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09/01/2024 | LUXEMBOURG | N°49663C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 janvier 2024, 49663C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49663C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:49663 Inscrit le 6 novembre 2023

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Audience publique du 9 janvier 2024 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2023 (n° 47179 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 49663C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 6 novembre 2023 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à …. ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49663C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:49663 Inscrit le 6 novembre 2023

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Audience publique du 9 janvier 2024 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2023 (n° 47179 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 49663C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 6 novembre 2023 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à …. (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant à L-… …, …, rue …, dirigée contre le jugement rendu le 4 octobre 2023 (n° 47179 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 février 2022 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à celle de son fils mineur et ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 6 décembre 2023;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 19 décembre 2023.

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Le 9 juillet 2019, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

1A la même date, une recherche fut effectuée dans la base de données EURODAC dont le résultat indiqua « Error » et « The following message was returned : 501 : Insufficiant fingerprint quality ».

Par courrier du même jour, Madame (A) fut convoquée par les services du ministère de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministère », à un examen médical fixé au 23 juillet 2019, auquel elle se rendit, en vue de déterminer son âge.

Par courrier du 18 juillet 2019, erronément daté du 18 juillet 2018, les services du ministère sollicitèrent un examen médical de Madame (A) au motif que ses empreintes ne pouvaient être ni recueillies, ni vérifiées par la police judiciaire, de sorte que les informations au sujet de son identité et de son voyage ne pouvaient pas être obtenues.

Il ressort d’un rapport établi par le Laboratoire National de Santé (« LNS ») du 6 août 2019 figurant au dossier administratif que (i) l’examen radiologique en vue de la détermination de l’âge de Madame (A) ne put être effectué au motif que cette dernière était tombée enceinte une semaine auparavant, (ii) aucune alternation des phalanges susceptible d’expliquer les difficultés de prises d’empreintes digitales ne fut constatée, (iii) aucune infection de la peau, aucun corps étranger, aucune cicatrice ne furent constatés, et (iii) la difficulté de prise d’empreintes digitales de Madame (A) pouvait s’expliquer par le frottement de ses doigts constaté tout au long de l’examen médical et qui révélerait un signe d’une agitation psychomotrice dans le chef de l’intéressée.

Par courrier du 14 août 2019, les services ministériels s’adressèrent au juge des tutelles délégué près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg en vue de la désignation d’un administrateur ad hoc conformément à l’article 20 de la loi du 18 décembre 2015.

Une nouvelle recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 24 juillet 2019 indiqua à nouveau « Error » et « The following message was returned : 501 :

Insufficiant fingerprint quality », tandis que celle effectuée le 5 août 2019 révéla un « No hit ».

Par ordonnance du 19 août 2019, le juge des tutelles délégué près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg constata la minorité de Madame (A) et le fait qu’elle se trouverait en dehors de la présence de ses administrateurs légaux au Grand-Duché de Luxembourg, et nomma l’actuel litismandataire de l’intéressée comme administrateur ad hoc avec la mission d’accomplir tout acte juridique pertinent au nom de cette dernière conformément aux dispositions de l’article 20 de la loi du 18 décembre 2015.

Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC le 27 novembre 2019 indiqua une nouvelle « Error », tandis que celles effectuées les 19 décembre 2019 et 10 juillet 2020 révélèrent un « No hit ».

Le 9 juillet 2020, Madame (A) introduisit encore, au nom et pour le compte de son fils mineur, né le …… au Grand-Duché de Luxembourg, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Les 4 septembre et 14 octobre 2020, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

2Un entretien complémentaire fut tenu par un agent du ministère en date du 2 juillet 2021.

Par décision du 10 février 2022, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa Madame (A) que sa demande de protection internationale, introduite en son nom personnel et au nom et pour le compte de son fils mineur, avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 9 juillet 2019 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») pour vous ainsi que pour le compte de votre enfant mineur (B), né le …… à Luxembourg, de nationalité guinéenne.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 9 juillet 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 4 septembre 2020 et 14 octobre 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, le rapport d’entretien complémentaire de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 2 juillet 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, le rapport d’entretien intitulé « Questionnaire and Guidance for family-assessment to UAM’s in Luxembourg » du 16 janvier 2021 de l’organisation internationale pour les migrations, un extrait intitulé « Droits de l’enfant » qui vous a été présenté le 12 août 2019, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Vous indiquez être née le 10 novembre 2003 à …., de nationalité guinéenne, d’ethnie Peul, de confession musulmane et avoir vécu à …. à …. en Guinée.

