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19/12/2023 | LUXEMBOURG | N°49147C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 décembre 2023, 49147C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49147C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:49147 Inscrit le 7 juillet 2023 Audience publique du 19 décembre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …. (Belgique), contre un jugement du tribunal administratif du 26 mai 2023 (n° 44312 du rôle) en matière de discipline Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 49147C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2023 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à B-… â€

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49147C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:49147 Inscrit le 7 juillet 2023 Audience publique du 19 décembre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …. (Belgique), contre un jugement du tribunal administratif du 26 mai 2023 (n° 44312 du rôle) en matière de discipline Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 49147C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2023 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à B-… …. (Belgique), …, …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 26 mai 2023 (n° 44312 du rôle) ayant déclaré non fondé son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 4 février 2020 ayant procédé à la rectification d’une « erreur matérielle » au dispositif de sa décision du 3 décembre 2019 en rétrogradant Monsieur (A) au grade 7, échelon 8, points indiciaires 239 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 15 septembre 2023 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 17 octobre 2023 par Maître Jean-Marie BAULER au nom de l’appelant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 14 novembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Madame le délégué du gouvernement Laurence MOUSEL en leurs plaidoiries à l’audience publique du 21 novembre 2023.

1Par courrier du 17 décembre 2018, le ministre de la Justice saisit le commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ci-après « le commissaire du gouvernement », aux fins de procéder à une instruction à l'encontre de Monsieur (A), rédacteur auprès de l'administration judiciaire, classé au grade 8, échelon 6.

Dans son rapport du 24 septembre 2019 clôturant l’instruction, le commissaire du gouvernement envisagea de transmettre le dossier au conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le conseil de discipline », conformément à l’article 56, paragraphe (5), de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le statut général ».

Par un courrier du même jour, le commissaire du gouvernement communiqua à Monsieur (A) une copie du rapport clôturant l’instruction, afin qu’il puisse prendre inspection du dossier disciplinaire en vue, le cas échéant, de présenter des observations, respectivement de demander un complément d’instruction.

Monsieur (A) ne prit pas position quant au rapport clôturant l’instruction du 24 septembre 2019, de sorte que le dossier fut transmis au conseil de discipline le 11 octobre 2019, qui en date du 3 décembre 2019 prit la décision qui suit :

(…) « le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, statuant contradictoirement, le fonctionnaire entendu en ses explications et moyens de défense et le délégué du Gouvernement en ses conclusions, se déclare régulièrement saisi ;

prononce à l'égard de (A), conformément aux dispositions de l'article 53 du statut général la sanction disciplinaire d'une amende égale à une mensualité brute de son traitement de base prévue à l'article 47 point 3 et la sanction prévue à l'article 47 point 7., à savoir la rétrogradation consistant dans le classement au grade immédiatement inférieur à son ancien grade, en l'espèce le classement au grade 7, échelon 12, point indiciaire 272.

condamne (A) aux frais de la procédure disciplinaire, ces frais étant liquidés à …. euros.

(…) ».

Le 20 janvier 2020, le délégué du gouvernement auprès du conseil de discipline introduisit une requête en rectification d’une erreur matérielle auprès du conseil de discipline qui, en date du 4 février 2020, prit, après avoir entendu les parties à son audience du 28 janvier 2020, la décision libellée comme suit :

« (…) Vu les faits et rétroactes qui résultent à suffisance de droit des qualités, considérants et motifs d'une décision du Conseil de discipline rendue entre parties le 3 décembre 2019, numéro du registre …… 2Vu la requête en rectification d'une erreur matérielle soumise le 20 janvier 2020 par le délégué du Gouvernement, (B), au Conseil de discipline.

Vu la convocation des parties en cause pour l'audience du 28 janvier 2020 où elles ont été entendues en leurs prises de positions respectives et le conseil de (A), Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, en ses conclusions.

