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28/11/2023 | LUXEMBOURG | N°49216C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 28 novembre 2023, 49216C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49216C ECLI:LU:CADM:2023:49216 Inscrit le 26 juillet 2023

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Audience publique du 28 novembre 2023 Appel formé par Madame (A), … (France), contre un jugement du tribunal administratif du 19 juin 2023 (n° 47621 du rôle) en matière d’autorisation d’établissement

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Vu la requête d’appel, inscri

te sous le numéro 49216C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 26 j...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49216C ECLI:LU:CADM:2023:49216 Inscrit le 26 juillet 2023

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Audience publique du 28 novembre 2023 Appel formé par Madame (A), … (France), contre un jugement du tribunal administratif du 19 juin 2023 (n° 47621 du rôle) en matière d’autorisation d’établissement

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 49216C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 26 juillet 2023 par Maître Isabelle GIRAULT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à F-… … (France), …, …, dirigée contre le jugement du 19 juin 2023 (n° 47621 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg s’est déclaré incompétent pour connaître de son recours principal en réformation et a déclaré non fondé son recours subsidiaire en annulation dirigé contre une décision du ministre des Classes moyennes du 22 février 2022 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation d’établissement, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 27 avril 2022 intervenue sur recours gracieux de l’intéressée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 14 septembre 2023;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 octobre 2023 en nom et pour compte de la partie appelante;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Isabelle GIRAULT et Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2023.

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Le 22 septembre 2021, Madame (A) introduisit, par l’intermédiaire de sa fiduciaire, auprès du ministère des Classes moyennes et du Tourisme, ci-après le « ministère », via un formulaire afférent, une demande en obtention dans son chef d’une autorisation pour l’exercice des activités d’« Administrateur de biens et syndic de copropriété, Agent immobilier, Promoteur immobilier, Activités et services commerciaux », pour compte de la société à responsabilité limitée (G) SARL, ci-après la « société (G) ».

Par décision du 22 février 2022, le ministre des Classes moyennes, ci-après le « ministre », refusa de faire droit à la demande de Madame (A). Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Je reviens par la présente à votre demande d’autorisation d’établissement référencée sous rubrique, qui a entre-temps fait l’objet d’une nouvelle instruction administrative prévue à l’article 28 de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.

Étant donné que Monsieur (B) était associé à 98 % de la société en faillite (F)SARL : ….. et est associé à 98 % de la société demanderesse, je vous informe qu’aucune autorisation d’établissement ne pourra être délivrée avant que tous les arriérés de la société en faillite soient réglés.

A toutes fins utiles, je vous signale que Madame (A) figure aussi en tant que gérante de la société en faillite.

Dans ces conditions, vous voudrez vous mettre en rapport avec le Centre Commun de la Sécurité Sociale, l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et l’Administration des Contributions Directes et me faire parvenir une attestation certifiant que tous les arriérés ont été payés et le CCSS, l’AED et l’ACD ainsi désintéressés, ou la preuve d’un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés (les virements, versements ou extraits de comptes ne sont pas acceptés). (…) ».

Par courrier du 21 mars 2022, réceptionné le lendemain, Madame (A) saisit le ministre d’un recours gracieux contre la décision précitée du 22 février 2022 en faisant, en substance, valoir que la société à responsabilité limitée (F) SARL, en faillite, ci-après la « société (F)», aurait été victime d’abus de confiance de la part de son salarié comptable, Monsieur N. B., sur les mois précédant ladite faillite, sans qu’une faute de gestion ne pourrait être reprochée ni à elle-même, ni à son époux, Monsieur (B).

Par décision du 27 avril 2022, le ministre confirma sa décision du 22 février 2022 dans les termes suivants :

« (…) Suite à une réunion entre le Ministère de l’Économie et Madame (A) accompagné de son conseil, je reviens par la présente à votre demande d’autorisation d’établissement référencée sous rubrique, qui a entre-temps fait l’objet d’une nouvelle instruction administrative prévue à l’article 28 de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.

Dans ladite entrevue, Madame (A) a été informée du maintien de notre décision datant du 22 février 2022.

Dans ces conditions, je vous rappelle de vous mettre en rapport avec le Centre Commun de la Sécurité Sociale, l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et l’Administration des Contributions Directes et me faire parvenir une attestation certifiant que tous les arriérés de la société en faillite (F) SARL : …. ont été payés et le CCSS, l’AED et l’ACD ainsi désintéressés, ou la preuve d’un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés (les virements, versements ou extraits de comptes ne sont pas accepté). (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2022, Madame (A) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 22 février 2022, ainsi que de sa décision confirmative du 27 avril 2022.