Quant aux évènements qui se seraient déroulés dans votre pays d’origine avant votre départ, vous expliquez qu’à la mort de votre père en janvier 2016, son frère aîné, votre oncle, aurait épousé votre mère après son deuil de quatre mois. Vous ajoutez que contrairement à votre père biologique qui aurait voulu que ses enfants choisissent leurs époux respectivement leurs épouses, votre oncle aurait donné votre demi-soeur aînée en mariage à « un vieux » (page 6 de votre rapport d’entretien) contre son gré. Vous précisez que les motivations de votre oncle pour cette décision auraient été principalement financières. Après son mariage, votre demi-soeur serait tombée enceinte. Vous précisez que dû à son excision, elle aurait perdu beaucoup de sang durant l’accouchement et en serait décédée. Vous ajoutez que l’enfant n’aurait pas survécu non plus.

Quatre mois après le décès de votre demi-soeur, votre oncle ainsi que le mari de votre défunte demi-soeur se seraient mis d’accord pour que vous la remplaciez. Vous indiquez que vous auriez été opposée à cette union au motif que votre futur époux aurait été « un vieux qui est trop âgé » (page 7 de votre rapport d’entretien).

3Le 2 juin 2019, le jour de la célébration de votre mariage, vous auriez pris la fuite et seriez partie vous réfugier chez une amie à qui vous auriez préalablement parlé de la situation dans laquelle vous vous seriez trouvée. Vous expliquez que vous auriez pensé que votre geste découragerait « ce vieux » (page 7 de votre rapport d’entretien) de vous épouser. Néanmoins, votre oncle vous aurait trouvée alors qu’il se serait souvenu que vous auriez eu cette amie et vous auriez été ramenée de force auprès de votre époux.

Vous expliquez que les premières nuits que vous auriez passées chez votre époux, vous auriez refusé de dormir avec lui et vous auriez passé vos nuits dans le salon. Après deux jours, il aurait appelé votre oncle, qui aurait autorisé votre époux à vous frapper, si vous refusiez de passer vos nuits avec lui. Par peur d’être frappée, vous auriez accepté. Vous expliquez que votre époux « voulait coucher » (page 7 de votre rapport d’entretien) avec vous. Vous auriez pleuré et voulu vous défendre, lors de l’altercation vous seriez tous les deux tombés et votre époux se serait cogné la tête. Il se serait alors fâché et vous ajoutez « il m’a tiré par les cheveux et frappait ma tête contre le mur » (page 7 de votre rapport d’entretien).

Vous expliquez que vous auriez toujours refusé de manger en présence de votre mari et que vous n’auriez pas participé aux « travaux de ménage » (page 8 de votre rapport d’entretien). Un jour, votre époux aurait été fâché et vous aurait informée que « là où j’ai été excisée n’était pas propre et qu’on doit le refaire » (page 8 de votre rapport d’entretien). Vous ajoutez à ce sujet que vous seriez excisée depuis l’âge de six ans et qu’au Luxembourg, vous auriez consulté un gynécologue qui vous aurait informée que « c’est effectivement vrai qu’on n’a pas tout enlevé » (page 8 de votre rapport d’entretien). Au bout de trois semaines de vie commune, par peur et vu que votre demi-soeur ainée serait décédée « dans les mêmes circonstances » (page 8 de votre rapport d’entretien), vous auriez contacté le petit frère de votre mère qui vous aurait dit de quitter « le vieux » et de venir chez lui. Vous auriez profité de l’absence de votre époux pour vous rendre chez votre oncle maternel qui vous aurait emmenée chez un ami « à …. » (page 10 de votre rapport d’entretien) chez qui vous vous seriez cachée pendant quelques jours, jusqu’à votre départ.

Depuis votre départ, votre mère vous aurait informée que votre oncle et votre époux seraient à votre recherche. Vous ajoutez que par peur que vos soeurs âgées de 15 ans soient mariées de force, elle aurait déménagé à l’insu de votre oncle et se cacherait à …. où elle vivrait chez une amie avec vos frères et soeurs. Vous précisez qu’ils ne se seraient pas quittés en bon terme, que votre oncle accuserait votre mère de vous avoir aidé à partir et qu’il ne participerait plus aux dépenses familiales.

Au Luxembourg, vous auriez rencontré un dénommé (D) de nationalité guinéenne, majeur d’âge. En date du 12 août 2019, vous avez été informée qu’au Luxembourg, en tant que mineure, il existe un âge légal pour avoir des relations sexuelles avec un adulte, mêmes si celles-ci sont consentantes. Toutefois, vous avez décidé de maintenir votre relation de laquelle serait issue votre fils.

Concernant vos craintes en cas de retour en Guinée, vous indiquez avoir peur de « beaucoup de choses » (page 14 de votre rapport d’entretien). Vous évoquez également avoir peur des conséquences d’un retour en Guinée avec un enfant né hors mariage et vous exprimez le risque d’être à nouveau excisée.

