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19/09/2023 | LUXEMBOURG | N°48775C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 septembre 2023, 48775C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 48775C ECLI:LU:CADM:2023:48775 Inscrit le 4 avril 2023

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Audience publique du 19 septembre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 mars 2023 (n° 46799 du rôle) en matière de police des étrangers

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48775C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrati

ve le 4 avril 2023 par la société à responsabilité limitée NCS AVOCATS S.à r.l., établie...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 48775C ECLI:LU:CADM:2023:48775 Inscrit le 4 avril 2023

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Audience publique du 19 septembre 2023 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 mars 2023 (n° 46799 du rôle) en matière de police des étrangers

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 48775C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2023 par la société à responsabilité limitée NCS AVOCATS S.à r.l., établie à L-2430 Luxembourg, 16, rue Michel Rodange, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° B 225706, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par son gérant actuellement en fonctions, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Aline CONDROTTE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant à L-… …, …, …, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 2 mars 2023 (n° 46799 du rôle) par lequel il a été débouté de son recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 septembre 2021 rejetant sa demande de regroupement familial en faveur de sa sœur et de son frère, tous deux mineurs;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 4 mai 2023;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 20 juin 2023.

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Le 14 août 2019, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

1 Par décision du 2 avril 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », accorda à Monsieur (A) le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 1er avril 2026.

Par courrier de son mandataire du 25 juin 2021, Monsieur (A) présenta auprès du ministère une demande de regroupement familial sur le fondement des articles 69 et 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », au profit de sa sœur mineure, (B), née le …, et de son frère mineur, (C), né le …009.

Cette demande fut rejetée par une décision du ministre du 21 septembre 2021 qui est libellée comme suit :

« (…) J’accuse bonne réception de votre courrier du 25 juin 2021 reprenant l’objet sous rubrique.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, le regroupement familial de la fratrie n’est pas prévu à l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Par ailleurs, les enfants (B) et (C) ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, l’autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2021, Monsieur (A) fit introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 21 septembre 2021 refusant de faire droit à sa demande de regroupement familial au profit de sa sœur et de son frère, tous deux mineurs.

Par jugement du 2 mars 2023, le tribunal administratif déclara le recours recevable en la forme mais non fondé et en débouta Monsieur (A), tout en le condamnant aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2023, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, il expose avoir grandi auprès de ses parents et de sa sœur et de son frère à …. dans le district de ….., province de …., en Afghanistan où il aurait été …… dans le lycée local. En 2018, il aurait été arrêté par les talibans, qui le considéreraient comme un agent de l’Etat afghan, afin d’être exécuté. Il aurait pu s’échapper et aurait rejoint …. où il serait resté quelques jours. Pendant ce temps, lors d’une attaque des talibans, ses parents auraient été tués, laissant derrière eux leurs deux enfants mineurs (B) et (C). Comme les talibans auraient pris ses papiers, il n’aurait pas pu retourner dans son village avant de quitter l’Afghanistan pour 2le Luxembourg. Depuis son départ, un voisin se serait occupé temporairement de son frère et de sa sœur. Ce voisin, ayant appris qu’il se trouvait au Luxembourg, aurait refusé de continuer à s’occuper des deux mineurs. Il serait ainsi le seul membre adulte de sa famille apte à prendre en charge son frère et sa sœur mineurs. Il se prévaut à cet effet d’une attestation d’un imam, indiquant qu’il serait le tuteur légal de sa sœur et de son frère, tout en précisant qu’il ne pourrait pas se procurer d’autres documents du fait de la situation chaotique régnant en Afghanistan et en soulignant que ce document devrait être regardé comme un document officiel, puisque l’Afghanistan serait une république islamique.

L’appelant se prévaut ensuite de ses efforts d’intégration au Luxembourg et précise avoir obtenu un contrat d’apprentissage initial DAP dans le métier de … Ce ne serait ainsi qu’une question de temps avant qu’il ne puisse commencer à travailler et avoir une assurance maladie et un logement approprié afin d’accueillir sa sœur et son frère, qui ne représenteraient aucune menace pour l’ordre public, la santé et la sécurité publiques.