Par décision du 3 décembre 2019, numéro du registre …., le Conseil de discipline a prononcé à l'encontre de (A), conformément aux dispositions de l'article 53 du statut général, la sanction disciplinaire d'une amende égale à une mensualité brute de son traitement de base prévue à l'article 47 point 3 et la rétrogradation prévue à l'article 47 point 7. consistant dans le classement au grade immédiatement inférieur à son ancien grade.

Il s'est avéré que dans le dispositif de cette décision il a été repris que (A) est classé au grade 8, échelon 10 et que partant le grade immédiatement inférieur à son grade est le classement au grade 7, échelon 12, point indiciaire 272.

Le délégué du Gouvernement expose qu'il s'agit d'une erreur matérielle par rapport à l'échelon retenu puisque si le grade dans lequel (A) est classé est bien le grade 8, l'échelon n'est pas, comme erronément indiqué, l'échelon 10, mais l'échelon 6. Suite à cette erreur de frappe ou d'inadvertance, le Conseil de discipline n'aurait pas, conformément à l'article 53, prononcé de « sanction », le classement ainsi opéré en raison de l'erreur n'étant pas un classement au grade immédiatement inférieur à son ancien grade.

Maître Jonathan HOLLER conteste l'existence d'un fondement légal permettant au délégué du Gouvernement de procéder par voie de rectification d'une erreur matérielle. À supposer pareille requête recevable, il conteste formellement l'existence d'une erreur matérielle réparable et soutient qu'il s'agit d'un problème de légalité. Il développe plus amplement des cas qui n'ont pas été considérés comme réparables par voie de rectification, dont l'erreur de droit ou l'erreur quant au fond, pour s'opposer à toute modification de la décision prise le 3 décembre 2019.

Quant à la compétence du Conseil de discipline et la recevabilité de la requête en rectification :

Le projet de loi n°7307 sur le renforcement de l'efficacité de la Justice civile et commerciale prévoit la modification du Nouveau Code de procédure civile par la création de bases légales instituant formellement une procédure de rectification d'erreur ou d'omission matérielle ainsi qu'une procédure en interprétation des jugements.

Il est exact qu'à l'heure actuelle aucune disposition légale ni réglementaire ne règle la rectification d'une erreur matérielle contenue dans une décision judiciaire ou administrative.

Cependant, la jurisprudence a accepté le principe d'un tel recours depuis très longtemps.

Ainsi le Tribunal administratif (décisions TA 15-6-05 16867b et 16912b et TA 29-4-09 24721) a retenu : « En effet, si ni la loi du 21 juin 1999, ni le Nouveau Code de procédure civile, ni aucune autre disposition légale ne contiennent des règles relatives à la rectification d'une erreur 3matérielle dans un jugement du tribunal administratif, il est cependant admis, en l'absence de texte légal afférent, que le principe, suivant lequel le jugement dessaisit le juge, connaît des exceptions, notamment dans l'hypothèse d'une erreur matérielle contenue dans le jugement prononcé. Il est ainsi constant que la rectification est légalement permise lorsque l'erreur a été commise par le tribunal lui-même et que sa rectification consiste à ne pas porter atteinte à la chose jugée, mais à faire respecter les intentions du tribunal et sa véritable décision ».

Seule la juridiction qui a rendu une décision juridictionnelle est également compétente pour la rectifier (CA 28-2-08, 23349C).

S'il a été jugé, à de multiples reprises, que le Conseil de discipline ne constitue pas en droit national une juridiction, il a cependant été relevé que cet organe dispose de pouvoirs quasi-juridictionnels et que le Conseil de discipline, autorité administrative autonome chargée d'infliger des sanctions pouvant aller jusqu'à la révocation, assure par là même une mission proche d'une juridiction répressive (CA 10-12-19, 43348C).

Il en suit que le Conseil de discipline est compétent pour statuer sur une requête en rectification d'une erreur matérielle.

