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21/09/2023 | LUXEMBOURG | N°47771C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 21 septembre 2023, 47771C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47771C ECLI:LU:CADM:2023:47771 Inscrit le 3 août 2022

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Audience publique du 21 septembre 2023 Appel formé par la société de droit belge (AB), … (B), contre un jugement du tribunal administratif du 6 juillet 2022 (n° 45478 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 47771C ECLI:LU:CADM:2023:47771 Inscrit le 3 août 2022

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Audience publique du 21 septembre 2023 Appel formé par la société de droit belge (AB), … (B), contre un jugement du tribunal administratif du 6 juillet 2022 (n° 45478 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 47771C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 3 août 2022 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY, établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 5, avenue J.F. Kennedy, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins des présentes par Maître Franz KERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de la société de droit belge (AB), établie et ayant son siège social à B-…, enregistrée au Registre du commerce de Belgique sous le numéro …, représentée par son gérant en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 6 juillet 2022 (n° 45478 du rôle), par lequel ledit tribunal se déclara compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 octobre 2020, référencée sous les nos C … et C … du rôle, ayant déclaré irrecevables ses réclamations introduites respectivement le 12 avril 2019 et le 7 avril 2020 contre les décisions de refus du bureau d’imposition de considérer une succursale en tant qu’établissement stable au Grand-Duché de Luxembourg, émises respectivement le 10 janvier 2019 et le 3 janvier 2020 ; au fond, le déclara partiellement justifié ; partant, par réformation de la décision précitée du directeur de l’administration des Contributions directes, dit que la réclamation introduite par la demanderesse « le 6 février 2020 » concernant l’année d’imposition 2018, était recevable ; renvoya l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes en vue de statuer au fond sur les mérites de ladite réclamation ; confirma pour le surplus la décision précitée du directeur de l’administration des Contributions directes ;

partant, déclara le recours principal en réformation non fondé pour le surplus ; dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit à l’encontre de la décision précitée du directeur de l’administration des Contributions directes ; rejeta la demande en obtention d’une indemnité de procédure de 1.500 euros formulée par la demanderesse ; enfin, fit masse des frais et les imposa pour moitié à l’Etat et pour moitié à la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER déposé au greffe de la Cour administrative le 17 octobre 2022 ;

Vu l’acte de désistement d’instance déposé le 17 février 2023 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY, préqualifiée, représentée par Maître Franz KERGER, préqualifié, au nom de la société (AB), préqualifiée ;

Vu le courrier électronique de Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER du 21 février 2023, par lequel celui-ci indique avoir pris note du dépôt du désistement d’instance susmentionné, mais souligne qu’eu égard à l’appel incident formulé par la partie étatique, l’instance litigieuse a été portée devant la Cour et n’a pas vocation à disparaître ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Julie KOFLER, en remplacement de Maître Franz KERGER, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 février 2023.

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La société de droit belge (AB), ci-après la « société (AB) », a pour objet la prestation de services de conseil relatifs à la gestion d’une entreprise.

Le 29 novembre 2016, cette société décida d’ouvrir une succursale portant la dénomination « (AB) » au …, à L-…, ci-après la « succursale ». Cette dernière fut enregistrée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … en date du 8 décembre 2016.

Le 23 janvier 2017, la succursale fut immatriculée auprès de l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA après que la société (AB) fut invitée à remplir un « questionnaire en vue de l’immatriculation de sociétés non-résidentes » en date du 19 janvier 2017.

Le 24 décembre 2018, le bureau d’imposition Sociétés 5 de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau d’imposition », réceptionna la déclaration pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial de l’année 2017 de la succursale. Cette déclaration fiscale faisait état d’un bénéfice commercial de … euros.

Par lettre du 10 janvier 2019, le bureau d’imposition informa la société (AB) de son refus de l’immatriculer en tant que contribuable non-résident au titre de l’année d’imposition 2017, dans les termes suivants : « (…) Après examen des renseignements dont nous disposons et des informations que vous avez bien voulu nous fournir, je tiens à vous informer que votre société ne sera actuellement pas immatriculée au bureau d’imposition Sociétés 5 en tant que contribuable non-résident. (…) ».

