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19/07/2023 | LUXEMBOURG | N°48974C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 juillet 2023, 48974C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 48974C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:48974 Inscrit le 24 mai 2023

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Audience publique du 19 juillet 2023 Appel formé par Monsieur (A), Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 20 avril 2023 (n° 47078 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 48974C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 24 mai 2023 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né en … à...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 48974C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:48974 Inscrit le 24 mai 2023

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Audience publique du 19 juillet 2023 Appel formé par Monsieur (A), Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 20 avril 2023 (n° 47078 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 48974C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 24 mai 2023 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né en … à … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant à L-…, dirigée contre le jugement rendu le 20 avril 2023 (n° 47078 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 janvier 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et portant ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 21 juin 2023 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 11 juillet 2023.

1Le 16 juillet 2020, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée/police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 17 et 25 février, 26 mars et 30 avril 2021, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 25 janvier 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 27 janvier 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », l’informa que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 16 juillet 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 juillet 2020 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 17 et 25 février, 26 mars et 30 avril 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Avant tout autre développement, il convient de signaler que vos revirements de positions fondamentaux au fil de votre témoignage et vos déclarations contradictoires, vagues et incohérentes ont complexifié la synthétisation de votre rapport d’entretien de sorte que la reconstitution ci-dessous ne représente qu’une tentative de refléter au mieux votre vécu et les motifs vous ayant poussé à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Vous déclarez vous nommer (A), être né dans les années … dans le village d’… à proximité de …, être de nationalité somalienne, de confession musulmane et appartenir au clan Hawiye.

Après votre mariage dans les années 2000, vous auriez déménagé d’… vers … dans la région de Shabeellaha Dhexe pour fuir les cousins de votre épouse qui auraient essayé de vous la faire renier en raison de l’origine clanique Midgaan de votre défunte mère. Vous y auriez vécu jusqu’à votre départ de Somalie avec votre épouse et vos sept enfants. Vous indiquez ne pas avoir suivi de 2scolarité et avoir travaillé en tant que berger puis vendeur de bois de chauffage. Pour arrondir vos fins de mois, vous auriez également joué avec des musiciens lors de festivités.

À l’appui de votre demande, vous avancez avoir quitté la Somalie en raison de la menace que représentait Al-Shabaab pour votre sécurité et intégrité physique.

Dans ce contexte, vous indiquez qu’Al-Shabaab se serait installé dans votre région depuis plus de cinq années et que cette présence se serait faite ressentir quotidiennement. Ses combattants auraient imposé leur mode de vie, puniraient sévèrement ceux qui ne s’aligneraient pas sur leurs principes religieux et empêcheraient la pratique d’une série de traditions somaliennes. En guise d’exemple, vous expliquez qu’Al-Shabaab aurait forcé les habitants de votre village à respecter les heures de prières, imposé une taxe religieuse, banni la pratique d’un instrument et l’écoute de la musique, exclu des vêtements et des coupes de cheveux modernes, ou encore interdit à un homme et une femme de se fréquenter s’ils n’étaient pas mariés.

Personnellement, vous auriez eu affaire à Al-Shabaab lorsque des combattants seraient passés à intervalles réguliers à … pour récolter auprès des habitants la taxe religieuse. En ce qui vous concerne, en plus de cette taxe religieuse, vous auriez aussi été contraint de leur remettre certains de vos animaux. Vous indiquez que vous n’auriez pas été en mesure de résister à une telle coercition car vous auriez encouru le risque de vous faire battre, voire tuer. Vous détiendriez cette certitude car d’autres bergers de votre village se seraient fait battre à mort après avoir refusé de livrer des animaux à Al-Shabaab. Progressivement, n’étant plus en mesure de verser le montant exigé par la taxe, vous auriez décidé de vendre vos animaux et d’acheter une charrette pour récolter du bois de chauffage et le vendre.

Vous évoquez ensuite qu’en 2019-2020, vous auriez participé à la célébration d’un mariage dans la périphérie de …. En dépit des interdictions imposées par Al-Shabaab, vous informez que des anciens du village auraient discuté avec le groupe islamiste et qu’ils se seraient accordés pour que « sie nicht in unsere Gegend kommen werden (…) Deswegen haben die Leute gefeiert » (p.13 du rapport d’entretien). Cependant, des combattants d’Al-Shabaab seraient tout de même venus et ils auraient encerclé la cérémonie ce qui aurait provoqué un mouvement de panique auprès des participants. De nombreux invités auraient réussi à s’échapper et Al-Shabaab aurait laissé les femmes et les enfants s’enfuir alors que vous et quatre autres hommes auriez été attrapés. Vous précisez que vous auriez été capturé car vous auriez été assis en train d’applaudir, à proximité des musiciens qui jouaient et chantaient, près de la porte d’entrée par laquelle les combattants seraient entrés. Capturé, Al-Shabaab vous aurait lié les mains et vous aurait ensuite amené à pied, en vous frappent régulièrement, avec les autres prisonniers jusqu’au village de … où se trouverait leur base régionale.

