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19/10/2023 | LUXEMBOURG | N°48822C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 octobre 2023, 48822C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48822C ECLI:LU:CADM:2023:48822 Inscrit le 14 avril 2023 Audience publique du 19 octobre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 mars 2023 (no 46121 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de résiliation de contrat d’employé Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 48822C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 14 avril 2023 par la soci

été en commandite simple KLEYR GRASSO SCS, établie et ayant son siège s...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48822C ECLI:LU:CADM:2023:48822 Inscrit le 14 avril 2023 Audience publique du 19 octobre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 mars 2023 (no 46121 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de résiliation de contrat d’employé Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 48822C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 14 avril 2023 par la société en commandite simple KLEYR GRASSO SCS, établie et ayant son siège social à L-2361 Strassen, 7, rue des Primeurs, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 220509, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par son gérant la société à responsabilité limitée KLEYR GRASSO GP S.à r.l., établie à la même adresse, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 220442, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Henry DE RON, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 7 mars 2023 (no 46121 du rôle) l’ayant débouté de son recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 10 mars 2021 portant résiliation de son contrat de travail en tant que chargé d’enseignement;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 12 mai 2023;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 12 juin 2023 par Maître Henry DE RON au nom de l’appelant;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 10 juillet 2023;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;

1 Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 28 septembre 2023.

Par un contrat à durée déterminée, Monsieur (A) fut engagé, du 1er septembre 2016 au 31 août 2017, en qualité d’assistant pédagogique au Lycée (BC) à …, poste dont il démissionna avec effet au 9 janvier 2017.

Monsieur (A) fut ensuite engagé, sous contrat à durée déterminée, comme chargé d’éducation au même lycée du 9 janvier 2017 au 25 août 2017.

Il fut finalement engagé, par un contrat à durée indéterminée, en qualité de chargé d’enseignement sous le statut de l’employé de l'Etat, à raison d’une tâche partielle de 75 %, au Lycée (BC) à compter du 15 septembre 2017, tâche qui fut augmentée à plein temps à compter de 15 septembre 2020, dans le cadre d’un avenant au contrat du 19 octobre 2020.

Après avoir été, en date du 27 janvier 2021, convoqué au bureau du directeur de son lycée, ci-après « le directeur », pour une prise de position, Monsieur (A) se vit notifier par le directeur le 28 janvier 2021 le courrier suivant :

« (…) Je reviens à notre entretien en mon bureau en date du mercredi 27 janvier 2021 à 14.30 heures à la suite des déclarations précises qui m'ont été rapportées par une élève de notre lycée au sujet d'un comportement à connotation sexuelle dont vous auriez été l'auteur.

En présence de Monsieur le Directeur adjoint, j'ai pris note de votre prise de position corroborant intégralement la version présentée par l'élève.

Vous avez notamment admis vous être retiré aux toilettes en possession du téléphone portable préalablement confisqué à l'élève mineure et d'y avoir photographier avec ledit téléphone votre sexe dénudé en érection avant de remettre le téléphone à l'élève.

Il va sans dire que, même si vous pensiez avoir effacé l'image par après, il s'agit là d'un comportement inapproprié de la part d'un enseignant au contact journalier avec des adolescents et que les faits ont été dénoncés à Monsieur le Ministre aux fins qu'il jugera appropriées.

En votre qualité de chargé d'enseignement, vous devez adopter un comportement irréprochable. Or, les faits que vous avez reconnus avoir commis dans l'enceinte du lycée sont, de par leur nature, susceptibles de donner lieu à scandale et me semblent incompatibles avec les exigences et la dignité de votre fonction et la capacité de l'exercer.

En ma qualité de directeur de l'établissement, j'estime qu'il est plus judicieux et dans l'intérêt de toutes les parties en cause, de vous confier une autre tâche n'impliquant pas de contact régulier avec les élèves, ceci dans l'attente des suites que Monsieur le Ministre entend réserver à cette affaire.

C'est pourquoi je vous attribue désormais une tâche administrative et d'archivage. (…) ».

2Par courrier du 29 janvier 2021, le directeur informa le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après « le ministre », de l’incident afin qu’il puisse donner les suites appropriées à l’affaire.