Il se réfère encore à la situation des droits de l’homme en Afghanistan et, plus particulièrement, à la situation des femmes et des filles dans ce pays.

Il insiste sur le fait qu’il serait le seul membre de la famille pouvant accueillir les deux enfants mineurs et qu’il serait important que quatre ans après l’assassinat de leurs parents, ceux-ci retrouvent leur frère, alors qu’ils auraient grandi et vécu ensemble.

L’appelant explique ensuite, en ce qui concerne la différence de nom de famille existant entre lui et sa sœur et son frère, qu’il serait de coutume en Afghanistan de changer le nom de famille au cours de sa vie, tout en soulignant que sur les pièces produites en cause le nom de famille du père serait le même pour lui et sa sœur et son frère.

En droit, l’appelant demande tout d’abord la confirmation du jugement entrepris en ce que celui-ci a retenu qu’il n’avait pas à remplir les conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, dès lors qu’il avait introduit sa demande de regroupement familial dans le délai de trois mois à compter de l’obtention du statut de réfugié.

S’il reconnaît que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne prévoit pas le regroupement familial avec la fratrie du regroupant, il donne néanmoins à considérer qu’il aurait demandé, en tant que tuteur légal et seul membre adulte de sa famille, le regroupement familial avec sa sœur et son frère mineurs.

Il se prévaut, à cet égard, d’un rapport de la Commission consultative des droits de l’homme du Grand-Duché de Luxembourg du 25 février 2020 sur le droit au regroupement familial des bénéficiaires de protection internationale qui aurait retenu que la définition actuelle « ne correspond pas au schéma familial de nombreux BPI vivant au Luxembourg. Ainsi, contrairement aux schémas classiques connus en Europe, les ascendants, la fratrie, les neveux et nièces et les cousins vivent souvent sous le même toit et sont considérés comme faisant partie de la cellule nucléaire de la famille ». Aussi, ladite commission aurait recommandé au gouvernement d’étendre la liste des membres de la famille d’un bénéficiaire de protection internationale qui sont autorisés à le rejoindre dans le cadre du regroupement familial.

L’appelant critique encore les premiers juges pour ne pas avoir tenu compte de la jurisprudence et de la doctrine qu’il aurait versées en première instance et qui concerneraient la qualité de membre de famille à charge et qui élargiraient le champ d’application de 3l’article 70 de la loi du 29 août 2008. Il ressortirait de ces jurisprudences que l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale devraient prévaloir.

Il en conclut qu’en l’espèce, le ministre aurait dû faire usage de sa marge d’appréciation de la manière la plus humainement possible afin d’étendre le bénéfice du regroupement familial à sa fratrie.

L’appelant ajoute qu’il enverrait tous les mois de l’argent à sa sœur et son frère afin d’assurer leur subsistance, tout en précisant qu’il serait impossible de verser des preuves de ces transferts. Il se rendrait également auprès du service « (D) » pour passer des appels téléphoniques, car cela serait moins coûteux.

En ce qui concerne la preuve des liens familiaux, l’appelant reproche aux premiers juges d’avoir retenu qu’il n’avait pas démontré à suffisance que sa sœur et son frère se trouvaient dans un lien de dépendance à son égard ou qu’il en était le tuteur légal, en faisant valoir que l’appréciation des premiers juges irait à l’encontre des recommandations internationales et de celles de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Il renvoie dans ce contexte à l’attestation de l’imam de son village dont il ressortirait qu’il serait le tuteur légal de sa sœur et de son frère en vertu des coutumes locales.

Quant au refus d’une autorisation de séjour sur base de l’article 78 de la loi du 29 août 2008, sollicitée à titre subsidiaire, l’appelant estime en remplir les conditions d’obtention, alors qu’il serait bien intégré au Luxembourg et qu’il disposerait d’une indemnité de formation qui lui permettrait de couvrir ses besoins ainsi que ceux de sa sœur et de son frère, de même qu’il bénéficierait d’une assurance maladie. Il conclut que lui refuser de retrouver son frère et sa sœur porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.