Arrivé à …, votre groupe de cinq prisonniers aurait été séparé en deux. Vous auriez d’abord été amené sur la place principale du village où vous auriez été violemment battu, vous prétendez par ailleurs en avoir encore gardé des séquelles, puis vous auriez été placé en cellule et y auriez passé la nuit avec deux des autres prisonniers, (B) et (C). Le lendemain, Al-Shabaab vous aurait montré le corps décapité des deux autres prisonniers desquels vous auriez été séparé, vous précisez qu’il se serait agi de (D) et (E), le musicien et le chanteur de la cérémonie de mariage. Un combattant d’Al-Shabaab vous aurait prévenu que tous les trois seriez également 3décapités le lendemain. Il vous aurait ramené en cellule et vous y auriez passé une seconde nuit.

Le lendemain, en dépit de la menace de mort émise, Al-Shabaab vous aurait relâchés tous les trois et vous aurait avertis de ne plus jamais commettre d’actes aussi impies, en faisant référence à la musique, autrement vous seriez condamnés à mort.

Libéré, vous seriez retourné à votre domicile familial à …. Vous expliquez ensuite qu’après sept ou dix jours, des combattants d’Al-Shabaab seraient repassés dans votre village pour récolter la taxe religieuse. En ce qui vous concerne, ils vous auraient reproché d’avoir vendu vos animaux sans leur permission et que vous devriez par conséquent leur verser de l’argent. Vous leur auriez répondu que vous leur auriez déjà versé une taxe religieuse, que vos animaux n’auraient pas été vendus, mais seraient morts à cause de la sécheresse qui sévissait dans la région. Cependant, les combattants n’auraient pas été dupes et auraient exigé la vérité. Vous auriez affirmé leur avoir dit la vérité, mais insatisfaits, ils se seraient mis à vous frapper. Sous la douleur, vous auriez finalement confessé avoir vendu les animaux, mais que vous ne disposeriez plus de l’argent. Ayant vendu vos animaux sans leur consentement, Al-Shabaab vous aurait réclamé plus de (X) de Schilling : « Es war eine Art Zwangssteuer, weil ich alle Tiere verkauft hatte und die Steuer nicht bezahlt habe » (p.15 du rapport d’entretien).

Etant donné que vous auriez été dans l’incapacité financière de payer le montant exigé, Al-Shabaab vous aurait contraint de coopérer avec eux et vous aurait informé que : « Wenn du kein Geld mehr hast ist es ein Muss, dass du mit uns zusammenarbeitest. Wenn du nein sagst werden wir dir deine Kinder nehmen » (p.7 du rapport d’entretien).

Ainsi, vous auriez été obligé de charger votre charrette d’armes et d’y dissimuler des explosifs. Installé dessus, vous auriez été escorté par trois combattants d’Al-Shabaab et contraint de les suivre. Au bout d’une heure de trajet, vous vous seriez progressivement rapproché de votre destination, le village de « Kalimu [sic Qalimow] » (p.17 du rapport d’entretien). Al-Shabaab aurait au préalable exigé de votre part, qu’une fois arrivé sur place, vous vous rapprochiez de la porte d’entrée d’un camp militaire gouvernemental gardée par des soldats. Connaissant le mode opératoire d’Al-Shabaab, vous auriez redouté que « So hätten sie mich von Weitem in die Luft jagen können » (p.7 du rapport d’entretien). Par conséquent, vous auriez commencé à vous inquiéter pour votre sécurité et celle des potentielles futures victimes, réalisant qu’Al-Shabaab allait sans doute faire exploser votre chargement lorsque vous vous seriez approché de la cible visée.

Vous auriez donc pris la décision de sauter de votre charrette à Kulunko Bahasan et de vous enfuir avant d’atteindre l’objectif. Durant votre fuite, les trois combattants d’Al-Shabaab se seraient mis à vous tirer dessus. Les coups de feu auraient attiré l’attention de soldats gouvernementaux et ceux-ci auraient riposté en tirant sur Al-Shabaab. Vous vous seriez échappé en courant à travers la brousse et vous auriez réussi à rejoindre votre domicile familial en début de soirée. Vous auriez évoqué les évènements à votre femme et auriez souhaité que votre famille vous accompagne dans votre fuite, mais elle vous aurait répondu que vous devriez plutôt vous enfuir seul car si l’on vous attrapait, vous seriez directement tué.

Vous auriez donc immédiatement quitté votre domicile familial à … et vous auriez pris la direction de Mokkoydheere que vous auriez pris trois jours à atteindre à pied. Vous seriez ensuite 4allé au marché des animaux de Suqa Holaha de … où vous auriez retrouvé votre oncle maternel.

