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03/10/2023 | LUXEMBOURG | N°48681C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 03 octobre 2023, 48681C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48681C ECLI:LU:CADM:2023:48681 Inscrit le 10 mars 2023 Audience publique du 3 octobre 2023 Appel formé par la société anonyme (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 février 2023 (n° 45846 du rôle) en matière d’impôts Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48681C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 10 mars 2023 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN S.A., établie et ayant son siège social à L-1340 Luxembourg, 2, place Winston Churchill, inscrite au registre d

e commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B209469, inscrite ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48681C ECLI:LU:CADM:2023:48681 Inscrit le 10 mars 2023 Audience publique du 3 octobre 2023 Appel formé par la société anonyme (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 février 2023 (n° 45846 du rôle) en matière d’impôts Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48681C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 10 mars 2023 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN S.A., établie et ayant son siège social à L-1340 Luxembourg, 2, place Winston Churchill, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B209469, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Yves PRUSSEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme (AB), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, dirigé contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 2 février 2023 (n° 45846 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré irrecevable son recours tendant à l’annulation du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019, émis à son égard le 24 juillet 2019 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 avril 2023 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 5 mai 2023 par Maître Yves PRUSSEN au nom de l’appelante ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yves PRUSSEN et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 juin 2023.

1 Par un courrier du 20 décembre 2018, la société anonyme (AB), ci-après « la société (AB) », introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », une demande de décision anticipée sollicitant qu’une distribution de bénéfices, affectés préalablement à la réserve de prime d’émission, soit reconnue comme une restitution d’apport afin d’éviter l’application d’une retenue d’impôt de 15 % s’imposant pour une distribution de bénéfices.

Cette demande fut rejetée le 20 mars 2019 par le bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après « le bureau d’imposition ».

Le 24 juillet 2019, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (AB) le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019.

Par un courrier du 29 juillet 2019, une réclamation, signée par Monsieur (C) et Monsieur (D) pour le compte de la société anonyme (EF), ci-après « la société (EF) », mandatée par la société (AB) pour introduire une réclamation, fut introduite contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019 auprès du directeur, réclamation qui est restée sans réponse de l’administration.

N’ayant pas obtenu de réponse du directeur, la société (AB), par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2021, fit introduire un recours tendant à l’annulation du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019, émis le 24 juillet 2019.

Par un jugement du 2 février 2023, le tribunal administratif déclara ce recours irrecevable, tout en rejetant la demande de la société (AB) en allocation d’une indemnité de procédure et en condamnant celle-ci aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 10 mars 2023, la société (AB) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, la société (AB) soutient que ce serait à tort que les premiers juges ont déclaré son recours irrecevable omisso medio au motif que la réclamation n’avait pas été valablement introduite, celle-ci n’ayant pas été signée par une personne autorisée à représenter la société (EF). Elle critique les premiers juges pour avoir retenu qu’il fallait démontrer un mandat spécial accordé par la société (EF) aux deux signataires de la réclamation, alors que la procuration préparée par la société (EF) et signée par la société (AB) ne prouverait pas ce pouvoir donné à ceux qui avaient signé la réclamation. Elle reproche encore au tribunal de s’être appuyé sur les dispositions statutaires de la société (EF), alors que celles-ci auraient trait aux engagements pris par cette société pour se lier elle-même et les procès concernant la société (EF) et non les documents signés pour le compte des clients de la société (EF) et les recours exercés au nom et pour le compte de ses clients. Elle précise que Monsieur (D), d’après la liste des signatures entre-temps publiée par la société (EF), aurait eu, en sa qualité de « partner », à l’époque le pouvoir de signature individuel et que Monsieur (C) avait signé avec lui la réclamation au motif qu’il était mentionné dans la procuration donnée par la société (AB).

L’appelante critique ensuite le tribunal pour avoir négligé le fait que le directeur n’avait pas réagi à la réclamation et qu’il n’avait dès lors pas fait application du paragraphe 254 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO ». Elle 2estime que si l’administration des Contributions directes avait eu des questions concernant le mandat de la société (EF), il lui aurait incombé d’en aviser le contribuable et de demander des précisions, l’administration ne pouvant pas soulever deux années plus tard l’irrecevabilité du recours en contestant la validité de ce mandat.