Par courriel du 6 février 2019, le mandataire de l’époque de la société (AB) s’adressa au bureau d’imposition dans les termes suivants : « (…) Sur base de ce courrier, nous comprenons que vous considérez que l’activité exercée sur le sol luxembourgeois par la société de notre client ne constitue pas un établissement stable.

En conséquence, la société de notre client ne serait pas immatriculée en tant que contribuable non-résident.

Pourriez-vous s’il vous plaît nous préciser les motifs sur base desquels cette décision est fondée ? En effet, notre client fournit des services de gestion et de support à sa clientèle luxembourgeoise. Dans ce cas, il est amené à se trouver de manière régulière sur le sol luxembourgeois et à y prendre des décisions, pour le compte des [sic] ses clients.

Dans ce cadre, il perçoit ses revenus et supporte des coûts liés à ces services qui, selon notre analyse, devraient rendre cette activité taxable sur le sol luxembourgeois. (…) ».

Il résulte d’une note manuscrite apposée sur le courriel, précité, figurant au dossier fiscal, qu’une conversation téléphonique eut lieu entre le mandataire de la société (AB) et le bureau d’imposition en date du 11 février 2019 « pour lui expliquer qu’on maintiendrait notre décision de ne pas l’immatriculer car pas assez de substance ».

Par une lettre du 12 avril 2019, la société (AB) introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », contre la décision de refus du 10 janvier 2019, précitée, du bureau d’imposition.

Le 24 décembre 2019, le bureau d’imposition réceptionna la déclaration pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial de l’année 2018 de la succursale.

Cette déclaration fiscale faisait état d’un bénéfice commercial de … euros.

Par une lettre du 3 janvier 2020, le bureau d’imposition informa la société (AB) de son refus de l’immatriculer en tant que contribuable non-résident au titre de l’année d’imposition 2018, dans les termes suivants : « (…) Après examen des renseignements dont nous disposons et des informations que vous avez bien voulues [sic] nous fournir, je tiens à vous informer que votre société ne sera actuellement pas immatriculée au bureau d’imposition Sociétés 5 en tant que contribuable non-résident. (…) ».

Par une lettre portant la date du 6 février 2020, réceptionnée le 7 avril 2020, la société (AB) introduisit une réclamation auprès du directeur contre la décision de refus du 3 janvier 2020, précitée, du bureau d’imposition.

Par une décision du 13 octobre 2020, référencée sous les nos C … et C … du rôle, le directeur déclara irrecevables pour défaut d’intérêt à agir les deux réclamations lui soumises par la société (AB), dans les termes suivants :

« (…) Vu les requêtes introduites le 12 avril 2019 (C …) et le 7 avril 2020 (C …) par le sieur (AB), au nom de la société de droit belge (AB), avec siège social à B-…, pour réclamer contre les décisions de refus du bureau d’imposition de considérer une succursale en tant qu’établissement stable du Grand-Duché de Luxembourg, émises respectivement le 10 janvier 2019 et le 3 janvier 2020 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 235, numéro 5, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que les deux requêtes, portées au rôle sous les numéros respectifs C … et C …, ayant un objet connexe, il y a lieu de les joindre, dans l’intérêt d’une bonne administration de la loi ; que le fait de joindre les deux requêtes ne dispense pas d’examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu’il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elles sont partant recevables ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition d’avoir nié l’existence d’une succursale au Grand-Duché de Luxembourg, et, par conséquent, de ne pas avoir procédé à son imposition pour les années 2017 et 2018 ;

Considérant que le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ; qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant que le § 232, alinéa 1er AO, se lisant comme suit : « Einen Steuerbescheid kann der Steuerpflichtige nur deshalb anfechten, weil er sich durch die Höhe der festgesetzten Steuer oder dadurch beschwert fühlt, dass die Steuerpflicht bejaht worden ist », ne prévoit que deux cas d’ouverture du droit de réclamer contre un bulletin d’impôt :

1. une contestation de la cote d’impôt fixée, et 2. une contestation du principe de l’assujettissement à l’impôt ;

Considérant qu’il s’agit en l’espèce d’une constatation de non-assujettissement à l’impôt luxembourgeois qui fait l’objet des contestations de la part de la requérante ; que la réclamante n’a en principe aucun intérêt à contester ces décisions, portant négation de l’assujettissement à l’impôt en question et ne fixant par conséquent aucune cote d’impôt dans son chef ;

