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25/04/2024 | LUXEMBOURG | N°49748C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 25 avril 2024, 49748C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49748C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:49748 Inscrit le 24 novembre 2023

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Audience publique du 25 avril 2024 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 17 octobre 2023 (n° 48015 du rôle) sur recours de l'association sans but lucratif (ASBL), …, contre une décision du président de la Commission de conciliation en matière de médiation

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49748C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:49748 Inscrit le 24 novembre 2023

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Audience publique du 25 avril 2024 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 17 octobre 2023 (n° 48015 du rôle) sur recours de l'association sans but lucratif (ASBL), …, contre une décision du président de la Commission de conciliation en matière de médiation

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 49748C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 24 novembre 2023 par Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY, muni à cet effet d’un mandat lui conféré par le ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse le 21 novembre 2023, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 17 octobre 2023 (n° 48015 du rôle) par lequel ledit tribunal a reçu en la forme et déclaré justifié le recours en annulation de l'association sans but lucratif (ASBL), établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d'administration en fonctions, contre la « décision », ainsi désignée, du président de la Commission de conciliation du 28 juin 2022 portant refus de déclencher la procédure de conciliation prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 portant réglementation de la grève dans les services de l’Etat et des établissements publics placés sous le contrôle direct de l’Etat et partant annulé ladite décision et renvoyé le dossier en prosécution de cause devant ledit président;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 22 décembre 2023 par Maître Maximilien LEHNEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de l'association sans but lucratif (ASBL), préqualifiée;

Vu le mémoire en réplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 16 janvier 2024;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 19 février 2024 en nom et pour compte de la partie intimée;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY et Maître Maximilien LEHNEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mars 2024;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 2 avril 2024 en nom et pour compte de la partie intimée;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2024;

Le rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH et Maître Maximilien LEHNEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 avril 2024.

Par courrier du 11 février 2022, l'association sans but lucratif (ASBL), ci-après l’« (ASBL) », ainsi que le (AB), ci-après le « (AB) », adressèrent au président de la Commission de conciliation, ci-après le « président », une demande d’ouverture d’une procédure de conciliation suite à l’échec des négociations avec le ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse, ci-après le « ministre ».

Par courriers des 23 mai et 2 juin 2022, respectivement le syndicat (CD), ci-après la « (CD) », et le ministre prirent position par rapport à cette demande de saisine de la Commission de conciliation.

Le (AB) prit position par rapport auxdites missives des 23 mai et 2 juin 2022 à travers un courrier à l’adresse du président en date du 7 juin 2022.

Par courrier du 28 juin 2022, le président informa l’(ASBL) et le (AB) de son refus de saisir la Commission de conciliation dans les termes suivants :

« (…) Vu le courrier du 11 février 2022 de l'(ASBL) et du (AB)/(EF) ;

Vu le courrier de la (CD) du 23 mai 2022 ;

Vu le courrier du 7 juin 2022 de l'(ASBL) et du (AB)/(EF) ;

Vu le courrier du Ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse du 2 juin 2022 ;

Vu le refus de la (CD) et du Ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse de désigner des représentants à la Commission de conciliation.

La loi modifiée du 16 avril 1979 portant réglementation de la grève dans les services de l'Etat et des établissements publics placés sous le contrôle direct de l'Etat (ci-après « la loi du 16 avril 1979 ») prévoit en son article 1er point 2 le principe de l'interdiction faite aux fonctionnaires et autres personnes y désignées de se mettre en grève. L'article 3 de la loi précise que le droit des personnes visées à l'article 1er de la loi du 16 avril 1979 de se mettre en grève ne prend naissance qu'après l'échec de la procédure de conciliation et de médiation prévue à l'article 2 de la loi.

L'article 2 de la loi du 16 avril 1979 prévoit que « Les litiges collectifs font l'objet d'une procédure de conciliation obligatoire devant une commission de conciliation. Au sens de la présente loi, on entend par litiges collectifs les litiges qui interviennent entre le personnel et les collectivités visées à l'article 1er et qui concernent les intérêts soit de l'ensemble du personnel ou de la majorité du personnel de ces collectivités lorsque le litige est généralisé, soit l'ensemble du personnel ou de la majorité du personnel de l'une ou de l'autre administration ou de l'un ou de l'autre sous-groupe de traitement, respectivement de l'une ou de l'autre fonction d'un métier de ce sous-groupe, lorsque le litige n'est pas généralisé, et qui ont trait aux rémunérations, au statut, aux pensions et plus généralement aux conditions de travail du personnel visé ainsi qu'à l'organisation des administrations et services de l'Etat ou des établissements publics qui en dépendent ».

