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11/01/2024 | LUXEMBOURG | N°11/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 11 janvier 2024, 11/24


N° 11 / 2024 du 11.01.2024 Numéro CAS-2023-00031 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, onze janvier deux mille vingt-quatre.

Composition:

Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, président, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Viviane PROBST, greffier en chef de la Cour.

Entre 1) PERSONNE1.), et son épouse 2) PERSONNE2.), les deux d

emeurant à L-ADRESSE1.), demandeurs en cassation, comparant par Maître Hervé ...

N° 11 / 2024 du 11.01.2024 Numéro CAS-2023-00031 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, onze janvier deux mille vingt-quatre.

Composition:

Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, président, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Viviane PROBST, greffier en chef de la Cour.

Entre 1) PERSONNE1.), et son épouse 2) PERSONNE2.), les deux demeurant à L-ADRESSE1.), demandeurs en cassation, comparant par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et Maître Sonja VINANDY, avocat à la Cour, demeurant professionnellement à L-3509 Dudelange, 12, rue Lentz, agissant en sa qualité de gérante de la tutelle d’PERSONNE3.), demeurant à la SOCIETE1.) », sise à L-ADRESSE2.), défenderesse en cassation, comparant par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.

Vu le jugement attaqué, numéro 2022TALCH14/00212, rendu le 21 décembre 2022 sous le numéro TAL-2022-03229 du rôle par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel ;

Vu le mémoire en cassation signifié par PERSONNE1.) et PERSONNE2.) le 13 mars 2023 à Maître Sonja VINANDY, agissant en sa qualité de gérante de la tutelle d’PERSONNE3.), déposé le 15 mars 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 8 mai 2023 par Maître Sonja VINANDY à PERSONNE1.) et à PERSONNE2.), déposé le 15 mai 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur les faits Selon le jugement attaqué, le Tribunal de paix de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait déclaré non fondé le moyen de défense par usucapion invoqué par les demandeurs en cassation, dit la demande en revendication de la défenderesse en cassation fondée et dit que la parcelle litigieuse est la propriété de la défenderesse en cassation. Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg a confirmé ce jugement.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de l’absence de réponse à conclusions valant défaut de motifs, en contravention aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après, la ), de l’article 89 de la Constitution et des articles 249 et 587 combinés du Nouveau Code de procédure civile, en ce que le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a, pour dire l’appel non fondé, retenu que :

Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que le verger des époux PERSONNE1.et2.) se trouve enclavé, de sorte qu’ils doivent nécessairement traverser le lot A pour accéder à leur propriété.

Au vu des développements qui précèdent, dont notamment l’état enclavé du verger des époux PERSONNES1.et2.) et partant le passage obligatoire par le lot A, il y a lieu de retenir que la possession de ces derniers exercée sur le lot A est à qualifier d’équivoque.

Les conditions de l’article 2229 du Code civil ne sont dès lors pas remplies.

Par conséquent, il y a lieu de confirmer le juge de première instance, quoique partiellement pour d’autres motifs, en ce qu’il a retenu que l’opposition des époux PERSONNES1.et2.) à l’action en revendication par le moyen d’être devenus propriétaires du lot A par usucapion est à déclarer non fondée et par conséquent la demande d’PERSONNE3.) en revendication du lot A fondée.

Dans ces circonstances, il n’y a lieu de procéder ni à une visite des lieux ni à une enquête. Il n’y a pas non plus lieu d’ordonner une expertise. », alors que l’article 6, paragraphe 1er, de la CEDH dispose que personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil […] », l’article 89 de la Constitution dispose que est prononcé en audience publique », et l’article 587 du Nouveau Code de procédure civile dispose que autres règles établies pour les tribunaux inférieurs sont observées en instance d’appel », son article 249 disposant lui que », que la Cour européenne des droits de l’homme a retenu que par. 1 (art. 6-1) implique notamment, à la charge du "tribunal", l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre » et qu’il oblige les tribunaux à motiver leurs décisions » (Van de Hurk c/ Pays-Bas, 19 avril 1994, requête n° 16034/90, §§ 59-61), que le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, englobe, entre autres, le droit des parties au procès à présenter les observations qu’elles estiment pertinentes pour leur affaire. La Convention ne visant pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (arrêt Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A n° 37, p. 16, § 33), ce droit ne peut passer pour effectif que si ces observations sont vraiment "entendues", c’est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi » (Dulaurans c/ France, 21 mars 2000, requête n° 34553/97, § 33), que Votre Cour retient avec constance que le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme » (voy., notamment, Cour de cassation, 6 avril 2017, arrêt n° 34/2017, n° 3787 du registre ; voy. aussi Cour de cassation fr., com., 17 mars 1965, pourvoi n° 61-