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants:

4• Une copie d’un extrait d’acte de naissance ;

• 11 photos dont vous en commentez 9 ;

• Une copie d’une carte du Groupe (F) ;

• Un certificat médical attestant que vous souffrez de troubles d’épilepsie de type « Absences », établi à Luxembourg le 24 août 2020 ;

• Un certificat médical attestant que vous avez subi une excision de type II, établi à Luxembourg le 27 août 2020 • Une attestation de la (G) qui affirme votre participation à des entretiens psychothérapeutiques, établie à Luxembourg le 5 octobre 2020.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Madame, avant tout progrès en cause, il convient de relever que des doutes ont été émis quant à l’âge que vous avez déclaré lors de l’introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg et qu’un test osseux de détermination de l’âge n’a pu être entrepris en raison de votre grossesse. Par conséquent, votre âge déclaré n’a pu être ni infirmé, ni confirmé.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies.

Madame, vous fondez votre demande de protection internationale sur trois craintes principales, à savoir le fait que vous auriez été mariée de force, un risque d’être ré-excisée et les conséquences négatives d’un retour en Guinée avec un enfant né hors mariage.

Premièrement, quant à votre mariage forcé à l’âge de 15 ans avec un homme que vous qualifiez de « vieux » qui aurait été « trop âgé » (page 7 de votre rapport d’entretien) pour 5vous épouser, il convient tout d’abord de soulever que cet évènement condamnable n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève alors que ces faits n’ont aucun lien avec votre race, votre religion, votre nationalité, vos opinions politiques ou votre appartenance à un groupe social.

Quand bien même votre mariage forcé serait à considérer comme entrant dans le champ d’application de la Convention de Genève et serait d’une gravité suffisante pour être qualifié d’acte de persécution, il convient de constater que s’agissant d’un acte émanant de personnes privées, une persécution commise par des personnes privées peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

Madame, vous déclarez que vous n’auriez pas porté plainte car « La police ne prend pas ces choses au sérieux. Ils veulent juste faire de l’argent et si on donne de l’argent ils agissent pour celui qui donne l’argent. Le policer négocie et quand on paye de l’argent ils laissent tomber l’affaire ce qui est en faveur de celui qui a payé. Le vieux ou les vieux m’auraient rendu la vie plus difficile si je me plaignais » (page 12 de votre rapport d’entretien).

Or, si en Guinée, il échet de soulever que « les femmes victimes s’adressent généralement peu à la justice », force est de constater que « Le nouveau Code civil de 2019 fixe l’âge légal du mariage à dix-huit ans, tant pour les filles que pour les garçons, et érige le consentement mutuel des époux en un principe fondamental. Le Code pénal exprime l’interdiction formelle du mariage forcé. Des sanctions sont prévues pour toute personne contrevenant ce principe.

Les juridictions compétentes en premier ressort pour les affaires pénales et civiles sont les tribunaux de première instance, ainsi que les justices de paix dans les préfectures qui ne comportent pas de tribunal de première instance ».

Vos considérations ne reflètent donc pas les informations consultées qui indiquent que « l’Etat est engagé dans une dynamique de protection et de promotion des droits fondamentaux des enfants et des femmes. Depuis juin 2020, deux ministères sont en charge de ces matières :

le ministère des Droits et de l’autonomisation des femmes et le ministère de l’Action sociale et des personnes vulnérables. Avant cette date, c’est au ministère de l’Action sociale, de la Promotion féminine et de l’Enfance (MASPFE) que revenait cette compétence. Le MASPFE travaille en partenariat avec des organismes internationaux tels que l’United Nations Population Fund (UNFPA), l’UNICEF et Plan International. (…) Le gouvernement a créé en décembre 2009 l’OPROGEM, une unité de police spécialement chargée de la répression des crimes commis contre les enfants et les femmes, dont le mariage forcé (voir point 3.2.). En novembre 2015, la Guinée a participé au premier sommet de l’Union africaine (UA) pour mettre fin au mariage des enfants et autres pratiques traditionnelles néfastes et en juin 2017, elle a pris part au lancement de la campagne de l’UA en vue de l’abandon des mariages d’enfants. Le 15 mai 2019, à l’occasion de la journée internationale de la famille, Hadja Mariama Sylla, ministre de l’Action sociale, de la Promotion féminine et de l’Enfance a dénoncé le phénomène du mariage précoce en ces termes : [l]e mariage précoce est un phénomène néfaste et dangereux. Il faut le combattre à tout prix afin de permettre aux filles d’étudier et protéger leur santé ». En octobre 2019, lors de la Journée internationale de la jeune fille, Hadja Mariama Sylla a exprimé publiquement que si d’importants efforts ont été déployés par le gouvernement avec l’appui de ses partenaires au développement, en termes d’adoption de législations, de politiques et de stratégies, ainsi que de développement de programmes et projets spécifiques aux femmes et 6aux jeunes filles, de nombreuses jeunes filles continuent de subir des mariages précoces et forcés. Selon la direction de l’OPROGEM rencontrée lors de la mission de novembre 2019, l’Etat est partie à des traités et a pris des dispositions pour lutter contre les mariages précoces.

