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26/10/2023 | LUXEMBOURG | N°48914C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 26 octobre 2023, 48914C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 48914C ECLI:LU:CADM:2023:48914 Inscrit le 8 mai 2023

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Audience publique du 26 octobre 2023 Appel formé par Madame (A) et consort, … (Chine), contre un jugement du tribunal administratif du 27 avril 2023 (n° 46481 du rôle) en matière de police des étrangers

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 48914C ECLI:LU:CADM:2023:48914 Inscrit le 8 mai 2023

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Audience publique du 26 octobre 2023 Appel formé par Madame (A) et consort, … (Chine), contre un jugement du tribunal administratif du 27 avril 2023 (n° 46481 du rôle) en matière de police des étrangers

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48914C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 8 mai 2023 par Maître Cédric SCHIRRER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à Shanghai (Chine), et de son fils mineur à l’époque, Monsieur (B), né le … à Shanghai, tous deux de nationalité chinoise, ayant élu domicile à l’étude de Maître Cédric SCHIRRER, préqualifié, sise à L-1650 Luxembourg, 6, avenue Guillaume, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 27 avril 2023 (n° 46481 du rôle) par lequel ils ont été déboutés de leur recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 juillet 2021 portant refus d’accorder une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Madame (A) et d’un regroupement familial, sinon d’une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Monsieur (B);

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 juin 2023;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2023 en nom et pour compte des appelants;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 7 août 2023;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 12 octobre 2023.

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1 Le 25 septembre 2020, Madame (A), de nationalité chinoise, sollicita une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 ». Elle introduisit également une demande de regroupement familial, sinon une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de son fils mineur à l’époque, Monsieur (B), sur base respectivement des articles 69 et 78 paragraphe (1), points b) et c) de la même loi.

Par courrier du 14 janvier 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », sollicita différentes pièces afin d’instruire lesdites demandes, pièces que Madame (A) lui fit parvenir par courrier de son mandataire daté du 23 mars 2021.

Par décision du 8 juillet 2021, le ministre refusa de faire droit auxdites demandes sur base des motifs suivants :

« (…) Je me réfère à votre courrier du 7 octobre 2020 reprenant l’objet sous rubrique.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

Le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources conformément à l’article 78, paragraphe (1) point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Les ressources du demandeur sont évaluées par rapport à leur nature et leur régularité en application de l’article 7 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 précitée.

En ce qui concerne les avoirs en banque auprès de la « (CD) » de votre mandante, je me permets d’attirer votre attention sur le fait que ces sommes sont placées en Chine et qu’il n’est donc pas prouvé qu’elles sont immédiatement accessibles et disponibles au Luxembourg.

Vu l’historique de ce même compte, je constate un nombre important de mouvements créditeurs et débiteurs mensuels de plusieurs centaines de milliers de CNY. La stabilité et la pérennité de ces avoirs ne sont donc pas garanties.

Il est par ailleurs de notoriété publique que les standards en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme applicables en Chine diffèrent de ceux applicables au sein de l’Union européenne, de sorte que la légitimité de la provenance des fonds en question est, pour le moins, sujette à caution.

Votre mandante perçoit par ailleurs un loyer sur son compte en Chine. Ce revenu ne peut cependant ni être considéré comme suffisant, vu qu’il n’atteint pas le salaire minimum d’un travailleur non qualifié en vigueur au Luxembourg, ni comme disponible voire immédiatement accessible, étant donné qu’il est viré sur un compte bancaire à l’étranger.

Au vu de ce qui précède et étant donné qu’il n’y pas de regroupant disposant d’un titre de séjour permettant de demander le regroupement familial, je ne peux pas non plus donner de suite favorable à votre demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur (B).

2 À titre subsidiaire, il n’est pas prouvé que votre mandante ou son enfant prouvent les conditions afin de bénéficier d’une autorisation de séjour à d’autres fins dont les différentes conditions sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août précitée.

