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21/12/2023 | LUXEMBOURG | N°152/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 21 décembre 2023, 152/23


N° 152 / 2023 pénal du 21.12.2023 Not. 24156/10/CD Numéro CAS-2022-00093 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-et-un décembre deux mille vingt-trois, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.), demeurant à I-ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public et de la société en commandite par actions, société de gestion de patrimoine familial SOC

IETE1.), anciennement société anoyme SOCIETE1.), établie et ayant son...

N° 152 / 2023 pénal du 21.12.2023 Not. 24156/10/CD Numéro CAS-2022-00093 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-et-un décembre deux mille vingt-trois, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.), demeurant à I-ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public et de la société en commandite par actions, société de gestion de patrimoine familial SOCIETE1.), anciennement société anoyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE3.), représentée par le gérant commandité, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse au civil, défenderesse en cassation, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 13 juillet 2022 sous le numéro 227/22 X. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;

Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 12 août 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 6 septembre 2022 par PERSONNE1.) à la société en commandite par actions, société de gestion de patrimoine familial SOCIETE1.), anciennement société anonyme SOCIETE1.), déposé le 9 septembre 2022 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Sandra KERSCH ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour en date du 14 novembre 2023 en ce qu’il tend à redresser l’appréciation fausse que le Ministère public aura faite des faits qui servent de fondement au recours et pour répondre aux exceptions et aux fins de non-recevoir opposées au pourvoi par le Ministère public et l’écartant pour le surplus.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait acquitté PERSONNE1.) des infractions d’abus de biens sociaux et de blanchiment en rapport avec l’acquisition de 319 montres inscrites au bilan de la société SOCIETE2.) et ordonné leur restitution à cette société.

Il avait condamné PERSONNE1.) à une peine d’emprisonnement assortie du sursis intégral et à une peine d’amende pour abus de biens sociaux et blanchiment-

détention en rapport avec l’acquisition, pour son compte, de 523 montres payées par des fonds inscrits aux comptes bancaires des sociétés SOCIETE3.), SOCIETE16.), SOCIETE4.), SOCIETE5.), SOCIETE6.), SOCIETE7.), SOCIETE8.), SOCIETE9.), Résidence GROUPE1.), SOCIETE10.) et ordonné la confiscation de ces montres. La Cour d’appel a, par réformation, condamné PERSONNE1.) du chef d’abus de biens sociaux en ce qui concerne les paiements effectués moyennant des fonds inscrits aux comptes bancaires de la société SOCIETE2.) pour financer l’acquisition, pour son compte, de 319 montres et du chef de blanchiment-détention en rapport avec ces 319 montres et ordonné leur confiscation. Elle a confirmé le jugement pour le surplus, sauf à réduire la durée de la peine d’emprisonnement.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « (prescription de l’action publique : refus de fixation du point de départ du délai à la présentation des comptes annuels) 2 Tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 638 alinéa 1er et 637 (1) alinéa 1er du Code de procédure pénale, de la violation des articles 23(2) ancien du Code de procédure pénale et 16(2) de la Loi du 19 décembre 2008 ayant pour objet la coopération interadministrative et judiciaire et le renforcement des moyens de l’Administration des contributions directes, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et de l’Administration des douanes et accises, et d’un défaut de base légale, ainsi que d’un défaut de réponse à conclusions constituant un défaut de motivation en violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 195 du Code de procédure pénale, en ce que l’arrêt attaqué a rejeté le moyen tiré de l’acquisition de la prescription de l’action publique s’agissant des faits qui se seraient réalisés avant le 20 septembre 2007, aux motifs que les règles légales applicables en matière de prescription, notamment les modifications des articles 637 et 638 du Code de procédure pénale opérées par 1) la loi du 6 octobre 2009 renforçant le droit des victimes, qui a allongé le délai de prescription de l’action publique de trois à cinq ans pour les délits commis après son entrée en vigueur en date du 1er janvier 2010 et 2) la loi du 24 février 2012 relative à la récidive internationale, qui a rendu le délai de prescription de cinq ans applicable à la répression des délits commis avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 octobre 2009, pour autant que la prescription de ces délits ne soit pas déjà acquise, ont été correctement développées par le tribunal.

Concernant le point de départ de la prescription de la poursuite d’une infraction, le délai de prescription court en principe à partir du jour où l'infraction est commise, respectivement à partir du jour où l'infraction a été réalisée dans tous ses éléments.

Le mécanisme de l’infraction collective permet de reporter ce point de départ de la prescription.

Cependant, c’est à bon droit que le tribunal a considéré que les faits reprochés au prévenu ne sont pas susceptibles de constituer une infraction collective. En effet, l’infraction collective se caractérise par plusieurs faits, constituant chacun une infraction, mais formant une activité criminelle unique parce qu’ils sont liés entre eux par une unité de conception et de but. En l’espèce, la différence des modes opératoires, qui se traduit par les différentes sociétés impliquées dans les acquisitions des montres ou encore par les différents modes de comptabilisation des acquisitions des montres ne permettent pas de conclure à une unité de conception. Sur ce point, le jugement est à confirmer, par adoption de ses motifs.

En cas d’infractions clandestines ou dissimulées, la jurisprudence reporte également le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

3 "Les infractions occultes ou clandestines par nature sont des infractions astucieuses dont la clandestinité est un élément constitutif ou est inhérente à l’infraction, c’est-à-dire, la réalisation de l’infraction ne se conçoit pas en dehors de la clandestinité. Dans cette catégorie se rangent, par exemple, l’abus de confiance, la tromperie, l’atteinte à l’intimité de la vie privée, mais aussi l’abus de biens sociaux. Pour ces infractions, le point de départ de la prescription doit être fixé, non au jour de leur commission effective, mais au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique (Cour n° 11/20 X du 15 janvier 2020)".

En l’absence de dissimulation des opérations dans la comptabilité, la date de présentation des comptes annuels aux associés aux fins d’approbation, par lesquels les dépenses ont indûment été mises à charge de la société, permet aux associés de voir que des dépenses ont été imputées à tort à la société et elle constitue, dans une telle hypothèse, le point de départ de la prescription.

Cependant, il en va différemment lorsque le dirigeant est, ensemble avec les membres de sa famille ou avec les personnes morales dont il a le contrôle direct ou indirect, associé ou actionnaire de la société qu’il dirige. Une telle hypothèse est donnée en l’espèce étant donné que les sociétés incriminées sont toutes dirigées par le prévenu et que leurs actionnaires sont tous des membres de la famille PERSONNE1.).

Dans un tel cas de figure, l’on ne peut s’attendre à ce que l’une de ces personnes dénonce des irrégularités comptables ou des faits constitutifs d’abus de biens sociaux, dont elle est directement ou indirectement appelée à bénéficier. Le mécanisme de contrôle effectif des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires est alors exclu, de sorte qu’il est, dans un tel cas, justifié de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-

à-dire au jour où le ministère public a eu connaissance des infractions, sans qu’il soit nécessaire d’analyser le caractère dissimulé des opérations en cause.

Ainsi que le ministère public le fait valoir, le point de départ de la prescription se situe pour les faits en relation avec les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE11.), SOCIETE7.), SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.) au jour de la dénonciation en date du 28 septembre 2010 par l’Administration des contributions directes. Pour les faits concernant les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE7.), SOCIETE11.), SOCIETE2.) et SOCIETE12.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire d’ouverture d’instruction du ministère public du 20 décembre 2010 et par les autres mesures d’instruction subséquentes. Pour la société SOCIETE13.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 et les mesures d’instruction subséquentes. Les faits d’abus de biens sociaux en relation avec ces sociétés ne sont donc pas prescrits.

En ce qui concerne les faits en relation avec les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A., les infractions ont été découvertes au fur et à mesure des mesures d’instruction, c’est-à-dire nécessairement après le 1er réquisitoire du 20 décembre 2010. Le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 a inclus 4 ces faits et constitue le premier acte interruptif de prescription. Au vu de ce réquisitoire et des mesures d’instruction subséquentes, les faits d’abus de biens sociaux en relation avec lesdites sociétés ne sont pas prescrits.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la prescription est à rejeter, par confirmation du jugement, quoique pour d’autres motifs », 1) alors que (première branche) en vertu des articles 638 alinéa 1er et 637 (1) alinéa 1er du Code de procédure pénale, le délai de la prescription de l’action publique court au jour où l'infraction se réalise en tous ces éléments ; que par exception, en matière d’abus de biens sociaux, et ainsi que le rappelle l’arrêt attaqué, en l’absence de dissimulation des opérations dans la comptabilité, la date de présentation des comptes annuels aux associés aux fins d’approbation, par lesquels les dépenses ont indûment été mises à charge de la société, permet aux associés de voir que des dépenses ont été imputées à tort à la société et […] constitue, dans une telle hypothèse, le point de départ de la prescription » (p.

104) ; qu’en écartant péremptoirement l’applicabilité de cette règle en posant pour principe qu’il en irait différemment lorsque le dirigeant est, ensemble avec les membres de sa famille ou avec les personnes morales dont il a le contrôle direct ou indirect, associé ou actionnaire de la société qu’il dirige » (arrêt, p. 104), la Cour d’appel a méconnu les textes précités, par fausse interprétation et fausse application ; qu’en effet, en l’absence de dissimulation - constatée en l’espèce - le seul constat de ce que la société est composée d’associés ayant des liens familiaux, lorsque seul l’un d’entre eux est mis en cause, ne permet pas de présumer l’approbation voire la complicité passive des autres associés, et de déroger aux règles d’ordre public de la prescription ;

2) alors qu’en tout état de cause, (deuxième branche) la Cour d’appel a privé sa décision de base légale, en ce sens qu’elle n’a pas procédé aux constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit, en se prononçant par des motifs abstraits et généraux, qui n’exposent pas l’identité des associés qui composaient les différentes sociétés visées par la prévention, ni a fortiori ce qui l’autorisait à considérer qu’une présentation, à ces personnes, des comptes annuels, excluait nécessairement l’exercice d’un contrôle permettant au délai de prescription de commencer à courir, dans une situation où, comme l’a expressément constaté la Cour d’appel, il n’y a eu aucune dissimulation des opérations dans la comptabilité » (arrêt, p. 104), 3) alors que par ailleurs, (troisième branche) le point de départ du délai de prescription ne peut être reporté au-delà du jour où le délit est apparu et », et non au jour où il a été effectivement constaté, sous peine d’ériger en règle une totale imprescriptibilité ; qu’en retenant que le délai de prescription a commencé à courir, pour le faits liés à certaines sociétés, au moment de la dénonciation de l’Administration des Contributions Directes (ACD) le 28 septembre 2010, lorsqu’ainsi que le soulignaient les conclusions (point 84), cette autorité n’a décidé de procéder à une dénonciation au Procureur d’Etat qu’une année après l’établissement de ses rapports pour les sociétés SOCIETE7.), SOCIETE6.) et SOCIETE11.), et que pourtant, selon l’article 23 (2) du Code de procédure pénale, toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, ainsi que tout salarié ou agent chargés d'une mission de service public, qu'il soit 5 engagé ou mandaté en vertu de dispositions de droit public ou de droit privé, qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance de faits susceptibles de constituer un crime ou un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur d'Etat et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs », et que selon l’article 16 (b) de la Loi du 19 décembre 2008 ayant pour objet la coopération interadministrative et judiciaire et le renforcement des moyens de l’Administration des contributions directes, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et de l’Administration des douanes et accises, l’Administration des contributions directes et l’Administration de l’enregistrement et des domaines qui, dans l’exercice de leurs attributions, acquièrent la connaissance d’un crime ou d’un délit, sont tenues d’en donner avis sans délai au procureur d’Etat et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs », la Cour d’appel a méconnu ces dispositions, ainsi que les articles 638 alinéa 1er et 637 (1) alinéa 1er du Code de procédure pénale, 4) alors qu’à tout le moins, (quatrième branche) la Cour d’appel devait se prononcer sur ce point particulier des conclusions (point 84), dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, elle retenait la dénonciation des faits à l’Administration des contributions directes comme point de départ du délai de prescription ; que sa décision se trouve privée de motifs en raison de ce défaut de réponse à conclusions, 5) alors qu’enfin, (cinquième branche) en retenant que le délai de prescription a couru, pour les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A, au fur et à mesure des mesures d’instruction » (arrêt, p. 105), la Cour d’appel a privé sa décision de motifs, n’indiquant pas, pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur le point de départ du délai de prescription, la nature et la date de chacune des mesures d’instruction considérées. ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Dans les motifs repris au moyen, les juges d’appel ont, par une appréciation souveraine qui échappe au contrôle de la Cour de cassation, retenu qu’en raison des liens familiaux unissant le prévenu, dirigeant, et les actionnaires et associés des sociétés concernées par les abus de biens sociaux, tout contrôle effectif des comptes sociaux par l’assemblée générale était exclu et en ont déduit que l’infraction était à considérer comme occulte ou clandestine.

Ils ont ainsi pu, sans violer les dispositions visées au moyen, retenir que le point de départ du délai de prescription était reporté au jour où l’infraction d’abus de biens sociaux a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.

6 Sur la deuxième branche du moyen Il ressort de la réponse donnée à la première branche du moyen que les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, caractérisé les faits qui les ont amenés à reporter le point de départ du délai de prescription.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa deuxième branche, n’est pas fondé.

Sur la troisième branche du moyen Il ressort de la réponse donnée à la première branche du moyen que les juges d’appel ont pu, sans violer la loi, reporter le point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour où le délit d’abus de biens sociaux, infraction occulte ou clandestine, a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

Le moyen fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir retenu au titre de la date à laquelle les faits étaient susceptibles d’être découverts celle à laquelle l’Administration des contributions directes en a eu connaissance et qui se situe environ un an avant la date de la dénonciation au Procureur d’Etat du 28 septembre 2010.

Il résulte de l’arrêt attaqué que la prescription a été interrompue par le premier réquisitoire de poursuite daté du 20 décembre 2010.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa troisième branche, est inopérant.

Sur la quatrième branche du moyen Il ressort de la discussion de la quatrième branche du moyen que le demandeur en cassation reproche aux juges d’appel un défaut de réponse à conclusions par rapport à l’argument de la tardiveté de la dénonciation des faits au Ministère public « par » (et non comme indiqué au moyen « à ») l’Administration des contributions directes.

Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

Dès lors que l’argument développé sous le point 84 des conclusions en appel du demandeur en cassation se limitait à évoquer l’article 23, paragraphe 2, du Code de procédure pénale sans en tirer aucun moyen, il n’était pas susceptible d’avoir une incidence sur le point de départ du délai de prescription et il n’exigeait pas de réponse de la part des juges d’appel.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa quatrième branche, n’est pas fondé.

7 Sur la cinquième branche du moyen Il est fait grief aux juges d’appel de n’avoir pas suffisamment motivé leur décision relativement à la question du point de départ du délai de prescription de l’infraction d’abus de biens sociaux en rapport avec les sociétés SOCIETE14.), SOCIETE15.), SOCIETE16.), SOCIETE4.), SOCIETE5.), SOCIETE17.), SOCIETE18.), Résidence GROUPE1.), SOCIETE19.) et SOCIETE20.).

En retenant « En ce qui concerne les faits en relation avec les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A., les infractions ont été découvertes au fur et à mesure des mesures d’instruction, c’est-à-dire nécessairement après le 1er réquisitoire du 20 décembre 2010. Le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 a inclus ces faits et constitue le premier acte interruptif de prescription. Au vu de ce réquisitoire et des mesures d’instruction subséquentes, les faits d’abus de biens sociaux en relation avec lesdites sociétés ne sont pas prescrits », les juges d’appel n’ont pas privé leur décision de la motivation nécessaire pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur le point de départ du délai de prescription.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa cinquième branche, n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « (prescription de l’action publique : absence de prise en compte par la cour d’appel de l’existence de contrôles fiscaux, arguments contenus dans les conclusions) Tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 195 alinéa 1er du Code de procédure pénale, violation constituée par une non-réponse à conclusions, constituant une insuffisance de motifs et valant absence de motifs, en ce que l’arrêt attaqué a rejeté le moyen tiré de l’acquisition de la prescription de l’action publique s’agissant des faits qui se seraient réalisés avant le 20 septembre 2007, aux motifs que les règles légales applicables en matière de prescription, notamment les modifications des articles 637 et 638 du Code de procédure pénale opérées par 1) la loi du 6 octobre 2009 renforçant le droit des victimes, qui a allongé le délai de prescription de l’action publique de trois à cinq ans pour les délits commis après son entrée en vigueur en date du 1er janvier 2010 et 2) la loi du 24 février 2012 relative à la récidive internationale, qui a rendu le délai de prescription 8 de cinq ans applicable à la répression des délits commis avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 octobre 2009, pour autant que la prescription de ces délits ne soit pas déjà acquise, ont été correctement développées par le tribunal.

Concernant le point de départ de la prescription de la poursuite d’une infraction, le délai de prescription court en principe à partir du jour où l'infraction est commise, respectivement à partir du jour où l'infraction a été réalisée dans tous ses éléments.

Le mécanisme de l’infraction collective permet de reporter ce point de départ de la prescription.

Cependant, c’est à bon droit que le tribunal a considéré que les faits reprochés au prévenu ne sont pas susceptibles de constituer une infraction collective. En effet, l’infraction collective se caractérise par plusieurs faits, constituant chacun une infraction, mais formant une activité criminelle unique parce qu’ils sont liés entre eux par une unité de conception et de but. En l’espèce, la différence des modes opératoires, qui se traduit par les différentes sociétés impliquées dans les acquisitions des montres ou encore par les différents modes de comptabilisation des acquisitions des montres ne permettent pas de conclure à une unité de conception. Sur ce point, le jugement est à confirmer, par adoption de ses motifs.

En cas d’infractions clandestines ou dissimulées, la jurisprudence reporte également le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

"Les infractions occultes ou clandestines par nature sont des infractions astucieuses dont la clandestinité est un élément constitutif ou est inhérente à l’infraction, c’est-à-dire, la réalisation de l’infraction ne se conçoit pas en dehors de la clandestinité. Dans cette catégorie se rangent, par exemple, l’abus de confiance, la tromperie, l’atteinte à l’intimité de la vie privée, mais aussi l’abus de biens sociaux. Pour ces infractions, le point de départ de la prescription doit être fixé, non au jour de leur commission effective, mais au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique (Cour n° 11/20 X du 15 janvier 2020)".

En l’absence de dissimulation des opérations dans la comptabilité, la date de présentation des comptes annuels aux associés aux fins d’approbation, par lesquels les dépenses ont indûment été mises à charge de la société, permet aux associés de voir que des dépenses ont été imputées à tort à la société et elle constitue, dans une telle hypothèse, le point de départ de la prescription.

Cependant, il en va différemment lorsque le dirigeant est, ensemble avec les membres de sa famille ou avec les personnes morales dont il a le contrôle direct ou indirect, associé ou actionnaire de la société qu’il dirige. Une telle hypothèse est donnée en l’espèce étant donné que les sociétés incriminées sont toutes dirigées par le prévenu et que leurs actionnaires sont tous des membres de la famille PERSONNE1.).

9 Dans un tel cas de figure, l’on ne peut s’attendre à ce que l’une de ces personnes dénonce des irrégularités comptables ou des faits constitutifs d’abus de biens sociaux, dont elle est directement ou indirectement appelée à bénéficier. Le mécanisme de contrôle effectif des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires est alors exclu, de sorte qu’il est, dans un tel cas, justifié de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-

à-dire au jour où le ministère public a eu connaissance des infractions, sans qu’il soit nécessaire d’analyser le caractère dissimulé des opérations en cause.

Ainsi que le ministère public le fait valoir, le point de départ de la prescription se situe pour les faits en relation avec les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE11.), SOCIETE7.), SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.) au jour de la dénonciation en date du 28 septembre 2010 par l’Administration des contributions directes. Pour les faits concernant les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE7.), SOCIETE11.), SOCIETE2.) et SOCIETE12.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire d’ouverture d’instruction du ministère public du 20 décembre 2010 et par les autres mesures d’instruction subséquentes. Pour la société SOCIETE13.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 et les mesures d’instruction subséquentes. Les faits d’abus de biens sociaux en relation avec ces sociétés ne sont donc pas prescrits.

En ce qui concerne les faits en relation avec les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A., les infractions ont été découvertes au fur et à mesure des mesures d’instruction, c’est-à-dire nécessairement après le 1er réquisitoire du 20 décembre 2010. Le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 a inclus ces faits et constitue le premier acte interruptif de prescription. Au vu de ce réquisitoire et des mesures d’instruction subséquentes, les faits d’abus de biens sociaux en relation avec lesdites sociétés ne sont pas prescrits.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la prescription est à rejeter, par confirmation du jugement, quoique pour d’autres motifs », 1) alors que d’une part, (première branche) la Cour d’appel a littéralement omis de tenir compte des arguments qui la saisissaient, dans les conclusions, selon lesquels d’une part, hormis SOCIETE6.), SOCIETE7.) et SOCIETE11.), les autres sociétés visées par le réquisitoire ont également fait l’objet de contrôles fiscaux réguliers, sans que cela suscite la moindre alerte de la part de l’ACD » (conclusions, point 77, pièce n°9), 2) alors que d’autre part, (deuxième branche), la Cour d’appel n’a pas non plus répondu aux conclusions qui faisaient valoir que les infractions étaient susceptibles d’être découvertes lors du dépôt des déclarations fiscales auprès de l’AED » (point 85 et s.), privant sa décision de motifs, 3) alors qu’enfin, (troisième branche) la Cour d’appel n’a pas répondu à l’argument tiré de ce que chaque déclaration d’impôt sur le revenu de Monsieur 10 PERSONNE1.) comportait en annexe un tableau reprenant l’ensemble de ses dettes, notamment à l’endroit de ses sociétés » (point 87), ce qui permettait la détection des opérations litigieuses, privant une nouvelle fois sa décision de motifs. ».

Réponse de la Cour Sur les trois branches du moyen réunies Il ressort de la réponse donnée à la première branche du premier moyen que l’infraction d’abus de bien sociaux retenue à charge du demandeur en cassation a été qualifiée d’infraction occulte ou clandestine, de sorte que le point de départ du délai de prescription a été reporté au jour où le délit a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Il en découle que l’examen de l’argumentation du demandeur en cassation était surabondant.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « (matérialité des abus de biens sociaux qui seraient constitués par des achats de montres ayant fait l’objet d’une inscription au compte courant d’associé du demandeur en cassation) Tiré de défaut de base légale, au regard de l’article 171-1 ancien de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré Monsieur PERSONNE1.) coupable d’abus de biens sociaux s’agissant des montres acquises par le biais de différentes sociétés, pour lesquelles la valeur d’achat a été reportée au débit de son compte courant d’associé, aux motifs que le tribunal a correctement énuméré les éléments constitutifs de l’abus de biens sociaux, incriminé par l’article 1500-11 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales (ancien article 171-1), à savoir a) la qualité de dirigeant, b) un usage des biens sociaux ou du crédit de la société c) qui soit contraire à l’intérêt social et d) la recherche d’un intérêt personnel et un usage conscient de mauvaise foi.

L’abus de biens sociaux est une infraction instantanée, qui se consomme au jour de l’usage des biens sociaux et dont l’existence n’est pas effacée par un remboursement ultérieur ou du fait d’une régularisation ultérieure d’une écriture comptable. En l’occurrence, le jour de l’usage des biens sociaux correspond au jour des paiements des montres achetées et non pas au jour de l’approbation des comptes, ainsi que le tribunal l’a spécifié.

Le prévenu ne conteste pas avoir été dirigeant de droit / de fait des sociétés visées par l’ordonnance de renvoi.

11 Les poursuites pénales portent sur le paiement de 842 montres de collection que le prévenu admet avoir acquises par le biais de 18 sociétés qu'il détenait (n° 95 de la note de plaidoiries du prévenu).

Il est à noter que les paiements visés par l’ordonnance de renvoi n’émanent pas des sociétés SOCIETE7.), SOCIETE21.) S.A. et SOCIETE22.) S.A.

Le prévenu reconnaît qu’il est amateur de montres de collection, qu’il s'est déplacé personnellement auprès des bijoutiers pour y choisir et y commander les 842 montres de collection, précise qu'une partie des acquisitions ont été facturées à sa demande aux sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE6.) Sarl, SOCIETE11.) Sarl, SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE13.) S.A., SOCIETE12.) S.A., SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A., et que celles-ci se sont acquittées du prix des montres.

Le prévenu explique également que l’autre partie des montres en litige, c'est-

à-dire 319 montres, a été achetée par la société SOCIETE2.) S.A. à des fins d'investissement. D'après ses mandataires, ces montres sont restées à l'actif du bilan de SOCIETE2.), sous le poste "autres valeurs mobilières".

