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07/12/2023 | LUXEMBOURG | N°134/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 07 décembre 2023, 134/23


N° 134 / 2023 pénal du 07.12.2023 Not. 26906/19/CD Numéro CAS-2023-00037 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, sept décembre deux mille vingt-trois, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.), demeurant à L-ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public et de PERSONNE2.), né le DATE2.) à ADRESSE3.) (Chine), demeurant à L-ADRESSE4.), demandeur au civi

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Vu l’arrêt attaqué, r...

N° 134 / 2023 pénal du 07.12.2023 Not. 26906/19/CD Numéro CAS-2023-00037 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, sept décembre deux mille vingt-trois, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.), demeurant à L-ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public et de PERSONNE2.), né le DATE2.) à ADRESSE3.) (Chine), demeurant à L-ADRESSE4.), demandeur au civil, défendeur en cassation, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 22 février 2023 sous le numéro 88/23 X. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre ; Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Brian HELLINCKX, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 22 mars 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 20 avril 2023 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 24 avril 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné PERSONNE1.) à une peine d’emprisonnement assortie du sursis intégral et à une amende du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail. Au civil, le tribunal avait condamné le demandeur en cassation à indemniser la partie civile. La Cour d’appel, statuant par un arrêt réputé contradictoire à l’égard du demandeur en cassation, a, par réformation, retiré à ce dernier le bénéfice du sursis.

Sur les premier et troisième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le premier, « Pour violation de l’article 195-1 du code de procédure pénale, en ce que l’arrêt attaqué Aux motifs que l’audience de la Cour d’appel ni n’y était représenté, il y a lieu de lui retirer le bénéfice du sursis quant à l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée. En effet, le caractère réputé contradictoire du présent arrêt a comme unique effet d’interdire au prévenu la voie de recours que constitue l’opposition et n’a pas pour effet de permettre l’octroi d’un sursis au prévenu, qui n’a pas comparu en justice. » Alors que 2 S’il est vrai que le requérant n’était pas présent à l’audience de la cour d’appel, la cour d’appel retient qu’il ne peut bénéficier d’un sursis à l’exécution de sa peine d’emprisonnement.

Or, l’article 195-1 du code de procédure pénal qui a introduit un véritable droit au sursis (Cf. Arrêt C.A. n°413/20 X. du 9 décembre 2020 : ) pour tout primo délinquant et qui est postérieur aux articles relatifs aux sursis (art. 626 et s. cpp), ne fait aucune distinction selon que le prévenu est présent ou non, et ne considère plus le sursis comme une faveur accordée aux seuls prévenus méritant un telle mesure, Partant, la Cour d’appel en réformant la décision de première instance et en retirant au requérant le bénéfice du sursis, a violé l’article 195-1 du code de procédure pénale. » et le troisième, « Pour violation des articles 185 (2bis) et 626 du code de procédure pénale, En ce que l’arrêt attaqué Aux motifs que l’audience de la Cour d’appel ni n’y était représenté, il y a lieu de lui retirer le bénéfice du sursis quant à l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée. En effet, le caractère réputé contradictoire du présent arrêt a comme unique effet d’interdire au prévenu la voie de recours que constitue l’opposition et n’a pas pour effet de permettre l’octroi d’un sursis au prévenu, qui n’a pas comparu en justice. » Alors que S’il est vrai que le requérant n’était pas présent à l’audience de la Cour d’appel, il avait cependant retiré personnellement la citation à l’audience de sorte qu’en vertu de l’article 185 (2bis) du code de procédure pénale l’arrêt intervenu est réputé contradictoire à son égard, 3 Selon l’arrêt déféré, la Cour d’appel exige que le prévenu ait comparu à l’audience pour pouvoir bénéficier d’un suris (quod non, cf. 1er moyen), faisant probablement référence à l’article 626 du code de procédure pénal qui parle d’une condamnation contradictoire.

Or, la Cour d’appel constate elle-même que le jugement est contradictoire, de sorte qu’elle ne peut pas, sans se contredire, refuser l’octroi du sursis pour avoir statué par une décision qui ne serait pas contradictoire, Soit l’arrêt est contradictoire, soit il ne l’est pas.