Par courrier du 5 février 2021, le ministre s’adressa à Monsieur (A) dans les termes suivants:

« (…) Je suis au regret de vous adresser la présente afin de vous informer du fait que j'ai l'intention de procéder à la résiliation de votre contrat de travail à durée indéterminée, conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l'Etat et de l’article L-124-10 du Code du travail, et ce, suite à la réception d'un courrier du directeur du Lycée (BC), Monsieur (D), daté du 29 janvier 2021.

Le motif à la base de cette intention est notamment le suivant :

- en date du mercredi 27 janvier 2021, vous vous êtes servi du téléphone d'une élève afin de photographier votre sexe dans les toilettes du lycée.

J'estime que le fait qui vous est reproché est constitutif d'un motif grave et justifie mon intention de procéder à votre licenciement avec effet immédiat.

Un tel comportement est notamment contraire aux articles 9 et 10 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat.

Aussi, ce reproche justifie le fait que Monsieur (D), directeur du Lycée (BC), ait décidé de vous attribuer une tâche administrative et d'archivage, et ce, afin que vous ne soyez plus en contact direct avec des adolescents.

Finalement, je tiens à vous informer du fait qu'en vertu de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, vous disposez d'un délai de huit jours à partir du jour de la notification de la présente pour présenter vos observations par écrit ou être entendu en personne. Dans ce dernier cas je vous prie de bien vouloir contacter Madame (…), Premier Conseiller de Gouvernement (…) ou Madame (…), Chef de service adjointe à la Direction générale des ressources humaines et des affaires juridiques (…), en vue de la fixation d'une date pour cet entretien. (…) ».

Par courrier du 10 février 2021, Monsieur (A) adressa aux membres de la direction du Lycée (BC) ses excuses, tout en proposant de s’excuser personnellement auprès de l’élève concernée.

Par courrier du 12 février 2021, le ministre de la Fonction publique transmit son avis concernant la résiliation projetée du contrat de travail de Monsieur (A) au ministre, conformément à l’article 5 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, ci-après « la loi du 25 mars 2015 », dans lequel il estima que les faits reprochés, s’ils étaient avérés, rempliraient les critères de gravité pour justifier une résiliation par décision motivée du contrat à durée indéterminée, tout en spécifiant qu’une telle résiliation devrait s’effectuer sur base de l’article 7, paragraphe 1er, de ladite loi et en application de la procédure administrative non contentieuse.

3 Le 25 février 2021, Monsieur (A) fit connaître sa position lors d’une entrevue au ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après « le ministère ».

Par courrier du 26 février 2021, Monsieur (A) s’adressa encore au ministre pour lui demander une copie de son dossier administratif, demande à laquelle le ministre fit droit le 9 mars 2021.

Par décision du 10 mars 2021, le ministre prononça, avec effet immédiat, la résiliation pour motifs graves du contrat de travail de Monsieur (A). Cette décision est libellée comme suit:

« (…) Je fais suite à mon courrier du 5 février 2021 par lequel je vous ai informé de mon intention de procéder à la résiliation de votre contrat pour motifs graves, conformément aux dispositions des articles 5 et 7 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l'État.

Dans le courrier précité, et conformément aux dispositions de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'État et des communes, vous avez été informé du fait que vous disposiez d'un délai de huit jours pour présenter vos observations par écrit ou être entendu en personne.

Suite à votre demande d'entrevue, vous avez été entendu, en personne, le 25 février 2021 au Ministère de l'Éducation nationale en présence de Madame (…), chef de service adjoint du service ressources humaines et de Madame (…), juriste.

Lors de cette entrevue, il a été pris acte de vos observations. Votre aveu partiel quant aux faits vous reprochés et votre profond regret y afférent y ont été actés.

Malgré les explications que vous avez fournies lors de l'entrevue du 25 février 2021, j'estime que votre avenir professionnel auprès de l'État est compromis.

Je suis donc au regret de vous informer que j'ai décidé de procéder, avec effet immédiat, à la résiliation de votre contrat pour motif graves, conformément aux dispositions des articles 5 et 7 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l'État.

Le motif à la base de ce licenciement, qui ressort de mon courrier du 5 février 2021, est notamment le suivant :

- En date du mercredi 27 janvier 2021, vous vous être servi du téléphone d'une élève afin de photographier votre sexe dans les toilettes du lycée.

