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22/02/2024 | LUXEMBOURG | N°49205C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 22 février 2024, 49205C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49205C ECLI:LU:CADM:2024:49205 Inscrit le 25 juillet 2023 Audience publique du 22 février 2024 Appel formé par la société anonyme (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 15 juin 2023 (n° 46046 du rôle) ayant statué sur son recours contre le règlement grand-ducal du 10 février 2021 rendant obligatoire le plan directeur sectoriel « logement » en matière d’aménagement du territoire Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 49205C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 2

5 juillet 2023 par la société à responsabilité limitée ELVINGER DESSOY MA...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49205C ECLI:LU:CADM:2024:49205 Inscrit le 25 juillet 2023 Audience publique du 22 février 2024 Appel formé par la société anonyme (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 15 juin 2023 (n° 46046 du rôle) ayant statué sur son recours contre le règlement grand-ducal du 10 février 2021 rendant obligatoire le plan directeur sectoriel « logement » en matière d’aménagement du territoire Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 49205C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 25 juillet 2023 par la société à responsabilité limitée ELVINGER DESSOY MARX SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège à L-1461 Luxembourg, 31, rue d’Eich, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 251584, représentée aux fins de la présente procédure d’appel par Maître Serge MARX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme (AB), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration en fonction, dirigée contre le jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 15 juin 2023 (n° 46046 du rôle) ayant déclaré recevable mais non fondé son recours en annulation du règlement grand-ducal du 10 février 2021 rendant obligatoire le plan directeur sectoriel « logement » ;

Vu la demande en prolongation du délai pour répondre présentée le 2 octobre 2023 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu l’ordonnance présidentielle du 5 octobre 2023 accordant à la partie étatique la prorogation du délai de réponse de manière à s’achever, compte tenu de la suspension légale, à la date du vendredi 3 novembre 2023 à 17.00 heures ;

1Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 3 novembre 2023 à 16.39 heures par Maître Patrick KINSCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 4 décembre 2023 par Maître Serge MARX pour compte de la société à responsabilité limitée ELVINGER DESSOY MARX SARL, au nom de l’appelante ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 4 janvier 2024 par Maître Patrick KINSCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;

Le rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maîtres Serge MARX et Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 janvier 2024.

______________________________________________________________________________

Il est constant en cause que la société anonyme (AB), ci-après « la société (AB) », est propriétaire d’une parcelle inscrite au cadastre de la commune d’Erpeldange-sur-Sûre, section A d’…, sous le numéro 22/8899.

Suite à la décision du Gouvernement en conseil en date du 27 avril 2018, le département de l’Aménagement du territoire auprès du ministère du Développement durable et des Infrastructures, ci-après « le département de l’Aménagement du territoire », transmit en date du 14 mai 2018 par voie électronique les quatre projets de plans directeurs sectoriels « Transports », « Logement », « Zones d’activités économiques » et « Paysages », ensemble avec les rapports sur les incidences environnementales (« RIE ») y relatifs, aux collèges des bourgmestre et échevins des communes territorialement concernées.

Parallèlement à cette transmission par voie électronique, le département de l’Aménagement du territoire envoya en date du 14 mai 2018 aux collèges des bourgmestre et échevins des communes territorialement concernées une lettre recommandée avec accusé de réception afin de les informer de l’envoi du projet de plan directeur sectoriel par voie électronique.

Le 28 mai 2018, le rapport sur les incidences environnementales élaboré conformément à la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, ci-après « la loi du 22 mai 2008 », fut publié sur support informatique par extrait dans quatre quotidiens publiés au Luxembourg.

Il se dégage encore du dossier administratif que le dépôt du projet de plan directeur sectoriel « Logement » à la maison communale fut publié le 28 mai 2018 par voie d’affiches apposées dans les communes de la manière usuelle ainsi que sur les sites internet respectifs des communes et du ministère du Développement durable et des Infrastructures, de sorte que le délai endéans lequel les personnes intéressées ont pu prendre connaissance des projets de plans directeur sectoriels a couru jusqu’au 27 juin 2018.

2Il est ensuite constant en cause que par courrier de son mandataire du 11 juillet 2018, soit endéans le délai de 45 jours à compter du dépôt public du projet de plan directeur sectoriel « Logement » à la maison communale, tel que fixé à l’article 2, paragraphe (4) de la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire, ci-après « la loi du 17 avril 2018 », la société (AB) présenta ses observations concernant le projet de plan directeur sectoriel « Logement » au collège des bourgmestres et échevins de la commune d’Erpeldange-sur-Sûre en ce que le projet en question prévoyait de superposer la parcelle, prévisée, lui appartenant, d’une zone prioritaire d’habitation (« ZPH »).