Partant, la Cour d’appel en réformant la décision de première instance et en retirant le bénéfice au requérant, sans tirer les conséquences légales du fait que sa décision était contradictoire, a violé les articles 185 (2bis) et 626 du code de procédure pénale. ».

Réponse de la Cour Vu les articles 185, paragraphe 2bis, 195-1 et 626 du Code de procédure pénale.

En retirant au demandeur en cassation le bénéfice du sursis quant à l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée, aux motifs qu’il n’était ni présent ni représenté à l’audience de la Cour d’appel et que le caractère réputé contradictoire de l’arrêt avait comme conséquence de l’empêcher de pouvoir bénéficier d’un sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée, les juges d’appel ont violé les dispositions visées aux moyens.

Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation sur le point considéré.

Au vu de la réponse donnée aux premier et troisième moyens, il n’y a pas lieu de statuer sur les deux moyens restants.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens de cassation la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu le 22 février 2023 par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, sous le numéro 88/23 X. ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé, et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;

laisse les frais de l’instance en cassation à charge de l’Etat ;

ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de l’arrêt annulé.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, sept décembre deux mille vingt-trois, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Théa HARLES-WALCH en présence du premier avocat général Marc SCHILTZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public et de PERSONNE2.) (CAS-2023-00037) Par déclaration au greffe de la Cour supérieure de justice en date du 22 mars 2023, PERSONNE1.) a formé un recours en cassation contre un arrêt numéro 88/23 (not.

26906/19/CD) rendu le 22 février 2023 par la Cour d’appel de Luxembourg, chambre correctionnelle, statuant par arrêt réputé contradictoire à l’égard du prévenu et défendeur au civil PERSONNE1.), et contradictoirement à l’égard du prévenu et demandeur au civil PERSONNE2.).

La déclaration de recours a été faite auprès du greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, dans les formes prévues à l’article 417 du Code de procédure pénale. Le pourvoi a été introduit dans le délai d’un mois prévu à l’article 41 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Cette déclaration a été suivie du dépôt au greffe de la Cour supérieure de justice d’un mémoire en cassation en date du 24 avril 2023. Ce mémoire a préalablement été signifié à la partie civile en date du 20 avril 2023.

Le pourvoi est recevable.

Sur les faits Par jugement n° 2814/2021 du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, chambre correctionnelle, rendu en date du 17 décembre 2021, PERSONNE1.) a été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois assortie du sursis intégral du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail. Il a été condamné à payer des dommages-intérêts à la partie civile PERSONNE2.). Ce dernier a été condamné à une peine d’amende du chef de coups et blessures.

De ce jugement, PERSONNE1.) a relevé appel au pénal et au civil en date du 21 décembre 2021, PERSONNE2.) a relevé appel au pénal et au civil en date du 12 janvier 2022, tandis que le ministère public a relevé appel limité à PERSONNE1.) en date du 7 janvier 2022 et appel limité à PERSONNE2.) en date du 14 janvier 2023.

En date du 22 février 2023, la Cour d’appel a rendu un arrêt n°88/23 qui reçoit les appels en la forme, au pénal, dit les appels de PERSONNE1.) et du ministère public non fondés, dit l’appel de PERSONNE2.) fondé, réformant, acquitte PERSONNE2.) de l’infraction de coups et blessures volontaires non établie à sa charge, enlève à PERSONNE1.) le bénéfice du sursis, confirme pour le surplus le jugement entrepris.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le cadre légal :

Le nouvel article 195-1 du Code de procédure pénale dispose que :

« En matière correctionnelle et criminelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement ou de réclusion sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette mesure. Toutefois, il n'y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale ».