Considérant, en ce qui concerne l’interprétation des deux hypothèses soulevées par le § 232, alinéa 1er AO, qu’il y a lieu de se référer au Tribunal administratif qui a consigné à travers son jugement du 22 juillet 2009, n° 24622 du rôle (jurisprudence constante : TA du 6 avril 2011, n° 26978 du rôle ; CA du 6 décembre 2011, n° 28629C du rôle) que « force est de constater que les conditions énoncées au paragraphe 232 (1) prérelaté ne sont pas remplies dans le chef de la société demanderesse; ce n’est en effet pas le principe de l’assujettissement (Bejahung der Steuerpflicht) qui fut retenu, mais bien au contraire la négation de l’assujettissement, cette deuxième hypothèse étant exclue du champ d’application du paragraphe 232 (1) AO qui ne vise que la seule affirmation d’assujettissement. » ;

Considérant que la réclamante, en cas d’absence d’intérêt à agir, ne peut pas réclamer contre les décisions de refus du bureau d’imposition de considérer la succursale en tant qu’établissement stable du Grand-Duché de Luxembourg ; que les réclamations doivent donc être déclarées irrecevables pour défaut d’intérêt ;

PAR CES MOTIFS dit les réclamations irrecevables pour défaut d’intérêt. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 janvier 2021, inscrite sous le n° 45478 du rôle, la société (AB) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale susmentionnée.

Par jugement du 6 juillet 2022, le tribunal se déclara compétent pour connaître du recours principal en réformation ; au fond, le déclara partiellement justifié ; partant, par réformation de la décision du directeur, dit que la réclamation introduite par la société (AB) au sujet de l’année d’imposition 2018 était recevable ; renvoya l’affaire devant le directeur en vue de statuer au fond sur les mérites de cette réclamation ; confirma la décision du directeur pour le surplus ; partant, déclara le recours en réformation non fondé pour le surplus ; dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ; rejeta la demande en obtention d’une indemnité de procédure de 1.500 euros formulée par la société (AB) ; enfin, fit masse des frais et les imposa pour moitié à l’Etat et pour moitié à la société (AB).

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 3 août 2022, inscrite sous le n° 47771C du rôle, la société (AB) a relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, après avoir rappelé les faits énoncés ci-avant, l’appelante cite un extrait du jugement entrepris dans lequel le tribunal a considéré que des pièces soumises par l’appelante – à savoir, des lettres du 8 octobre et du 23 décembre 2020 de l’administration fiscale belge – ne concernaient pas l’année 2017, de sorte qu’en l’absence d’autres pièces ou explications « de nature à justifier son intérêt à agir en termes d’incidence potentielle du refus de reconnaissance d’un établissement stable au Grand-Duché de Luxembourg sur sa situation fiscale globale au titre de l’année 2017 », le tribunal a décidé de confirmer la décision directoriale litigieuse « en ce qu’elle a déclaré irrecevable la réclamation introduite le 12 avril 2019, de sorte que le recours est à rejeter en ce qui concerne le constat du directeur que la société demanderesse n’a pas d’intérêt à agir au titre de l’année 2017 ».

Or, selon l’appelante, en droit fiscal belge, l’exercice d’imposition d’une année donnée s’appliquerait aux bénéfices des exercices comptables clôturés pendant l’année précédente. En l’espèce, « l’année 2018 s’applique[rait] » aux revenus générés pendant l’année financière 2017. Par conséquent, la lettre de l’administration fiscale belge du 8 octobre 2020 concernerait bien les revenus générés par l’appelante pendant l’année 2017. De plus, cette lettre indiquerait l’application d’une majoration de 10% en raison d’une infraction visant le cas d’une déclaration d’impôt incomplète ou incorrecte sans intention d’éluder l’impôt, ainsi que l’imposition des montants rectifiés au taux plein, lequel serait supérieur au taux d’imposition de 24,94% applicable au Luxembourg. Cette lettre démontrerait donc que le refus du bureau d’imposition d’immatriculer l’appelante en tant que contribuable non-résident au titre de l’année d’imposition 2017 serait susceptible de lui causer grief également pour cette année-là.