Par jugement du 19 juin 2023, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation et rejeta le recours subsidiaire en annulation pour manquer de fondement, le tout en rejetant la demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de …..- € telle que formulée par la demanderesse et en condamnant cette dernière aux frais et dépens.

Le 26 juillet 2023, Madame (A) a régulièrement interjeté appel contre le jugement du 19 juin 2023.

Elle estime que le refus de lui délivrer l’autorisation d’établissement sollicitée en raison du non-règlement des dettes dues par la société (F), déclarée en état de faillite le 18 mai 2018, et dont elle aurait été gérante, n’est pas légalement justifié.

En effet, en substance, l’état des dettes de la société (F) ne serait pas de nature à remettre en cause son honorabilité personnelle, dès lors que loin d’être à l’origine de cette dette, elle serait, à l’instar de la société (F), à considérer comme la victime des agissements d’un salarié comptable malhonnête qui aurait eu accès à ses comptes bancaires et qui aurait notamment trafiqué les bilans et les extraits de TVA pour transférer d’importants fonds de la société (F) sur ses comptes personnels. A cette fin, il aurait usé de stratagèmes, tels l’intégration dans des virements groupés de virements à son propre compte avec indication de faux bénéficiaires et de causes trafiquées et en faisant croire qu’il s’agirait du paiement de factures à des créanciers de la société, pour détourner les fonds de la société (F) pour son propre compte. Pour cacher son jeu, le comptable escroc aurait caché à la gérance les factures, décomptes et correspondance reçus, pour leur soumettre des faux.

L’appelante réitère n’avoir personnellement rien fait de mal, « à part peut-être ne pas avoir vu mais, tel qu'expliqué, rien n'était décelable à moyen terme, même les administrations qui ont reçu nos candidatures pour les offres publiques n'ont pas identifié le problème, ni même les banques ».

Sur ce, elle reproche aux premiers juges d’avoir fait une fausse application des dispositions de loi applicables dans la mesure où ils se seraient limités à conditionner l'octroi de l'autorisation sollicitée au règlement des dettes dues par la société (F), en faillite, sans tenir compte du contexte de la faillite, qui ne « résulte que du comportement délinquant du comptable, Monsieur N. B. », actuellement poursuivi pénalement de ce fait.

Elle souligne que Monsieur B. seul aurait détourné les fonds de la société et créé une fausse comptabilité pour faire croire au crédit de la société, même vis-à-vis des autorités administratives, qui elles aussi en auraient été dupes, l’Etat ayant reconnu, jusqu'au jour de la faillite, la solvabilité de la société (F), de sorte à être mal placé pour lui reprocher ce que lui-même n'aurait pas vu.

Ce ne serait donc pas elle qui se serait soustraite aux charges sociales et fiscales, le non-paiement n’étant en rien en rapport avec une action délibérée de sa part.

Ainsi, l'état de dettes de la société (F) ne remettrait en rien en cause son honorabilité personnelle, de sorte que ce serait à tort que les premiers juges ont confirmé l’application automatique de l'article 6 de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après la « loi du 2 septembre 2011 », du fait de la vérification de la condition posée à son article 4, alinéa 4.

Les premiers juges seraient en conséquence à sanctionner pour avoir écarté « la situation criminelle du dossier au motif qu'aucune condamnation pénale ne serait intervenue contre Monsieur B. ».

Le raisonnement des premiers juges, selon l’appelante, reviendrait à « permettre à l'Etat d'invoquer sa propre turpitude car l'Etat ne peut pas se servir de la lenteur de ses services comme argument contre un justiciable et le fait que le présumé coupable ne soit toujours pas jugé 5 ans après la découverte des faits ».

En guise de conclusion, l’appelante demande à voir réformer le jugement a quo, ainsi que les décisions ministérielles entreprises, au motif qu’elle même « ne saurait être sanctionnée pour des faits avec lesquels elle n'a aucun lien factuel, dont elle fut victime au même titre que l'Etat, et ne peut donc se voir reprocher de ne pas avoir vu et/ou remarqué (ce qu'elle ne pouvait pas voir) ».

Le délégué du gouvernement conclut en substance au rejet de l’appel pour manquer de fondement.