Vous lui auriez rapporté votre expérience et il se serait inquiété pour votre situation personnelle.

Vous auriez directement quitté le marché des animaux car votre oncle vous aurait prévenu que des sympathisants d’Al-Shabaab s’y trouveraient. Il vous aurait également raconté que quelques jours auparavant, une charrette contenant des explosifs aurait détoné et fait plusieurs morts près d’un camp militaire gouvernemental, faisant vraisemblablement référence aux évènements s’étant déroulés à Kulunko Bahasan après votre fuite. Vous auriez ensuite été emmené par votre oncle chez un ami à lui à qui vous auriez expliqué votre histoire et qui aurait confirmé que votre situation personnelle serait périlleuse. Il aurait donc trouvé un passeur pour vous et lui aurait versé de l’argent en échange d’une remise de parcelle de terrain appartenant à votre oncle pour le rembourser. Vous seriez encore resté un mois avec l’ami de votre oncle dans le quartier de Bondere à … avant d’être conduit à l’aéroport. Le passeur vous aurait remis un faux passeport et expliqué qu’un autre passeur allait prendre le relai une fois que vous seriez arrivé en Turquie.

Vous auriez donc pris un vol à l’aéroport d’Aden Ade vers Istanbul en mars 2020. Une fois arrivé en Turquie, vous y auriez passé quatre mois avant d’entamer votre périple vers le Luxembourg. Vous expliquez avoir fait le trajet en 18 jours en compagnie d’un passeur et de trois autres migrants. Le passeur vous aurait finalement quitté au Luxembourg, alors que vous ne saviez même pas dans quel pays vous étiez, faute de langue commune.

Vous expliquez ne pas avoir demandé de l’aide aux autorités somaliennes compétentes car il aurait été trop dangereux de dénoncer Al-Shabaab étant donné que beaucoup d’entre eux travailleraient prétendument pour le gouvernement en secret. Vous ne vous seriez pas installé dans une autre région du pays car vous ne n’auriez pas voulu être séparé de vos enfants, mais suite à l’avertissement de votre oncle paternel, vous auriez décidé de quitter le pays. En cas de retour dans votre pays d’origine, vous seriez convaincu qu’Al-Shabaab vous tuerait.

Vous ne présentez pas de documents à l’appui de votre demande de protection internationale.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

5Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015.

Par conséquent, Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :

Premièrement, force est de constater que vous avez de manière générale de grandes difficultés à situer temporellement les faits que vous auriez vécus et à évoquer précisément et distinctement leur déroulement. Vous n’êtes par exemple pas en mesure de dire à quelle date exacte se serait déroulée votre prétendu enlèvement par Al-Shabaab lors de la célébration du mariage et vous vous contredisez, de sorte qu’il est encore actuellement impossible de réellement pouvoir établir une chronologie correcte des faits.

Effectivement, lorsque l’agent en charge de votre entretien vous demande quand ce mariage se serait déroulé et parant votre prétendu enlèvement, vous lui répondez d’abord que ces faits auraient eu lieu « Vor drei Jahren » (p.11 du rapport d’entretien) pour ensuite, après relecture, expliquer qu’ils se seraient déroulés « vor einem Jahr. Ich habe Somalia ein paar Tage danach verlassen » (p.11 du rapport d’entretien). Sachant que, selon vos dires durant les entretiens, les évènements se seraient enchaînés après le mariage - c’est-à-dire votre détention pendant deux-trois jours par Al-Shabaab, votre libération, puis la venue sept-dix jours plus tard d’Al-Shabaab lorsqu’il vous aurait contraint de coopérer avec eux pour faute de paiement et donc contraint de devoir conduire votre charrette le soir-même à Kalimu pour commettre un attentat contre des forces gouvernementales - il aurait été illogique pour vous de maintenir votre première réponse, à savoir que le mariage et votre capture se seraient produits en 2017-2018 alors que vous auriez prétendument quitté la Somalie près de trois [ans] plus tard, c’est-à-dire en mars 2020.

Ainsi, cette correction que vous avez effectuée ne semble en réalité être qu’une tentative d’apporter de la cohérence dans votre récit, respectivement de vous harmoniser par rapport à la suite de vos propos tenus durant vos entretiens, et une manière de contourner une explication de votre part en ce qui concerne le délai que vous auriez éventuellement pris pour quitter votre pays d’origine plus de trois ans après une série de faits qui constituent les arguments principaux de vos motifs de demande de protection internationale.

Ce constat d’un récit confus est également corroboré par le fait que vous mentionnez avoir quitté la Somalie « ein paar Tage danach » le mariage (p.11 du rapport d’entretien). Or il s’agit d’une déclaration relativement vague et vraisemblablement fausse du fait que vous prétendez que vous auriez été détenu après le mariage pendant deux-trois jours par Al-Shabaab, que vous auriez ensuite reçu leur visite sept-dix jours à … après votre libération, que vous auriez pris trois jours pour rejoindre … à pied après votre fuite et que vous y seriez encore resté un mois, abrité chez l’ami de votre oncle maternel jusqu’à ce que le passeur vienne vous récupérer, de sorte que vous seriez encore resté presqu’un mois et demi en Somalie après cet évènement et non « ein paar Tage ».