Lors de la perquisition au domicile du prévenu en date du 20 septembre 2011, 643 montres ont été saisies. Il convient de retenir, malgré les déclarations divergentes du prévenu à l'audience de la Cour d'appel du 2 mai 2022, mais conformément aux explications des mandataires du prévenu, que ces 319 montres financées par SOCIETE2.) font partie des montres qui ont été saisies lors de la perquisition au domicile du prévenu.

Le témoin PERSONNE2.) a déclaré sous la foi du serment qu'à l'occasion de cette perquisition, les 643 montres trouvées sur place ne se trouvaient pas dans leurs boîtes. Selon le témoin, les boîtes étaient trop grandes pour être stockées dans les tiroirs. Le prévenu a déclaré à l'audience de première instance que les montres étaient rangées par tiroirs ou sur des plateaux et qu'elles étaient différenciées par marques.

Trois types de paiements sont à distinguer en l’espèce, à savoir :

° les paiements relatifs aux montres acquises par le prévenu, comptabilisés en comptes "charges" dans la comptabilité des sociétés concernées, ° les paiements relatifs aux montres acquises par le prévenu, comptabilisés en fin d'exercice et avant le dépôt des comptes annuels au débit du compte courant d'associé détenu par le prévenu auprès des sociétés concernées (excepté SOCIETE2.)), ° les paiements des 319 montres par SOCIETE2.). Pour ce qui concerne ces montres, le ministère public soutient qu'une partie des acquisitions des montres a été inscrite au débit du compte courant d'associé du prévenu pour le montant total de 2.047.495 euros. A cet effet, il se fonde sur le rapport d’expertise Groupe PERSONNE1.) - SOCIETE13.) FINANCE SPF du 14 février 2017 (page 3), versé en pièce 5 par le prévenu et portant sur l’analyse des paiements visés par le 12 réquisitoire du ministère public, qui identifie 45 opérations pour un montant total de 2.047.495,36 euros, qui ont été imputées directement en compte courant d’associé. Or, au vu des contestations du prévenu et du fait que selon le rapport d'expertise précité, ce sont des dépenses privées qui ont imputées en compte courant d'associé pour le montant de 2.047.495 euros, sans plus ample spécification, il n’est pas établi que ces dépenses privées se rapportent à des montres de luxe. Aussi faut-

il admettre que les achats des 319 montres en question ont été comptabilisés, non pas en compte courant d'associé, mais au bilan de SOCIETE2.) sous le poste "valeurs mobilières", pour un montant qui s’élevait fin 2009 à 6.559.734,50 euros, ainsi que cela ressort du rapport d’expertise Xinex de janvier 2021 versé en pièce 3 par le prévenu. Il y a cependant lieu de noter que le ministère public reproche au prévenu d’avoir effectué par le biais de SOCIETE2.) le paiement des 319 montres par des paiements à hauteur de 6.973.088,11 euros et que de l’aveu-même du prévenu repris au numéro 226 de sa note de plaidoiries et à la page 96 du présent arrêt, celui-ci reconnaît que le prix de ces montres s’élève à 6.973.087,95 euros.

Pour être répréhensible, l’usage des biens ou du crédit de la société doit être contraire à l’intérêt social. Un acte non conforme à l’objet social n’est pas nécessairement contraire à l’intérêt social.

Est contraire à l’intérêt social, tout acte qui expose le patrimoine social à un risque anormal, auquel il ne devait pas être exposé. Ce risque est à apprécier à la date de la commission de l’infraction, donc au jour des paiements en question.

[…] b) Quant aux paiements des acquisitions de montres à titre personnel par le prévenu, comptabilisés en fin d'exercice et avant le dépôt des comptes annuels au débit du compte courant d'associé dans la comptabilité des sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE6.) Sarl, SOCIETE11.) Sarl, SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE13.) S.A., SOCIETE12.) S.A., SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A, excepté SOCIETE2.), la pratique des comptes courants d’associé débiteurs n’est certes pas interdite au ADRESSE1.), mais elle reste susceptible, selon les circonstances, de constituer un abus de biens sociaux.

Etant donné que le risque encouru par le patrimoine social des sociétés concernées du fait des financements des acquisitions de montres s'apprécie au moment de la commission de l'infraction, donc des paiements respectifs, il importe peu de savoir en l'espèce que les comptes courants d'associé ont effectivement été rémunérés pendant toute la durée de la procédure pénale par la mise en compte d'un taux d'intérêt annuel de 5 % à charge de l'associé au bénéfice des sociétés concernées ou encore qu'aucun risque financier ne s'est concrétisé par la suite, dans la mesure où lesdites sociétés sont restées solvables et n'ont pas fait faillite.

Au vu du caractère instantané de l'infraction d'abus de biens sociaux, les velléités de remboursement du prévenu, qu'il s'agisse de flux de liquidités ou de mécanismes de compensation de créances, ainsi que toutes les cessions de créance portant sur les soldes débiteurs des comptes courants d'associé du prévenu et 13 opérées le 31 décembre 2010 au bénéfice de SOCIETE23.) Ltd n'ont aucune incidence sur la qualification pénale des faits.

Les agissements incriminés présentent la particularité que l’usage des fonds des sociétés a fait l’objet de flux financiers et d’écritures comptables transparents et que le prévenu n’a pas eu recours à des falsifications pour les achats des montres.

Ils présentent également la particularité d'une absence de mécanisme de contrôle des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires, vu que le prévenu et les membres de sa famille avaient le contrôle direct ou indirect des sociétés en cause.

Une classification directe en compte-courant d'associé est à considérer comme un paiement par la société pour compte de son associé (cf rapport d’expertise Groupe PERSONNE1.) – SOCIETE2.) du 14 février 2017 page 3, versé en pièce 5 par le prévenu).

L'intérêt d'une société est de réaliser des bénéfices.

En l'espèce, les sociétés concernées ont procédé à d’itératifs paiements conséquents dans le cadre d'acquisitions de montres destinées au prévenu, leur dirigeant, sans le moindre plan et la moindre garantie de remboursement par le prévenu, en supportant le risque d’une éventuelle insolvabilité du prévenu.

En effet, aucun plan de remboursement des montants avancés ne prévoyait d’échéance concrète de remboursement. Ce remboursement était tout simplement incertain, imprévisible, laissé à l'entière discrétion du prévenu. De plus, lors des paiements en question, aucune garantie n’a été fournie par le prévenu quant au remboursement des montants avancés. Bien que celui-ci affirme, par référence à sa pièce 14, avoir garanti l’ensemble de ses dettes en compte courant par le biais de cautionnements personnels antérieurs aux acquisitions des montres, à concurrence de montants supérieurs au montant total des acquisitions des montres, il n’en reste pas moins que ladite pièce 14 porte sur des cautionnements personnels que le prévenu a fournis pour garantir les dettes de ses sociétés à l’égard de banques et non pas pour garantir ses propres dettes en compte courant d’associé à l’égard des sociétés en question.

Les paiements d'acquisitions purement privées du dirigeant social pour des montants conséquents, moyennant l'unique constat comptable de l'existence d'une dette du prévenu envers les sociétés, ont privé lesdites sociétés de leur trésorerie.

Ainsi que le tribunal le retient, c'est une créance non liquide et potentiellement non recouvrable qui a remplacé de l'argent liquide et disponible.

Dans l’ensemble des circonstances ci-dessus décrites, la perspective d'un taux d'intérêt de 5 % ne justifiait pas l'intérêt des sociétés concernées à avancer des montants d'un tel import à leur dirigeant.

Il découle de ce qui précède que les paiements opérés ont fait courir des risques injustifiés et anormaux aux sociétés en cause. Ils étaient, partant, contraires à leur intérêt social. Sur ce point, le jugement est à confirmer ».

14 1) alors que (première branche) la contrariété à l’intérêt social résultant d’une dépense engagée par la société s’entend de l’exposition à un risque anormal, et ne saurait s’apprécier in abstracto, indépendamment du contexte dans lequel elle s’inscrit, des contreparties éventuellement accordées à ce titre à la société, et de la santé financière de cette dernière ; que la Cour d’appel ne pouvait baser sa décision sur le fait que le risque encouru par le patrimoine social des sociétés concernées du fait des financements des acquisitions de montres s'apprécie au moment de la commission de l'infraction, donc des paiements respectifs » (arrêt, p. 107), sans examiner l’opération dans sa globalité, ni examiner de manière concrète le risque auquel la société, dont la prospérité n’a pas été remise en cause, aurait été exposée, et sans tirer les conséquences de la (p. 107).

La Cour d’appel a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l’article 171-

1 ancien de la loi du 10 aout 1915, 2) alors que (seconde branche), la pratique du compte courant d’associé débiteur dans une société commerciale est admise en droit positif luxembourgeois ;

qu’il en découle implicitement mais nécessairement que la société peut, par principe, faire des avances de fonds à ses associés, y compris pour des raisons personnelles, ceux-ci étant tenus de les rembourser, ou s’exposant à un risque de requalification en distribution de dividendes ; qu’ainsi, le constat du recours à un mécanisme de prêt, par une société, à son associé, serait-ce pour un usage personnel, ne permet pas de caractériser un abus de biens sociaux, en dehors de toute circonstance supplémentaire de nature à compromettre l’intérêt social, telle que des difficultés financières de la société, ou du dirigeant devenu débiteur ; qu’en retenant que les paiements d'acquisitions purement privées du dirigeant social pour des montants conséquents, moyennant l'unique constat comptable de l'existence d'une dette du prévenu envers les sociétés, ont privé lesdites sociétés de leur trésorerie » (arrêt, p. 108), sans démontrer par ailleurs que ces opérations auraient mis ou pu mettre les sociétés concernées en difficulté financière, notamment au regard d’une appréciation concrète de leur santé financière, ou de l’insolvabilité du demandeur en cassation, la Cour d’appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard de l’article 171-1 ancien de la loi du 10 aout 1915. ».

Réponse de la Cour Sur les deux branches du moyen réunies Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit.

Dans les motifs repris au moyen, les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, caractérisé la contrariété à l’intérêt social des faits reprochés au demandeur en cassation.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

15 Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « (matérialité des abus de biens sociaux qui seraient constitués par les achats de montres par SOCIETE2.), acquisitions figurant dans son patrimoine social) Tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 6§1 de la Convention européenne, de l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, des articles 544, et 2228 à 2232 du Code civil, en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré M.

PERSONNE1.) coupable d’abus de biens sociaux s’agissant des montres acquises par SOCIETE2.) pour elle-même, aux motifs qu’ en ce qui concerne les paiements des montres qui auraient été acquises par SOCIETE2.) à titre d'investissement, comptabilisés sous le poste "autres valeurs mobilières", l'apparence de propriété de SOCIETE2.) quant à ces montres qui découle des écritures comptables est contredite par les éléments suivants :

Le choix des montres était fonction de la libre appréciation du prévenu et ne résultait pas d'un plan d'investissement préalablement établi afin de définir une stratégie d'achat de SOCIETE2.) de tels ou tels marques et modèles de montres en vue d'obtenir le meilleur bénéfice.

Le prévenu avait la possession matérielle des 319 montres. En effet, il les détenait à son domicile. Elles y étaient entreposées d'une manière telle qu'il n'était pas possible de les individualiser par rapport aux autres montres ayant été financées par les autres sociétés du prévenu pour son compte. Il n’existait aucun rangement en fonction de l’identité du propriétaire des montres. Il y a lieu de se référer, quant aux conditions de stockage et de conservation des 319 montres, aux dépositions du témoin PERSONNE2.) et aux déclarations du prévenu, ci-dessus développées.

Un contrat de dépôt des 319 montres entre SOCIETE2.) et le prévenu n’a pas été allégué, respectivement versé en cause. L’argument, selon lequel il aurait été plus sûr d’entreposer les montres de SOCIETE2.) dans la chambre forte du domicile du prévenu, au lieu de toute autre solution destinée à pallier l’absence de coffre-fort dans les locaux de SOCIETE2.), n’emporte pas la conviction de la Cour d’appel. La complète confusion au domicile du prévenu entre les montres faisant prétendument partie du patrimoine de SOCIETE2.) et celles que le prévenu avait acquises par le biais des autres sociétés incriminées témoigne de ce qu’en réalité et dès le départ, les 319 montres étaient destinées à l’usage privatif du prévenu.

Le mode de comptabilisation des montres à l’actif de la société au poste "valeurs mobilières" n’y change rien.

16 En effet, force est de constater que tout comme pour les deux premières catégories d’acquisitions de montres (comptabilisées en compte "charges" ou en compte courant d’associé), c'est-à-dire quel qu'ait été le mode de comptabilisation des acquisitions de montres, le prévenu choisissait les montres, les commandait, en obtenait la délivrance et en disposait ensuite librement, tandis que les sociétés payaient les acquisitions.

Tous ces éléments contredisent l’apparence comptable et l’affirmation du prévenu selon laquelle SOCIETE2.) aurait procédé à un investissement en acquérant les 319 montres en question et en aurait eu la propriété.

Il n’existait aucun intérêt pour SOCIETE2.) à financer l’achat de montres de luxe en vue de leur seule mise à disposition ultérieure au prévenu, dans l’intérêt personnel de ce dernier.

Pour les mêmes raisons que celles développées au point b), les paiements effectués par SOCIETE2.) lui ont fait courir des risques injustifiés et anormaux et étaient par conséquent contraires à son intérêt social. Sur ce point, le jugement est à réformer », 1) alors que d’une part, (première branche), en faisant reposer l’ensemble de la caractérisation de la condition de contrariété à l’intérêt social sur le renversement de (arrêt, p. 108), pour attribuer ce droit de propriété sur les 319 montres inscrites à l’actif de cette société à Monsieur PERSONNE1.), sans avoir mis les parties présentes en mesure de débattre de cette question purement civile portant sur une éventuelle prescription acquisitive au préalable, et en outre, sans avoir invité la société SOCIETE2.), principale intéressée, à en discuter dans le cadre des débats au fond sur la culpabilité, la Cour d’appel a violé le principe du contradictoire tel qu’il découle de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 2) alors que d’autre part, (deuxième branche), un bien meuble acquis, sur ses propres fonds, par une société, et inscrit à l’actif de celle-ci dans la catégorie , lui appartient, sans que la seule de ce bien par son dirigeant puisse faire échec au droit de propriété de la personne morale ; qu’en retenant, pour caractériser des actes contraires à l’intérêt de SOCIETE2.), que Monsieur PERSONNE1.) serait le propriétaire réel des 319 montres dès lors qu’il en avait , la Cour d’appel a méconnu l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, ainsi que les articles 544, et 2228 à 2232 du Code civil, 3) alors qu’enfin (troisième branche), en se prononçant ainsi, par des motifs erronés quant au prétendu défaut de propriété de SOCIETE2.) sur les 319 montres, la Cour d’appel n’a pas caractérisé l’une des conditions du délit d’abus de biens sociaux prévu à l’article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, en l’occurrence la contrariété à l’intérêt social, et a nécessairement privé sa décision de base légale au regard de ce texte. ».

17 Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Il ressort des pièces de procédure auxquelles la Cour peut avoir égard que la question du droit de propriété des 319 montres comptabilisées au bilan de la société SOCIETE2.) sous le poste « autres valeurs mobilières » était dans le débat devant les juges d’appel.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, manque en fait.

Sur la deuxième branche du moyen En décidant, par l’ensemble des motifs repris au moyen, sans se limiter au point touchant à la « possession matérielle » des montres, que le demandeur en cassation était, contrairement aux apparences comptables, le propriétaire des 319 montres saisies à son domicile privé, les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa deuxième branche, n’est pas fondé.

Sur la troisième branche du moyen Au vu des réponses données aux deux premières branches du moyen, desquelles il résulte que le demandeur en cassation a financé l’acquisition, pour son compte, de 319 montres moyennant des avoirs de la société SOCIETE2.), les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, caractérisé la contrariété à l’intérêt social des faits reprochés au demandeur en cassation.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa troisième branche, n’est pas fondé.

Sur le cinquième moyen de cassation Enoncé du moyen « (élément intentionnel des abus de biens sociaux) Tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, et défaut de base légale, violation des articles 89 de la Constitution et 195 du Code de procédure pénale, en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré M.

PERSONNE1.) coupable d’abus de biens sociaux s’agissant des montres acquises par le biais de différentes sociétés, pour lesquelles la valeur d’achat a été reportée au débit de son compte courant d’associé, 18 aux motifs qu’ en ce qui concerne l’élément moral de l’infraction d’abus de biens sociaux, c’est à juste titre que le tribunal a considéré que l’abus de biens sociaux nécessite un dol général (un agissement de mauvaise foi) et un dol spécial (la recherche d’un intérêt personnel). La preuve du dol spécial révèle nécessairement le dol général.

En l’occurrence, le prévenu, même s'il a agi de manière tout-à-fait transparente d’un point de vue comptable, a indubitablement été animé par la recherche d’un intérêt personnel lorsqu’il a procédé à l’acquisition des montres en litige, au moyen de fonds appartenant à ses sociétés. Outre son intérêt de collectionneur, il reconnaît que les achats des montres ont été effectués à l'étranger par le biais des sociétés afin de permettre une acquisition hors TVA pour un certain nombre des acquisitions et afin d'obtenir une remise auprès de ses fournisseurs.

Le prévenu est mal fondé de soutenir ne pas avoir eu conscience que ses agissements étaient contraires aux intérêts de ses sociétés. En effet, en homme d’affaires expérimenté, il ne saurait se retrancher derrière une méconnaissance des notions commerciales, financières et juridiques de base et de la nécessité de strictement différencier patrimoine privé du dirigeant de société et patrimoine social. Ceci est d'autant plus vrai que le prévenu a eu à ses côtés un solide service de comptabilité l’épaulant dans sa fonction de dirigeant. D’ailleurs, il y a lieu de se référer aux déclarations du comptable PERSONNE3.) qui explique dans le cadre de son audition policière du 12 septembre 2012 annexée au rapport de synthèse coté B40 que pour certaines des sociétés du groupe PERSONNE1.), il avait été suggéré au prévenu de rembourser les prélèvements effectués par l’associé concernant des acquisitions qui ne correspondaient pas à des frais professionnels. Ceci dit et à supposer que des erreurs comptables aient été commises, cela n’exonère nullement le prévenu de sa responsabilité pénale, qui est tenu, en sa qualité de dirigeant de société de veiller à la stricte application de la législation en vigueur.

La transparence des agissements du prévenu n'affecte en rien le dol spécial qui est établi dans le chef du prévenu, ni le dol général qui en découle » ;

1) alors que (première branche), chaque partie de l’élément moral de l’infraction doit être caractérisée ; que c’est par fausse interprétation de l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, que la Cour d’appel a énoncé que (arrêt, p. 110) ; qu’après avoir caractérisé l’existence d’un dol spécial tenant à la recherche d’un intérêt personnel, la Cour d’appel a conclu que la transparence avec laquelle les faits avaient été commis n’affectaient ni le dol spécial qui était selon elle établi, ; que pourtant, le fait qu’un dirigeant ait pu agir dans un intérêt personnel n’implique pas automatiquement qu’il ait eu la conscience doublée de la volonté de contrarier l’intérêt de la société, l’intérêt personnel n’étant pas nécessairement exclusif de l’intérêt social ; que ce faisant, la Cour d’appel s’est prononcée par des motifs erronés, en méconnaissance du texte d’incrimination, 2) alors que, (deuxième branche), en conséquence de cette erreur d’interprétation juridique, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale en manquant de caractériser le dol général à l’encontre du demandeur en cassation, 19 3) alors que, (troisième branche), la Cour d’appel ne pouvait se borner à juger que , sans répondre davantage aux conclusions sur ce point. ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Le moyen fait grief fait aux juges d’appel de s’être prononcés par des motifs erronés, en méconnaissance du texte d’incrimination, en retenant « la preuve du dol spécial révèle nécessairement le dol général », partant de ne pas avoir caractérisé le dol général consistant en la conscience de porter atteinte à l’intérêt social par ses actes.

En retenant « Le prévenu est mal fondé de soutenir ne pas avoir eu conscience que ses agissements étaient contraires aux intérêts de ses sociétés. En effet, en homme d’affaires expérimenté, il ne saurait se retrancher derrière une méconnaissance des notions commerciales, financières et juridiques de base et de la nécessité de strictement différencier patrimoine privé du dirigeant de société et patrimoine social. Ceci est d'autant plus vrai que le prévenu a eu à ses côtés un solide service de comptabilité l’épaulant dans sa fonction de dirigeant. D’ailleurs, il y a lieu de se référer aux déclarations du comptable PERSONNE3.) qui explique dans le cadre de son audition policière du 12 septembre 2012 annexée au rapport de synthèse coté B40 que pour certaines des sociétés du groupe PERSONNE1.), il avait été suggéré au prévenu de rembourser les prélèvements effectués par l’associé concernant des acquisitions qui ne correspondaient pas à des frais professionnels. Ceci dit et à supposer que des erreurs comptables aient été commises, cela n’exonère nullement le prévenu de sa responsabilité pénale, qui est tenu, en sa qualité de dirigeant de société de veiller à la stricte application de la législation en vigueur. », les juges d’appel ont caractérisé le dol général, nonobstant le motif surabondant visé au moyen qui est resté sans influence sur le dispositif de l’arrêt.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, est inopérant.

Sur les deuxième et troisième branches du moyen réunies Il découle de la réponse donnée à la première branche du moyen que le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, n’est pas fondé.

Sur le sixième moyen de cassation Enoncé du moyen « (inconstitutionnalité du blanchiment-détention) 20 Tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 95ter de la Constitution, et des articles 2, 6 et 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, et insuffisance de motivation, en violation de l’article 89 de la Constitution, en ce que l’arrêt attaqué a refusé de renvoyer à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

Les articles 506-1(3) et 506- du Code pénal, en ce qu’ils permettent la poursuite et la répression de l’auto-blanchiment-détention dans le chef de l’auteur de l’infraction primaire, sont-ils conformes aux articles 12 et 14 de la Constitution et au principe à valeur constitutionnelle de proportionnalité ? » aux motifs que question préjudicielle dont le prévenu entend saisir la Cour constitutionnelle n'explique pas en quoi les articles 506-1(3) et 506-4 du Code pénal seraient contraires aux articles 12 et 14 de la Constitution, qui consacrent le droit à la liberté individuelle et le principe de la légalité des peines.

Il n'y a donc pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle de cette question alors qu’elle est dénuée de tout fondement.

D'autre part et concernant l'argumentation selon laquelle les articles 506-

1(3) et 506-4 du Code pénal, en ce qu’ils permettent la répression de l’auto-

blanchiment-détention, instaureraient une infraction qui restreint de manière disproportionnée les droits des citoyens, il n'appartient pas à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur l'opportunité d'une loi », 1) alors que, (première branche), en vertu de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, lorsqu'une partie soulève une question relative à la conformité d'une loi à la Constitution devant une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle ; qu’en vertu de l’article 8 de cette même loi, , étant rappelé que la juridiction peut même soulever d’office une question préjudicielle ; que la loi n’exige pas de motivation spécifique de la part de celui qui soumet à la juridiction une telle question ; qu’en considérant la question comme en raison du fait que celle-ci n'expliquerait pas , lorsqu’il ressortait suffisamment des conclusions sur ce point (p. 69 et s.) qu’était décrié le manquement de clarté et de prévisibilité de cette incrimination, et qu’en tout état de cause, il revenait à la Cour d’appel, saisie de la confrontation précise entre des textes à valeur légale et des dispositions constitutionnelles, d’expliquer en quoi la question était dénuée de fondement ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a violé les 95ter de la Constitution, et des articles 2, 6 et 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, 21 2) alors que, (deuxième branche), saisie par ailleurs d’une critique tirée de la violation du principe de proportionnalité récemment consacré par la Cour constitutionnelle, la Cour d’appel ne pouvait considérer de manière péremptoire, sans violer les articles visés à la première branche, qu’ ; que ce faisant, elle s’est prononcée en lieu et place de la Cour constitutionnelle, au prix d’un excès de pouvoir ; que cette Cour a en effet la possibilité de consacrer de nouveaux principes, en tenant compte, notamment, d’éléments de droit international qui priment sur la Constitution, tels les éléments du droit de l’Union européenne qui étaient mis en exergue dans les conclusions comme rendant disproportionnée et donc non nécessaire la répression de l’auto-blanchiment-détention, 3) alors que, (troisième branche), en se prononçant ainsi que décrit dans la deuxième branche, la Cour d’appel n’a constaté ni que la question n’était pas nécessaire pour résoudre son litige, ni qu’elle était dénuée de fondement, sa décision se trouvant dès lors dépourvue de motifs suffisants, en violation de l’article 89 de la Constitution selon lequel , 4) alors que, (quatrième branche), l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme consacre le droit d’accès au juge, notamment au juge constitutionnel, et prohibe à cet égard tout formalisme excessif ;

qu’en statuant comme décrit aux trois premières branches, la Cour d’appel a violé cette stipulation conventionnelle. ».