En conclusion et eu égard aux considérations exposées ci-avant, il ne peut qu'être constaté que le maintien d'une relation de travail saine, basée sur la confiance, est compromis. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2021, Monsieur (A) fit introduire un recours en annulation contre la décision précitée du ministre du 10 mars 2021 pour violation de la loi, sinon pour excès de pouvoir.

4 Par jugement du 7 mars 2023, le tribunal reçut ce recours en la forme en ce qu’il se limite à demander l’annulation de la décision litigieuse, au fond le déclara non justifié et en débouta le demandeur. Il rejeta encore la demande en allocation d’une indemnité de procédure du demandeur et le condamna aux frais de l’instance.

Par requête déposée le 14 avril 2023 au greffe de la Cour administrative, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel du jugement du 7 mars 2023.

A l’appui de son appel, il réitère intégralement l’exposé des faits de sa requête introductive de première instance. Il expose en substance avoir pris, par inadvertance, avec le téléphone portable confisqué à une élève, dans les toilettes du lycée en dehors des heures de cours, une photo de son sexe, qu’il aurait aussitôt effacée, sans savoir que cette manipulation n’effaçait pas de manière permanente la photo prise, mais qu’elle se trouvait toujours dans une rubrique dénommée « récemment effacé », où elle aurait été découverte par l’élève en question après qu’elle ait récupéré son téléphone portable.

En droit, l’appelant soutient que :

- la décision litigieuse violerait l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en ce qu’elle contiendrait une indication erronée des voies de recours;

- cette décision violerait l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, dès lors que le dossier administratif ne lui aurait été communiqué qu’après son audition;

- cette décision violerait la loi en ce qu’elle lui retirerait le bénéfice des dispositions plus favorables du Code du travail lui accordé par le ministre dans son courrier du 5 février 2021;

- cette décision serait viciée, dès lors qu’il n’aurait pas été informé de son droit de se faire assister par un avocat lors de son entretien en méconnaissance de l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et qu’il n’aurait pas été informé de son droit de se faire communiquer son dossier administratif en méconnaissance de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979;

- cette décision méconnaîtrait son droit au respect de sa vie privée, tel que protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), et méconnaîtrait le principe de proportionnalité.

Le délégué du gouvernement sollicite en substance la confirmation du jugement entrepris.

La Cour n’étant pas liée par l’ordre des moyens lui soumis, mais pouvant les toiser suivant les exigences d’une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, il convient en premier lieu d’examiner les moyens ayant trait à la légalité externe de la décision litigieuse avant d’examiner sa légalité interne.

L’appelant réitère en appel son moyen tiré d’une violation de la loi ainsi que des formes destinées à protéger les intérêts privés, en ce que la décision litigieuse comporterait une indication erronée des voies de recours, en méconnaissance des dispositions de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. En effet, la décision litigieuse indiquerait qu’un recours 5en annulation pourrait être introduit contre elle devant le tribunal administratif, alors que l’article 10 de la loi du 25 mars 2015 prévoirait un recours en réformation.

Aux termes de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties (…) doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à laquelle il doit être adressé ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté ».

Ainsi, et comme les premiers juges l’ont retenu à bon droit, en la présente matière de résiliation d’un contrat de travail d’un employé de l’Etat, le tribunal administratif est compétent pour connaître d’un recours en réformation, conformément aux termes de l’article 10, alinéa 1er, de la loi du 25 mars 2015, qui dispose que le tribunal administratif statue comme juge du fond pour connaître des contestations résultant du contrat d’emploi, parmi lesquelles sont comprises celles relatives à la résiliation.

A la suite des premiers juges, la Cour ne peut dès lors que constater que l’indication mentionnée dans la décision litigieuse, selon laquelle un recours en annulation est ouvert contre elle, est erronée.

En vertu du principe général de la sécurité juridique, l’administré doit pouvoir se fier à l’indication des voies de recours mentionnée dans une décision administrative individuelle en application de l’article 14, précité, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Or, il convient de relever qu’en l’espèce, l’appelant a expressément qualifié son recours, dans la requête introductive de première instance, de recours en annulation et qu’il a conclu à la seule annulation de la décision litigieuse, alors même qu’il a mis en exergue le fait que l’article 10, alinéa 1er, de la loi du 25 mars 2015 prévoit un recours en réformation contre une décision de résiliation d’un contrat de travail d’un employé de l'Etat. Il lui aurait dès lors été loisible, en cas de doute, d’introduire tant un recours en réformation qu’un recours en annulation contre la décision litigieuse.

