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10/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49183C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 10 octobre 2023, 49183C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 49183C ECLI:LU:CADM:2023:49183 Inscrit le 18 juillet 2023 Audience publique du 10 octobre 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché du Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 20 juin 2023 (n° 46186 du rôle) dans un litige l’opposant à Monsieur (A), en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 49183C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 18 juillet 2023 par Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER, sur base d’un mandat déliv

ré à ces fins le 27 juin 2023 par le ministre de l’Immigration et de l’As...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 49183C ECLI:LU:CADM:2023:49183 Inscrit le 18 juillet 2023 Audience publique du 10 octobre 2023 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché du Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 20 juin 2023 (n° 46186 du rôle) dans un litige l’opposant à Monsieur (A), en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 49183C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 18 juillet 2023 par Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER, sur base d’un mandat délivré à ces fins le 27 juin 2023 par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dirigé contre un jugement du 20 juin 2023 (n° 46186 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a, par réformation de la décision ministérielle de refus du 31 mai 2021, accordé à Monsieur (A), né le …. à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant à L-… …, …, …, le statut de réfugié et a, dans le cadre de la réformation, annulé l’ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse de Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposé au greffe de la Cour administrative le 4 août 2023 au nom de Monsieur (A) ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 26 septembre 2023.

___________________________________________________________________________

Le 12 novembre 2020, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du 1ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 5 et 11 mars 2021, il fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 31 mai 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé en date du 2 juin 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informa Monsieur (A) qu’il avait rejeté sa demande de protection internationale comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée de la façon suivante :

« (…) Monsieur, J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 12 novembre 2020 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 12 novembre 2020, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 5 et 11 mars 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de ….. en Irak, d'ethnie turque et de confession musulmane chiite.

Monsieur, vous avancez que vous craindriez d'être tué par des milices en cas de retour dans votre pays d'origine et vous expliquez que « Ich werde von Milizen getötet oder ermordet da ich von meinen Wurzeln her kein Iraker bin. Unsere Regierung und Milizen wollen alle vertreiben, die nicht von den Wurzeln her Iraker sind. Ich habe keine Probleme mit einer bestimmten Gruppierung oder Militanten, jedoch bin in meinem Heimatland unerwünscht. » [sic] (p.12/15 du rapport d'entretien).

Dans ce contexte, vous avancez: « Ich bin staatenlos geboren » [sic] du fait que vous seriez d'ethnie turque alors que votre arrière-grand-père se serait établi en Irak pendant l'époque de l'empire ottoman. Vous ajoutez que vous auriez été naturalisé qu'en 1994, année au cours de laquelle vous auriez obtenu la nationalité irakienne par le biais d'un « Sonderbeschluss » [sic] (p.5/15 de votre rapport d'entretien).

2 Vous poursuivez votre récit en relatant divers faits qui seraient survenus entre 2007 et 2018. En 2007, vous auriez échappé à une tentative de meurtre, lors de laquelle des personnes, non autrement identifiées, que vous soupçonneriez être des membres de la milice « Jaysh al-Mahdi » auraient tiré sur vous devant votre domicile, sans néanmoins être à même de donner des indications concrètes. Vous ne relatez aucun autre évènement ou fait qui serait survenu après cet incident pendant presque dix ans.

Vous mentionnez ensuite qu'en 2015, votre frère aurait été enlevé par la milice « Asa'ib Ahl al-Haqq » qui l'aurait interrogé sur sa confession religieuse et l'aurait relâché trois jours plus tard. En 2018, vous et votre oncle auriez reçu une convocation de la part de l'« Asa'ib Ahl al-Haqq », à laquelle vous n'auriez personnellement pas osé donner suite. Vous indiquez cependant que votre oncle s'y serait rendu et qu'il aurait été retrouvé mort quelques jours plus tard sans pouvoir donner des précisions concrètes quant aux circonstances de son décès.

Vous déclarez en outre que : « Meine Probleme waren meistens bei den Behörden. Ich bekam Schwierigkeiten, wenn ich Dokumente beantragen wollte, es war schwer den Reisepass und die Staatsangehörigkeitsurkunde zu erlangen. » [sic] (p.6/15 du rapport d'entretien).

Vous auriez alors décidé de quitter l'Irak en 2018 avec votre épouse et vos enfants.

Vous vous seriez tous légalement rendus en Turquie munis de visas. Vous expliquez que vos visas seraient entre-temps expirés et que votre épouse et vos enfants résideraient actuellement illégalement en Turquie. Vous précisez également que vous auriez à plusieurs reprises prolongé votre propre visa pour la Turquie en faisant plusieurs allers-retours seul en Irak et vous expliquez que : « Dann bekam ich die Gelegenheit nach Europa weiterzureisen. Ich bin nach Irak zurückgereist. Dort habe ich mir einen gefälschten europäischen Reisepass aus Schweden besorgt. » [sic] (p.6/15 du rapport d'entretien). Vous auriez finalement quitté votre pays d'origine en octobre 2020 pour vous rendre à ….. et vous auriez ensuite pris l'avion muni de votre faux passeport suédois afin d'aller en Allemagne.