13.749), que les parties appelantes et actuelles parties demanderesses en cassation, pour prouver la possession continue et non interrompue, paisible, non équivoque et publique à titre de propriétaires de la totalité du Lot A en pleine propriété trente (30) années durant, ont invoqué et prouvé aux pages 12 et 13 de leur acte d’appel du 15 avril 2022 (pièce 27), pièces 12 à 20 à l’appui, l’existence de divers actes d’usage, de jouissance et de disposition qu’elles ont posés ouvertement, aux vu et su de tous, et en particulier de la partie intimée et actuelle partie défenderesse en cassation, voisine directe des lieux, sur le Lot A (coupe d’arbres fruitiers et plantation d’arbres décoratifs, remplacement du portail, travaux de terrassement du lot, travaux de consolidation et de réparation du chemin d’accès, et entretien de la haie, de l’herbe et de toute autre sorte de verdure sur ledit lot), que les parties appelantes et actuelles parties demanderesses en cassation ont également fait état aux pages 13 et 14 du prédit acte d’appel (pièce 27) de plusieurs attestations testimoniales confirmant que de tels actes matériels de disposition et d’usage à titre de propriétaires ont effectivement été posés dès 1961 (pièces 21 à 24), que le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a, à cet égard, relevé à la page 27 de son jugement du 21 décembre 2022 (pièce 25), préqualifié, que les parties appelantes et actuelles parties demanderesses en cassation auraient posé des actes de disposition et de transformation sur le lot A, tels la plantation d’arbres en 1963, le remplacement de l’ancien portail par le portail actuel en 1979, des travaux de terrassement ainsi que de consolidation et de réparation du chemin d’accès, tout comme l’entretien notamment des haies et de l’herbe », qu’ elles versent encore diverses attestations testimoniales afin de rapporter la preuve de la possession trentenaire dans leur chef » et, à la page 28 dudit jugement, qu’elles font valoir des actes matériels posés sur le lot A qui leur permettraient d’en devenir propriétaires par usucapion », que les parties appelantes et actuelles parties demanderesses en cassation ont encore, aux pages 11, 14 et 15 du prédit acte d’appel (pièce 27), offert de prouver la possession effective et utile de la totalité du Lot A par voie d’expertise (datation des arbres), de visite des lieux et d’enquête, que le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg s’est toutefois borné à (p.

28 de la pièce 25), en omettant d’examiner au préalable les prédits moyens, arguments et pièces des parties appelantes et actuelles parties demanderesses en cassation tendant à établir la possession effective et utile de la totalité du Lot A, lesquels requéraient pourtant réponse, que, partant, il a, en méconnaissance des textes visés au moyen, manqué de répondre aux conclusions formulées par les parties appelantes et actuelles parties demanderesses en cassation, qu’il s’ensuit que le jugement attaqué encourt la cassation de ce chef. ».

Réponse de la Cour Vu l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 89 de la Constitution tel qu’en vigueur avant le 1er juillet 2023 et les articles 249 et 587 du Nouveau Code de procédure civile.

Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.

En se déterminant par les motifs cités au moyen pour rejeter la demande des demandeurs en cassation en revendication de la propriété du Lot A, sans répondre à leurs conclusions tendant à établir la possession effective et utile de la totalité du Lot A par des actes matériels variés qui n’étaient pas limités à l’assiette d’un passage, les juges d’appel ont violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le jugement attaqué encourt la cassation.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré du défaut de base légale, au regard de l’article 2229 du Code civil, qui dispose que :

interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. », en ce que le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a, pour dire l’appel non fondé, retenu que :

PERSONNES1.et2.) se trouve enclavé, de sorte qu’ils doivent nécessairement traverser le lot A pour accéder à leur propriété.

