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30/11/2023 | LUXEMBOURG | N°46506

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 30 novembre 2023, 46506


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49092C ECLI:LU:CADM:2023:49092 Inscrit le 28 juin 2023 Audience publique du 30 novembre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 mai 2023 (n° 46506 du rôle) en matière d’impôts Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 49092C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 28 juin 2023 par la société à responsabilité limitée WASSENICH LAW SARL, inscrite sur la liste V du tableau du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2134 Lux

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49092C ECLI:LU:CADM:2023:49092 Inscrit le 28 juin 2023 Audience publique du 30 novembre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 mai 2023 (n° 46506 du rôle) en matière d’impôts Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 49092C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 28 juin 2023 par la société à responsabilité limitée WASSENICH LAW SARL, inscrite sur la liste V du tableau du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2134 Luxembourg, 54, rue Charles Martel, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 207.545, représentée aux fins de la présente instance par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-… …, …, route …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 22 mai 2023 (n° 46506 du rôle) par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours tendant en ordre subsidiaire à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes rendue le 29 juin 2021 ayant déclaré sa requête introduite le 26 février 2020 irrecevable pour cause de tardivité, s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande en allocation de dommages et intérêts et a dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre principal ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 14 septembre 2023 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 9 novembre 2023.

1En date du 6 février 2019, le bureau d’imposition …….. de l’administration des Contributions directes émit les bulletins de l’impôt sur le revenu, de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire et du calcul de la contribution dépendance pour l’année 2015, qui furent notifiés, de façon non contestée, le 11 février 2019, à Monsieur (A), le bulletin de l’impôt sur le revenu ayant été émis en vertu du § 217 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée «»Abgabenordnung », en abrégé « AO », avec les précisions suivantes : « A défaut de déclaration d’impôt les revenus ont été taxés en vertu du § 217 AO », « L’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants » et « Rev. nets divers : Bénéfice de cession art.99ter LIR (immeuble Rollingen) taxé à ….. [euros] avant déduction abattement art.130(4) LIR :

….. [euros] ».

Par courrier recommandé du 3 mai 2019, réceptionné le 6 mai 2019, la société à responsabilité limitée (F) SARL, ci-après « la société (F) », s’adressa au bureau d’imposition Ettelbruck dans les termes suivants :

« (…) Suite à votre imposition datant du 6 février 2019, concernant l’année 2015, […] votre calcul du modèle 700 ne tient pas compte des factures pour les frais d’obtention à la ligne 20.

Aussi, nous vous serions reconnaissants de modifier votre imposition 2015 en tenant compte des factures mises en annexe soit un total de …..€.

Vous trouverez ci-joint le modèle 100, le modèle 700, et toutes les factures concernant les frais d’obtention. (…) ».

Par courrier du 13 mai 2019, le bureau d’imposition …….. s’adressa à Monsieur (A) dans les termes suivants :

« (…) J’accuse réception du courrier du 3 mai 2019 de la Fiduciaire-comptable (F) à votre sujet, adressé au bureau d’imposition à Ettelbruck, que celui-ci vient toutefois de me faire parvenir pour raison de compétence. Par ce courrier, la fiduciaire me demande de redresser le bulletin d’impôt pour l’impôt sur le revenu de l’année 2015 émis en date du 06/02/2019 en déduisant certains frais d’obtention relatifs à un bénéfice de cession selon article 99ter L.I.R..

En réponse à votre demande, je regrette de ne pas pouvoir y donner de suite favorable, étant donné que le bulletin d’impôt en question est d’ores et déjà coulé en force de chose jugée.

Le bureau d’imposition dispose de trois mois après la notification du bulletin d’impôt pour émettre un bulletin rectificatif. Passé ce délai, une rectification n’est plus possible. Je me permets encore de vous signaler que vous trouverez les instructions sur les voies de recours au verso du bulletin d’impôt. (…) ».

Par courrier du 19 juin 2019, Monsieur (A) s’adressa, par l’intermédiaire de son mandataire, au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », en y joignant une copie du courrier du 3 mai 2019, précité, en lui expliquant en substance que ledit courrier avait été introduit endéans le délai de trois mois et en l’invitant à lui « fournir des explications quant à ce refus de prise en considération de la réclamation de [son] mandant, et […] [lui] demand[er] aussi d’intervenir auprès du préposé de …….. pour qu’il opère le redressement auquel notre mandant a droit ».