Comme l’appelant se borne à invoquer une violation de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, sans préciser en quoi cette fausse indication des voies de recours dans la décision litigieuse aurait violé concrètement ses droits de la défense, le recours est néanmoins recevable.

Cependant, la Cour est appelée à connaître des moyens d’annulation invoqués devant elle comme juge de la réformation, c’est-à-dire à vérifier si son appréciation se couvre avec celle du ministre et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle du ministre.

Le moyen afférent est partant à rejeter comme non fondé.

L’appelant réitère ensuite son moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 qui aurait pour objet d’instaurer une procédure contradictoire destinée à protéger les droits de la défense de l’administré en lui ménageant une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée. D’après lui, un vrai dialogue devrait être mené entre l’autorité administrative et l’administré, afin que les deux puissent exposer, en connaissance de cause et après réflexion, leurs points de vue respectifs avant la prise de décision.

6 Or, même si la communication du dossier administratif ne serait pas une condition de légalité de la décision administrative, il n’en demeurerait pas moins que la communication du dossier administratif, par courrier du 9 mars 2021, et la prise de la décision du ministre le lendemain, l’auraient empêché de prendre position par rapport au contenu dudit dossier. Cette façon de procéder du ministre aurait violé ses droits de la défense.

Aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d´office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.

Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne.

L’obligation d’informer la partie concernée n’existe que pour autant que l´autorité compétente est à même de connaître son adresse. Les notifications sont valablement faites à l’adresse indiquée par la partie ou résultant de déclarations officielles. ».

Tel que cela a été relevé à juste titre par les premiers juges, cette disposition a pour objet d’instaurer une procédure contradictoire destinée à protéger les droits de la défense de l’administré, lorsque l’administration se propose de prendre, d’une part, des décisions de révocation ou de modification d’office pour l’avenir de décisions qui ont créé ou reconnu des droits et, d’autre part, des décisions en dehors d’une initiative de la partie concernée, c’est-à-dire sans avoir été saisie d’une demande préalable de l’administré concerné.

Il y a tout d’abord lieu de confirmer le tribunal en ce qu’il a retenu l’applicabilité des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en matière de résiliation du contrat de travail d’un employé de l'Etat.

Il convient de vérifier si le dialogue mené en l’espèce entre les parties a été suffisant ou non au regard de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. La question qui se pose est celle de savoir s’il y a eu dialogue insuffisant à tel point que les parties devraient être renvoyées à la case de départ pour que la procédure soit entièrement refaite ab initio.

Tel serait le cas si l’appelant n’avait pas eu, au cours de la procédure menée, une possibilité effective de faire valoir ses observations.

Or, il ressort des éléments et pièces du dossier que l’appelant a été informé, par un courrier du ministre 5 février 2021, des motifs à la base de la décision de résiliation de son contrat de travail. Suite à ce courrier, qui fait expressément référence à l’article 9 précité du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, l’appelant a pu présenter ses observations par rapport à la décision envisagée à deux reprises, à savoir, d’une part, à travers son courrier adressé aux membres de la direction du lycée le 10 février 2021 et, d’autre part, lors de son entretien du 25 février 2021 au ministère.

7Le moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est partant à rejeter comme non fondé.

Si l’appelant fait encore valoir, dans ce contexte, que le dossier administratif ne lui aurait été communiqué que postérieurement à son audition au ministère, la Cour rejoint les premiers juges en leur constat que si tout administré a le droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être, tel que prévu par l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 19179, encore faut-il que pareille communication ait été demandée.

Or, tel que les premiers juges l’ont relevé à juste titre, une telle communication a été demandée par l’appelant pour la première fois dans un courrier du 26 février 2021, soit après son entrevue au ministère le 25 février 2021, de sorte qu’il ne saurait se prévaloir d’un grief résultant d’une absence de communication dudit dossier avant cette date.

Dans la mesure où l’appelant admet lui-même que le dossier administratif communiqué était complet et qu’il ne précise pas quels sont les éléments qui lui auraient fait défaut pour sa prise de position, la Cour, à la suite des premiers juges, ne saurait déceler une quelconque violation des droits de la défense de l’appelant, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est à rejeter pour ne pas être fondé.