La Cour rejoint liminairement les premiers juges en ce qu’ils se sont déclarés incompétents pour connaître de la demande principale tendant à voir réformer les deux décisions ministérielles litigieuses, au motif que ni la loi du 2 septembre 2011, ni une quelconque autre disposition légale n’instaure un recours en réformation en la présente matière, seul un recours en annulation ayant partant valablement pu être introduit à leur encontre.

Ceci dit, le cadre légal applicable en l’espèce est tracé par les articles 3 et 4 de la loi du 2 septembre 2011, dans leur version applicable à l’espèce.

L’article 3 en question pose que « l’autorisation d’établissement requise au préalable pour l’exercice d’une activité visée par la présente loi est délivrée par le ministre si les conditions d’établissement, d’honorabilité et de qualification prévues aux articles 4 à 27 sont remplies ».

L’article 4 de ladite loi précise que « l’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui :

1. satisfait aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles;

et 2. assure effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise;

et 3. a un lien réel avec l’entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire, ou salarié;

et 4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée ».

Concernant la condition relative à l’honorabilité professionnelle, l’article 6 de la loi du 2 septembre 2011, dans sa version applicable au litige, précise encore que :

« (1) La condition d’honorabilité professionnelle vise à garantir l’intégrité de la profession ainsi que la protection des futurs cocontractants et clients.

(2) L’honorabilité professionnelle s’apprécie sur base des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l’instruction administrative pour autant qu’ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans.

Le respect de la condition d’honorabilité professionnelle est également exigé dans le chef du détenteur de la majorité des parts sociales ou des personnes en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion ou l’administration de l’entreprise.

(3) Constitue un manquement privant le dirigeant de l’honorabilité professionnelle, tout comportement ou agissement qui affecte si gravement son intégrité professionnelle qu’on ne peut plus tolérer, dans l’intérêt des acteurs économiques concernés, qu’il exerce ou continue à exercer l’activité autorisée ou à autoriser.

(4) Par dérogation au paragraphe (3), constituent d’office un manquement qui affecte l’honorabilité professionnelle du dirigeant:

a) le recours à une personne interposée ou l’intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à la présente loi;

b) l’usage dans le cadre de la demande d’autorisation de documents ou de déclarations falsifiés ou mensongers;

c) le défaut répété de procéder aux publications légales requises par les dispositions légales relatives au registre de commerce et des sociétés ou le défaut de tenir une comptabilité conforme aux exigences légales;

d) l’accumulation de dettes importantes auprès des créanciers publics dans le cadre d’une faillite ou liquidation judiciaire prononcées;

e) toute condamnation définitive, grave ou répétée en relation avec l’activité exercée;

f) tout manquement à l’obligation de l’article 4bis ».

C’est à bon escient qu’en vue d’une juste analyse de ce cadre légal, les premiers juges ont encore mis en évidence le commentaire de l’article 3 du projet de loi n° 61581 devenu l’article 4, point 4. de la loi du 2 septembre 2011, au titre duquel « (…) il doit être certifié par l’Administration des contributions directes, l’Administration de l’enregistrement et des domaines et le Centre commun de la sécurité sociale que le dirigeant de l’entreprise satisfait à [l’] exigence [tenant au défaut de soustraction aux charges fiscales et sociales]. Cette exigence s’inspire de l’article 2 alinéa 5 de la loi modifiée du 28 décembre [1988] qui prévoyait déjà à l’époque qu’en cas de violation des obligations professionnelles, fiscales ou sociales, l’autorisation d’établissement pouvait être refusée ou révoquée. Le présent texte maintient le principe déjà fixé sous la loi modifiée du 28 décembre 1988, tout en l’adaptant à la réalité de 2009. Durant les dernières années, il a en effet pu être constaté qu’il devenait de plus en plus habituel d’accumuler des arriérés auprès des créanciers publics. Dans certains cas particulièrement graves, il a même pu être constaté que certains dirigeants, après avoir accumulé des arriérés auprès des créanciers publics, abandonnaient l’entreprise en temps utile avant la faillite, tout en se relançant aussitôt avec une nouvelle entreprise, en laissant derrière eux des coquilles vides, bourrées de dettes 1 Disponible sous www.chd.lu.