Le plan directeur sectoriel « Logement », ci-après désigné par le « PSL », tel que rendu obligatoire par le règlement grand-ducal du 10 février 2021, publié en date du 25 février 2021 au Mémorial n° 139, maintint le classement de la parcelle litigieuse en ZPH.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2021, la société (AB) a fait introduire un recours tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 10 février 2021.

Par jugement du 15 juin 2023, le tribunal déclara ce recours recevable mais non fondé et en débouta la partie demanderesse avec charge des frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel régulièrement déposée au greffe de la Cour administrative le 25 juillet 2023, la société (AB) fit entreprendre ce jugement du 15 juin 2023 dont elle sollicite la réformation dans le sens de voir déclarer son recours en annulation justifié et de voir annuler en conséquence le règlement grand-ducal critiqué du 10 février 2021 tout en proposant, pour autant que de besoin plusieurs questions préjudicielles à soumettre à la Cour constitutionnelle.

Tel que la partie étatique l’analyse à bon escient, trois questions différentes sont posées à la Cour à travers la requête d’appel de la partie appelante.

Tout d’abord est soulevée une question de légalité externe consistant dans le moyen tiré de l’irrégularité de l’évaluation environnementale stratégique, ci-après l’« EES », telle que prévue par la loi du 22 mai 2008.

Par la suite, l’appelante soulève deux moyens tirés de l’inconstitutionnalité de certains aspects de la loi du 17 avril 2018, le premier étant un moyen d’inconstitutionnalité voire l’inconventionnalité du dispositif législatif relatif aux servitudes imposées aux parcelles visées par la ZPH selon les différentes versions de la loi du 17 avril 2018, tandis que le second est tiré de l’inconstitutionnalité du droit de préemption défini par ladite loi du 17 avril 2018.

De manière plus générale, la partie étatique estime en ordre tout à fait subsidiaire, pour le cas où la Cour serait amenée à déclarer le recours initial justifié, de limiter, pour des raisons de proportionnalité, dans ce cas de figure, l’annulation à prononcer au classement du seul terrain de l’appelante à … à la base du contentieux actuellement pendant entre parties.

3En premier lieu, l’appelante reprend son moyen tiré de ce que l’EES mise en place aurait été confectionnée pour l’essentiel à un moment où la base légale du PSL, à savoir la loi du 17 avril 2018, n’aurait pas encore été concrètement en vigueur, de sorte que sa légalité serait compromise de ce fait.

Tout comme en première instance, ce moyen vise l’unique déphasage allégué entre l’élaboration de l’EES intervenue pour l’essentiel avant que la loi du 17 avril 2018 ne fut utilement en place.

Tel que les premiers juges l’ont dégagé à bon escient, le moyen ne vise point la substance de l’EES, ni une atteinte aux droits des justiciables concernant le contenu de celle-ci, mais uniquement le déphasage dans le temps allégué.

Tout d’abord, la base légale de l’EES est la loi du 22 mai 2008.

Aucune non-conformité de l’EES par rapport à cette loi de base n’a été utilement mise en avant.

La mise en place de plans sectoriels au niveau national est, tel que la réalité l’a prouvé, un procédé complexe, difficile à boucler dans le temps à courte ou moyenne échéance.

De manière substantielle, l’EES sert à dégager des renseignements utiles concernant les incidences des plans et programmes, en l’occurrence du PSL, sur l’environnement.

La mise en place d’un PSL a été projetée dès avant la promulgation de la loi du 17 avril 2018, au plus tard à partir de celle l’ayant précédée en la matière, à savoir la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire, ci-après « la loi du 30 juillet 2013 », abrogée à travers la première nommée.

S’il est vrai que la loi du 17 avril 2018 a pris la relève de la loi du 30 juillet 2013 pour des raisons de sécurité juridique et afin de mettre à l’écart les questions de constitutionnalité apparues au niveau de l’application de cette première loi en date, il n’en reste pas moins que les objectifs de celle-ci, plus particulièrement dans le cadre de la mise en place d’un PSL prévu comme tel dès l’origine, sont restés constants, sinon suffisamment en phase entre eux, pour que des études faites sous l’empire de la loi du 30 juillet 2013 restent valables, quant aux incidences sur l’environnement pertinentes, également sous l’empire de la loi du 17 avril 2018 qui, en quelque sorte, n’a pris que la relève de la première nommée.

Dans les conditions données et par confirmation du jugement dont appel, le moyen encourt le rejet.

En second lieu, l’appelante reprend ses deux moyens de première instance visant l’inconstitutionnalité sinon l’inconventionnalité de la loi du 17 avril 2018 prise plus 4particulièrement en les dispositions de ses articles 11, paragraphe 2, point 9, concernant les pourcentages de fonds réservés au logement abordable, et 25, paragraphe 1, concernant le droit de préemption d’opérateurs publics sur certains fonds soumis au PSL.