Deuxièmement, il s’avère également que vous n’êtes pas en mesure de donner une chronologie et des explications précises relatives à la vente de vos animaux et des conséquences 6qui en auraient découlé. Effectivement, il convient de noter que vous dites dans un premier temps avoir vendu vos animaux « ein Jahr vor dem Zwischenfall » (p.8 du rapport d’entretien), en faisant référence à votre arrestation lors du mariage. Dans un deuxième temps, vous corrigez vos propos durant la relecture en informant qu’« ich hatte die Tiere schon drei Jahre davor verkauft » (p.8 du rapport d’entretien). Ensuite, dans un troisième temps, lorsqu’Al-Shabaab serait venu vous voir sept-dix jours après votre libération, vous optez pour une nouvelle version expliquant que vous auriez vendu vos animaux deux ans auparavant à partir de ce jour-là (p.15 du rapport d’entretien). Finalement, dans un quatrième temps, vous expliquez que votre oncle maternel vous aurait aidé à vendre vos animaux car « Mein Kopf funktionierte nicht richtig wegen der Strafe die ich bekommen hatte » (p.16 du rapport d’entretien), insinuant en fin de compte, et malgré vous, que vous auriez vendu vos animaux après qu’Al-Shabaab vous aurait réclamé de l’argent en venant vous rendre visite après votre libération. Face à ces diverses versions, l’agent en charge de votre entretien vous a confronté alors à vos réponses divergentes en vous demandant si vous auriez bien vendu vos animaux une année avant votre punition de paiement, ce à quoi vous vous êtes contenté de répondre « Nein das habe ich nicht gesagt. Das habt ihr gesagt und ich nicht » (p.16 du rapport d’entretien). Ainsi, face à ces réponses multiples et contradictoires, il est toujours indécelable de savoir à quel moment précis vous auriez vendu vos animaux.

Dans le même contexte, lorsque l’agent en charge de votre entretien vous a demandé à quel moment Al-Shabaab aurait réalisé que vous auriez vendu vos animaux sans leur approbation, vous assurez d’abord « Das war vor einem Jahr…nehme ich an » (p.15 du rapport d’entretien).

Puis, lorsque l’agent vous a demandé si Al-Shabaab aurait su cela avant ou après votre détention à …, votre réponse « Danach » (p.15 du rapport d’entretien) dément votre propos antérieur. Vous rajoutez ensuite de la confusion dans le cadre de la relecture en mentionnant qu’« Ich kann nicht sagen ob es davor oder danach war » (p.15 du rapport d’entretien).

Poursuivant votre récit et expliquant que « Sie sagten mir, dass ich (Y) Schilling zahlen soll » car vous auriez vendu vos animaux sans leur autorisation, vous affirmez que vous n’auriez pas été en mesure de payer une telle somme, vous prétendez ensuite que le montant exigé par Al-

Shabaab aurait été de … de Schilling (p.15 du rapport d’entretien) et non plus de (Y). Alors que l’agent en charge de votre entretien vous demande pour quelle raison vous auriez d’abord mentionné (Y), vous vous contentez de répondre que « Nein, ich sagte (X) » (p.15 du rapport d’entretien).

Troisièmement, vous évoquez aussi le fait que d’autres bergers auraient été frappés à mort par des combattants d’Al-Shabaab après avoir refusé de leur remettre quelques animaux. En guise d’exemple, vous citez le nom de Teliye Buji et vous expliquez que des combattants d’Al-Shabaab « wollten Tiere mitnehmen und er sagte nein (…). Sie haben ihn zusammengeschlagen und an Händen und Füssen gefesselt. Man hat ihn weiter geschlagen und er ist an seinen Verletzungen gestorben und sie nahmen alle seine Tiere mit » (p.9 du rapport d’entretien). Cependant, vous avancez plus tardivement dans l’entretien que celui-ci aurait été tué pour une raison complètement différente : « Teliye Buji war ein Hirte aber er wurde nicht getötet, weil Al Shabab seine Tiere haben wollte, sondern weil er eine Trauerfeier für seinen Vater organisierte » (p.16 du rapport d’entretien). Vos deux récits contradictoires décrivant les faits qui auraient mené à la mort de votre camarade nuisent grandement à votre crédibilité et ne semblent être qu’une tentative d’assimilation à votre vécu afin de renforcer la gravité de votre récit et d’illustrer les risques que 7vous auriez prétendument encourus en refusant d’abord de remettre des animaux à Al-Shabaab puis en ayant participé à une activité festive dans le cadre d’un mariage.