A l'appui de votre demande, vous présentez votre passeport irakien, votre carte d'identité irakienne et votre certificat de nationalité irakienne, ainsi qu'un acte de décès de votre oncle établi le 25 février 2018 et deux convocations de l'« Asa'ib Ahl al-Haqq » qui vous étaient adressées ainsi que qu'à votre oncle.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays 3tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous avancez craindre d'être dans le collimateur des milices étant donné que vous ne seriez pas originaire d'Irak, alors que votre arrière-grand-père aurait émigré de la Turquie vers l'Irak pendant la période ottomane il y a plus d'un siècle, et que vous n'appartiendriez à aucun clan irakien. Vous faites état de trois incidents isolés qui se seraient déroulés au cours des quinze dernières années. Un premier incident aurait eu lieu en 2007, lors duquel des personnes non autrement identifiées auraient tiré sur vous, un deuxième huit ans plus tard en 2015 lors duquel votre frère aurait été enlevé par des membres d'une milice et relâché trois jours plus tard et un troisième en 2018, lors duquel vous ainsi que votre oncle auriez reçu une convocation de la part de l'« Asa'ib Ahl al-Haqd » et que votre oncle aurait été retrouvé mort après s'y être prétendument rendu.

Il convient avant tout autre développement de souligner que vous faites état de trois incidents qui auraient eu lieu au cours des quinze dernières années pour tenter d'établir que vous seriez depuis plus d'une décennie dans le collimateur de milices ce qui vous aurait conduit à quitter l'Irak en 2018, respectivement 2020.

Vous tentez de lier ces trois faits entre eux pour faire croire que depuis plus de dix ans vous seriez menacé par des prétendues milices. Or, il échet de conclure qu'il n'existe aucun lien établi entre les trois faits que vous relatez.

Premièrement, Monsieur, concernant la prétendue tentative de meurtre, pour laquelle vous n'apportez pas le moindre élément de preuve, il y a lieu de souligner que cet incident remonte à 2007 et qu'il est ainsi trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection internationale en 2021. A cela s'ajoute qu'il découle de vos propres déclarations que depuis 2007, il n'y aurait plus eu aucun incident similaire alors même que vous avez séjourné en Irak jusqu'en 2020.

Quand bien même ce fait serait pris en compte, il convient d'indiquer qu'il ressort de façon claire et non équivoque de vos déclarations que ce fait aurait été perpétré par des personnes non autrement identifiées dont vous supposez uniquement qu'il aurait pu s'agir des membres de la milice « Jaysh al-Mahdi », ce qui reste une pure spéculation de votre part. Ainsi, à défaut d'élément concret on ne saurait conclure que cette prétendue tentative de meurtre serait liée aux critères énumérés par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques respectivement de votre appartenance à un certain groupe social déterminé.

En effet, tant les personnes que leurs motivations sont non identifiées de sorte qu'il ne 4saurait être question de l'existence dans votre chef d'une persécution respectivement d'une crainte fondée de persécution.

Même à supposer que ce fait serait lié à un des critères de fond énumérés par la Convention de Genève et serait d'une gravité suffisante pour valoir comme acte de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, il ressort clairement de vos déclarations que vous n'auriez à aucun moment porté plainte suite à cet incident auprès des autorités de votre pays d'origine, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Deuxièmement, concernant l'enlèvement de votre frère par des prétendus membres de la milice « Asa'ib Ahl al-Haqq » en 2015, force est de constater qu'il s'agit clairement d'un fait non personnel. Des faits non personnels mais vécus par d'autres personnes ne sont susceptibles de constituer une crainte fondée de persécution au sens des prédits textes que si le demandeur de protection internationale établit clans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous vous bornez à émettre des suppositions et des propos très généraux et peu étayés concernant l'enlèvement de votre frère qui aurait, selon vous, prétendument un lien avec votre personne alors que la milice l'aurait interrogé sur sa confession musulmane chiite que vous partagez également.

Toutefois, cette allégation ne repose sur aucun élément concret et vous n'êtes pas à même de donner la moindre précision concrète concernant son enlèvement. Vous ignorez en effet qui aurait perpétré cet acte dont vous supposez uniquement qu'il pourrait s'agir des membres de l'« Asa'ib Ahl al-Haqq ». En effet, concernant le déroulement des faits, vous avancez simplement que : « Sie fragten ihn ob er ein Schiit wäre oder nicht. Sie glaubten meinem Bruder nicht. » et vous ajoutez qu'il aurait été libéré trois jours plus tard parce que:

« Er konnte sie wohl überzeugen. Die Miliz Angehörige sind ungebildete Menschen. Ihre Tätigkeit ist nicht realistisch. » [sic] (p.9/15 du rapport d'entretien), de sorte qu'il y a lieu de retenir qu'aucun lien n'est établi entre vous et l'enlèvement de votre frère.