***** En complément de ces critiques, qui justifient la cassation de l’arrêt attaqué (V. en ce sens : Arrêt N°166/11 du 23 mars 2011 de la Cour de cassation) , le demandeur en cassation sollicite directement de la Cour de cassation, en sa qualité de juridiction suprême de l’ordre judiciaire, qu’elle introduise elle-même devant la Cour constitutionnelle la question telle qu’elle était posée à la cour d’appel, ainsi qu’elle en a le pouvoir (V. par exemple : Cour Constitutionnelle, 6 juin 2008, n° 44/08 ; 20 mai 2011, n°67/11 ; 24 avril 2020, n°145).

La Cour de cassation est également invitée à poser la question suivante :

Les articles 506-1 (3) et 506-4 du Code pénal, en ce qu’ils permettent la et la répression de l’auto-blanchiment-détention, contrairement à l’auto-recel prévu à l’article 505 du même Code, alors que ces deux infractions répriment la "détention" d’un bien d’origine illicite, soit exactement le même comportement, laissant ainsi à l’autorité poursuivante un pouvoir discrétionnaire de déclenchement des poursuites ne se justifiant pas par des motifs objectifs et suffisants, sont-ils conformes à l’article 10bis (1) de la Constitution qui consacre le principe d’égalité devant la loi ? ».

Cette question, de pur droit, apparaît parfaitement recevable, dans la mesure où la Cour de cassation dispose de tous les éléments utiles pour la trancher, et que la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle n’impose nullement qu’une question préjudicielle, pour être posée à hauteur de cassation, ait été préalablement soumise aux juges du fond. ».

22 Réponse de la Cour Sur les deux premières branches du moyen réunies Les juridictions ne sont pas tenues de saisir la Cour constitutionnelle si la réponse à la question soulevée est dénuée de tout fondement. Il appartient à la partie qui entend voir déférer une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle de motiver dans quelle mesure la question est susceptible d’être fondée.

Par la question préjudicielle citée au moyen, le demandeur en cassation entendait interroger la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité de l’infraction d’auto-blanchiment-détention par rapport aux articles 12 et 14 de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, en lien avec le principe à valeur constitutionnelle de proportionnalité.

En retenant « telle que formulée par les mandataires du prévenu, la question préjudicielle dont le prévenu entend saisir la Cour constitutionnelle n'explique pas en quoi les articles 506-1(3) et 506-4 du Code pénal seraient contraires aux articles 12 et 14 de la Constitution, qui consacrent le droit à la liberté individuelle et le principe de la légalité des peines », les juges d’appel ont motivé leur décision de rejet de la question préjudicielle en conformité avec les articles 2, 6 et 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle nonobstant le motif surabondant cité à la deuxième branche du moyen.

Il s’ensuit que le moyen, pris en ses deux premières branches, n’est pas fondé.

Sur la troisième branche du moyen Il résulte de la réponse donnée aux deux premières branches du moyen que les juges d’appel ont motivé leur décision de rejet de la question préjudicielle.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa troisième branche, n’est pas fondé.

Sur la quatrième branche du moyen L’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») garantit le droit à un procès équitable dont fait partie le droit d’accès à un tribunal, mais il ne garantit pas le droit d’accès au juge constitutionnel.

Il résulte de la réponse donnée aux deux premières branches du moyen que les juges d’appel ont motivé leur décision de rejet de la question préjudicielle en conformité avec les articles 2, 6 et 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle qui réglementent l’accès à cette Cour, de sorte qu’ils n’ont pas violé l’article 6 de la Convention.

23 Il s’ensuit que le moyen, pris en sa quatrième branche, n’est pas fondé.

Le demandeur en cassation entend voir soumettre à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles suivantes :

« Les articles 506-1(3) et 506-4 du Code pénal, en ce qu’ils permettent la poursuite et la répression de l’auto-blanchiment-détention dans le chef de l’auteur de l’infraction primaire, sont-ils conformes aux articles 12 et 14 de la Constitution et au principe à valeur constitutionnelle de proportionnalité ? » et « Les articles 506-1 (3) et 506-4 du Code pénal, en ce qu’ils permettent la poursuite et la répression de l’auto-blanchiment-détention, contrairement à l’auto-

recel prévu à l’article 505 du même Code, alors que ces deux infractions répriment la « détention » d’un bien d’origine illicite, soit exactement le même comportement, laissant ainsi à l’autorité poursuivante un pouvoir discrétionnaire de déclenchement des poursuites ne se justifiant pas par des motifs objectifs et suffisants, sont-ils conformes à l’article 10bis (1) de la Constitution qui consacre le principe d’égalité devant la loi ? ».

Il ressort de l’énoncé et de la discussion du moyen dans le cadre duquel le demandeur en cassation entend voir saisir la Cour constitutionnelle qu’il est fait grief aux juges d’appel d’avoir, en violation de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, de l’article 95ter de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, des articles 2, 6 et 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle ainsi que de l’article 89 de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, refusé de renvoyer une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

L’article 10bis de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, consacre le principe d’égalité devant la loi. Il est étranger au grief formulé.

L’article 12 de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, consacre le droit à la liberté. Il est étranger au grief formulé.

L’article 14 de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, consacre le principe de la légalité des peines auquel est soumise toute disposition légale. Il est étranger au grief formulé.

Il s’ensuit que les questions préjudicielles proposées ne sont pas nécessaires pour la solution du litige et qu’il n’y a pas lieu de les poser.

24 Sur le septième moyen de cassation Enoncé du moyen « (contrariété de l’auto-blanchiment-détention au droit de l’Union européenne) Tiré de la violation de la Directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, ainsi que des articles 49 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce que l’arrêt attaqué a retenu cumulativement les infractions d’abus de biens sociaux et de blanchiment-détention à l’encontre du demandeur en cassation, aux motifs que  concernant le moyen selon lequel la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal n’encouragerait la punition de l’auto-blanchiment que si celui-ci implique une conversion, un transfert, une dissimulation, soit un acte distinct de l’infraction principale que le prévenu n’aurait pas commis, il n'est pas interdit au législateur national d'aller au-delà des exigences d'une directive et il ne relève nullement des attributions de la Cour d'appel ou de la Cour constitutionnelle de se prononcer sur le choix politique du législateur.

En l'espèce, dès le paiement des montres, l'infraction primaire d'abus de biens sociaux était consommée. Pour avoir lui-même perpétré l'infraction d'abus de biens sociaux, le prévenu connaissait dès leur paiement nécessairement l'origine délictuelle des montres qu'il détenait. Il n'est donc pas pertinent de savoir que la comptabilisation des acquisitions des montres a été confiée à des professionnels.

En conclusion, l’infraction de blanchiment-détention est établie en tous ses éléments constitutifs pour ce qui concerne l’intégralité des montres saisies suivant les procès-verbaux et rapport :

a) n° SPJ/31/BOJP/JDA/12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, b) n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-15 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, c) n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-20 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, d) l'annexe 5 du rapport n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-119 du 20 août 2015 du Service de police judiciaire, SOAS.

Ceci signifie, d’une part, que par réformation du jugement, l’infraction de blanchiment-détention vise également les 319 montres inscrites à l’actif du bilan de SOCIETE2.) et ayant été saisies au domicile du prévenu et, d’autre part, que le jugement est à confirmer en ce qu’il a retenu le prévenu dans les liens de l’infraction 25 de blanchiment-détention des montres financées par les autres sociétés incriminées », alors que, (branche unique),  l’article 3 paragraphe 1er, c) de la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, et l’article 1er, paragraphe 2, c) de la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005, dans laquelle elle s’inscrit, lus à la lumière des articles 49 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui garantissent respectivement la proportionnalité de la répression et le principe non bis in idem, s’opposent la répression, au titre du blanchiment, de l’auteur de l’infraction primaire, en plus de la déclaration de culpabilité résultant de cette première infraction, dans l’hypothèse où le comportement incriminé consiste en la seule du produit de l’infraction d’origine ; qu’en prononçant une double déclaration de culpabilité de ce chef, la Cour d’appel a méconnu ces dispositions du droit de l’Union européenne.

Le cas échéant, si elle l’estime nécessaire pour répondre à ce moyen, la Cour de cassation renverra à la Cour de Justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante :

 L’article 3 paragraphe 1er, c) de la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, et l’article 1er, paragraphe 2, c) de la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005, dans laquelle elle s’inscrit, lus à la lumière des articles 49 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’opposent-ils à une législation nationale, telle que celle qui a été appliquée en l’espèce, qui permet la répression, au titre du blanchiment, de l’auteur de l’infraction primaire, en plus de la déclaration de culpabilité résultant de cette première infraction, dans l’hypothèse où le comportement incriminé consiste en la seule "détention" du produit de l’infraction d’origine ? » ».

Réponse de la Cour L’article 1, paragraphe 1, de la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal énonce « La présente directive établit des règles minimales concernant la définition des infractions et sanctions pénales dans le domaine du blanchiment de capitaux ».

Cette disposition, claire et précise, n’est contredite ni par le considérant numéro 11 ni par les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que les dispositions de la directive ne s’opposent pas à l’incrimination de l’auto-blanchiment-détention dans les conditions prévues par l’article 506-4 du Code pénal.

Les articles 49 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte ») présupposent la mise en œuvre du droit de l’Union européenne.

26 Les poursuites pénales dirigées contre le demandeur en cassation n’appelaient pas la mise en œuvre du droit de l’Union européenne, de sorte que les dispositions de la Charte sont étrangères au litige.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Le demandeur en cassation entend, pour le cas où la Cour devait l’estimer nécessaire pour répondre au moyen, déférer la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union européenne :

 L’article 3 paragraphe 1er, c) de la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, et l’article 1er, paragraphe 2, c) de la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005, dans laquelle elle s’inscrit, lus à la lumière des articles 49 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’opposent-ils à une législation nationale, telle que celle qui a été appliquée en l’espèce, qui permet la répression, au titre du blanchiment, de l’auteur de l’infraction primaire, en plus de la déclaration de culpabilité résultant de cette première infraction, dans l’hypothèse où le comportement incriminé consiste en la seule "détention" du produit de l’infraction d’origine ? » ».

Au vu de la réponse donnée au moyen, il n’y a pas lieu de poser la question préjudicielle qui n’est pas pertinente pour la solution du litige.

Sur le huitième moyen de cassation Enoncé du moyen « (violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale) Tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 7§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de l’article 14 de la Constitution, de l’article 2 alinéa 1er du Code pénal, ensemble l’article 506-1 du même code, et l’article 171-1 ancien de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le demandeur en cassation coupable de blanchiment de faits d’abus de biens sociaux réalisés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008, aux motifs que cette infraction, visée à l'article 506-1.3) du Code pénal, nécessite l'existence d'une infraction primaire et d'un acte d'acquisition, de détention ou d'utilisation.

A partir du 27 juillet 2008, date de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et modifiant l'article 506-1 du Code pénal, le délit d'abus de biens sociaux a été 27 ajouté à l'énumération des infractions primaires dont le produit est susceptible d'être blanchi. En effet, cette loi a introduit un tiret supplémentaire selon lequel constitue une infraction primaire "toute autre infraction punie d'une peine privative de liberté punie d'un minimum supérieur à 6 mois", ce qui englobe l'article 171-1 (le nouvel article 1500-11) de la loi modifiée du 10 août 1915 selon lequel l'infraction d'abus de biens sociaux est punie d'une peine d'emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de 500 à 25.000 euros, ou d'une de ces deux peines seulement.

Il est un fait que les montres acquises et payées avant le 27 juillet 2008 proviennent d'un abus de biens sociaux. La détention par le prévenu de ces montres a été continue dans le temps et s’est prolongée sans interruption au-delà de la date du 27 juillet 2008.

A partir de cette date, cette détention est devenue punissable au titre de l'infraction de blanchiment-détention parce que l'abus de biens sociaux est devenu une des infractions primaires de l'infraction de blanchiment-détention.

L'infraction de blanchiment-détention se conçoit donc pour la période postérieure au 26 juillet 2008 en ce qui concerne les montres payées avant cette date. Une telle conclusion ne procède pas d'une application rétroactive de la loi pénale », alors que (branche unique) le principe de légalité et son corollaire, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, impliquent que le comportement répréhensible ait été initié postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi portant incrimination ; que ce principe vaut en cas d’extension du champ d’application du blanchiment-détention à une infraction jusqu’alors non prévue comme susceptible de constituer l’infraction d’origine de ce délit de conséquence ; qu’en retenant que les montres acquises et payées avant le 27 juillet 2008 proviennent d'un abus de biens sociaux » et que la détention par le prévenu de ces montres a été continue dans le temps et s’est prolongée sans interruption au-delà de la date du 27 juillet 2008 » (arrêt, p. 113), la Cour d’appel a violé les textes visés au moyen. ».

Réponse de la Cour Le blanchiment d’argent est une infraction prévue par l’article 506-1 du Code pénal. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et modifiant l’article 506-1 précité, toute infraction punie d’une peine privative de liberté d’un minimum supérieur à six mois constitue une infraction primaire au blanchiment.

Il ressort de l’arrêt attaqué, d’une part, que le demandeur en cassation a été retenu dans les liens de l’infraction d’abus de biens sociaux, infraction punissable d’une peine d’emprisonnement supérieure à six mois, pour des faits commis tant avant qu’après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008 et, d’autre part, qu’il a, en connaissance de cause, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008 instituant l’infraction d’abus de biens sociaux en infraction primaire au blanchiment, détenu les objets qu’il savait provenir d’abus de biens sociaux.

Le délit de blanchiment-détention est une infraction continue.

28 Il s’ensuit que les juges d’appel, sans violer les dispositions visées au moyen, ont pu retenir le demandeur en cassation dans les liens de l’infraction de blanchiment pour la période postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008 du chef de la détention de montres acquises à l’aide du produit des infractions d’abus de biens sociaux alors même que ces infractions ont été commises avant cette date.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le neuvième moyen de cassation Enoncé du moyen « (justification et proportionnalité des peines) Tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 14, 31 du Code pénal en vigueur au moment de la prévention, 506-1 du même code et 171-1 ancien de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, ainsi que de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et enfin de l’article 89 de la Constitution pour défaut de motivation ;

en ce que l’arrêt attaqué a ramené la peine d'emprisonnement, prononcée contre PERSONNE1.) du chef des infractions établies à sa charge et étant assortie d’un sursis intégral à l’exécution, à la durée d'une année, et ordonné la confiscation de l'intégralité des montres saisies suivant les procès-verbaux et rapport :

a. n° SPJ/31/BOJP/JDA/12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, b. n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-15 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, c. n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-20 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, d. l'annexe 5 du rapport n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-119 du 20 août 2015 du Service de police judiciaire, SOAS.

à titre de biens substitués à l'objet de l'infraction d'abus de biens sociaux, et confirmé l’amende de 250.000 euros prononcée à son encontre, aux motifs qu’ ainsi que le jugement l’énonce, le détournement d’une somme d’argent afin de payer une montre et la détention de cette montre sont en concours idéal et donnent lieu à application de l’article 65 du Code pénal. De même, chaque nouvelle utilisation par le prévenu des deniers d’une société pour payer une montre a nécessité une nouvelle résolution criminelle, de sorte qu’il y a lieu à application de l’article 60 du Code pénal.

La peine la plus forte est celle comminée par l’article 506-1 du Code pénal.

29 A partir du moment où une peine se situe endéans la fourchette légale prévue par la loi, il ne saurait être question de violation de l'article 14 de la Constitution.

Au vu de la gravité des faits, mais surtout au vu de leur ancienneté, il convient de ramener la peine d'emprisonnement à une année, par réformation du jugement.

Par adoption des motifs du jugement, c'est à bon droit que cette peine d'emprisonnement a été assortie d'un sursis intégral à l'exécution.

L'amende est légale, appropriée à la gravité des faits et est à confirmer.

En ce qui concerne la confiscation, c'est à bon droit que le tribunal s'est fondé sur l'article 31(2) du Code pénal. Toutefois, par réformation du jugement, toutes les montres saisies suivant les procès-verbaux et rapport :

a) n° SPJ/31/BOJP/JDA/12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, b) n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-15 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, c) n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-20 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, d) l’annexe 5 du rapport n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-119 du 20 août 2015 du Service de police judiciaire, SOAS.

sont à confisquer à titre de biens substitués à l'objet de l'infraction d'abus de biens sociaux », 1) alors que (première branche) au soutien de ses conclusions, Monsieur PERSONNE1.) rappelait notamment (résumé du moyen figurant dans l’arrêt, p. 96, conclusions point 230 et s.) ; que les juges pénaux doivent tenir compte des arguments qui les saisissent et y répondre, y compris lorsqu’ils déterminent les peines à appliquer (V. Cour de cassation, 5 mai 2022, n° 62 / 2022) ; qu’en prononçant l’ensemble de ces peines sans tenir compte de ces éléments, la Cour d’appel a privé sa décision de motifs, en violation de l’article 89 de la Constitution ;

2) alors que (seconde branche) en prononçant la confiscation de plusieurs centaines de montres initialement acquises à titre personnel à travers les sociétés qu’il dirigeait, malgré le fait que ces acquisitions ont fait l’objet d’une inscription en compte courant débiteur, puis d’une cession de créance avant même le déclenchement des poursuites et enfin d’un remboursement intégral, ce qui a réduit à néant l’atteinte à l’intérêt social protégé par l’incrimination, cette confiscation ayant été accompagnée, sur le fondement du texte incriminant le blanchiment, d’une amende de 250.000 euros, dix fois supérieure à l’amende encourue pour abus de biens sociaux alors que seule était reprochée la détention des biens issus de l’abus de biens sociaux, la Cour d’appel a prononcé une peine disproportionnée, en violation de l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. ».

30 Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, le moyen vise le défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme, dès lors qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

Par les motifs reproduits au moyen, les juges d’appel, qui n’étaient pas tenus d’examiner dans tous ses détails l’argumentation développée par le demandeur en cassation, ont motivé leur décision.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la seconde branche du moyen Sous le couvert de la violation des dispositions visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, du quantum des peines d’amende et de la mesure de confiscation, toutes prononcées en application et dans les limites prévues par la loi, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le dixième moyen de cassation Enoncé du moyen « (application rétroactive de la peine de confiscation de biens substitués à l’objet de l’infraction) Tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 2 et 31 du Code pénal en vigueur au moment de la prévention, 506-1 du Code pénal et 171-1 ancien de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, et de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et 7§1 de cette convention, en ce que l’arrêt attaqué a prononcé la confiscation des montres listées au dispositif, aux motifs qu’ en ce qui concerne la confiscation, c'est à bon droit que le tribunal s'est fondé sur l'article 31(2) du Code pénal. Toutefois, par réformation du jugement, toutes les montres saisies suivant les procès-verbaux et rapport :

31 a) n° SPJ/31/BOJP/JDA/12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, b) n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-15 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, c) n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-20 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, d) l’annexe 5 du rapport n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-119 du 20 août 2015 du Service de police judiciaire, SOAS.

sont à confisquer à titre de biens substitués à l'objet de l'infraction d'abus de biens sociaux », alors que (branche unique) une peine plus sévère ne peut être appliquée rétroactivement ; que ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2007 que les biens substitués à l’objet de l’infraction d’abus de biens sociaux sont susceptibles de confiscation ;qu’en confisquant l’ensemble des montres , lorsque la période de prévention (2004 à 2011) comprend des faits qui auraient été commis antérieurement à l’extension légale de la peine de confiscation spéciale, la Cour d’appel a méconnu le principe de non-rétroactivité des peines. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 31, paragraphe 1, du Code pénal en vigueur jusqu’au 16 août 2007, « la confiscation spéciale s’applique : (…) (3) aux choses qui ont été produites par l’infraction ou qui ont été acquises à l’aide du produit de l’infraction » et aux termes de l’article 31, paragraphe 1, du même code, en vigueur à compter du 17 août 2007, « la confiscation spéciale s’applique : 1) aux biens (…) formant l’objet ou le produit, direct ou indirect d’une infraction (…), 3) aux biens qui ont été substitués à ceux visés sous 1) du présent alinéa, y compris les revenus des biens substitués (…) ».

Il ressort de l’arrêt attaqué que les infractions d’abus de biens sociaux retenues à charge du demandeur en cassation ont été commises entre le 24 février 2004 et le 28 décembre 2011, de sorte que les biens qui ont été acquis à l’aide du produit de ces infractions, commises entre le 24 février 2004 et le 16 août 2007, sont à confisquer sur base de l’article 31, paragraphe 1, du Code pénal dans sa version applicable au moment de ces faits, tandis que les biens substitués à ceux formant l’objet des infractions d’abus de biens sociaux commises à partir du 17 août 2007 sont à confisquer sur base de l’article 31, paragraphe 1, du Code pénal dans sa version applicable au moment de ces faits.

Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux, erronés, de la Cour d’appel et rendant le moyen de cassation sans objet, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

32 PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 30,25 euros.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-et-un décembre deux mille vingt-trois, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, président de chambre à la Cour d’appel, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence de l’avocat général Anita LECUIT et du greffier Daniel SCHROEDER.

33 Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation Ministère public contre PERSONNE1.) en présence de SOCIETE1.) S.C.A., anciennement société anonyme SOCIETE1.) S.A., (affaire CAS-2022-00093 du registre) Par déclaration faite le 12 août 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, demeurant à ADRESSE1.), forma au nom et pour le compte de PERSONNE1.), un recours en cassation contre un arrêt numéro 227/22-X, rendu 13 juillet 2022 par la Cour d’appel du Grand-Duché de ADRESSE1.), dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle.

Cette déclaration de recours a été suivie en date du 9 septembre 2022 du dépôt d’un mémoire en cassation, signé par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, demeurant à ADRESSE1.), signifié antérieurement à son dépôt à la partie civile, SOCIETE1.) S.C.A., anciennement société anonyme SOCIETE1.) S.A.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi respecte les conditions de recevabilité définies par les articles 41 et 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation1.

Il en suit qu’il est recevable.

Sur les faits Il résulte de l’arrêt attaqué que PERSONNE1.) a été condamné par une chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de ADRESSE1.) à une peine d’emprisonnement de 2 ans, assortie d’un sursis intégral à son exécution et à une amende de 250.000.- euros du chef d’abus de biens sociaux en ce qui concerne l’ensemble des acquisitions de montres libellées par le Ministère public, à l’exception des 319 montres reprises à l’actif de la société SOCIETE2.), actuellement SOCIETE2.) SPF, et de blanchiment-détention. Sur appel du prévenu et du Ministère public, la Cour d’appel a réformé au pénal la décision de première instance et a dit que « les infractions d’abus de biens sociaux et de blanchiment-détention sont établies à charge de PERSONNE1.) également en ce qui concerne les paiements effectués par SOCIETE2.) S.A. et en ce qui concerne les 319 montres inscrites à l’actif du bilan de SOCIETE2.) SPF et saisies suivant 1 Le délai du pourvoi, d’un mois, prévu par l’article 41 de la loi précitée de 1885 a été respecté, la déclaration du pourvoi, le 12 août 2022, contre un arrêt contradictoire prononcé le 13 juillet 2022, ayant eu lieu moins d’un mois après la date du prononcé de l’arrêt attaqué. Le délai du dépôt du mémoire, d’un mois, prévu par l’article 43, alinéa 1, de la même loi a de même été respecté, le mémoire ayant été déposé le 9 septembre 2022, donc moins d’un mois après la date de la déclaration de pourvoi. Le mémoire de la partie condamnée et défenderesse au civil a été, conformément à l’article 43, alinéa 2, de la loi précitée, signifié à la partie civile antérieurement à son dépôt.

Le mémoire a été, conformément à l’article 43, alinéa 1, précité, signé par un avocat à la Cour, il précise les dispositions attaquées et contient les moyens de cassation.

34 procès-verbal n° SPJ/31/BOJP/JDA/ 12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de Police Judiciaire, SOAS. ». Elle ramena la peine d’emprisonnement à un an, assortie d’un sursis intégral à son exécution, ordonna la confiscation de l'intégralité des montres saisies et confirma le jugement pour le surplus.

PREMIER MOYEN DE CASSATION (prescription de l’action publique : refus de fixation du point de départ du délai à la présentation des comptes annuels) Le premier moyen de cassation est « tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 638, alinéa 1er et 637 (1), alinéa 1er du Code de procédure pénale, de la violation des articles 23(2) ancien du Code de procédure pénale et 16(2) de la Loi du 19 décembre 2008, ayant pour objet la coopération interadministrative et judiciaire et le renforcement des moyens de l’Administration des contributions directes, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et de l’Administration des douanes et accises, et d’un défaut de base légale, ainsi que d’un défaut de réponse à conclusions constituant un défaut de motivation en violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 195 du Code de procédure pénale, » en ce que l’arrêt attaqué a rejeté le moyen tiré de l’acquisition de la prescription de l’action publique s’agissant des faits qui se sont réalisés avant le 20 septembre 2007.

