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21/09/2023 | LUXEMBOURG | N°48127C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 21 septembre 2023, 48127C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48127C ECLI:LU:CADM:2023:48127 Inscrit le 2 novembre 2022

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Audience publique du 21 septembre 2023 Appel formé par la société anonyme (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 septembre 2022 (n° 45600 du rôle) en matière d’impôt sur le revenu des collectivités, d’impôt commercial communal et de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48127C ECLI:LU:CADM:2023:48127 Inscrit le 2 novembre 2022

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Audience publique du 21 septembre 2023 Appel formé par la société anonyme (AB), …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 septembre 2022 (n° 45600 du rôle) en matière d’impôt sur le revenu des collectivités, d’impôt commercial communal et de retenue d’impôt sur les revenus de capitaux

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48127C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 2 novembre 2022 par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS S.C.S., établie et ayant son siège social à L-3364 Leudelange, 11, rue du Château d’Eau, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par son gérant en fonctions, la société à responsabilité limitée BSP s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-3364 Leudelange, 11, rue du Château d’Eau, elle-même représentée aux fins de la présente procédure par Maître Pol MELLINA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, au nom de la société anonyme (AB), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration en fonctions, ayant repris l’ensemble des actifs et passifs de la société anonyme (CD), ayant eu son dernier siège social à L-…, et ayant été inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 19 septembre 2022 (n° 45600 du rôle), par lequel ledit tribunal se déclara compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2015, 2016 et 2017, tous émis le 17 avril 2019 à l’égard de la société (CD), préqualifiée ; reçut en la forme le recours principal en réformation ; au fond, le déclara partiellement justifié ; partant, par réformation des bulletins d’impôt susmentionnés, dit que les montants de … euros pour l’année 2015, de … euros pour l’année 2016 et de … euros pour l’année 2017, en relation avec l’utilisation de véhicules, n’étaient pas à qualifier de distributions cachées de bénéfices ; confirma lesdits bulletins d’impôt pour le surplus ; dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ces bulletins d’impôt ; débouta la société demanderesse de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 4.000 euros ; fit masse des frais et dépens et les imposa pour deux tiers à la société demanderesse et pour un tiers à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 1er décembre 2022 par Monsieur le délégué du gouvernement Sandro LARUCCIA ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pol MELLINA en ses plaidoiries à l’audience publique du 9 février 2023.

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Il ressort du dossier soumis à l’appréciation de la Cour que la société anonyme (CD), ci-après la « société (CD) », eut pour objet social la fourniture, au Grand-Duché de Luxembourg et à l’étranger, de prestations de conseil en gestion des différents types de logistique et de distributions applicables dans les secteurs automobiles et assimilés.

Par convention de cession d’actions conclue le 9 décembre 2014, la société anonyme (AB), ci-après la « société (AB) », acquit de Madame (E) 210 actions dans la société (CD).

Par convention de cession d’actions séparée également conclue le 9 décembre 2014, la société (AB) acquit de la société (CD) 316 actions dans la société anonyme (FG), ci-après la « société (FG) ». Le paiement du prix de vente – soit … euros – devait être effectué « par transfert bancaires [sic] à hauteur des excédents de trésorerie constatées [sic] dans la société [(AB)] » et la totalité de la dette devait être réglée jusqu’au 9 décembre 2024.

Par convention de cession d’actions conclue le 26 octobre 2015, la société (AB) acquit de Monsieur (H) 100 actions dans la société (CD).

Suite aux contrats de cessions des 9 décembre 2014 et 26 octobre 2015, la société (AB) devint l’unique actionnaire de la société (CD).

Par lettre du 2 janvier 2019, le bureau d’imposition Sociétés Diekirch de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau d’imposition », contacta la société (CD) pour l’informer qu’après examen de ses déclarations fiscales de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune concernant les années 2015, 2016 et 2017, il l’invitait à lui fournir jusqu’au 15 janvier 2019 les pièces et renseignements suivants :

« 2015+2016 :

- Immobilisations financières : modèle 506A ;

- Corrections des « Immobilisations financières » (…€/2015 et …€/2016) : copies des pièces ;

- Créances diverses (?/2015 et …€/2016) : détail du compte ;

- Outillage (…€/2015) : copie de la facture ;

- Tableau d’amortissement 2016 ;

2017 :

- Détail de tous les comptes Bilan et P&P ;

- Tableau d’amortissement 2017 ;

- Pièces justifiant les dépréciation[s] des participations ;

- Pièces justificatives du dividende perçu …€). (…) ».

Par lettre du 14 janvier 2019, la fiduciaire de la société (CD) transmit au bureau d’imposition « les documents demandés, à savoir :

Pour les années 2015 et 2016 :

- Les modèles 506A pour les années 2015 et 2016 - Les corrections des immobilisations financières. Elles correspondent à la liquidation judiciaire de la société (IJ) pour …€ et de la société (KL) pour …€ - Les créances diverses pour 2015 et 2016 - La copie de la facture de …€ pour l’outillage en 2015 - Le tableau d’amortissement 2016 Pour l’année 2017 :

- Le détail de tous les comptes Bilan et P&P - Le tableau d’amortissement - Les pièces justifiant les dépréciations des participations - Pour les …€, il ne s’agit aucunement d’une distribution de dividendes perçus mais l’annulation des participations dans (IJ) et (KL) pour cause de faillite. (…) ».

Par lettre du 21 janvier 2019, remplaçant d’après son objet une lettre du 17 janvier 2019 qui ne figure pas dans le dossier fiscal, le préposé du bureau d’imposition informa la société (CD) qu’il envisageait de s’écarter des déclarations fiscales pour les années 2015, 2016 et 2017, sur le fondement du § 205, alinéa (3), de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », comme suit :

« °A défaut de fournir les pièces à l’appui demandées, les charges suivantes ne seront pas admises :

Correction de valeur participation : …€/2015 et …€/2016, Perte sur créance irrécouvrable : …€/2017, Pas d’exonération de revenus [de] participation[s] importantes 2017.

° Part privée des frais de voitures évaluée à …€/2015, …€/2016 et …€/2017.

° Intérêts 5% sur créances (art.164 LIR) : …€/2015, …€/2016 et …€/2017.

Traitement fiscal : les montants précités seront ajoutés hors bilan au résultat déclaré de l’exercice et soumis à une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de 15%. (…) », tout en l’invitant à formuler ses objections pour le 22 février 2019 au plus tard.

Par lettre du 20 février 2019, la société (CD) transmit au bureau d’imposition, par l’intermédiaire de sa fiduciaire, « les documents demandés, à savoir :

- Les justificatifs sur les corrections de valeurs qui ont été passées (modèles 506A déjà fournis).

- Le détail des frais de voitures 2015,2016 et 2017.

- Il n’y a pas d’intérêt calculé car la somme est due par la maison mère ((AB)) qui détient 100% des actions. (…) ».

Par acte notarié du 1er mars 2019, la société (CD) fut dissoute sans liquidation et tous ses actifs et passifs, y compris ceux encore inconnus à ladite date, furent transférés à la société (AB).