Elle fait valoir que si l’on appliquait les règles du droit civil, il serait évident qu’un acte préparé sur du papier à entête de la société (EF) par des personnes identifiées par cette société sur son site comme des « partners », donc des personnes à responsabilités au niveau le plus élevé, engage la société (EF), mais dans ce cas, cet acte qu’elle aurait spécifiquement approuvé l’engagerait elle-même qui avait signé la procuration spéciale et non équivoque désignant Monsieur (D) comme celui qui, avec Monsieur (C), devait s’occuper de la réclamation au sein de la société (EF).

L’appelante donne encore à considérer que selon la jurisprudence, la finalité du mandat écrit serait de permettre aux instances saisies de contrôler si la décision d’introduire une réclamation en matière fiscale avait bien été cautionnée par le contribuable, que l’exigence de la justification d’un mandat par le mandataire serait une mesure destinée à protéger le contribuable envers les agissements d’un mandataire qui dépasserait, le cas échéant, ses pouvoirs en déposant une réclamation à son insu et qu’il faudrait éviter un formalisme excessif qui aurait pour effet que la mesure qui est censée protéger le contribuable se retourne contre lui.

Elle estime, par ailleurs, que la question de la détermination des signataires autorisés devrait être considérée comme résolue, étant donné que si lors de l’introduction de la réclamation, les pouvoirs de signature des « partners » de la société (EF) n’avaient pas été officialisés par une liste de signatures déposée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg (RCS), ceci serait désormais fait. Cette liste renseignerait que les pouvoirs de signature de Monsieur (D) existent depuis le 1er janvier 2018 (au moins) et que sa signature unique suffit pour représenter la société (EF) dans ses activités professionnelles, y compris comme mandataire des clients d’(EF).

Se référant ensuite à l’alinéa 1er du paragraphe 102 AO, l’appelante estime que du point de vue de la preuve du mandat, les conditions formelles ne seraient pas pertinentes, puisqu’en l’espèce, une société commerciale aurait donné mandat à une autre société commerciale et que le mandat viserait plus spécifiquement un employé de la société mandataire, chargé de préparer et de présenter la réclamation. La question de la validité du mandat conféré à cette personne relèverait des règles du droit civil et du droit commercial qui seraient identiques, précisant qu’il s’agirait ainsi des règles relatives aux vices de consentement, à la cause du contrat ou à l’absence de contrariété à l’ordre public. Elle se réfère, à cet égard, aux articles 1984 et 1985 du Code civil pour soutenir que le mandat civil pourrait être donné par écrit sous seing privé, par lettre, et même verbalement, et qu’en matière commerciale, la preuve serait libre. Elle en conclut qu’elle aurait donné mandat par écrit à la société (EF) et aurait précisé que dans le contexte de ce mandat, cette dernière serait représentée par Monsieur (D). Les courriers adressés par la société (EF) à l’administration des Contributions directes, suivis de la réclamation signée par Monsieur (D), démontreraient d’ailleurs que ce mandat aurait été accepté et exécuté de la manière prévue. Elle en conclut que le mandat serait valide. Elle estime enfin que si l’administration des Contributions directes avait des questions ou contestations par rapport à la preuve du mandat en cause, elle aurait eu l’obligation d’en aviser le contribuable et de demander des précisions, mais qu’elle ne pourrait pas contester cette preuve deux ans plus 3tard, en renvoyant à cet égard un arrêt de la Cour administrative du 15 juillet 2021 (n° 45739C du rôle).