Le moyen est scindé en cinq branches.

La première branche du moyen se lit comme suit : « en vertu des articles 638 alinéa 1er et 637 (1) alinéa 1er du Code de procédure pénale, le délai de la prescription de l’action publique court au jour où l'infraction se réalise en tous ces éléments ; que par exception, en matière d’abus de biens sociaux, et ainsi que le rappelle l’arrêt attaqué, « en l’absence de dissimulation des opérations dans la comptabilité, la date de présentation des comptes annuels aux associés aux fins d’approbation, par lesquels les dépenses ont indûment été mises à charge de la société, permet aux associés de voir que des dépenses ont été imputées à tort à la société et […] constitue, dans une telle hypothèse, le point de départ de la prescription » (p. 104) ; qu’en écartant péremptoirement l’applicabilité de cette règle en posant pour principe qu’il en irait « différemment lorsque le dirigeant est, ensemble avec les membres de sa famille ou avec les personnes morales dont il a le contrôle direct ou indirect, associé ou actionnaire de la société qu’il dirige » (arrêt, p. 104), la Cour d’appel a méconnu les textes précités, par fausse interprétation et fausse application ; qu’en effet, en l’absence de dissimulation – constatée en l’espèce – le seul constat de ce que la société est composée d’associés ayant des liens familiaux, lorsque seul l’un d’entre eux est mis en cause, ne permet pas de présumer l’approbation voire la complicité passive des autres associés, et de déroger aux règles d’ordre public de la prescription » À titre préliminaire, on peut s’interroger sur le caractère étranger de l’article 637, alinéa 1er,, du Code de procédure pénale2 par rapport au grief formulé, étant donné que l’article en question 2 Article 637 du Code de procédure pénale :

1) L’action publique résultant d’un crime se prescrira après dix années révolues à compter du jour où le crime aura été commis, si dans cet intervalle il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite.

35 est relatif au délai de prescription de l’action publique résultant d’un crime, alors que le débat porte sur le délai de prescription résultant d’un délit, en l’espèce d’infractions à l’article 1500-

11 de la loi modifiée de 1915 sur les sociétés commerciales. Le demandeur en cassation semble avoir visé les deux articles au vu de l’imbrication des deux dispositions légales, l’article 638 du Code de procédure pénale ne pouvant se lire que par référence à l’article 637 du Code de procédure pénale. Cela étant, à supposer une violation de la loi, la règle de droit en cause se trouve ancrée dans l’article 637, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, de sorte que la branche du moyen est irrecevable, pour autant qu’elle vise une violation de l’article 637, alinéa 1er, du Code de procédure pénale.

Il y a lieu de rappeler que le délit d'abus de biens sociaux est « une infraction instantanée », consommée lors de chaque usage abusif des biens de la société3 et normalement le point de départ de la prescription est le jour de la commission du délit.

Mais, sauf exception, ce jour ne peut être normalement clairement déterminé, si bien qu'il faut se rabattre sur le jour de la présentation des comptes annuels aux associés. Néanmoins, pour éviter que l'agent, en ayant recours à divers artifices, ne puisse en dissimulant le délit, bénéficier de façon scandaleuse de la prescription, la chambre criminelle de la Cour de cassation française, à partir de 1967, a jugé que le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où ce délit est apparu et a pu être constaté.

S’il a été fait, dans l’intervalle visé à l’alinéa 1er, des actes d’instruction ou de poursuite non suivis de jugement, l’action publique ne se prescrira qu’après dix années révolues, à compter du dernier acte, à l’égard même des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d’instruction ou de poursuite.

( L. 27 février 2012 ) Par dérogation à l’alinéa 1er, l’action publique résultant d’une des infractions prévues aux articles 136bis à 136quinquies du Code pénal ne se prescrit pas.

(2) (L. du 20 juillet 2018) (L. du 1er août 2019) (L. du 17 décembre 2021) (L. 7 août 2023). Le délai de prescription de l’action publique des crimes visés aux articles 348, 372 à 377, 382-1, 382-2, 401bis, 409bis, paragraphes 3 à 5, et 442-1bis, du Code pénal, commis contre des mineurs ne commence à courir qu’à partir de la majorité de ces derniers, ou de leur décès s’il est antérieur à leur majorité.

Par dérogation au paragraphe 1er, alinéa 1er, le délai de prescription de l’action publique résultant d’une des infractions prévues aux articles 372bis, alinéas 2 et 3, 372ter et 409bis, paragraphes 3 à 5, du Code pénal, commis contre des mineurs, est de trente ans.

Par dérogation aux alinéas 1er et 2, l’action publique résultant d’une des infractions prévues aux articles 375 à 377, commis contre des mineurs, ne se prescrit pas.

Article 638 du Code de procédure pénale :

Dans les cas exprimés en l’article précédent, et suivant les distinctions d’époques qui y sont établies, la durée de la prescription sera réduite à cinq ans révolus, s’il s’agit d’un délit de nature à être puni correctionnellement.

(…) 3 Crim. 28 mai 2003, no 02-83.544 , Bull. crim. no 109 ; RSC 2004. 358 obs. Rebut ; Rev. sociétés 2003. 906, note Bouloc ; Dr. pénal 2003. Comm. 100, note J.-H. Robert. – Crim. 8 oct. 2003, no 02-81.471 , Bull. crim.

no 184 ; D. 2003. 2695, obs. Lienhard ; Rev. sociétés 2004. 155, note Bouloc ; JCP 2004. II. 10028, note Jacopin ; BJS 2004. 54, note Barbièri. – MAYAUD, Pour une approche cohérente de la prescription de l'abus de biens sociaux, D. 2004. Chron. 194 36 Le report du point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, constitue une exception prétorienne4 aux règles de droit commun en matière de prescription de l’action publique pour les infractions dites clandestines ou occultes. À noter que la jurisprudence luxembourgeoise a fait sienne la jurisprudence française sur ce point.

Pour revenir à la jurisprudence française, la Cour de cassation française a retenu dans un premier temps par un arrêt du 7 décembre 19675, qu'en matière d'abus de biens sociaux, « le point de départ de la prescription triennale doit être fixé au jour où ce délit est apparu et a pu être constaté ». Les juges doivent, dès lors, rechercher à quelle époque ont été commis ou ont pu être constatés les faits dénoncés, leur appréciation étant souveraine, si les motifs la justifiant ne sont pas empreints de contradiction6. Elle a franchi une nouvelle étape avec un arrêt du 10 août 19817: elle décide que le point de départ du délai de la prescription doit être fixé « au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ».

Néanmoins, à partir d'un arrêt du 5 mai 19978, elle a nuancé sa position.

Elle a décidé que des articles L. 223-23 et L. 225-254 du Code de commerce, il se déduisait que la prescription de l'action publique en matière d'abus de biens sociaux courait, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses sont mises indûment à la charge de la société. Les associés peuvent donc, lors de la présentation des comptes, voir que des dépenses ont été imputées à tort à la société, puisqu'il n'y a pas de dissimulation. Le principe a été rappelé dans des arrêts du 13 octobre 19999.

On peut dès lors retenir que si les opérations n'ont pas été dissimulées dans les documents comptables ou la comptabilité, le délit – qui est instantané –, se prescrit à compter du jour de sa commission, ou à tout le moins, à compter du jour de la présentation des comptes sociaux aux associés en vue de leur approbation10.

Même si la Cour de cassation, exhortée à opérer une normalisation temporelle du délit, a certes subordonné le report de la prescription de l’abus de biens sociaux à l’existence d’une dissimulation telle qu’expliquée ci-dessus, elle a opté pour une conception extensive de cette notion de dissimulation.

4 5 Crim. 7 déc. 1967, Bull. crim. no 321 ; D. 1968. 617, note J.-M. R.

6 Crim. 14 mars 1968, Bull. crim. no 90. – Crim. 14 févr. 1974, Bull. crim. no 68. – Crim. 25 nov. 1975, Bull.

crim. no 257 ; JCP 1976. II. 18476, note Delmas-Marty ; Rev. sociétés 1976. 655, note Bouloc 7 Crim. 10 août 1981, Bull. crim. no 244 ; Gaz. Pal. 1981. 2. 696, note J. C. ; Rev. sociétés 1983. 368, note Bouloc 8 Crim. 5 mai 1997, no 96-81.482, Bull. crim. no 159 ; Rev. sociétés 1998. 127, note Bouloc 9 Crim. 13 oct. 1999, nos 96-80.774 , 96-83.874 et 98-80.044 , Bull. crim. no 219 ; Rev. sociétés 2000. 360, note Bouloc ; BJS 2000. 182, obs. Barbièri ; Dr. pénal 2000. Comm. 17, obs. J.-H. Robert ; D. 2001. 2351, obs. Roujou de Boubée . – Crim. 27 juin 2001, no 00-87.414 , Bull. crim. no 164 ; Rev. sociétés 2001. 871, note Bouloc ;

BJS 2001. 1117, note Barbièri ; Dr. pénal 2001. Comm. 129, obs. J.-H. Robert ; RSC 2002. 379, obs. Renucci . – Crim. 8 oct. 2003, no 02-81.471 , Bull. crim. no 184. – Crim. 30 janv. 2013, no 12-80.107 , Rev. sociétés 2013.

371, obs. Matsopoulou . – Crim. 2 avr. 2014, no 13-80.010 , Rev. sociétés 2014. 592, note Bouloc 10 Crim. 30 janv. 2013, no 12-80.107 , Rev. sociétés 2013. 371, obs. Matsopoulou . – Crim. 22 janv. 2014, no 12-

87.170 , Rev. sociétés 2014. 522 37 L’extension de la dissimulation se manifeste d’abord et principalement dans sa dimension matérielle11. En effet, pour conforter l’existence d’une dissimulation, les magistrats se sont fondés sur la seule circonstance que la société était entièrement contrôlée par les personnes impliquées dans les faits délictueux empêchant de la sorte d’autres associés de les déceler. Ce faisant, ils refusent de conditionner la dissimulation à l’existence d’anomalies dans les comptes sociaux. C’est dire si à une appréciation purement objective de la dissimulation se substitue une appréciation plus subjective. Une telle interprétation ne s’impose pourtant pas avec évidence.

D’aucuns considèrent en effet que la dissimulation induit l’accomplissement par l’auteur d’actes positifs pour masquer les faits délictueux et, partant, le constat d’artifices comptables12.

D’autres, à l’inverse, prônent une acception plus large, conditionnée par l’ignorance des personnes habilitées à engager les poursuites pénales13.

C’est à cette dernière proposition que les juges du droit accordent leur faveur, comme le suggèrent quelques arrêts antérieurs qui méritent ici d’être rappelés : la chambre criminelle avait ainsi accepté que la dissimulation puisse résulter de comptes réguliers, mais non explicites14 et, davantage encore, elle avait déjà admis, qu’elle puisse découler de la composition sociale même. Elle avait en effet considéré que l’auteur et le complice étant les deux seuls associés de la société, aucun tiers ne pouvait être informé de l’irrégularité des opérations et que, partant, la prescription ne devait commencer à courir qu’au moment de la saisie au domicile du gérant des documents révélateurs de l’infraction15.

Elle avait également déduit l’existence d’une dissimulation du fait que la société était détenue par les membres de la famille de la prévenue. Aucune dissimulation stricto sensu n’existait pourtant puisque tous les membres de la société, bien que non impliqués dans les faits délictueux, en avaient pleinement connaissance. Mais parce que « aucun associé n’avait intérêt à en faire la révélation à l’autorité judiciaire ou policière », l’information ne pouvait être diffusée au-delà de la sphère sociétaire et justifiait en conséquence de reporter le point de départ de la prescription au moment de la révélation des faits par l’administration fiscale16.

S’inscrivant dans ce sillage, la Cour de cassation s’émancipe ainsi définitivement d’une appréciation strictement comptable, que continue pourtant d’utiliser le droit de la responsabilité civile.

En résumé, la manipulation comptable n’apparaît plus comme le critère déterminant de la dissimulation. Si manipulation comptable, il y a, soit que la dépense litigieuse n’apparaisse pas 11 Crim. 30 avril 2014, no 13-82.912 FD, D et a, La semaine juridique – Entreprise et affaires- n° 31-34-31 juillet 2014, note Receveur 12 v. not. J.-C. Pagnucco, L’action sociale ut singuli et ut universi en droit des groupements, préf. F. Deboissy, LGDJ, 2006, spéc. n° 631 ; D. -N. Commaret, « Point de départ de la prescription : des palliatifs jurisprudentiels, faute de réforme législative d’ensemble » : RSC 2004, p. 897 ; J. -F. Renucci, note sous Cass. crim., 14 mai 2003 : Dr. et patr. janv. 2004, p. 92, spéc. p. 93 13 C. de Leiris, « Le report du point de départ de la prescription de l’action publique » : LPA, 10 janv. 2008, p. 3, spéc. p. 5 14 Cass. crim., 25 févr. 2004, n° 02-88.111. - Cass. crim., 28 janv. 2004 : Dr. pén. 2004, comm. 65, note J.-H.

Robert ; v. déjà en ce sens, Cass. crim., 19 févr. 2003 : Bull. crim. 2003, n° 109 15 Cass. crim., 23 mai 2002, n° 01-83.983 ; v. en ce sens Cass. crim., 24 mars 2004, n° 03-83.938 16 Cass. crim., 8 mars 2006 : JurisData n° 2006-033021 ; Dr. soc. 2006, comm. 114, obs. R. Salomon ; Rev. soc.

2006, p. 602, note B. Bouloc 38 dans les comptes sociaux (comptes incomplets), soit qu’elle s’y trouve mal retranscrite et délivre une vision pervertie de la réalité (comptes inexacts ou équivoques), la dissimulation est nécessairement admise (dissimulation active). Mais son absence n’empêche plus de retenir la dissimulation. L’ignorance des faits délictueux par les personnes susceptibles de mettre en mouvement l’action publique constitue désormais un second critère alternatif (dissimulation passive)17.

La décision de la Cour d’appel, dont pourvoi, s’inscrit clairement dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation française18. Par transposition de la solution française, elle a ainsi retenu que la situation spéciale d’une identité de personnes au niveau de la gestion de la société victime et de son actionnariat, qui exclut le jeu du mécanisme de contrôle effectif des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires /associés, justifie un report du point de départ du délai de prescription d’opérations irrégulières au jour où les délits d’abus de biens sociaux ont pu être constatés dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, soit au jour où le Procureur d’État en a eu connaissance. L’absence de constitutions de partie civile par les sociétés lésées par les infractions d’abus de biens sociaux dans le cadre de la présente affaire démontre clairement l’existence de la forte entente entre les membres de la famille PERSONNE1.), qui fait qu’aucun d’entre eux n’a entrepris des démarches en vue de remettre en question les actes de disposition de PERSONNE1.).

Les juges du fond ont ainsi fixé, dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir souverain d'appréciation des faits leur soumis, le point de départ du délai de prescription au 28 septembre 2010, pour les faits en relation avec les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE11.), SOCIETE7.), SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.), date à laquelle ces faits ont été dénoncés au Procureur d’État.

En retenant :

« En cas d’infractions clandestines ou dissimulées, la jurisprudence reporte également le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

« Les infractions occultes ou clandestines par nature sont des infractions astucieuses dont la clandestinité est un élément constitutif ou est inhérente à l’infraction, c’est-à-dire, la réalisation de l’infraction ne se conçoit pas en dehors de la clandestinité. Dans cette catégorie se rangent, par exemple, l’abus de confiance, la tromperie, l’atteinte à l’intimité de la vie privée, mais aussi l’abus de biens sociaux. Pour ces infractions, le point de départ de la prescription doit être fixé, non au jour de leur commission effective, mais au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique (Cour n° 11/20 X du 15 janvier 2020) ».

En l’absence de dissimulation des opérations dans la comptabilité, la date de présentation des comptes annuels aux associés aux fins d’approbation, par lesquels les dépenses ont indûment été mises à charge de la société, permet aux associés de voir que des dépenses ont été imputées 17 Crim. 30 avril 2014, no 13-82.912 FD, D et a 18 La jurisprudence de la chambre criminelle a connu une consécration avec un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité ( Cass. ass. plén., 20 mai 2011, n° 11-90.033 : JurisData n° 2011-008704 ; Bull. crim. ass. plén. n° 6 ; Dr. pén. 2011, comm. 95 , obs. J.-H.

Robert ; Rev. sociétés 2011, p. 512 , note H. Matsooulou ; JCP G 2011, 670 , note B. Mathieu).

39 à tort à la société et elle constitue, dans une telle hypothèse, le point de départ de la prescription.

Cependant, il en va différemment lorsque le dirigeant est, ensemble avec les membres de sa famille ou avec les personnes morales dont il a le contrôle direct ou indirect, associé ou actionnaire de la société qu’il dirige. Une telle hypothèse est donnée en l’espèce étant donné que les sociétés incriminées sont toutes dirigées par le prévenu et que leurs actionnaires sont tous des membres de la famille PERSONNE1.).

Dans un tel cas de figure, l’on ne peut s’attendre à ce que l’une de ces personnes dénonce des irrégularités comptables ou des faits constitutifs d’abus de biens sociaux, dont elle est directement ou indirectement appelée à bénéficier. Le mécanisme de contrôle effectif des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires est alors exclu, de sorte qu’il est, dans un tel cas, justifié de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire au jour où le ministère public a eu connaissance des infractions, sans qu’il soit nécessaire d’analyser le caractère dissimulé des opérations en cause.

Ainsi que le ministère public le fait valoir, le point de départ de la prescription se situe pour les faits en relation avec les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE11.), SOCIETE7.), SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.) au jour de la dénonciation en date du 28 septembre 2010 par l’Administration des contributions directes. Pour les faits concernant les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE7.), SOCIETE11.), SOCIETE2.) et SOCIETE12.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire d’ouverture d’instruction du ministère public du 20 décembre 2010 et par les autres mesures d’instruction subséquentes. Pour la société SOCIETE13.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 et les mesures d’instruction subséquentes. Les faits d’abus de biens sociaux en relation avec ces sociétés ne sont donc pas prescrits. Pour la société SOCIETE13.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 et les mesures d’instruction subséquentes. Les faits d’abus de biens sociaux en relation avec ces sociétés ne sont donc pas prescrits.

En ce qui concerne les faits en relation avec les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A., les infractions ont été découvertes au fur et à mesure des mesures d’instruction, c’est-à-dire nécessairement après le 1er réquisitoire du 20 décembre 2010. Le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 a inclus ces faits et constitue le premier acte interruptif de prescription.

Au vu de ce réquisitoire et des mesures d’instruction subséquentes, les faits d’abus de biens sociaux en relation avec lesdites sociétés ne sont pas prescrits.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la prescription est à rejeter, par confirmation du jugement, quoique pour d’autres motifs.» la Cour d’appel a, sans violer les dispositions visées au moyen, pu reporter le point de départ de la prescription des faits en relation avec les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE11.), SOCIETE7.), SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.) au jour de la dénonciation de ces faits en date du 28 septembre 2010 par l’Administration des contributions directes au Ministère public et pour les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) 40 Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A. au jour de leur découverte dans le cadre de l’exécution des mesures d’instruction.

La première branche du premier moyen est dès lors à déclarer non fondée.

Le demandeur en cassation critique dans une deuxième branche la Cour d’appel d’avoir « privé sa décision de base légale, en ce sens qu’elle n’a pas procédé aux constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit, en se prononçant par des motifs abstraits et généraux, qui n’exposent pas l’identité des associés qui composaient les différentes sociétés visées par la prévention, ni a fortiori ce qui l’autorisait à considérer qu’une présentation, à ces personnes, des comptes annuels, excluait nécessairement l’exercice d’un contrôle permettant au délai de prescription de commencer à courir, dans une situation où, comme l’a expressément constaté la Cour d’appel, il n’y a eu aucune « dissimulation des opérations dans la comptabilité » (arrêt, p. 104) » Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait, qui sont nécessaires pour statuer sur le droit.

Au vu de la réponse donnée à la première branche du moyen, les juges du fond ont, en statuant par les motifs repris à la réponse à la première branche du moyen, par une motivation exempte d’insuffisance, caractérisé les faits qui les ont amenés à reporter le point de départ du délai de prescription et à fixer ce point de départ du délai de prescription de l’action publique pour les faits en relation avec les SOCIETE6.), SOCIETE11.), SOCIETE7.), SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.) au jour de la dénonciation des faits par l’Administration des Contributions directes au Parquet et pour les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A. au jour de la découverte des faits dans le cadre de l’exécution des mesures d’instruction.

Afin d’être complet, il y a lieu de noter qu’une analyse au cas par cas pour les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A. aurait été purement superfétatoire, puisqu’à partir du moment où le principe du report du point de départ du délai de prescription au jour de la connaissance des faits par l’autorité poursuivante était acquis, et que les faits délictueux en relation avec ces sociétés ont été découverts dans le cadre de l’exécution de mesures d’instruction, soit après le 20 décembre 2010, date de l’ouverture de l’instruction, les infractions en relation avec ces sociétés n’étaient certainement pas prescrites au jour où les faits y relatifs ont été inclus à l’instruction en cours, soit le 24 octobre 2011.

La deuxième branche du premier moyen est dès lors à déclarer non fondée.

Dans le cadre de la troisième branche du moyen, la partie demanderesse fait valoir que le point de départ du délai de prescription ne peut être reporté au-delà du jour où le délit est apparu et « a pu être constaté », et non au jour où il a été effectivement constaté, sous peine d’ériger en règle une totale imprescriptibilité.

41 « En retenant que le délai de prescription a commencé à courir, pour le faits liés à certaines sociétés, au moment de la dénonciation de l’Administration des Contributions directes (ACD) le 28 septembre 2010, lorsqu’ainsi que le soulignaient les conclusions (point 84), cette autorité n’a décidé de procéder à une dénonciation au Procureur d’État qu’une année après l’établissement de ses rapports pour les sociétés SOCIETE7.), SOCIETE6.) et SOCIETE11.), et que pourtant, selon l’article 23 (2) du Code de procédure pénale, « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, ainsi que tout salarié ou agent chargés d'une mission de service public, qu'il soit engagé ou mandaté en vertu de dispositions de droit public ou de droit privé, qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance de faits susceptibles de constituer un crime ou un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur d'État et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs », et que selon l’article 16 (b) de la Loi du 19 décembre 2008 ayant pour objet la coopération interadministrative et judiciaire et le renforcement des moyens de l’Administration des contributions directes, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et de l’Administration des douanes et accises, « l’Administration des contributions directes et l’Administration de l’enregistrement et des domaines qui, dans l’exercice de leurs attributions, acquièrent la connaissance d’un crime ou d’un délit, sont tenues d’en donner avis sans délai au procureur d’État et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs », la Cour d’appel a méconnu ces dispositions, ainsi que les articles 638, alinéa 1er, et 637 (1) alinéa 1er du Code de procédure pénale. »19 Comme exposé dans le cadre de la première branche du moyen la Cour d’appel a retenu sur ce point « Cependant, il en va différemment lorsque le dirigeant est, ensemble avec les membres de sa famille ou avec les personnes morales dont il a le contrôle direct ou indirect, associé ou actionnaire de la société qu’il dirige. Une telle hypothèse est donnée en l’espèce étant donné que les sociétés incriminées sont toutes dirigées par le prévenu et que leurs actionnaires sont tous des membres de la famille PERSONNE1.).

Dans un tel cas de figure, l’on ne peut s’attendre à ce que l’une de ces personnes dénonce des irrégularités comptables ou des faits constitutifs d’abus de biens sociaux, dont elle est directement ou indirectement appelée à bénéficier. Le mécanisme de contrôle effectif des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires est alors exclu, de sorte qu’il est, dans un tel cas, justifié de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire au jour où le ministère public a eu connaissance des infractions, sans qu’il soit nécessaire d’analyser le caractère dissimulé des opérations en cause.

Ainsi que le ministère public le fait valoir, le point de départ de la prescription se situe pour les faits en relation avec les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE11.), SOCIETE7.), SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.) au jour de la dénonciation en date du 28 septembre 2010 par l’Administration des contributions directes. Pour les faits concernant les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE7.), SOCIETE11.), SOCIETE2.) et SOCIETE12.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire d’ouverture d’instruction du ministère public du 20 décembre 2010 et par les autres mesures d’instruction subséquentes. Pour la société SOCIETE13.), la prescription a été interrompue par le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 et les mesures d’instruction subséquentes. Les faits d’abus de biens sociaux en relation avec ces sociétés ne sont donc pas prescrits.

19 Page 10 sub 3) du mémoire en cassation 42 En ce qui concerne les faits en relation avec les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A., les infractions ont été découvertes au fur et à mesure des mesures d’instruction, c’est-à-dire nécessairement après le 1er réquisitoire du 20 décembre 2010. Le réquisitoire additionnel du ministère public du 24 octobre 2011 a inclus ces faits et constitue le premier acte interruptif de prescription.