En date du 17 avril 2019, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (CD) les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2015, 2016 et 2017 avec la précision « Distribution cachée de bénéfice, voir explications sur le bulletin de la retenue sur les revenus de capitaux », les bulletins de l’impôt commercial communal pour ces mêmes années, ainsi que les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour ces mêmes années comportant la précision suivante :

« Part privée frais de voitures : [… euros pour l’année 2015, … euros pour l’année 2016, … euros pour l’année 2017] Intérêts sur créances : [… euros pour l’année 2015, … euros pour l’année 2016, … euros pour l’année 2017] Redressement suivant notre lettre du 21.01.2019 et la réponse du 20.02.2019 de votre fiduciaire (courrier du 05.03.2019 resté sans réponse) Voies de recours : voir au verso. (…) ».

Par une lettre recommandée du 4 juillet 2019, reçue par le bureau d'imposition le 9 juillet 2019, la société (CD) fit introduire, par l’intermédiaire de sa fiduciaire, une réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2015, 2016 et 2017. Cette réclamation était libellée dans les termes suivants :

« Par la présente, nous prenons la respectueuse liberté de porter au nom de la société (CD) (mandat joint) réclamation contre les bulletins d’impositions de l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial des années 2015, 2016 et 2017 du 17 avril 2019.

Il ressort de ces bulletins que pour les années 2015, 2016 et 2017 l’Administration a considéré que l’intégralité du montant contenu dans le compte 708800 « refacturation frais voitures » est à assimiler en tant que quote-part privée de véhicule. Cependant, le compte 708800 renferme en fait, comme le démontrent les factures comptabilisées dans ce compte (cf.

annexe 1 et annexe 2), la refacturation intégrale des véhicules détenus par la société International Stratégies au profit des filiales utilisatrices. Il ne saurait donc être question de part privée d’utilisation par les dirigeants.

Concernant les intérêts sur créances, l’Administration a calculé pour 2015, 2016 et 2017 des intérêts sur les deux postes de créances diverses, initialement de …,- euros et …,-

euros. Cependant, notre mandant donne à considérer que la créance de …,- euros est une créance sur la société (AB) résultant d’une cession d’actions qui a eu lieu en date du 09 décembre 2014 (cf. Contrat de cession joint — annexe 3) et que, conformément au contrat signé, le délai de paiement octroyé ne porte pas intérêts. De plus, des intérêts débiteurs de … euros avaient déjà été calculés sur la créance diverse de … euros (cf écriture comptable jointe — annexe 4).

Nous sollicitions votre haute indulgence pour reconsidérer l’imposition des années 2015, 2016 et 2017 en tenant compte des informations et documents soumis. (…) ».

Cette réclamation fut certes enrôlée sous le n° C 26701 du rôle, mais ne fit pas l’objet d’une décision de la part du directeur de l’administration des Contributions directes.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 février 2021, inscrite sous le numéro 45600 du rôle, la société (AB) – ayant repris l’intégralité des actifs et passifs de la société (CD) suite à l’acte notarié susmentionné du 1er mars 2019 –, fit introduire un recours en réformation, sinon en annulation, contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, les bulletins de l’impôt commercial communal et les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2015, 2016 et 2017, tous émis le 17 avril 2019 à l’égard de la société (CD).

Par jugement du 19 septembre 2022, le tribunal se déclara compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre des bulletins d’impôt susmentionnés, le reçut en la forme, au fond, le déclara partiellement justifié, partant, par réformation des bulletins d’impôt susmentionnés, dit que les montants de … euros pour l’année 2015, de … euros pour l’année 2016 et de … euros pour l’année 2017, en relation avec l’utilisation de véhicules, n’étaient pas à qualifier de distributions cachées de bénéfices, confirma lesdits bulletins d’impôt pour le surplus, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ces bulletins d’impôt, débouta la société demanderesse de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 4.000 euros, fit masse des frais et dépens et les imposa pour deux tiers à la société demanderesse et pour un tiers à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 2 novembre 2022, inscrite sous le numéro 48127C du rôle, la société (AB) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

L’appelante précise que son appel est limité en ce qu’il ne porte que sur les trois points suivants : premièrement, la confirmation, par les premiers juges, de l’existence de prétendues distributions cachées de bénéfices en lien avec deux créances que détenait la société (CD) pendant les années d’imposition litigieuses, ainsi que l’application d’un taux d’intérêt injustifié de 5% par l’administration des Contributions directes sur le principal de ces deux créances ; deuxièmement, l’absence de prise en compte, par le tribunal, de son moyen concernant l’absence de retenue à la source sur les distributions cachées de bénéfices ;

troisièmement, le rejet de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure.

L’Etat déclarant ne pas interjeter appel incident et demandant la confirmation intégrale du jugement entrepris, la Cour n’est saisie que des volets de l’affaire tels que circonscrits ci-

avant. Il y a donc lieu d’examiner successivement ces trois volets.

Quant à l’existence de distributions cachées de bénéfices et à la détermination de leur montant Moyens des parties L’appelante cite d’abord plusieurs extraits du jugement entrepris. Dans le premier extrait, le tribunal administratif a retenu qu’il appartenait à la société (AB), conformément à l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », de renverser la présomption de légalité ainsi que de conformité au principe de pleine concurrence dont les bulletins d’impôt litigieux bénéficient, et donc, de démontrer que le taux de 5% retenu par le bureau d’imposition n’est pas conforme au principe de pleine concurrence et d’indiquer quel serait le taux à appliquer pour parvenir à cette conformité. Dans le second extrait, les premiers juges ont conclu que la société (AB) était restée en défaut de renverser cette présomption et que le bureau d’imposition avait donc retenu à bon droit l’existence d’une distribution cachée de bénéfices et appliqué un taux d’intérêt de 5%.

L’appelante estime que ces conclusions du tribunal ne sont pas justifiées. Elle entend donc démontrer que l’approche du tribunal quant à la charge de la preuve est erronée et qu’en l’espèce, le taux d’intérêt retenu par le bureau d’imposition n’est pas conforme au principe de pleine concurrence.

En ce qui concerne d’abord la charge de la preuve, l’appelante signale que le bureau d’imposition n’aurait pas explicitement mentionné les bases légales sur lesquelles il s’est appuyé pour s’écarter des déclarations fiscales de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2015 à 2017 de la société (CD), mais qu’elle comprend que la base légale pertinente est l’article 164, alinéa (3), de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après la « LIR ».

Après avoir rappelé les critères devant être remplis pour retenir l’existence d’une distribution cachée de bénéfices et les règles relatives à la charge de la preuve telles que dégagées par la jurisprudence, elle indique que les premiers juges auraient expressément rejeté l’application de la circulaire du directeur LIR n° 164/1 du 23 mars 1998, ci-après la « circulaire de 1998 » – de laquelle proviendrait le taux de 5% retenu par le bureau d’imposition –, mais qu’ils auraient néanmoins conclu que le bureau d’imposition pouvait appliquer un tel taux. Or, l’Etat n’aurait pas fourni le moindre élément de justification de ce taux, contrairement à l’appelante, dont les développements circonstanciés appuyés de pièces auraient à tort été jugés insuffisants.

L’appelante formule alors plusieurs critiques à l’encontre du raisonnement du tribunal.