Au vu des développements qui précèdent, dont notamment l’état enclavé du verger des époux PERSONNES1.et2.) et partant le passage obligatoire par le lot A, il y a lieu de retenir que la possession de ces derniers exercée sur le lot A est à qualifier d’équivoque.

Les conditions de l’article 2229 du Code civil ne sont dès lors pas remplies.

Par conséquent, il y a lieu de confirmer le juge de première instance, quoique partiellement pour d’autres motifs, en ce qu’il a retenu que l’opposition des époux PERSONNES1.et2.) à l’action en revendication par le moyen d’être devenus propriétaires du lot A par usucapion est à déclarer non fondée et par conséquent la demande d’PERSONNE3.) en revendication du lot A fondée.

Dans ces circonstances, il n’y a lieu de procéder ni à une visite des lieux ni à une enquête. Il n’y a pas non plus lieu d’ordonner une expertise. », alors que, les parties appelantes et actuelles parties demanderesses en cassation ont invoqué aux pages 12 et 13 de leur acte d’appel du 15 avril 2022 (pièce 27), pièces 12 à 20 à l’appui, l’existence de divers actes d’usage, de jouissance et de disposition qu’elles ont posés ouvertement, aux vu et su de tous, et en particulier de la partie intimée et actuelle partie défenderesse en cassation, voisine directe des lieux, sur le Lot A (coupe d’arbres fruitiers et plantation d’arbres décoratifs, remplacement du portail, travaux de terrassement du lot, travaux de consolidation et de réparation du chemin d’accès, et entretien de la haie, de l’herbe et de toute autre sorte de verdure sur ledit lot), que le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg s’est néanmoins borné à établir l’existence d’une servitude de passage grevant le Lot A litigieux, et qu’il n’a pas recherché pour autant, comme il était appelé à le faire en vertu de l’article 2229 précité du Code civil, si les parties appelantes et actuelles parties demanderesses en cassation avaient posé des actes de disposition sur le Lot A litigieux, à distinguer de simples actes d’usage ou encore d’actes de pure faculté et de simple tolérance, dépassant ainsi le simple exercice de la servitude de passage grevant ledit lot, de sorte à pouvoir se prévaloir d’une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire du Lot A litigieux, qu’ainsi, il a privé sa décision de base légale, qu’il s’ensuit que le jugement attaqué encourt la cassation de ce chef. ».

Réponse de la Cour Vu l’article 2229 du Code civil.

Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires à la mise en œuvre de la règle de droit.

En concluant au caractère équivoque de la possession exercée par les demandeurs en cassation sur la totalité du lot A en raison de l’état enclavé de leur verger les obligeant à traverser le lot A pour accéder à leur propriété, sans constater de fait rendant équivoques les actes matériels accomplis sur le lot A en dehors de l’assiette du passage, les juges d’appel ont privé leur décision de base légale.

Il s’ensuit que le jugement attaqué encourt la cassation.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des demandeurs en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.500 euros.

La défenderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen la Cour de cassation casse et annule le jugement attaqué, numéro 2022TALCH14/00212, rendu le 21 décembre 2022 sous le numéro TAL-2022-03229 du rôle par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière civile ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, autrement composé ;

condamne la défenderesse en cassation à payer aux demandeurs en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

rejette la demande de la défenderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la défenderesse en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Hervé HANSEN, sur ses affirmations de droit ;

ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute du jugement annulé.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Marie-Laure MEYER en présence du premier avocat général Marc HARPES et du greffier en chef Viviane PROBST.

PARQUET GENERAL Luxembourg, le 25 octobre 2023 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

________

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) et PERSONNE2.) contre Maître Sonja VINANDY agissant en sa qualité de gérante de la tutelle d’PERSONNE3.) Le pourvoi en cassation, introduit par PERSONNE1.) et PERSONNE2.) par un mémoire en cassation signifié le 13 mars 2023 à la défenderesse en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 15 mars 2023, est dirigé contre un jugement n° 2022TALCH14/00212 rendu par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel, statuant contradictoirement, en date du 21 décembre 2022 (n° TAL-2022-03229 du rôle). Ce jugement a été signifié aux demandeurs en cassation en date du 16 janvier 2023.

Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

La défenderesse en cassation Maître Sonja VINANDY, agissant ès-qualités, a signifié un mémoire en réponse le 8 mai 2023 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 15 mars 2023.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

Sur les faits et antécédents :

Le litige porte sur la propriété d’un terrain d’une contenance de 1 are et 34 centiares, désigné comme « Lot A ».

Ce Lot A était inscrit au cadastre comme faisant partie de la parcelle actuellement inscrite au cadastre sous le numéro NUMERO1.) (anciennement numéro NUMERO2.)) ayant appartenu à la défenderesse en cassation et vendue par elle en 2019.

Les demandeurs en cassation sont propriétaires de la parcelle voisine inscrite au cadastre sous le numéro NUMERO3.) (anciennement numéro NUMERO4.)), acquise par les époux PERSONNE5.et.4.), parents du demandeur en cassation, en 1961. Suite au décès de leur père PERSONNE5.), PERSONNE1.) et PERSONNE6.) sont devenus propriétaires indivis de ladite parcelle. En 2018, PERSONNE6.) a cédé ses droits indivis et les actuels demandeurs sont devenus propriétaires de la parcelle en question.

En 2017, PERSONNE5.) et ses deux fils précités ont fait convoquer deux témoins aux fins de faire constater par notaire que le Lot A formait un tout avec leur parcelle depuis l’acquisition de cette dernière en 1961 et se trouvait en possession des consorts PERSONNE1.et 6.) depuis cette date.1 Sur la base de cette déclaration de possession trentenaire, le Lot A a été inscrit au cadastre comme étant la propriété des consorts PERSONNE1.et 6.) et a été incorporée à la parcelle numéro NUMERO4.) (entre-temps devenue numéro NUMERO3.)).

Par exploit d’huissier signifié en date du 2 février 2021, Maître Sonja VINANDY, en sa qualité de gérante de la tutelle de PERSONNE3.), ancienne propriétaire de la parcelle numéro NUMERO1.) (anciennement numéro NUMERO1.)), a fait donner citation aux parties demanderesses en cassation aux fins de voir dire sa demande en revendication concernant le Lot A fondée et de voir ordonner le redressement des inscriptions cadastrales y relatives.

Par jugement rendu en date du 23 février 2022, le tribunal de paix de Luxembourg a dit fondée la demande en revendication du Lot A, a dit que le Lot A est la propriété de l’actuelle défenderesse en cassation et a ordonné le redressement de l’inscription cadastrale.

Par exploit d’huissier du 15 avril 2022, les actuelles parties demanderesses en cassation ont interjeté appel contre ce jugement.

Par jugement en date du 21 décembre 2022, le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a dit l’appel non fondé et a confirmé le jugement entrepris, a déclaré irrecevable la demande d’PERSONNE1.) et de son épouse PERSONNE2.) dite PERSONNE2.) de leur donner acte qu’ils disposent d’une servitude légale de passage sur le lot A, a déclaré non fondée la demande d’PERSONNE1.) et de son épouse PERSONNE2.) dite PERSONNE2.) en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel, a déclaré recevable et fondée la demande de Maître Sonia VINANDY, agissant en sa qualité de gérante de la tutelle d’PERSONNE3.), en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel, à concurrence du montant de 1.500.- euros, partant, a condamné PERSONNE1.) et son épouse PERSONNE2.) dite PERSONNE2.) à payer le montant de 1.500.- euros à Maître Sonia VINANDY, agissant en sa qualité de gérante de la tutelle d’PERSONNE3.), et a condamné PERSONNE1.) et son épouse PERSONNE2.) dite PERSONNE2.) aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ce jugement fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le premier moyen de cassation:

1 acte de notoriété intitulé « Déclaration de possession trentenaire du 29 mars 2017-Numéro 56.059 » Le premier moyen de cassation est tiré de violation de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne des droits de l’Homme, de l’article 89 de la Constitution et des articles 249 et 587 du Nouveau code de procédure civile, pour absence de réponse à conclusions valant défaut de motifs.

Pour s’opposer à la demande en revendication de la défenderesse en cassation, les parties demanderesses en cassation avaient présenté une demande reconventionnelle en revendication du Lot A par usucapion.