La rectification peut être opérée soit sur requête en rectification d'une partie à l'instance, soit d'office par les juges ayant rendu le jugement comportant l'erreur matérielle (TA 15-6-05,16867b) tant que le délai d'appel court et qu'aucun appel n'a été interjeté (TA 15-6-05, 16867b et 16912b), tel étant le cas en l'espèce, la requête en rectification d'une erreur matérielle contenue dans la décision du 3 décembre 2019 précitée, présentée sous forme de requête le 20 janvier 2020 par une des parties à l'instance, en l'espèce le délégué du Gouvernement, est recevable.

Quant au bien-fondé de la requête :

La requête tend à la rectification d'une erreur matérielle consistant en l'indication d'un échelon erroné.

(A) est bien classé au grade 8, mais il ne conteste pas que l'échelon dans lequel il est classé n'est pas l'échelon 10, mais l'échelon 6.

L'article 47.7 du statut général dispose « la rétrogradation est une sanction qui consiste dans le classement du fonctionnaire au grade immédiatement inférieur à son ancien grade avant la rétrogradation ou au grade précédant le grade immédiatement inférieur. Le grade et l'échelon de traitement dans lesquels le fonctionnaire est classé sont fixés par le Conseil de discipline dont la décision doit aboutir au résultat que le traitement nouvellement fixé soit inférieur au traitement d'avant la sanction disciplinaire ».

Il ressort des développements effectués par le délégué du Gouvernement que l'erreur de départ, à savoir l'indication d'un échelon erroné, a pour effet non pas d'aboutir à un traitement inférieur au traitement d'avant la sanction disciplinaire, mais à une promotion.

4L'erreur matérielle peut être définie d'une façon générale comme étant la simple erreur de rédaction qui affecte une décision et dont la réalité se révèle à la seule lecture de la décision, en combinant le cas échéant le dispositif avec les motifs (Thierry HOSCHEIT, Le droit judiciaire privé au Grand-Duché de Luxembourg, 2e éd., n° 1592).

La rectification d'un jugement pour cause d'erreur matérielle, d'omission ou de double emploi est généralement admise à condition que l'erreur commise soit manifeste et ne conduit pas à une réformation ou révision des principes mêmes de la décision (R. THIRY, Précis d'Instruction Criminelle en Droit Luxembourgeois, n° 480 et jurisprudences y citées).

L'erreur est purement matérielle lorsqu'elle ne porte pas sur la substance même du jugement.

Elle consiste en une inadvertance qui affecte la lettre, l'expression de la pensée réelle du juge. La réparation de cette erreur permet de sauvegarder l'esprit, la substance du jugement. Mais cette réparation doit seulement conduire à rétablir l'exacte pensée du juge; en aucun cas, la rectification du jugement ne peut constituer un recours mettant en cause l'autorité de la chose jugée attachée à la décision (cf. Dalloz Action, Droit et pratique de la procédure civile, n°5626).

Il est incontestable, à la lecture de la décision du 3 décembre 2019, que le Conseil de discipline, conformément à l'article 53 du statut général, a entendu sanctionner le fonctionnaire (A) du chef des reproches établis à sa charge en retenant cumulativement les 2 sanctions prévues à l'article 47 point 3 et point 7 du statut général, à savoir l'amende et la rétrogradation.

Contrairement à l'argumentation de Maître Jonathan HOLLER, la requête en rectification ne tend pas à une nouvelle appréciation des éléments de la cause, à la substance même de la décision ou à modifier son sens. (A), dès le prononcé de la décision du 3 décembre 2019, a été condamné dans le dispositif « à une amende égale à une mensualité brute de son traitement de base et à la rétrogradation consistant dans le classement au grade immédiatement inférieur à son ancien grade ». Il n'a, à aucun instant, pu se méprendre sur les sanctions prononcées à son encontre et sur la portée de la décision. L'erreur porte, de surplus, sur une donnée avérée à la parfaite connaissance de (A), à savoir l'échelon dans lequel il est effectivement classé.