L’appelante donne encore à considérer que le tribunal aurait, le cas échéant, eu à vérifier si le contribuable avait eu l’intention de mandater ceux qui ont déposé la réclamation afin de poser cet acte, mais n’avait pas à se préoccuper des procédures internes de la société (EF) qui a donné instruction à ses propres salariés de faire le nécessaire, y compris de signer le document à déposer, et d’autant plus que l’un des « partners » aurait été expressément visé par la procuration qu’elle avait donnée à cet effet. Elle s’appuie sur un arrêt de la Cour d’appel du 23 avril 1958 qui aurait retenu « que cette question de mandat et de délégation est en effet une question interne de la société et qu’un tiers n’est pas qualifié pour y intervenir ou pour s’en prévaloir; que la contestation éventuelle de ce mandat et par là de la qualité de la partie demanderesse ne saurait donc regarder que la société et non pas ses adversaires qui sont à cet égard à considérer comme tiers ».

Elle ajoute que le tribunal aurait dû constater qu’une réclamation avait déjà été introduite lors de la déclaration même de la distribution, puisque cette déclaration, signée par l’administrateur-délégué et le directeur financier de la société (AB), aurait déjà contenu la contestation du principe que la distribution serait à considérer comme un dividende soumis à retenue à la source, pour en conclure à la recevabilité de son recours.

L’appelante fait encore valoir que les signatures autorisées permettant d’engager une société ne figureraient pas nécessairement dans un extrait du RCS, les listes de signatures n’étant pas toujours déposées au RCS. Elles seraient cependant tout aussi valides si elles étaient simplement communiquées aux contreparties. Elle insiste encore sur le fait qu’en l’espèce, le problème ne concernerait pas un engagement quelconque de la société (EF), mais l’exécution d’un mandat donné par le client de celle-ci pour le représenter dans le cadre d’une réclamation auprès de l’administration des Contributions directes. En outre, en application de l’article 1985 du Code civil, l’exécution du mandat prouverait son acceptation et le fait que le document à signer a été signé exactement par la personne figurant dans le mandat écrit prouverait que cette exécution a eu lieu conformément aux instructions du mandant. Le fait que la personne en question apparaît en plus sur le site internet de la société (EF) comme l’un des « partners », et en plus comme un des « Key People » ayant la responsabilité comme « head of transfer pricing and the German desk », montrerait que le moyen a été soulevé par la partie étatique non pas dans le but de faire part de craintes légitimes, mais pour tenter d’empêcher que dans ce cas la juridiction n’aborde le fond du dossier.

Sur base de l’ensemble de ces considérations, il conviendrait de réformer le jugement entrepris et de déclarer le recours formé par la société (EF) pour compte de la société (AB) recevable.

Au-delà, l’appelante demande à la Cour d’évoquer l’affaire et de statuer sur le fond, en faisant droit à son recours en annulation formé contre le bulletin d’impôt litigieux.

La partie étatique, pour sa part, conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il retient l’irrecevabilité omisso medio du recours au motif que l’appelante n’a pas introduit de réclamation valable à l’encontre du bulletin litigieux.

Selon le délégué du gouvernement, il ressortirait explicitement du libellé de la procuration que l’appelante a donné mandat à la seule société (EF) et non pas à Monsieur (D) 4pour la représenter. Aux termes de ce mandat, ce dernier n’agirait qu’en qualité de « représentant » et de salarié de la société (EF). Or, le pouvoir de représentation légal de la société (EF) ne serait pas déterminé par le libellé du mandat d’un tiers, mais par les dispositions légales de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, ci-après « la loi du 10 août 1915 », et en particulier son article 441-5.

D’ailleurs, il apparaîtrait à la lecture de l’acte d’appel qu’il n’est pas contesté que seule la société (EF) est à considérer comme mandataire de la société (AB). Le litige porterait donc exclusivement sur la question de savoir si les signataires, au moment de la signature de la réclamation, pouvait valablement agir pour le compte de la société (EF), qui était chargée, dans le cadre de ses activités professionnelles, de défendre les intérêts de l’appelante. Contrairement aux affirmations de l’appelante consistant à dire que le tribunal aurait dû distinguer entre les engagements pris par la société (EF) pour son propre compte et ceux pris pour le compte de ses clients, le droit luxembourgeois des sociétés ne ferait aucune distinction à ce propos, puisque l’article 441-5 de la loi du 10 août 1915 s’appliquerait, de manière indifférenciée, à tout acte juridique posé dans le cadre de son activité.