Mais le problème de la réinsertion sociale persiste. Les mariages précoces, comme les MGF, sont des infractions intrafamiliales au sein desquelles la pesanteur sociale est forte. Lorsqu’un membre de la famille veut faire appliquer la loi, se pose la question de sa réinsertion sociale ou familiale. D’après l’OPROGEM, qui déplore que la Guinée ait adopté les lois sans tenir compte de l’aspect social et culturel, ce sont les ONG qui se chargent du volet réinsertion. ».

Notons au sujet des ONG que « La Guinée a traditionnellement une société civile forte et de nombreuses ONG travaillent sur les problématiques affectant les femmes, notamment celle du mariage forcé. (…) Plan International Guinée a fait de la lutte contre le mariage forcé une de ses préoccupations. L’ONG agit dans ce sens avec des partenaires et soutient plusieurs initiatives locales dont celle du CJFLG. Plan International forme les activistes du CJFLG au plaidoyer, finance et supervise les activités de sensibilisation à destination du public comme des caravanes, des marches contre le mariage forcé, des émissions de radio ou encore des tables rondes. Par exemple, le 25 juin 2020, une table ronde télévisée sur cette thématique a eu lieu à la Radio télévision guinéenne (RTG) de Koloma.

L’UNICEF travaille sur le terrain sur la problématique des mariages précoces mais dispose de peu de financement pour cette thématique. Les représentants de l’UNICEF rencontrés par le Cedoca le 4 novembre 2019 lors de sa mission à …. ont expliqué qu’en la matière, il y a encore beaucoup à faire pour trouver des solutions alternatives aux mariages précoces. Sensibiliser les parents aux méfaits du mariage précoce ne suffit pas, il faut pouvoir éviter que la fille devienne une charge pour sa famille. L’UNICEF travaille en partenariat avec le gouvernement et est également en contact avec les activistes du CJFLG.

Le CJFLG est actif dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, dont les mariages précoces et forcés. L’ONG réunit des jeunes militantes âgées de quatorze à vingt ans pour porter la voix des filles contre cette pratique traditionnelle néfaste. L’association mène des activités de sensibilisation et de prévention sur le terrain, des actions de plaidoyer ainsi que des actions directes. Ainsi, les jeunes militantes se disent « briseuses de mariages forcés ». Le CJFLG tente dans la mesure du possible de discuter avec les familles pour convaincre des méfaits de la pratique et faire comprendre qu’elle peut être dénoncée. Lors de l’entrevue du 8 novembre 2019, les activistes ont expliqué que, grâce aux actions de terrain, les choses sont en train de changer et que certaines personnes osent dénoncer les mariages d’enfants. Dans cette optique, les militantes du groupe ont lancé en août 2018 une « caravane de sensibilisation » qui sillonne les marchés de …. pour s’adresser aux populations sur les méfaits de la pratique. En outre, elles s’ingèrent dans les cérémonies de mariages forcés pour y mettre fin. Les activistes alertent les autorités pour qu’une enquête soit menée et que tant les responsables que les complices des faits soient arrêtés. Le CJFLG apporte également son soutien aux filles qui ont refusé de se marier et qui sont rejetées par leurs parents, se retrouvent sans domicile, avec des difficultés financières et de scolarité. À la fin de l’année 2019, cette ONG, non subsidiée par l’Etat et qui fonctionne sur fonds propres, avait à sa charge deux filles extraites d’un mariage forcé mais qui n’ont pas pu réintégrer leurs familles. Les activistes du CJFLG sont appuyées et formées au plaidoyer par Plan International et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et sont reçues par les autorités, qui soutiennent leurs démarches. Ainsi, en août 2018, une délégation de l’association a été reçue par le Premier 7ministre Ibrahima Kassory Fofana, à qui elles ont demandé de l’aide en vue d’une harmonisation des textes de lois en la matière. Le Premier ministre a exprimé publiquement sa volonté d’appuyer leur combat.

L’Association guinéenne des assistantes sociales (AGUIAS) a mis un numéro vert à disposition des femmes victimes de violences basées sur le genre. Selon le rapport de l’OFPRA, dès l’appel reçu, le directeur régional de l’action sociale et les membres du Système de protection des enfants et femmes en Guinée (SYPEG) et des comités locaux de protection en sont informés.

L’ONG Actions pour le mérite et l’intégrité des enfants (AMIE) est active dans la lutte contre les mariages forcés. Le 28 juin 2020, l’ONG a permis d’empêcher le mariage d’une fillette et de conduire les instigateurs des faits au commissariat central de ….., à …..

