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23/08/2023 | LUXEMBOURG | N°49327C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 23 août 2023, 49327C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49327C ECLI:LU:CADM:2023:49327 Inscrit le 18 août 2023

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Audience publique du 23 août 2023 Appel formé par Monsieur (A), Findel, contre un jugement du tribunal administratif du 16 août 2023 (n° 49267 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative

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Vu l’acte d’appel, ins...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49327C ECLI:LU:CADM:2023:49327 Inscrit le 18 août 2023

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Audience publique du 23 août 2023 Appel formé par Monsieur (A), Findel, contre un jugement du tribunal administratif du 16 août 2023 (n° 49267 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 49327C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 18 août 2023 par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Sénégal), de nationalité sénégalaise, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 16 août 2023 (n° 49267 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 juillet 2023 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 22 août 2023 par Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER pour compte de l’Etat ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur CELIK, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 août 2023.

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Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Unité Région …, du 27 juillet 2023, référencé sous le numéro …, qu’en date du 27 juillet 2023, Monsieur (A), de nationalité sénégalaise, fut appréhendé à l’occasion d’un contrôle effectué par l’Inspection du travail et des mines dans un restaurant à … où il présenta une fausse pièce d’identité italienne.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé également à cette date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de le quitter sans délai et lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.

Par arrêté séparé du 27 juillet 2023, notifié à l’intéressé en date du même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question sur base des dispositions de l’article 120 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 ». Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 27 juillet 2023 établi par la Police grand-ducale, unité région …, commissariat … ;

Vu ma décision de retour du 27 juillet 2023, lui notifiée le même jour ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que l’intéressé a fait usage d’un faux document identité ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 27 juillet 2023 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Dans son jugement du 16 août 2023, le tribunal reçut en la forme le recours principal en réformation, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur. Il dit encore qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, telle que formulée par le demandeur, et condamna ce dernier aux frais et dépens.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 18 août 2023, Monsieur (A) a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 16 août 2023.

A l’appui de son appel, il expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant être ressortissant sénégalais et être régulièrement entré en Europe sur base d’un visa délivré par les autorités suédoises en 2009. Il souligne bénéficier depuis le 25 novembre 2021 d’un permis de séjour temporaire portugais portant la mention « Activité professionnelle secondaire », valable jusqu’au 24 novembre 2023 et résider actuellement légalement à B-…. Enfin, il affirme s’être trouvé régulièrement sur le territoire luxembourgeois lors de son contrôle par la police grand-ducale en date du 27 juillet 2023.

En droit, l’appelant reproche au ministre de ne pas avoir respecté le droit de l’Union européenne et, plus particulièrement, l’article 2 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime du franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), au motif que le permis de séjour « titulo de residência » lui délivré serait non pas uniquement un titre de résidence mais un titre de séjour garantissant la libre circulation de son détenteur au sein de l'espace Schengen. Il souligne que la communication C 126/2021 publiée dans le Journal officiel de l'Union européenne en date du 12 avril 2021 a récemment mis à jour la liste des titres de séjour visés à l'article 2, point 16), du règlement susmentionné en précisant que le document « titulo de residência » portugais serait considéré comme un titre de séjour délivré selon le modèle uniforme. Dans la mesure où il disposerait partant d'un titre de séjour européen en cours de validité lui garantissant la libre circulation au sein de l'espace Schengen, l’appelant conteste la légalité de l'arrêté ministériel déféré, au motif que les dispositions de l'article 120, paragraphe (l), de la loi du 29 août 2008 seraient inapplicables au cas d'espèce et qu’en conséquence, ledit arrêté ne serait fondé sur aucune base légale.

L’appelant ajoute qu’il ne pourrait être soumis aux dispositions de la loi du 29 août 2008, au motif qu’il n'aurait jamais résidé au Grand-Duché de Luxembourg et ne serait dès lors pas soumis aux règles applicables en matière de séjour, mais serait à considérer comme ressortissant de pays tiers circulant de manière régulière sur le territoire luxembourgeois. Il se prévaut du principe de la libre circulation des personnes tel que consacré par l'article 3.2. du Traité sur l'Union européenne, l'article 21. l. du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'article 45 de la Charte européenne des droits fondamentaux.

C’est cependant à bon droit que le délégué du gouvernement oppose le défaut de pertinence de cet argumentaire de l’appelant concernant le principe européen de la libre circulation des personnes et l'application de plusieurs dispositions européennes. En effet, la question du maintien légal de l’appelant sur le territoire luxembourgeois a fait l’objet de l’arrêté ministériel séparé du 27 juillet 2023 déclarant irrégulier son séjour sur le territoire luxembourgeois, lui ordonnant de le quitter sans délai et lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans et l’arrêté de placement en rétention déféré est fondé sur cet arrêté distinct déniant le droit de séjourner au Luxembourg à l’appelant. La question de l’existence ou non d’un droit de circulation dans le chef de l’appelant est partant étrangère à la présente instance contentieuse, laquelle n'a pas trait au droit de séjour de l’appelant mais exclusivement à une mesure de rétention qui a pour objet d'assurer la présence physique de la partie appelante sur le territoire afin qu'elle soit à disposition des autorités le jour de son éloignement. Or, l’appelant met en avant son argumentation ci-avant visée exclusivement à l’encontre de l’arrêté de placement en rétention dont l’objet est étranger à cette question.

Pour le surplus, le délégué du gouvernement fait valoir à bon droit que l'article 1er, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose que cette loi « a pour objet de régler l'entrée et le séjour des étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Elle règle de même les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent ou doivent quitter le territoire » et que l’appelant, au vu de sa nationalité sénégalaise, est ainsi à considérer comme « étranger » et « ressortissant de pays tiers » au sens de l’article 3, points a) et c), de la même loi. Par voie de conséquence, la loi du 29 août 2008, y compris le régime du placement en rétention sous les conditions prévues par la même loi, s'applique à la personne de l’appelant.