Cet article a été introduit au Code de procédure pénale par une loi du 20 juillet 2018 modifiant :

1° le Code de procédure pénale en introduisant un titre IX concernant l’exécution des peines ;

2° le Code pénal ;

3° la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire ; et 4° la loi modifiée du 29 avril 1999 portant création d’un droit à un revenu minimum garanti.1 D’après l’exposé des motifs, cette loi visait à transposer en droit interne la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son le cadre des procédures pénales. En introduisant dans le Code de procédure pénale un nouvel article 195-1, cette loi dépasse le cadre de la directive en s’inspirant de l’article 132-19, alinéas 2 à 4, du Code pénal français, qui dispose dans sa version actuellement en vigueur:

« Toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate.

Dans ce cas, si la peine est inférieure ou égale à six mois, elle doit, sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues à l'article 132-25. Dans les autres cas prévus au même article 132-25, elle doit également être aménagée si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle.

Le tribunal doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale conformément aux dispositions de l'article 464-2 du code de procédure pénale.» Ces dispositions, basées sur une loi du 23 mars 20192, sont venues remplacer les alinéas 2 et 3 de l’article 132-19 du Code pénal français, issus d’une loi du 3 juin 20163 qui avait 1 Loi publiée au Mémorial A627 le 28 juillet 2018 ; entrée en vigueur le 15 septembre 2018 ; doc. parl. 7041 2 loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice déjà modifié la version antérieure de ces mêmes dispositions, telle qu’issue d’une loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

Ces initiatives successives du législateur français visaient à limiter le prononcé de courtes peines d’emprisonnement et à favoriser les mesures alternatives aux peines d’emprisonnement. C’est ainsi qu’un « droit au sursis » a été créé, avec une obligation de motiver le refus du sursis, y compris, en cas de sursis partiel, en ce qui concerne la partie ferme de le peine d’emprisonnement. Le prévenu bénéficie dès lors d’un droit au sursis intégral, que le juge ne peut refuser que par une motivation spéciale.

La Cour de cassation française censure l’absence de motivation sur le caractère inadéquat de toute autre sanction qu’une peine d’emprisonnement ferme en prononçant une cassation limitée aux peines.4 Votre Cour a sanctionné au visa de l’article 195-1 du Code de procédure pénale le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme en l’absence de motivation spéciale concernant le refus d’accorder au prévenu un sursis5.

L’obligation de motiver n’a toutefois du sens que lorsque la juridiction compétente a la faculté d’accorder un sursis. Lorsque l’octroi d’un sursis est légalement exclu, ce seul constat constitue une motivation suffisante permettant le prononcé d’une peine ferme.

Avant d’analyser si l’arrêt attaqué devait comporter une motivation spéciale permettant de prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis, il y a partant lieu de vérifier si l’octroi d’un sursis (simple ou probatoire) était légalement possible. Le troisième et le quatrième moyen sont partant préalables.

Les articles 626 et 629 du Code de procédure pénale prévoient dans quels cas un sursis simple (article 626) ou un sursis probatoire (article 629) peuvent être prononcés :

« Art. 626 En cas de condamnation contradictoire à une peine privative de liberté et à l'amende, ou à l'une de ces peines seulement, les cours et tribunaux peuvent ordonner, par la même décision motivée, qu'il sera sursis à l'exécution de tout ou partie de la peine.

Le sursis est exclu à l’égard des personnes physiques si, avant le fait motivant sa poursuite, le délinquant a été l’objet d’une condamnation devenue irrévocable, à une peine d’emprisonnement correctionnel ou à une peine plus grave du chef d’infraction de droit commun. Le sursis est exclu à l’égard des personnes morales si, avant le fait motivant sa poursuite, le délinquant a été l’objet d’une condamnation devenue 3 loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure 4 Cass. fr. crim., 9 novembre 2022, 21-80.172 5 Cass. n° 109/2022 pénal du 7 juillet 2022, not. 14532/16/CD, n° CAS-2021-00135 du registreirrévocable, à une amende correctionnelle ou à une peine plus grave du chef d’infraction de droit commun. » « Art. 629 En cas de condamnation à une peine privative de liberté pour infraction de droit commun, si le condamné n'a pas fait l'objet, pour crime ou délit de droit commun, d’une condamnation antérieure à une peine d’emprisonnement ou s'il n’a été condamné qu'à une peine d’emprisonnement assortie du sursis simple inférieure ou égale à un an, les cours et tribunaux peuvent en ordonnant qu'il sera sursis à l'exécution de tout ou partie de la peine principale pendant un temps qui ne pourra être inférieur à trois années ni supérieur à cinq années, placer le condamné sous le régime du sursis probatoire.

