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26/10/2023 | LUXEMBOURG | N°48692C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 26 octobre 2023, 48692C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48692C ECLI:LU:CADM:2023:48692 Inscrit le 14 mars 2023

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Audience publique du 26 octobre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …, et Monsieur (B), … (Turquie), contre un jugement du tribunal administratif du 26 janvier 2023 (n° 45428 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de regroupement familial

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48692C ECLI:LU:CADM:2023:48692 Inscrit le 14 mars 2023

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Audience publique du 26 octobre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …, et Monsieur (B), … (Turquie), contre un jugement du tribunal administratif du 26 janvier 2023 (n° 45428 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de regroupement familial

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48692C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 14 mars 2023 par Maître Yasmina MAADI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à L-…, et de son fils majeur, Monsieur (B), né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à …, … (Turquie), dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 26 janvier 2023 (n° 45428 du rôle), par lequel ledit tribunal reçut en la forme leur recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 septembre 2020 rejetant la demande de regroupement familial au bénéfice de Monsieur (B), rejeta ce recours comme étant non justifié et condamna les demandeurs aux dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 14 avril 2023 par Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER pour compte de l’Etat ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 12 mai 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, pour compte de Monsieur (A) et de Monsieur (B) ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 26 mai 2023 par Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH pour compte de l’Etat ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 juin 2023.

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En date du 30 août 2019, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par un courrier du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », du 17 juin 2020, Monsieur (A) fut informé que le statut de réfugié lui était accordé.

Par un courrier daté du 6 août 2020, transmis par son mandataire de l’époque, Monsieur (A) introduisit une demande de regroupement familial en faveur de ses enfants mineurs (C), (D) et (E), ainsi que de son fils majeur (B), résidant avec sa fratrie en Turquie, au motif que ce dernier risquerait d’être expulsé par les autorités turques vers la Syrie, pays dans lequel il serait recherché pour ne pas avoir effectué son service militaire.

Par décision du 24 septembre 2020, le ministre accorda le regroupement familial dans le chef des enfants mineurs (C), (D) et (E), tout en refusant de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef du fils majeur de Monsieur (A) aux motifs suivants :

« (…) J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 10 août 2020.

I. Demande de regroupement familial en faveur de l’enfant majeur de votre mandant Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, le regroupement familial se limite aux descendants célibataires de moins de dix-huit ans.

Etant donné que le fils de votre mandant, Monsieur (B) est né en 2001, il ne remplit en conséquent pas cette condition.

Le regroupement familial lui est en conséquence refusé conformément aux articles 75, point 1 et 101, paragraphe (1), point 1 de la loi du 29 août 2008 précitée.

La présente décision est susceptible de faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif. La requête doit être déposée par un avocat à la Cour dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision.

Cependant, je serais disposé à considérer l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphe (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 précitée à condition de me faire parvenir les documents suivants: (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 décembre 2020, Messieurs (A) et (B), ci-après les « consorts (A-B) », firent introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 24 septembre 2020 dans la seule mesureoù elle porte refus de la demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur (B) sur le fondement de l’article 70, paragraphe (1), point c), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 ».

Dans son jugement du 26 janvier 2023, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta les demandeurs, tout en les condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 14 mars 2023, les consorts (A-B) ont régulièrement relevé appel de ce jugement.

Moyens des parties Les appelants font valoir que Monsieur (B) serait isolé en Turquie et en proie à de graves troubles psychiques en raison de chocs post-traumatiques qui seraient attestés par un rapport d’expertise médicale. Dès lors, il ne serait pas en mesure de subvenir à ses propres besoins en raison de ces troubles d’anxiété généralisés. Ils ajoutent qu’actuellement, Monsieur (B) ne bénéficierait pas d’une prise en charge médicale en Turquie et il n’y vivrait pas dans un environnement sécurisant de nature à lui permettre de surmonter son traumatisme.

Les appelants affirment que si Monsieur (B) venait à être expulsé vers la Syrie, il ne pourrait y survivre car il se serait soustrait au service militaire et de ce fait il risquerait des graves sanctions. Les appelants citent à ce propos un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », du 19 novembre 2020 (C-238/19), dans lequel ladite Cour aurait admis qu’il existerait une forte présomption que le refus d’effectuer le service militaire en Syrie serait un motif pouvant ouvrir droit à la qualité de réfugié. Les appelants ajoutent que la sécurité des demandeurs d’asile syriens sur le territoire turc se serait fortement dégradée et que les autoirités turques masqueraient sous forme de retours prétendument volontaires des expulsions de réfugiés syriens vers la Syrie et donc vers une zone de conflit.

Les appelants affirment qu’ils rempliraient ainsi les conditions de l’article 70, paragraphe (5), point c), de la loi du 29 août 2008 afin de bénéficier du regroupement familial dans le chef de Monsieur (B).