Premièrement, les premiers juges auraient considéré à tort que le faisceau de circonstances dont l’administration des Contributions directes doit faire état afin de pouvoir supposer l’existence d’une distribution cachée de bénéfices ne concernerait que le principe d’une telle distribution, à l’exclusion de son quantum. Or, en suivant une telle approche, l’administration des Contributions directes serait libre de mettre en compte n’importe quel taux d’intérêt, aussi déraisonnable soit-il, et il reviendrait au contribuable de démontrer jusque dans les moindres détails qu’il conviendrait d’appliquer un autre taux. Au contraire, selon l’appelante, puisque l’administration des Contributions directes n’aurait nullement justifié le taux appliqué, la Cour devrait réformer le jugement entrepris en retenant que la charge de la preuve, en ce qui concerne le taux à appliquer et donc le quantum des distributions cachées de bénéfices, n’a pas été renversée au détriment de l’appelante.

Deuxièmement, en se contentant d’admettre le taux d’intérêt appliqué par l’administration des Contributions directes, le tribunal aurait contrevenu à l’obligation lui incombant, en tant que juge de la réformation, d’apprécier le litige dans son ensemble. Se fondant sur un jugement du tribunal du 11 janvier 2016 (n° 35320 du rôle), l’appelante estime que face au constat d’un déséquilibre manifeste entre, d’une part, l’absence totale de justification du taux d’intérêt appliqué par le bureau d’imposition et, d’autre part, les explications circonstanciées et documentées de l’appelante, le tribunal aurait dû rechercher par lui-même, sur base des moyens et pièces fournis par les parties, laquelle des thèses opposées était de nature à refléter la meilleure estimation du taux de pleine concurrence.

En ce qui concerne ensuite la démonstration que le taux d’intérêt retenu par le bureau d’imposition n’est pas conforme au principe de pleine concurrence, l’appelante entend apporter des réponses aux interrogations du tribunal ayant conduit ce dernier à qualifier son argumentation d’insuffisante et regrette n’avoir eu connaissance de ces interrogations qu’à la lecture du jugement entrepris, le tribunal ne lui ayant pas demandé de préciser son argumentaire alors que lesdites interrogations auraient pu, selon elle, être facilement rencontrées déjà en première instance.

La société (AB) précise encore qu’elle peut accepter que l’administration des Contributions directes estime qu’en vertu du principe de pleine concurrence, un intérêt doive être appliqué sur les créances que la société (CD) détenait envers des parties liées, à défaut duquel un appauvrissement de la société au profit d’un actionnaire ou intéressé peut le cas échéant exister. En revanche, elle considère que le taux retenu par le bureau d’imposition pour les années 2015 à 2017 n’est pas justifié.

Ainsi, quant au taux d’intérêt à appliquer à la première créance – une créance reclassée comme « autre créance diverse » dans la comptabilité de la société (CD), qui résulterait d’un compte courant administrateur et qui serait détenue à l’encontre de Madame (E), donc d’une personne physique –, elle affirme que pour l’année 2015, un taux d’intérêt de 4,7736% par an aurait bien été appliqué, et que ce taux aurait été supérieur au taux de marché à retenir pour la période en question, de sorte qu’il n’y aurait eu nul appauvrissement de la société (CD). Par conséquent, aucune distribution cachée de bénéfices ne serait à retenir de ce chef. A titre subsidiaire, si par impossible, la Cour validait le taux de 5%, alors seul le complément d’intérêts permettant d’aboutir au taux de 5% serait à qualifier de distribution cachée de bénéfices.

L’appelante rappelle ensuite que la circulaire de 1998 préconisant l’application du taux de 5% ne serait pas opposable au contribuable et ne constituerait pas une source du droit, de sorte que l’administration des Contributions directe ne saurait se contenter de se référer au calcul forfaitaire contenu dans cette circulaire. Après avoir expliqué pourquoi un compte courant administrateur et un crédit à la consommation seraient comparables, elle se fonde sur l’analyse effectuée par la Banque (MN) des taux d’intérêts pratiqués de décembre 2014 à décembre 2017 par les établissements de crédit du Luxembourg, dans le cadre de crédits à la consommation conclus pour une durée entre un et cinq ans, pour souligner que les taux du marché appliqués pendant les périodes litigieuses auraient été sensiblement inférieurs au taux de 5%.

Quant au taux d’intérêt à appliquer à la seconde créance litigieuse – celle résultant de la vente, par la société (CD) à l’appelante, de la participation dans la société (FG), vente à l’occasion de laquelle un délai de paiement de 10 ans, sans application d’intérêts, a été consenti à l’appelante –, elle explique la pertinence de son approche ayant consisté à déterminer le taux applicable en recourant à deux ensembles de données, à savoir, d’une part, une analyse du marché luxembourgeois réalisée par la Banque (MN) au sujet des taux moyens appliqués aux crédits d’un volume inférieur à un million d’euros accordés aux sociétés non financières et, d’autre part, des données de la base de données (OP) relatives aux crédits accordés sur le marché à des débiteurs ayant un profil de risque similaire à celui de l’appelante. L’analyse de ces deux sources d’informations aboutirait à la même conclusion, à savoir que le taux de 5% serait largement exagéré par rapport aux taux pratiqués sur le marché pendant la période litigieuse.

Enfin, l’appelante indique les taux d’intérêts à retenir, qu’elle aurait obtenus en appliquant un taux correspondant à la moyenne arithmétique des taux d’intérêt constatés sur le marché par la Banque (MN) à la fin de l’année précédant l’année fiscale concernée et à la fin de cette année fiscale, à une base constituée de la moyenne arithmétique des soldes des créances respectives au début et à la fin de l’exercice d’exploitation.

De son côté, l’Etat demande la confirmation intégrale du jugement entrepris sur ce volet.

Analyse de la Cour A titre liminaire, la Cour note une certaine confusion quant à la nature et à l’origine de la première des deux créances ayant donné lieu à l’application contestée d’un taux d’intérêt de 5%. Certes, au vu de l’extrait du grand livre de l’exercice 2015 de la société (CD), il y a lieu d’admettre que la créance en question était initialement classée en tant que « compte courant gérant » et qu’au 31 décembre 2015, elle a été reclassée parmi les « autres créances diverses ». Cependant, l’appelante explique qu’il s’agirait d’une créance détenue à l’encontre de Madame (E), alors que l’extrait de l’historique du compte « autres créances diverses » au 31 décembre 2015, fourni par la fiduciaire de la société (CD) en réponse à la lettre du bureau d’imposition du 2 janvier 2019, comporte la mention manuscrite « Prêt personnel à Monsieur (H) [–] Transformation d’un compte courant en dette ».

Quoi qu’il en soit, la Cour note que Madame (E) et Monsieur (H) ont bien été administrateurs de la société (CD) du 26 juin 2006 au 28 janvier 2013, ce qui expliquerait pourquoi la créance a initialement figuré sous le « compte courant gérant » et a ensuite été reclassée parmi les « autres créances diverses » – même s’il aurait été logique de procéder à ce reclassement dès l’année 2013. En outre, tant Madame (E) que Monsieur (H) sont des personnes physiques, de sorte que du point de vue de la nature du débiteur, il est indifférent que le débiteur ait été Madame (E) ou Monsieur (H), voire ces deux personnes.