Toutefois au cas où la condamnation antérieure aurait déjà été prononcée avec le bénéfice du sursis probatoire, les dispositions du premier alinéa sont inapplicables.

[…..] » L’arrêt dont pourvoi constitue un arrêt réputé contradictoire et l’article 626 permet l’octroi d’un sursis simple « en cas de condamnation contradictoire à une peine privative de liberté et à l'amende, ou à l'une de ces peines seulement »,6 tandis que l’article 629 permet l’octroi d’un sursis probatoire «en cas de condamnation à une peine privative de liberté […]» sans se référer à une condamnation contradictoire.

Dans ce contexte, il faut relever que votre Cour a déjà décidé que, même si les termes employés dans les deux articles ne sont pas identiques, l’article 629 du Code de procédure civile doit se lire à l’aune de l’article 626 du même code et que les différentes notions sont à interpréter de manière identique dans les deux cas de figure (sursis simple et sursis probatoire):

« Attendu que la cohérence et la finalité du régime de la mise à l’épreuve qui se réalise notamment par le sursis à l’exécution des peines, simple ou probatoire, commandent d’interpréter la notion de « condamnation antérieure » comme visant la condamnation irrévocable dont le délinquant a été l’objet avant le fait motivant sa poursuite, condamnation telle que définie à l’article 626, paragraphe 2, du Code d’instruction criminelle».7 Il convient dès lors d’analyser prioritairement l’article 626 du Code de procédure.

6 Nous soulignons 7 arrêt n° 41/2009 pénal du 12 novembre 2009, not. 19312/06/CD, n° 2687 du registre et arrêt n° 18/2013 pénal du 21 mars 2013, not. 1064/06/CD, n° 3170 du registre (4e moyen)Sur le troisième moyen de cassation :

Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation des articles 185, paragraphe 2 bis, et 626 du Code de procédure pénale.

Le nouvel article 185, paragraphe 2 bis, du Code de procédure pénale dispose :

« Lorsque la citation a été notifiée à la personne du prévenu, le jugement du tribunal sera réputé contradictoire. » Cette disposition, applicable aux citations devant une chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement, a été introduite par une loi du 10 août 2018 portant modification :

1° du Code pénal ;

2° du Code de procédure pénale ;

3° de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire ; en vue de la transposition de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales.

La même loi a introduit un nouvel alinéa 2 de l’article 149 du Code de procédure pénale régissant les citations devant un juge de police.

Dans le commentaire des articles accompagnant le projet de loi8, ces nouvelles dispositions étaient présentées comme suit :

« Il est proposé de rajouter un alinéa 2 nouveau à l’article 149 actuel. Le premier alinéa prévoit que la personne qui a été régulièrement citée à l’audience, dans les conditions et délais fixés par le Code de procédure pénale, sera jugée par défaut si elle ne comparaît pas au jour et à l’heure fixés par la citation.

Le nouvel alinéa 2 vise le cas où la citation devant le juge de police a été notifiée à personne, pour préciser que dans tel cas, le jugement à intervenir sera réputé contradictoire, donc considéré comme s’il avait donné lieu à débat contradictoire. Des dispositions similaires existent depuis longtemps en droit français et en droit belge, et ont pour finalité d’éviter que des personnes qui ont parfaite connaissance de l’audience fixée, ne comparaissent pas faisant usage en quelque sorte de leur droit de garder le silence et de ne pas participer aux débats devant la juridiction tout en ayant la faculté de recommencer le procès en première instance. Dans le cas visé au nouvel alinéa 2, le jugement à intervenir est réputé contradictoire, et il en résulte que la voie de recours de l’opposition, qui a pour effet qu’un jugement par défaut est considéré comme non avenu, est exclue.

