 12 juillet 2019, Madame (A) fit valoir ses objections à l’encontre dudit PAG, en sa qualité de propriétaire de deux parcelles inscrites au cadastre de la commune de Grevenmacher, section ……, sous les numéros …. et ….. L’opposante critiqua le reclassement de la partie postérieure de la parcelle numéro …. et de la parcelle numéro …. en « zone de bâtiments et d’équipements publics [BEP] », ci-après « zone BEP », et sollicita leur maintien en « zone mixte urbaine [MIX-u] », ci-après « zone [MIX-u] ».

Le ministre de l’Environnement émit son avis sur le PAG en application de l’article 5 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ainsi que son avis sur le rapport sur les incidences environnementales et sur le PAG en application des dispositions de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, en date du 29 octobre 2019, tandis que la commission d’aménagement émit, quant à elle, son avis dans sa séance du 21 février 2020.

Lors de sa séance du 9 octobre 2020, le collège échevinal proposa en ce qui concerne la réclamation de Madame (A) ce qui suit :

2 « (…) Le CE propose de ne pas donner suite à la réclamation de Mme (A), ceci pour les raisons suivantes :

- Le classement des terrains en zone BEP permettra une extension future des infrastructure scolaires communales, voire le renforcement du pôle scolaire entre la Rue Sainte Catherine et le Kuschegaessel.

Quant aux remarques préalables de la réclamation, le CE confirme que les exigences de publication prévues par la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain ont été pleinement respectées et ont été mises en œuvre conformément aux délais légaux. (…) ».

Lors de sa séance publique du 23 octobre 2020, le conseil communal se rallia, en ce qui concerne les objections de Madame (A), à la proposition du collège échevinal et décida d’adopter le PAG adapté suite aux avis de la commission d’aménagement et du ministre de l’Environnement et à certaines objections.

Par courrier du 2 novembre 2020 adressé au mandataire de Madame (A), le collège échevinal informa cette dernière de l’adoption définitive par le conseil communal du projet d’aménagement général.

Par courrier de son mandataire du 13 novembre 2020, Madame (A) fit introduire auprès du ministre de l’Intérieur, ci-après le « ministre », une réclamation à l’encontre de la décision du conseil communal du 23 octobre 2020.

Par décision du 18 juin 2021, le ministre approuva la délibération du conseil communal du 23 octobre 2020 portant adoption du PAG et déclara la réclamation de Madame (A) non fondée.

Ladite décision ministérielle est libellée comme suit :

« (…) Par la présente, j’ai l’honneur de vous informer que j’approuve la délibération du conseil communal du 23 octobre 2020 portant adoption du projet de la refonte du plan d’aménagement général (dénommé ci-après « PAG ») de la Ville de Grevenmacher, présenté par les autorités communales.

La procédure d’adoption du projet d’aménagement général s’est déroulée conformément aux exigences des articles 10 et suivants de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.

La Commission d’aménagement a donné son avis sur les réclamations introduites auprès du ministre de l’Intérieur en date du 21 mai 2021.

Le conseil communal a donné son avis sur les réclamations introduites auprès du ministre de l’Intérieur en date du 26 février 2021.

Conformément à l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, j’ai fait droit à certaines objections et observations formulées par les réclamants à l’encontre du projet d’aménagement général.

3Les modifications ainsi apportées à la partie graphique sont illustrées dans la présente décision et en font partie intégrante. Les autorités communales sont tenues de me faire parvenir les plans et documents modifiés suite aux réclamations déclarées fondées par la présente décision, ainsi que le schéma directeur, pour signature.

Il est statué sur les réclamations émanant de (…) Maître Raffaëlla Ferrandino au nom et pour le compte de Madame (A) (…).

Ad réclamation (A) Premièrement, la réclamante sollicite le reclassement des parcelles cadastrales n°…. et n°…., sises à Grevenmacher, actuellement classées en « zone de bâtiments et d’équipements publics [BEP] », en « zone mixte urbaine [MIX-u] ».