Il y a donc lieu de retenir que la créance en question avait pour débiteur une personne physique que l’appelante elle-même, dans sa requête d’appel, qualifie de « partie liée » et par rapport à laquelle elle reconnaît qu’un « appauvrissement de la société [(CD)] au profit d’un actionnaire ou intéressé » a pu exister pour les années où aucun intérêt n’a été mis en compte sur la créance détenue à l’encontre de cette personne physique – donc en 2016 et 2017, puisqu’il ressort des comptes versés par l’appelante que la créance a généré des intérêts d’un montant de … euros en 2015.

Quant à la seconde créance, elle avait pour débiteur l’appelante, donc une société, car elle résulte de la cession susmentionnée de 316 actions dans la société (FG) par la société (CD) à l’appelante. L’appelante reconnaît également qu’un « appauvrissement de la société [(CD)] au profit d’un actionnaire ou intéressé » a pu exister pour les années où aucun intérêt n’a été mis en compte sur cette créance, ce qui inclut les années litigieuses en l’espèce.

La Cour note que l’appelante ne remet pas en cause le principe de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices dès lors qu’aucun intérêt ou qu’un intérêt non conforme au principe de pleine concurrence n’a été mis en compte sur les deux créances susmentionnées.

Le point litigieux a finalement uniquement trait au montant de la distribution cachée de bénéfices, le désaccord entre les parties découlant d’abord de leur position opposée sur la charge de la preuve, l’appelante estimant, contrairement à la partie étatique et aux premiers juges, qu’il incombait à l’administration des Contributions directes de justifier le quantum de la distribution cachée de bénéfices.

Quant à la charge de la preuve en matière de distributions cachées de bénéfices Afin de trancher la question de la charge de la preuve dans le cadre des distributions cachées de bénéfices, il convient d’abord de rappeler que, comme relevé à bon droit par les premiers juges, selon l’article 164, alinéa (3), LIR, « [i]l y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».

Le tribunal a également retenu à bon escient qu’au regard de l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 – en vertu duquel « [l]a preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable » –, la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose en premier lieu sur la partie étatique. Plus précisément, dans un premier stade, cette charge repose sur le bureau d’imposition, lequel doit procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever des éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfices. Ainsi, c’est lorsque la partie étatique peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable, qu’elle peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfices ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités.

En revanche, la Cour ne peut faire sienne l’approche du tribunal consistant à considérer que la simple démonstration de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices en son principe entraînerait un renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant alors démontrer l’éventuelle inadéquation du montant retenu par l’administration des Contributions directes et justifier quel serait le montant à retenir.

En effet, comme avancé à juste titre par l’appelante, en suivant une telle approche, l’administration des Contributions directes serait libre, en l’espèce, de mettre en compte n’importe quel taux d’intérêt, aussi déraisonnable soit-il.

Or, au niveau de la détermination des bases d’imposition, il convient de rappeler que l’admission de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices tend non pas à réintégrer dans les comptes sociaux une opération déterminée et le revenu correspondant, mais tend, d’abord, à requalifier l’opération et, ensuite, à annihiler la réduction indue du revenu imposable causée par cette opération de distribution par une opération de correction de bénéfice hors-bilan (cf. Cour adm. 27 juillet 2022, n° 46801C du rôle). Ceci implique nécessairement que l’administration doit non seulement définir concrètement l’opération qu’elle entend requalifier, mais également quantifier la diminution de l’actif (“Vermögensminderung”) ou le défaut d’accroissement de l’actif (“verhinderte Vermögensmehrung”) ayant provoqué la réduction indue du revenu imposable causée par cette opération. Par voie de conséquence, cette quantification doit tendre, sur base de tous les éléments et indices à la disposition de l’administration, à la reconstitution du revenu imposable correct qui aurait dû être soumis à l’impôt si l’opération en question avait été exécutée notamment dans le respect du principe de pleine concurrence et ne saurait se limiter à rajouter un montant quelconque au résultat déclaré.

Cette exigence se justifie également au niveau procédural, étant donné qu’une telle manière discrétionnaire de procéder serait contraire à l’obligation de motivation incombant au bureau d’imposition, que ce soit en vertu du § 205, alinéa (3), AO – lequel vise à protéger les droits de la défense du contribuable en mettant à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas se tenir à la déclaration d’impôt du contribuable, lorsque ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration – ou en vertu du § 211, alinéa (2), points 2 et 4, AO – qui impose au bureau d’imposition de motiver les bases d’imposition retenues dans les bulletins d’impôt qu’il émet, et d’informer le contribuable sur les points par rapport auxquels il n’a pas suivi sa déclaration d’impôt, afin de permettre au contribuable d’assurer la sauvegarde de ses intérêts.

En conclusion, c’est à bon droit que l’appelante critique les premiers juges en ce qu’ils ont retenu que la charge de la preuve du quantum des distributions cachées de bénéfices – et donc du taux d’intérêt à appliquer en l’espèce sur le principal des deux créances susmentionnées – était renversée à son détriment.

Néanmoins, puisque les deux parties au litige ont bien pris position au sujet du taux d’intérêt qu’elles considèrent être justifié, il convient à présent de trancher la question du quantum des distributions cachées de bénéfices, donc, en l’espèce, du taux d’intérêt à appliquer.

Quant au taux d’intérêt à appliquer Le bureau d’imposition n’a pas expliqué pourquoi il avait retenu un taux d’intérêt de 5%. Ce n’est qu’au stade contentieux que la partie étatique, réagissant à l’hypothèse avancée par la société (AB) que le taux litigieux de 5% pourrait provenir de la circulaire de 1998 préconisant l’application d’un tel taux sur les comptes courants débiteurs d’associés, a affirmé que le bureau d’imposition avait bien fait d’appliquer un tel taux, étant donné que le contribuable resterait « en défaut de fournir une analyse du taux en fonction des principes de pleine concurrence [sic] jouant entre entreprises indépendantes ». Par ailleurs, l’Etat a contesté la pertinence des moyens avancés par l’appelante pour justifier le bien-fondé des taux qu’elle préconise d’appliquer et a reproché à cette dernière un défaut de collaboration avec le bureau d’imposition, lequel n’aurait pas eu d’autre choix que de se fonder sur la circulaire de 1998.

La Cour ne peut que souscrire au vœu de la partie étatique qu’un véritable dialogue entre le contribuable et l’administration des Contributions directes ait lieu dès le moment où le bureau d’imposition a des interrogations sur le bien-fondé du traitement fiscal revendiqué par le contribuable, ce qui suppose, d’une part, que le bureau d’imposition s’efforce d’exprimer clairement ses interrogations, et, d’autre part, que le contribuable fasse preuve de diligence et d’exactitude pour répondre à ces interrogations.

Cependant, force est de constater qu’à travers les développements de son mémoire en réponse, l’Etat n’a pas justifié la validité du taux de 5%. En effet, le seul fondement juridique invoqué par l’Etat est la circulaire de 1998. Or, comme souligné par l’appelante et retenu à bon droit par le tribunal, une circulaire n’a pas de caractère légal et n’est donc pas opposable au contribuable, de sorte que la seule référence à la circulaire de 1998 n’est pas de nature à démontrer que le taux de 5% retenu par le bureau d’imposition correspond à un taux de pleine concurrence.

Au contraire, l’appelante a expliqué, pièces à l’appui, le taux qui, selon elle, devrait être appliqué par rapport à chacune des deux créances et pour chacune des années litigieuses.