Concernant le premier volet de l’inconstitutionnalité voire de l’inconventionnalité alléguée de l’article 11, paragraphe 2, point 9, de la loi du 17 avril 2018, les premiers juges ont dégagé à bon escient et de manière non contestée par l’appelante que cet article, dans sa version originaire visée par l’appelante ne lui sera jamais applicable en raison des modifications législatives et réglementaires intervenues entre-temps et que, dès lors, la question d’inconstitutionnalité voire d’inconventionnalité soulevée, telle que proposée par l’appelante de manière réitérée par rapport au seul texte originaire, ne s’appliquera jamais à elle dans le cadre de la valorisation de son terrain et sera dès lors sans valeur concrète, de sorte que le juge administratif n’en aura pas besoin pour solutionner le litige lui actuellement soumis.

En appel, la partie appelante réitère qu’elle veut voir soumettre à la Cour constitutionnelle la question d’inconstitutionnalité, voire d’inconventionnalité de l’article 11, paragraphe 2, point 9, dans sa version applicable à sa situation au moment du dépôt de son recours de première instance à la date du 11 mai 2021.

Il résulte de l’analyse minutieuse des premiers juges que l’article 11, paragraphe 2, point 9, de la loi du 17 avril 2018 a été modifié par la loi du 30 juillet 2021 relative à un pacte logement 2.0 dont l’application dans le temps est conditionnée par une disposition transitoire particulière.

Celle-ci n’est pas, tel que l’indique l’article 11, paragraphe 2, point 9 actuel, l’article 108 quinquies, alinéa 1er de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après « la loi du 19 juillet 2004 », mais bien l’article 14 de la même loi du 30 juillet 2021. La partie appelante ne conteste pas autrement cette coquille dans la loi, admise comme telle également par la partie étatique.

L’article 14 de la loi du 30 juillet 2021, intitulé « dispositions transitoires », dispose comme suit : « l’article 29, paragraphe 2, alinéa 4, de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain est abrogé. Il continue à s’appliquer au plan d’aménagement particulier (nouveau quartier) dont la procédure d’adoption est entamée au plus tard dans les six mois suivant la publication de la présente loi. Cette disposition s’applique également à la modification de ces plans d’aménagement particuliers « nouveau quartier ».

L’article 29bis, paragraphe 2, alinéa 3, de la loi précitée du 18 juillet 2004 s’applique au plan d’aménagement général dont la procédure de modification est entamée six mois après la publication de la présente loi ».

Tel que le tribunal l’a dégagé à bon escient, la date - butoir se situe à six mois suivant publication de la loi du 30 juillet 2021, intervenue le 18 août 2021, et est partant le 18 février 2022.

5Il est constant en cause, d’après les informations fournies par les parties de manière non contestée, qu’aucun PAP NQ visant le terrain de l’appelante inclus par le PSL dans une ZPH, n’a vu sa procédure d’élaboration entamée avant le 18 février 2022. Aucune modification ponctuelle afférente du PAG de la commune d’Erpeldange-sur-Sûre n’a non plus été vérifiée comme ayant été entamée avant le 18 février 2022.

Il résulte de ces constatations utilement faites déjà par les premiers juges que l’article 11, paragraphe 2, point 9, de la loi du 17 avril 2018, dont l’inconstitutionnalité voire l’inconventionnalité est invoquée par l’appelante, ne s’appliquera jamais à elle dans sa version initiale seule par elle visée.

Ce sera bien l’article 11, paragraphe 2, point 9, issu de la modification du 30 juillet 2021 qui, sauf modification itérative, sera la disposition de nature à s’appliquer à la situation de l’appelante concernant l’urbanisation de son terrain prévisé.

Dès lors, la question d’anti-constitutionnalité voire de non-conventionnalité de l’article 11, paragraphe 2, point 9, de la loi du 30 juillet 2021 se rapportant uniquement à son texte originaire revêt un caractère essentiellement théorique et abstrait, de sorte qu’il convient de retenir que cette question n’est point nécessaire à la problématique de la question actuellement soumise à la Cour au sens des dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Le moyen se limitant à cette seule question, il convient de le rejeter par confirmation du jugement dont appel.

En second lieu, l’appelante invoque la non-conformité de l’article 25, paragraphe 1, de la loi du 17 avril 2018 par rapport à l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution, devenu l’article 45, paragraphe 2 de la Constitution révisée, entrée en vigueur le 1er juillet 2023.

L’article 25 de la loi du 17 avril 2018 dispose que :

« (1) Le règlement grand-ducal rendant obligatoire un plan directeur sectoriel ou un plan d'occupation du sol peut conférer un droit de préemption au profit de l'État, des syndicats de communes en charge de la gestion d'une zone découlant d'un plan directeur sectoriel et des communes, ci-après désignés « les pouvoirs préemptant », en vue de la réalisation des objectifs de l'article 1er, paragraphes 2 et 3.