2Par courrier du 21 juin 2019, le bureau d’imposition …….. répondit au courrier précité du 19 juin 2019 en expliquant au mandataire de Monsieur (A) les raisons pour lesquelles le courrier du 3 mai 2019, précité, fut qualifié de demande de redressement et non de réclamation, et plus particulièrement la différence entre une demande de redressement au sens du § 94 AO et une réclamation du sens du § 228 AO et en précisant ce qui suit :

« (…) J’accuse réception de votre courrier du 19.06.2019 adressé à Madame le Directeur de l’Administration des Contributions Directes, qui nous a cependant été transmis pour raisons de compétence.

Votre courrier ne peut en effet être qualifié de réclamation au sens du § 228 de la loi générale des impôts (L.G.I.), mais comme demande d’explications, notamment quant au refus de prise en considération de la réclamation alléguée de votre mandant. Or, à ce stade des travaux d’imposition, la compétence revient toujours au bureau d’imposition et non au directeur des contributions.

Suite à votre demande, je vous prie donc de trouver ci-après ma prise de position, ainsi que les explications demandées.

De prime abord, je vous prie de noter que le courrier de la Fiduciaire (F) s.à r.l. n’a pas été considéré comme réclamation, mais comme demande de redressement. Il est toutefois important de noter que les deux voies de recours présentent des différences fondamentales.

La demande de redressement est adressée au bureau d’imposition. L’alinéa 1er du § 94 L.G.I. subordonne cependant une modification du bulletin à la condition que le contribuable ne se trouve pas forclos dans le cadre d’un recours contentieux. Le bulletin rectificatif doit donc être notifié avant le délai de trois mois suivant la date de notification du bulletin d’impôt.

Une réclamation est à adresser au directeur des contributions dans ce même délai.

L’introduction d’une réclamation en vertu du § 228 L.G.I. a pour effet de dessaisir le bureau d’imposition qui n’est dès lors plus autorisé à statuer sur l’éventuel bien-fondé d’un redressement des impositions en vertu du § 94 L.G.I.. La réclamation doit en outre désigner le bulletin d’impôt attaqué et devrait également indiquer le motif.

Les voies de réclamation sont par ailleurs indiquées au verso du bulletin d’impôt.

Adresses des services compétents : (…) La fiduciaire avait adressé son courrier à l’administration des contributions directes à Ettelbruck, sans spécifier d’avantage le destinataire. Comme la fiduciaire avait demandé dans son courrier de , elle ne pouvait cependant s’adresser qu’au bureau d’imposition, bien que celui-ci se trouve à …….. et non à Ettelbruck, et il s’agit à mon avis clairement d’une demande de redressement svt § 94 L.G.I. et non d’une réclamation au sens du § 228 L.G.I..

Comme il était d’ores et déjà clair, lorsque mon bureau d’imposition a reçu la demande de redressement, que le bulletin d’impôt ne pourrait plus être notifié avant le délai de réclamation, je n’avais pas d’autre choix que d’informer le contribuable de la tardivité de la demande. […] ».

3 Par courrier du 20 février 2020, Monsieur (A) contesta, par l’intermédiaire de son mandataire, les explications du bureau d’imposition …….., notamment dans les termes suivants :

« (…) Une demande de redressement ne peut être qualifiée de demande de renseignement, mais bien d’une contestation, donc d’une réclamation telle qu’elle est prévue par le § 228. […] Etant donné que la réclamation de la Fiduciaire avait été présentée dans le délai légal, ce qui est prouvé par l’envoi par la poste, vous aviez bien le choix, non pas d’informer le contribuable de la tardivité de sa demande, mais d’opérer le redressement qui vous était demandé. (…) ».

Par courrier du 26 février 2020, Monsieur (A) s’adressa, par l’intermédiaire de son mandataire, au directeur dans les termes suivants :

« (…) Je me permets de vous transmettre en annexe de la présente une copie du courrier que je vous avais adressé le 19.06.2019. Cette lettre vous a été envoyée par recommandé.

Vous l’avez continué au bureau des contributions de …….. qui m’a répondu le 21.06.2019.

J’ai recontacté le bureau de …….. par courrier du 20.02.2020.