En l'espèce, l'intention du Conseil de discipline de prononcer à l'encontre de (A) les deux sanctions consistant en l'amende et la rétrogradation est sans équivoque. La rectification sollicitée ne remet partant pas en question le bien-fondé de la décision qu'elle concerne mais seulement l'exacte expression de ce qui en ressort avec certitude.

Au vu de ce qui précède, la demande en rectification d'une simple erreur matérielle est fondée, la réparation en question reflétant l'exacte portée de la décision, il y a lieu, par voie de conséquence, de rectifier l'erreur matérielle contenue dans la décision du 3 décembre 2019, numéro du registre ….. conformément au dispositif ci-dessous.

PAR CES MOTIFS :

le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, statuant contradictoirement, le fonctionnaire, son mandataire et le délégué du Gouvernement entendus, 5se déclare compétent pour statuer sur la requête en rectification introduite par le délégué du Gouvernement le 20 janvier 2020, la déclare recevable et fondée, dit qu'il y a lieu à rectification de l'erreur matérielle contenue dans la décision du 3 décembre 2019, numéro du registre ….., au niveau de l'échelon dans lequel (A) est classé, à savoir l'échelon 6 au lieu de l'échelon 10, partant rectifie le dispositif de la prédite décision comme suit :

« le Conseil de discipline prononce à l'égard de (A), conformément aux dispositions de l'article 53 du statut général, la sanction disciplinaire d'une amende égale à une mensualité brute de son traitement de base prévue à l'article 47 point 3 et la sanction prévue à l'article 47 point 7, à savoir la rétrogradation consistant dans le classement au grade immédiatement inférieur à son ancien grade 8, échelon 6, en l'espèce le grade 7, échelon 8, points 239 ».

ordonne que mention de la présente décision soit faite en marge de la minute de la décision du 3 décembre 2019 rectifiée et qu'il ne sera plus délivrée d'expédition ni d'extrait de cette dernière sans la présente rectification, laisse les frais à charge de l'Etat. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2020 (n° 44229 du rôle), Monsieur (A) introduisit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du conseil de discipline du 3 décembre 2019 ayant retenu à son encontre la sanction disciplinaire d'une amende égale à une mensualité brute de son traitement de base, ainsi que sa rétrogradation au grade 7, échelon 8, points indiciaires 272, respectivement au grade 7, échelon 8, points indiciaires 239, telle que cette dernière sanction a été rectifiée par la décision précitée dudit conseil du 4 février 2020.

Par jugement du 26 mai 2023 (n° 44229 du rôle), le tribunal reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta Monsieur (A), dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur, tout en le condamnant aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2020 (n° 44312 du rôle), Monsieur (A) introduisit encore un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du conseil de discipline du 4 février 2020 ayant modifié sa décision antérieure du 3 décembre 2019.

Par jugement du 26 mai 2023 (n° 44312 du rôle), le tribunal reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta Monsieur (A), dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur, tout en le condamnant aux frais de 6l’instance.

Pour ce faire, le tribunal releva en premier lieu que la décision du conseil de discipline du 4 février 2020 n’avait pas vocation à remplacer la décision initiale dudit conseil du 3 décembre 2019, mais avait pour unique objet de modifier le dispositif de celle-ci, en relevant que la décision du 4 février 2020 n’avait pas remis en cause la sanction de la rétrogradation, mais uniquement les modalités de calcul et son quantum en la fixant au grade 7, échelon 8, points indiciaires 239, en raison du fait que le calcul initial prenait en compte un classement de départ erroné.