Au vu de ce réquisitoire et des mesures d’instruction subséquentes, les faits d’abus de biens sociaux en relation avec lesdites sociétés ne sont pas prescrits.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la prescription est à rejeter, par confirmation du jugement, quoique pour d’autres motifs. » Le point de départ du délai de prescription est donc à reporter au jour où les délits d’abus de biens sociaux ont pu être constatés dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, soit le jour où le Procureur d’État en a eu connaissance.

En revanche, sa constatation par d'autres personnes ne fait pas courir le délai de prescription, puisqu'elles n'ont pas le pouvoir de mettre en mouvement l'action publique. Le Ministère public est en effet le seul, à côté des actionnaires /associés, ayant qualité pour mettre en mouvement l’action publique.

La Cour d’appel rejoint sur ce point la position de la haute juridiction française. Cette dernière a ainsi retenu que, si, lors d'un contrôle fiscal, les agents du fisc découvrent des abus de biens sociaux, mais n'effectuent aucun signalement au Procureur, la seule connaissance des faits ne fixe pas le point de départ de la prescription20. En cas de la constatation par des personnes qui supportent une obligation légale de dénonciation, sans être habilitées à mettre en mouvement elles-mêmes l'action publique, la prescription est fixée au jour de la dénonciation au Procureur d’État21.

Toute discussion quant à une éventuelle incidence des contrôles fiscaux, dont les sociétés visées par l’ordonnance de renvoi ont fait l’objet, sur le début du délai de prescription des faits reprochés est dès lors dénuée de pertinence.

La Cour d’appel a dès lors pu retenir, sans violer les dispositions visées à cette branche du moyen, que le point de départ de la prescription se situe pour les faits en relation avec les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE11.), SOCIETE7.), SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.) au jour de la dénonciation en date du 28 septembre 2010 par l’Administration des contributions directes.

Cette branche du moyen est dès lors à déclarer non fondée.

La quatrième branche du moyen fait état d’un défaut de réponse à conclusions. Il est reproché à la Cour d’avoir omis de se prononcer sur le point 84 des conclusions, dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, elle retiendrait la dénonciation des faits à l’Administration des contributions directes comme point de départ du délai de prescription.

20 Crim. 30 avr. 2014, no 13-82.912 , Rev. sociétés 2015. 56, obs. Bouloc 21 Cass. crim., 27 juill. 1993, n° 92-85.146.

43 Le point 84 des conclusions se lit comme suit : « Le fait de retenir, comme le proposait le Ministère Public, les dénonciations de l’ACD comme moment où le prétendu délit a cessé d’être occulte est bien évidemment contesté par le prévenu, notamment compte tenu du fait que l’ACD n’a décidé de procéder à la dénonciation au Procureur d’État qu’une année après l’établissement de ces rapports pour les sociétés SOCIETE7.), SOCIETE6.) et SOCIETE11.) et d’avoir eu connaissance de ces prétendus délits.

Admettre le prédit raisonnement, exposerait le justiciable à l’action voire l’inaction arbitraire des administrations, alors que l’article 23(2) du Code de procédure pénale prévoit une dénonciation sans délai au Ministère public.

Il est retenu par la jurisprudence que ce moment se situe quand le fait incriminé « …a pu être constaté permettant l’exercice de l’action publique. ».

Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation expresse ou implicite, si incomplet ou vicieux soit-il, sur le point considéré. La pertinence, le caractère suffisant et le bien-fondé de cette motivation sont des questions étrangères à ce cas d’ouverture, de nature purement formelle.

Même s’il est constant que les juges doivent répondre aux conclusions, dont ils sont régulièrement saisis, ils ne sont tenus de répondre qu’aux véritables moyens, non aux simples arguments ou allégations. Ainsi les juges d’appel ne sont pas tenus d’examiner dans tous les détails l’argumentation développée et les pièces versées.

Un motif spécial ne doit pas répondre à chaque chef de demande ou à chaque moyen. Le juge du fond peut apporter à divers chefs une réponse globale, à condition qu’elle soit complète.

D’un autre côté, la motivation d’un arrêt et sa réponse à un chef de conclusions peuvent être implicites et se dégager, par le raisonnement, de l’ensemble de l’arrêt ou des motifs explicites données à l’appui d’autres chefs.

En l’espèce, en retenant que le point de départ du délai de prescription est à reporter au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire au jour où le Ministère public a eu connaissance des infractions, la Cour a donné une réponse suffisante aux développements faits au point 84 de la note, versée par la défense dans le cadre de l’instance d’appel.

Il en suit que le premier moyen, pris en sa quatrième branche, n’est pas fondé.

Dans le cadre d’une cinquième et dernière branche du premier moyen la partie demanderesse en cassation estime qu’« en retenant que le délai de prescription a couru, pour les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A, au fur et à mesure des mesures d’instruction » (arrêt, p. 105), la Cour d’appel a privé sa décision de motifs, n’indiquant pas, pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur le point de départ du délai de prescription, la nature et la date de chacune des mesures d’instruction considérées. » Sous l’exposé de la position du Ministère public, la Cour a retenu (page 98) :

44 « Pour les sociétés SOCIETE6.), SOCIETE11.) et SOCIETE7.), le point de départ de la prescription se situerait donc au 28 septembre 2010, date de la dénonciation d'opérations suspectes de l'Administration des contributions directes au Procureur d’État. Certains faits en relation avec les sociétés SOCIETE12.), SOCIETE13.) et SOCIETE2.) auraient également été rapportés dans cette dénonciation. L'instruction ayant été ouverte par un réquisitoire du Procureur d’État du 20 décembre 2010, les faits en relation avec ces sociétés n'encourraient pas la prescription.

En ce qui concerne les faits en relation avec les autres sociétés, ils auraient été découverts au fur et à mesure de l'exécution des mesures d'instruction. Le point de départ de la prescription serait à fixer à la date des différents réquisitoires additionnels. » La lecture de l’énoncé du moyen, ensemble avec sa discussion montre que le demandeur en cassation critique la décision entreprise pour sa motivation insuffisante et entend donc en réalité faire valoir un défaut de base légale.

Comme déjà développé dans le cadre de la deuxième branche du moyen une analyse du point de départ du délai de prescription au cas par cas pour les sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A. aurait été purement superfétatoire. Le principe du report du point de départ du délai de prescription au jour de la connaissance des faits par l’autorité poursuivante ayant été fixé, les faits délictueux en relation avec ces sociétés ont été découverts dans le cadre de l’exécution de mesures d’instruction en relation avec d’autres sociétés, soit après le 20 décembre 2010, date de l’ouverture de l’instruction, de sorte que les infractions en relation avec ces sociétés n’étaient certainement pas prescrites au jour où les faits y relatifs ont été inclus à l’instruction en cours, soit le 24 octobre 2011.

La Cour d’appel a dès lors, à suffisance de droit, motivé sa décision sur le point critiqué.

La cinquième branche du moyen est à déclarer non fondé.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (prescription de l’action publique : absence de prise en compte par la Cour d’appel de l’existence de contrôles fiscaux, arguments contenus dans les conclusions) Le deuxième moyen est « tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 195 alinéa 1er du Code de procédure pénale, violation constituée par une non-réponse à conclusions, constituant une insuffisance de motifs et valant absence de motifs, ».

Il critique les juges, qu’en rejetant le moyen tiré de la prescription de l’action publique découlant de faits perpétrés avant le 20 septembre 2007, les juges d’appel auraient omis de répondre aux moyens que les infractions étaient susceptibles d’être découvertes avant le 20 septembre 2007 par l’administration des contributions directes soit dans le cadre de contrôles fiscaux (première branche), soit lors du dépôt des déclarations fiscales des diverses sociétés auprès de l’AED (deuxième branche), soit lors du dépôt de chaque déclaration d’impôt sur le revenu de PERSONNE1.) qui comportait en annexe un tableau reprenant l’ensemble de ses dettes, notamment à l’endroit de ses sociétés (troisième branche).

45 Ce grief constitue une forme du défaut motifs, qui est un vice de forme. Une décision judiciaire est régulière en la forme, dès lors qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

Après avoir retenu qu’«en l’absence de dissimulation des opérations dans la comptabilité, la date de présentation des comptes annuels aux associés aux fins d’approbation, par lesquels les dépenses ont indûment été mises à charge de la société, permet aux associés de voir que des dépenses ont été imputées à tort à la société et elle constitue, dans une telle hypothèse, le point de départ de la prescription. » et après avoir constaté qu’il en va différemment lorsque comme en l’espèce le dirigeant est, ensemble avec les membres de sa famille ou avec les personnes morales dont il a le contrôle direct ou indirect, associé ou actionnaire de la société qu’il dirige la Cour a retenu que « Le mécanisme de contrôle effectif des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires est alors exclu, de sorte qu’il est, dans un tel cas, justifié de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire au jour où le ministère public a eu connaissance des infractions, sans qu’il soit nécessaire d’analyser le caractère dissimulé des opérations en cause. » Par les motifs reproduits retenus ci-dessous, et plus particulièrement en fixant le point de départ du délai de prescription des infractions d’abus de biens sociaux au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire au jour où le Ministère public a eu connaissance des infractions, la Cour a nécessairement exclu la fixation du point de départ du délai de prescription au jour de la possible prise de connaissance des faits par l’administration des contributions directes, sans pour autant qu’il ait été nécessaire au vu du raisonnement juridique poursuivi, de répondre de manière détaillée au moyen de la défense.

Les juges d’appel ont dès lors motivé leur décision sur les points critiqués.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (matérialité des abus de biens sociaux qui seraient constitués par des achats de montres ayant fait l’objet d’une inscription au compte courant d’associé du demandeur en cassation) Le troisième moyen de cassation est tiré du défaut de base légale, au regard de l’article 171-1 ancien de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, en ce que « l’arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré PERSONNE1.) coupable d’abus de biens sociaux s’agissant des montres acquises par le biais de différentes sociétés, pour lesquelles la valeur d’achat a été reportée au débit de son compte courant d’associé. »22 Le moyen est scindé en deux branches.

22 Page 20 du mémoire en cassation 46 Dans le cadre de la première branche le demandeur en cassation fait valoir que « la contrariété à l’intérêt social résultant d’une dépense engagée par la société s’entend de l’exposition à un risque anormal, et ne saurait s’apprécier in abstracto, indépendamment du contexte dans lequel elle s’inscrit, des contreparties éventuellement accordées à ce titre à la société, et de la santé financière de cette dernière ; que la Cour d’appel ne pouvait baser sa décision sur le fait que « le risque encouru par le patrimoine social des sociétés concernées du fait des financements des acquisitions de montres s'apprécie au moment de la commission de l'infraction, donc des paiements respectifs » (arrêt, p. 107), sans examiner l’opération dans sa globalité, ni examiner de manière concrète le risque auquel la société, dont la prospérité n’a pas été remise en cause, aurait été exposée, et sans tirer les conséquences de la « comptabilis[ation] en fin d’exercice et avant le dépôt des comptes annuels au débit du compte courant d’associé […] » (p. 107). La Cour d’appel a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l’article 171-1 ancien de la loi du 10 août 1915, ».

Le reproche se résume donc à une insuffisance de motivation du caractère contraire à l’intérêt social de l’usage des biens de la société SOCIETE2.) par la Cour d’appel.

L’abus de biens sociaux réprime l’acte matériel d'un usage des biens, qui est contraire à l'intérêt social. C'est ce caractère contraire à l'intérêt social qui transforme l'usage en abus, et donne à ce délit sa dénomination courante. Cet acte d'usage contraire à l'intérêt social suffit à l'existence matérielle du délit qui n'exige pas qu'il ait été préjudiciable à la société.

La difficulté de caractériser l’usage contraire réside dans l'imprécision de la notion d'intérêt social, laquelle n'est définie ni par la loi ni par la jurisprudence. La doctrine ne s'accorde pas en outre sur le sens à lui donner 23. Or, la mise en œuvre du délit d'abus de biens sociaux implique une définition ou, à tout le moins, une conception de l'intérêt social, puisque son élément matériel consiste à commettre un acte qui lui est contraire.

La référence à l'intérêt social n'a pas, en fait, été l'expression d'un choix doctrinal témoignant d'une définition ou d'une conception positive de celui-ci. Elle a répondu à un dessein plus prosaïque visant à ne pas attacher la répression à l'objet social ou à l'intérêt des associés. On avait fait valoir que la répression ne devait pas être liée à l'atteinte à l'objet social dont la détermination est souvent très large, ce qui ne lui permet pas d'être un critère utile pour apprécier les actes des dirigeants sociaux. On avait par ailleurs entendu marquer la distinction entre l'intérêt de la société et celui des associés ou actionnaires, parce qu'ils ne se confondent pas. Ce sont là les motifs qui ont inspiré le législateur dans son choix de retenir l'atteinte à l'intérêt social comme critère de la répression des abus de gestion commis par les dirigeants de société.

La jurisprudence s'est inscrite dans cette voie en s'abstenant de définir positivement l'intérêt social. Elle a également respecté la volonté du législateur de ne pas lier la répression à l'objet social et à l'intérêt des associés. Elle ne fait, d'une part, pas référence à l'objet social pour apprécier pénalement les actes qui lui sont soumis. Elle ne s'attache pas, d'autre part, à l'intérêt des associés ou actionnaires dans le cadre de son appréciation de l'atteinte à l'intérêt social.

23V. SCHAPIRA, L'intérêt social et le fonctionnement des sociétés anonymes, RTD com. 1971. 957. – D.

SCHMIDT, De l'intérêt commun des associés, JCP E 1994. I. 404 ; De l'intérêt social, JCP E 1995. I. 488. – A.

COURET, L'intérêt social, JCP E 1996, Cah. dr. entr. suppl., no 4. – J. -P. BERTREL, La position de la doctrine sur l'intérêt social, Dr. et patr. 1997, no 48, p. 43. – Ph. BISSARA, L'intérêt social, Rev. sociétés 1999. 5 47 En ce sens, la jurisprudence est constante à refuser de prendre en compte une éventuelle autorisation ou approbation de l'acte poursuivi par les organes sociaux. La chambre criminelle juge ainsi que « c'est aux tribunaux qu'il appartient d'apprécier si l'usage est contraire aux intérêts de la société » (Crim. 3 mai 1967, Bull. crim. no 148). Il s'ensuit que les décisions des organes sociaux n'ont aucun effet de justification des abus commis par les dirigeants.

Quels sont donc les critères d'appréciation du caractère contraire à l'intérêt social : la chambre criminelle considère qu'« il suffit que l'acte [contraire à l'intérêt de la société] ait abouti à des pertes ou même qu'il ait comporté des risques de pertes auxquels l'actif social n'avait pas à être exposé »24. Cette décision révèle les deux critères alternatifs d'appréciation du caractère contraire à l'intérêt social d'un usage: l'absence de contrepartie et l'exposition de l'actif social à un risque injustifié. Il faut leur en ajouter un autre qui réside dans l'usage à des fins personnelles.25 C’est précisément au regard de ces critères d’absence de contrepartie et des risques encourus par la société du fait de l’usage de ses biens que la Cour d’appel a, à suffisance de droit, motivé comme suit le caractère contraire à l’intérêt social des opérations litigieuses:

« Quant aux paiements des acquisitions de montres à titre personnel par le prévenu, comptabilisés en fin d'exercice et avant le dépôt des comptes annuels au débit du compte courant d'associé dans la comptabilité des sociétés SOCIETE14.) Sarl, SOCIETE15.) Sarl, SOCIETE16.) S.A., SOCIETE4.) Sarl, SOCIETE5.) S.A., SOCIETE6.) Sarl, SOCIETE11.) Sarl, SOCIETE17.) Sarl, SOCIETE18.) S.A., GROUPE1.) Sarl, SOCIETE13.) S.A., SOCIETE12.) S.A., SOCIETE19.) S.A. et SOCIETE20.) S.A, excepté SOCIETE2.), la pratique des comptes courants d’associé débiteurs n’est certes pas interdite au ADRESSE1.), mais elle reste susceptible, selon les circonstances, de constituer un abus de biens sociaux.

Étant donné que le risque encouru par le patrimoine social des sociétés concernées du fait des financements des acquisitions de montres s'apprécie au moment de la commission de l'infraction, donc des paiements respectifs, il importe peu de savoir en l'espèce que les comptes courants d'associé ont effectivement été rémunérés pendant toute la durée de la procédure pénale par la mise en compte d'un taux d'intérêt annuel de 5 % à charge de l'associé au bénéfice des sociétés concernées ou encore qu'aucun risque financier ne s'est concrétisé par la suite, dans la mesure où lesdites sociétés sont restées solvables et n'ont pas fait faillite.

Au vu du caractère instantané de l'infraction d'abus de biens sociaux, les velléités de remboursement du prévenu, qu'il s'agisse de flux de liquidités ou de mécanismes de compensation de créances, ainsi que toutes les cessions de créance portant sur les soldes débiteurs des comptes courants d'associé du prévenu et opérées le 31 décembre 2010 au bénéfice de SOCIETE23.) Ltd n'ont aucune incidence sur la qualification pénale des faits.

Les agissements incriminés présentent la particularité que l’usage des fonds des sociétés a fait l’objet de flux financiers et d’écritures comptables transparents et que le prévenu n’a pas eu recours à des falsifications pour les achats des montres. Ils présentent également la particularité d'une absence de mécanisme de contrôle des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires, vu que le prévenu et les membres de sa famille avaient le contrôle direct ou indirect des sociétés en cause.

24 Crim. 3 mai 1967, Bull. crim. no 148 25 Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Abus de biens sociaux – Éléments constitutifs – Didier REBUT – Avril 2021, no 83-128 48 Une classification directe en compte-courant d'associé est à considérer comme un paiement par la société pour compte de son associé ( cf rapport d’expertise Groupe PERSONNE1.) -

SOCIETE2.) FINANCE SPF du 14 février 2017 page 3, versé en pièce 5 par le prévenu).

L'intérêt d'une société est de réaliser des bénéfices.

En l'espèce, les sociétés concernées ont procédé à d’itératifs paiements conséquents dans le cadre d'acquisitions de montres destinées au prévenu, leur dirigeant, sans le moindre plan et la moindre garantie de remboursement par le prévenu, en supportant le risque d’une éventuelle insolvabilité du prévenu.

En effet, aucun plan de remboursement des montants avancés ne prévoyait d’échéance concrète de remboursement. Ce remboursement était tout simplement incertain, imprévisible, laissé à l'entière discrétion du prévenu. De plus, lors des paiements en question, aucune garantie n’a été fournie par le prévenu quant au remboursement des montants avancés. Bien que celui-ci affirme, par référence à sa pièce 14, avoir garanti l’ensemble de ses dettes en compte courant par le biais de cautionnements personnels antérieurs aux acquisitions des montres, à concurrence de montants supérieurs au montant total des acquisitions des montres, il n’en reste pas moins que ladite pièce 14 porte sur des cautionnements personnels que le prévenu a fournis pour garantir les dettes de ses sociétés à l’égard de banques et non pas pour garantir ses propres dettes en compte courant d’associé à l’égard des sociétés en question.

Les paiements d'acquisitions purement privées du dirigeant social pour des montants conséquents, moyennant l'unique constat comptable de l'existence d'une dette du prévenu envers les sociétés, ont privé lesdites sociétés de leur trésorerie. Ainsi que le tribunal le retient, c'est une créance non liquide et potentiellement non recouvrable qui a remplacé de l'argent liquide et disponible.

Dans l’ensemble des circonstances ci-dessus décrites, la perspective d'un taux d'intérêt de 5 % ne justifiait pas l'intérêt des sociétés concernées à avancer des montants d'un tel import à leur dirigeant.

Il découle de ce qui précède que les paiements opérés ont fait courir des risques injustifiés et anormaux aux sociétés en cause. Ils étaient, partant, contraires à leur intérêt social. Sur ce point, le jugement est à confirmer. » La première branche du moyen est dès lors à déclarer non fondée.

Dans le cadre de la deuxième branche du moyen le demandeur en cassation fait valoir que le constat de la Cour du recours à un mécanisme de prêt, par une société, à son associé, serait-ce pour un usage personnel, par l’intermédiaire d’un compte courant associé, ne permettrait pas de caractériser un abus de biens sociaux, en dehors de toute circonstance supplémentaire de nature à compromettre l’intérêt social, telle que des difficultés financières de la société, ou du dirigeant devenu débiteur, voire le caractère compromis du remboursement de la dette. La Cour aurait privé sa décision de base légale en omettant d’analyser la situation financière de chaque société, ainsi que le caractère compromis du remboursement de la dette au regard du patrimoine du prévenu.

49 Concernant la pratique des comptes courants d’associé, il y a lieu de noter que conformément au droit commun des obligations, en l’absence de terme spécifié, le compte courant d’associé s’analyse comme un prêt effectué par un associé, personne physique ou morale à la société dont il est membre. Au cours du fonctionnement du compte d'associé, il arrive que le solde de celui-ci laisse apparaître un découvert. Ce constat n'est pas anodin, car le compte est alors détourné de sa finalité: il n'est plus un instrument de financement de l'entreprise. La société fait office de banque à son associé. Conscient de ce risque, le législateur français a édicté une réglementation destinée à éviter tout « pillage » des disponibilités financières de la société.

Le législateur luxembourgeois n’a pas choisi cette voie et le droit luxembourgeois ne prévoit pas, d’interdiction formelle aux dirigeants et associés des sociétés à responsabilité limitée et aux dirigeants des sociétés anonymes de se faire consentir par la société un découvert en compte courant.

Cependant, le fait d’avoir agi de manière transparente au niveau comptable et d’avoir comptabilisé une opération n’exclut pas pour autant le délit.

Une analyse nuancée de la pratique des comptes courants d’associé a été retenue, à juste titre, par les premiers juges.26 C’est cependant suite à une lecture erronée de l’arrêt entrepris que le demandeur en cassation reproche aux juges d’appel d’avoir caractérisé la contrariété de l’usage des biens des sociétés en cause par le seul usage du mécanisme des comptes courants d’associé.

Il ressort clairement de l’extrait de la motivation citée dans le cadre de l’analyse de la première branche du moyen que la Cour d’appel s’est limitée à constater que l’usage des fonds des sociétés a fait l’objet de flux financiers et d’écritures comptables transparents qui documentent les paiements des sociétés au nom et pour compte de leur associé. Le recours au mécanisme des comptes courants d’associé n’est dès lors pas l’élément déterminant, qui a amené la Cour à chartériser l’usage des actifs de sociétés de contraire à leur intérêt social.

Il s’agit clairement des circonstances suivantes entourant le fonctionnement de ces comptes qui ont amené les juges du fond à la conclusion d’un usage abusif des biens des sociétés :

-

absence de mécanisme de contrôle des comptes sociaux par l’assemblée générale des actionnaires, vu que le prévenu et les membres de sa famille avaient le contrôle direct ou indirect des sociétés en cause, -

itératifs paiements conséquents dans le cadre d'acquisitions de montres destinées au prévenu, leur dirigeant, -

absence d’un quelconque plan de remboursement, donc absence d’échéance concrète de remboursement, -

absence de garantie fournie par le prévenu quant au remboursement des montants avancés, -

remboursement dès lors incertain, imprévisible, laissé à l'entière discrétion du prévenu.

La deuxième branche du moyen manque dès lors en fait pour résulter d’une mauvaise lecture de l’arrêt entrepris.

26 Page 34 de l’arrêt dont cassation 50 QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (matérialité des abus de biens sociaux qui seraient constitués par les achats de montres par SOCIETE2.)) Le quatrième moyen, scindé en trois branches, est tiré « la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 6§1 de la Convention européenne, de l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, des articles 544, et 2228 à 2232 du Code civil », en ce que « l’arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré PERSONNE1.) coupable d’abus de biens sociaux s’agissant des montres acquises par SOCIETE2.) pour elle-même. »27 Il y a tout d’abord lieu de noter que la Cour d’appel n’a pas confirmé, mais réformé la décision de première instance sur ce point précis.

Dans le cadre de la première branche du moyen, le demandeur fait grief à la Cour d’appel d’avoir violé le principe du contradictoire, tel qu’il découle de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, « en faisant reposer l’ensemble de la caractérisation de la condition de contrariété à l’intérêt social sur le renversement de « l'apparence de propriété de SOCIETE2.) » (arrêt, p. 108), pour attribuer ce droit de propriété sur les 319 montres inscrites à l’actif de cette société à Monsieur PERSONNE1.), sans avoir mis les parties présentes en mesure de débattre de cette question purement civile portant sur une éventuelle prescription acquisitive au préalable, et en outre, sans avoir invité la société SOCIETE2.), principale intéressée, à en discuter dans le cadre des débats au fond sur la culpabilité ».