J’avais donc adressé une réclamation en bonne et due forme à la direction des contributions, qui n’a cependant pas pris de décision.

Je ne peux que maintenir les arguments développés antérieurement, comme quoi il y a eu de la part de la Fiduciaire une réclamation en bonne et due forme. Qui demande un redressement conteste en même temps le chiffre qui a été retenu. Si le chiffre est accepté, on ne demande pas un redressement.

La fiduciaire s’est peut-être mal exprimée, mais le but était bien d’obtenir, suite à la contestation, un redressement.

Vous n’avez pas encore pris de décision, de sorte que je vous demande formellement de rendre une décision, avec indication de la voie de recours. (…) ».

Par courrier du 28 février 2020, ayant pour objet « Régularisation de la procédure dans l’affaire contentieuse …….. concernant Monsieur ….. (A) introduite par votre réclamation du 03/05/2019, entrée le 06/05/2019 […] », la division Contentieux de l’administration des Contributions directes s’adressa à la société (F) dans les termes suivants :

« (…) Par application des paragraphes 107, 238 et 254 de la loi générale des impôts (AO), je vous prie de justifier, pour le 30/03/2020 au plus tard, de votre pouvoir d’agir en versant au dossier la procuration qui établit votre mandat exprès et spécial pour l’instance introduite, étant entendu qu’une société est inhabile à postuler devant une juridiction des impôts ou devant le directeur des contributions. (…) ».

A défaut de réponse au courrier du 26 février 2020 de la part du directeur, Monsieur (A) s’enquit, par l’intermédiaire de son mandataire, auprès du directeur de l’état d’avancement de son dossier par deux courriers datés des 9 avril et 15 juin 2021.

4 Par décision du 29 juin 2021, inscrite sous le numéro …….. du rôle, le directeur prit position comme suit :

« (…) Vu la requête introduite le 26 février 2020 par Maître Claude Wassenich, au nom du sieur (A), demeurant à L-…. …., pour réclamer contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015, émis en date du 6 février 2019 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant qu’aux termes des §§ 228 et 246 AO le délai de réclamation est de trois mois et court à partir de la notification ;

Considérant que le bulletin litigieux, émis en date du 6 février 2019, a été notifié le 11 février 2019, de sorte que le délai a expiré le 13 mai 2019 ; que la réclamation, introduite en date du 26 février 2020, est donc tardive ;

Considérant qu’aux termes du § 83 AO ce délai est un délai de forclusion ;

Considérant qu’en exécution du § 252 AO, la réclamation est donc à qualifier de tardive ;

Considérant qu’il découle de tout ce qui précède que la réclamation introduite est irrecevable pour cause de tardiveté ;

Considérant, à titre tout à fait superfétatoire, que même si la demande en redressement, d’ailleurs non signée, introduite le 6 mai 2019 par le sieur (D), de la société à responsabilité limitée Fiduciaire-Comptable (F) au nom du sieur (A), serait à considérer comme réclamation, quod non, il n’en reste pas moins qu’en droit luxembourgeois, pour pouvoir exercer l’action d’autrui, il faut justifier en toutes matières d’un mandat ad litem exprès et spécial aux fins de l’instance (cf. : Conseil d’État du 14 janvier 1986, n° 6514 du rôle; TA du 16 juin 1999, n° 10724 du rôle ; CA du 21 décembre 1999, n° 11382C du rôle) ;

Considérant qu’en l’espèce, le sieur (D), déposant de la prétendue réclamation, a été invité par lettre du 28 février 2020 à justifier de son pouvoir d’agir en versant au dossier une procuration qui établit son mandat exprès et spécial ; qu’il n’y a toutefois réservé aucune suite, de sorte que l’existence d’un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l’introduction de la supposée réclamation n’est pas établie et que, partant, la requête serait irrecevable faute de qualité ;

PAR CES MOTIFS dit la réclamation irrecevable pour cause de tardivité. (…) ».

Par requête déposée le 29 septembre 2021 au greffe du tribunal administratif, Monsieur (A) fit introduire un recours contentieux tendant, d’après son dispositif, principalement à l’annulation, subsidiairement à la réformation de la décision directoriale précitée du 29 juin 2021.