De l’avis de la présidente de la CONAG/DCF [Coalition nationale pour le droit et la citoyenneté des femmes], Binta Nabe, que le Cedoca a rencontrée le 11 novembre 2019, de nombreuses activités de sensibilisation sont menées autour de la problématique du mariage forcé et, grâce à l’action des ONG, des mariages annoncés ne se réalisent pas. D’après Binta Nabe, les ONG offrent des possibilités de médiation entre la jeune fille et sa famille et dans certains cas, proposent une aide juridique pour le dépôt d’une plainte.

Selon les données du MASPFE, le CJFLG a, en collaboration avec la chaîne de protection de l’enfance, empêché au cours du premier semestre de l’année 2018 huit cas de mariage d’enfants dans la zone spéciale de …., deux à Faranah, trois cas à Labé, un cas à Kankan et un cas à Kamsar. Dans chacun des cas renseignés, des engagements écrits de ne pas marier leurs enfants avant l’âge autorisé ont été pris par les parents.

Les interlocuteurs de l’association juridique MDT [Les Mêmes droits pour tous] ont expliqué lors de l’entretien avec le Cedoca du 6 novembre 2019 avoir été saisis pour des situations de mariages précoces. Dans ces cas, MDT contacte l’Office de protection du genre, de l’enfance et des mœurs (OPROGEM) et une médiation est organisée avec les parents. Dans certains cas, MOT parvient à faire signer un engagement aux parents et la procédure de mariage est interrompue. Dans d’autres cas, l’intervention ne suffit pas.

D’après la délégation d’Avocats sans frontières (ASF) en Guinée rencontrée à …. le 6 novembre 2011, lorsqu’elles sont mises au courant d’un mariage forcé, l’intervention des ONG vise à mettre fin au projet ou à interrompre le mariage. Les ONG s’appuient sur la gendarmerie pour mener leurs actions ».

Madame, au vu de ces informations, vu le soutien d’un de vos oncles maternels, vu l’opinion négative de votre mère face à votre mariage forcé, il convient de conclure que vous auriez pu trouver une solution à votre problème en Guinée.

Ceci étant dit, en considérant que vous seriez aujourd’hui encore mariée, il convient de soulever que « le Code civil autorise le divorce et une femme peut divorcer et continuer sa vie sans difficulté par la suite. Selon ses propos, « [si] le mariage est forcé, cela peut se solder par le divorce » et la CONAG/DCF peut orienter les femmes vers des structures appropriées dont MDT ».

8« Pour l’UNICEF, le divorce peut s’obtenir dans le cas où la fille a le soutien de sa famille. Cela vaut également pour un mariage traditionnel : si la femme ramène les noix de cola données au moment du mariage, c’est le divorce qui est fait de manière traditionnelle, sans passer nécessairement par un juge. En revanche, selon cette source, une femme obtiendra difficilement le divorce sans l’appui de sa famille. Il n’existe pas de lieu d’accueil et en cas de divorce, une femme peut retourner chez ses parents si elle soutenue par eux, sinon c’est difficile ».

Partant, il convient de noter que vous êtes aujourd’hui majeure et que vous pouvez à tout moment mettre un terme à votre union célébrée en Guinée. De plus, Madame, malgré les nombreuses tentatives pour vous dissuader par le passé d’entretenir une relation amoureuse avec votre partenaire actuel au Luxembourg car vous étiez une mineure et qu’il était majeur, vous avez choisi de persister dans cette voie. Vous avez eu un enfant né de cette relation le …… à Luxembourg et vous déclarez au sujet de votre partenaire (D), de nationalité guinéenne, que vous seriez en couple et qu’il viendrait voir son enfant « presque tous les jours » (page 4 de votre rapport d’entretien complémentaire). Il convient dès lors de conclure que vous pouvez retourner en Guinée accompagnée de votre enfant et de votre partenaire, vous pouvez y demander le divorce de votre précédente union et vous pouvez y recommencer une vie de couple avec votre partenaire actuel, loin des problèmes que vous auriez eus par le passé.

Deuxièmement, quant à votre crainte de vous faire ré-exciser, Madame, il convient tout d’abord de soulever que votre crainte se base sur une unique déclaration datant de 2019, de la part de votre époux, qui alors qu’il aurait été en colère contre vous, vous aurait dit qu’il aurait voulu que vous subissiez une nouvelle excision. Partant et alors que les propos de votre époux en colère n’ont été suivi d’aucun acte concret qui pourrait être interprété comme étant de nature à laisser penser qu’il aurait voulu mettre en exécution ses propos, votre crainte est à qualifier de purement hypothétique. Or, une crainte purement hypothétique n’est pas de nature à fonder une demande de protection internationale.