Quatrièmement, en ce qui concerne le déroulement de votre capture par Al-Shabaab durant la célébration du mariage, il convient de soulever une série de contradictions de votre part qui laisse planer un doute sur la sincérité de vos déclarations. Vous affirmez par exemple que les combattants vous auraient bandé les yeux et amené en voiture à … : « Sie haben meine Augen mit einem Tuch verbunden und wir wurden mit einem Fahrzeug mitgenommen » (p.6 du rapport d’entretien). Puis, vous vous contredisez plus tardivement dans l’entretien en expliquant que vous auriez fait le trajet les mains liées et à pied: « Wir sind zu Fuß gelaufen » (p.13 du rapport d’entretien). Face aux interrogations de l’agent en charge de votre entretien relatives à votre récit contradictoire, vous vous contentez de lui répondre « Steht das so geschrieben ?» (p.13 du rapport d’entretien) pour ensuite préciser que « Sie haben uns nicht in einem Auto abtransportiert, sondern sie sind zu Fuß zu uns gekommen und haben uns auch zu Fuß mitgenommen. Unsere Hände waren gefesselt und wir mussten laufen » (p.13 du rapport d’entretien). Vous ajoutez ensuite « Sie haben nicht viel gesprochen, sondern uns immer wieder geschlagen » (p.13 du rapport d’entretien). Il en ressort que cette contradiction met à mal votre crédibilité car il parait improbable que vous puissiez avoir oublié la manière dont vous auriez été amené à la base d’Al-Shabaab à … si ces faits se seraient réellement déroulés. En effet, il existe indéniablement une différence flagrante entre vos deux versions de sorte qu’elles seraient difficilement confondantes : être aveuglé par un bandeau et transporté en voiture est une expérience inassimilable à celle d’avoir les mains liées et d’être escorté à pied en étant frappé par ses ravisseurs.

À cela s’ajoute que vous continuez à tenir des propos imprécis en apportant de la confusion dans votre récit lorsque vous relayez d’abord que le groupe de prisonniers aurait été séparé en deux lors de votre marche vers … pour ensuite vous corriger dans la relecture et expliquer que vous n’auriez été séparé que lors de votre arrivé à la base d’Al-Shabaab (p.13 du rapport d’entretien).

De plus, après avoir été emmené de force à … et avoir passé une nuit en cellule, vous rapportez que deux parmi les cinq prisonniers, (D) et (E), auraient été décapités devant vous « Am nächsten Tag (…) wir wurden an eine Stelle gebracht wo die zwei Musiker vor unseren Augen geköpft wurden » (p.6 du rapport d’entretien). Puis, à nouveau, vous contredisez votre version des faits plus tardivement dans l’entretien en mentionnant que : « Wir haben nicht gesehen wie sie getötet wurden. Aber man brachte die Leichen zu unserer Zelle » (p.14 du rapport d’entretien) pour finalement, après relecture, expliquer que « Die Leichen wurden nicht in die Zelle gebracht, sondern sie haben uns zu dem Ort gebracht an dem sie getötet wurden » (p.14 du rapport d’entretien). Une fois de plus, il convient de souligner qu’il s’agit de deux, voire trois, versions entièrement divergentes. Or, il est convenable d’attendre de la part d’un individu ayant été témoin de tels faits d’être en mesure de donner un récit précis de ce qu’il aurait vécu et de ne pas confondre le fait qu’il aurait ou non vu deux connaissances à lui se faire décapiter devant ses yeux. Il est également étonnant que vous ayez eu le besoin de vous corriger en ce qui concerne le lieu où vous auriez aperçu les deux corps décapités, si l’on s’en tient à votre version où vous n’auriez pas vu les décapitations en personne, alors qu’il existe une différence flagrante entre voir les corps décapités de deux personnes qui sont ramenés dans une cellule dans laquelle on est 8emprisonné ou de devoir se déplacer soi-même pour se faire montrer les corps en-dehors d’une cellule.

À cela s’ajoute que vous avez aussi du mal à déterminer combien de temps vous auriez été détenu par Al-Shabaab à …. Vous expliquez d’abord y avoir été emmené en pleine nuit et y avoir passé deux nuits : « Erst am Abend kamen Al Shabab zu uns. Sie tauchten um etwa Mitternacht oder gegen ein Uhr in der Nacht auf » (p.12 du rapport d’entretien) et « Am nächsten Tag wurden wir (…) Am nächsten Tag sagten sie uns…» (p.6 du rapport d’entretien), insinuant que vous y auriez passé deux nuits et jours. Cependant, au cours de l’entretien, vous mentionnez ensuite « Am Ende des Tages gegen Abend…bitte entschuldigen sie ich bin durcheinander, ich kann nicht mehr sagen ob sie uns am Ende des Tages frei gelassen haben oder ob sie uns noch eine Nacht dagehalten haben » (p.12 du rapport d’entretien) et « ich kann nicht sagen ob ich eine oder zwei Nächte dort war » (p.14 du rapport d’entretien). Or, il s’agit là, à nouveau, d’un constat aberrant que vous ne soyez pas en mesure de réellement indiquer le nombre de jours et nuits que vous auriez passé dans cette base d’Al-Shabaab compte tenu des évènements marquants et traumatisants qui s’y seraient déroulés.