Quand bien même ce fait aurait un lien quelconque avec vous, notons que la motivation de cet enlèvement entre dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors que vous avancez un motif religieux. Or, ce fait est en plus trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection internationale en 2021. On ne saurait dès lors retenir dans votre chef l'existence d'une crainte fondée de persécution.

5 Même à supposer qu'on le prendrait en compte, il convient de noter que vos craintes sont en l'occurrence purement hypothétiques alors que vous avez encore vécu pendant de nombreuses années en Irak sans que rien ne vous soit arrivé et sans que personne ne se soit approché de vous. Il est important de noter dans ce contexte que vos nombreux allers-retours entre la Turquie et l'Irak démontrent clairement que vous avez vous-même estimé être en sécurité dans votre pays d'origine car une personne réellement en danger ne prendrait pas sciemment ce risque et ce de surcroit à plusieurs reprises.

A cela s'ajoute qu'il ressort de vos déclarations que la police aurait été avertie et qu'une enquête aurait été diligentée, si bien qu'aucun reproche ne saurait être formulé à l'égard des autorités irakiennes qui auraient ainsi exécuté leur mission.

Troisièmement, concernant la convocation que vous auriez reçue de la part de l'« Asa'ib Ahl al-Haqq », force est de constater que ce fait pourrait a priori entrer dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors qu'il s'agirait d'une invitation pour vous poser certaines questions concernant votre appartenance clanique.

Il convient néanmoins de noter que le simple fait de se voir convoquer pour être interrogé respectivement pour discuter de votre appartenance clanique est indéniablement exempte d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme acte de persécution au sens des prédits textes.

Quant au décès de votre oncle, il convient de souligner qu'il s'agit d'un fait non personnel avec lequel vous essayez de créer un lien artificiel avec votre personne alors que votre oncle aurait reçu pareille convocation et qu'il s'y serait rendu. Or, il découle clairement de vos dires que vous ignorez les circonstances de son décès. Vous mentionnez simplement qu'il aurait été retrouvé mort quelques jours plus tard sans néanmoins pouvoir donner une quelconque indication concrète quant aux auteurs et motivations de cet acte. Vous supposez uniquement qu'il aurait pu être tué par des membres de l'« Asa'ib Ahl al-Haqq » suite à cette convocation, or vous n'êtes pas sans savoir qu'il aurait pu être visé par n'importe qui à n'importe quel moment pour n'importe quelle raison, de sorte qu'aucun lien n'est établi en l'espèce entre le décès de votre oncle et votre personne.

Ainsi, il y a lieu de conclure qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Pour être complet, Monsieur, il convient de souligner que vous auriez effectué plusieurs allers-retours en Irak entre 2018 et 2020 et que vous auriez à chaque fois séjourné sur place pendant quelques semaines respectivement mois, de sorte qu'il y a lieu de conclure que vous n'avez manifestement pas estimé la situation suffisamment grave pour définitivement quitter votre pays d'origine. En effet, vous vous trouviez en sécurité en Turquie et vous n'avez pas hésité à retourner plusieurs fois en Irak pour prétendument renouveler votre visa. Or, une personne réellement persécutée ne retournerait pas volontairement et surcroit à plusieurs reprises dans le pays où sa vie serait en danger. Votre situation n'est manifestement pas aussi grave que vous tentez de le faire croire et il est évident que vous cherchez un moyen pour régulariser votre situation alors que depuis un certain temps votre famille séjournerait de manière illégale en Turquie.

Il échet dès lors de conclure que votre crainte d'être dans le collimateur des milices 6respectivement des autorités irakiennes à cause de vos origines est plutôt une crainte hypothétique qui se traduit tout au plus en un sentiment général d'insécurité. Or, des craintes purement hypothétiques et un sentiment général d'insécurité ne sauraient suffire pour établir l'existence dans votre chef d'une crainte fondée de persécution dans votre pays d'origine et ne permettent pas de vous octroyer le statut de réfugié.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Il ressort de vos déclarations que vous basez votre demande en octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur les mêmes motifs invoqués dans le cadre de votre demande en obtention du statut de réfugié. Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.

Monsieur, rappelons que l'incident survenu en 2007 est beaucoup trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection internationale en 2021.

Il en va de même concernant l'incident de 2015, à savoir l'enlèvement de votre frère, il s'agit là aussi d'un incident trop éloigné dans le temps et surtout d'un fait non personnel. De plus, même si un tel incident est certes regrettable, notons toutefois que le fait d'être retenu pendant trois jours et se voir poser des questions sur sa confession religieuse pour ensuite être relâché est clairement exempt d'une gravité particulière et suffisante pour être qualifié de traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 48b de la loi de 2015.