Il nota ensuite que la décision du conseil de discipline du 4 février 2020 intervenait dans le cadre de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l´Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

Le tribunal constata encore que par sa décision du 4 février 2020, le conseil de discipline avait annulé la seule rétrogradation de Monsieur (A) au grade 7, échelon 12, points indiciaires 272, prononcé par la décision du 3 décembre 2019, pour fixer ladite rétrogradation au grade 7, échelon 8, points indiciaires 239, en précisant qu’antérieurement à la décision du 3 décembre 2019, l’intéressé était classé au grade 8, échelon 6, à 248 points indiciaires, et que la première décision contenait une erreur factuelle ayant eu pour conséquence qu’au lieu de faire l’objet d’une diminution de sa rémunération, Monsieur (A) l’avait vu augmenter de 24 points indiciaires, ce qui est contraire au principe d’une rétrogradation consistant, en vertu de l’article 47, point 7. du statut général, à ce que la décision disciplinaire aboutisse au résultat que le traitement nouvellement fixé soit inférieur au traitement d'avant la sanction disciplinaire. Il en déduisit que la décision du 4 février 2020 tendait dès lors à l’annulation rétroactive, ab initio (effet ex tunc), des 24 points indiciaires accordés erronément au demandeur en date du 3 décembre 2019 et à l’enlèvement de 9 points indiciaires, par rapport à son grade initial, en tant que conséquence de sa rétrogradation, de sorte que les dispositions de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 étaient applicables à la décision déférée et qu’il y avait lieu d’analyser si celle-ci était intervenue dans le délai du recours contentieux.

Sur ce, le tribunal constata que la décision de retrait litigieuse, ayant procédé au retrait des 24 points indiciaires accordés par erreur au demandeur, était intervenue en date du 4 février 2020, donc avant le 3 mars 2020 et partant dans le délai imparti de trois mois en vertu de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, de sorte que la décision du 3 décembre 2019 n’était pas encore revêtue de l’autorité de la chose décidée et que c’était à bon droit que le conseil de discipline a pu procéder à la rectification de la sanction de la rétrogradation du demandeur en fixant celle-ci au grade 7, échelon 8, 239 points indiciaires.

Par requête d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2023, Monsieur (A) a régulièrement entrepris le jugement du 26 mai 2023 dont il sollicite la réformation sinon l’annulation en estimant que le conseil de discipline n’aurait pas été compétent pour procéder à une « rectification d’erreur matérielle », sinon voire dire que ladite rectification ne serait fondée ni en fait, ni en droit.

7Dans son mémoire en duplique, la partie étatique relève que son mémoire en réponse a été déposé au greffe de la Cour administrative le 15 septembre 2023 et que le mémoire en réplique de Monsieur (A) n’a été déposé au greffe que le mardi 17 octobre 2023, de sorte que son dépôt serait tardif et que ledit mémoire en réplique devrait être écarté des débats.

Le point de départ pour le mémoire en réplique étant la communication de la réponse à la partie défenderesse, c’est à partir de la réception du mémoire en réponse par cette dernière que court le délai de fourniture de la réplique (cf. Cour adm. 18 mai 2006, n° 21112C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 931 et autres références y citées).

Comme le mémoire en réponse étatique a été déposé le vendredi 15 septembre 2023 et notifié ce jour même par la voie du greffe à l’appelant, de sorte à n’avoir pu être réceptionné au plus tôt que le lundi 18 septembre 2023, soit le jour même auquel son mandataire affirme l’avoir réceptionné, la date de la communication de la réponse se situe audit 18 septembre 2023 entraînant que le mémoire en réplique pouvait être fourni jusqu’au 18 octobre 2023.

Partant, le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le mardi 17 octobre 2023 n’est pas à écarter des débats, étant donné que le délai légal d’un mois pour son dépôt, tel que prévu à l’article 46, paragraphe (2), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, a été respecté.