L’appelant fait encore plaider qu’en vertu du principe de bonne administration, l’administration aurait une obligation générale d’informer l’administré sur les droits lui conférés par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979, et notamment le droit de se faire assister par un avocat et le droit de se faire communiquer son dossier administratif, et que cette obligation s’imposerait d’autant plus en matière de licenciement avec effet immédiat qui serait assimilable à une sanction disciplinaire.

La Cour rejoint cependant les premiers juges en leur conclusion que l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en vertu duquel notamment toute partie à une procédure administrative a le droit de se faire assister par un avocat, n’impose pas une obligation à l’administration d’informer l’administré de ce droit y prévu, mais il lui appartient de prendre lui-même l’initiative de contacter un avocat pour se faire assister (cf. Cour adm. 18 octobre 2022, n° 47330C du rôle, disponible sous disponible sous www.jurad.etat.lu).

De même, l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 qui prévoit que tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l'être, par une décision administrative prise ou en voie de l'être, ne fait pas obligation à l’administration d’informer l’administré de l’existence de ce droit.

Il suit de ce qui précède que le moyen tiré d’une violation des articles 9 et 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et du principe de bonne administration est à rejeter comme non fondé.

Quant à la légalité interne, s’agissant du moyen tiré d’une violation de la loi en ce que le ministre aurait, dans son courrier du 5 février 2021, indiqué que l’appelant pourrait bénéficier des dispositions du Code du travail, tandis que, dans la décision litigieuse du 10 mars 2021, il ne se serait plus référé auxdites dispositions, après avis du 12 février 2021 du ministre de la 8Fonction publique, dans lequel ce dernier avait précisé que le Code du travail ne serait pas applicable. L’appelant soutient que cette concession de l’application de l’article L.124-10 du Code du travail constituerait un droit acquis que le ministre ne pourrait plus lui retirer.

D’ailleurs, le contrat de travail du 15 septembre 2017 prévoirait expressément l’application de la loi modifiée du 31 juillet 2006 portant introduction d’un Code du travail.

L’appelant en déduit qu’en vertu de l’article L.124-10 du Code du travail, le ministre aurait dû l’entendre et prononcer le licenciement dans le délai d’un mois à compter de la connaissance des faits qui lui auraient été communiqués le 3 février 2021, tandis que le courrier de résiliation daterait du 10 mars 2021, ce qui violerait le régime protecteur du Code du travail.

Les premiers juges ont relevé à bon droit que si la relation entre un employé de l’Etat et son employeur est fondée sur un contrat et le Code du travail en ce qui concerne les formes et les modalités de l’engagement des employés de l’Etat, en vertu du renvoi opéré par l’article 4 de la loi du 25 mars 2015 aux articles L.121-1 à 121-4, L.1221 à L.122-10, L.122-12 et L.122-13 du Code du travail, la résiliation du contrat de travail d’un employé de l’Etat, dès lors que les articles 5, 6 et 7 de la loi du 25 mars 2015 régissant la résiliation du contrat de travail d’un employé de l'Etat ne comportent pas de renvoi aux dispositions du Code du travail, est d’abord soumise au régime spécifique de la loi du 25 mars 2015 et ensuite aux prescriptions générales de la réglementation de la procédure administrative non contentieuse, applicable aux employés de l’Etat, de sorte que le Code du travail n’a pas vocation à s’appliquer en matière de résiliation.

Le fait que le contrat de travail que l’appelant a signé le 15 septembre 2017 dispose que ce contrat sera notamment régi par les dispositions de la loi modifiée du 31 juillet 2006 portant introduction d’un Code de travail, n’est pas de nature à invalider le constat que le Code du travail n’est pas susceptible de régir la résiliation d’un contrat de travail d’un employé de l'Etat, cette référence au Code du travail devant s’entendre, au vu de ce qui vient d’être retenu au paragraphe précédent, à l’engagement de l’employé de l'Etat.