Le délégué du gouvernement en déduit qu’il serait inexact de prétendre que « le problème ne concerne pas un engagement quelconque de (EF), mais l’exécution d’un mandat donné par le client de (EF) pour le représenter lors de cette réclamation face à l’Administration ». En effet, contrairement aux personnes physiques, les personnes morales, en l’occurrence une société anonyme, pourraient uniquement agir par l’intermédiaire de leurs représentants légaux, dont le pouvoir de représentation extérieur serait strictement encadré par l’article 441-5 de la loi du 10 août 1915, ainsi que par les statuts de la société.

Or, d’après les statuts, la société (EF) ne pourrait être engagée que par la signature individuelle de l’administrateur-délégué ou par la signature conjointe de l’administrateur-

délégué et d’un autre administrateur de la société. Comme les signataires de la réclamation en cause, à savoir Messieurs (C) et (D), ne seraient pas administrateurs de la société (EF), ils ne disposeraient pas du pouvoir de représentation légal pour poser des actes valables à l’égard des tiers au nom et pour le compte de celle-ci.

L’appelante tenterait en vain de remédier à l’absence de pouvoir de représentation dans le chef des signataires de la réclamation en publiant ex post une « liste des signataires autorisés de la société » au RCS le 28 février 2023. Se référant aux dispositions de la loi du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises, le délégué du gouvernement soutient que toute publication relative au pouvoir de représentation d’une société ne serait opposable aux tiers qu’à partir du jour de sa publication, soit en l’occurrence le 28 févier 2023. Il ajoute que l’allégation de l’appelante suivant laquelle une prétendue délégation aurait été décidée par le conseil d’administration de la société (EF) le 1er janvier 2018 ne serait appuyée par aucune pièce probante.

La partie étatique insiste encore sur les dispositions de l’article 441-5 de la loi du 10 août 1915 prévoyant que : « Les limitations apportées aux pouvoirs que les alinéas précédents attribuent au conseil d’administration et qui résultent soit des statuts, soit d’une décision des organes compétents, sont inopposables aux tiers, même si elles sont publiées. ».

Les seules exceptions au monopole de représentation externe du conseil d’administration seraient celles prévues limitativement par la loi : la représentation par un ou plusieurs administrateurs sur base d’une clause statutaire (article 441-5), le délégué à la gestion 5journalière (article 441-10) et (iii) un comité de direction ou un directeur général (article 441-11).

En l’espèce, les statuts de la société (EF) auraient uniquement prévu une délégation de pouvoir de représentation au profit de l’administrateur-délégué ou à ce dernier conjointement avec un autre administrateur.

La publication de la liste des signataires autorisés ne permettrait donc pas de conférer ex post un pouvoir de représentation à Monsieur (D) et/ou à Monsieur (C) au moment de la signature de la réclamation litigieuse, étant donné que l’appelante resterait en défaut de verser une pièce établissant l’existence du pouvoir de représentation au 1er janvier 2018, que l’opposabilité envers les tiers ne jouerait qu’à partir de la publication au RCS et que ni la loi, ni les statuts de l’époque autoriserait une délégation de pouvoir aux signataires en question.

Sur ce, la partie étatique conclut que l’appelante n’a pas introduit de réclamation valable et que le jugement de première instance devrait être confirmé en ce qu’il a déclaré le recours irrecevable omisso medio.

Les premiers juges sont tout d’abord à confirmer en ce qu’ils ont retenu qu’un recours dirigé contre un bulletin d’impôt est irrecevable omisso medio si ledit bulletin et les contestations formulées à son encontre n’ont pas été soumis préalablement pour examen et décision au directeur.

En effet, l’article 8, paragraphe (3), point 3, de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, comme c’est le cas en l’espèce, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », à savoir le bulletin d’impôt litigieux.