Il convient de souligner qu’il résulte du libellé du nouvel alinéa 2 que ces dispositions visent exclusivement les cas où la citation devant la juridiction a pu être notifiée à la personne du prévenu. Il est par conséquent exclu que la personne citée n’ait pas eu connaissance de la citation et que les droits de la défense ne soient pas respectés. » 8 Doc. parl. n°7320, Commentaire des articles, points 7 et 12« A l’instar de ce qui prévoit le nouvel alinéa de l’article 149 pour la justice de paix, le nouveau paragraphe 39 de l’article 185 vise la citation à personne devant un tribunal correctionnel.

Il est proposé de prévoir que, si la citation a été notifiée à la personne du prévenu, qui a par conséquent nécessairement connaissance de l’audience fixée mais qui pourtant refuse de comparaître, le jugement à intervenir sera réputé contradictoire et la voie de l’opposition sera donc exclue. Pour le surplus, il est renvoyé au commentaire de l’article 149 ci-dessus. » Lorsque le jugement est réputé contradictoire, la voie de l’opposition est donc exclue. Les travaux parlementaires ne mentionnent que les effets de la notification à personne sur les voies de recours, mais sont muets en ce qui concerne d’autres effets éventuels.

Ainsi il ne ressort pas des travaux parlementaires si le législateur a entendu assimiler le nouveau jugement « réputé contradictoire » à un jugement contradictoire pour l’application de l’article 626 du Code de procédure civile. Or, ledit article soumet expressément la possibilité d’accorder un sursis à la condition que la condamnation soit « contradictoire ».

Au ADRESSE1.), l’application d’un sursis a été rendue possible par une loi du 10 mai 1892, qui était inspirée de la législation belge (loi « Le Jeune » du 31 mai 1888) et de la législation française (loi « Beringer » du 26 mars 1891). Dès 1892, le législateur luxembourgeois avait choisi de réserver l’octroi d’un sursis aux seules condamnations contradictoires, et il a réitéré ce choix dans la loi du 5 juin 1973 sur la condamnation conditionnelle et le régime de la mise à l ́épreuve.10 Il ressort de l’avis de la commission d’études législatives du 9 novembre 196711 que ce choix poursuivait un objectif d’individualisation des peines, Leitmotif qui sous-tendait le projet de loi aboutissant à la loi du 5 juin 1973 :

« 4) Pour qu‘il y ait lieu à application du sursis, il faut qu’il s‘agisse d’une peine contradictoire.

Le projet initial de la loi du 10 mai 1892 portait dans son article 1er: “En cas de condamnation à l‘emprisonnement ou à l‘amende etc…." Ce texte avait été repris de la loi française du 27 mars 1891. Se basant sur ces termes, la doctrine et la jurisprudence françaises ont affirmé que le sursis était également applicable aux jugements par défaut, étant donné que “les termes de la loi sont généraux et ne font aucune distinction, et là où la loi ne distingue pas, il est défendu au juge de distinguer.“ “L‘argumentation est juridique”, écrit le Conseil d‘Etat dans son avis du 8 janvier 1892, “on peut, cependant, affirmer sans hésitation que cette conclusion dépasse les intentions de l’auteur de la loi, qui n’avait en vue que le cas normal et le plus général, celui des jugements contradictoires. Ceci résulte d’abord de la circonstance que l’inspection de la personne du délinquant primaire, son attitude à l‘audience, ses inquiétudes qui dénotent ses remords, ses regrets, ses explications, sont autant d’éléments nécessaires, pour ainsi dire indispensables au juge, pour savoir si le délinquant primaire est digne de la faveur que la loi édicte. Si, cependant, il ne comparaît pas, comment le juge suppléera-t-il à ce manque de renseignements, qu’il ne peut puiser que personnellement 9 Il s’agira finalement du paragraphe 2bis de l’article 185 du Code de procédure civile 10 Mémorial A — n° 35 du 8 juin 1973 pages 866-869 11 Doc. parl. N° 1547, avis de la Commission d’études législatives, pages 818-819et directement? Cela résulte ensuite de l‘article 3 du projet qui, d’une façon générale et sans prévoir une exception, impose au président l‘obligation de donner l’avertissement au délinquant primaire. Comment le faire, si celui-ci fait défaut ? Pour ces motifs, le Conseil estime qu’il convient de mettre après le mot “condamnation”, celui de “contradictoire”. Ceci peut se faire sans danger, puisque les intérêts du défaillant sont sauvegardés. En effet, en cas de condamnation par défaut pour délit, il peut, en cas de non-signification à personne, faire opposition jusqu‘à l‘exécution (loi du 29 déc. 1880), et qu’en cas de condamnation contumaciale pour crime, l’article 476 du code d’instruction criminelle lui donne toute garantie.” (CR. 1891-1892 ; annexes, p.