Quand bien même votre crainte serait justifiée, il convient de constater qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève alors que les faits que vous craignez n’ont aucun lien avec votre race, votre religion, votre nationalité, vos opinions politiques ou votre appartenance à un groupe social.

Si ces faits étaient tout de même à considérer comme entrant dans le champ d’application de la Convention de Genève, ils seraient d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’actes de persécution, mais néanmoins il convient de constater que s’agissant d’actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des personnes privées peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, cela n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, « [l]e cadre législatif et institutionnel dans lequel se place la lutte contre l’excision en Guinée a évolué au cours des dernières années. Les textes adoptés qui réglementent et punissent la pratique de l’excision sont multiples ».

Etant aujourd’hui majeure, il n’existe aucun obstacle à ce que vous vous opposiez à une ré-excision et à ce que vous portiez plainte contre une quelconque personne qui voudrait vous y contraindre.

9Madame, notons à toutes fins utiles que vous avez versé à l’appui de votre demande de protection internationale, un certificat médical attestant que vous auriez subi une excision de type II. Or, d’après les informations consultées, « les femmes déjà excisées ne risquent pas une deuxième excision, sauf dans le cas où un membre de la famille constate que la première excision n’est pas complète. Il s’agit principalement de cas où les filles sont excisées à ….. Une deuxième excision peut alors avoir lieu, mais pas au-delà d’un délai de deux à trois ans entre les deux excisions et pas chez les filles de plus de seize ans ».

De plus, « [s]elon le gynécologue obstétricien, directeur d’une polyclinique à ….

(rencontré lors des missions de 2011 et 2019), interrogé par téléphone le 3 mai 2012, la seconde excision ne se pratique pas en Guinée. (…) Le docteur (H) précise dans un courrier électronique du 8 mai 2012 qu’on ne réexcise pas une femme excisée de type I ou II. Le médecin responsable de la gynécologie obstétrique du service maternité de l’hôpital (J) n’a, quant à lui, jamais entendu parler de cas de réexcision pratiquée sur une femme excisée de type I ou II. C’est ce qu’il affirme dans un courrier électronique du 8 mai 2012 ».

Partant, il est permis de conclure qu’aucun risque de ré-excision ne peut être retenu dans votre chef.

Troisièmement, vous évoquez également craindre un retour en Guinée avec un enfant né hors mariage et vous illustrez vos propos en déclarant que « je connais une fille qui a eu un enfant hors mariage » (page 14 de votre rapport d’entretien) et qui se serait enfuie suite aux menaces de son propre père qui aurait voulu tuer cet enfant.

Force est de constater que votre crainte est purement hypothétique alors qu’elle est basée sur des faits qui ne vous sont pas arrivés personnellement. Or, des craintes hypothétiques ne constituent pas une persécution, respectivement un risque de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

A cela s’ajoute que comme déjà développé précédemment, en cas de retour en Guinée, vous pouvez divorcer de l’union qui vous lierait avec votre époux et rien ne vous oblige à retourner vivre auprès de votre oncle dont vous auriez peur. De plus, force est de constater que votre mère aurait quitté votre oncle et aurait déménagé avec votre fratrie à …., de sorte qu’avec ou sans votre partenaire actuel, vous pourriez vous réinstaller chez votre mère, avec laquelle vous déclarez être en contact et qui se serait toujours opposée au mariage forcé que votre oncle aurait organisé pour vous. On peut donc en conclure qu’aucun risque concret n’est à retenir dans votre chef, concernant votre retour en Guinée accompagnée de votre fils qui est né hors mariage.

De tout ce qui précède, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au statut de réfugié conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, 10l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies.

Tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité. De plus, il n’est pas établi que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d’origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une quelconque protection.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Guinée, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2022, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 10 février 2022 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale dans son chef et dans celui de son fils mineur et ordre de quitter le territoire à leur encontre.

Par jugement du 4 octobre 2023, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme, le dit cependant non justifié dans ses deux branches et en débouta la demanderesse, le tout en la condamnant aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 20 octobre 2023, Madame (A) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 4 octobre 2023.

L’appelante réitère les faits à l’appui de sa demande de protection internationale, soutenant en substance avoir été contrainte de quitter son pays d’origine, la Guinée, en raison de son mariage forcé, pour remplacer sa sœur, avec Monsieur (K), lequel lui aurait fait subir de graves violences physiques, avec l’assentiment de son oncle paternel, lequel aurait épousé sa mère suite au décès de son père, parce qu’elle aurait refusé d’entretenir des relations sexuelles avec lui. Elle ajoute que son époux l’aurait en outre menacée de la forcer à une seconde excision de type II, étant précisé qu’elle aurait déjà subi pareille excision à l’âge de six ans.