Le moyen fait grief au jugement entrepris d’avoir rejeté cette demande par les motifs suivants :

« Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que le verger des époux PERSONNES1.et2.) se trouve enclavé, de sorte qu’ils doivent nécessairement traverser le lot A pour accéder à leur propriété.

Au vu des développements qui précèdent, dont notamment l’état enclavé du verger des époux PERSONNES1.et2.) et partant le passage obligatoire par le lot A, il y a lieu de retenir que la possession de ces derniers exercée sur le lot A est à qualifier d’équivoque.

Les conditions de l’article 2229 du Code civil ne sont dès lors pas remplies.

Par conséquent, il y a lieu de confirmer le juge de première instance, quoique partiellement pour d’autres motifs, en ce qu’il a retenu que l’opposition des époux PERSONNES1.et2.) à l’action en revendication par le moyen d’être devenus propriétaires du lot A par usucapion est à déclarer non fondée et par conséquent la demande d’PERSONNE3.) en revendication du lot A fondée.

Dans ces circonstances, il n’y a lieu de procéder ni à une visite des lieux ni à une enquête.

Il n’y a pas non plus lieu d’ordonner une expertise. » Ce faisant, les juges d’appel auraient omis d’examiner les preuves et les offres de preuve soumises par les parties demanderesses en cassation tendant à établir la possession continue et non interrompue, paisible, non équivoque et publique à titre de propriétaires de la totalité du Lot A en pleine propriété pendant trente ans :

- les preuves énumérées aux pages 12 et 13 de l’acte d’appel du 15 avril 2022, pièces 12 à 20 à l’appui, établissant l’existence de divers actes d’usage, de jouissance et de disposition posés ouvertement sur le Lot A : coupe d’arbres fruitiers et plantation d’arbres décoratifs, remplacement du portail, travaux de terrassement de lot, travaux de consolidation et de réparation du chemin d’accès, et entretien de la haie, de l’herbe et de toute autre sorte de verdure sur ledit lot ;

- les attestations testimoniales invoquées aux pages 13 et 14 dudit acte d’appel faisant état d’actes matériels de disposition et d’usage à titre de propriétaires dès 1961 ;

- les offres de preuve proposées aux pages 11, 14 et 15 dudit acte d’appel aux fins de prouver la possession effective et utile de la totalité du lot A :

par expertise (datation des arbres), par visite des lieux et d’enquête.

L’arrêt entrepris a résumé ces conclusions des parties demanderesses en cassation comme suit :

«Par réformation du jugement entrepris, les époux PERSONNES1.et2.) font grief au juge de première instance de ne pas avoir fait droit à leur demande reconventionnelle en revendication du lot A par usucapion.

A l’appui de leur demande, ils font valoir la configuration des lieux, dont notamment la clôture en fil de fer, ayant déjà existé en 1961, séparant le lot A de la parcelle portant le numéro NUMERO1.) du cadastre (anciennement le numéro NUMERO2.) du cadastre) ayant appartenu à PERSONNE3.), tout comme la haie séparant le lot A de la parcelle précitée.

Par ailleurs, ils auraient posé des actes de disposition et de transformation sur le lot A, tels la plantation d’arbres en 1963, le remplacement de l’ancien portail par le portail actuel en 1979, des travaux de terrassement ainsi que de consolidation et de réparation du chemin d’accès, tout comme l’entretien notamment des haies et de l’herbe.

Ils versent encore diverses attestations testimoniales afin de rapporter la preuve de la possession trentenaire dans leur chef. » La prescription acquisitive ou usucapion répond à une double fonction. Elle est tout d’abord un mode d’acquisition de la propriété et des droits réels démembrés (servitude ou usufruit) par une possession prolongée pendant un certain délai fixé par la loi. La prescription acquisitive occupe également une fonction probatoire en ce qu’elle est un moyen commode, offert au propriétaire légitime, de prouver sa propriété.2 « La possession est l’exercice d’un droit, indépendamment de la question de savoir si celui qui l’exerce en est ou non le titulaire légitime. Elle est donc un simple fait, mais un fait juridique, puisqu’en découlent des conséquences juridiques (principalement l’acquisition du droit possédé par l’écoulement du temps). Elle se compose de deux éléments fondamentaux, le corpus (actes concrets d’exercice du droit) et l’animus (dimension psychologique exprimant la nature du droit que le possesseur entend exercer) »3.