Ce serait donc à tort que le directeur aurait déclaré irrecevable la réclamation relative à l’année 2017 et que le tribunal aurait confirmé la décision directoriale sur le volet relatif à l’année en question. Il y aurait donc lieu de renvoyer l’affaire devant le directeur afin que celui-ci statue au fond sur les mérites de la réclamation relative à l’année 2017.

De son côté, la partie étatique soutient que le jugement serait à confirmer en ce qu’il a retenu l’absence d’intérêt à agir dans le chef de l’appelante pour l’année 2017 et elle interjette appel incident sur le volet du jugement portant sur la question de l’intérêt à agir pour l’année 2018, considérant qu’un tel intérêt ne serait pas non plus donné pour l’année 2018.

Après avoir cité le § 232, alinéa (1), de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et plusieurs extraits de la jurisprudence concernant la charge de la preuve d’un éventuel grief causé par une décision de non-assujettissement et l’intérêt à agir, l’Etat avance qu’en l’espèce, l’appelante se limiterait à soulever – à tort – que le taux d’imposition moyen prévu par la loi fiscale belge serait plus élevé que celui prévu par la loi luxembourgeoise. Le préjudice financier que l’appelante prétendrait avoir subi serait donc hypothétique et celle-ci n’aurait établi aucun grief qui découlerait de la décision de non-assujettissement et qui « affect[erait] de manière réelle et effective » sa situation fiscale globale.

De plus, le grief causé par l’alourdissement de la charge fiscale de l’appelante ne proviendrait pas de la décision de non-assujettissement prise par l’administration des Contributions directes, mais résulterait du redressement effectué par l’administration fiscale belge. En effet, celle-ci aurait rejeté les déclarations fiscales belges de l’appelante pour retenir une allocation du bénéfice réalisé sur le territoire belge substantiellement plus élevée que celle déclarée par l’appelante, cette dernière prétendant qu’une grande partie de ses revenus étaient réalisés au Luxembourg. Dès lors, il reviendrait à l’appelante d’exercer des voies de recours en Belgique, et il ne serait pas exclu qu’une juridiction belge puisse réformer la décision de l’administration fiscale belge et constater l’absence d’un établissement stable au Luxembourg pour imposer l’intégralité des revenus de l’appelante en Belgique.

L’Etat conclut à l’irrecevabilité de l’appel de l’appelante, sinon à son absence de bien-

fondé, à la recevabilité et au bien-fondé de son appel incident, ainsi qu’au rejet de la demande de l’appelante visant à obtenir une indemnité de procédure.

Quant à la recevabilité de l’appel principal et de l’appel incident et quant à l’incidence du désistement d’instance La Cour note que le jugement entrepris n’a pas entièrement fait droit, à travers son dispositif, aux conclusions de l’appelante, de sorte à lui causer grief, du moins à la date de l’introduction de la requête d’appel qui est la date à laquelle s’analyse l’intérêt à agir de l’appelante à l’encontre du jugement entrepris. Par ailleurs, l’appel a été interjeté dans les formes et endéans le délai prévus par la loi. Par conséquent, contrairement à ce qu’avance l’Etat, l’appel principal est recevable.

En principe, chaque partie intimée figurant à l’instance d’appel est habilitée à interjeter appel incident si, au niveau de son dispositif, le jugement en question lui fait grief (Cour adm., 30 novembre 2017, n° 39695C du rôle). Or, tel est bien le cas à l’égard de la partie étatique.

En conséquence, l’appel incident formulé par la partie étatique est également recevable.

La société (AB) a fait déposer le 17 février 2023 un acte de désistement d’instance, mais l’Etat a refusé de donner son accord à ce désistement et à l’extinction de l’instance qui en découlerait.

Si l’appelante au principal entend se désister de son instance, il convient de rappeler que le désistement d’instance n’emporte extinction de l’instance que sous réserve de l’acceptation, par la partie intimée, de ce désistement. Or, en l’espèce, l’Etat refuse précisément d’accepter ledit désistement.

Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de retenir que la partie intimée ne peut refuser le désistement d’instance pour des motifs illégitimes et arbitraires (Cour adm., 17 août 2005, n° 20168C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 1317). En l’espèce, l’Etat ne refuse pas le désistement d’instance pour des motifs illégitimes et arbitraires, étant donné qu’il explique qu’il entend voir toiser son propre appel incident et qu’il est légitime, pour une partie à laquelle un jugement a causé grief, de souhaiter que l’instance devant laquelle elle a porté son litige se prononce sur ce dernier.