L’appelant soutient ensuite que les premiers juges auraient fait une mauvaise application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après « la CEDH », en faisant valoir que les liens familiaux entre la fratrie seraient démontrés à suffisance par les documents versés en cause et que comme les parents seraient décédés, il serait le seul soutien de sa sœur et son frère.

Le délégué du gouvernement conclut en substance au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris.

La Cour est tout d’abord amenée à préciser que le juge administratif, saisi dans le cadre d’un recours en annulation, doit se rapporter dans son analyse à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, c’est-à-dire qu’en tant que juge de l’annulation, il ne peut porter son analyse ni à la date où il statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise.

La Cour se doit ensuite de relever que la décision ministérielle litigieuse n’a pas rejeté la demande de regroupement familial au motif qu’elle n’avait pas été formulée dans le délai de trois mois à partir de l’obtention du statut de réfugié au sens de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, mais aux motifs énoncés que le regroupement de la fratrie ne serait pas prévu par l’article 70 de la loi du 29 août 2008 et que les mineurs en question ne rempliraient pas non plus l’une des conditions qui leur permettraient de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la même loi.

4 A l’instar des premiers juges, la Cour constate ensuite que l’appelant ne formule aucun moyen ou argument contre la motivation ministérielle ayant trait à la non-vérification des conditions de nature à permettre à la sœur et au frère de l’appelant de pouvoir bénéficier d’une autorisation de séjour en application de l’article 38 de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne le motif de refus de la demande de regroupement familial fondé sur l’article 70 de la loi du 29 août 2008, il convient de relever que si l’appelant ne conteste pas que cette disposition ne prévoit pas le regroupement familial au profit de la fratrie d’un regroupant, il fait toutefois plaider que le ministre aurait dû prendre en considération l’intérêt supérieur des enfants et le droit au respect de leur vie privée et familiale.

Cela étant dit, le cadre légal applicable en l’espèce, est déterminé par l’article 69, paragraphes (1) et (3), et l’article 70 de la loi du 29 août 2008, en ce qu’ils disposent que :

(Art. 69) « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(…) (3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

(Art. 70) « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

5(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».

Ces dispositions règlent les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci, l’article 69 fixant les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, l’article 70 définissant les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membres de famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.

Les premiers juges ont relevé à bon droit, et ce n’est au demeurant pas contesté par l’appelant, que ledit article 70 ne vise pas la fratrie au titre des membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg, de sorte qu’il appert que le ministre a pu valablement refuser la demande de regroupement familial lui soumise.

S’il est ensuite vrai que l’application de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 est susceptible d’être tenue en échec par une disposition internationale d’essence supérieure, telle l’article 8 de la CEDH qui garantit à toute personne le droit au respect de la vie privée et familiale et qui limite les ingérences par une autorité publique dans l’exercice de ce droit, dont le champ d’application est plus large que celui de l’article 70 quant à la notion de la vie familiale, c’est-à-dire qu’il vise au-delà de la cellule famille fondamentale, composée des parents et de leurs enfants mineurs, d’autres membres de la famille chaque fois qu’il y a des liens de consanguinité suffisamment réels et étroits entre différents membres d’une famille, le but affiché étant clairement la reconstitution d’une unité rompue, et qu’il est en principe susceptible de constituer une base autonome pour consacrer un droit de séjour, il n’en reste pas moins que cet article 8 ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale, mais requièrent des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur lui. Il ressort ainsi de la jurisprudence relative à l’article 8 de la CEDH qu’un regroupant ne peut invoquer l’existence d’une vie familiale à propos d’une personne ne faisant pas partie du noyau familial strict notamment qu’à condition qu’il démontre l’existence d’un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres au sens d’une vie familiale effective ou encore qu’un lien de dépendance autre que les liens affectifs normaux soit établi.