qui végétaient jusqu’à ce qu’elles soient finalement assignées en faillite. Face à de telles constatations, le ministre des Classes moyennes se trouvait souvent dans une situation ambiguë. D’une part, il ne pouvait pas conditionner la délivrance de la nouvelle autorisation d’établissement au paiement des dettes générées par le dirigeant dans le cadre de la société abandonnée. D’autre part, la situation d’espèce ne suffisait souvent pas pour décider que l’honorabilité professionnelle de l’ancien dirigeant était affectée. (…). Le non-respect des obligations fiscales ou sociales, surtout lorsqu’il se termine dans une faillite sera traité plus en détail sous le chapitre relatif à l’honorabilité professionnelle. Le présent article tente cependant de résoudre le problème de l’accumulation des dettes auprès des créanciers publics plus en amont. Désormais, une nouvelle autorisation d’établissement ne pourra être délivrée que si les créanciers publics certifient au ministre des Classes moyennes que le dirigeant n’a pas accumulé, ni en nom personnel, ni au nom d’une autre entreprise qu’il dirige, des dettes auprès d’eux.

Cette disposition a l’avantage d’apprécier la situation du dirigeant dans son intégralité. Le présent article préserve pour le surplus une grande flexibilité en permettant d’éviter toute immixtion du ministre des Classes moyennes dans la politique de recouvrement des créanciers publics. Ainsi, si les créanciers publics émettent des réserves en invoquant l’existence de dettes, la délivrance de l’autorisation d’établissement sera gardée en suspens jusqu’au règlement de toutes les dettes. Par contre, si les créanciers publics, malgré l’existence de dettes, donnent leur accord en se référant par exemple à un arrangement amiable qui serait en cours, l’autorisation d’établissement pourra néanmoins être délivrée. Il est important de noter que le présent article ne concerne que le refus ou la révocation de l’autorisation d’établissement en raison de l’accumulation de dettes auprès des créanciers publics. Il ne touche cependant pas à l’aspect de l’honorabilité professionnelle. (…) ».

Ainsi, une lecture combinée de ces textes permet de dégager que les quatre conditions, énoncées par l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011, qu’un dirigeant d’une entreprise doit remplir en vue de l’obtention d’une autorisation d’établissement apparaissent, d’une part, être cumulatives, et, d’autre part, l’exigence de respect des obligations fiscales et sociales, telle que prévue par le point 4 de l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011, et l’exigence relative à l’honorabilité professionnelle, telle que prévue au point 1 dudit article 4, si elles convergent dans une certaine mesure, elles ne se confondent pas pour autant.

En outre, l’article 4, point 4, de la loi du 2 septembre 2011 autorise le ministre à subordonner l’octroi d’une nouvelle autorisation d’établissement au règlement préalable des dettes accumulées par le dirigeant proposé d’une entreprise soit en son nom personnel, soit par l’intermédiaire d’une entreprise qu’il dirige ou qu’il a dirigée et cette faculté lui est a priori ouverte au-delà de toutes considérations relatives à l’honorabilité professionnelle proprement dite de l’intéressé.

A l’instar des premiers juges, la Cour est partant amenée à retenir qu’en principe, sur base de l’article 4, point 4, de la loi du 2 septembre 2011, le ministre peut, en dehors de toutes considérations d’honorabilité professionnelle, conditionner la délivrance d’une autorisation d’établissement dans le chef d’une personne physique au règlement préalable des dettes publiques de la société qu’elle dirige ou a dirigée, respectivement à un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement détaillé avec les créanciers publics concernés.

En l’espèce, le refus ministériel litigieux a trait à une demande d’autorisation d’établissement sollicitée par l’appelante, Madame (A) pour l’exercice des activités d’« Administrateur de biens et syndic de copropriété, Agent immobilier, Promoteur immobilier, Activités et services commerciaux », à travers la société (G), de laquelle elle détient 2 sur 100 parts sociales émises, le restant des parts sociales étant détenu par la société anonyme (H) S.A., dont l’époux de Madame (A), Monsieur (B) appert être le bénéficiaire économique, d’une part.

D’autre part, ledit refus ministériel est notamment basé sur l’existence de dettes fiscales (not. solde TVA débiteur de …… € suivant décompte de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines (« AED ») en date du 20 février 2018) accumulées par la société (F), déclarée en état de faillite le 18 mai 2018, dont l’époux de Madame (A) détenait 498.000 sur 500.000 parts sociales émises, elle-même ayant détenu 1000 parts sociales, et dont, depuis 2014, les époux (B)-(A) étaient appelés à assurer la gestion.

Ainsi, l’appelante est sans conteste à considérer comme ayant été l’un des dirigeants légaux de la société (F) et cette dernière était au moment de la prise des décisions déférées toujours débitrice à l’égard de l’AED.