Le litige dont la Cour est saisie porte essentiellement sur la question de savoir si une réclamation a été valablement formée par la société (AB) contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de 2019 auprès du directeur.

S’il n’est pas contesté en cause qu’une réclamation a été introduite auprès du directeur contre le bulletin d’impôt litigieux, qui est restée sans réponse, les parties sont toutefois en désaccord sur la question de la régularité de la réclamation ainsi introduite par la société (EF) au nom et pour le compte de la société (AB), la partie étatique estimant que la réclamation n’aurait pas été signée par des personnes habilitées à engager la société (EF).

Les premiers juges sont ensuite également à confirmer en ce qu’ils ont cadré la problématique par rapport au paragraphe 238 AO, qui dispose que: « Befugt, ein Rechtsmittel einzulegen, ist der, gegen den der Bescheid oder die Verfügung ergangen ist. Für seine Vertretung gelten der § 102 Absatz 2 und die §§ 103 bis 110. (…), et par rapport au paragraphe 102 AO, qui dispose que: « (1) Für die Geschäftsfähigkeit von Privatpersonen gelten in Steuersachen die Vorschriften des bürgerlichen Rechts. / (2) Das gleiche gilt von der Vertretung und Vollmacht, soweit in den §§ 103 bis 111 nichts anderes vorgeschrieben ist », et qu’ils en ont déduit que dans la mesure où les paragraphes 103 à 111 AO ne comportent pas de prescription spécifique quant aux conditions que doit remplir un mandat en matière fiscale, ce sont partant les dispositions du Code civil qui sont applicables à ce mandat.

6Les premiers juges ont ainsi retenu à bon droit que dès lors que le paragraphe 102 AO se réfère expressément aux dispositions du droit civil, et donc notamment à l’article 1984 du Code civil, il autorise les contribuables à se faire représenter par un mandataire, que ce soit une personne physique ou une personne morale, dans le cadre notamment de l’introduction d’une réclamation devant le directeur, contre un bulletin d’imposition.

Ainsi, l’article 1987 du Code civil distingue entre le mandat spécial pour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant, tandis que l’article 1988 du même code spécifie que le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration et que s’il s’agit d’aliéner ou d’hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès. L’article 1989 du Code civil précise en outre que le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat.

Or, dans la mesure où l’introduction d’une réclamation contre un bulletin d’impôt déclenche un réexamen de l’imposition par les soins du directeur et que ce réexamen peut, le cas échéant, aboutir, par application du paragraphe 243 AO, à une décision qui est au détriment de celui qui a introduit la réclamation, l’introduction d’une réclamation est à considérer comme excédant un simple acte d’administration, de sorte à requérir l’établissement d’un mandat exprès.

Dès lors, à partir des dispositions des articles 1987, 1988 et 1989 du Code civil et dans la mesure où l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue, le cas échéant, in pejus, présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé, une procuration afférente doit être expresse et spéciale et renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise (cf. Cour adm. 17 juin 2010, n° 26643C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1100 et autres références y citées).

En l’espèce, il ressort des termes de la procuration versée en cause et établie le 1er juillet 2019 (« Die Unterzeichnerin, (AB), (…) (die „Vollmachtgeberin“) erteilt der (EF), (…) (die „Bevollmächtigte“), hiermit die Vollmacht und ermächtigt Herrn (D) sowie Herrn (C) in ihrer Funktion als Angestellte der Bevollmächtigten zur Vertretung der Vollmachtgeberin in folgenden Angelegenheiten: - Vertretung der Vollmachtgeberin bei der Korrespondenz mit der luxemburgischen Finanzverwaltung im Rahmen der Einreichung einer Reklamation im Namen der Vollmachtgeberin gegen den Kapitalertragsteuerbescheid vom 24. Juli 2019, sowie - die Bestellung der Bevollmächtigten als Empfangsbevollmächtigte bzgl.

sämtlicher Korrespondenz mit der luxemburgischen Finanzverwaltung in Bezug auf die eingereichte Reklamation (…) »), que la société (AB) a conféré mandat à la société (EF) afin d’introduire en son nom et pour son compte une réclamation auprès du directeur contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux du 24 juillet 2019, en autorisant Monsieur Olivier (D) et Monsieur (C) en leur fonction d’employés du mandataire à introduire cette réclamation.