Pareille conclusion vaut pour la convocation que vous auriez reçue en 2018 pour discuter de votre appartenance clanique. En ce qui concerne le décès de votre oncle, rappelons qu'il s'agit également d'un fait non personnel dont vous ne connaissez pas les circonstances exactes.

7De plus, il convient de réitérer que vous n'auriez jamais porté plainte pour aucun des faits que vous relatez de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

Enfin, rappelons que vous auriez effectué plusieurs allers-retours en Irak entre 2018 et 2020 et que vous auriez à chaque fois séjourné sur place pendant quelques semaines respectivement mois, de sorte qu'il y a lieu de conclure qu'ils n'ont manifestement pas estimé la situation suffisamment grave.

Monsieur, il échet de conclure que votre peur tout au plus une crainte hypothétique qui se traduit en un sentiment général d'insécurité, lesquels ne sauraient suffire pour établir l'existence dans votre chef d'un risque de devenir victime d'atteintes graves en cas de retour en Irak.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

 Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine au motif : « Die Milizen sind überall. Unsere Regierung kooperiert mit den Milizen. Wie ich erwähnte, sie besitzen mehrere Ministerien. » (p.12/15 du rapport d'entretien).

Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine. Monsieur, vous déclarez être née et avoir vécu à ….. et que vous seriez de confession musulmane chiite. Vous auriez dès lors pu vous installer dans une autre région de la République d'Irak, notamment dans le sud de votre pays d'origine.

Il convient de remarquer dans ce contexte que les provinces de Kerbala, Najaf, Muthanna, Babil, Missan, Qadissiya, Nasiriya et Bassora sont des régions majoritairement chiites. Il ressort d'un rapport de l'« United Kingdom: Home Office » qu'il n'existe aucun risque réel pour un citoyen ordinaire de voyager dans les régions du sud de l'Irak à partir de …… Ces provinces ne sont pas seulement accessibles par la voie terrestre, mais des nombreuses compagnies aériennes proposent des vols, même internationaux.

Vu la densité de la population dans les grandes villes de ces régions et le fait que les incidents que vous relatez étaient des cas isolés et que la crainte que vous exprimez s'avère être tout au plus un sentiment général d'insécurité, il appert que vous ne soulevez aucune raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

8 Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2021, inscrite sous le numéro 46186 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 31 mai 2021 portant rejet de sa demande de protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par un jugement du 20 juin 2023, le tribunal administratif reçut le recours en réformation en la forme, au fond, le déclara justifié, accorda à Monsieur (A) le statut de réfugié et annula en même temps, dans le cadre du recours en réformation, l’ordre de quitter le territoire, tout en condamnant l’Etat aux frais de l’instance.

Pour arriver à cette conclusion, le tribunal considéra de prime abord que les incidents ayant eu lieu en 2007, respectivement en 2015 ne se trouvaient pas à la base de la demande de protection internationale de Monsieur (A) et porta son analyse sur le seul incident ayant eu lieu en 2018, à savoir une convocation adressée par la milice Asa’ib Ahl al-Haq à Monsieur (A) et à son oncle, ayant pour objet de vérifier ses origines et de son appartenance clanique. Le tribunal arriva à la conclusion que cet incident s’inscrivait sur une toile de fond ethnique et retint l’existence d’un lien suffisant entre le décès de l’oncle et le sort de Monsieur (A) et les risques qu’il en déduit et insista sur la considération selon laquelle les deux intéressés se seraient trouvés dans la même situation, à savoir celle d’être d’origine turque ayant acquis la nationalité irakienne par un décret spécial et ayant tous les deux reçu une convocation identique par la milice précitée. Le tribunal releva dans ce contexte que dans la mesure où l’oncle avait donné suite à la convocation, l’existence d’un lien avec son décès quelques jours après cette convocation serait vérifiée. De plus, au regard des indications du certificat de décès, le tribunal retint l’existence d’un lien entre ce décès et l’entrevue avec les membres de la milice Asa’ib Ahl al-Haq, et conclut que le sort subi par cet oncle serait susceptible d’entrer en ligne de compte par rapport à la crainte de persécution de Monsieur (A) et par suite que ce dernier avait établi une crainte fondée d’être enlevé, voire d’être maltraité sinon tué par la milice Asa’ib Ahl al-Haq à l’instar de son oncle, suite à la convocation reçue par ceux-ci.