5 Par un jugement du 22 mai 2023, le tribunal administratif reçut le recours subsidiaire en réformation en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta Monsieur (A), dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation, se déclara incompétent pour connaître de la demande en allocation de dommages et intérêts formulée par Monsieur (A) tout en le condamnant aux frais de l’instance.

Dans son jugement, le tribunal confirma le constat du directeur de la tardivité de la réclamation du 26 février 2020, et retint, par ailleurs, que la décision du directeur du 29 juin 2021 contient un autre élément décisionnel, à savoir la décision de ne pas prendre en considération le courrier du 3 mai 2019 en tant que réclamation. Il qualifia ledit courrier de réclamation, ayant par ailleurs été introduite endéans le délai légal. Toutefois, à défaut de production d’un mandat exprès et spécial au bénéfice de la société (F) et ce malgré une demande en ce sens du 28 février 2020, le tribunal confirma la décision d’irrecevabilité du directeur, encore que pour un autre motif.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 28 juin 2023, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Arguments des parties A l’appui de cet appel, l’appelant fait valoir que s’il partage l’analyse des premiers juges ayant qualifié le courrier du 3 mai 2019 comme réclamation introduite endéans le délai, il les critique pour avoir retenu que la preuve d’un mandat exprès et spécial faisait défaut.

A cet égard, il donne à considérer que la société (F) aurait été chargée de l’établissement de la comptabilité de la société à responsabilité limitée (G) SARL, ci-après désignée par « la société (G) », depuis le 17 mars 2018 selon un contrat conclu entre parties, tout en renvoyant à l’article 3 de ce contrat visant sa déclaration fiscale privée. Il poursuit qu’immédiatement après l’émission des bulletins d’imposition de taxation d’office visant l’année 2015, il se serait rendu auprès de la société (F) pour lui demander de préparer la déclaration d’impôts pour cette année et d’introduire une réclamation. A cet effet, il aurait remis à la société (F) les documents nécessaires, aurait vérifié la déclaration ensuite préparée et aurait donné son accord avec l’envoi de la réclamation par courrier du 3 mai 2019. Il en conclut qu’il aurait donné une procuration à la société (F) avant le 3 mai 2019 pour introduire en son nom et pour son compte cette réclamation. Pour appuyer ses explications, il renvoie à une procuration écrite, établie le 26 juin 2023, versée parmi les pièces.

La décision du directeur serait partant à réformer et le dossier à renvoyer au directeur pour statuer sur le fond de la réclamation, alors que si la Cour évoquait, il serait privé du droit au double degré de juridiction.

Par ailleurs, l’appelant reproche à l’administration des Contributions directes de lui avoir causé des ennuis et partant un préjudice certain par le recours à des procédures de saisie, sommation à des tiers détenteurs et la mise en compte d’intérêts de retard, ce qui aurait affecté sa situation financière. Ces actions de l’administration seraient vexatoires et devraient donner lieu à un dédommagement, de sorte qu’il réclame le paiement d’une indemnité de …..- €.

6De plus, il aurait dû recourir à l’aide d’un avocat, de sorte qu’il conviendrait également de lui accorder une indemnité de procédure de l’ordre de …..- € pour chacune des deux instances.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’appel.

Il fait valoir que le contrat avec la société (F) du 17 mars 2018 ne vaudrait pas mandat pour réclamer contre un bulletin de l’impôt non encore émis et que la mission de prestataire de services se limiterait à la comptabilité générale et aux déclarations fiscales.

Il critique ensuite la valeur probante de la procuration versée en appel et conclut qu’elle ne pourrait pas valoir mandat spécial et exprès. Ainsi, au regard de la date d’établissement de ce document, à savoir le 26 juin 2023, il conviendrait de conclure qu’aucun mandat écrit, exprès et spécial n’aurait existé au jour de l’introduction de la réclamation, l’acte en question n’ayant été rédigé qu’ex post pour les besoins de la procédure d’appel. De plus, il serait consigné sur du papier libre sans entête, l’appelant y affirmant avoir chargé la société (F) d’une réclamation, cette affirmation n’étant que contresignée par le comptable. Sous la mention « signature du mandant » au lieu du mandataire, se trouverait uniquement un tampon renseignant les coordonnées du bureau comptable avec une signature anonyme. Par ailleurs, l’encre des deux signatures serait identique.