La partie écrite et la partie graphique des plans en question doivent indiquer dans une zone définie à l'échelle cadastrale, les terrains ou ensembles de terrains regroupés auxquels s'applique le droit de préemption.

(2) Le droit de préemption s’applique à toute aliénation à titre onéreux, en ce compris tout apport en société, des biens visés au paragraphe précédent. Est assimilée à l’aliénation d’un bien susvisé toute convention à titre onéreux opérant une mise à disposition et un transfert de propriété différé. (…) ».

6Il convient tout d’abord de préciser que l’appelante soumet uniquement l’alinéa 1 du paragraphe 1 de l’article 25 en question à sa demande de contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle.

De même, contrairement à sa démarche en première instance, l’appelante n’inclut plus dans sa question la demande du contrôle de conformité par rapport au principe constitutionnel de proportionnalité.

Tout comme en première instance, la question qui se pose en premier lieu à la Cour est celle de savoir si le droit de propriété, tel que visé par l’article 16 de la Constitution, devenu l’article 36 de la Constitution révisée, relève d’une matière réservée à la loi qui, dans l’affirmative, serait soumise à l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution par rapport auquel l’analyse de constitutionnalité est demandée.

Tout d’abord, l’article 16 de la Constitution ne prévoit pas une protection directe du droit de propriété. Il met en place une protection indirecte contre une expropriation en balisant cette dernière comme suit : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant une juste indemnité, dans les cas et de la manière établie par la loi ».

A la base, cet article se limite à interdire toute privation de la propriété, c’est à dire expropriation, autrement que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité en réservant à la loi de définir les cas et la manière en vue de ce faire.

A ce stade, il convient de retenir que le Constituant n’a pas érigé, par principe, toute question relative au droit de propriété comme étant réservée par la Constitution à la loi.

Il est vrai que par son arrêt 111 du 4 octobre 2013, la Cour constitutionnelle a conféré un contenu substantiel à la notion de privation du droit de propriété contenue à l’article 16 de la Constitution en retenant qu’un changement dans les attributs de la propriété, qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation au sens dudit article 16.

Par rapport à la question préjudicielle suggérée, la première question est celle de savoir si les droits de préemption prévus par l’article 25, paragraphe 1, de la loi du 17 avril 2018 opèrent dans le chef du propriétaire vendeur un changement dans les attributs de sa propriété, qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels.

Si l’exercice du droit de préemption est essentiellement invasif pour l’acheteur évincé, il n’en reste pas moins qu’en termes pécuniaires, il est essentiellement neutre par rapport au propriétaire vendeur, ce dernier touchant le même prix que celui convenu avec son acquéreur initial, que ce soit celui-là où le pouvoir préemptant qui soit finalement son contractant. De plus, le règlement de ce prix est normalement aussi bien sinon mieux garanti de la part du pouvoir préemptant, personne de droit public a priori largement solvable.

7Il est vrai que l’exercice du droit de préemption enlève au propriétaire vendeur le libre choix de son contractant, de même qu’il fait fi de toute considération d’ordre subjectif par rapport au choix de l’acquéreur initial. Ces éléments ne sont cependant pas d’une envergure telle qu’il puissent être analysés comme étant équivalents à un changement dans les attributs du droit de propriété du propriétaire vendeur qui serait à tel point substantiel qu’il prive ce droit de propriété d’un de ses aspects essentiels.

Il découle partant des considérations qui précèdent que l’exercice du droit de préemption au sens de l’article 25, paragraphe 1, de la loi du 17 avril 2018 ne relève pas d’un cas de privation de propriété tel que couvert par l’article 16 de la Constitution, même compte tenu de l’application qui en a été faite par l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle du 4 octobre 2013, et a fortiori ne rentre pas dans les catégories des matières réservées à la loi visées par l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution, considéré ensemble avec son article 16 par rapport à l’analyse à effectuer au regard du libellé de la question préjudicielle suggérée par l’appelante en instance d’appel.

En ce que ce moyen se résume également et essentiellement en la demande de soumission à la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle ainsi formulée par la partie appelante, il y a lieu, par confirmation du jugement dont appel, de déclarer également ce moyen non fondé.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, l’appel n’est justifié en aucun de ses moyens, de sorte qu’il y a lieu d’en débouter la partie appelante, par confirmation du jugement dont appel, certes partiellement pour d’autres motifs.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, le dit non justifié ;

partant, en déboute l’appelante ;

dit qu’il n’y a pas lieu de soumettre à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles telles que proposées par l’appelante ;

confirme le jugement dont appel ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

8Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 février 2024 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49205C
Date de la décision : 22/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-02-22;49205c ?

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