Suivant le prédit article, pour que la Commission de conciliation soit valablement saisie, le litige lui soumis doit être relatif « aux rémunérations, au statut, aux pensions et plus généralement aux conditions de travail du personnel visé ainsi qu'à l'organisation des administrations et services de l'Etat ou des établissements publics qui en dépendent ».

En l'espèce, dans leur courrier daté au 11 février 2022 adressé à la Commission de conciliation, l'(ASBL) et le (AB)/(EF) déclarent saisir la Commission d'un litige collectif dans le secteur des (AS) en faveur de l'inclusion sociale. Il est indiqué à la première page de ce courrier que :

« Le litige porte pour l'essentiel sur les éléments suivants 1) le refus du ministre d'entamer des négociations avec l'(ASBL) et le (AB)/(EF) sur la réglementation des tâches du personnel éducatif et psycho-social (EPS) auprès des (AS) et de l'(BL) pour la transition pour une vie autonome (ci-après : l'(BL)) et des équipes de soutien des élèves à besoins spécifiques (ESEB).

2) le fait que le ministre a conclu un accord à ce sujet avec trois associations affiliées avec la (CD) sans même avoir invité l'(ASBL) comme représentation agrémentée du personnel auprès des (AS) et de l'(BL) et le (AB)/(EF) comme syndicat représentatif pour les secteurs de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire dans les discussions qui ont mené à la conclusion de l'accord ».

Dans la suite du courrier du 11 février 2022, ses auteurs décrivent dans une première partie la procédure qui a conduit à la signature de l'accord qui a été conclu entre le Ministre de l'Education nationale et les trois associations affiliées à la (CD). La deuxième partie a trait à l'agrément dont bénéficierait l’(ASBL) et à la représentativité de ce syndicat.

Il résulte du contenu du courrier du 11 février 2022 que tel qu'indiqué dans la présentation du litige décrit en première page, ainsi que dans la motivation subséquente, le litige dont se prévalent l'(ASBL) et le (AB)/(EF) porte sur la signature de l'accord signé entre le Ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse et les syndicats (IJ), (KL) et (MN), ainsi que sur les circonstances ayant conduit à la signature de cet accord. Ce courrier ne comporte aucune argumentation relative « aux rémunérations, au statut, aux pensions et plus généralement aux conditions de travail du personnel visé ainsi qu'à l'organisation des administrations et services de l’Etat ou des établissements publics qui en dépendent » que l'(ASBL) prétend représenter. Aucune de ces questions n'y est abordée d'une quelconque façon. Le litige dénoncé par l'(ASBL) et le (AB)/(EF) dans ce courrier ne rentre partant pas dans le champ de compétence matériel de la Commission de conciliation tel que prévu à l'article 2 de la loi du 16 avril 1979.

Le courrier du 11 février 2022 n'est dès lors pas de nature à déclencher la procédure prévue aux articles 1er et suivants du règlement grand-ducal du 30 septembre 2015 fixant la procédure de conciliation et de médiation. Aucune convocation des membres de la Commission de conciliation au sens de l'article 2 point 1 alinéa 2 du prédit règlement ne doit partant intervenir. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2022, l’(ASBL) fit introduire un recours tendant à l’annulation de cette décision du président du 28 juin 2022 en ce qu’elle porte refus de déclencher la procédure de conciliation prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 portant réglementation de la grève dans les services de l’Etat et des établissements publics placés sous le contrôle direct de l’Etat, ci-après la « loi du 16 avril 1979 ».

Par jugement du 17 octobre 2023, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme, au fond, le déclara justifié et annula la décision du président du 28 juin 2022 et lui renvoya le dossier en prosécution de cause, le tout en rejetant la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie demanderesse et en condamnant l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

En substance, les premiers juges considérèrent qu’en examinant et se prononçant sur la recevabilité d’une demande de saisine de la Commission de conciliation, son président se serait arrogé des prérogatives relevant de la seule compétence de ladite commission.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 24 novembre 2023, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a relevé appel de ce jugement du tribunal administratif du 17 octobre 2023.

La partie intimée (ASBL) fait de prime abord valoir que le 25 octobre 2023 la Commission de conciliation lui aurait adressé, de même qu’au (AB), un courrier à travers lequel elle les aurait informés de ce qu’elle entendait « exécuter ledit jugement en invitant les syndicats à l'informer s'ils maintiennent leur requête ».

Or, ce faisant l’Etat aurait forcément accepté le jugement du 17 octobre 2023, de sorte à ne plus être admissible à l'appeler par la suite.

Sur ce, elle demande à la Cour de déclarer l’appel étatique irrecevable « du chef d'acquiescement ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen en faisant valoir que le courrier en question, notamment pour des raisons de compétence, ne saurait être considéré comme valant acceptation par l’Etat du jugement entrepris.