Le délégué du gouvernement en conclut qu’il ne s’agirait pas d’une procuration expresse et spéciale en bonne et due forme ayant existé au moment de l’introduction de l’écrit du 3 mai 2019, mais plutôt d’une attestation de la partie appelante, soumise à autrui pour contre-signature.

Il fait valoir qu’un mandat exprès et spécial à verser en cours de procédure devrait avoir été antérieur à l’introduction de la réclamation et qu’il serait exclu de faire rédiger une procuration ex post. Cette antériorité ne serait pas donnée en l’espèce, l’acte produit en l’espèce n’ayant pas existé au moment de l’introduction de la réclamation.

Si l’appelant tentait de prouver à travers cette pièce avoir donné un mandat oral, ce document ne contiendrait toutefois aucune précision quant à la date et aux circonstances exactes dans lesquelles ce mandat verbal aurait été donné, ni contre quel acte une réclamation devrait être introduite.

L’écrit en question constituerait en substance une tentative de preuve auto constituée ayant été rédigé ex post pour les besoins de la procédure, ne pouvant pas valoir procuration écrite, mais seulement attestation de l’appelant contresignée par son ancien mandataire et comptable. Cet écrit serait dès lors dépourvu de valeur juridique et de force probante quant à l’existence d’un mandat au 3 mai 2019. Dans ce contexte, la partie étatique fait valoir qu’une des parties en cause ne pourrait se constituer une preuve à soi-même et surtout pas ex post, tout en insinuant que le comptable aurait eu tout intérêt à contresigner « aveuglément » l’acte lui soumis pour échapper à une action en responsabilité si le jugement devrait être confirmé.

Analyse de la Cour La Cour constate de prime abord que les parties à l’instance ne remettent pas en question l’analyse des premiers juges selon laquelle la réclamation du 26 février 2020, introduite par l’actuel litismandataire de Monsieur (A), est tardive.

7 Elles ne remettent pas non plus en question la qualification opérée par le tribunal du courrier du 3 mai 2019 de la société (F) en tant que réclamation et leur analyse selon laquelle le courrier du directeur du 29 juin 2021 contient un élément décisionnel par rapport à cette réclamation.

La Cour n’a dès lors pas à se prononcer sur ces points.

Le litige des parties à l’instance tourne autour de la question de l’existence d’un mandat exprès et spécial en vue de l’introduction de cette réclamation.

A cet égard, il est rappelé qu’en application du paragraphe 238 AO, le destinataire d’un bulletin d’impôt désirant introduire une réclamation contre celui-ci peut se faire représenter conformément au paragraphe 102, paragraphe (2) AO, ce dernier paragraphe renvoyant aux règles du droit civil quant à la capacité à agir des personnes privées.

A partir des dispositions des articles 1987, 1988 et 1989 du Code civil, distinguant entre le mandat spécial pour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant et précisant les pouvoirs du mandataire en fonction du mandat choisi et dans la mesure où l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue, le cas échéant, in pejus conformément au paragraphe 243 AO (« Sie können die Entscheidung auch zum Nachteil dessen, der das Rechtsmittel eingelegt hat, ändern. »), présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé, une procuration afférente doit être expresse et spéciale et renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise1, étant précisé qu’en l’espèce, les parties à l’instance s’accordent pour retenir l’exigence d’un tel mandat.

En vertu du paragraphe 254 AO, le mandataire a l’obligation de justifier de son mandat sur demande afférente de l’administration.

La Cour retient encore que si le contribuable est en droit de produire matériellement une procuration, suite à la demande du directeur, en vue de la soumission d’une preuve écrite du mandat dans le chef de celui qui a introduit une réclamation, ce mandat doit toutefois avoir existé dès l’introduction de la réclamation auprès du directeur et cette antériorité au dépôt de la réclamation doit ressortir clairement du libellé de la procuration émanant du contribuable concerné2.

En l’espèce, il n’est pas contesté, et tel que cela a d’ailleurs été relevé à juste titre par les premiers juges, qu’au courrier du 3 mai 2019 portant réclamation n’avait été joint aucun mandat exprès et spécial.

Il n’est pas non plus contesté que suite à la demande afférente de l’administration du 28 février 2020, tel mandat n’a pas non plus été produit.