288).

La solution proposée par le Conseil d‘Etat a été retenue par le législateur de 1892.

La Commission est d'avis qu’il y a lieu de la maintenir. » La condition qu’il doit s’agir d’une condamnation contradictoire a ainsi été maintenue.

Qu’en est-il alors du jugement réputé contradictoire ? 12 12 Dans la mesure où en droit français le sursis est également applicable aux jugements par défaut, la doctrine et la jurisprudence françaises ne sont pas transposables.

A noter toutefois que, sur la base de l’article 132-19 du Code pénal, la Cour de cassation française a cassé un arrêt réputé contradictoire rendu par la cour d’appel de Paris, devant laquelle le prévenu n’avait pas comparu et n’avait pas été représenté, et qui avait prononcé une peine d’emprisonnement d’un an dont six mois avec sursis :

« Vu l’article 132-19 du code pénal ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que le juge prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard des faits de l’espèce, de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur, et du caractère inadéquat de toute autre sanction ; que si le juge décide de ne pas aménager la peine, il doit, en outre, motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ;

Attendu que, pour condamner le prévenu à une peine d’un an d’emprisonnement dont six mois avec sursis, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans s’expliquer sur le défaut d’aménagement de la peine d’emprisonnement sans sursis prononcée, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu’elle sera limitée à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité n’encourt pas la censure ». (Cass. crim. 30 novembre 2016, n°15-86.718, publié au bulletin) Pour la Cour de cassation française, la circonstance que le prévenu n’a pas comparu et n’a pas été représenté, est partant sans incidence sur l’obligation pour les juges de motiver le refus du sursis. Cela peut surprendre dans la mesure où, lorsque le prévenu ne comparaît pas, le juge pourra ne disposer d’aucun renseignement sur la personnalité du prévenu, ou sur sa situation matérielle, familiale et sociale. L’obligation de motiver suscite ainsi quelques interrogations concernant sa mise en œuvre pratique.

En droit pénal belge, l’obligation de motiver n’est pas la même.

Tout d’abord, en vertu de l’article 8 §1er, alinéa 1er, in fine, de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation, la décision ordonnant ou refusant la suspension, le sursis et, le cas échéant, la probation, doit être motivée conformément aux dispositions de l’article 195 du Code d’instruction criminelle. Tant l’octroi que le refus d’une de ces mesures doivent donc être motivés et sont ainsi mis sur un pied d’égalité. Sur ce point crucial, le droit belge se distingue donc fondamentalement du droit pénal français et luxembourgeois.

S’y ajoute que la Cour de cassation belge décide régulièrement qu’à défaut de demande y afférente, l’article 8 §1er, alinéa 1er, in fine, de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation, ne requiertA ce sujet il existe deux courants de jurisprudence au sein des chambres correctionnelles de la Cour d’appel, dans la mesure où certains arrêts réputés contradictoires assortissent l’exécution de la peine du sursis en application de l’article 626 du Code de procédure pénale, en rappelant que l’arrêt réputé contradictoire est à assimiler quant à ses effets à une décision contradictoire13, tandis que d’autres arrêts retirent la faveur du sursis lorsque le prévenu n’est ni présent ni représenté14.

L’argument avancé par le Conseil d’Etat, consistant à dire que les intérêts du défaillant sont sauvegardés puisqu’en cas de non-signification du jugement à personne, il peut faire opposition jusqu’à l’exécution, ne joue pas lorsque le jugement est réputé contradictoire.