La première branche du moyen ne manque pas de surprendre la soussignée, étant donné que la contradiction entre la réalité factuelle et le traitement comptable des acquisitions de 319 montres, traitées au point c) page 108 de l’arrêt dont pourvoi, a, entre autres fait l’objet de la note du Parquet général, versée à la défense, ainsi qu’à la Cour d’appel, note qui se lit comme suit sur le point en question28:

« Contrairement à la conclusion des premiers juges, le Parquet général retient que la réalité diverge complètement de l’image reflétée par les inscriptions comptables (Rappelons qui ni le bilan ni les annexes, ne permettent d’affirmer que le poste comptable de « autres valeurs mobilières » est constitué de montres.) :

-

absence de collection de montres au sens d’un investissement : aucun plan d’investissement à moyen, ou long terme, en fonction de marques ou de modèles d’horloges, susceptibles de générer la meilleure plus-value, n’a été élaboré en vue d’orienter l’acquisition de montres, mais ces acquisitions se font selon les choix discrétionnaires de PERSONNE1.).

-

absence d’individualisation des montres acquises par SOCIETE2.) : à supposer que les montres en question aient été gardées au domicile de PERSONNE1.), elles étaient rangées selon les marques et modèles, sont pour autant qu’il n’était possible d’individualiser les 27 Page 32 du mémoire en cassation 28 Page 12 de la note intitulée « Conclusions du Parquet général dans l’affaire Ministère public c/ PERSONNE1.) » 51 montres appartenant à SOCIETE2.). On constate une confusion manifeste entre les montres qui sont la propriété privée de PERSONNE1.) et celles faisant partie du patrimoine de SOCIETE2.). Si au contraire les montres étaient conservées auprès de divers membres de la famille PERSONNE1.), il ne peut difficilement encore être question d’investissement sous forme de montres de luxe dans le chef de SOCIETE2.), étant donné que ces personnes disposaient des montres comme des propriétaires.

-

absence de conservation des montres en tant que véritable collection, évitant toute dépréciation de valeur : il est renvoyé sur ce point aux dépositions de l’enquêteur PERSONNE2.) en première instance29.

Au vu des développements qui précèdent on est loin d’un investissement sous forme de constitution d’une collection de montres de grande valeur dans l’intérêt de SOCIETE2.), mais on constate une confusion du patrimoine privé de PERSONNE1.) avec celui de SOCIETE2.), voire une appropriation des montres en question par des membres de la famille PERSONNE1.).

Que les montres soient toujours comptabilisées à l’actif de la société est une chose, la réalité en est une autre : la société en est tout simplement dépossédée.

Or recherche vainement l’intérêt d’une société commerciale de financer des montres de luxe en vue de leur seule mise disposition ultérieure aux actionnaires. Les usages suivants des biens de la société SOCIETE2.) :

SOCIETE2.) SA PERSONNE4.) 30/11/2009 59 925,50 SOCIETE2.) SA PERSONNE4.) 30/11/2009 59 925,50 SOCIETE2.) SA PERSONNE5.) 31/12/2007 350 000,00 SOCIETE2.) SA PERSONNE5.) 31/12/2007 350 000,00 SOCIETE2.) SA PERSONNE5.) 31/12/2008 850 000,00 SOCIETE2.) SA PERSONNE5.) 31/12/2008 350 000,00 SOCIETE2.) SA PERSONNE5.) 31/12/2008 850 000,00 SOCIETE2.) SA PERSONNE5.) 10/03/2009 636 254,00 SOCIETE2.) SA PERSONNE5.) 20/11/2009 635 000,00 SOCIETE2.) SA PERSONNE5.) 20/11/2009 635 000,00 SOCIETE2.) SA PERSONNE6.) 21/12/2009 67 000 SOCIETE2.) SA PERSONNE6.) 21/12/2009 67 000 sont dès lors par réformation de la décision de première instance à qualifier de contraires à l’intérêt social de la société SOCIETE2.). » Les mandataires du demandeur en cassation ont dès lors eu la possibilité de traiter la problématique soulevée sous tous ses aspects et de faire valoir les moyens qu’ils croyaient utiles et pertinents.

La Cour d’appel a dès lors pu retenir, sans violer le principe du contradictoire que :

29 Extrait du plumitif, audience du 12 janvier 2021 p 3 52 « En ce qui concerne les paiements des montres qui auraient été acquises par SOCIETE2.) à titre d'investissement, comptabilisés sous le poste « autres valeurs mobilières », l'apparence de propriété de SOCIETE2.) quant à ces montres qui découle des écritures comptables est contredite par les éléments suivants :

Le choix des montres était fonction de la libre appréciation du prévenu et ne résultait pas d'un plan d'investissement préalablement établi afin de définir une stratégie d'achat de SOCIETE2.) de tels ou tels marques et modèles de montres en vue d'obtenir le meilleur bénéfice.

Le prévenu avait la possession matérielle des 319 montres. En effet, il les détenait à son domicile. Elles y étaient entreposées d'une manière telle qu'il n'était pas possible de les individualiser par rapport aux autres montres ayant été financées par les autres sociétés du prévenu pour son compte. Il n’existait aucun rangement en fonction de l’identité du propriétaire des montres. Il y a lieu de se référer, quant aux conditions de stockage et de conservation des 319 montres, aux dépositions du témoin PERSONNE2.) et aux déclarations du prévenu, ci-dessus développées.

Un contrat de dépôt des 319 montres entre SOCIETE2.) et le prévenu n’a pas été allégué, respectivement versé en cause. L’argument, selon lequel il aurait été plus sûr d’entreposer les montres de SOCIETE2.) dans la chambre forte du domicile du prévenu, au lieu de toute autre solution destinée à pallier l’absence de coffre-fort dans les locaux de SOCIETE2.), n’emporte pas la conviction de la Cour d’appel. La complète confusion au domicile du prévenu entre les montres faisant prétendument partie du patrimoine de SOCIETE2.) et celles que le prévenu avait acquises par le biais des autres sociétés incriminées témoigne de ce qu’en réalité et dès le départ, les 319 montres étaient destinées à l’usage privatif du prévenu.

Le mode de comptabilisation des montres à l’actif de la société au poste « valeurs mobilières » n’y change rien.

En effet, force est de constater que tout comme pour les deux premières catégories d’acquisitions de montres (comptabilisées en compte « charges » ou en compte courant d’associé), c'est-à-dire quel qu'ait été le mode de comptabilisation des acquisitions de montres, le prévenu choisissait les montres, les commandait, en obtenait la délivrance et en disposait ensuite librement, tandis que les sociétés payaient les acquisitions.

Tous ces éléments contredisent l’apparence comptable et l’affirmation du prévenu selon laquelle SOCIETE2.) aurait procédé à un investissement en acquérant les 319 montres en question et en aurait eu la propriété.

Il n’existait aucun intérêt pour SOCIETE2.) à financer l’achat de montres de luxe en vue de leur seule mise à disposition ultérieure au prévenu, dans l’intérêt personnel de ce dernier.

Pour les mêmes raisons que celles développées au point b), les paiements effectués par SOCIETE2.) lui ont fait courir des risques injustifiés et anormaux et étaient par conséquent contraires à son intérêt social. Sur ce point, le jugement est à réformer. » La première branche du moyen est dès lors à déclarer non fondée.

53 Dans le cadre de la deuxième branche du quatrième moyen le demandeur en cassation reproche une méconnaissance de l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, ainsi que des articles 544, et 2228 à 2232 du Code civil à la Cour d’appel du fait de retenir, pour caractériser des actes contraires à l’intérêt de SOCIETE2.), que PERSONNE1.) serait le propriétaire réel des 319 montres, dès lors qu’il en avait « la possession matérielle », « alors qu’un bien meuble acquis, sur ses propres fonds, par une société, et inscrit à l’actif de celle-ci dans la catégorie « autres valeurs mobilières », lui appartient, sans que la seule « possession » de ce bien par son dirigeant puisse faire échec au droit de propriété de la personne morale. »30 Il y a lieu de noter que la lecture de l’énoncé de la branche du moyen et de sa discussion montrent que le reproche d’une méconnaissance de l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, formulé à l’encontre de la décision des juges d’appel, n’est aucunement développé, mais que le débat porte exclusivement sur la violation des articles 544, et 2228 à 2232 du Code civil.

Le texte de l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales est dès lors étranger au grief formulé et la deuxième branche du moyen est donc à déclarer irrecevable sous l’aspect de la violation de l’article précité de la loi sur les sociétés commerciales.

Concernant les autres aspects de la branche du moyen, il ne résulte ni de l’arrêt attaqué, ni d’ailleurs des actes de procédure auxquels Votre Cour peut avoir égard, que l’applicabilité à l’affaire sous examen, voire la violation, des articles 544, et 2228 à 2232 du Code civil, ont été soulevées devant les juges du fond.

Or le recours en cassation est une voie de recours extraordinaire et non une troisième instance dans le cadre de laquelle la défense développe les moyens qu’elle a omis de présenter en instance d’appel.

Le moyen est dès lors nouveau et, en ce qu’il comporterait nécessairement un examen des circonstances de fait, mélangé de fait et de droit.

Il s’ensuit que cette branche du moyen est irrecevable.

À titre subsidiaire, sous le couvert du grief tiré de la violation des dispositions visées au moyen, le demandeur en cassation ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des faits de la cause desquels ils ont déduit que les acquisitions de montres étaient contraires à l’intérêt social de la société SOCIETE2.), appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il en suit que la branche du moyen ne saurait donc être accueillie.

La troisième branche du moyen, par déduction de la deuxième branche, retient qu’en se prononçant ainsi, par des motifs erronés quant au prétendu défaut de propriété de SOCIETE2.) sur les 319 montres, la Cour d’appel n’aurait pas caractérisé l’une des conditions du délit d’abus de biens sociaux prévu à l’article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés 30 Page 33 sous 2) du mémoire en cassation 54 commerciales, en l’occurrence la contrariété à l’intérêt social, et aurait nécessairement privé sa décision de base légale au regard de ce texte.

Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit. Dans la discussion de cette branche du moyen, la partie demanderesse en cassation ne précise cependant pas quels éléments auraient dû être analysés par les juges d’appel. Force est de constater à la lecture de l’extrait critiqué de la décision que la Cour d’appel s’est prononcée sur l’usage des biens de la société contraire à l’intérêt de la société. La branche du moyen est dès lors non fondée.

Si le demandeur en cassation, même en reprochant à la Cour un défaut de base légale, entend en réalité faire valoir une application erronée de l’ancien 171-1, par conséquent une violation, la défense ne tend, sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition visée à la branche du moyen, qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond des faits de la cause, desquels ils ont déduit que les acquisitions de montres étaient contraires à l’intérêt social de la société SOCIETE2.), appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation Il en suit que la branche du moyen ne saurait être accueillie.

CINQUIEME MOYEN DE CASSATION (élément intentionnel des abus de biens sociaux) Le cinquième moyen est « tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’ancien article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, et du défaut de base légale, de la violation des articles 89 de la Constitution et 195 du Code de procédure pénale »31, en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré le prévenu coupable d’abus de biens sociaux, s’agissant des montres acquises par le biais de différentes sociétés, pour lesquelles la valeur d’achat a été reportée au débit de son compte courant d’associé.

Le moyen est scindé en trois branches.

Dans le cadre de la première branche, il est reproché à la Cour d’appel de s’être prononcée par des motifs erronés, en méconnaissance du texte d’incrimination, en retenant que « la preuve du dol spécial révèle nécessairement le dol général » (arrêt, p. 110).

Le passage critiqué de l’arrêt d’appel se lit comme suit :

« En ce qui concerne l’élément moral de l’infraction d’abus de biens sociaux, c’est à juste titre que le tribunal a considéré que l’abus de biens sociaux nécessite un dol général (un agissement de mauvaise foi) et un dol spécial (la recherche d’un intérêt personnel). La preuve du dol spécial révèle nécessairement le dol général.

31 Page 38 du mémoire en cassation 55 En l’occurrence, le prévenu, même s'il a agi de manière tout-à-fait transparente d’un point de vue comptable, a indubitablement été animé par la recherche d’un intérêt personnel lorsqu’il a procédé à l’acquisition des montres en litige, au moyen de fonds appartenant à ses sociétés.

Outre son intérêt de collectionneur, il reconnaît que les achats des montres ont été effectués à l'étranger par le biais des sociétés afin de permettre une acquisition hors TVA pour un certain nombre des acquisitions et afin d'obtenir une remise auprès de ses fournisseurs.

Le prévenu est mal fondé de soutenir ne pas avoir eu conscience que ses agissements étaient contraires aux intérêts de ses sociétés. En effet, en homme d’affaires expérimenté, il ne saurait se retrancher derrière une méconnaissance des notions commerciales, financières et juridiques de base et de la nécessité de strictement différencier patrimoine privé du dirigeant de société et patrimoine social. Ceci est d'autant plus vrai que le prévenu a eu à ses côtés un solide service de comptabilité l’épaulant dans sa fonction de dirigeant. D’ailleurs, il y a lieu de se référer aux déclarations du comptable PERSONNE3.) qui explique dans le cadre de son audition policière du 12 septembre 2012 annexée au rapport de synthèse coté B40 que pour certaines des sociétés du groupe PERSONNE1.), il avait été suggéré au prévenu de rembourser les prélèvements effectués par l’associé concernant des acquisitions qui ne correspondaient pas à des frais professionnels. Ceci dit et à supposer que des erreurs comptables aient été commises, cela n’exonère nullement le prévenu de sa responsabilité pénale, qui est tenu, en sa qualité de dirigeant de société de veiller à la stricte application de la législation en vigueur.

La transparence des agissements du prévenu n'affecte en rien le dol spécial qui est établi dans le chef du prévenu, ni le dol général qui en découle.

En conclusion, l’infraction d’abus de biens sociaux est établie en tous ses éléments constitutifs pour ce qui concerne l’intégralité des sociétés (y compris SOCIETE2.) S.A.) qui ont procédé aux paiements pour l’acquisition des 842 montres visées par l’ordonnance de renvoi. Ceci signifie que par réformation du jugement, l’infraction d’abus de biens sociaux vise également les paiements effectués par la société SOCIETE2.) S.A. en vue de l'acquisition des montres de luxe visées dans l'ordonnance de renvoi, le jugement étant à confirmer en ce qui concerne l’abus de biens sociaux qui porte sur les paiements opérés par les autres sociétés. » La formulation « La preuve du dol spécial révèle nécessairement le dol général. » se retrouve dans un article doctrinal 32 qui se lit comme suit « La preuve du dol général varie selon le type de faute retenue à l'encontre du dirigeant social. S'il s'agit d'une négligence, il faut prouver sa connaissance des agissements délictueux, connaissance qui peut être singulièrement facilitée par ses fonctions. S'il s'agit d'une faute intentionnelle, l'intention délictueuse apparaît évidente dans la plupart des circonstances : par exemple, l'acte a été commis clandestinement, étant ignoré des associés ou masqué par des artifices comptables (V. A. Touffait, J. Robin, A.

Audureau et J. Lacoste, V. n° 14 , spéc. n° 271) ; ou encore, le dirigeant s'octroie des avantages personnels manifestement contraires à l'intérêt social, telle une rémunération énorme au moment où la société connaît de sérieuses difficultés (Cass. crim., 25 nov. 1975. – V. n° 24 ).

Ou encore le dirigeant, qui prétend s'abriter derrière une prétendue ignorance et incompétence en matière commerciale, possède en réalité une parfaite maîtrise des notions commerciales et financières et a démontré ses compétences en construisant un groupe de sociétés dans le domaine des loisirs, de l'immobilier et de la distribution (CA Aix-en-Provence, 31 janv. 2007 : JurisData n° 2007-326373). Et d'ailleurs, si les circonstances ne paraissent pas suffisamment 32 JCL Pénal des Affaire infra Sociétés - Fasc. 50 :– Abus des biens, des pouvoirs ou des voix, no 74.

56 explicites en elles-mêmes l'exigence par la loi d'un dol spécial constituera ici un utile succédané : la preuve de ce dol spécial révélera nécessairement le dol général. » Si la mauvaise foi doit nécessairement être caractérisée pour que le délit d’abus de biens sociaux soit constitué, la jurisprudence considère souvent que la mauvaise foi se déduit des circonstances dans lesquelles l’abus de biens sociaux a été commis 33, une approche partagée dans un premier temps par la Cour dans la présente affaire.

La Cour a ainsi analysé pour chaque type de paiements de montres retenu que ces paiements étaient contraires à l’intérêt social des différentes sociétés en cause. Elle a en outre retenu que les acquisitions litigieuses de montres se sont faites à des fins purement privées et dans l’intérêt exclusif du prévenu pour conclure selon l’extrait de la décision critiqué que : « En l’occurrence, le prévenu, même s'il a agi de manière tout-à-fait transparente d’un point de vue comptable, a indubitablement été animé par la recherche d’un intérêt personnel lorsqu’il a procédé à l’acquisition des montres en litige, au moyen de fonds appartenant à ses sociétés.

Outre son intérêt de collectionneur, il reconnaît que les achats des montres ont été effectués à l'étranger par le biais des sociétés afin de permettre une acquisition hors TVA pour un certain nombre des acquisitions et afin d'obtenir une remise auprès de ses fournisseurs. » Malgré l’intention annoncée de la Cour de déduire le dol général des circonstances de commission des abus de biens sociaux, la juridiction, sans certes utiliser le terme de dol général, a par la suite analysé, si le prévenu avait connaissance de la contrariété de ces actes par rapport à l’intérêt social respectif des différentes sociétés en cause et s’il manifestait la volonté consciente et assumée d’accomplir un acte contraire à l’intérêt social.

Le décorticage des faits se lit comme suit :

« Le prévenu est mal fondé de soutenir ne pas avoir eu conscience que ses agissements étaient contraires aux intérêts de ses sociétés. En effet, en homme d’affaires expérimenté, il ne saurait se retrancher derrière une méconnaissance des notions commerciales, financières et juridiques de base et de la nécessité de strictement différencier patrimoine privé du dirigeant de société et patrimoine social. Ceci est d'autant plus vrai que le prévenu a eu à ses côtés un solide service de comptabilité l’épaulant dans sa fonction de dirigeant. D’ailleurs, il y a lieu de se référer aux déclarations du comptable PERSONNE3.) qui explique dans le cadre de son audition policière du 12 septembre 2012 annexée au rapport de synthèse coté B40 que pour certaines des sociétés du groupe PERSONNE1.), il avait été suggéré au prévenu de rembourser les prélèvements effectués par l’associé concernant des acquisitions qui ne correspondaient pas à des frais professionnels. Ceci dit et à supposer que des erreurs comptables aient été commises, cela n’exonère nullement le prévenu de sa responsabilité pénale, qui est tenu, en sa qualité de dirigeant de société de veiller à la stricte application de la législation en vigueur.

La transparence des agissements du prévenu n'affecte en rien le dol spécial qui est établi dans le chef du prévenu, ni le dol général qui en découle. » Dans le passage de l’arrêt critiqué par le demandeur en cassation, la Cour d’appel s’est livrée à une analyse détaillée de tous les aspects de l’élément moral de l’infraction d’abus de biens sociaux, de sorte que l’affirmation « la preuve du dol spécial révèle nécessairement le dol 33 Eva JOLY et Caroline JOLY - BAUMGARTNER, L’abus de biens sociaux à l’épreuve de la pratique, p.148 ss 57 général » peut être qualifiée de surabondante, partant non déterminante, pour justifier sa décision.

Il s’ensuit que le moyen est inopérant.

Par la deuxième branche, qui découle de la première, il est fait grief à la Cour d’appel d’avoir omis de caractériser le dol général à savoir la conscience et la volonté d’agir de manière contraire à l’intérêt des différentes sociétés. Pour cette raison, l’arrêt serait privé de base légale, en ce qu’il ne contient pas les constatations de fait nécessaires à la caractérisation de cet élément.

Au vu des développements faits dans le cadre de la première branche, la Cour a caractérisé à suffisance de droit tous les aspects de l’élément moral de l’infraction, de sorte que la branche du moyen est à déclarer non fondée.

La troisième branche semble constituer un mélange entre le cas d’ouverture du défaut de motifs constitué par un défaut de réponse à conclusions et du défaut de base légale, sans pour autant rattacher ce grief à une disposition légale précise. Le demandeur en cassation reproche en effet à la Cour d’appel d’avoir omis de répondre de manière suffisante au moyen relatif aux conséquences à attacher à la totale transparence avec laquelle les opérations se sont réalisées.

Au vu du texte soumis à la Cour, les conditions de clarté et de précision requises pour constituer un moyen de cassation ne sont pas réunies, étant donné que, tel qu’il est formulé, il ne permet pas à la Cour d’en déterminer le sens et la portée.

La troisième branche du moyen encourt dès lors l’irrecevabilité.

À titre subsidiaire, pour autant que la troisième branche du moyen est à comprendre comme un défaut de base légale, elle est à déclarer non fondée au vu des développements faits dans le cadre des première et deuxième branches du moyen.

Si la branche sous examen est par contre à comprendre comme le reproche du défaut de réponse à conclusion, une forme du défaut de motifs qui est un vice de forme, tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, il ressort de la formulation même de la branche du moyen, que la Cour d’appel a motivé sa décision sur le point en question.

La troisième branche du moyen est à déclarer non fondée.

SIXIEME MOYEN DE CASSATION (inconstitutionnalité du blanchiment-détention) Le sixième moyen est tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 95ter de la Constitution, et des articles 2, 6 et 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, et insuffisance de motivation, en violation de l’article 89 de la 58 Constitution, en ce que l’arrêt attaqué a refusé de renvoyer à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

« Les articles 506-1(3) et 506- du Code pénal, en ce qu’ils permettent la poursuite et la répression de l’auto-blanchiment-détention dans le chef de l’auteur de l’infraction primaire, sont-ils conformes aux articles 12 et 14 de la Constitution et au principe à valeur constitutionnelle de proportionnalité ? » Le moyen est scindé dans quatre branches :

Dans la première branche du moyen, le demandeur en cassation critique ce refus aux motifs qu« en vertu de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, lorsqu'une partie soulève une question relative à la conformité d'une loi à la Constitution devant une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle ; qu’en vertu de l’article 8 de cette même loi, « la question préjudicielle qui figure au dispositif du jugement ne doit répondre à aucune condition particulière de forme », étant rappelé que la juridiction peut même soulever d’office une question préjudicielle ; que la loi n’exige pas de motivation spécifique de la part de celui qui soumet à la juridiction une telle question ; qu’en considérant la question comme « dénuée de fondement » en raison du fait que celle-ci n'expliquerait pas « en quoi les articles 506-1(3) et 506-4 du Code pénal seraient contraires aux articles 12 et 14 de la Constitution, qui consacrent le droit à la liberté individuelle et le principe de la légalité des peines », lorsqu’il ressortait suffisamment des conclusions sur ce point (p. 69 et s.) qu’était décrié le manquement de clarté et de prévisibilité de cette incrimination, et qu’en tout état de cause, il revenait à la Cour d’appel, saisie de la confrontation précise entre des textes à valeur légale et des dispositions constitutionnelles, d’expliquer en quoi la question était dénuée de fondement ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a violé les 95ter de la Constitution, et des articles 2, 6 et 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, »34 Le demandeur en cassation fait état d’une violation de l’article 6 de la Loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle qui se lit comme suit :

« Lorsqu'une partie soulève une question relative à la conformité d'une loi à la Constitution devant une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu'elle estime que :

a) une décision sur la question soulevée n'est pas nécessaire pour rendre son jugement;

b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement;

c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.

Si une juridiction estime qu'une question de conformité d'une loi à la Constitution se pose et qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, elle doit la soulever d'office après avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations » 34 Page 42 du mémoire en cassation 59 ainsi que de l’article 8 de cette même loi qui dispose :

« La question préjudicielle qui figure au dispositif du jugement ne doit répondre à aucune condition particulière de forme. Elle indique avec précision les dispositions législatives et constitutionnelles sur lesquelles elle porte.

Le greffe de la juridiction qui pose la question préjudicielle transmet la décision de saisine au greffe de la Cour Constitutionnelle ».

Le passage critiqué de l’arrêt dont pourvoi est le suivant35 :

« Telle que formulée par les mandataires du prévenu, la question préjudicielle dont le prévenu entend saisir la Cour constitutionnelle n'explique pas en quoi les articles 506-1(3) et 506-4 du Code pénal seraient contraires aux articles 12 et 14 de la Constitution, qui consacrent le droit à la liberté individuelle et le principe de la légalité des peines.

Il n'y a donc pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle de cette question alors qu’elle est dénuée de tout fondement. » La formulation du moyen soulève des questions quant à la nature du cas d’ouverture visé.