Par conséquent, l’autorisation de séjour est refusée à Madame (A) et à son fils, Monsieur (B) sur base de l’article 101, paragraphe (1) point 1. de la loi du 29 août précitée.

(…) ».

Par courrier du 12 août 2021, Madame (A) fit introduire un recours gracieux auprès du ministre, qui resta sans réponse.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2021, Madame (A) fit introduire, en son nom et en nom et pour compte de son enfant mineur à l’époque, (B), un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 8 juillet 2021 portant refus de lui accorder une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, ainsi qu’à son fils sur base des points c) et d) du même article, et refusant, par ailleurs, le regroupement familial dans le chef de ce dernier sur le fondement de l’article 69 de ladite loi.

Par jugement du 27 avril 2023, le tribunal administratif reçut le recours en la forme, au fond, le déclara non justifié, partant en débouta les demandeurs, le tout en rejetant leur demande en allocation d’une indemnité de procédure et en les condamnant aux frais de l’instance.

Les premiers juges ont en substance retenu que Madame (A) n’avait pas établi être en mesure de vivre de ses seules ressources financières.

Concernant le refus de la demande de regroupement familial sur base de l’article 69 de la loi du 29 août 2008 dans le chef de Monsieur (B), les premiers juges ont considéré que le recours « à admettre [qu’il] (…) vise également ces demandes, la simple mention de ces refus ministériels à la première page et au dispositif du recours n’est pas suffisante pour pouvoir être considérée comme étant un moyen en droit valablement soutenu », serait à rejeter pour ne pas être soutenu par un moyen concret.

Le 8 mai 2023, les consorts (A)-(B) ont régulièrement fait relever appel de ce jugement.

Après un réexposé de sa situation personnelle et de celle de son fils, ainsi que des faits à la base de la décision ministérielle attaquée, Madame (A) soutient remplir les conditions légales posées par l’article 78, paragraphe 1er, point a), de la loi du 29 août 2008 pour se voir délivrer une autorisation de séjour pour raisons privées pour elle-même et pour son fils.

Ainsi, elle reproche aux premiers juges d’avoir considéré qu’elle n’aurait pas rapporté la preuve de ce qu'elle pourrait vivre de ses ressources personnelles.

Elle fait, plus particulièrement, état de sa possession d’un montant de 1.149.542,52 CNY (équivalent à 143.912,38 €) sur un compte bancaire ouvert auprès de la banque chinoise « (CD) », de disposer d'un portefeuille d'actions d'une valeur équivalente à 155.763,27 € et de jouir de revenus locatifs mensuels de 35.000.- CNY, donc l'équivalent de 4.600 EUR.

Sur ce, Madame (A) estime que le tribunal aurait à tort considéré que le portefeuille 3 d'actions constituerait une ressource a priori bloquée à laquelle elle n'aurait pas accès, d’une part, et que le revenu locatif « de 2.500 CNY, équivalant à 312,98 EUR » serait largement inférieur au montant du salaire social minimum d'un travailleur non qualifié, d’autre part.

En effet, bien que la requête mentionnerait un montant erroné, elle percevrait en réalité un loyer mensuel de 35.000.- CNY, soit 4.600.- €, montant se dégageant du contrat de bail et de l’extrait de compte produits devant le ministre ensemble avec sa demande initiale.

Le fait aurait partant été patent et l'autorité ministérielle n’aurait pas correctement instruit le dossier.

Sur ce, les appelants demandent à voir réformer le jugement entrepris en ce sens en disant pour droit que le seul motif de refus valablement retenu tiré des ressources financières insuffisantes est erroné, les revenus documentés étant manifestement supérieurs au salaire minimum, ceci sur base des seuls revenus locatifs.

La demande de regroupement familial avec son fils mineur, dont elle assumerait seule la garde et qui serait en droit de l’accompagner, serait en conséquence aussi justifiée.

Sans contester le montant des loyers perçus par Madame (A), le délégué du gouvernement relève que les extraits bancaires, effectivement versés au cours de la phase administrative à l’appui de la demande initiale, n’auraient cependant pas figuré parmi les pièces produites à l’appui de la requête introductive de la première instance.