Il se dégage ainsi clairement du libellé de la procuration conférée par la société (AB) que celle-ci a donné un mandat exprès et spécial à la société (EF), représentée par Messieurs (D) et (C), afin d’introduire une réclamation devant le directeur, contre le bulletin d’impôt litigieux. Cette intention de la société (AB) de vouloir réclamer contre le bulletin d’impôt en question est d’ailleurs encore confirmée par l’introduction du présent recours.

7S’il est vrai que la finalité du mandat est de permettre aux instances saisies de contrôler que la décision d’introduire une réclamation en matière fiscale a été cautionnée par le contribuable, il convient toutefois de relever que l’exigence de la justification par le mandataire de son mandat, telle qu’inscrite au paragraphe 254 AO, constitue une mesure destinée à protéger le contribuable envers les agissements d’un mandataire qui dépasserait, le cas échéant, ses pouvoirs en déposant une réclamation à l’insu de son mandant, et non pas à protéger le directeur.

Comme le soutient la partie appelante à juste titre, si le directeur avait eu des questions concernant le mandat de la société (EF), il lui aurait été loisible de demander des précisions conformément au paragraphe 254, alinéa (2), AO qui dispose que « Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen », ce qu’il a toutefois omis de faire.

La Cour arrive partant à la conclusion que la société (AB) a bien donné une procuration expresse et spéciale à la société (EF), représentée par Messieurs (D) et (C), pour introduire une réclamation contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019.

Or, la Cour constate que ce n’est pas le mandat conféré par la société (AB) à la société (EF) qui est remis en cause dans la présente affaire par la partie étatique, mais la façon dont ce mandat a été exécuté.

Contrairement à la requête introductive d’un recours contentieux où le contribuable, n’agissant pas par lui-même, doit se faire représenter par un avocat, un réviseur d’entreprises ou un expert-comptable et où le signataire de la requête doit avoir la qualité correspondante, une réclamation peut être introduite par toute personne dûment mandatée. La question de la représentation d’une société mandatée par le contribuable en droit des sociétés n’est par contre pas pertinente pour apprécier la validité d’une réclamation lorsque le mandat fait clairement ressortir que la société désignée et les personnes physiques agissant pour son compte ont reçu un mandat exprès et spécial pour réclamer au nom du contribuable.

Il suit de ce qui précède que la réclamation a été valablement introduite auprès du directeur et que c’est dès lors à tort que le tribunal a déclaré le recours irrecevable omisso medio et qu’il y a lieu, par réformation du jugement entrepris, de le déclarer recevable.

Si la partie appelante conclut à l’évocation par la Cour du fond de l’affaire et que la partie étatique s’en remet à la sagesse de la Cour à cet égard, la Cour considère toutefois, dans le cas où, comme en l’espèce, les premiers juges ont déclaré le recours irrecevable et n’ont pas toisé le fond, dans l’intérêt d’une saine administration de la justice, il est plus opportun de renvoyer l’affaire au fond devant les premiers juges en prosécution de cause, eu égard aux exigences du double degré de juridiction ensemble celles découlant du respect des droits de la défense.

La société (AB) sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 5.000 euros pour l’instance d’appel.

Cette demande est cependant à rejeter, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en l’espèce.

8 PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant, par réformation du jugement entrepris du 2 février 2023, dit que c’est à tort que le tribunal administratif a déclaré irrecevable omisso medio le recours initial du 1er avril 2021;

renvoie le dossier devant le tribunal administratif en prosécution de cause;

déboute la société (AB) de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel;

met les frais de la présente instance d’appel à charge de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

réserve les frais de première instance.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 octobre 2023 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48681C
Date de la décision : 03/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 11/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-10-03;48681c ?

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