La Cour ne saurait pas non plus suivre l’appelant en son argumentation selon laquelle le ministre n’aurait pas pu lui retirer le bénéfice de l’application de l’article L.124-10 du Code du travail en ce qu’il pourrait prétendre à un droit acquis à cet égard. En effet, ainsi que les premiers juges l’ont relevé à juste titre, le ministre n’avait pas d’autre choix que d’appliquer les articles pertinents de la loi du 25 mars 2015 à la résiliation du contrat de travail de l’appelant. L’erreur commise par le ministre, dans sa lettre du 5 février 2021 informant l’appelant de son intention de résilier son contrat de travail, en ce qu’il s’est basé sur l’article L.124-10 du Code du travail, n’a ainsi pas pu créer un droit acquis dans le chef de l’appelant, ni faire naître une confiance légitime dans son chef, étant donné qu’une telle décision basée sur l’article L.124-10 du Code du travail n’aurait pas été régulière.

Pour le surplus, il convient de relever que la Cour a du mal à suivre le raisonnement de l’appelant, étant donné que si le ministre avait résilié le contrat de travail, en se conformant aux dispositions de l’article L.124-10 du Code du travail, il aurait dû le résilier dans un délai d’un mois, ce qui aurait laissé moins de temps à l’appelant.

Le moyen afférent est partant à rejeter comme non fondé.

Quant au moyen tiré d’une violation du droit au respect de la vie privée, tel que consacré par l’article 8 de la CEDH, du fait que la photo litigieuse aurait été prise en dehors des heures 9de cours et qu’elle aurait été immédiatement supprimée, même si pas définitivement, la Cour est amenée à constater que cette photo a été prise par l’appelant dans l’enceinte du lycée, et plus précisément dans les toilettes réservées aux professeurs, avec le portable qu’il avait confisqué à son élève mineure, de sorte que ces faits ne sauraient être regardés comme relevant de la sphère de la vie privée de l’appelant, le fait que la photo a été prise pendant la pause de midi n’y changeant rien.

Le moyen afférent laisse partant d’être fondé.

Quant au moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité, l’appelant fait valoir que la photo litigieuse aurait été prise en dehors des heures de cours, qu’elle aurait été immédiatement supprimée, quoique non définitivement, et que si elle avait été prise de manière sans doute « imprudente », elle n’aurait cependant pas été accompagnée d’une action ou d’un message à connotation sexuelle, de sorte que le ministre n’aurait pas été fondé à le licencier avec effet immédiat.

Aux termes de l’article 7 de la loi du 25 mars 2015 : « (1) Le contrat de travail à durée indéterminée de l’employé ne peut plus être résilié, lorsqu’il est en vigueur depuis dix ans au moins, sauf à titre de mesure disciplinaire ainsi que pour l’application de la procédure d’amélioration des prestations professionnelles et de la procédure d’insuffisance professionnelle. Pendant la période précédant cette échéance, il peut être résilié par le ministre ou par le ministre du ressort soit pour des raisons dûment motivées, soit lorsque l’employé s’est vu attribuer un niveau de performance 1 par application de l’article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat. (…) ».

Il résulte de cette disposition que le contrat de travail de l’employé de l'Etat, disposant d’une ancienneté de moins de 10 ans, comme c’est le cas en l’espèce, peut être résilié pour des raisons dûment motivées.

La décision du ministre de résilier le contrat de travail de l’appelant repose sur le motif que ce dernier s’est servi, le 27 janvier 2021, du téléphone portable confisqué à une élève mineure pour prendre en photo son sexe dans les toilettes du lycée.

Si l’appelant ne conteste pas sérieusement la matérialité des faits, il essaie toutefois, dans le cadre de la procédure contentieuse, de relativiser les faits en avançant une version des faits légèrement différente selon laquelle il aurait cru qu’il s’agissait de son propre téléphone portable et non celui de son élève, les deux portables étant de même marque, et que la photo aurait été prise à la suite d’une mauvaise manipulation du téléphone au moment où il se trouvait dans la posture d’un homme en train d’uriner.