Ensuite, le contrat de bail, difficilement lisible, aurait été conclu pour une durée déterminée de 36 mois, de sorte à prendre fin à un moment donné et le refus ministériel serait justifié de ce seul fait.

Au-delà, même un montant de revenus locatifs supérieurs au salaire minimum qualifié luxembourgeois ne serait pas ipso facto suffisant pour justifier une demande de séjour pour raisons privées En outre, les avoirs en banque de Madame (A) risqueraient de s’épuiser tôt ou tard.

Enfin, concernant la demande de regroupement avec son fils, comme elle aurait été faite sur base de l'article 69 de la loi du 29 août 2008 et concomitamment à la propre demande d'autorisation de séjour pour raisons privées de l'appelante, elle ne serait pas justifiée, car prématurée.

La Cour se doit de constater liminairement qu’au niveau de la question du bien-fondé de la demande en obtention d’un permis de séjour pour raisons privées dans le chef de Madame (A) et, subséquemment dans celui de son fils, elle n’est saisie que de la seule question de la suffisance des ressources financières de Madame (A), les autres éléments de motivation du jugement a quo n’ayant plus été utilement remis dans le débat devant elle, la simple référence par le délégué au mémoire en réponse déposé en première instance n’étant manifestement pas de nature à ce faire.

Ceci dit, la Cour constate ensuite que le refus ministériel en ce qu’il fait état de ce que le loyer que Madame (A) perçoit en Chine constituerait un revenu qui « ne peut cependant ni être considéré comme suffisant, vu qu’il n’atteint pas le salaire minimum d’un travailleur non 4 qualifié en vigueur au Luxembourg, ni comme disponible voire immédiatement accessible, étant donné qu’il est viré sur un compte bancaire à l’étranger » table indubitablement sur une erreur d’appréciation en fait, étant donné qu’il est désormais constant en cause que le montant se dégageant du contrat de bail soumis au ministre permet de dégager un montant mensuel largement supérieur au salaire minimum pointé, étant remarqué que la prétendue indisponibilité immédiate encore relevée n’apparaît a priori pas, à elle-seule, être de nature à conclure à une absence de revenus sous ce rapport.

Cette erreur d’appréciation sur un point qui appert avoir été décisif aux yeux de l’autorité ministérielle est de nature à vicier fondamentalement sa décision de refus et ceci dans ses deux volets et la Cour se doit de la sanctionner en conséquence, l’indication d’un montant erroné tant dans la demande formulée devant le ministre que dans la requête introductive de première instance, qui n’est guère la preuve d’une approche professionnelle et qui a eu pour effet d’induire en erreur, le ministre d’abord, les premiers juges par la suite, sur ce point, n’est pas de nature à ébranler ce constat basique, qu’une instruction administrative normalement diligente aurait pu et dû faire dégager et qui aurait dû être clarifiée au niveau précontentieux en application d’une collaboration active entre administration et administré. En tout cas, les autres éléments de motivation apportés par le représentant étatique ne sont pas de nature à justifier à eux seuls la non-prise en considération du loyer invoqué en tant que ressource financière dans le chef de Madame (A) et à passer outre leur mise en balance.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que par réformation du jugement a quo, la décision de refus du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 juillet 2021 encourt l’annulation dans ses deux volets pour être le fruit d’une erreur d’appréciation des circonstances de fait de la cause.

Ceci dit, au regard notamment des insuffisances patentes au niveau du libellé de la demande adressée au ministre et de la requête introductive de première instance, qui ont largement faussé l’analyse ministérielle, ainsi que celle des premiers juges, la demande des appelants tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le dit justifié;

partant, par réformation du jugement entrepris du 27 avril 2023, annule la décision de refus du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 juillet 2021 dans ses deux volets;

renvoie le dossier devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;

rejette comme non justifiée la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par les appelants;

5 condamne l’Etat aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 octobre 2023 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48914C
Date de la décision : 26/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-10-26;48914c ?

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