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30/11/2023 | LUXEMBOURG | N°48870C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 30 novembre 2023, 48870C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48870C ECLI:LU:CADM:2023:48870 Inscrit le 26 avril 2023

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Audience publique du 30 novembre 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 23 mars 2023 (n° 47402 du rôle) dans un litige l’opposant à Madame (A), ……, en matière de regroupement familial

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 4887...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48870C ECLI:LU:CADM:2023:48870 Inscrit le 26 avril 2023

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Audience publique du 30 novembre 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 23 mars 2023 (n° 47402 du rôle) dans un litige l’opposant à Madame (A), ……, en matière de regroupement familial

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48870C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 26 avril 2023 par Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER agissant au nom et pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d’un mandat lui conféré à cet effet par le ministre de l’Immigration et de l’Asile le 25 avril 2023, dirigé contre un jugement du 23 mars 2023 (n° 47402 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a reçu en la forme et déclaré justifié le recours en réformation introduit par Madame (A), née le …. à …. (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à L-…. …., …., rue …., et dirigé contre la décision du ministre de l’immigration et de l’Asile du 14 décembre 2021 portant refus de sa demande de regroupement familial dans le chef des parents de Madame (A) ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mai 2023 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A) ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL et Maître Michel KARP en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 octobre 2023.

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En date du 15 juillet 2020, Monsieur (B), accompagné de sa sœur mineure, (A), introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par ordonnance du 7 septembre 2020, le juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna Monsieur (B) administrateur public de sa sœur mineure (A).

Par décision du 11 août 2021, notifiée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », accorda à Monsieur (B) et à sa sœur (A) le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 10 août 2026.

Par deux courriers du 18 août 2021, réceptionnés par les services ministériels le 20 août 2021, le mandataire de la fratrie AX introduisit deux demandes de regroupement familial : la première au nom de Monsieur (B) dans le chef de son épouse et de ses deux enfants mineurs et la seconde au nom de Madame (A) dans le chef de ses parents, Monsieur (D) et Madame (F).

Par décision du 1er décembre 2021, le ministre fit droit à la demande de regroupement familial dans le chef de l’épouse et des deux enfants mineurs de Monsieur (B).

Par décision du 14 décembre 2021, le ministre refusa de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef des parents de Madame (A), décision qui est motivée comme suit :

« (…) J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 20 août 2021.

Il y a lieu de rappeler que l’enfant (A) a déposé une demande de protection internationale en date du 15 juillet 2020, accompagné de son frère majeur, Monsieur (B) qui a été désigné administrateur public de sa sœur par ordonnance du 7 septembre 2020 du juge aux affaires familiales. Par décision ministérielle du 11 août 2021, le statut de réfugié leur est accordé. Il y a lieu de constater que Monsieur (B) et sa sœur (A) habitent à la même adresse.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, l’enfant (A) ne peut pas être considérée comme mineure non-accompagnée au sens de l’article 68 d) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration alors qu’elle est entrée sur le territoire luxembourgeois accompagnée d’un adulte responsable d’elle de par la loi ou la coutume et qu’elle n’a pas été laissée seule après être entrée sur le territoire. Par conséquent l’article 70, paragraphe (4) de la loi citée n’est pas applicable en l’espèce.

Par ailleurs, afin de pouvoir bénéficier du regroupement familial conformément à l’article 70, paragraphe (5) de la loi modifiée du 29 août 2008, les ascendants en ligne directe au premier degré doivent être à charge du regroupant et privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.

Or, il ne ressort pas de votre demande que Madame (F) et Monsieur (D) sont à charge de l’enfant (A) et il n’est pas prouvé que les intéressés ne peuvent pas subvenir à leurs besoins élémentaires par leurs propres moyens.

Enfin, Madame (F) et Monsieur (D) ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L’autorisation de séjour leur est donc refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 mai 2022, Madame (A), représentée par son administrateur public, Monsieur (B), fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 14 décembre 2021 refusant de faire droit à sa demande de regroupement familial dans le chef de ses parents.

Par jugement du 23 mars 2023, le tribunal administratif reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclara partiellement justifié, par réformation de la décision ministérielle du 14 décembre 2021, renvoya l’affaire devant le ministre pour exécution et condamna l’Etat aux frais et dépens.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 26 avril 2023, l’Etat a régulièrement fait entreprendre le jugement du 23 mars 2023.

En premier lieu, le délégué du gouvernement réitère le moyen d’irrecevabilité ratione temporis de la requête introductive d’instance. Celle-ci aurait été déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2022, soit plus de trois mois après la notification de la décision de refus ministérielle qui aurait été faite le 16 décembre 2021.

Selon la partie étatique, la preuve de cette notification aurait été apportée par les échanges de courriels entre le ministère et les services de la société POST Luxembourg, versés au dossier, et desquels il ressortirait que la décision attaquée du 14 décembre 2021 aurait été envoyée sous le recommandé n° ….. et aurait été notifiée à l’intimée le 16 décembre 2021. Ce numéro de recommandé ….. serait également inscrit dans le livret de correspondance du ministère.