11 Elle soutient ne jamais avoir pu espérer obtenir une protection de la part des autorités de son pays d’origine, qui seraient impuissantes dans leur lutte contre les mariages forcés et la « force des traditions » et que toute fuite interne lui aurait été et serait impossible, son mari l’ayant retrouvée dans le passé et risquant de la retrouver à nouveau.

Enfin, l’appelante entend mettre en balance une aggravation de ses risques en cas de retour en Guinée, du fait de ce que depuis qu’elle est arrivée au Luxembourg, elle y aurait entretenu une relation amoureuse extraconjugale de laquelle serait issue un enfant hors mariage.

Selon l’appelante, son vécu et spécialement les violences physiques et psychiques qu’elle aurait subies constitueraient des violences fondées sur son genre, au sens de la notion de « violence à l’égard des femmes fondée sur le genre » telle que définie par la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, faite à Istanbul, le 11 mai 2011, ci-après la « Convention d’Istanbul ».

Elle reproche aux premiers juges d’avoir décidé que les femmes guinéennes victimes d'un mariage forcé, voire de violences domestiques, ne seraient pas à considérer comme formant un « groupe ayant une identité propre pour être perçu par la société environnante comme étant différent » et elle soutient que de la sorte, ils auraient retenu une définition trop restrictive de la notion de « groupe social ».

Tout comme en première instance, elle insiste sur la réalité incontestable et documentée à suffisance de la pratique toujours actuelle des mariages forcés et de l’excision en Guinée.

Or, victime d’une « persécution de genre », respectivement d’« atteintes graves liées au genre », même si la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après la « Convention de Genève », n’y ferait pas expressément référence, mais dont les principes directeurs auraient été définis par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR ») et que la Convention d’Istanbul viserait dans ses articles 59 à 61, les atrocités par elle subies, elle tomberait dans le champ d’application de l’article 2, sub f) de la loi du 18 décembre 2015 ou dans celui de l’article 48, point b) de la même loi. L’appelante se réfère, dans ce contexte et à l’appui de sa thèse, à des décisions de la Cour nationale du droit d’asile française des 18 mai 2018 et 15 février 2019.

Sur ce, l’appelante soutient que les faits par elle subis, qui seraient à qualifier d’une gravité extrême et en tout cas suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, justifieraient la reconnaissance du statut de réfugié.

Elle insiste sur le fait que la preuve des violences physiques et psychiques qu’elle aurait subies serait rapportée à suffisance, notamment au regard de son récit cohérent et des différentes pièces versées par elle et que le fait que l’auteur des persécutions dont elle ferait l’objet serait une personne privée ne serait pas relevant, dès lors que le système judiciaire et policier guinéen considérerait ces faits comme une « affaire privée » et ne lui accorderait pas de protection suffisante, de même qu’une possibilité de fuite interne n’existerait pas concrètement dans son chef, notamment faute de moyens financiers. Enfin, elle se réfère au risque de se voir reproduire les actes déjà subis en cas de retour en Guinée et à la présomption afférente établie par l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015.

12Ensuite, tout comme en première instance, l’appelante estime qu’il est faux de pointer une possibilité de retour ensemble avec son partenaire, au motif qu’elle serait séparée de lui, tout comme elle entend voir rejeter l’argumentaire du ministre consistant à analyser sa crainte de subir une nouvelle excision comme purement hypothétique en affirmant que le seul fait que son époux ne serait pas passé à l’acte après l’avoir menacée ne saurait être interprété comme une renonciation de sa part.

En ordre subsidiaire, l’appelante entend pour le moins bénéficier d’une mesure de protection subsidiaire, les faits subis par elle étant à qualifier de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 et le risque de les voir se reproduire étant à considérer comme réel et sérieux.

Il y aurait partant lieu de réformer le jugement du 4 octobre 2023, ainsi que le refus ministériel et d’accorder une mesure de protection internationale, principale ou subsidiaire, à elle-même et à son fils mineur. En outre et en conséquence, l’appelante entend encore voir réformer l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre, de même qu’à l’encontre de son fils.

De son côté, l’Etat conclut en substance à la confirmation intégrale du jugement entrepris.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi 13du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2 sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

L’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, la Cour rejoint en premier lieu les premiers juges en ce qu’ils ont conclu que les risques invoqués par l’appelante, du fait de sa qualité de femme en Guinée ayant été victime d’un mariage forcé et de violences domestiques, ne s’analysent pas à proprement parler en des persécutions en raison de son appartenance à un groupe social au sens de l’article 43, paragraphe (1), point d), de la loi du 18 décembre 2015, c’est-à-dire un groupe de personnes qui partagent une caractéristique innée ou une histoire commune autre que le risque d’être persécutées, et qui sont perçues comme un groupe par la société.