S’agissant de la question de la disponibilité d’une protection en Irak, le tribunal retint que la réception d’une convocation de la part d’une milice ne constituerait pas un fait susceptible de faire l’objet d’une plainte, qui ne serait pas susceptible, à défaut d’infraction, d’offrir une protection en amont, de sorte qu’il ne saurait être reproché à Monsieur (A) de ne pas avoir porté plainte à la suite de la convocation litigieuse. Le tribunal en déduisit que Monsieur (A) se trouvait ipso facto dans une situation d’absence de protection face à la menace dont il avait fait l’objet et qui se serait concrétisée par la mort de son oncle.

Enfin, le tribunal écarta la possibilité d’une fuite interne.

9Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 18 juillet 2023, l’Etat a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Arguments des parties A l’appui de son appel, le délégué du gouvernement déclare partager l’analyse des premiers juges en ce qui concerne les incidents remontant à 2007 et 2015, tout en soulignant que ceux-ci ne sauraient en tout état de cause pas justifier la demande de protection internationale de Monsieur (A). Par ailleurs, le délégué du gouvernement critique la conclusion des premiers juges ayant retenu un lien entre l’enlèvement du frère de Monsieur (A) en 2015, voire de l’incident de 2007, et les incidents de 2018.

En ce qui concerne la convocation reçue de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haq, l’Etat donne à considérer que le fait de se voir convoquer pour être interrogé sur son appartenance clanique serait exempt de gravité particulière, tout en soulignant que Monsieur (A) n’aurait fait état d’aucun autre incident rencontré avec la milice litigieuse que ce soit avant la réception de la convocation ou après.

Le délégué du gouvernement remet, par ailleurs, en doute la force probante des deux convocations dont fait état Monsieur (A) dans la mesure où celles-ci seraient ni signées ni datées, de sorte à avoir pu être produites par n’importe quelle personne, voire par l’intimé lui-même, ce d’autant plus que le texte ne serait pas écrit à la main. A défaut de date et de signature, il ne serait, par ailleurs, pas vérifiable si l’intimé et son oncle avaient effectivement reçu ces convocations en 2018 ou si elles leur avaient, le cas échéant, été adressées bien avant.

Pour le surplus, le délégué du gouvernement fait état du fait que l’intimé était depuis 2018 retourné dans son pays d’origine à partir de la Turquie, avant de quitter ce pays pour venir au Luxembourg. Il critique l’analyse des premiers juges à cet égard, tout en insistant que Monsieur (A) était bien retourné volontairement et à plusieurs reprises en Irak et en relevant que même dans l’hypothèse où ces retours étaient motivés par une volonté de renouveler son visa touristique pour la Turquie, tel que Monsieur (A) l’affirme, le fait de rentrer dans le pays dans lequel on s’estime être persécuté suffirait en lui-même pour mettre à mal l’existence de persécutions.

Le délégué du gouvernement avance encore que le père de Monsieur (A), se trouvant nécessairement dans la même situation que son fils en ce qui concerne sa nationalité irakienne et appartenant à la même ethnie turque, vivrait toujours en Irak sans avoir rencontré le moindre problème avec la milice Asa’ib Ahl al-Haq, ce qui confirmerait pareillement le défaut de risque dans le chef de l’intimé.

L’Etat conteste ensuite le lien entre le décès de l’oncle de l’intimé et le propre sort de ce dernier, en faisant valoir que l’intimé ignorerait les circonstances de ce décès, puisqu’il se limiterait à affirmer que son oncle avait été trouvé mort quelques jours après s’être présenté à une convocation, sans néanmoins pouvoir donner une quelconque indication concrète quant aux auteurs et motivations de cet acte, l’Etat relevant que l’affirmation que l’oncle avait pu être tué par les membres d’Asa’ib Ahl al-Haq suite à la convocation reposerait sur des simples suppositions, à défaut de connaître les causes exactes du décès, voire les circonstances précises de celui-ci.

S’y ajouterait encore que l’intimé ne saurait avec certitude si son oncle avait effectivement répondu à la convocation, voire s’il était décédé lors de ou à la suite de cette 10convocation, de sorte que les éléments du dossier ne permettraient pas de conclure que l’oncle avait été tué par la milice litigieuse et a fortiori que l’intimé risquerait le même sort pour avoir reçu aussi une convocation. En tout état de cause et contrairement à ce qui avait été retenu par les premiers juges, la circonstance que l’oncle avait été tué par une arme à feu deux jours après une éventuelle entrevue avec les membres de la milice Asa’ib Ahl al-Haq ne permettrait pas nécessairement de conclure qu’il avait été tué par cette même milice. La seule information concrète à la disposition de l’Etat quant au décès de l’oncle serait la mention figurant sur le certificat de décès selon laquelle l’oncle avait été tué par coups de feu dans la poitrine et dans la tête, tandis que l’auteur et la motivation du meurtre resteraient inconnus et ne sauraient pas être déduits de la seule cause du décès de l’oncle, ce dernier ayant pu être visé par n’importe qui, à n’importe quel moment et pour n’importe quelle raison.