L’intimée, pour sa part, affirme qu’elle aurait introduit un recours gracieux en date du 17 janvier 2022, de sorte que le délai légal du recours contentieux de trois mois aurait été suspendu depuis lors. Par conséquent, son recours datant du 5 mai 2022 aurait bien été introduit auprès du tribunal dans le délai légal et serait donc recevable, tel que retenu par les premiers juges.

A titre liminaire, et avant d’examiner les mérites du recours sur la légalité interne de la décision, il incombe à la Cour de toiser la question de recevabilité du recours contentieux introduit auprès du tribunal administratif le 5 mai 2021.

Tout d’abord, c’est à juste titre que les premiers juges ont rappelé qu’aux termes de l’article 13, paragraphe (1), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », « (1) Sauf dans les cas où les lois ou les règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance. (…) ».

Il y a lieu d’ajouter qu’au vœu du paragraphe (2) dudit article 13, « (2) Toutefois si la partie intéressée a adressé un recours gracieux à l’autorité compétente avant l’expiration du délai de recours fixé par la disposition qui précède ou d’autres dispositions législatives ou réglementaires, le délai du recours contentieux est suspendu et un nouveau délai commence à courir à partir de la notification de la nouvelle décision qui intervient à la suite de ce recours gracieux ».

C’est aussi à bon droit que les premiers juges ont rappelé qu’il appartient à la partie étatique qui entend de se prévaloir de l’irrecevabilité ratione temporis du recours, de justifier que le recours a été introduit plus de trois mois à partir de la notification de la décision attaquée.

Toutefois, en l’espèce, la partie étatique n’a certes pas réussi à rapporter la preuve incontestable de la notification à l’intimée de la décision de refus, c’est-à-dire de produire un accusé de réception du courrier recommandé. Pour autant, les éléments qu’elle a pu rapporter dans ce sens, à savoir le numéro du recommandé (figurant comme référence sur le courrier de la partie étatique et la référence de cette décision visée en objet dans la lettre du recours gracieux de l’intimée), ainsi que ses échanges avec les services de la société POST Luxembourg, constituent un ensemble d’indices suffisants permettant de présumer que l’intimée a bien reçu la notification de la décision de refus ministériel. Dans un tel cas, il revient donc à l’intimée de renverser cette présomption simple de la notification.

Or, l’intimée ne conteste aucunement d’avoir reçu la notification de la décision litigieuse de refus. Au contraire, dans la pièce produite n° 4, c’est-à-dire le courrier du recours gracieux, le mandataire de l’intimé indique « Je me réfère à votre décision ci-annexée du 14 décembre 2021 contre laquelle je me permets d’introduire un recours gracieux ». Dès lors, non seulement l’intimée ne conteste pas la réception de la décision litigieuse, mais elle la confirme.

Le seul élément qui n’est, en revanche, pas établi à l’exclusion de tout doute est la date de la réception de la décision litigieuse. Or, l’admission de l’intimée dans la pièce n° 4 de la réception de la décision litigieuse permet de conclure qu’au plus tard le 17 janvier 2022, date de son recours gracieux, l’intimée a reçu la notification de la décision.

Par conséquent, le délai du recours contentieux contre la décision ministérielle a commencé à courir au plus tard le 17 janvier 2022.

Il revient donc à l’intimée qui veut se prévaloir de la suspension de ce délai de prouver que son recours gracieux a bien été envoyé et reçu par le ministre.

Or, si l’intimée soumet en tant que pièce n° 4 une copie du courrier du 17 janvier 2022 constitutif de son recours gracieux invoqué, elle reste en défaut de rapporter un élément de preuve qu’elle a bien déposé ce recours gracieux auprès du ministre face à la contestation de la partie étatique qui affirme ne pas avoir reçu ce recours gracieux. Partant, faute de rapporter la preuve qu’elle a bien déposé le recours gracieux et que le ministre l’a bien réceptionné, l’intimée ne peut se prévaloir de la suspension du délai de recours contentieux.

De plus, la Cour relève une singularité de dates entre celle affirmée par l’intimée comme correspondant au dépôt du recours gracieux, qui serait le 17 janvier 2022, et la date d’une des pièces versées dans le dossier du recours gracieux, à savoir la pièce n° 11, intitulée « Lettre de Madame (G), professeure de (A) », qui est datée du 25 janvier 2022. Par conséquent, cette divergence permet de conclure que le recours gracieux n’a effectivement pas été déposé auprès du ministre le 17 janvier 2022 tel que l’affirme la partie intimée.

C’est dès lors à tort que les premiers juges ont jugé recevable le recours ratione temporis du 5 mai 2023.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel est fondé et que le jugement est à réformer dans le sens que le recours introduit le 5 mai 2022 est irrecevable ratione temporis.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 26 avril 2023 en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation du jugement entrepris du 23 mars 2023, déclare irrecevable le recours de première instance introduit le 5 mai 2022 par l’intimée contre la décision du ministre de l’immigration et de l’Asile du 14 décembre 2021 portant refus de sa demande de regroupement familial dans le chef de ses parents, fait masse des dépens des deux instances et les met à charge de l’intimée.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 30 novembre 2023 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier assumé de la Cour ……..

s. ……… s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 novembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48870C
Date de la décision : 30/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-11-30;48870c ?

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