Ne s’étant point arrêtés dans leur analyse à ce constat basique, les premiers juges sont encore à entériner en ce qu’ils ont conclu que s’il est un fait avéré qu’en Guinée, le mariage forcé est une réalité très répandue, que les femmes y sont susceptibles de rencontrer des difficultés pratiques pour voir respecter leur droit de divorcer et que des pressions sociales et familiales sont susceptibles de constituer un frein à entamer une procédure de divorce pour les femmes dans ce pays, il n'en reste pas moins que les éléments d’appréciation soumis en cause ne permettent pas de conclure que toutes les femmes guinéennes, qui entendent se soustraire à un mariage imposé, même victimes de violences domestiques, seraient regardées par tout ou partie de la société guinéenne comme transgressives à l’égard des lois et coutumes en vigueur, 14de sorte qu’elles seraient susceptibles d’être exposées de ce fait à des persécutions contre lesquelles les autorités refuseraient ou ne seraient pas en mesure de les protéger.

En effet, les premiers juges ne se sont point mépris en considérant que si tel avait été le cas, ces femmes seraient à regarder comme appartenant à un groupe social au sens des dispositions de l’article 1er, A, paragraphe (2), de la Convention de Genève et ce n’est que le défaut de vérification de cet état des choses qui appelle la solution par eux retenue.

Dans ce contexte, les premiers juges ont notamment relevé à bon escient qu’il se dégageait des éléments de la cause que le divorce est autorisé par le Code civil guinéen, spécialement lorsque le mariage a été obtenu par la contrainte et qu’il est accompagné de violences domestiques, étant pointé que la violence conjugale est un motif d’ordre juridique permettant d’obtenir le divorce en Guinée, que le consentement mutuel au mariage y est érigé en « principe fondamental », de même que le Code pénal guinéen interdit formellement le mariage forcé.

Comme les faits en question ne sont, par ailleurs, pas liés à la race, la religion, la nationalité ou les opinons politiques de l’appelante, les premiers juges ont pu retenir à bon droit qu’ils ne sont motivés par aucun des motifs de persécution visés par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte à ne pas être de nature à établir l’existence d’une crainte fondée de persécution dans le chef de l’appelante ou dans celui de son fils mineur. Il en est d’ailleurs de même du risque simplement hypothétique invoqué d’encourir une seconde excision ou des violences que pourraient engendrer le fait qu’elle a donné naissance à un enfant hors mariage.

C’est dès lors à juste titre que le ministre d’abord, les premiers juges par la suite, ont refusé d’accorder à l’appelante et à son fils le statut de réfugié.

Concernant la demande de protection subsidiaire, les premiers juges sont encore à confirmer en ce qu’ils ont considéré que le risque invoqué par l’intéressée de ce qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015, consistant en de nouvelles violences domestiques, une seconde excision ou des représailles de la part de son mari ou de son oncle paternel, demeure essentiellement hypothétique.

En effet, ce constat s’impose au regard de ce que l’appelante n’est dorénavant plus mineure, mais majeure et âgée de 20 ans, et qu’elle ne se trouve plus dans la même situation de dépendance vis-à-vis de son mari que celle dans laquelle elle se trouvait au début de son mariage en juin 2019.

Ainsi, il appert qu’en cas de retour en Guinée, elle n’est plus obligée de rejoindre son mari, mais peut au contraire utilement solliciter le divorce.

L’intéressée, en cas de retour en Guinée, ne risque pas non plus de se retrouver concrètement sous l’emprise de son oncle paternel, que sa mère a entretemps quittée elle aussi pour aller vivre, avec ses enfants, chez une amie.

Ce dernier constat appelle encore comme conséquence que l’appelante peut à nouveau compter sur un soutien maternel, tout comme elle appert pouvoir compter sur le soutien familial de son oncle maternel, qui, à l’instar de sa mère, s’était -aux dires mêmes de l’intéressée-

opposé à son mariage forcé.

15C’est partant à bon droit et sur base de considérations auxquelles la Cour se réfère et fait siennes pour le surplus que les premiers juges ont considéré que les éléments d’appréciation de la cause ne permettent pas de déceler un risque pour l’appelante ou pour son fils mineur de subir concrètement l’un des traitement inhumains ou dégradants invoqués en cas de retour en Guinée.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont retenu que les faits relatés par l’appelante ne permettent pas l’octroi d’une protection internationale dans son chef ou dans celui de son fils mineur et par suite rejeté le recours pour ne pas être fondé.

L’appelante sollicitant encore, par réformation du jugement entrepris, la réformation de l’ordre de quitter le territoire, comme conséquence de l’octroi d’une protection internationale, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu’il a rejeté la demande d’octroi du statut de la protection internationale de l’appelante - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus dudit statut entraîne automatiquement l’ordre de quitter le territoire, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris du 4 octobre 2023;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour …… s. …..

s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 janvier 2024 Le greffier de la Cour administrative 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49663C
Date de la décision : 09/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/01/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-01-09;49663c ?

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