A l’appui de son appel, Monsieur (A) soutient que les premiers juges auraient procédé à une substitution de motifs légaux dans le but de « légaliser » a posteriori la décision initiale du conseil de discipline du 3 décembre 2019, au lieu d’annuler la décision du 4 février 2020 du conseil de discipline pour incompétence pour procéder à pareille substitution de motifs légaux. L’appelant estime dans ce contexte que le conseil de discipline aurait empiété sur les compétences des juridictions administratives. Partant, les premiers juges auraient dû, dès le constat que le conseil de discipline n'est pas une juridiction, mais une autorité administrative n’ayant pas le droit de pratiquer une rectification d’erreur matérielle, simplement annuler la décision du 4 février 2020 pour incompétence et renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant le conseil de discipline, ce qui aurait eu pour conséquence que ce dernier n’aurait pas pu prendre une nouvelle décision basée sur l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Monsieur (A) conclut ensuite à une violation de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Il soutient dans ce contexte que la décision du conseil de discipline du 3 décembre 2019 n’aurait pas été formellement illégale et qu’en passant du grade 8, échelon 6, au grade 7, échelon 12, il aurait bien été rétrogradé « au grade immédiatement inférieur » à son ancien grade et que le fait que le conseil de discipline aurait commis une erreur intellectuelle en lui attribuant un échelon trop élevé viserait l’exécution de la décision et non « sa légalité formelle ou intrinsèque ».

L’appelant donne encore à considérer qu’il n’aurait pas bénéficié des garanties inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, étant donné qu’il n’aurait pas été informé par lettre recommandée des intentions du conseil de discipline de retirer sa décision du 3 décembre 2019 et qu’il n’aurait pas bénéficié d’un délai d’au moins huit jours pour présenter ses observations.

En outre, Monsieur (A) déclare réitérer ses moyens de première instance et soutient dans ce 8contexte que sa rétrogradation au grade 7, échelon 8, ne serait pas une erreur matérielle, respectivement une « erreur de plume », mais la suppression de quatre échelons dans son chef, ayant pour effet de baisser sa rémunération de 33 points indiciaires, et constituerait une erreur intellectuelle « due à la négligence fautive du conseil de discipline ».

Finalement, il argumente encore qu’une rectification ne pourrait concerner le dispositif d’un jugement ou d’un arrêt seulement si « la rectification ne vise pas à modifier la décision elle-même » et que la requête en rectification ne pourrait pas aboutir à modifier l’autorité de chose jugée « même s’il s’agit de combattre une erreur de fait ou de droit, si évidente soit-elle ».

S’agissant tout d’abord de la déclaration de Monsieur (A) de vouloir réitérer l’intégralité de ses moyens de première instance, la Cour ne saurait y donner une suite favorable, étant donné que les moyens d’appel sont appelés à se diriger contre le jugement dont appel, de sorte à devoir être formulés concrètement par rapport aux dispositions dudit jugement faisant grief dans l’optique de l’appelant. La Cour ne saurait dès lors tenir compte des moyens simplement réitérés par référence aux écrits de première instance, lesquels, par la force des choses, se dirigent contre la décision de l’administration initialement critiquée et non pas contre le jugement dont appel ayant statué par rapport à cette décision.

La Cour constate en premier lieu que la décision initiale du conseil de discipline du 3 décembre 2019, ayant prononcé, entres autres, la sanction de la rétrogradation au grade 7, échelon 12, points indiciaires 272, se basait de façon non contestée sur un état de service erroné contenu au dossier disciplinaire et selon lequel Monsieur (A) aurait été classé au grade 8, échelon 10, points indiciaires 287. Sur base de cet état de service erroné, le conseil de discipline, par sa décision du 3 décembre 2019, a déclaré la rétrogradation de l’actuel appelant au grade 7, échelon 12, points indiciaires 272. Par la suite, il s’est avéré que Monsieur (A), au moment de la première décision du conseil de discipline, fut en réalité classé au grade 8, échelon 6, points indiciaires 248, et que ladite décision du 3 décembre 2019 l’avait en réalité fait bénéficier d’un avancement en échelon avec une augmentation de son traitement de 248 points indiciaires à 272 points indiciaires, soit 24 points indiciaires. S’étant rendu compte de cette « erreur » ayant comme origine un état de service erroné, le délégué du gouvernement en a informé la présidente du conseil de discipline et a sollicité la prise d’une nouvelle décision, demande à laquelle le conseil de discipline a accédé par sa deuxième décision du 4 février 2020 en classant Monsieur (A) au grade 7, échelon 6, à 248 points indiciaires.