A cet égard, il convient de noter que la réservation de terrains au centre des localités, tels que les parcelles en l’espèce, pour y installer ou agrandir des équipements scolaires poursuit une finalité qui est d’intérêt général. Une telle finalité est dès lors parfaitement compatible avec les objectifs définis à l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain. En effet, il importe de veiller en particulier aux centres des localités à une mixité de fonctions urbaines accrue. Ceci est d’autant plus important pour les équipements qui connaissent des fréquentations régulières de la part des administrés.

La réclamation sur ce point est dès lors non fondée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2021, Madame (A) fit introduire un recours tendant à l’annulation de la délibération du conseil communal du 23 octobre 2020 portant adoption du projet de refonte du PAG de la Ville de Grevenmacher, ainsi que contre la décision ministérielle d’approbation du PAG du 18 juin 2021.

Par jugement du 24 janvier 2024, le tribunal administratif déclara ce recours recevable mais non fondé et en débouta la demanderesse, le tout en rejetant sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais et dépens.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 29 février 2024 (n° 50121C du rôle), Madame (A) fit entreprendre le jugement précité du 24 janvier 2024 dont elle sollicite la réformation dans le sens de voir annuler tant la délibération du conseil communal que la décision ministérielle d’approbation par elle querellées.

A travers son premier moyen de réformation du jugement a quo, l’appelante invoque une motivation illégale des deux décisions querellées, ensemble un dépassement des marges d'appréciation respectives de l’autorité communale et de celle ministérielle et une violation de l'article 2 de la loi du 19 juillet 2004.

Dans ce contexte, elle estime que les motifs avancés par rapport à une extension future des infrastructures scolaires communales et un renforcement du pôle scolaire dans la localité ne sont pas en conformité avec l'intérêt général, de même que l’existence et la justesse des motifs ne seraient pas vérifiées en fait.

Selon l’appelante, la commune disposerait largement de capacités suffisantes en termes d'infrastructures scolaires à court et à moyen terme sans requérir la réserve de ses terrains, de sorte 4que le classement pointé, de même que celui des terrains avoisinants, ne serait pas nécessaire et par là, ne répondrait pas à un besoin d'intérêt général. L’appelante en veut pour preuve l'étude préparatoire réalisée.

Elle fait encore valoir qu’une concentration d'équipements scolaires au centre des localités serait susceptible d’entraîner des conséquences négatives sur la qualité de vie des résidents (risque d’augmentation de la densité de population avec des difficultés de congestion routière et de stationnement, augmentation du bruit et de la pollution dans la zone, augmentation du risque de gentrification et de ségrégation socio-économique).

Ainsi, l’optique de concentration d'équipements scolaires au centre de la localité ne serait non seulement pas conforme à l'intérêt général et à l’objectif de mixité, mais s’y opposerait même et les motifs avancés violeraient clairement l'article 2 de la loi du 19 juillet 2004 et les objectifs visés par elle.

En termes de réplique, l’appelante ajoute que la motivation avancée serait à qualifier de purement théorique, abstraite et qu’elle s’agencerait dans une logique à long terme, voire qu’elle ne serait que simplement hypothétique et non soutenue par le moindre besoin réel, de sorte que les motifs resteraient insuffisants pour justifier le reclassement opéré.

Au-delà, la jurisprudence constante requerrait la preuve de « justes motifs légaux », lesquels devraient en outre exister au moment où les actes sont pris et tel ne serait pas le cas en cause.

Or, les motifs de reclassement de ses parcelles, tels qu’avancés, ne seraient ni des justes motifs légaux du fait de leurs effets injustes au niveau de la distribution inégalitaire des ressources et de l’injustice disproportionnée corrélative au niveau de son droit de propriété, ni n’auraient-ils existé au moment de la prise des actes attaqués, ni d’ailleurs à ce jour, pour rester simplement hypothétiques, voire contredits par l’étude préparatoire.

Le second moyen de réformation soulevé par l’appelante est tiré de la violation des articles 11 (6) et 16 de la Constitution et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« CEDH »).