Il ressort de la lecture de la discussion de la première branche du moyen, que le cas d’ouverture visé ne semble en réalité pas celui de la violation de la loi, mais celui du défaut de base légale, puisque le demandeur en cassation retient « qu’il revenait à la Cour d’appel d’expliquer elle-

même en quoi la question était dénuée de fondement. » Le cas d’ouverture visé est dès lors étranger au grief formulé, de sorte que cette branche du moyen ne saurait être accueillie.

À titre subsidiaire, et pour autant le moyen soit déclaré recevable et qu’il vise le défaut de base légale :

Le défaut de base légale constitue un moyen de fond qui doit être rattaché à une disposition prétendument violée du fait que la décision attaquée ne constate pas tous les faits nécessaires à la mise en œuvre de cette règle de droit. Il vise l’insuffisance des constatations de fait fondant les déductions en droit opérées par le juge.

La partie demanderesse en cassation estime qu’il revenait à la Cour d’appel d’expliquer elle-

même en quoi la question était dénuée de fondement étant donné « qu’il ressortait suffisamment des écritures sur ce point (p. 69 et s.) qu’était décrié le manquement de clarté et de prévisibilité de cette incrimination. ». Il n’en est cependant rien.

Sur les pages précitées de la note de plaidoiries (p. 69 et s), l’actuel demandeur en cassation a cité pêle-mêle divers textes légaux, relatifs à des règles de forme et de fond, que ce soit de droit belge, français ou luxembourgeois, ainsi que de droit de l’Union européenne, tout comme diverses décisions judiciaires, sans pour autant expliquer en quoi consisterait la contrariété des articles 506-1 et 506-4 du Code pénal aux articles 12 et 14 de la Constitution. Étant donné que les critiques formulées par l’appelant étaient tout simplement étrangères aux articles 12 et 14 de la Constitution, le reproche de la Cour d’appel n’est pas à comprendre comme une exigence 35 Page 114 de la décision entreprise 60 de formalisme au niveau de la formulation de la question préjudicielle, mais se situe au niveau de la compréhension et de la définition de la nature du défaut de conformité allégué des dispositions légales visées au moyen par rapport aux articles 12 et 14 de la Constitution.

Les développements de la défense mettant la Cour d’appel dans l’impossibilité de saisir la nature du défaut de conformité des articles 506-1 et 506-4 du Code pénal à la Constitution, elle a formalisé cette incompréhension sous la forme du passage de l’arrêt cité ci-dessus. L’arrêt contient dès lors des constatations de fait complètes et la première branche du moyen est à déclarer non fondée.

Dans le cadre de la seconde branche du moyen, il est fait grief à la Cour d’appel d’avoir retenu : « d'autre part et concernant l'argumentation selon laquelle les articles 506-1(3) et 506-4 du Code pénal, en ce qu’ils permettent la répression de l’auto-blanchiment-détention, instaureraient une infraction qui restreint de manière disproportionnée les droits des citoyens, il n'appartient pas à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur l'opportunité d'une loi » (arrêt attaqué, p. 115), sans pour autant préciser en quoi le passage critiqué violerait les articles 2, 6 et 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle.

La soussignée se rapporte à la sagesse de votre Cour en ce qui concerne la recevabilité de cette branche du moyen au vu de son manque de précision.

Il reste toutefois que l’article 43 de la loi du 10 février 1885, applicable aux pourvois en matière pénale, ne se prononce pas, contrairement à l’article 10 de la même loi applicable aux pourvois en cassation en matière civile, sur la présentation et la teneur du moyen.

En retenant que « Telle que formulée par les mandataires du prévenu, la question préjudicielle dont le prévenu entend saisir la Cour constitutionnelle n'explique pas en quoi les articles 506-

1(3) et 506-4 du Code pénal seraient contraires aux articles 12 et 14 de la Constitution, qui consacrent le droit à la liberté individuelle et le principe de la légalité des peines.

Il n'y a donc pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle de cette question alors qu’elle est dénuée de tout fondement. », la Cour d’appel a d’ores et déjà tranché la question de la saisine de la Cour constitutionnelle par la négative.

Le motif critiqué par la branche sous examen du moyen est dès lors surabondant, comme ne constituant pas le support de la décision. (Pour être complet, il y a lieu de préciser qu’une seule question préjudicielle avait été posée dans le cadre de l’instance d’appel.) La deuxième branche du moyen ne saurait dès lors être accueillie.

La troisième branche du moyen se lit comme suit :

« en se prononçant ainsi que décrit dans la deuxième branche, la Cour d’appel n’a constaté ni que la question n’était pas nécessaire pour résoudre son litige, ni qu’elle était dénuée de fondement, sa décision se trouvant dès lors dépourvue de motifs suffisants, en violation de l’article 89 de la Constitution selon lequel « tout jugement est motivé », 61 En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, la soussignée comprend le moyen comme visant le défaut de motifs36, qui est un vice de forme.

Selon la jurisprudence de Votre Cour, le jugement est régulier en la forme, dès qu’il comporte un motif exprès ou implicite, si incomplet ou vicieux soit-il sur le point considéré. Il suffit dès lors de constater qu’une décision est motivée sur le point concerné pour écarter ce moyen.

Or, une seule question préjudicielle étant posée, la Cour d’appel a motivé son refus de saisir la Cour constitutionnelle comme suit : « Telle que formulée par les mandataires du prévenu, la question préjudicielle dont le prévenu entend saisir la Cour constitutionnelle n'explique pas en quoi les articles 506-1(3) et 506-4 du Code pénal seraient contraires aux articles 12 et 14 de la Constitution, qui consacrent le droit à la liberté individuelle et le principe de la légalité des peines.

Il n'y a donc pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle de cette question alors qu’elle est dénuée de tout fondement. » La Cour d’appel ayant motivé sa décision telle que précisée ci-dessus sur le point en question, la troisième branche du moyen est à déclarer non fondée.

La quatrième branche est tirée de la violation de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui consacre le droit d’accès au juge, notamment au juge constitutionnel. Selon le demandeur en cassation l’article précité, prohibe à cet égard tout formalisme excessif et qu’en statuant comme décrit aux trois premières branches, la Cour d’appel aurait violé ledit article.

« L’article 6 de la Convention ne garantit aucun droit d’accès à une juridiction habilitée à censurer ou à annuler la loi. Le droit d’accès à une juridiction constitutionnelle ne fait pas partie, en tant que tel, des droits garantis par la Convention aucune disposition de la Convention n’oblige en effet un État contractant à octroyer aux personnes relevant de sa juridiction une voie de recours devant une juridiction constitutionnelle en sus des recours qu’elles peuvent exercer devant les juridictions ordinaires. En outre, n’étant pas contraint d’instituer un droit de recours devant une Cour constitutionnelle, l’État qui en établit une est en droit d’édicter des prescriptions en réglementant l’accès. »37 Concernant les conditions de recevabilité d’un recours constitutionnel, « l’accès à la juridiction constitutionnelle peut faire l’objet de restrictions légales dont il y a lieu de vérifier l’adéquation au droit à un procès équitable La Cour européenne des droits de l’homme est d’avis que les conditions de recevabilité d’un recours constitutionnel peuvent être plus rigoureuses que pour un appel, compte tenu du fait que la juridiction d’une Cour constitutionnelle est limitée aux questions de constitutionnalité toutefois, les autorités nationales ne jouissent pas d’un pouvoir discrétionnaire illimité à cet égard il convient de prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle que la juridiction constitutionnelle y a tenu. »38 36 L’interprétation du cas d’ouverture du défaut de motifs est privilégiée par rapport à celui du défaut de base légale (motifs qualifiés d’insuffisants) au vu de la formulation d’ensemble du moyen.

37 KUTY François, « Chapitre III - Le droit d’accès à un tribunal » in Justice pénale et procès équitable, 1ère édiction Bruxelles, Larcier, 2023, no 528 38 Idem no 529 62 Pour déterminer la proportionnalité de restrictions légales appliquées à l’accès aux juridictions supérieures, il y a lieu de prendre en considération trois facteurs que sont la prévisibilité des modalités d’exercice du recours, la proportionnalité entre l’erreur procédurale commise et le préjudice encouru du fait de la restriction à l’accès au juge constitutionnel et, enfin, le caractère éventuellement excessivement formaliste de cette restriction.

En l’espèce, le reproche d’un formalisme excessif semble être formulé, non pas par rapport à une règle procédurale précise, mais par rapport à une application trop restrictive de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle.

Comme développé dans le cadre de la première branche du moyen, la Cour d’appel n’a pas entendu soumettre le demandeur en cassation à des exigences rédactionnelles de forme de la question préjudicielle, mais a fait part de son impossibilité à déterminer la finalité des développements de l’appelant et à déceler, au vu de ces développements, la contrariété des articles visés du Code pénal aux articles 12 et 14 de la Constitution.

Au vu de ce qui précède, le moyen se fonde sur une lecture erronée de la décision entreprise, de sorte qu’il manque en fait.

Le demandeur en cassation termine la discussion de la quatrième branche du moyen par la demande, adressée à Votre Cour, de saisir la Cour constitutionnelle des deux questions préjudicielles suivantes :

« Les articles 506-1(3) et 506- du Code pénal, en ce qu’ils permettent la poursuite et la répression de l’auto-blanchiment-détention dans le chef de l’auteur de l’infraction primaire, sont-ils conformes aux articles 12 et 14 de la Constitution et au principe à valeur constitutionnelle de proportionnalité ? » « Les articles 506-1 (3) et 506-4 du Code pénal, en ce qu’ils permettent la poursuite et la répression de l’auto-blanchiment-détention, contrairement à l’auto-recel prévu à l’article 505 du même Code, alors que ces deux infractions répriment la « détention » d’un bien d’origine illicite, soit exactement le même comportement, laissant ainsi à l’autorité poursuivante un pouvoir discrétionnaire de déclenchement des poursuites ne se justifiant pas par des motifs objectifs et suffisants, sont-ils conformes à l’article 10bis (1) de la Constitution qui consacre le principe d’égalité devant la loi ? ».

Cette demande ne saurait être accueillie, le moyen étant tiré de l’article 6 de la Loi modifiée du 27 juillet 1997, voire de l’article 89 de la Constitution et de l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme portant organisation de la Cour Constitutionnelle et non pas des articles 12 et 14 de la Constitution.

SEPTIEME MOYEN DE CASSATION (contrariété de l’auto-blanchiment-détention au droit de l’Union européenne) Le septième moyen fait grief à l’arrêt dont pourvoi d’avoir violé la Directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment 63 de capitaux au moyen du droit pénal, ainsi que les articles 49 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce que l’arrêt attaqué a retenu cumulativement les infractions d’abus de biens sociaux et de blanchiment-détention à l’encontre du demandeur en cassation, aux motifs que « concernant le moyen selon lequel la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal n’encouragerait la punition de l’auto-blanchiment que si celui-ci implique une conversion, un transfert, une dissimulation, soit un acte distinct de l’infraction principale que le prévenu n’aurait pas commis, il n'est pas interdit au législateur national d'aller au-delà des exigences d'une directive et il ne relève nullement des attributions de la Cour d'appel ou de la Cour constitutionnelle de se prononcer sur le choix politique du législateur, alors que « l’article 3 paragraphe 1er, c) de la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, et l’article 1er, paragraphe 2, c) de la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005, dans laquelle elle s’inscrit, lus à la lumière des articles 49 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui garantissent respectivement la proportionnalité de la répression et le principe non bis in idem, s’opposent la répression, au titre du blanchiment, de l’auteur de l’infraction primaire, en plus de la déclaration de culpabilité résultant de cette première infraction, dans l’hypothèse où le comportement incriminé consiste en la seule « détention » du produit de l’infraction d’origine ; qu’en prononçant une double déclaration de culpabilité de ce chef, la Cour d’appel a méconnu ces dispositions du droit de l’Union européenne. » Il y a tout d’abord lieu de noter que pour retenir l’auteur d’abus de biens sociaux dans les liens de la prévention de blanchiment du fait de la détention du produit des infractions d’origine, les juges d’appel ont fait application de l’article 506-4 du Code pénal, qui dispose que : « Les infractions visées à l'article 506-1 sont également punissables, lorsque l'auteur est aussi l'auteur ou le complice de l'infraction primaire » L’article 506-4 a été introduit par la loi du 31 décembre 199839, texte qui n’a plus connu de modification depuis. Son introduction dans le Code pénal luxembourgeois avait à l’époque été motivée comme suit :

« Jusqu’à présent, l'infraction de blanchiment en droit luxembourgeois, est restée confinée au domaine du trafic de stupéfiants. Toutefois, l’évolution inquiétante du phénomène de la criminalité organisée de qui n‘a cessé de prendre de l’ampleur au point de motiver récemment l’institution au sein du Conseil de l’Union européenne d‘un groupe de haut niveau chargé d‘élaborer un programme d‘action globale pour lutter contre ce phénomène, et qui recourt à des stratégies des plus sophistiquées pour le blanchiment des biens obtenus de manière illicite, incite à élargir la portée de l’infraction de blanchiment pour couvrir également des catégories d‘infractions primaires reliées au crime organisé autres que celles liées au trafic de la drogue.

Cet élargissement est d’autant plus souhaitable que, sur un plan international, les politiques convergent vers une extension de l‘infraction de blanchiment aux produits du crime en général.

Ainsi tant la Convention du Conseil de l‘Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, signée par le Luxembourg en date du 28 septembre 1992, que la Directive du Conseil des Communautés européennes du 10 juin 1991 donnent une définition très générale de l'infraction de blanchiment. Ils laissent cependant aux États toute latitude pour déterminer les catégories d‘infractions aux produits desquels l‘infraction de blanchiment s’appliquera ou ne s’appliquera pas sauf inclusion 39 Publié au Mémorial A n° 73 en page 1456 64 obligatoire des infractions de trafic de stupéfiants en vertu de l‘article 1er de la Directive précitée.

Le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) qui est un organisme intergouvernemental établi au sein de l‘OCDE regroupant actuellement 26 pays et deux organisations internationales et qui a pour objectif de concevoir et de promouvoir des stratégies de lutte contre le blanchiment de capitaux tend également à considérer le phénomène du blanchiment dans son acception large.

Le Parlement européen, à son tour dans une résolution A 4—0187/96 relative au premier rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l‘application de la directive 91/308/CEE du 10 juin 1991 relative au blanchiment de capitaux et invité les États membres à étendre leur législation de lutte contre le blanchiment de capitaux non seulement aux fonds résultant du trafic de la drogue, mais à tous les fonds provenant de délits professionnels et organisés.

Le présent projet de loi entend donner suite à cette invitation par le biais de l‘introduction au code pénal d’une section nouvelle, spécialement consacrée à l‘infraction de blanchiment. » La Directive 91/308/CEE du 10 juin 1991 relative au blanchiment de capitaux définissait le blanchiment de capitaux comme les agissements ci-après énumérés, commis intentionnellement:

« la conversion ou le transfert de biens, dont celui qui s'y livre sait qu'ils proviennent d'une activité criminelle ou d'une participation à une telle activité, dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine illicite desdits biens ou d'aider toute personne qui est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes, - la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l'origine, de l'emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels de biens ou de droits y relatifs dont l'auteur sait qu'ils proviennent d'une activité criminelle ou d'une participation à une telle activité, - l'acquisition, la détention ou l'utilisation de biens en sachant, au moment de la réception de ces biens, qu'ils proviennent d'une activité criminelle ou d'une participation à une telle activité, - la participation à l'un des actes visés aux trois points précédents, l'association pour commettre ledit acte, les tentatives de le perpétrer, le fait d'aider, d'inciter ou de conseiller quelqu'un à le faire ou le fait d'en faciliter l'exécution » En introduisant, l’article 506-4 dans son arsenal juridique de lutte contre le blanchiment des capitaux, le législateur luxembourgeois est tout simplement, comme l’ont relevé les juges d’appel, allé plus loin que les exigences de la directive.

Si la Directive 91/308/CEE du 10 juin 1991 a été abrogée par la Directive 2005/60/CE, qui à son tour a été abrogée par la Directive 2015/849, puis complétée par la Directive 2018/1673, la définition du blanchiment-détention n’a que très peu changée au fil du temps et se lit actuellement comme suit :

(Article 3.1) « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour s’assurer que les comportements suivants, lorsqu’ils sont intentionnels, sont passibles de sanctions en tant qu’infractions pénales (…) c) l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens, dont celui qui s’y livre sait, au moment où il les réceptionne, qu’ils proviennent d’une activité criminelle » Il ressort de la lecture de toutes les directives précitées que, contrairement aux affirmations de la partie demanderesse en cassation, aucune d’entre elles n’interdit formellement la répression au titre du blanchiment de l’auteur de l’infraction primaire. La Directive 2018/1673 précise 65 d’ailleurs dans son article 1er que « La présente directive établit des règles minimales concernant la définition des infractions et sanctions pénales dans le domaine du blanchiment de capitaux. » Afin d’être complet, il y a lieu de préciser que dans le cadre de ses développements du moyen, le demandeur en cassation a cité un arrêt du 2 septembre 2021 (affaire C 790/19 ) de la Cour de justice de l’Union européenne.

La demande de décision préjudicielle traitée dans l’arrêt précité porte, après reformulation de la Cour, sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2 sous a)40, de la Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005, relative à la présentation de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, qui a trait au blanchiment découlant de la conversion et du transfert de biens, dans le but d’en dissimuler ou déguiser l’origine illicite.

Le blanchiment par acquisition, détention ou utilisation des biens par l’auteur de l’infraction dont ils découlent, se déduit de l’article 1er, paragraphe 2 sous c), de la Directive 2005/60/CE.

Or c’est bien cette dernière hypothèse qui nous occupe dans le cas d’espèce.

Aucun enseignement ne saurait être tiré de l’arrêt du 2 septembre 2021 au regard de l’auto-

blanchiment-détention, étant donné que cette question ne faisait tout simplement pas l’objet du débat. La décision précitée est dès lors sans incidence sur la présente affaire.

Au vu de l’ensemble des développements que précèdent, il y a lieu de conclure que les dispositions de la Directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, dont la violation est alléguée sont étrangères au grief formulé. Elles n’ont ni commandé l’introduction de l’article 506-4 au Code pénal, ni trouvé application dans le cadre de la décision au fond.

Le moyen est en outre tiré de la violation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

40 L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de ladite directive prévoit :

« 1. Les États membres veillent à ce que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme soient interdits.

2. Aux fins de la présente directive, sont considérés comme blanchiment de capitaux les agissements ci‑après énumérés, commis intentionnellement :

a) la conversion ou le transfert de biens, dont celui qui s’y livre sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;

b) la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels de biens ou des droits y relatifs dont l’auteur sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité ;

c) l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens en sachant, au moment de la réception de ces biens, qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité ;

d) la participation à l’un des actes visés aux points précédents, l’association pour commettre ledit acte, les tentatives de le perpétrer, le fait d’aider, d’inciter ou de conseiller quelqu’un en vue de le commettre ou le fait d’en faciliter l’exécution. » 66 La Charte dispose dans son article 51, paragraphe 1, que « [l]es dispositions de la […] Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ».

La Charte ne s’applique donc que si et dans la mesure où les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union européenne. Or, le présent cas d’espèce est étranger à une telle mise en œuvre. Il a pour objet une procédure pénale engagée par suite d’un délit dans un contexte où tant la procédure pénale que le délit sont étrangers au droit de l’Union européenne.

Votre Cour a régulièrement constaté qu’une procédure pénale sans élément d’extranéité ne présente aucun lien avec la mise en œuvre par le Luxembourg du droit de l’Union européenne, de sorte que le grief tiré d’un article de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice en date du 7 décembre 2000 est étranger au litige et que le moyen est inopérant.41 Dans d’autres arrêts rendus en matière pénale, vous avez décidé que le moyen tiré de la violation d’un article de la Charte est à rejeter42 ou irrecevable43, faute de lien avec la mise en œuvre par le Luxembourg du droit de l’Union européenne.

Le demandeur en cassation entend, à titre subsidiaire, voir soumettre à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« L’article 3 paragraphe 1er, c) de la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, et l’article 1er, paragraphe 2, c) de la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005, dans laquelle elle s’inscrit, lus à la lumière des articles 49 et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’opposent-ils à une législation nationale, telle que celle qui a été appliquée en l’espèce, qui permet la répression, au titre du blanchiment, de l’auteur de l’infraction primaire, en plus de la déclaration de culpabilité résultant de cette première infraction, dans l’hypothèse où le comportement incriminé consiste en la seule « détention » du produit de l’infraction d’origine ? » Au vu de la réponse donnée ci-dessus au moyen, il n’y a pas lieu de poser ladite question préjudicielle.

41 Cass, n° 5/2012 pénal du 12.1.2012, not. 3267/08/XD, n° 3001 du registre ; Cass. 20/13 du 21.3.2013, n° 3127 du registre 42 Cass. n° 4/12 du 2.2.2012, n° 2941 du registre 43 Cass. n° 7/2013 pénal du 31.1.2013, not. 1543/11/XD, n° 3108 du registre 67 HUITIEME MOYEN DE CASSATION (violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale) Le huitième moyen est « tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 7, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de l’article 14 de la Constitution, de l’article 2 alinéa 1er du Code pénal, ensemble l’article 506-1 du même code, et l’article 171-1 ancien de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales » en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le demandeur en cassation coupable de blanchiment de faits d’abus de biens sociaux réalisés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008, alors que « le principe de légalité et son corollaire, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, impliquent que le comportement répréhensible ait été initié postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi portant incrimination ; que ce principe vaut en cas d’extension du champ d’application du blanchiment-détention à une infraction jusqu’alors non prévue comme susceptible de constituer l’infraction d’origine de ce délit de conséquence ; qu’en retenant que « les montres acquises et payées avant le 27 juillet 2008 proviennent d'un abus de biens sociaux » et que « la détention par le prévenu de ces montres a été continue dans le temps et s’est prolongée sans interruption au-delà de la date du 27 juillet 2008 » (arrêt, p. 113), la Cour d’appel a violé les textes visés au moyen. » L’article 7, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme consacre, de manière générale, le principe de la légalité des délits et des peines et consacre le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, principes que se retrouvent à l’article 14 de la Constitution et à l’article 2 du Code pénal. Le moyen vise plus particulièrement le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, L’objectif du principe de non-rétroactivité est d’éviter tout arbitraire des pouvoirs publics et d’empêcher qu’un citoyen soit condamné sans avoir su au moment de son acte que ses agissements étaient punissables.

L’extrait critiqué de la décision se lit comme suit :

« L’infraction de blanchiment-détention Cette infraction, visée à l'article 506-1.3) du Code pénal, nécessite l'existence d'une infraction primaire et d'un acte d'acquisition, de détention ou d'utilisation.

A partir du 27 juillet 2008, date de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et modifiant l'article 506-1 du Code pénal, le délit d'abus de biens sociaux a été ajouté à l'énumération des infractions primaires dont le produit est susceptible d'être blanchi. En effet, cette loi a introduit un tiret supplémentaire selon lequel constitue une infraction primaire « toute autre infraction punie d'une peine privative de liberté punie d'un minimum supérieur à 6 mois », ce qui englobe l'article 171-1 (le nouvel article 1500-11) de la loi modifiée du 10 août 1915 selon lequel l'infraction d'abus de biens sociaux est punie d'une peine d'emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de 500 à 25.000 euros, ou d'une de ces deux peines seulement.

68 Il est un fait que les montres acquises et payées avant le 27 juillet 2008 proviennent d'un abus de biens sociaux. La détention par le prévenu de ces montres a été continue dans le temps et s’est prolongée sans interruption au-delà de la date du 27 juillet 2008.

A partir de cette date, cette détention est devenue punissable au titre de l'infraction de blanchiment-détention parce que l'abus de biens sociaux est devenu une des infractions primaires de l'infraction de blanchiment-détention.

L'infraction de blanchiment-détention se conçoit donc pour la période postérieure au 26 juillet 2008 en ce qui concerne les montres payées avant cette date. Une telle conclusion ne procède pas d'une application rétroactive de la loi pénale. » Comme l’ont rappelé les juges d’appel l’abus de biens sociaux a été érigé en infraction primaire au blanchiment par une loi du 17.07.200844 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et modifiant l'article 506-1 du Code pénal, et ce notamment par l’introduction d’un tiret supplémentaire aux termes duquel constitue une infraction primaire au blanchiment « toute autre infraction punie d’une peine privative de liberté d’un minimum supérieur à 6 mois », englobant dès lors l’article 171-1 (l’actuel article 1500-11) de la loi modifiée du 10 août 1915 aux termes duquel l’infraction d’abus de biens sociaux est punissable d’une peine d’emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 500 à 25.000 euros, ou d’une de ces peines seulement.

L’infraction d’abus de bien sociaux a été introduit dans la loi modifiée du 10 août 1915 par la loi du 21 juillet 199245 portant adaptation de la réglementation concernant les faillites et la nouvelle définition des actes de commerce et créant l’infraction d’abus de biens sociaux.