Aux termes de l’article 47, point 7, du statut général :

« Cette sanction [la rétrogradation] consiste dans le classement du fonctionnaire au grade immédiatement inférieur à son ancien grade avant la rétrogradation ou au grade précédant le grade immédiatement inférieur. Le grade et l’échelon de traitement dans lesquels le fonctionnaire est classé sont fixés par le Conseil de discipline dont la décision doit aboutir au résultat que le traitement nouvellement fixé soit inférieur au traitement d’avant la sanction disciplinaire ».

S’il est certes exact, tel que relevé par l’appelant, que par la décision du conseil de discipline du 3 décembre 2019, celui-ci a été formellement rétrogradé au grade immédiatement inférieur, à savoir le grade 7, l’article 47, point 7, du statut général exige expressément que le conseil de discipline, au moment de procéder à une rétrogradation doit classer le fonctionnaire dans un grade 9et échelon de traitement devant aboutir au résultat que le traitement nouvellement fixé soit inférieur au traitement initial avant le prononcé de la sanction disciplinaire de la rétrogradation.

A l’instar du tribunal, la Cour se doit de relever que la deuxième décision du conseil de discipline du 4 février 2020 ne constitue pas une simple décision de rectification d’une erreur matérielle, mais intervient dans le cadre de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en vertu duquel « en dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d´une décision ayant créé ou reconnu des droits n’est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision ».

C’est également à bon droit que le tribunal a conclu à l’applicabilité de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 qui vise le retrait rétroactif d’un acte administratif individuel illégal créateur ou générateur de droits, en relevant que la notion de « retrait » d’une décision administrative est conçue comme étant l’acte par lequel l’administration annule en tout ou partie une de ses décisions, le retrait ayant pour effet que la décision disparaît rétroactivement de l’ordonnancement juridique.

En effet, au vu des termes clairs et précis de l’article 47, point 7, du statut général, il n’est pas contestable que la première décision du conseil de discipline du 3 décembre 2019 constituait une décision administrative illégale en ce qu’elle augmentait la rémunération de Monsieur (A) de 24 points indiciaires au lieu de diminuer le traitement de celui-ci à un traitement à un niveau inférieur à celui d’avant la prise de la sanction disciplinaire, tel qu’expressément prévu à l’article 47, point 7, du statut général.

C’est également à bon escient que le tribunal a constaté qu’à l’égard de l’auteur de l’acte, qui en a eu connaissance dès sa confection, le délai afin de procéder à un retrait dans les conditions de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 a commencé à courir à partir de ce moment, donc dès le 3 décembre 2019 pour se terminer le 3 mars 2020, de sorte qu’à partir de cette date, la décision du 3 décembre 2019 aurait été revêtue de l’autorité de la chose décidée et n’aurait plus pu faire l’objet d’un retrait par le conseil de discipline. En effet, la décision litigieuse, ayant procédé au retrait des 24 points indiciaires accordés par erreur au demandeur, est intervenue en date du 4 février 2020, donc avant le 3 mars 2020 et donc dans le délai imparti, de sorte que la décision du 3 décembre 2019 n’était pas encore revêtue de l’autorité de la chose décidée et que c’est à bon droit que le conseil de discipline a pu procéder à la rectification de la sanction de la rétrogradation de Monsieur (A) en fixant celle-ci au grade 7, échelon 8, points indiciaires 239.