Sous ce rapport, l’appelante avance que depuis quatre ans sa liberté du travail agricole serait atteinte par l’effet de la transformation en rue à sens unique de la rue menant à sa ferme et l’impossibilité d’un accès avec des machines agricoles. Contrairement à son voisin, elle n’aurait pas été contactée par l'administration communale en vue de déménager sa ferme.

Au regard de ces blocages, le reclassement de ses terrains en zone BEP ne lui permettrait pas de reprendre et développer son activité. Or, cette atteinte serait tout à fait disproportionnée.

L’appelante réitère aussi son moyen d’annulation tiré de la violation de l'article 16 de la Constitution et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH reprochant aux premiers juges de l’avoir écarté à tort. En effet, même à considérer qu'une atteinte au droit de propriété soit légale en ce qu'elle poursuit un but d'intérêt général, il conviendrait de retenir une atteinte à son droit de propriété par les effets disproportionnés du reclassement de ses parcelles. Selon l’appelante, l’atteinte serait disproportionnée du fait que le projet de l'administration communale pourrait être réalisé même si les parcelles de l'appelante étaient classées dans la continuité de la 5zone [MIX-u], de même que du fait de la quasi-privation de l'usage de ses biens et partant d’une « quasi-expropriation » de fait sans la moindre compensation.

En tout cas, le reclassement de ses terrains en zone BEP permettrait à la commune d' « occuper le terrain » et d'en modifier sa destination, sans avoir indemnisé au préalable les propriétaires.

Le troisième moyen de réformation du jugement et partant d’annulation des décisions querellées est tiré de la violation du principe de proportionnalité que les premiers juges auraient rejeté à tort, au motif que le reclassement opéré ne serait en rien proportionné à l'objectif poursuivi.

« En effet, pourquoi bloquer dès à présent toute possibilité de construction/adaptation, transformation des constructions existantes par l'appelante qui est une personne privée alors que la commune n'a visiblement à ce stade aucun projet concret ou en voie de concrétisation, ni à court terme et ni à moyen terme mais seulement hypothétiquement à long terme ».

Selon l’appelante, un autre classement qu'en zone BEP n'aurait en rien empêché la commune de faire l'acquisition, à long terme, de ses terrains, soit à l'amiable, soit via une procédure d'expropriation, pour réaliser des infrastructures scolaires si le besoin s'en faisait sentir, dans 20 ou 30 ans. Cependant, le fait de la priver de l'usage de ses biens pendant tout ce temps serait clairement disproportionné.

Les parties intimées concluent en substance au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris.

La partie étatique pointe à bon escient le fait que l’ensemble des moyens développés en instance d’appel se porte et se limite en substance sur le reclassement respectivement partiel et intégral des deux parcelles cadastrales appartenant à l’appelante, de sorte que sans préjudice de l’intérêt de l’appelante à agir contre l’intégralité des deux décisions litigieuses, la Cour, en cas d’annulation à prononcer, se limiterait tout au plus auxdites parcelles sans toucher pour le surplus le restant du PAG refondu.

Ceci dit, la critique fondamentale de l’appelante à la base de son premier moyen est tirée de ce que les auteurs du PAG de Grevenmacher omettraient de justifier à suffisance le reclassement de ses terrains par des considérations légales valablement soutenues par un besoin réel.

6Il se dégage des articles 21 et 62 de la loi du 19 juillet 20043 qu’en matière d’aménagement du territoire et, plus particulièrement, en matière de modifications de PAG, les autorités communales doivent être mues par des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre politique tirées de l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d’intérêt général et dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la conservation de l’esthétique urbaine qu’au développement rationnel des agglomérations.

Quant à l’instrument du PAG, tel que défini par l’article 5 de la loi du 19 juillet 2004, il constitue l’ensemble des « prescriptions graphiques et écrites à caractère réglementaire qui se complètent réciproquement et qui couvrent l’ensemble du territoire communal qu’elles divisent en diverses zones dont elles arrêtent l’utilisation du sol », dans l’objectif bien compris tel que posé par l’article 6 prévisé de ladite loi.