Il ressort, par contre, de l’attestation testimoniale du 28 janvier 2021 du directeur adjoint (E) du Lycée (BC) que l’appelant a précisé le jour même de l’incident, soit le 27 janvier 2021, qu’il n’avait pas l’intention de prendre une telle photo lorsqu’il a confisqué le téléphone portable de son élève, mais que cette idée lui est venue par après, sans qu’il soit en mesure d’expliquer sa motivation. Dans le même sens, le directeur (D) relate, dans son attestation testimoniale du 28 janvier 2021, que l’appelant a indiqué ne pas avoir confisqué le portable dans l’idée de prendre cette photo et qu’il était d’accord pour dire que celle-ci n’était pas le fruit d’un hasard ou d’une manipulation malencontreuse du téléphone. En outre, l’appelant a indiqué, dans son courrier du 10 février 2021 aux membres de la direction du lycée, que « Ech 10hun och an de vergaangenen Deeg keng Erklärung fir mäi Virgoe vun dësem Dag fonnt, dohier kann ech iech leider keng weider Explicatioune ginn. ».

L’ensemble de ces éléments est dès lors de nature à contredire la version des faits, telle que présentée par l’appelant en phase contentieuse, laquelle semble par ailleurs peu plausible.

Par ailleurs, si l’appelant a déclaré, dans cette même lettre du 10 février 2021, qu’il n’a jamais été dans son intention que l’élève concernée reçoive cette photo ou qu’il aurait des sentiments pour elle, il a toutefois également indiqué avoir cherché une aide psychologique, ce qui est de nature à contredire la déclaration suivant laquelle la photo litigieuse serait le fruit d’une mauvaise manipulation.

Au vu de ce qui précède, il convient de retenir comme établi que l’appelant s’est rendu, pendant la pause de midi, aux toilettes réservées aux professeurs de son lycée, pour prendre en photo son sexe dénudé avec le téléphone portable d’une élève mineure qu’il avait confisqué peu de temps auparavant.

Ce faisant, et peu importe le mobile exact qui a poussé l’appelant à agir de la sorte, il a manqué à ses devoirs découlant des dispositions des articles 9 et 10 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après le « statut général », dispositions applicables aux employés de l'Etat en vertu de son article 1er, paragraphe 5, étant précisé que les termes y énoncés « pour autant que l’employé tombe sous le régime disciplinaire des fonctionnaires de l’Etat » se rapportent uniquement aux articles 44 à 79 du chapitre 14 intitulé « Discipline ».

En effet, l’appelant a ainsi manqué à son devoir de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose (article 9, paragraphe 1er, du statut général) ainsi qu’à son devoir d’éviter, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer et donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public (article 10, paragraphe 1er, du statut général).

Au vu de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion, à l’instar des premiers juges, que la décision du ministre de résilier le contrat de travail de l’appelant, avec effet immédiat, sur la base du motif invoqué, indépendamment des intentions de l’appelant, est amplement justifiée et n’est pas disproportionnée.

Cette conclusion n’est pas invalidée par l’argumentation de l’appelant suivant laquelle il ne serait pas établi qu’il aurait été informé de la possibilité pour le ministre de procéder à une telle résiliation du fait d’une manipulation incorrecte et par erreur de la caméra photo d’un téléphone portable confisqué, que la photographie litigieuse se serait trouvée dans la corbeille de l’application photos du téléphone et qu’il n’aurait pas été suspendu, mais affecté à des tâches administratives suite à la découverte des faits.

En effet, l’appelant ne saurait sérieusement prétendre que le ministre aurait dû l’avertir qu’une manipulation incorrecte ou par erreur de la caméra d’un portable confisqué, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, pouvait mener à la résiliation de son contrat de travail. De même, le fait d’avoir supprimé la photo, quoique non définitivement, avant de remettre le téléphone à l’élève en question ne saurait pas non plus justifier ou relativiser le comportement de l’appelant dès lors qu’il a admis devant la direction de son lycée que l’idée 11de prendre la photo en question lui était venue après avoir confisqué le portable et que ce comportement à lui seul est incompatible avec la fonction d’enseignant. En outre, le fait qu’il ait été affecté, après la découverte des faits, à des tâches administratives par le directeur de son lycée dans l’attente des suites n’est pas de nature à enlever le caractère de gravité au comportement de l’appelant, voire à constituer un obstacle à la résiliation du contrat de travail.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et que le jugement entrepris est à confirmer.

Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 5.000 euros, telle que formulée par l’appelant, est à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le dit non fondé et en déboute l’appelant;

partant, confirme le jugement entrepris du 7 mars 2023;

rejette la demande de l’appelant en allocation d’une indemnité de procédure;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 octobre 2023 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48822C
Date de la décision : 19/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-10-19;48822c ?

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