Dans leur mémoire en réplique, les appelants affirment qu’il s’agirait en l’espèce d’une question du respect de l’unité familiale et citent le considérant numéro 8 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ainsi que l’arrêt de la CJUE du 13 mars 2019 (CJUE, 13 mars 2019, E. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-635/17), dans lequel la CJUE aurait pris en compte la vulnérabilité des demandeurs dans le cadre d’un regroupement familial.

Les appelants affirment également qu’une interprétation restrictive de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 entrerait en contradiction avec l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après la « CEDH », imposant le respect de la vie familiale. Ils soutiennent qu’il y aurait des liens particulièrement étroits entre Monsieur (B) et sa famille.

La partie étatique demande la confirmation du jugement en affirmant que les appelants invoqueraient exactement les mêmes arguments qu’en première instance.

La partie étatique remarque néanmoins que la date de naissance de Monsieur (B) ne correspondrait pas à celle du patient renseigné sur le certificat médical non daté fourni par les appelants.Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement affirme que la décision du tribunal administratif (trib. adm., 7 décembre 2021, n°45054 du rôle), invoquée par les appelants, ne serait pas pertinente en l’espèce, puisqu’il s’agirait d’une demande de regroupement familial avec des ascendants et la fratrie du regroupant.

Ensuite, la partie étatique soutient que les appelants ne démontrent pas en quoi la situation de Monsieur (B) serait précaire en Turquie. D’après l’Etat, les craintes éventuelles en ce qui concerne la situation du pays de résidence ou de provenance ne seraient pas pertinentes dans le cadre d’une demande de regroupement familial. En revanche, l’existence des liens de dépendance, autres que les liens affectifs normaux, devrait être prouvée pour invoquer valablement le respect d’une vie familiale. Or, en l’espèce, selon le délégué du gouvernement, les appelants ne rapporteraient pas une telle preuve.

La partie étatique se réfère à un jugement du tribunal administratif du 26 avril 2022 (n° 44489 du rôle), qui aurait été confirmé en appel (Cour adm., 6 décembre 2022, n° 47479C), dans lequel les faits seraient similaires au cas en l’espèce. Or, dans cette décision, les premiers juges auraient refusé d’accorder une demande de regroupement familial en jugeant que les demandeurs n’auraient pas rapporté la preuve qu’il existerait entre le demandeur et son fils majeur des liens de dépendance indispensables justifiant la protection prévue par l’article 8 de la CEDH.

Analyse de la Cour En ce qui concerne le cadre légal pertinent, il convient de relever que les premiers juges l’ont correctement situé en se référant aux dispositions de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel :

« (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre le bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, dispose que :

« (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés ».

Les premiers juges ont correctement analysé ces dispositions en ce sens qu’elles règlent les conditions à partir desquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci.

Les premiers juges ont encore conclu à bon droit que Monsieur (B) étant majeur et célibataire au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial, le refus du ministre d’accorder une autorisation de séjour sur le fondement de l’article 70, paragraphe (1), point c), de la loi du 29 août 2008, est a priori justifié.C’est encore à bon droit que les premiers juges ont conclu que les appelants n’ont pas apporté la preuve que Monsieur (B) est objectivement dans l’incapacité de subvenir à ses propres besoins en raison de son état de santé. En effet, la Cour fait sienne l’appréciation faite par les premiers juges du certificat médical versé par les appelants et arrive à la même conclusion qu’en l’espèce, ce certificat ne permet pas de conclure à une incapacité de Monsieur (B) de subvenir à ses besoins dans son pays d’origine. Les appelants ne sauraient dès lors pas non plus se prévaloir utilement de la disposition de l’article 70, paragraphe (5), point b), de la loi du 29 août 2008.

Il y a partant lieu de conclure que le ministre a valablement pu refuser le regroupement familial au bénéfice de Monsieur (B) sur base de ces deux dispositions légales.

Il convient cependant de vérifier encore si le refus du regroupement familial en application de ces critères et conditions généraux prévues par les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 relativement au regroupement familial de membres de la famille d’un bénéficiaire d’une protection internationale aboutit à un résultat qui se heurte au droit au respect de la vie privée familiale des appelants eu égard à leur situation individuelle et particulière, les appelants invoquant en effet, pour la première fois en instance d’appel, l’article 8 de la CEDH pour contester la validité du refus ministériel.

L’article 8 de la CEDH est libellé comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, se son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, elle existe aussi entre frères et sœurs adultes, ainsi qu’entre parents et enfants adultes, dès lors que des éléments de dépendance renforcés sont vérifiés. Ladite Cour a en effet précisé que « les rapports entre adultes (…) ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux. » (Commission EDH, 10 décembre 1984, S. et S. c. Royaume-Uni (req.

n° 10375/83), D.R. 40, p. 201. En ce sens, voir également par exemple CEDH, 17 septembre 2013, F.N. c. Royaume Uni (req. n° 3202/09), § 36 ; CEDH, 30 juin 2015, A.S. c. Suisse (req.

n° 39350/13), § 49).