Cinquièmement, en ce qui concerne les évènements qui auraient eu lieu à proximité de Kalimu [sic Qalimow] et de l’altercation meurtrière qui en aurait suivi entre les forces gouvernementales et les trois combattants d’Al-Shabaab qui vous auraient escorté, il s’avère que les informations disponibles n’ont pas permis de vérifier l’authenticité de tels faits. En effet, si l’on s’en tient à vos dires, cette altercation aurait dû se dérouler dans une fourchette temporelle généreuse allant du 1er janvier 2020 au 27 février 2020. Or, l’organisation non gouvernementale « Armed Conflict Location & Event Data Project » (ACLED), spécialisée dans la collecte de données désagrégées sur les conflits, l’analyse et la cartographie des crises, ne mentionne que deux incidents durant cet espace-temps près de « Qalimow », qui ne peuvent pas être reliés aux faits que vous avez mentionnés durant vos entretiens. En effet, selon les dires de votre oncle maternel que vous avez voulu assimiler à votre expérience personnelle, le chargement de votre charrette aurait explosé et la déflagration aurait fait plusieurs victimes. Cependant, les deux incidents référencés par ACLED dans ce laps de temps informent qu’il y aurait eu une attaque d’Al-Shabaab le 31 janvier 2020: « 31 January 2020. In Qalimow (Qalimow, Balcad, Middle Shabelle), Al Shabaab militants attacked Somali military’s Qalimow military base. At least 18 were reportedly killed in the clash » et une série d’explosion le 2 février 2020 «« 02 February 2020. In Qalimow (Qalimow, Balcad, Middle Shabelle), Al Shabaab militants attacked AMISOM forces using 82mm mortars. Fatalities were unreported ». Il convient d’en déduire que ces deux incidents ne sont pas comparables au fait que vous avez rapporté. D’une part les faits du 31 janvier 2020 ne font pas référence à une explosion et les pertes humaines dépassent largement la capacité de dégâts réalisables par trois combattants d’Al-Shabaab focalisés prioritairement sur votre fuite.

À cela s’ajoute que « The Monthly Africa Terrorism Bulletin » couvrant la période du 1er février au 29 février 2020 de l’« African Centre for the Study and Research on Terrorism » complète ce constat en rapportant des faits similaires s’étant produit le 2 février 2020: « Al-Shabaab assailants launched an attack against the Somali National Army (SNA) and African Union peacekeeping mission (AMISOM) troop bases. 18 people, including eight SNA soldiers and 10 Al-Shabaab terrorists were killed. 13 other terrorists were injured ». Il ressort de ces informations que cette attaque, s’étant déroulée entre le 31 janvier et le 2 février 2020, a causé la mort de plus de dix combattants d’Al-Shabaab, de sorte que celle-ci ne serait pas assimilable au fait que vous avez 9relayé. D’autre part l’évènement du 2 février 2020 mentionné par l’ACLED, et faisant sans doute également référence à l’attaque du 2 février 2020 décrite par l’« African Centre for the Study and Research on Terrorism », ne déplore aucune victime alors qu’il s’agissait également de tirs de mortier et non d’engins explosifs improvisés. Ainsi, ces deux évènements référencés par l’ACLED durant la période déterminée ne peuvent être comparables à votre prétendue expérience personnelle, de sorte que l’authenticité ou le caractère spatio-temporel de l’altercation meurtrière que vous et votre oncle maternel avez mentionnée est fortement remise en doute. Au vu de ces données, force est de constater que vous avez inventé de toutes pièces cet évènement et qu’il est donc invraisemblable qu’Al-Shabaab vous ait fait effectuer cette manœuvre meurtrière durant la période que vous prétendez.

Par extension, il convient également de remettre en doute le fait que vous ayez réussi à vous échapper, d’une manière que l’on peut qualifier de rocambolesque, des trois combattants d’Al-Shabaab à Kulunko Bahasan. D’une part, il s’avère que l’altercation ayant suivi votre fuite entre ces trois combattants et les forces de l’ordre n’est pas mentionnée par des organisations ou des institutions, respectivement l’ACLED ou l’« African Centre for the Study and Research on Terrorism », alors que celles-ci s’efforcent de référencer de manière précise tous les incidents, même ceux ne débouchant sur aucune victime. D’autre part, alors que vous seriez retourné en courant à votre domicile, l’on aurait pu s’attendre à ce que les combattants d’Al-Shabaab viennent vous y retrouver, ou du moins récupérer des informations à votre égard auprès de votre famille, étant donné qu’ils auraient eu connaissance de votre adresse. Or, vous ne faites aucunement référence à une telle possibilité alors que vous seriez encore resté un mois en Somalie et en contact avec des membres de votre famille.