Il s’ensuit que le premier moyen de l’appelant est à rejeter.

A titre subsidiaire, l’appelant remet, en substance, en cause la nécessité et la proportionnalité de la mesure litigieuse, en soutenant qu’en application de l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et plus particulièrement une assignation à résidence, se serait imposée en l’espèce.

En soulignant qu’il aurait coopéré avec les services de police afin de permettre son identification et exprimé sa volonté de respecter les obligations qui lui seraient imposées par le ministre en vue de l’organisation de son éloignement et en citant les dispositions de l’article 15, paragraphes (2) et (4), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après la « directive 2008/115/CE » et en soutenant que ces dispositions n’auraient pas été transposées correctement en droit luxembourgeois, il fait valoir qu’il présenterait des garanties de représentation suffisantes, en rappelant avoir fourni à l’appui du recours sous analyse une copie de son permis de séjour portugais en gage de coopération, de façon à exclure tout risque de se soustraire aux autorités luxembourgeoises.

Il insiste, dans ce contexte, également sur son comportement irréprochable au Centre de rétention ainsi que sur le fait qu’il serait une personne responsable et respectueuse, de sorte qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef.

Il devrait dès lors être admis que dans son cas particulier, il existerait bien d’autres mesures moins coercitives qu’un placement en rétention qui pourraient lui être efficacement appliquées, en l’occurrence l’obligation de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou de toute autre autorité désignée par lui, puisqu’il disposerait d’une résidence située en Belgique à …, soit à la frontière belge, où il vivrait dans un environnement propice à son épanouissement, dans le respect de sa dignité, respect qui serait incompatible avec son placement en Centre de rétention, et qu’en conséquence son placement ne serait ni nécessaire ni proportionné au but recherché.

Pour l’hypothèse où la Cour viendrait à considérer que la remise de la copie de son passeport ne suffirait pas à satisfaire l'exigence de la loi, l’appelant propose de lui permettre de solliciter auprès des autorités consulaires sénégalaises un passeport qu'il remettra contre récépissé au ministère.

Le délégué du gouvernement rétorque que non seulement un risque de fuite serait légalement présumé dans le chef de l’appelant, mais que les éléments du dossier établiraient un risque de fuite accru dans son chef, au motif qu’il ne disposerait au Grand-Duché de Luxembourg ni d'un domicile légal ni d'une quelconque autre attache, mais bien d’une résidence en Belgique à B-…, de sorte qu'il ne se trouverait vraisemblablement pas à disposition des autorités luxembourgeoises le jour de son éloignement.

Les premiers juges ont énoncé à juste titre que les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1), à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1), pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

Ils ont ensuite retenu à bon escient qu’une résidence à l’étranger, même en étant située près de la frontière luxembourgeoise, ne peut pas être considérée comme pertinente en vue de la prise d’une éventuelle mesure d’assignation à résidence, la personne concernée n’y étant, par définition, pas à la disposition des autorités luxembourgeoises dont la compétence se limite bien évidemment au seul territoire luxembourgeois. La même conclusion s’impose par rapport à une mesure d’obligation de se présenter régulièrement, étant donné que faute d’une attache sur le territoire luxembourgeois, les autorités luxembourgeoises ne peuvent pas s’assurer du respect d’une telle obligation par l’appelant.

Pour le surplus, l’appelant ne met, pas plus qu’en première instance, en avant un quelconque élément de preuve permettant de conclure à l’existence de garanties de représentation suffisantes pour garantir qu’il se tienne à la disposition des autorités luxembourgeoises dans le cadre de l’exécution de son éloignement.

La Cour rejoint encore les premiers juges dans leur analyse qu’en l’absence d’autres éléments, ni les affirmations de l’appelant tenant à une bonne coopération ou à une conduite irréprochable, ni la seule volonté affichée par lui de remettre une copie de son passeport, voire l’original de ce dernier qu’il devrait préalablement obtenir de la part des autorités sénégalaises, ne permettent non plus de conclure à l’existence, dans le chef de l’intéressé, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008.

Au vu de l’absence d’illégalité de l’arrêté ministériel déféré et du défaut de l’établissement d’éléments justifiant des mesures moins coercitives, l’argument de l’appelant fondé sur l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/ CE est à rejeter à sa base, étant donné que les deux hypothèses dans lesquelles ces dispositions prévoient la levée de la mesure de rétention, à savoir respectivement son illégalité et le fait que l’une des conditions pour la mesure ne se trouve plus vérifiée, ne se trouvent pas vérifiées en l’espèce.

Par voie de conséquence, c’est à bon droit que les premiers juges ont conclu au caractère justifié de la décision du ministre que les mesures moins coercitives prévues par cette dernière disposition légale, en ce compris l’obligation de se présenter régulièrement, ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce. Le second moyen de l’appelant est partant également à rejeter.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel sous examen n’est justifié en aucun de ses moyens et que l’appelant en est à débouter, le jugement a quo étant à confirmer en conséquence.

L’appelant sollicite encore l’allocation d'une indemnité de procédure à hauteur de 1.000 euros.

Cependant, au-delà du fait que l’appelant ne spécifie pas la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens, il ne se dégage pas des éléments en cause, notamment au vu de l’issue du litige, en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge des frais non répétibles, de sorte que sa demande en allocation d'une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 18 août 2023 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 16 août 2023, rejette la demande de l’appelant en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 23 août 2023 à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier assumé de la Cour Ramon HERRIG.

s. HERRIG s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 août 2023 Le greffier assumé de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49327C
Date de la décision : 23/08/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-08-23;49327c ?

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