En outre, au-delà d’un lien de parenté, la notion de « vie familiale » requiert l’existence d’un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.

En l’espèce, la Cour constate que Monsieur (A) s’est vu reconnaître, par décision ministérielle du 17 juin 2020, le statut de réfugié, de sorte qu’il peut invoquer un droit deséjourner et de rétablir sa vie familiale au Luxembourg et que la faculté de rétablir sa vie familiale dans son pays d’origine, en l’occurrence la Syrie, ne saurait lui être opposée. C’est donc sous cette égide que Monsieur (A) a introduit sa demande de regroupement familial afin de pouvoir recueillir l’ensemble de ses enfants, dont Monsieur (B) en tant que fils aîné.

Suite à la demande afférente de la Cour, les appelants ont encore confirmé que Monsieur (A) est divorcé de son épouse depuis l’année 2016 et que Monsieur (B) vit seul en Turquie avec le soutien financier de son père. L’Etat ne fait par contre pas valoir la possibilité d’un regroupement familial au lieu de résidence de la mère des enfants – qui devrait se situer ailleurs qu’en Syrie au vu du statut de réfugié accordé à Monsieur (A) – comportant l’exercice d’un droit de visite par ce dernier.

Tandis que les enfants (C), (D) et (E) étaient encore mineurs au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial du 6 août 2020, seul Monsieur (B) était déjà âgé de … ans et partant majeur à ce moment et ne rentrait partant plus dans le champ de l’article 70, paragraphe (1), point c), de la loi du 29 août 2008.

Au vœu de l'article 8, paragraphe 2, de la CEDH, l'ingérence étatique dans le droit au respect de la vie privée et familiale doit être nécessaire dans une société démocratique. La vérification de cette exigence appelle le juge à mettre en balance l'ampleur de l'atteinte à la vie familiale dont il est question avec les intérêts de l’Etat, tenant notamment à la protection de l’ordre public.

Or, Monsieur (A) se prévaut de son intérêt légitime à voir rétablir au Luxembourg son unité familiale avec l’ensemble de ses enfants qui avait été interrompue du fait de son départ de la Turquie afin de rejoindre le Luxembourg, tandis que ses enfants étaient restés ensemble en Turquie. En outre, le refus du regroupement familial en faveur du fils aîné en raison du seul fait de sa majorité déjà atteinte au moment de la demande de regroupement familial a eu pour conséquence de le séparer de sa fratrie et de lui rendre impossible une vie familiale continue avec cette dernière et son père alors même qu’aucune vie familiale continue avec la mère ne se trouve avancée en cause. Il s’ajoute que Monsieur (B) est amené à rester tout seul en Turquie alors que l’ensemble de son noyau familial a été réuni au Luxembourg. Finalement, le certificat médical du 25 mars 2021 établit du moins une certaine dépendance de Monsieur (B) d’un encadrement et d’un soutien familiaux afin de stabiliser son état psychique.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments particuliers de l’espèce, la Cour estime que la décision de refus d’un regroupement familial en faveur de Monsieur (B) affecte de manière disproportionnée les intérêts légitimes des appelants, ensemble ceux de la fratrie de ce dernier, par rapport à l’intérêt de l’Etat à contrôler l’immigration et à préserver l’ordre public, de sorte que ladite décision ne respecte pas le principe de proportionnalité prévu par l’article 8, paragraphe (2), de la CEDH.

Il s’ensuit que c’est à tort que le ministre a refusé, à travers sa décision déférée du 24 septembre 2020, le regroupement de Monsieur (B) avec son père (A) et qu’il a accordé ce regroupement avec les seuls enfants mineurs (C), (D) et (E).

Par voie de conséquence, l’appel sous examen est justifié et le jugement entrepris encourt la réformation en ce sens que le recours en annulation dirigé par les appelants contre la décision ministérielle du 24 septembre 2020, dans la mesure où elle porte refus du regroupement de Monsieur (B) avec son père (A), est justifié et qu’en conséquence, ladite décision encourt l’annulation dans la même mesure.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 14 mars 2023 en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation du jugement entrepris du 26 janvier 2023, déclare justifié le recours en annulation dirigé par les appelants contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 septembre 2020, dans la mesure où elle porte refus du regroupement familial de Monsieur (B) avec son père (A), et annule ladite décision dans la même mesure, renvoie l’affaire devant le même ministre en prosécution de cause, condamne l’Etat aux frais et dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 26 octobre 2023 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 octobre 2023 Le greffier de la Cour administrative 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48692C
Date de la décision : 26/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-10-26;48692c ?

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