Au vu du caractère cohérent et détaillé de l’analyse de l’appelante, et en l’absence de démonstration par l’Etat du caractère erroné de cette analyse, la Cour est amenée à faire siens le raisonnement et les conclusions de l’appelante.

En ce qui concerne la première créance, il ressort des comptes versés par l’appelante que son principal s’est élevé à … euros au 31 décembre 2015, à … euros au 31 décembre 2016 et à … euros au 31 décembre 2017. L’appelante explique que cette première créance correspond en substance à un prêt dont le principal fluctue entre … et … euros, qui est remboursable sur plusieurs années et qui a été accordé par une société à une personne physique sans que la société prêteuse ne dispose de garanties quelconques. La partie étatique n’ayant pas contesté cette description, il y a lieu de la tenir pour vraie, avec la précision que c’est la moyenne arithmétique des soldes de la créance au début et à la fin de chacun des exercices d’exploitation litigieux qui fluctue effectivement dans un intervalle arrondi compris entre … et … euros. En effet, l’appelante a correctement calculé que cette moyenne s’élève à … euros pour l’exercice 2015, à … euros pour l’exercice 2016 et à … euros pour l’exercice 2017.

Or, comme souligné à bon escient par l’appelante, eu égard aux articles L.224-1 et suivants du Code de la consommation ayant transposé la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, les contrats de crédit à la consommation sont en principe des contrats de crédit conclus avec des personnes physiques, pour une période dépassant les trois mois, portant sur un montant principal compris entre … et … euros, et non garantis par une hypothèque ou autre sûreté comparable sur un immeuble ou par un droit lié à un bien immobilier.

Par ailleurs, la Cour note que le considérant 10 du préambule de la directive européenne susmentionnée précise qu’il s’agit d’une directive d’harmonisation minimale, en ce que les Etats membres demeurent libres d’étendre le champ d’application de la directive pour englober, par exemple, des contrats de crédit dont le montant est supérieur à … euros. Sur un plan purement conceptuel, il n’existe donc pas d’obstacle à ce qu’un contrat de crédit à la consommation porte sur un montant supérieur à … euros.

Par conséquent, puisque le montant du principal de la première créance – dès lors que l’on tient compte de la moyenne arithmétique calculée ci-avant – n’a dépassé que de manière ponctuelle et non significative la limite supérieure de … euros énoncée à l’article L.224-3 du Code de la consommation, et que le montant du principal de cette créance au 31 décembre 2017 demeurait proche de l’ordre de grandeur retenu pour définir le champ d’application de la directive européenne susmentionnée et des dispositions la transposant en droit luxembourgeois, c’est à juste titre que l’appelante argumente que les caractéristiques de la première créance quant à son principal, à sa durée, à l’identité du débiteur et à l’absence de garanties, la rapprochent fortement d’un crédit à la consommation.

L’appelante fournit également des éléments détaillés pour réfuter un argument que l’Etat avait avancé en première instance pour contester la comparabilité d’un compte courant administrateur avec un crédit à la consommation. En effet, devant le tribunal, la partie étatique s’était prévalue d’une réponse du ministre des Finances à la question parlementaire n° 0568 du 8 avril 2010, où ledit ministre, afin de « clarifier la nature fiscale des comptes courants débiteurs d'associés ou d'actionnaires personnes physiques de collectivités soumises à l'impôt sur le revenu des collectivités », avait indiqué que ces comptes courants « ne répondent pas aux critères d'un crédit proprement dit, mais sont comparables aux comptes courants bancaires découverts ». En appel, l’Etat n’a ni réitéré cet argument, ni contredit les explications de l’appelante quant à la similitude plus prononcée des caractéristiques économiques d’un compte courant administrateur débiteur avec un crédit à la consommation, plutôt qu’avec un découvert bancaire. Par conséquent, il n’est pas nécessaire pour la Cour d’examiner plus en avant la réfutation par l’appelante d’un argument de l’Etat non réitéré.

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure qu’en raison des similitudes mises en avant par l’appelante entre les caractéristiques économiques de la première créance et celles d’un crédit à la consommation, c’est à juste titre que l’appelante s’est fondée sur les données fournies par la Banque centrale de Luxembourg concernant les taux pratiqués en matière de crédit à la consommation pour prouver quel serait un taux d’intérêt conforme au principe de pleine concurrence.

Il ressort de ces données que le taux d’intérêt pratiqué par les établissements de crédit du Luxembourg dans le cadre de contrats de crédit à la consommation conclus pour une durée entre un et cinq ans, s’est élevé en moyenne à 3,94% en décembre 2014, à 3,82% en décembre 2015, à 2,79% en décembre 2016 et à 2,77% en décembre 2017. A ce stade du raisonnement, force est donc de constater que le taux de 5% retenu par le bureau d’imposition est largement supérieur aux taux susmentionnés.

Ensuite, en ce qui concerne l’année 2015, l’appelante relève à bon escient que la société (CD) avait bien comptabilisé des intérêts en relation avec la première créance et démontre, calculs à l’appui, que ces intérêts correspondaient à un taux d’intérêt annuel de 4,7736%. A l’instar de l’appelante, compte tenu, d’une part, de ce que l’application du principe de pleine concurrence ne relève pas d’une science exacte et, d’autre part, de ce que le taux d’intérêt effectivement pratiqué était supérieur au taux d’intérêt de marché, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu, en 2015, d’appauvrissement de la société (CD) et que c’est donc à tort que le bureau d’imposition a retenu l’existence d’une distribution cachée de bénéfices en relation avec la première créance en 2015. Il y a donc lieu de réformer le jugement entrepris en ce sens.

Pour les années 2016 et 2017, l’appelante explique que les intérêts à mettre en compte devraient se limiter aux montants suivants, obtenus en appliquant un taux correspondant à la moyenne arithmétique des taux d’intérêt constatés sur le marché par la Banque (MN) à la fin de l’année précédant l’année fiscale concernée et à la fin de cette année fiscale, à une base constituée de la moyenne arithmétique des soldes des créances respectives au début et à la fin de l’exercice d’exploitation :

Année Taux d’intérêt Principal Intérêts 2016 3,31% … euros … euros 2017 2,78% … euros … euros A nouveau, compte tenu, d’une part, de ce que l’application du principe de pleine concurrence ne relève pas d’une science exacte et, d’autre part, de ce que l’Etat n’a pas apporté d’arguments invalidant l’approche défendue par l’appelante, il y a lieu de retenir les montants proposés par l’appelante et de réformer le jugement entrepris en ce sens.

Quant au taux d’intérêt à appliquer à la seconde créance, la Cour conclut, à l’instar de l’appelante, que premièrement, le taux de 5% retenu par le bureau d’imposition est excessif, compte tenu des taux pratiqués sur le marché pendant la période litigieuse, et que deuxièmement, les taux d’intérêt calculés par l’appelante en vertu d’une double approche non invalidée par l’Etat sont les taux qu’il convient de prendre en compte en l’espèce pour fixer le montant des distributions cachées en relation avec cette créance.