A défaut de preuve quant au moindre rôle actif joué par la milice Asa’ib Ahl al-Haq en rapport avec le décès de l’oncle de l’intimé, tel que par exemple le résultat du rapport d’enquête de la police qui avait mené une enquête, aucun lien ne saurait être établi entre la convocation et le décès, de sorte que celui-ci ne saurait servir d’illustration pour établir la réalité des craintes de l’intimé.

Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que même si les autorités irakiennes collaboraient avec les milices qui rechercheraient l’intimé en raison de son ethnie, il n’en resterait pas moins qu’il aurait pu s’adresser sans problèmes à diverses reprises aux autorités irakiennes pour demander le renouvellement de son visa touristique.

Enfin, le délégué du gouvernement fait valoir qu’il ne serait pas établi que l’intimé ne pourrait pas obtenir une protection de la part des autorités irakiennes, en soulignant qu’il ne s’était pas adressé aux autorités irakiennes pour obtenir une quelconque aide et ce d’autant plus qu’il a pu constater que celles-ci ont bien procédé à une enquête dans le cadre du décès de son oncle. Même si aucune infraction n’avait concrètement été commise en l’espèce, rien ne permettrait de conclure que les autorités irakiennes n’auraient pas entrepris des démarches pour tenter de protéger l’intimé en essayant par exemple de déterminer les auteurs de la convocation et ce d’autant plus si l’intimé leur aurait fait part du fait qu’il supposerait que ceux-ci seraient les éventuelles meurtriers de son oncle.

Pour le surplus, le délégué du gouvernement prend position par rapport à la protection subsidiaire et à la fuite interne.

L’intimé conclut au rejet de l’appel.

Il donne à considérer qu’il ne disposerait d’aucune protection de la part des autorités irakiennes, ce en raison du régime politique en place et de l’insécurité y régnant.

Il fait encore valoir que si, malgré les risques encourus, il était retourné dans son pays d’origine, il l’aurait fait pour des raisons administratives et financières.

Quant à la question de l’existence d’une protection en Irak, il donne à considérer que le fait de demander de l’aide à la police comporterait un risque pour sa vie et reproche à la police irakienne de collaborer avec les milices.

Il ajoute que le gouvernement irakien poursuivrait une politique de séparatisme entre les citoyens irakiens et ceux d’origine différente et fait valoir qu’il ne serait pas considéré par 11les autorités irakiennes comme appartenant à la communauté principalement chiite de son pays, tout en insistant sur ses origines turques.

Quant au courrier adressé à son père, il donne à considérer que le but n’aurait pas été de lui notifier une information, mais de l’intimider, peu importe que le document ne comporte ni de date ni de signature.

Ayant une famille et des enfants, Monsieur (A) déclare qu’il n’aurait pas eu d’autre choix que de s’isoler et de vivre loin d’eux.

En tout cas, les autorités irakiennes seraient désintéressées dans la détresse de leurs citoyens, l’intimé renvoyant à cet égard au lynchage d’un jeune homme de quinze ans en 2019.

En guise de conclusion, il fait état d’un climat anxiogène et de fort danger reconnu sur la scène internationale et un environnement dans lequel les autorités, supposées assurer la protection et la sécurité des citoyens, seraient « menées par la peur, la culpabilité ou la corruption ». Ce serait face à une telle situation extrêmement dangereuse et insoutenable, qu’il aurait pris la décision de quitter son pays d’origine.

Analyse de la Cour La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au 12sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

L’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, à part des chicaneries administratives régulières en raison de son statut d’irakien naturalisé, Monsieur (A) fait état de craintes de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haq en raison du fait qu’il n’est pas originaire de l’Irak - encore que naturalisé - et n’appartient à aucun clan. Pour preuve du sérieux de ses craintes, il veut une convocation qu’il aurait reçue en 2018 de la part de ladite milice dans le but de « poser quelques questions sur [son] appartenance clanique », à l’instar de celle reçue par son oncle qui aurait toutefois été assassiné par arme à feu quelques jours après la convocation.

La Cour constate ensuite que l’intimé ne remet pas en question le constat des premiers juges que les incidents remontant à 2007 et 2015, à savoir une tentative de meurtre dirigée contre lui et l’enlèvement de son frère par la milice précitée pendant quelques jours, ne se trouvent en tant que tels pas à la base de sa demande de protection internationale, de sorte qu’à l’instar des premiers juges, la Cour portera son analyse exclusivement sur la convocation de 2018 et les craintes que l’intimé en déduit, sous réserve de la prise en compte éventuelle des incidents de 2007 et 2015 à titre d’illustration du sérieux des craintes actuelles de l’intimé en relation avec la convocation précitée.