Quand la citation a été notifiée à la personne du prévenu, le jugement de condamnation n’est justement pas susceptible d’opposition.

L’emploi de l’expression « réputé » contradictoire plaide également à considérer une condamnation réputée contradictoire comme une condamnation contradictoire au sens de l’article 626 du Code de procédure pénale. Le terme « réputé » signifie « être considéré comme » ou « passer pour ». Les mots « présumé », «supposé » et « tenu pour » sont des synonymes15. Logiquement, si le jugement réputé contradictoire est considéré comme contradictoire, il n’y a pas de raison d’écarter l’application de l’article 626 permettant d’accorder un sursis.

Il est vrai que cela nous amène bien loin de l’individualisation des peines souhaitée par le législateur de 1973 sur la base de « l’inspection de la personne du délinquant primaire, son attitude à l‘audience, ses inquiétudes qui dénotent ses remords, ses regrets, ses explications [qui] sont autant d’éléments nécessaires, pour ainsi dire indispensables au juge, pour savoir si le délinquant primaire est digne de la faveur que la loi édicte. » L’application de l’article 626 du Code de procédure pénale à des cas où le prévenu ne comparaît pas, engendre incontestablement des difficultés pratiques liées au manque de renseignements dont la juridiction dispose sur la situation matérielle, familiale, ou sociale du prévenu.

Lors de l’introduction de la nouvelle catégorie des jugements réputés contradictoires dans le Code de procédure pénale, le législateur aurait pu préciser que certaines dispositions du même code, applicables aux jugements contradictoires, ne s’appliquent pas à cette nouvelle catégorie. Or, faute de précision à ce sujet dans la loi précitée du 20 juillet 2018, les dispositions applicables aux jugements contradictoires s’appliquent également aux jugement réputés contradictoires.

pas que le juge mentionne expressément les raisons pour lesquelles il refuse le sursis ou le sursis probatoire ou ne l’ordonne que partiellement pour la peine d’emprisonnement principale ou l’amende prononcées. Cette solution contraste également avec la jurisprudence de la Cour de cassation française, de sorte que la jurisprudence ou la doctrine belges en la matière sont sans pertinence.

13 p.ex. CA n° 195/20 V. du 16 juin 2020 (Not. 20956/15/CD) ; CA n° 280/20 X. du 22 juillet 2020 (Not.

2101/19/XC); CA n° 275/22 V. du 11 octobre 2022 (Not. 6480/17/CD) 14 p.ex. CA n°223/23 X. du 7 juin 2023 (Not. 34424/20/CD) ; CA n°134/23 X. du 22 mars 2023 (Not.

33830/17/CD) ; CA n°83/23 X. du 22 février 2023 (Not. 6673/24/XD) 15 Cf. Larousse et Le Robert L’arrêt attaqué a refusé d’assortir la peine d’emprisonnement prononcée d’un sursis pour les motifs suivants :

« Cependant, au regard du fait que PERSONNE1.) ne s’est ni présenté à l’audience de la Cour d’appel ni n’y était représenté, il y a lieu de lui retirer le bénéfice du sursis quant à l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée. En effet, le caractère réputé contradictoire du présent arrêt a comme unique effet d'interdire au prévenu la voie de recours que constitue l'opposition et n'a pas pour effet de permettre l'octroi d'un sursis au prévenu, qui n'a pas comparu en justice. » En statuant ainsi, l’arrêt dont pourvoi a violé l’article 626 du Code de procédure pénale par refus d’application.

Le moyen est dès lors fondé et l’arrêt entrepris encourt la cassation, qui devra être limitée à la peine16.

Au vu des conclusions prises dans le cadre du troisième moyen, il n’y a pas lieu de statuer sur les autres moyens.

Conclusion Le pourvoi est recevable et fondé ;

L’arrêt encourt la cassation en ce qui concerne la peine prononcée.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le 1er avocat général, Marie-Jeanne Kappweiler 16 Cf. Cass. crim. 30 novembre 2016 précité (dans la note de bas de page n°13) 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 134/23
Date de la décision : 07/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 09/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-12-07;134.23 ?

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