Par rapport au classement litigieux en zone BEP, l’article 5 de la partie écrite du PAG dispose que : « Les zones de bâtiments et d’équipements publics sont réservées aux constructions et aménagements d’utilité publique et sont destinées à satisfaire des besoins collectifs.

Y est admis un seul logement de service d’une surface nette habitable de 140 mètres carrés au maximum, par construction ou aménagement, à l’usage du personnel dont la présence permanente est nécessaire pour assurer la direction ou la surveillance de la construction ou de l’aménagement. Ce logement est à intégrer dans le corps même des constructions. Sont également admis les logements situés dans les structures médicales ou paramédicales, les maisons de retraite, les internats, les logements pour étudiants, les logements locatifs sociaux et les logements destinés à l’accueil de demandeurs de protection internationale peuvent y être autorisés. ».

1 « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par:

(a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux;

(b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures, et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire;

(c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des énergies renouvelables;

(d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité urbanistique des localités;

(e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus;

(f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques. ».

2 « Le plan d’aménagement général a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs définis par l’article 2 de la loi. » 3 Dans sa version applicable en l’espèce, à savoir celle issue, comme valablement circonscrite par les premiers juges, des modifications opérées par la loi du 28 juillet 2011 portant modification de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain et modifiant 1.la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, 2. la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, 3. la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, 4. la loi du 19 décembre 2008 relative à l'eau.; la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire; la loi du 14 juin 2015 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004, précitée; la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus »; la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire et la loi du 18 juillet 2018 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004, précitée.

7L’analyse du premier moyen appelle en premier lieu la Cour à cerner plus spécialement la situation des terrains de l’appelante et l’étendue de leur reclassement tel qu’opéré par les auteurs du nouveau PAG de Grevenmacher en relevant que si, sous l’ancien PAG de Grevenmacher, les terrains inscrits sous les numéros cadastraux ….., d’une contenance de 9a94ca, avec un bâtiment à habitation et un bâtiment agricole, et ….., un jardin d’une contenance de 1a72ca, situés au centre de Grevenmacher, étaient classés en « zone mixte », les auteurs du nouveau PAG n’y sont revenus que pour partie en reclassant certes l’entièreté de la petite parcelle numéro ….., mais seulement la partie arrière de la parcelle numéro ….. en zone BEP, la partie avant de ladite parcelle, à savoir celle donnant sur la rue Sainte Catherine et sur laquelle se trouve implantée la maison d’habitation, représentant environ le tiers de sa surface totale, ayant été classée en zone [MIX-u], nouvelle mouture, ce classement correspondant à celui que l’appelante requiert pour l’entièreté de ses deux parcelles.

Le motif de ce reclassement, tel qu’il se dégage de la décision du conseil communal du 23 octobre 2020, a trait à la volonté affichée des auteurs du nouveau PAG de pouvoir procéder à une « extension future des infrastructures scolaires communales, voire [un] (…) renforcement du pôle scolaire entre la Rue Sainte Catherine et le Kuschegaessel » et le critère essentiel avancé est celui de la proximité notamment des terrains de l’appelante par rapport aux infrastructures et installations scolaires de la Ville de Grevenmacher.

Ceci dit, la Cour constate que les parcelles litigieuses se trouvent effectivement situées dans un îlot délimité par les rues de l’Ecole, du Centenaire, Sainte Catherine et Küchegaessel au centre de Grevenmacher et, plus particulièrement, dans les alentours proches de l’école préscolaire et d’une maison relais, d’une part, dans un rayon de +/-150 mètres de la rue de l’Ecole à Grevenmacher et ainsi des terrains d’implantation d’un ensemble de bâtiments scolaires existants, dont les écoles précoce et fondamentale, de même que le « Maacher Lycée », d’autre part, et non loin notamment de la salle de sport dudit lycée et de terrains occupés par des structures scolaires provisoires destinées à être remplacées, selon la partie communale, par une annexe du lycée ou un complexe administratif, voire une piscine, de troisième part, dont l’ensemble, bien que discontinu, forme globalement une concentration centralisée de diverses unités préscolaires et scolaires.