Ainsi, Monsieur, au vu de vos déclarations diamétralement opposées faites lors de vos entretiens auprès du Ministère luxembourgeois, et au vue des contradictions et incohérences qui gangrènent vos déclarations, force est de constater que la sincérité de l’ensemble de votre récit doit être réfutée et que vous avez inventé de toutes pièces une série d’éléments afin d’augmenter vos chances d’obtenir une protection internationale, tout en dissimulant la réalité des motifs vous ayant poussé à venir vous installer au Luxembourg. S’il peut être acceptable que vous soyez dans l’incapacité de donner des dates précises concernant les faits qui vous seraient arrivés, il est cependant insoutenable que vous ne soyez pas en mesure de fournir un ordre temporel cohérent des évènements et un récit linéaire qui n’est pas sujet à de multiples modifications de votre part en vue d’harmoniser au fur et à mesure vos déclarations pour tenter d’assurer un semblant crédibilité.

Il suit des considérations qui précèdent que votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de de la Somalie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2022, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 1025 janvier 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 20 avril 2023, le tribunal administratif reçut en la forme le recours principal en réformation dans ses deux branches, au fond, le dit non justifié et en débouta, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, le tout en condamnant le demandeur aux frais de l’instance.

A l’instar du ministre, le tribunal retint que le récit du demandeur, considéré dans sa globalité, n’était pas de nature à convaincre, l’intéressé apparaissant au contraire, tenter sciemment d’induire en erreur au sujet de son vécu.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 24 mai 2023, Monsieur (A) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 20 avril 2023.

En substance, l’appelant réitère l’exposé de son vécu et les motifs à la base de sa demande de protection internationale, tels qu’ils se dégagent en substance de la décision ministérielle critiquée, de même qu’il réitère et développe son argumentaire de première instance tendant à faire valoir que son récit, contrairement à la position ministérielle, essentiellement entérinée par les premiers juges, serait crédible et de nature à justifier légalement la reconnaissance de l’un des deux statuts de protection internationale sollicités et tendant à voir réformer le jugement a quo en ce sens.

Tout en ne contestant pas que son récit est entaché d’incohérences, Monsieur (A) conteste la conclusion des premiers juges que son récit ne serait pas crédible dans sa globalité. Il estime que la crédibilité d’un récit d’un demandeur de protection internationale est établie si celui-ci a présenté un récit cohérent et vraisemblable et il serait en droit d’invoquer à son profit l’application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015 et de profiter du bénéfice du doute. Pour le surplus, la vulnérabilité inhérente au statut de demandeur d’asile, caractérisée par la situation spécifique des personnes traumatisées et les effets des traumatismes, devrait être prise en compte.

Ainsi, il faudrait prendre en compte les conséquences de son analphabétisme et les traumatismes subis dans son pays d’origine, dont notamment le fait qu’il aurait été témoin de la décapitation de deux personnes enlevées avec lui lors de la célébration d’un mariage. L’appelant expose encore, en relation avec la charge de la preuve en matière d’asile, que l’Etat d’accueil devrait coopérer avec le demandeur d’asile pour permettre la réunion de l’ensemble des éléments de nature à étayer sa demande, Etat qui serait le mieux placé pour avoir accès à certains types de documents.

Monsieur (A) renvoie encore au document publié par l’« Armed Conflict Location & Event Data Project » (ACLED), intitulé « Somalia, first Quarter 2020 », relatant les incidents perpétrés en Somalie durant le 1er trimestre de l’année 2020, qui établirait à suffisance de droit que la zone dans laquelle il aurait été contraint de participer à un attentat suicide faisait effectivement l’objet d’attaques violentes durant la période litigieuse.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel.

Il se dégage de la combinaison des articles 2, sub h), 2, sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions 11que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Ceci étant dit, il y a lieu d’ajouter que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Or, dans le cadre du recours en réformation dans lequel il est amené à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, le juge administratif doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais il se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit constituant, en effet, un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

La Cour fait sienne l’analyse des premiers juges en ce que le demandeur de protection internationale doit effectivement bénéficier, dans ses déclarations, du doute en application de 12l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, si et à condition que son récit puisse être généralement considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible.

Ceci étant rappelé, au niveau de l’appréciation de la crédibilité des déclarations de l’appelant au sujet de son vécu et des motifs de persécution mis en balance par lui, la Cour partage l’analyse des premiers juges et rejoint le ministre en ce qu’au regard d’un nombre certain de contradictions et d’incohérences affectant ses dires, il a conclu à un manque général de crédibilité dans son chef.