Les faits qualifiés d’abus de biens sociaux étaient donc punissables bien avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008.

La situation de base du cas d’espèce est donc différente de celle de la jurisprudence de la Cour de cassation française du 9 juin 1999, n° 98-80.052, rendue en matière de recel, citée par la partie demanderesse en cassation, puisque dans l’hypothèse française la question tournait autour de l’incrimination des faits constitutifs de l'infraction d'origine.

De l’avis de la soussignée, le cas d’espèce pourrait être rapproché de la jurisprudence de la Cour de cassation française rendue en relation avec les questions d’application de la loi dans le temps en cas de changement du régime de la récidive.

La Cour de cassation française admet depuis longtemps qu'une loi nouvelle, instituant un nouveau cas de récidive ou allongeant le délai entre les deux termes de la récidive, peut s'appliquer à une seconde infraction commise postérieurement à son entrée en vigueur. L'état de récidive s'apprécie donc suivant la loi en vigueur au jour de commission du deuxième terme de la récidive. 46 44 Publiée au Mémorial A du 23/07/2008, entrée en vigueur le 26.07.2008.

45 Publiée au Mémorial A no 58 du 10 août 1992 46 Crim. 14 juin 1945, Bull. crim. no 68. – Crim. 29 janv. 1948, Bull. crim. no 38. – Crim. 11 févr. 1981, Bull.

crim. no 56. – Crim. 23 mars 1981, Bull. crim. no 103. – Crim. 27 mars 1996, no 95-82.654 , Bull. crim. no 140 ; RSC 1997. 375, obs. Bouloc . – Crim. 29 févr. 2000, no 98-80.518 , Dr. pénal 2000. Chron. 37, obs. Marsat ;

RSC 2001. 167, obs. Delmas Saint-Hilaire ).

69 Il y a lieu de noter, que Votre Cour a adopté une solution identique à celle de la Cour de cassation française et a retenu quant à la question de l’application de la récidive de trois ans, prévue par l’article 12, paragraphe 2, alinéa 3, de la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, telle que modifiée par la loi du 18 septembre 2007 à une situation où la première condamnation était antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 18 septembre 2007, que « lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction constitutive du second terme, qu’il dépend de l’agent de ne pas commettre, soit postérieure à son entrée en vigueur » La jurisprudence de la Cour de cassation française jurisprudence a certes fait l'objet d'une tentative de contestation devant la Cour européenne des Droits de l'Homme. Celle-ci avait dans un premier temps estimé que lorsqu'une personne est condamnée en état de récidive par application d'une loi nouvelle, le principe de sécurité juridique commande que le délai de récidive légale, apprécié conformément aux principes du droit, notamment d'interprétation stricte du droit pénal, ne soit pas déjà échu en vertu de la précédente loi, sous peine d'une violation de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme 47 La Cour, en grande chambre48, a finalement, consacré la solution française admettant que tant le droit d'origine jurisprudentielle, que le droit d'origine législative étaient « prévisibles », au sens de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

En l’espèce, le prévenu avait la possibilité, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2008, à savoir le 26 juillet 2008, de cesser la détention de montres qu’il savait provenir d’un abus de biens sociaux, dont il était lui-même l’auteur, et d’éviter ainsi de commettre une nouvelle infraction. En connaissance de cause, il a cependant omis de ce faire.

C’est dès lors, sans violer les textes légaux visés au moyen que les juges d’appel ont retenu le prévenu dans les liens de la prévention de blanchiment-détention, prévue aux articles 506-1 point 3) et 506-4 du Code pénal pour la détention de l’ensemble des montres, y compris celles acquises avant le 27 juillet 2008, visées au réquisitoire du Ministère public.

NEUVIEME MOYEN DE CASSATION (justification et proportionnalité des peines) Le neuvième moyen est « tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 14, 31 du Code pénal en vigueur au moment de la prévention, 506-1 du même code et 171-1 ancien de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, ainsi que de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et enfin de l’article 89 de la Constitution pour défaut de motivation » en ce que l’arrêt attaqué a ramené la peine d'emprisonnement, prononcée contre PERSONNE1.) du chef des infractions établies à sa charge et étant assortie d’un sursis intégral à l’exécution, à la durée d'une année, et ordonné la confiscation de 47 CEDH 10 nov. 2004, Achour c/ France, D. 2005. 1203, note Roets ; D. 2006. 53, note Zerouki-Cottin ; JCP 2005. I. 103, no 9, obs. Sudre ; RSC 2005. 659, obs. Massias ).

48 (CEDH, gr. ch., 29 mars 2006, Achour c/ France, D. 2006. 2513, note Zerouki-Cottin ; D. 2006. IR 1249 ; D.

2006. Pan. 1652, obs. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2006. 360, obs. Saas ; JCP 2006. I. 164, no 6, obs. Sudre ;

RSC 2006. 677, obs. Massias ; RTDH 2007. 233, O. Bachelet) 70 l'intégralité des montres saisies à titre de biens substitués à l'objet de l'infraction d'abus de biens sociaux, et confirmé l’amende de 250.000 euros prononcée à son encontre.

Le moyen est scindé en deux branches :

Dans le cadre de la première branche il est fait grief aux juges d’appel d’avoir omis de répondre aux arguments de la défense à savoir « l’absence de dommage encouru par ses sociétés depuis la commission des faits, la légalité au Luxembourg des comptes courants d’associé débiteurs, l’ancienneté des faits et l’absence d’antécédents judiciaires » (résumé du moyen figurant dans l’arrêt, p. 96, conclusions point 230 et s.) dans le cadre de la fixation de la peine. En prononçant l’ensemble de ces peines sans tenir compte de ces éléments, la Cour d’appel aurait privé sa décision de motifs, en violation de l’article 89 de la Constitution.

En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution le moyen vise le défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Le défaut de motifs allégué qui consisterait en l’espèce dans un défaut d’analyse de « l’absence de dommage encouru par ses sociétés depuis la commission des faits, la légalité au Luxembourg des comptes courants d’associé débiteurs, l’ancienneté des faits et l’absence d’antécédents judiciaires » dans le cadre de la peine à prononcer, s’entend comme un grief de défaut de réponse à conclusions.

Concernant la peine d’emprisonnement et l’amende à prononcer, les premiers juges ont retenu :

« Au vu de la gravité, mais en tenant également compte de l’ancienneté des faits, le Tribunal condamne PERSONNE1.) à une peine d’emprisonnement de 2 ans et à une amende de 250.000 euros qui tient compte de sa fortune personnelle et de ses revenus disponibles.

Vu que le prévenu n’a pas encore été condamné à une peine privative de liberté, il n’est pas indigne d’une certaine clémence du Tribunal. Il y a donc lieu d’assortir la peine d’emprisonnement à prononcer à son encontre du sursis intégral. » La Cour d’appel a retenu pour sa part :

« Au vu de la gravité des faits, mais surtout au vu de leur ancienneté, il convient de ramener la peine d'emprisonnement à une année, par réformation du jugement. Par adoption des motifs du jugement, c'est à bon droit que cette peine d'emprisonnement a été assortie d'un sursis intégral à l'exécution.

L'amende est légale, appropriée à la gravité des faits et est à confirmer.

En ce qui concerne la confiscation, c'est à bon droit que le tribunal s'est fondé sur l'article 31(2) du Code pénal. Toutefois, par réformation du jugement, toutes les montres saisies suivant les procès-verbaux et rapports:

a) n° SPJ/31/BOJP/JDA/12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, 71 b) n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-15 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, c) n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-20 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, d) l’annexe 5 du rapport n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-119 du 20 août 2015 du Service de police judiciaire, SOAS.

sont à confisquer à titre de biens substitués à l'objet de l'infraction d'abus de biens sociaux.

L'amende subsidiaire de 3.740.000 euros, prononcée par le tribunal au cas où la confiscation des 187 montres reprises au relevé annexé en annexe 5 du rapport n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-119 du 20 août 2015 du Service de police judiciaire, SOAS et ne se trouvant pas sous main de justice ne pourrait pas être exécutée, est dépourvue de base légale. Il s'agit d'une peine illégale au vu de l’article 32(4) du Code pénal.

La lecture de l’extrait de la motivation citée ci-dessus montre que les juges d’appel ont, par motif spécial, pris en compte l’ancienneté des faits et répondu par adoption de motifs des premiers juges à l’argument de l’absence d’antécédents judiciaires. Ils ont dès lors motivé leur décision quant au choix des peines prononcées tant au regard des éléments objectifs du dossier (ancienneté des faits), que de la personnalité du prévenu (absence d’antécédents judiciaires), de sorte que le grief résulte en partie d’une lecture erronée de la décision dont pourvoi.

Le moyen manque donc en fait sur les points précisés ci-dessus.

La partie demanderesse en cassation reproche encore aux juges d’appel d’avoir omis de prendre position quant à leurs moyens de l’absence de dommage encouru par les sociétés du prévenu depuis la commission des faits et la légalité au Luxembourg des comptes courants d’associé débiteurs dans le cadre de la fixation de la peine.

Le moyen critique en fait les motifs retenus par le juge pour déterminer la peine.

Il convient de rappeler que le contrôle de votre Cour porte sur la légalité de la peine et non pas sur l’importance de la peine. En prononçant une peine, le juge doit respecter les limites prévues par la loi. Il n’est, en principe, pas tenu d’apporter une motivation particulière quant à l’importance de la peine, sauf s’il fait état de circonstances aggravantes ou doit répondre à des conclusions particulières du Ministère public ou du prévenu. Les appréciations d’ordre factuel tenant à la gravité de l’infraction ou à la personnalité du prévenu relèvent du pouvoir souverain du juge correctionnel et échappent à tout contrôle de la Cour de cassation.

Au vu de ce qui précède l’arrêt dont pourvoi ne viole pas l’article 89 de la Constitution et la branche du moyen est non fondée.

Dans la seconde branche du moyen, il est fait grief à la Cour d’appel d’avoir prononcé, en violation de l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, une peine disproportionnée, « en prononçant la confiscation de plusieurs centaines de montres initialement acquises à titre personnel à travers les sociétés qu’il dirigeait, malgré le fait que ces acquisitions ont fait l’objet d’une inscription en compte courant débiteur, puis d’une cession de créance avant même le déclenchement des poursuites 72 et enfin d’un remboursement intégral, ce qui a réduit à néant l’atteinte à l’intérêt social protégé par l’incrimination, cette confiscation ayant été accompagnée, sur le fondement du texte incriminant le blanchiment, d’une amende de 250.000 euros, dix fois supérieure à l’amende encourue pour abus de biens sociaux alors que seule était reprochée la détention des biens issus de l’abus de biens sociaux. » Il y a tout d’abord lieu de noter qu’il ne résulte ni de l’arrêt attaqué ni des actes de procédure auxquels Votre Cour peut avoir égard que le moyen énoncé ci-dessus a été soulevé sous la cette forme devant les juges du fond.

Le moyen est donc à qualifier de nouveau.

Aux termes de l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme :

« 1. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

L’article 1 du Protocole no 1 exige qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens ait une base légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention.

Par ailleurs, étant donné que le second paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 doit s’interpréter à la lumière du principe général énoncé dans la première phrase de cet article, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

En d’autres termes, il incombe à la Cour de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général à cet égard et l’intérêt de la société concernée. Ce faisant, elle reconnaît à l’État une ample marge d’appréciation tant pour choisir les moyens à mettre en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif poursuivi.49 Or étant donné que l’analyse de la proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché se fait par rapport à la nature du manquement commis et des circonstances de l’affaire, l’analyse du moyen entraine nécessairement l’analyse d’éléments factuels, de sorte que le moyen est mélangé de fait et de droit et doit dès lors être déclaré irrecevable.

49 À titre d’exemple Affaire GRIFHORST c France (arrêt 26 février 2009, (requête 28336/02) 73 DIXIEME MOYEN DE CASSATION (application rétroactive de la peine de confiscation de biens substitués à l’objet de l’infraction) Le dixième moyen est « tiré de la violation de, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 2 et 31 du Code pénal en vigueur au moment de la prévention, 506-1 du Code pénal et 171-1 ancien de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, et de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et 7§1 de cette convention »50, en ce que l’arrêt attaqué a prononcé la confiscation des montres listées au dispositif, alors que « une peine plus sévère ne peut être appliquée rétroactivement ; que ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2007 que les biens substitués à l’objet de l’infraction d’abus de biens sociaux sont susceptibles de confiscation ;qu’en confisquant l’ensemble des montres « à titre de biens substitués à l’objet de l’infraction d’abus de biens sociaux », lorsque la période de prévention (2004 à 2011) comprend des faits qui auraient été commis antérieurement à l’extension légale de la peine de confiscation spéciale, la Cour d’appel a méconnu le principe de non-

rétroactivité des peines. » La partie critiquée de la motivation de la juridiction d’appel se lit comme suit 51:

« En ce qui concerne la confiscation, c'est à bon droit que le tribunal s'est fondé sur l'article 31(2) du Code pénal. Toutefois, par réformation du jugement, toutes les montres saisies suivant les procès-verbaux et rapport :

a) n° SPJ/31/BOJP/JDA/12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, b) n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-15 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, c) n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-20 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, d) l’annexe 5 du rapport n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-119 du 20 août 2015 du Service de police judiciaire, SOAS.

sont à confisquer à titre de biens substitués à l'objet de l'infraction d'abus de biens sociaux. » Les premiers juges avaient retenu sur le point en question52 :

« Aux termes de l’article 31 (2) du code pénal, la confiscation spéciale s’applique :

1) aux biens comprenant les biens de toute nature, corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d’un titre ou d’un droit sur un bien, biens formant l’objet ou le produit, direct ou indirect d’une infraction ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’infraction, y compris les revenus de ces biens ;

2) (…) 3) aux biens qui ont été substitués à ceux visés au point 1° du présent paragraphe, y compris les revenus des biens substitués ;

50 Page 69 du mémoire en cassation 51 Page 116-117 de l’arrêt dont pourvoi 52 Page 60 de l’arrêt dont pourvoi.

74 4) aux biens dont la propriété appartient au condamné et dont la valeur monétaire correspond à celle des biens visés au point 1° du présent paragraphe, si ceux-ci ne peuvent être trouvés aux fins de confiscation ;

5) (…).

Conformément à cet article, il y a lieu de confisquer, comme biens qui se sont substitués au produit direct de l’infraction d’abus de biens sociaux, respectivement comme objet de l’infraction de blanchiment-détention, les objets suivants :

-

les montres saisies aux termes du procès-verbal n° SPJ/31/BOJP/JDA/ 12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de Police Judiciaire, SOAS ;

-

les montres et accessoires saisis aux termes du procès-verbal n° SPJ/31/BOJP/ JDA/12283-15 du 20 septembre 2011 du Service de Police Judiciaire, SOAS ;

-

les montres et accessoires saisis aux termes du procès-verbal n° SPJ/31/BOJP/ JDA/12283-20 du 20 septembre 2011 du Service de Police Judiciaire, SOAS ;

-

les montres reprises dans le relevé annexé en Annexe 5 du rapport n° SPJ/ 31/BOJP/JDA/12283-119 du 20 août 2015 du Service de Police Judiciaire, SOAS ;

à l’exception des montres et accessoires qui sont la propriété de la société SOCIETE2.) SPF et qui sont repris dans le tableau ci-dessus. » Avant d’analyser le moyen à proprement dire, il y a lieu de se pencher brièvement sur l’évolution législative de la peine accessoire de confiscation dans le Code pénal.

L’article 31 trouve son origine dans l’article 42 du Code pénal, tel qu’introduit par la loi du 18 juin 1879 portant révision du Code pénal, directement inspiré du droit pénal belge.

L’article 42 prévoyait ainsi que « la confiscation spéciale s’applique : 1° aux choses formant l’objet de l’infraction et à celles qui ont servi ou qui ont été destinées à la commettre, quand la propriété en appartient au condamné ; 2° aux choses qui ont été produites par l’infraction.

» Le régime de droit commun de la confiscation spéciale, établi en 1879 devait rester inchangé, jusqu’à la loi du 13 juin 1994 relative au régime des peines53.

Par la loi précitée de 1994, le droit commun de la confiscation a été profondément remanié en abandonnant la condition de propriété dans le chef du condamné pour les choses formant l'objet de l'infraction et en étendant la confiscation aux choses acquises à l'aide du produit de l'infraction, c'est-à-dire aux choses substituées.

« Il a paru indispensable d’ajouter cette hypothèse pour permettre la confiscation de choses que le coupable a pu acquérir avec le produit de l’infraction. Autrement, ces choses échapperaient à toute possibilité de sanction. Il en est spécialement ainsi des choses achetées au moyen de l’argent volé, alors que d’après les textes actuels, ces biens ne constituent ni l’objet, ni l’instrument, ni le produit de l’infraction et ne peuvent donc à ces titres être confisqués »54 ().

53 Loi du 13 juin 1994, Mém. À 1994, p. 1095, doc. parl. 2974 54 Projet de loi No 2974, commentaire des articles 75 Ce faisant, le droit commun a été adapté à l’image d’autres lois spéciales55 L’article 31 se lisait dorénavant :

« (1) La confiscation spéciale s'applique :

1) aux choses formant l'objet de l'infraction ;

2) aux choses qui ont servi ou qui ont été destinées à commettre l'infraction, quand la propriété en appartient au condamné ;

3) aux choses qui ont été produites par l'infraction ou qui ont été acquises à l'aide du produit de l'infraction.

(2)(…)».

La loi du 14 juin 200156 portant, entre autres, approbation de la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, faite à Strasbourg, le 8 novembre 1990, a ajouté au Code pénal un nouvel article 32-1 relatif à la confiscation spéciale en cas d’infraction de blanchiment visée aux articles 506-1 à 506-7 du même code (c’est-à-dire pour toutes les infractions de blanchiment dont l’infraction primaire ou de base n’est pas constituée par un trafic de stupéfiants). L’introduction de ce nouvel article 32-1 était motivée, entre autres, par l’obligation faite par la Convention de 1990 précitée aux États parties d’adapter leurs législations à l’effet de permettre une confiscation par équivalent.

L’article 32-1 se lisait comme suit :

« En cas d'infraction de blanchiment visée aux articles 506-1 à 506-7, la confiscation spéciale s'applique:

1) aux biens comprenant les biens de toute nature, corporels ou incorporels, meubles ou immeubles ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d'un titre ou d'un droit sur un bien, biens formant l'objet ou le produit, direct ou indirect, de l'une ou de plusieurs des infractions énumérées au point 1) de l'article 506-1 ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l'infraction, y compris les revenus de ces biens;

2) aux biens qui ont été substitués à ceux visés sous 1) du présent alinéa, y compris les revenus des biens substitués;

3) aux biens dont la propriété appartient au condamné et dont la valeur monétaire correspond à celle des biens visés sous 1) du présent alinéa, si ceux-ci ne peuvent être trouvés aux fins de confiscation.

(…). » On note un changement de terminologie au niveau du (2) de l’article, où il est dorénavant question de biens substitués, tandis que dans le cadre du régime de droit commun, la confiscation porte sur « choses qui ont été produites par l'infraction ou qui ont été acquises à l'aide du produit de l'infraction ». L’article 32-1 a été inspiré de la version de l’article 18 de la loi modifiée du 19 février 1973, tel que proposé dans le projet de loi 4277, portant modification de certaines dispositions de cette loi. Or le législateur a dans le cadre du projet de loi précité 55 Tels : article 9 de la loi du 3 mai 1991 sur les opérations d’initiés; article 8-2 de la loi du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, telle que modifiée et complétée par la loi du 17 mars 1992 portant approbation de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, faite à Vienne, le 20 décembre 1988 ;

56 Loi du 14 juin 2001, Mém. À 81, doc parl. 4657 76 été soucieux de respecter la cohérence de la Convention de Vienne suivant laquelle le terme « biens » vise autant les biens meubles qu’immeubles et a abandonné le terme de « choses », qui ne désigne que des biens meubles, utilisé dans le texte de droit commun, pour adopter les termes de « biens meubles et immeubles ».

Les travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 14 juin 2001 sont cependant muets sur les raisons qui ont amené le législateur à introduire le terme de bien substitué. Dans son avis du 29 octobre 1996 rendu dans le cadre des travaux parlementaires no 4277, qui ont servi de source d’inspiration, le Conseil d’État qualifie les choses acquises à l'aide du produit de l'infraction de biens de substitution. On peut en déduire que les biens substitués désignent donc les biens meubles et immeubles « qui ont été produits par l'infraction ou qui ont été acquis à l'aide du produit de l'infraction ».

La loi du 1er août 200757 a intégré les dispositions de l’article 32-1 dans un nouvel article 31 du Code pénal au titre du droit commun de la confiscation spéciale.

Depuis le 17 août 2007, date d’entrée en vigueur de la loi précitée, l’article 31 dispose :

« La confiscation spéciale s’applique:

1) aux biens comprenant les biens de toute nature, corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d’un titre ou d’un droit sur un bien, biens formant l’objet ou le produit, direct ou indirect d’une infraction ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’infraction, y compris les revenus de ces biens;

2) aux biens qui ont servi ou qui ont été destinés à commettre l’infraction, quand la propriété en appartient au condamné;

3) aux biens qui ont été substitués à ceux visés sous 1) du présent alinéa, y compris les revenus des biens substitués;

4) aux biens dont la propriété appartient au condamné et dont la valeur monétaire correspond à celle des biens visés sous 1) du présent alinéa, si ceux-ci ne peuvent être trouvés aux fins de confiscation.

(…) » Il ressort des développements ci-dessus que depuis la loi du 13 juin 1994, la confiscation prévue à l’article 31 du Code pénal porte sur les biens meubles qui ont été produits par l'infraction ou qui ont été acquis à l'aide du produit de l'infraction, soit des biens meubles substitués. La loi du 1er août 2007 n’a apporté aucune modification au régime de confiscation de cette catégorie de biens.

Reste à voir de quelle manière ces changements législatifs se répercutent sur la loi applicable aux infractions retenues à l’encontre de PERSONNE1.). La période infractionnelle débute avec l’abus de biens sociaux commis le 24 février 2004 au préjudice de la société SOCIETE11.) et prend fin le 28 décembre 2011 (société SOCIETE6.)).

L’article 2 du Code pénal dispose que « nulle infraction ne peut être punie de peines qui n’étaient pas portées par la loi avant que l’infraction fût commise. » Peuvent donc seules être prononcées les peines légalement applicables à la date de la commission des faits constitutifs 57 Loi du 1er août 2007, Mém. À 2007, p. 2429, doc. parl. 5019 77 d'une infraction. En cas de concours de deux lois pénales successives, celle existant au moment de l’infraction doit être appliquée, à moins que la loi nouvelle ne soit plus douce que l’ancienne.

Sans entrer dans les détails, puisque non pertinents pour l’analyse de la problématique qui se pose en espèce, la loi du 1er août 2007, qui a étendu le champ d’application de la confiscation est à qualifier de plus sévère que la loi ancienne. Elle ne peut dès lors trouver d’application rétroactive à des faits commis avant son entrée en vigueur, soit avant le 17 août 2007.

Seuls les biens substitués à l'objet des infractions d'abus de biens sociaux commises à partir du 17 août 2007 sont donc à confisquer sur base de l’article 31(2) du Code pénal dans sa version modifiée par la loi du 1er août 2007. Les biens meubles, qui ont été acquis à l'aide du produit des infractions d’abus de biens sociaux commises du 24 février 2004 au 16 août 2007 sont à confisquer sur base de l’article 31 dans sa version applicable au moment des faits.

Ces motifs de purs droit sont à substituer à ceux de l’arrêt attaqué, tirés de ce que « En ce qui concerne la confiscation, c'est à bon droit que le tribunal s'est fondé sur l'article 31(2) du Code pénal. Toutefois, par réformation du jugement, toutes les montres saisies suivant les procès-

verbaux et rapports :

a) n° SPJ/31/BOJP/JDA/12283-24 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, b) n° SPJ/31/BOJP/JDA /12283-15 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, c) n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-20 du 20 septembre 2011 du Service de police judiciaire, SOAS, d) l’annexe 5 du rapport n°SPJ/31/BOJP/JDA /12283-119 du 20 août 2015 du Service de police judiciaire, SOAS.

sont à confisquer à titre de biens substitués à l'objet de l'infraction d'abus de biens sociaux. » La décision déférée se trouve ainsi légalement justifiée58.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’État le premier avocat général Sandra KERSCH 58 Voir, à titre d’illustration d’une substitution de motifs en matière pénale : Cour de cassation, 2 décembre 2021, n° 140/2021 pénal, numéro CAS-2021-0005 du registre (réponse aux quatre premiers moyens réunis).


Synthèse
Numéro d'arrêt : 152/23
Date de la décision : 21/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-12-21;152.23 ?

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