La Cour, à la suite des premiers juges, constate ensuite et ainsi non seulement la vérification d’un motif et d’une finalité d’utilité publics a priori rationnellement justifiables et s’inscrivant valablement dans les objectifs imposés par l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, mais elle peut aussi retracer le choix des autorités communale et étatique de mettre en réserve les terrains, spécialement ceux de l’appelante, situés dans les alentours respectivement à proximité des infrastructures scolaires existantes, à des constructions d’extension futures desdites infrastructures scolaires, afin de pouvoir répondre aux besoins futurs d’une population toujours grandissante, sans constater, au regard des éléments produits devant elle, un quelconque dépassement indu de la marge d’appréciation ni dans le chef du conseil communal ayant adopté le PAG refondu, ni dans celui du ministre ayant approuvé cette démarche, tout en rejetant la réclamation de l’appelante.

La réalité de cette volonté affichée d’extension et de concentration des infrastructures scolaires à terme et ainsi, une perspective d’utilisation concrète dans le futur se trouve concrètement sous-tendue par les différentes acquisitions de terrains d’ores et déjà réalisées par la commune dans les rues Sainte Catherine, de l’Ecole et du Centenaire tel que mis en avant par elle sans être contestée utilement, en prévision de constructions scolaires d’agrandissement ou nouvelles.

8Cette considération se trouve encore en phase avec l’étude préparatoire que la commune a fait réaliser en ce qu’elle énonce que « Die quartiersbezogene Mischnutzung soll beibehalten werden. Zur Erweiterung der schulischen Infrastrukturen soll zwischen der „Rue Ste. Catherine“ und dem „Kuschegaessel“ ein weiteres Schulgebäude hergestellt werden, an die Sporthalle an der „Rue des Caves“ ist der Anbau einer Schwimmhalle vorgesehen. In den Oberen Etagen dieses Gebäudes kann zusätzlich die öffentliche Verwaltung Platz finden », tel que l’ont pointé à bon escient les premiers juges en concluant que la motivation sous-tendant les décisions litigieuses est, contrairement aux affirmations de l’actuelle appelante, conforme aux constats faits dans le cadre de l’étude préparatoire.

Le simple fait pointé par l’appelante que la susdite étude préparatoire énonce par ailleurs l’existence prévisible de suffisamment de capacités en termes d’infrastructures scolaires à court et à moyen terme n’est pas de nature à contredire la légalité de l’objectif poursuivi, étant donné qu’il exclut une vision à plus long terme, qu’un instrument de programmation d’avenir tel que l’est un PAG peut légitimement englober, notamment pour garantir l’ensemble des futures extensions des infrastructures scolaires envisagées en vue de l’accroissement de la population, compte tenu de prévisions raisonnables afférentes encore vérifiées en l’espèce, notamment sous le spectre de la mise en balance de différents plans d’aménagements particuliers nouveaux visant la création de plusieurs centaines de logements.

Il s’ensuit que le classement critiqué en zone BEP des terrains litigieux appert non pas le fruit d’une approche simplement théorique et abstraite, mais il s’insère dans une logique visant à répondre à des besoins publics concrets d’utilisation, notamment desdits terrains, par la population existante et à venir de la Ville de Grevenmacher, ainsi que des prévisions raisonnables à plus long terme y afférentes.

Par ailleurs, le fait de privilégier une approche de concentration centrale des infrastructures scolaires plutôt que celle de leur dispersion géographique, telle que préconisée par l’appelante, apparaît quant à lui essentiellement relever d’un choix politique lequel échappe comme tel au contrôle des juridictions de l’ordre administratif saisies d’un recours en annulation. En tout cas, en l’espèce, où le choix en question repose sur une motivation légale et retraçable et non point affectée d’un dépassement de la marge d’appréciation dont disposent les autorités communale et ministérielle en la matière, les décisions querellées n’apparaissent guère critiquables sous ce rapport.