Or, en l’espèce, s’il n’est pas contesté que les enfants (B) et (C) sont la sœur et le frère de l’appelant, force est de constater que l’appelant reste en défaut de démontrer, mis à part des liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d'une personne adulte avec sa famille 6d'origine, à suffisance des éléments supplémentaires d’unité et de dépendance requérant une protection prévue à travers l’article 8 de la CEDH.

Ainsi, il convient de relever que l’appelant n’a pas démontré à suffisance de droit que sa sœur et son frère mineurs seraient seuls en Afghanistan ou qu’il en serait le tuteur légal, la traduction difficilement compréhensible de l’attestation de l’imam produite en cause ne permettant pas de démontrer ces affirmations. Il ne ressort pas non plus des éléments du dossier que l’appelant aurait partagé une vie familiale effective avec sa sœur et son frère avant son départ d’Afghanistan, la seule affirmation qu’ils auraient grandi ensemble, au vu de la différence d’âge entre l’appelant et sa sœur et son frère, ne permettant pas de corroborer cette affirmation. Il appert plutôt que la vie familiale avait déjà éclaté avant le départ de l’appelant.

De même, l’appelant ne démontre pas plus en appel qu’en première instance, qu’il entretient actuellement des liens effectifs et matériels, avec sa sœur et son frère, les seules affirmations de transferts d’argent et de contacts téléphoniques n’étant pas documentées.

La Cour rejoint partant les premiers juges en leur conclusion que Monsieur (A) ne peut pas être considéré comme ayant son frère et sa sœur à sa charge, ni comme étant leur tuteur légal.

Les premiers juges sont dès lors à confirmer en ce qu’ils ont retenu que l’existence d’une vie familiale effective ou d’un lien de dépendance autre que des liens affectifs normaux au sens de l’article 8 de la CEDH n’était pas démontrée à suffisance en l’espèce et le moyen afférent est partant à rejeter.

Dans ces conditions et à défaut d’autres éléments, l’appelant reste également en défaut de démontrer que la décision de refus litigieuse méconnaîtrait l’intérêt supérieur de son frère et de sa sœur mineurs, tel que garanti notamment par l’article 3, paragraphe (1), de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et l’article 24, paragraphe (2), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Les premiers juges sont dès lors à confirmer en ce qu’ils ont retenu que l’appréciation ministérielle se meut dans les limites du cadre légalement tracé, de même qu’il n’appert pas en quoi l’autorité administrative aurait dépassé sa marge d’appréciation et versé dans une erreur qui devrait être sanctionnée.

L’appelant a encore demandé, à titre subsidiaire, une autorisation de séjour pour raisons privées fondée sur l’article 78, paragraphe (1), point c), de la loi du 29 août 2008. Cette disposition est libellée comme suit :

« (1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées :

(…) c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour 7porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus ;

d) au ressortissant de pays tiers qui fait valoir des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité. » (2) Les personnes visées au paragraphe (1) qui précède doivent justifier disposer de ressources suffisantes telles que définies par règlement grand-ducal ».

Or, tout comme en première instance, l’appelant reste, en instance d’appel, en défaut de démontrer que les conditions énumérées de manière générale au premier paragraphe de l’article 78 précité de la loi du 29 août 2008, c’est-à-dire disposer de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, étaient remplies à la date de la décision litigieuse, l’appelant ayant lui-même affirmé qu’il ne s’agirait que d’une question de temps avant qu’il « ne commence à travailler, de sorte qu’il pourra accueillir sa sœur et son frère dans un logement adéquat et pourra également faire bénéficier ces derniers d’une assurance maladie en sa qualité de travailleur affecté à la sécurité sociale ».

C’est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu que l’appelant ne disposait pas de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié au moment de l’introduction de la demande, de sorte que le ministre a valablement pu refuser d’accorder une autorisation de séjour sur cette base.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et que le jugement a quo est à confirmer.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit l’appel en la forme;

le dit non fondé et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris du 2 mars 2023;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour …… s. …… s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 septembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48775C
Date de la décision : 19/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-09-19;48775c ?

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