1 Cour adm. 17 juin 2010, n° 26643C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1100 et autres références y citées 2 Cour adm. 21 octobre 2021, n° 45977C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

8 Il s’ensuit que le directeur n’est pas à critiquer pour avoir constaté l’absence de mandat exprès et spécial par rapport à la réclamation du 3 mai 2019, de sorte que celle-ci a à juste titre été déclarée irrecevable pour défaut de qualité dans le chef de la société (F).

Les premiers juges ont encore à juste titre examiné si, en cours d’instance contentieuse, la preuve de l’existence d’un mandat exprès et spécial a été fournie. La Cour rejoint leur analyse selon laquelle l’absence de production d’une procuration devant le directeur n’implique pas ipso facto l’irrecevabilité du courrier du 3 mai 2019 en tant que réclamation, mais le contribuable peut rapporter la preuve de l’existence d’un mandat exprès et spécial conféré à son présumé mandataire en cours de phase contentieuse, la finalité du mandat étant de permettre aux instances saisies de contrôler que la décision d’introduire une réclamation en matière fiscale a été cautionnée par le contribuable, l’exigence de la justification d’un mandat par le mandataire étant une mesure destinée à protéger le contribuable envers les agissements d’un mandataire qui dépasserait, le cas échéant, ses pouvoirs en déposant une réclamation à son insu, étant rappelé que le mandat prouvé ex post doit néanmoins avoir été antérieur à la réclamation.

Sous cet aspect, les juges de première instance se sont référés de façon pertinente au pouvoir de réformation qu’ont les juridictions administratives en la présente matière, qui leur permet de tenir compte d’éléments de preuve qui n’étaient pas à la disposition du directeur au moment de la prise de sa décision.

La Cour est encore amenée à confirmer l’analyse exhaustive des premiers juges selon laquelle, au regard des pièces et informations à leur disposition au moment où ils ont statué, la preuve de l’existence d’un mandat exprès, spécial et antérieur à l’introduction de la réclamation n’a pas été rapportée.

En instance d’appel, l’appelant fait état pour la première fois d’un document établi le 26 juin 2023 et intitulé « procuration » et se réfère encore à un contrat du 17 mars 2018 entre la société (G) et la société (F).

La Cour retient de prime abord que le contrat du 17 mars 2018 n’est pas de nature à établir un mandat exprès et spécial donné par Monsieur (A) à la société (F) pour réclamer contre les bulletins litigieux, dans la mesure où ce contrat a été conclu entre la société (F) et la société (G) et non pas avec Monsieur (A) en son nom personnel. Par ailleurs, si le contrat mentionne en son article 3 que les « déclarations privées » de Monsieur (A) sont incluses dans la charge de travail, il n’en reste pas moins que ledit contrat ne mentionne aucune procuration expresse et spéciale d’introduire une réclamation contre des bulletins déterminés.

Pour ce qui est du document intitulé « procuration », la Cour retient que, contrairement à ce qui est soutenu par le délégué du gouvernement, le seul fait que ce document a été établi ex post n’est pas ipso facto de nature à exclure la preuve de l’existence d’un mandat, mais il convient d’examiner les termes du document, qui doivent faire ressortir non seulement l’existence d’un mandat exprès mais également celle d’un mandat antérieur à l’introduction de la réclamation.

En l’espèce, selon les termes du document litigieux, Monsieur (A) déclare avoir confié « avant le 3 mai 2019 » à la société (F) le mandat pour introduire une réclamation en date du 3 mai 2019 à l’encontre des « bulletins litigieux datés du 6 février 2019 », le document se référant aux 9« bulletins d’impôt datés du 6 février 2019, notifiés le 11 février 2019 au titre de l’année d’imposition 2015 ».

Ce document ne saurait, en tant que tel, valoir preuve d’une procuration écrite pour l’introduction de la réclamation litigieuse puisqu’il n’a été établi que le 26 juin 2023.

Quant à la question de savoir s’il est de nature à prouver la réalité d’une procuration orale donnée avant l’introduction de la réclamation, la Cour est amenée à retenir que, contrairement à ce qui est affirmé par la partie étatique, les bulletins faisant l’objet de la réclamation sont identifiés à suffisance dans le document litigieux et il y est renseigné que Monsieur (A) a donné mandat à la société (F) d’introduire une réclamation à leur encontre. Comme le document précise encore que cette procuration avait été donnée « après avoir reçu les bulletins d’impôt » et « avant le 3 mai 2019 », il est encore de nature à établir l’antériorité de l’existence du mandat.