Or, ce faisant, le conseil de discipline n’a pas procédé par substitution de motifs, ni n’a-t-il empiété sur les compétences des juridictions administratives ou procédé à une rectification d’une erreur matérielle, mais il a procédé, en tant qu’autorité administrative, au retrait rétroactif de sa première décision illégale pour être contraire à l’article 47, point 7, du statut général.

Il s’ensuit que l’argumentation de Monsieur (A) en ce que le tribunal aurait, d’une part, violé les règles jurisprudentielles relatives à la substitution des motifs, et, d’autre part, l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, est à abjuger.

10Quant au moyen de Monsieur (A) tiré de la prétendue violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce qu’il n’aurait pas été informé par lettre recommandée des intentions du conseil de discipline de retirer sa décision du 3 décembre 2019 et qu’il n’aurait pas bénéficié d’un délai d’au moins huit jours pour présenter ses observations, il convient de rappeler qu’en cas de retrait rétroactif, intervenant à l'initiative de l'administration, d'un acte administratif ayant créé ou reconnu des droits à un particulier, l'administration a l'obligation d'informer au préalable l'administré de son intention et de lui accorder un délai d'au moins huit jours pour présenter ses observations. En cas d'inobservation de cette formalité, la décision de retrait est entachée d'illégalité. Les décisions qui ont méconnu l'obligation de faire participer l'administré au processus décisionnel n'encourent cependant l'illégalité que dans les hypothèses dans lesquelles l'administré avait la possibilité d'influer concrètement sur le contenu de la décision à prendre, soit que l'administration dispose en la matière d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire, soit qu'appelée à statuer dans le cadre d'une compétence liée impliquant l'appréciation d'éléments subjectifs, l'administré puisse faire valoir des éléments utiles. Dans les autres hypothèses, la légalité interne des décisions prises sans le concours de l'administré peut encore utilement être vérifiée au cours de la procédure contentieuse.1 Or, sur ce point, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement relève que le 20 janvier 2020, le conseil de discipline a informé le mandataire de Monsieur (A) que le dossier de son client était de nouveau fixé à l’ordre du jour de l’audience du conseil de discipline du 28 janvier 2020, qu’à cette audience du 28 janvier 2020 l’affaire a été plaidée contradictoirement après une prise de position dudit mandataire du 24 janvier 2020, de sorte que l’appelant avait en tout état de cause un délai suffisant pour présenter ses observations. Partant, les droits de défense de Monsieur (A) ont été parfaitement respectés, et ceci en accord avec les termes de l’article 63 du statut général qui énonce que « le Président convoque le Conseil toutes les fois que les circonstances l’exigent et ce au moins cinq jours avant celui fixé pour la réunion, sauf urgence ».

S’il est certes exact que le conseil de discipline, dans son courrier du 20 janvier 2020, n’a pas formellement accordé à Monsieur (A) un délai d'au moins huit jours pour présenter ses observations, celui-ci a néanmoins pu librement faire valoir son point de vue à l’audience du conseil de discipline du 28 janvier 2020, de sorte que la procédure suivie dans le cas d’espèce, en accord avec les dispositions pertinentes du statut général, a assuré à l’appelant au moins une égale protection de ses droits à celle prévue par les règles de la procédure administrative non contentieuse, de sorte que le moyen afférent de Monsieur (A) est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le jugement du 26 mai 2023 est à confirmer et l’appelant est à débouter de son appel.

Monsieur (A) sollicite l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.000.-€ pour la première instance et 1.250.-€ pour l’instance d’appel.

Eu égard à l’issue du litige, lesdites demandes en allocation d'une indemnité de procédure sont à rejeter.

1 Cour adm. 25 juin 2009, n° 25438C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 217 11Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties ;

reçoit l'appel du 7 juillet 2023 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

partant confirme le jugement du 26 mai 2023 ;

déboute Monsieur (A) de ses demandes en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne l’appelant aux dépens de l'instance d'appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour …..

s. …..

s. SPIELMANN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 décembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49147C
Date de la décision : 19/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-12-19;49147c ?

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