« En matière corporelle, le corpus se caractérise généralement par le fait de saisir la chose afin d'interdire à autrui tout acte d'usage (édification d’une clôture, Cass. 3e civ., 24 sept.

2020, n° 19-15.499 ). […] De manière générale, le juge vérifie si les actes accomplis sur la chose sont ceux qu'aurait accomplis le véritable titulaire du droit possédé (sur la nécessité de constater l’existence d’actes d’exercice du droit : Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 13-22.806 : JurisData n° 2015-

001295 ). 4» 2 Jurisclasseur Encyclopédie des Huissiers de Justice V° Prescription acquisitive, Fasc. unique : prescription acquisitive, Jean-Luc Fraudin, introduction, §2 ou encore : Jurisclasseur Code civil, Synthèse, Possession et prescription acquisitive, William Dross, I. Possession, A. Notion, §2 Rôle 3 Jurisclasseur Code civil, Synthèse, Possession et prescription acquisitive, William Dross, I. Possession, A.

Notion, §1 Définition 4 ibidem, §6 Actes matériels et juridiques « D'une manière générale, on peut dire que l'élément matériel est constitué par l'accomplissement sur la chose des actes matériels qu'un propriétaire aurait lui-même normalement accomplis».5 En ce qui concerne les actes matériels accomplis sur le corpus, il faut rappeler que les parties demanderesses en cassation avaient principalement présenté à titre reconventionnel une demande en revendication d’un droit de propriété acquis par usucapion sur le Lot A. Cette demande ne tend pas aux mêmes fins qu’une demande en reconnaissance d’une servitude de passage et le corpus n’est évidemment pas le même.

Les parties demanderesses en cassation ont invoqué en instance d’appel des actes matériels de possession très variés qui n’étaient aucunement limités à l’assiette d’un passage. L’état enclavé du verger des parties demanderesses en cassation, et partant le passage obligatoire par le Lot A, peut éventuellement rendre équivoque une possession exercée sur l’assiette du passage. Cet état enclavé ne saurait toutefois rendre équivoque une possession exercée sur le Lot A dans son intégralité.

Les conclusions des parties demanderesses en cassation relatives à leur possession trentenaire exercée sur le Lot A requéraient un examen et une réponse en ce qu’elles ne concernaient pas seulement l’assiette d’un passage. Or, l’arrêt dont pourvoi ne comporte aucune motivation relative aux actes matériels dépassant l’exercice d’un droit de passage.

En déclarant non fondée la demande en revendication de la propriété du Lot A sans examiner les actes matériels posés sur le Lot A, et en limitant sa motivation au seul « passage obligatoire » découlant de l’état enclavé, l’arrêt entrepris a violé les dispositions visées au moyen.

Le premier moyen est fondé.

Subsidiairement :

Sur le deuxième moyen de cassation:

Le deuxième moyen de cassation est tiré du défaut de base légale au regard de l’article 2229 du Code civil qui dispose :

« Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. » Le défaut de base légale constitue un vice de fond qui se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit.

Tel qu’exposé dans le cadre du premier moyen, l’état enclavé du verger des parties demanderesses en cassation, et partant le passage obligatoire par le Lot A, peut seulement 5 Jurisclasseur Notarial Formulaire V°Propriété, Michel Mathieu, §20 rendre équivoque une possession exercée sur l’assiette du passage. Cet état enclavé ne saurait toutefois rendre équivoque une possession exercée sur d’autres composantes du Lot A, voire sur l’intégralité du Lot A.

En instance d’appel, les parties demanderesses en cassation ont invoqué de nombreux actes matériels de possession exercés sur le lot A (autres que l’exercice d’un droit de passage).

En concluant au caractère équivoque de la possession exercée par les parties demanderesses en cassation sans constater aucun fait rendant équivoques les actes matériels accomplis sur le Lot A en-dehors de l’assiette du passage, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Le deuxième moyen est fondé.

Au vu de la réponse à donner aux deux premiers moyens, le troisième moyen devient sans objet et ne requiert pas d’examen séparé.

Conclusion Le pourvoi est recevable.

Le premier moyen est fondé, sinon subsidiairement le deuxième moyen est fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 11/24
Date de la décision : 11/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/01/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-01-11;11.24 ?

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