Force est encore de constater qu’il n’est pas contesté que le document est signé par Monsieur (A). Si certes, il a été qualifié de façon erronée de « mandataire », il ne peut s’agir que d’une simple erreur matérielle, le libellé du document l’identifiant clairement comme mandant et l’Etat ne contestant par ailleurs pas que la signature émane bien de l’appelant.

D’autre part, le document porte sous la mention « signature du mandant », le cachet de la société (F) et une signature, de sorte à comporter aussi a priori la confirmation de la société (F) en tant que mandataire, certes de façon erronée qualifiée de mandant.

C’est à tort que le délégué du gouvernement entend remettre en question la force probante de ce document par le fait que le nom du signataire sous les termes « signature du mandant » n’est pas indiqué. A cet égard, la Cour constate que cette signature a été apposée à côté du cachet de la société (F) et qu’elle correspond a priori à celle de Monsieur (D) ayant signé aussi le courrier du 3 mai 2019 pour compte de la société (F) (dont l’exemplaire signé figure au dossier administratif, encore que l’exemplaire produit par l’appelant n’a pas été signé tel que cela a été constaté par les premiers juges), de sorte que la Cour est amenée à conclure que le document a été signé par le mandant et par le mandataire.

La Cour est ainsi amenée à retenir qu’en instance d’appel, Monsieur (A) a apporté suffisamment d’éléments de nature à établir l’existence d’un mandat spécial et exprès accordé de façon orale à la société (F) avant l’introduction de la réclamation du 3 mai 2019, la circonstance que la preuve afférente n’a été établie qu’ex post étant sans pertinence du moment que l’écrit en question confirme l’existence d’un mandat exprès et antérieur.

Par réformation du jugement du 22 mai 2023, le recours en réformation est dès lors à déclarer fondé et la décision du directeur du 29 juin 2021 est à réformer en ce sens que si la réclamation introduite le 26 février 2020 par le litismandataire de Monsieur (A) a, à juste titre, été déclarée irrecevable ratione temporis, c’est à tort que le directeur a décidé de ne pas prendre en compte celle introduite le 3 mai 2019 par la société (F) pour compte de Monsieur (A) pour défaut de qualité et le dossier est à renvoyer au directeur afin d’examiner ladite réclamation.

Quant à la demande en paiement de dommages et intérêts de l’ordre de …..- €, la Cour rejoint les premiers juges en leur conclusion selon laquelle les juridictions administratives sont 10incompétentes pour indemniser un préjudice tiré du fond du litige, de sorte que le jugement est à confirmer sur ce point.

Quant aux indemnités de procédure réclamées par l’appelant pour les deux instances, les demandes afférentes sont à rejeter, l’appelant ne justifiant pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.

L’appelant demande encore la condamnation de l’Etat au paiement des frais des deux instances.

La Cour fait masse des frais des deux instances et les impose pour moitié à l’appelant et pour moitié à l’Etat.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 28 juin 2023 en la forme ;

au fond, le déclare partiellement justifié ;

partant, par réformation partielle du jugement du 22 mai 2023, réforme la décision du directeur du 29 juin 2021 en ce sens que c’est à tort que le directeur a décidé de ne pas prendre en compte la réclamation introduite le 3 mai 2019 par la société (F) pour compte de Monsieur (A) et renvoie le dossier au directeur afin d’examiner ladite réclamation ;

pour le surplus, confirme le jugement entrepris du 22 mai 2023 en ce que le tribunal a rejeté la demande de réformation de la décision du directeur du 29 juin 2021 par rapport à la réclamation du 26 février 2020, en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande en paiement d’une indemnité de …..- € réclamée par l’appelant et en ce qu’il a rejeté la demande en paiement d’une indemnité de procédure de …..- € réclamée par l’appelant en première instance ;

rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure réclamée par Monsieur (A) pour l’instance d’appel ;

fait masse des frais et dépens des deux instances et les impose pour moitié à Monsieur (A) et pour moitié à l’Etat.

Ainsi délibéré et jugé par :

Serge SCHROEDER. premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, 11et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour …….

s. …..

s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 novembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46506
Date de la décision : 30/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-11-30;46506 ?

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