La Cour ne saurait toutefois partager l’analyse des premiers juges selon laquelle Monsieur (A) craint à juste titre des persécutions de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haq en 13raison du fait qu’il n’est pas d’origine irakienne, mais uniquement naturalisé, et n’appartient à aucun clan en Irak.

Force est de prime abord de constater que, selon les explications de Monsieur (A), son arrière-grand-père s’est déjà installé en Irak et que lui-même aurait été naturalisé en 1994, de sorte que les membres de sa famille, ayant tous le même statut que celui dont Monsieur (A) déduit la cause de ses craintes, ont vécu depuis très longtemps en Irak.

A part des chicaneries administratives régulières relatées par Monsieur (A), qui toutefois en tant que telles ne sont pas d’une gravité suffisante pour retenir que l’intimé craint avec raison des persécutions de ce fait dans son pays d’origine, et d’une tentative de meurtre en 2007 par des auteurs inconnus et dans des circonstances restées vagues, qui à défaut de tout autre élément permettant de situer cet incident dans le contexte des craintes actuelles de Monsieur (A) ne justifie pas non plus actuellement ses craintes, Monsieur (A) se prévaut d’une convocation de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haq qu’il aurait reçue en février 2018.

La Cour rejoint de prime abord la partie étatique dans son constat que le fait d’être convoqué par une milice pour être interrogé sur ses origines n’est en tant que tel pas d’une gravité suffisante pour être qualifié de persécution.

Monsieur (A), suivi par les premiers juges, déduit la gravité des faits à partir du décès de son oncle dans la mesure où il fait état d’un lien entre l’assassinat de ce dernier, les convocations reçues et son propre sort, Monsieur (A) craignant en substance subir le même sort que son oncle.

Or, contrairement à l’analyse des premiers juges, ni le décès de l’oncle de Monsieur (A) en février 2018, ni d’ailleurs l’enlèvement de son frère en 2015, sur lequel les premiers juges se sont par ailleurs basés, ne permettent de justifier le caractère sérieux de ses craintes.

Tel que la partie étatique le relève à juste titre, le seul élément constant et vérifié figurant dans le dossier à la disposition de la Cour est un acte de décès de l’oncle établi le 15 février 2018, dont il se dégage que celui-ci a été tué par une arme à feu en février 2018.

En revanche, les circonstances de ce décès restent inconnues, de même que le ou les auteurs du crime. Dans ce contexte, les affirmations de l’intimé (i) que ce serait la milice Asa’ib Ahl al-Haq qui serait à l’origine de l’assassinat, (ii) que cet assassinant se trouverait en relation avec la convocation qu’aurait préalablement reçue l’oncle et (iii) que lui-même risquerait le même sort pour avoir reçu une convocation d’un libellé identique, reposent sur des simples suppositions. Si les premiers juges ont retenu l’existence d’un lien potentiel entre le décès de l’oncle et la réception d’une convocation par Monsieur (A) à partir d’une concomitance dans le temps de ces évènements, force est de constater que la partie étatique met justement en question cette concomitance de temps et de manière plus générale la valeur probante des deux convocations litigieuses dans la mesure où elles ne comportent aucune date, ni d’ailleurs de signature. Au regard de ces contestations de l’Etat, il reste ainsi un doute quant à la date d’établissement des deux convocations et par suite de leur concomitance avec le décès de l’oncle de Monsieur (A). La Cour constate encore que les contestations de l’Etat n’ont pas autrement été rencontrées par l’intimé en instance d’appel, alors qu’il aurait pu faire état d’autres éléments afin de lever les doutes quant aux circonstances du décès de son oncle en produisant par exemple le résultat de l’enquête de la police qui était intervenue suite au décès, tel que cela se dégage des déclarations de Monsieur (A), et du certificat de décès qui fait mention que le décès a été déclaré par le centre de police d’….., ou du moins en donnant des 14explications quant aux suites réservées par la police au décès. La Cour relève encore que le fait que le certificat de décès renseigne comme cause du décès de l’oncle des coups de feu permet uniquement de retenir que celui-ci a trouvé une mort violente, mais ne permet pas de déduire que la milice Asa’ib Ahl al-Haq était nécessairement à l’origine.

Au-delà de ce constat, la Cour relève encore que le lien entre le décès de l’oncle et les convocations reçues et de façon plus générale le sérieux des risques que l’intimé déclare courir en raison de son statut d’irakien naturalisé est encore mis en doute (i) par le fait qu’aucun autre membre de la famille de Monsieur (A), se trouvant pourtant tous dans la même situation quant à la nationalité et quant aux origines, n’a fait l’objet d’une convocation de la part de la milice litigieuse, ni après le départ de Monsieur (A) de son pays d’origine ni avant son départ, et (ii) par le fait que Monsieur (A) n’a pas répondu à la convocation n’a pas eu de suites, étant relevé que l’intimé ne fait état d’aucun rappel ou d’autres interventions de la milice par la suite. Tel que la partie étatique le relève à juste titre, si l’intimé a déclaré lors de son entretien que seuls les hommes seraient visés par la milice et non pas les femmes, il convient de relever que le père de l’intimé n’a pas connu de difficultés similaires. Si par ailleurs, l’intimé déclare que son frère aurait été enlevé par la milice Asa’ib Ahl al-Haq, la Cour constate que cet incident a eu lieu en 2015, sans que depuis il n’y ait eu un quelconque incident et que, de plus, l’intimé admet lui-même que son affirmation que ladite milice se trouve à l’origine de l’enlèvement repose sur des simples suppositions1.