En effet, la seconde créance est née à l’occasion de la cession d’une participation par la société (CD) à l’appelante, lors de laquelle la société (CD) a accordé à l’appelante un délai de paiement de 10 ans, sans application d’intérêts. Or, comme affirmé par l’appelante, le résultat économique d’une opération consistant pour le vendeur d’une participation à octroyer à l’acquéreur un délai pour le paiement du prix d’acquisition de cette participation, est identique à une opération consistant pour ce vendeur à prêter à l’acquéreur une somme équivalant à tout ou partie de ce prix d’acquisition. Il était donc justifié, pour l’appelante, de se référer aux données relatives à des opérations de crédit pour déterminer le taux d’intérêt à mettre en compte par rapport à la seconde créance.

L’appelante a ensuite expliqué qu’elle a choisi de se fonder, dans un premier temps, sur les statistiques publiées par la Banque (MN) au sujet des taux d’intérêt observés pendant la période litigieuse sur le marché luxembourgeois – tant le créancier que le débiteur étant des sociétés luxembourgeoises –, et plus précisément, pour les crédits accordés aux sociétés non financières et portant sur un montant inférieur ou égal à un million d’euros.

Force est de reconnaître la pertinence de cette approche quant au montant, le crédit-vendeur portant en l’espèce sur un montant de … euros.

La qualification de l’appelante comme société non financière est en revanche plus discutable. En effet, les statuts de l’appelante commencent certes par indiquer que la société (AB) « a pour objet le conseil et la présentation de services aux sociétés dans les domaines de l’informatique et de la gestion administrative informatisée » – ce qui correspond a priori à une activité non-financière –, mais ils indiquent aussi qu’elle « a pour objet la prise de participations financières dans toutes sociétés luxembourgeoises ou étrangères, ainsi que la gestion et la mise en valeur de son portefeuille et le conseil en développement d’entreprises ».

En outre, d’après la nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne telle qu’indiquée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, la société (AB) exerce des « Activités des sociétés holding n.c.a. », lesquelles relèvent de la section K (« activités financières et d'assurance ») de cette nomenclature. Néanmoins, eu égard, premièrement, à l’absence totale de prise de position de la partie étatique quant au raisonnement de l’appelante ; deuxièmement, au fait que l’appelante a indiqué sans être contredite que les données susmentionnées de la Banque (MN) étaient « les seules disponibles relatives au marché luxembourgeois en particulier » ; troisièmement, au fait que l’objet social de l’appelante ne se cantonne pas à des activités de détention de participations ; et quatrièmement, que ces données de la Banque (MN) ne sont pas l’unique point de référence utilisé par l’appelante pour étayer le bien-fondé de la position qu’elle défend, il y a lieu de tenir compte de l’argumentation de l’appelante fondée sur ces données.

En l’espèce, il ressort bien du tableau récapitulatif dressé par l’appelante que les taux d’intérêt recensés par la Banque (MN) – partant de 1,97% en décembre 2014, pour baisser chaque année jusqu’à atteindre 1,7% en décembre 2017 –, sont bien inférieurs au taux de 5% défendu par l’Etat.

De plus, dans un second temps, l’appelante a encore cherché des données lui permettant de tenir compte du profil de risque individuel du débiteur par rapport à son secteur d’activité et à sa situation financière. A cet égard, à partir de données financières provenant de ses comptes annuels de l’exercice 2014, elle a obtenu sur la base de données (OP) – base de données mise à disposition par l’agence de notation (OP) – une note de crédit BBB-. Une fois cette note déterminée, elle a recherché, sur cette même base de données, les statistiques en matière de taux d’intérêt accordés à des entreprises non-financières par rapport à des créances ayant obtenu une note BBB, libellées en euro et d’une durée de 10 ans. Il ressort du graphique obtenu par l’appelante sur base de ces critères qu’à la fin de l’année 2015, les taux d’intérêt ainsi délimités se sont élevés à plus ou moins 1,7% et que pour la période s’étendant entre le début de l’année 2015 jusqu’à la fin de la période litigieuse, ces taux ont fluctué entre 1% et un peu plus de 2%. L’appelante a encore fourni un relevé des obligations individuellement recensées par la base de données (OP), ayant obtenu une note BBB et émises entre septembre 2014 et décembre 2017 par des sociétés non financières, duquel il ressort que le coupon moyen de ces obligations s’élevait à 1,56% par an et le coupon médian à 1,498%, soit bien en-dessous de 5%.

Le tribunal ayant soulevé dans le jugement entrepris la question de la comparabilité entre la prime de risque dont il y aurait lieu de tenir compte en l’espèce et la prime de risque liée à des obligations donnant droit à un coupon, l’appelante avance à bon escient que l’obligation est un titre représentatif d’une dette et que le coupon est le terme technique pour désigner l’intérêt généré par l’obligation, de sorte que la prime de risque qui se reflète dans le coupon d’une obligation est comparable, d’un point de vue de la réalité économique, à la prime de risque qui se reflète dans l’intérêt généré par un prêt. Elle explique encore pertinemment que le caractère potentiellement négociable de l’obligation et le fait qu’un tel titre puisse avoir un cours de bourse en cas de cotation, ne change rien au fait que le coupon est déterminé lors de l’émission de l’obligation en tenant compte de facteurs tels que le niveau général des intérêts sur le marché, la situation du débiteur et, en particulier, le risque de défaut de ce dernier. De surcroît, elle justifie de manière crédible avoir fondé son analyse sur les coupons d’obligations pour une simple raison d’accessibilité des données au niveau des bases de données usuellement employées.

Or, comme argué à juste titre par l’appelante, les taux d’intérêt observés sur le marché tels qu’identifiés à l’aide de la base de données (OP) sont très proches des taux retenus par l’appelante sur base des données publiées par la Banque (MN).

C’est donc à bon droit que l’appelante sollicite la réduction du montant des distributions cachées de bénéfices retenues par le bureau d’imposition en relation avec la seconde créance.

Enfin, l’appelante explique que les intérêts à mettre en compte devraient se limiter aux montants suivants, obtenus en appliquant un taux correspondant à la moyenne arithmétique des taux d’intérêt constatés sur le marché par la Banque (MN) à la fin de l’année précédant l’année fiscale concernée et à la fin de cette année fiscale, à une base constituée de la moyenne arithmétique des soldes des créances respectives au début et à la fin de l’exercice d’exploitation :

Année Taux d’intérêt Principal Intérêts 2015 1,89% … euros … euros 2016 1,77% … euros … euros 2017 1,72% … euros … euros A nouveau, compte tenu, d’une part, de ce que l’application du principe de pleine concurrence ne relève pas d’une science exacte et, d’autre part, de ce que l’Etat n’a pas apporté d’arguments invalidant l’approche défendue par l’appelante, il y a lieu de retenir les montants proposés par l’appelante et de réformer le jugement entrepris en ce sens.

Eu égard à ce qui précède, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2015 sont à réformer en y fixant à … euros le montant des distributions cachées de bénéfices en relation avec les intérêts sur créances; les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2016 sont à réformer en y fixant à (… + … =) … euros le montant des distributions cachées de bénéfices en relation avec les intérêts sur créances; enfin, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2017 sont à réformer en y fixant à (… + … =) … euros le montant des distributions cachées de bénéfices en relation avec les intérêts sur créances.

Quant à l’application d’une retenue à la source sur les distributions cachées de bénéfices Moyens des parties Selon l’appelante, les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2015, 2016 et 2017 seraient à annuler au motif que l’exonération de retenue à la source sur les distributions de dividendes prévue à l’article 147 LIR aurait dû être appliquée.