La Cour constate que le courrier pointé du 25 octobre 2023, adressé au (AB) et à l'(ASBL), figure sur papier entête de la Commission de conciliation et porte la signature de son secrétaire, déclarant agir en remplacement de sa présidente, et qu’il est libellé comme suit :

« Madame la Présidente, Monsieur le Président, Suite au jugement du Tribunal administratif du 17 octobre 2023, annulant la décision du Président de la Commission de conciliation du 28 juin 2022, le dossier a été retransmis à la Commission autrement composée.

Vous êtes priés de bien vouloir informer la Commission si vous entendez maintenir la requête du 11 février 2022 avec les pièces en annexe visant à engager une procédure de conciliation au sens de l'article 2.1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 portant réglementation de la grève dans les services de l'Etat et des établissements publics placés sous le contrôle direct de l'Etat.

Dans cette attente, je vous prie d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, l'assurance de ma parfaite considération.

Pour la Présidente de la Commission de conciliation s. … ».

Au-delà de ce que la teneur du courrier présidentiel du 25 octobre 2023 est en partie vague, essentiellement en ce qu’il y est question d’une retransmission du dossier à la Commission autrement composée, et appelle des interrogations au sujet de l’intention exacte de son auteur, d’une part, voire au-delà de toutes considérations de compétence du président et a fortiori du secrétaire de la Commission de conciliation pour renoncer au nom de l’Etat à l’exercice d’une voie de recours, d’autre part, la Cour est amenée à considérer que le libellé dudit courrier du 25 octobre 2023 ne permet pas d’en dégager que la partie étatique ait entendu accepter ledit jugement et renoncerait, directement ou indirectement, à l’introduction d’un appel à son encontre, le contraire se dégageant en tout cas de la décision d’interjeter appel à l’encontre du jugement a quo telle qu’elle a été avalisée, sur proposition du ministre, par le gouvernement en conseil en date du 20 novembre 2023.

L’appel, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est partant recevable.

Ceci dit, lors de l’audience des plaidoiries du 12 mars 2024, la Cour a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours en annulation soumis par la demanderesse initiale au juge administratif et de la compétence de celui-ci pour en connaître par rapport à la décision visée, au regard plus particulièrement de l’exigence posée par l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif en ce qu’il limite l'ouverture d'un recours devant les juridictions administratives notamment à la condition que l'acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à-dire émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés, et a invité les parties à se prononcer sur cette question qui appert éminemment préalable.

Dans sa prise de position, la partie intimée (ASBL) donne à considérer que la compétence matérielle des juridictions administratives serait subordonnée à deux conditions cumulatives, à savoir que l'acte attaqué devrait émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il devrait avoir un caractère décisionnel.

Or, ces deux conditions seraient remplies en l’espèce et les juridictions administratives seraient partant compétentes pour connaître d'un recours en annulation dirigé contre la décision prise en date du 28 juin 2022 par le président.

En effet, de par ses fonctions et sa nature organique, la Commission de conciliation constituerait une autorité gérant un service public et les premiers juges seraient à confirmer en ce qu’ils ont considéré que « dans la mesure où la commission de conciliation en question est saisie des litiges collectifs concernant le personnel de n'importe quelle commune du pays, qu'elle inclut dans sa mission les litiges impliquant le gouvernement, que la procédure de conciliation est obligatoire et que tant le président que les représentants du gouvernement et des communes sont nommés par le ministre de l'intérieur, il y a lieu de considérer ladite commission comme constituant un des organes de conciliation mis en place par l'Etat et dépendant de lui, dans l'intérêt d'éviter collectivement une grève dans le secteur concerné, de sorte que les actes posés tant par la commission que par son président relèvent en dernière analyse de la personne juridique étatique ».

Par ailleurs, selon l’intimée, le courrier du 28 juin 2022 aurait un caractère décisionnel manifeste et il serait de nature à lui faire grief en tant qu’« étape finale, pour l'(ASBL), en ce qui concerne la procédure de conciliation, voire de médiation, dans la mesure où le refus du président de transmettre la demande de saisine à la commission de conciliation, d'une part, met, à ce stade, un terme à ladite procédure, et, d'autre part, empêche l'(ASBL) de pouvoir exercer son droit de grève, droit soumis, conformément à l'article 3 de la loi du 16 avril 1979, à l'échec de la conciliation, respectivement de la médiation, stade auquel l'(ASBL) en saurait, en l'espèce aboutir faute de saisine de la commission de conciliation ».

Elle précise qu’il ne saurait être question de considérer la décision prise en date du 28 juin 2022 par le président en un simple acte de procédure intérimaire, dans la mesure où celle-ci mettrait définitivement fin à sa tentative d’entamer la procédure de conciliation et court-circuiterait l’exercice de son droit de grève.

Sur ce, l’intimée demande à la Cour de retenir que les juridictions administratives sont compétentes pour connaître de son recours en annulation dirigé contre la décision litigieuse.