En effet, cette conclusion s’impose notamment :

- au regard de la prétendue date à laquelle se sont produits les évènements à l’origine du départ de l’appelant de son pays d’origine ;

Ainsi, il convient de relever que l’appelant a déclaré dans une première phase devant l’agent du ministère en charge de son entretien avoir quitté son pays d’origine il y a trois ans avant de se raviser et de prétendre que les faits à la base de sa fuite de Somalie se seraient déroulés il y a un an. Or, des déclarations aussi contradictoires quant aux dates de déroulement des faits à l’origine de sa fuite de son pays d’origine ne sont tout simplement pas crédibles et laissent penser que le récit de Monsieur (A) est inventé de toutes pièces.

- au regard de la date de la vente de ses animaux à l’insu de la milice Al-Shabaab ;

Sur ce point, l’appelant a affirmé à un premier stade avoir vendu ses animaux environ une année avant son enlèvement, lors de la célébration du mariage auquel il aurait assisté, pour dire à un deuxième stade avoir déjà vendu ses animaux trois années sinon deux années auparavant avant de conclure qu’il ne se souviendrait plus de cette date. De nouveau, des divergences aussi importantes au niveau temporel par rapport à des faits majeurs sont tout simplement inexplicables.

- au regard du prix exigé par la milice Al-Shabaab à la suite de la vente des animaux ;

Ainsi, Monsieur (A) fait varier, lors de son entretien, le prix du montant exigé par la milice Al-

Shabaab pour la vente non autorisée de ses animaux de (Y) schilling à (X) schilling.

- au regard du déroulement de sa capture lors de la cérémonie de mariage ;

Sur ce point, l’appelant a déclaré dans une première phase que les combattants d’Al-Shabaab lui auraient bandé les yeux et l’auraient emmené en voiture pour expliquer plus tard qu’il aurait fait le trajet jusqu’au camp d’emprisonnement les mains liées et à pied, tout en étant frappé par ses ravisseurs. Or, il paraît tout simplement improbable d’oublier le procédé et les modalités exactes de pareil enlèvement.

- au regard des prétendus évènements s’étant déroulés à proximité de Kalimu ;

13Ainsi, Monsieur (A) a déclaré avoir été escorté par trois combattants d’Al-Shabaab, après avoir dû charger sa charrette avec des armes et avoir dû y cacher des explosifs, en vue de la commission d’un attentat suicide. Il aurait par la suite pris la décision de sauter de la charrette et de prendre la fuite ce qui aurait incité les trois combattants à lui tirer dessus entraînant une riposte de la part de soldats gouvernementaux. Or, l’ACLED, organisation non gouvernementale, spécialisée dans la collecte de données dans des zones de conflit, n’a enregistré que deux incidents à proximité de Kalimu à l’époque où les faits relatés auraient dû de dérouler et qui ne sont nullement comparables à la version des faits décrite par l’appelant.

En résumé, il se dégage de l’examen des déclarations de l’intéressé que loin de présenter dès le début un récit complet et cohérent relativement à son vécu, l’appelant a fait des déclarations qui ont évolué au fil du temps et de la nécessité ressentie d’adapter et d’aggraver son sort pour arriver à ses fins. Le récit apparait dès lors en dernière analyse comme étant accommodé et inventé de toutes pièces.

Or, loin de clarifier en instance d’appel la conclusion de l’autorité ministérielle en relation avec le manque de crédibilité de son récit, dont notamment les contradictions et incohérences relevées ci-

avant, Monsieur (A) ne fournit que des explications générales, guère convaincantes, sans clarifier les doutes sérieux que ce constat génère logiquement à propos des faits de persécutions actuellement allégués.

Ainsi, au vu de ces considérations, la Cour est amenée à conclure que le ministre a valablement pu remettre en question la crédibilité du récit de l’appelant dans sa globalité et, en conséquence, pu retenir l’absence de raisons sérieuses crédibles de croire qu’il encourrait ou encourt, en cas de retour dans son pays d’origine, une crainte fondée de persécution ou un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015, par rapport aux faits allégués, Au-delà, la Cour constate que l’appelant ne prétend pas que la situation qui prévaut actuellement en Somalie correspondrait à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. Par ailleurs, ni les déclarations de l’appelant, ni les pièces du dossier administratif ne permettent de conclure à l’existence d’une telle situation.

Il s’ensuit que l’appel dirigé contre la décision de rejet de la demande en reconnaissance d’une protection internationale, considérée sous ces deux volets, laisse d’être fondé.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

14 Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 24 mai 2023 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant ;

partant, confirme le jugement entrepris du 20 avril 2023 ;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Patrick WIES.

s. WIES s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juillet 2023 Le greffier de la Cour administrative 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48974C
Date de la décision : 19/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 25/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-07-19;48974c ?

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