Sur ce, il y a lieu de retenir que Madame (A) ne respecte a priori pas l’exigence inscrite à l’article 4, point 4, de la loi du 2 septembre 2011, selon laquelle le dirigent ne doit pas s’être soustrait aux charges sociales et fiscales de la société qu’il a dirigée.

L’appelante entend néanmoins pouvoir être considérée comme s’étant soustraite à cette charge fiscale, c’est-à-dire s’exonérer de toute responsabilité personnelle par la mise en avant d’un argumentaire tendant à imputer la responsabilité afférente au comptable salarié de la société (F) qui, par des manœuvres frauduleuses et dolosives se serait personnellement enrichi au détriment de la société (F), de ses associés et de ses créanciers, notamment publics.

Si la Cour pouvait être encline à suivre l’appelante dans son raisonnement et considérer que la seule existence d’arriérés à l’égard des créanciers publics au niveau d’une entreprise n’est pas à elle seule la preuve indiscutable d’une soustraction aux charges sociales et fiscales dans le chef du ou des dirigeants en fonctions, au sens de l’article 4, point 4, de la loi du 2 septembre 2011, dès lors que des éléments de preuve suffisants permettant de l’imputer à autrui sont rapportés, encore faudrait-il qu’il soit démontré que le dirigeant qui entend se disculper se soit comporté de façon normalement prudente et diligente et qu’il n’apparaisse pas avoir manqué aux obligations lui incombant en tant que dirigeant d’entreprise.

Or, d’un côté, tel n’est précisément pas le cas en l’espèce, où l’appelante se limite essentiellement à pointer les actes du prétendu comptable malhonnête qui aurait eu un pouvoir de signature sur les comptes de la société jusqu’à 2000/3000.- € et à avancer ne pas avoir vu venir les problèmes.

Ce faisant elle omet de dépeindre concrètement son rôle concret au sein de la société (F) et, plus particulièrement, ses actes d’administration et de surveillance concrètement déployés.

D’un autre côté, sur base des éléments à sa disposition, il appert aux yeux de la Cour que la gestion financière journalière de la société (F) paraît avoir essentiellement été délaissée à un comptable qui a pu agir -et ceci sur une période s’étendant sur plusieurs années- sans aucun contrôle direct et efficace de ses faits et gestes, cet état des choses constituant pour le moins un indice d’une structure de supervision déficiente, spécialement au niveau de la conduite d’une société d’une certaine importance avec une centaine de salariés, partant d’une négligence fautive dans le chef des organes de gestion qui en ont eu la charge.

Cet indice est d’ailleurs renforcé par le rapport d’activité du curateur de la faillite de la société (F) du 26 septembre 2018, lequel curateur dans ses conclusions est loin d’exonérer l’appelante de toute responsabilité, mais retient que les causes de la faillite (d’après le curateur « le détournement allégué par les dirigeants de fonds par le comptable ») sont « complètement » imputables « au failli/aux différents dirigeants sociaux », la qualité de la gestion de la société faillie ayant par ailleurs été qualifiée d’« insuffisante ».

La mise en balance de ce que notamment les autorités administratives auraient aussi été dupées par le prétendu escroc n’est pas un argument pertinent pour invalider des fautes par négligence.

Sur ce, il convient de retenir en dernière analyse que l’appelante omet d’établir avoir exécuté les pouvoirs et obligations d’administration liés à la fonction de gérant de société qu’elle a acceptée et la soustraction aux charges de la société (F) ci-avant retenue lui reste imputable.

Il s’ensuit que ni le ministre ni par la suite les premiers juges se sont mépris dans leur analyse que l’appelante est à considérer comme s’étant soustraite aux charges fiscales par l’intermédiaire de la société (F), soit d’une société qu’elle a dirigée, depuis sa nomination en 2014, jusqu’à la déclaration en faillite au mois de mai 2018, et la conclusion que de ce fait et en application de l’article 4, point 4, de la loi du 2 septembre 2011, l’autorisation d’établissement sollicitée par elle lui était à refuser tant que les dettes en question n’ont pas été réglées.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel est à rejeter comme n’étant pas fondé.

La demande d’allocation d’une indemnité de procédure de 1.500.- €, formulée par la partie appelante, est à rejeter, les conditions légales n’étant pas remplies en cause.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris du 19 juin 2023;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure, telle que formulée par la partie appelante;

condamne la partie appelante aux dépens de l'instance d'appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour …….

s. …..

s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 novembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49216C
Date de la décision : 28/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-11-28;49216c ?

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