Dans sa prise de position, le délégué du gouvernement soutient en substance que le législateur n'aurait doté ni la Commission de conciliation, en tant qu’organe chargé d’une procédure de conciliation touchant au droit de grève, ni son président d'un pouvoir décisionnel, de sorte que le courrier du président du 28 juin 2022 ne serait pas à qualifier de décision administrative.

La Cour constate de prime abord qu’aucune disposition légale spéciale ne confère au juge administratif le pouvoir de statuer en la présente matière pour connaître d’un recours contentieux dirigé contre une « décision » du type de celle visée par le recours contentieux initial de l’(ASBL), de sorte que la réponse à la question de la recevabilité du recours en annulation introduit par l’(ASBL) contre le courrier du président du 28 juin 2022 est tracée par l’article 2, paragraphe (1), de la loi précitée du 7 novembre 1996, prévoyant que « le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements » et qui subordonne la recevabilité d’un recours en annulation devant le juge administratif notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste.

Sous ce rapport, pour relever du contentieux administratif et du ressort du juge administratif, l’acte entrepris doit partant fondamentalement avoir un caractère décisoire et émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés.

Or, en l’espèce, la Cour constate que l’acte que la demanderesse initiale, actuelle intimée, s’est proposée et se propose de soumettre au contrôle du juge administratif consiste en la prise de position/décision du président du 28 juin 2022 et qui court-

circuiterait la saisine et le déroulement normal de la procédure de conciliation dont elle sollicitait l’ouverture.

L’acte ainsi visé apparaît en définitive constituer un incident se situant dans le cadre spécifique d’une procédure de conciliation devant la Commission de conciliation prévue par l’article 2 de la loi du 16 avril 1979 dont l’ouverture a été sollicitée par l'(ASBL) et le (AB) à la suite d’un échec de négociations avec le ministre.

Or, il est patent que la fonction de conciliateur dévolue à la Commission de conciliation dans le cadre de la procédure de conciliation et de médiation prévue par le susdit article 2 de la loi du 16 avril 1979, en vue d’éviter, moyennant le règlement d’un différend d’ordre collectif entre le personnel de l'Etat et des établissements publics placés sous le contrôle direct de l'Etat et la collectivité dont ils relèvent, sinon du moins à postposer dans la mesure du possible un recours à la grève, cessation concertée du travail, à travers un effort collectif des parties concernées à arbitrer par un magistrat de l'ordre judiciaire dans le cadre de ladite Commission de conciliation, puis par le médiateur, président ou membre délégué du Conseil d'Etat, implique, implicitement, mais nécessairement, que la Commission de conciliation n’est pas appelée à jouer, dans le cadre spécifique de ladite procédure de conciliation et de médication, le rôle d’une autorité administrative mettant en œuvre un pouvoir administratif exorbitant du droit commun (cf. Cour adm. 17 octobre 2017, numéro 39558C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Travail, n° 58; trib. adm 3 février 2003, numéro 15220 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 64).

En effet, dans le cadre particulier de pareille procédure de conciliation et de médiation, les mesures et actes susceptibles d’être pris par ladite Commission ne sont pas à qualifier de décisions administratives, dès lors que les mesures ou actes en question ne relèvent pas de la sphère du droit administratif au sens de la mise en œuvre de prérogatives de droit public et de la prise de décisions unilatérales opposables aux destinataires.

Il en est nécessairement de même du règlement des incidents qui peuvent perturber le déroulement de pareille procédure de conciliation et de médiation devant la Commission de conciliation, qu’il s’agisse d’ailleurs des incidents de procédure ou des incidents de compétence.

Or, tel est précisément la nature de la décision visée par le recours introductif de première instance en ce qu’elle consiste dans le règlement de contestations, notamment de compétence, élevées par l’Etat et la (CD) à l’encontre de la demande de saisine de la Commission de conciliation. Il s’ensuit qu’en tant que telle, la décision litigieuse ne s’analyse pas en une « décision administrative », telle que ci-avant circonscrite, susceptible d’être soumise au contrôle du juge administratif.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que, par réformation du jugement entrepris, le recours en annulation de l’(ASBL) est à déclarer irrecevable faute d’existence d’une décision administrative attaquable devant le juge administratif.

Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d'une indemnité de procédure de 3.000.- €, pour l’instance d’appel, encore sollicitée par la partie intimée est à rejeter, les conditions de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions de l’ordre administratif, auquel renvoie l’article 54 de la même loi, n’étant pas remplies.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le dit justifié;

réformant, déclare irrecevable le recours en annulation de l'association sans but lucratif (ASBL) dirigé contre le courrier du président de la Commission de conciliation du 28 juin 2022;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de la partie intimée;

condamne la partie intimée aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49748C
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-04-25;49748c ?

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