Au-delà de ces interrogations, la Cour constate encore, à l’instar de la partie étatique, que le comportement adopté par Monsieur (A) après avoir quitté l’Irak avec sa famille pour rejoindre la Turquie ne correspond pas à celui d’une personne se sentant réellement en danger dans son pays d’origine. En effet, selon ses propres déclarations, Monsieur (A) est resté de 2018 à 2020 en Turquie et est au cours de cette période retourné à itératives reprises en Irak2, ces retours étant, contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, susceptibles d’être pris en compte dans l’examen du sérieux de ses craintes. En effet, une personne se sentant réellement en danger dans son pays, et en l’occurrence celle qui estime être en danger de mort pour ne pas avoir répondu à une convocation d’une milice, qui estime ne pas disposer de la protection des autorités policières de son pays, ni pouvoir s’installer dans une autre partie de son pays pour échapper à ce danger, ne retourne certainement pas de façon volontaire et à itératives reprises dans son pays d’origine dans le simple but de renouveler un visa touristique pour la Turquie où il est parti avec sa famille, mais recherche une protection dans le premier pays sûr dans lequel il arrive. Contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, les retours de Monsieur (A) dans son pays d’origine sont quantifiables, Monsieur (A) ayant, en effet, déclaré être retourné en Irak à 3 ou 4 reprises entre 2018 et 2020 et que la pandémie l’a empêché de le faire par la suite. Par ailleurs, peu importe la durée exacte des retours, des retours même de courte durée sont incompatibles avec le comportement d’une personne se sentant réellement en danger et ce surtout si les retours sont motivés par le simple souci d’obtenir un visa touristique.

S’y ajoute que sur question de l’agent ayant mené l’entretien sur la question de savoir si Monsieur (A) avait rencontré des difficultés en Irak à ses retours, l’intimé a répondu par la négative3.

1 Page 9 du rapport d’entretien « Er wurde seitens des Asaib entführt, ich glaube es jedenfalls » 2 Page 11 du rapport d’entretien « Ich bin insgesamt 3, 4 Mal nach Irak zurückgekehrt. Später konnte ich dies nicht mehr wegen der Coronapandemie ».

3 Page 11 du rapport d’entretien.

15Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à tort que les premiers juges ont retenu que Monsieur (A) craint avec raison de subir des persécutions en cas de retour en Irak et lui ont partant accordé le statut de réfugié. Le jugement du 20 juin 2023 est dès lors à réformer sur le point.

Vu la réformation du jugement du 20 juin 2023 quant à l’octroi du statut de réfugié, et comme Monsieur (A) a encore sollicité l’octroi de la protection subsidiaire, statut par rapport auquel les premiers juges n’avaient par la force des choses pas pris position, il appartient à la Cour de statuer sur le bien-fondé de la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, question par rapport à laquelle les parties ont pris position en instance d’appel.

Au regard de ce que la Cour vient de retenir quant au caractère sérieux des craintes de Monsieur (A) de subir des persécutions, elle est amenée à conclure que Monsieur (A) ne fait pas davantage état de motifs sérieux et avérés de croire que s’il était renvoyé́ dans son pays d’origine, il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, précité, sub a) ou b).

Enfin, si la situation de sécurité reste précaire dans certaines parties de l’Irak, l’intimé n’a pas démontré qu’il existerait un conflit interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015 sur l’ensemble du territoire irakien.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a rejeté aussi la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que comme le jugement entrepris est à réformer en ce qu’il a accordé à l’intimé le statut de réfugié et que la Cour vient de retenir que la protection subsidiaire n’est pas non plus à lui accorder et comme le refus d’octroi de ces statuts est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à réformer en ce qu’il a annulé dans le cadre de la réformation ledit ordre.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation du jugement entrepris du 20 juin 2023, déboute Monsieur (A) de sa demande en obtention du statut de réfugié ;

le déboute encore de sa demande d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire ;

par réformation du jugement du 20 juin 2023, confirme l’ordre de quitter le territoire pris à son encontre ;

condamne l’intimé aux frais et dépens des deux instances.

16 Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé …..

s. … s. CAMPILL 17


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49183C
Date de la décision : 10/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-10-10;49183c ?

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