Par conséquent, la Cour est amenée à rejeter la demande de désistement par rapport à l’affaire portant le n° 47771C du rôle et à examiner le fond du litige.

Quant au fond La Cour note que le nœud du litige est relatif à la question de l’intérêt à agir de l’appelante à l’encontre des deux décisions du bureau d’imposition refusant de l’imposer au Luxembourg en tant que contribuable non-résident au titre des années 2017 et 2018, question dont dépend la recevabilité des deux réclamations introduites par l’appelante à l’encontre de ces décisions de refus.

En l’espèce, il importe de souligner que l’appelante a demandé le désistement de son instance. A l’audience des plaidoiries, le litismandataire de l’appelante a justifié ce désistement en expliquant que l’appelante avait conclu un accord avec l’administration fiscale belge ayant pour conséquence que tous ses revenus seraient imposés en Belgique. Ledit litismandataire a conclu que l’appelante n’avait plus d’intérêt à agir et qu’elle se rapportait à la sagesse de la Cour.

Au vu de l’évolution de la position de l’administration fiscale belge telle que décrite par le litismandataire de l’appelante, force est de constater que, désormais, les décisions du bureau d’imposition de refuser de reconnaître l’établissement stable déclaré par l’appelante au Luxembourg et donc de refuser d’imposer une partie des revenus de l’appelante au Luxembourg, ont cessé de causer grief à l’appelante. Au contraire, ce serait la décision du Luxembourg d’imposer l’appelante sur une partie de ses revenus – décision initialement sollicitée par l’appelante pour les années 2017 et 2018 et que le tribunal a entendu faire prendre par l’administration des Contributions directes pour l’année 2018 à travers le jugement entrepris – qui, désormais, lui causerait grief, en créant une situation de double imposition juridique d’une partie des revenus de l’appelante.

Or, en l’espèce, la Cour rappelle qu’elle statue dans le cadre d’un recours en réformation. Elle est donc appelée à tenir compte des éléments de fait et de droit nouvellement produits devant elle en tant que moyens nouveaux, voire de tout changement de la situation factuelle ou de l’ordonnancement juridique intervenu depuis que le tribunal a rendu son jugement dont appel (Cour adm., 30 novembre 2017, n° 39695C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 25 et les autres références y citées).

Au moment où la Cour rend le présent arrêt, force est de constater que de l’aveu de l’appelante et comme retenu ci-avant, celle-ci n’a plus d’intérêt à agir contre les décisions du bureau d’imposition à la base du litige opposant l’appelante à l’Etat. En outre, ce constat n’est pas contesté par l’Etat, puisqu’en substance, à travers son appel incident, la partie étatique demande précisément la confirmation de la décision directoriale ayant déclaré irrecevables pour défaut d’intérêt les deux réclamations de l’appelante introduites à l’encontre des décisions de refus du bureau d’imposition.

Par conséquent, au vu de cette évolution de la situation factuelle, il y a lieu de déclarer l’appel incident fondé et, par réformation du jugement entrepris, de confirmer intégralement la décision du directeur du 13 octobre 2020.

Quant à la demande en obtention d’une indemnité de procédure formulée par l’appelante, il y a lieu de la rejeter. En effet, il ne découle point des éléments en cause en quoi il serait inéquitable de laisser à charge de l’appelante les frais non compris dans les dépens, de sorte que les conditions légales afférentes ne sont pas remplies en l’espèce.

Enfin, au vu de la solution au fond, il y a lieu de faire masse des dépens des deux instances et de les imposer à l’appelante.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit en la forme l’appel principal, écarte le désistement d’instance de la société (AB), au fond, déclare l’appel principal non justifié, partant, en déboute la société (AB), reçoit en la forme l’appel incident, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation du jugement entrepris, confirme intégralement la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 octobre 2020, référencée sous les numéros C … et C … du rôle, et rejette le recours dirigé à son encontre par la société (AB) comme étant non justifié, rejette la demande de la société (AB) tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 3.500 euros, fait masse des frais et dépens des deux instances et les impose à la société (AB).

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 21 septembre 2023 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 septembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47771C
Date de la décision : 21/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-09-21;47771c ?

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