En effet, les distributions cachées de bénéfices retenues ci-avant auraient été effectuées par la société (CD) au profit de l’appelante – en ce qui concerne la seconde créance – ou au profit de l’actionnaire ultime de ces deux sociétés, Madame (E), débitrice du compte courant, en passant par l’appelante – en ce qui concerne la première créance. Or, la jurisprudence allemande considèrerait qu’en cas de distribution à un associé indirect, deux distributions cachées de bénéfices auraient lieu successivement : une première de la filiale à la société-mère, puis une seconde de la société-mère à son propre actionnaire. Toute distribution cachée de bénéfices au profit de Madame (E) passerait donc nécessairement par une distribution de la société (CD) à l’appelante.

En l’espèce, la société (CD) et l’appelante rempliraient les conditions de l’article 147 LIR, de sorte que l’exonération de retenue à la source prévue à l’article 147 LIR serait applicable, ce qui devrait entraîner l’annulation des bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2015 à 2017, sinon leur réformation dans le sens de fixer ladite retenue d’impôt à zéro euro.

De son côté, l’Etat n’a pas pris position sur ce volet du litige.

Analyse de la Cour L’article 147, alinéa (2), LIR, tel qu’en vigueur durant les années d’imposition litigieuses, prévoyait que la retenue d'impôt faisant l'objet de l'article 146 LIR n'est pas à opérer « lorsque les revenus visés par l'article 97, alinéa 1er, numéro 1 sont alloués par un organisme à caractère collectif résident pleinement imposable et revêtant une des formes énumérées à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, ou par une société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, à:

a) un autre organisme à caractère collectif visé par l’article 2 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents, b) une autre société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l'annexe de l'article 166, alinéa 10, c) l'Etat, aux communes, aux syndicats de communes ou aux exploitations de collectivités de droit public indigènes, d) un établissement stable d'un organisme à caractère collectif visé aux lettres a, b ou c, e) un organisme à caractère collectif pleinement imposable à un impôt correspondant à l'impôt sur le revenu des collectivités qui est un résident d'un Etat avec lequel le Grand-Duché de Luxembourg a conclu une convention tendant à éviter les doubles impositions, ainsi qu'à son établissement stable indigène, f) une société de capitaux qui est un résident de la Confédération suisse assujettie à l'impôt sur les sociétés en Suisse sans bénéficier d'une exonération, g) une société de capitaux ou une société coopérative qui est un résident d'un Etat, partie à l'Accord sur l'Espace économique européen (EEE) autre qu'un Etat membre de l'Union européenne et qui est pleinement imposable à un impôt correspondant à l'impôt sur le revenu des collectivités, h) un établissement stable d'une société de capitaux ou d'une société coopérative qui est un résident d'un Etat, partie à l'Accord sur l'Espace économique européen (EEE) autre qu'un Etat membre de l'Union européenne, et que, à la date de la mise à la disposition des revenus, le bénéficiaire détient ou s'engage à détenir, sous les conditions prévues à l'article 149, alinéa 4, directement pendant une période ininterrompue d'au moins douze mois, une participation d'au moins 10 pour cent ou d'un prix d'acquisition d'au moins 1.200.000 euros dans le capital social du débiteur des revenus. La détention d'une participation à travers un des organismes visés à l'alinéa 1er de l'article 175 est à considérer comme détention directe proportionnellement à la fraction détenue dans l'actif net investi de cet organisme », étant précisé qu’à partir de l’année 2016, cette disposition a été complétée comme suit :

« Sont exclus du bénéfice des lettres a) et d) ci-dessus, les revenus visés par la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal 134 commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents et alloués à un organisme à caractère collectif qui est un résident d’un autre Etat membre de l’Union européenne et visé par l’article 2 de la directive 2011/96/UE ou à un établissement stable situé dans un autre Etat membre d’un organisme à caractère collectif qui est un résident d’un Etat membre de l’Union européenne et visé par l’article 2 de la directive 2011/96/UE, si ces revenus sont alloués dans le cadre d’un montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de cette directive, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. Au sens de la présente disposition, un montage, qui peut comprendre plusieurs étapes ou parties, ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ».

La Cour constate que c’est à juste titre que l’appelante affirme qu’elle-même, ainsi que la société (CD), étaient pendant les années 2015 à 2017 des sociétés de capitaux résidentes pleinement imposables remplissant les conditions relatives au seuil de détention minimum de 10% et à la période minimale de détention ininterrompue de 12 mois. De plus, la partie étatique n’a pas démontré, ni même invoqué, l’existence d’un montage non authentique. Par conséquent, ces deux sociétés peuvent effectivement se prévaloir de l’exonération de retenue à la source prévue à l’article 147 LIR en ce qui concerne des distributions cachées de bénéfices effectuées par la société (CD) à l’appelante.

En l’espèce, tel est clairement le cas par rapport aux intérêts non mis en compte en lien avec la seconde créance, puisqu’il s’agit d’une créance détenue par la société (CD) à l’encontre de l’appelante et ce durant les trois années d’imposition 2015 à 2017.

En revanche, en ce qui concerne la première créance, la Cour a indiqué ci-avant que l’identité de la personne physique bénéficiant de l’absence de mise en compte d’intérêts en 2016 et en 2017 n’était pas clairement établie, l’appelante affirmant qu’il s’agirait de Madame (E), tandis que des éléments du dossier conduisent à penser qu’il pourrait s’agir également, voire exclusivement, de Monsieur (H).

La Cour constate que Madame (E) est le bénéficiaire effectif de l’appelante, laquelle était l’actionnaire unique de la société (CD) en 2016 et 2017. L’appelante n’a en revanche pas expliqué les liens entre elle-même, Monsieur (H) et la société (CD).

Au vu de cette incertitude quant à la personne du débiteur ayant bénéficié de cette avance de fonds, le bureau d'imposition a valablement pu estimer que les conditions pour une exonération de la retenue à la source prévue à l’article 147 LIR n’étaient pas établies à suffisance de droit et de fait et partant soumettre les montants déterminés ci-avant à cette retenue.

Par voie de conséquence, puisque la Cour a retenu ci-avant que c’est à tort que le bureau d’imposition a retenu l’existence d’une distribution cachée de bénéfices en 2015 par rapport à la première créance, le bulletin de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux de l’année 2015 n’aurait dû faire état que de la distribution cachée de bénéfices liée à la seconde créance, et fixer à zéro euro le montant de la retenue à la source à prélever en relation avec cette distribution, du fait de l’application de l’exonération prévue à l’article 147 LIR. Ce bulletin est dès lors à réformer en ce sens.

Les bulletins de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux des années 2016 et 2017 encourent la réformation partielle en ce sens que les montants des intérêts à soumettre à ladite retenue sont à fixer à … euros pour l’année 2016 et à … euros pour l’année 2017 du seul chef de la première créance découlant de l’avance de fonds.

Quant à l’indemnité de procédure Moyens des parties L’appelante estime que les conditions de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 sont remplies dans son chef.

En effet, elle aurait été contrainte d’exposer des frais considérables, consistant notamment en des honoraires d’avocat, afin d’être en mesure de défendre ses droits en première instance, puis en appel. Saisir le tribunal aurait été la seule possibilité qui s’offrait à elle pour sortir de la situation de blocage où elle se trouvait en raison de l’absence de réponse du directeur de l’administration des Contributions directes à la réclamation qu’elle avait introduite à l’encontre des bulletins litigieux.