Le classement opéré se justifie dès lors et le premier moyen d’annulation des décisions querellées est à abjuger.

Concernant la première branche du second moyen de réformation du jugement a quo, tiré de la violation de l’article 11 (6) de la Constitution, dans sa teneur en vigueur au jour de la prise des décisions déférées, en raison de la prétendue atteinte à la liberté du travail agricole, les premiers juges ont dégagé à bon escient de ce que la garantie de l’exercice de travail agricole au titre de ladite disposition constitutionnelle n’est pas absolue et que des restrictions peuvent y être apportées par le pouvoir législatif, comme c’est le cas en la présente matière en vertu de la loi du 19 juillet 2004 imposant aux communes d’établir un plan d’aménagement général fixant l’affectation des zones et assurant « la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones », conférant nécessairement aux autorités communales la possibilité de limiter, voire d’exclure les activités agricoles de certaines zones de leur territoire communal.

9Au-delà, tout comme en première instance, la partie appelante ne rapporte pas la preuve de l’exercice effectif, direct ou indirect, d’une activité agricole sur les parcelles litigieuses, de même que la partie communale pointe non sans pertinence l’incohérence de l’argumentaire et des revendications de l’appelante en ce que le classement en zone [MIX-u] n’a pas été et n’est pas non plus guère compatible avec l’exercice d’une activité agricole.

Enfin, force est de constater qu’en tout état de cause, le reclassement litigieux n’a pas pour effet de remettre en cause des droits éventuellement acquis dans le chef de l’appelante.

Le moyen afférent est partant encore à écarter.

La même conclusion s’impose par rapport à la deuxième branche dudit moyen de réformation, tiré de la violation de l’article 16 de la Constitution, dans sa teneur en vigueur au jour de la prise des décisions déférées, et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH au motif d’une atteinte disproportionnée apportée par le reclassement de sa propriété en zone BEP à son droit de propriété.

En effet, à l’instar des premiers juges, il convient de constater que le classement en zone BEP n’opère aucun transfert de propriété des parcelles litigieuses de l’appelante, de même qu’il n’entrave pas les attributs du droit de propriété d’une manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation, étant donné que ledit reclassement, décidé dans un but d’utilité publique et dans l’intérêt général vérifiés et en conformité notamment avec l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, n’empêche point une urbanisation des parcelles en question lesquelles restent constructibles, de même qu’il n’affecte pas la pérennité matérielle des immeubles y implantés dans la mesure où l’appelante dispose d’un droit acquis à leur maintien.

Ainsi, sans préjudice d’une éventuelle action en dommages et intérêts devant le juge judiciaire, il n’appartient pas au juge administratif de sanctionner un reclassement intervenu en conformité avec des considérations urbanistiques poursuivant un but d’utilité publique.

Le dernier moyen de réformation du jugement entrepris soulevé par l’appelante a trait au non-respect du principe de proportionnalité en ce que le reclassement en zone BEP de ses terrains ne serait pas proportionné à l'objectif poursuivi.

Ledit moyen, qui appert, en dernière analyse, être essentiellement une critique d’un choix politique, manque encore de fondement, étant donné que comme il a été dégagé ci-avant que le reclassement des terrains de l’appelante, à l’instar de ceux voisins, en zone BEP est intervenu pour des considérations légales d’utilité et d’intérêt publics et conformément aux dispositions légales régissant l’aménagement du territoire communal, matière par essence mutable, et qu’il est parfaitement proportionné au but poursuivi, à savoir la réalisation des extensions des infrastructures scolaires voire des constructions nouvelles qui seront requises au fil de l’accroissement probable de la population.

Ledit moyen est partant encore à abjuger pour manquer de fondement.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et l’appelante est à en débouter, le jugement étant à confirmer.

Compte tenu de l’issue du litige, la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure, d’un montant de …….- €, telle que formulée par l’appelante, est à rejeter.

10Par ces motifs, la Cour administrative, statuant contradictoirement;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris;

rejette comme non justifiée la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par l’appelante;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …… …..

CAMPILL 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50121C
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-06-18;50121c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award