Dans ce contexte, l’appelante se fonde sur la jurisprudence de la Cour pour déduire que cette dernière considèrerait, du moins implicitement, que l’attitude du directeur consistant à s’abstenir de répondre aux réclamations des contribuables dans le délai qui lui est imparti, est contraire aux obligations incombant au directeur. En outre, la jurisprudence luxembourgeoise aurait déjà accepté d’accorder une indemnité de procédure en présence d’une attitude blâmable des services fiscaux, notamment lorsque l’administration des Contributions directes ne réagit pas à la réclamation introduite par le contribuable.

Par ailleurs, elle se prévaut d’un jugement du 17 mars 2004, où le tribunal a retenu qu’alors même que « le demandeur aurait pu se pourvoir en justice sans l’assistance d’un avocat, cette faculté réservée aux administrés d'agir eux-mêmes devant le tribunal administratif ne constitue pas un empêchement à l'octroi d'une indemnité de procédure au cas où ceux-ci profitent de la faculté leur offerte par la loi de se faire représenter soit par un avocat, soit par un expert comptable ou un réviseur d'entreprises ».

Il serait donc manifestement inéquitable de laisser à sa seule charge les frais exposés dans le seul objectif de remédier à la carence du directeur afin d’arrêter définitivement l’imposition litigieuse. A cet égard, l’appelante estime que le constat de l’iniquité ne saurait dépendre du résultat de la procédure, puisque, quelle que soit l’issue de cette procédure, les sommes déboursées par elle l’ont été dans l’attente d’une résolution du litige.

Par conséquent, l’appelante demande, d’une part, la réformation du jugement entrepris dans le sens de condamner l’Etat à lui payer une indemnité de procédure de 4.000 euros pour la première instance et, d’autre part, la condamnation de l’Etat à lui payer une indemnité de procédure de 4.000 euros pour l’instance d’appel.

De son côté, l’Etat demande le rejet de la demande de l’appelante tant en son principe qu’en son quantum et estime que l’appelante aurait fait preuve de négligence ou de mauvaise foi en ne fournissant qu’au moment de l’instance devant le tribunal ou la Cour des informations qui auraient pu être livrées dès le moment où le bureau d’imposition l’avait invitée à compléter ses déclarations.

Analyse de la Cour L’article 33 de la loi du 21 juin 1999 énonce que : « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine ».

L’article 54 de la même loi rend ledit article 33 applicable à la Cour.

Comme souligné à bon escient par l’appelante, la Cour a déjà retenu que « la décision à prendre sur une réclamation ne constitue pas une faculté pour le directeur, mais une obligation et le droit conféré au contribuable de saisir le tribunal administratif en cas de silence n'a d'autre but et effet que de lui permettre de sortir du blocage dans lequel il se trouve, du fait du silence du directeur, en vue de parvenir à une imposition définitive » (Cour adm., 24 avril 2014, n° 33790C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 952 et les références y citées). Certes, il n’est pas exclu que même en l’absence de défaillance du directeur dans le traitement de la réclamation de l’appelante, cette dernière aurait introduit une procédure contentieuse contre la décision du directeur. Néanmoins, en l’espèce, au regard de l’absence d’une décision directoriale, ladite procédure a bien été introduite pour que la société (AB) puisse faire trancher définitivement le litige.

En outre, force est de constater que la société (CD) a répondu aux sollicitations du bureau d’imposition et a fourni dès la phase précontentieuse plusieurs des pièces qui ont été ensuite versées devant les juridictions administratives, de sorte que le reproche étatique d’un manque de coopération n’est pas fondé. Si les réponses et la réclamation de la société (CD) auraient certainement gagné à être plus étoffées, il n’en demeure pas moins que le bureau d’imposition aurait également pu être plus précis et formuler plus explicitement ses interrogations dès l’envoi de sa première lettre à la société (CD). De plus, le bureau d’imposition aurait pu lui demander de fournir toute explication supplémentaire qu’il estimait nécessaire, étant relevé que dès sa lettre du 14 janvier 2019, la société (CD) a indiqué qu’elle restait à la disposition du bureau d’imposition pour tout renseignement complémentaire, et étant précisé que la lettre que le bureau d’imposition aurait adressée le 3 mars 2019 à la société (CD) et qui serait restée sans réponse – d’après la mention figurant dans les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux – ne figure pas au dossier fiscal.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme l’appelante, l’issue du litige est un élément pertinent pour apprécier la condition d’iniquité prévue à l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

En effet, l’issue du litige est directement fonction du comportement des parties au litige, et plus particulièrement de leur diligence dans l’administration de la charge de la preuve et du sérieux de l’argumentation juridique qu’elles défendent.

En l’espèce, la société (AB) a partiellement obtenu gain de cause en première instance.

En instance d’appel, elle a obtenu la réformation du jugement entrepris sur tous les volets qui lui causaient encore grief, à l’exception du volet ayant trait à l’application de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux relative à la première créance.

Enfin, il y a lieu de rappeler que l’octroi d’une indemnité de procédure ne peut revenir à contourner l’absence de compétence pour le juge administratif d’octroyer des dommages-

intérêts.

Eu égard à toutes ces considérations, il y a lieu de faire droit à la demande de l’appelante, par réformation du jugement entrepris, en ce sens que pour la première instance, l’Etat est condamné à payer une indemnité de procédure fixée ex aequo et bono au montant de 1.000 euros, et en condamnant l’Etat à lui payer, pour l’instance d’appel, une indemnité de procédure fixée ex aequo et bono au montant de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 2 novembre 2022 en la forme, au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation du jugement entrepris :

- réforme les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2015 émis à l’égard de la société (CD) en y fixant à … euros le montant des distributions cachées de bénéfices en relation avec les intérêts sur créances ;

- réforme les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2016 émis à l’égard de la société (CD) en y fixant à … euros le montant des distributions cachées de bénéfices en relation avec les intérêts sur créances ;

- réforme les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2017 émis à l’égard de la société (CD) en y fixant à … euros le montant des distributions cachées de bénéfices en relation avec les intérêts sur créances ;

- réforme le bulletin de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux de l’année 2015 émis à l’égard de la société (CD) en y fixant à zéro euro le montant de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux du fait de l’application de l’exonération prévue à l’article 147 LIR ;

- réforme le bulletin de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux de l’année 2016 émis à l’égard de la société (CD) en y fixant à … euros le montant à soumettre à la retenue d’impôt sur revenus de capitaux ;

- réforme le bulletin de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux de l’année 2017 émis à l’égard de la société (CD) en y fixant à … euros le montant à soumettre à la retenue d’impôt sur revenus de capitaux ;

- condamne l’Etat à payer à l’appelante, pour la première instance, une indemnité de procédure fixée ex aequo et bono au montant de 1.000 euros, rejette l’appel pour le surplus et confirme le jugement entrepris dans la même mesure, condamne l’Etat à payer à l’appelante, pour l’instance d’appel, une indemnité de procédure fixée ex aequo et bono au montant de 1.500 euros, fait masse des frais et dépens des deux instances et les impose à l’Etat.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 21 septembre 2023 à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 septembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 20


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48127C
Date de la décision : 21/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-09-21;48127c ?

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